Chapitre 10. La musique dans la maison tour
Harmonie et dissonances
p. 164-173
Texte intégral
UN CHANT DE MAÇONS : ARCHITECTURE ET MUSIQUE
1L’homme est courbé, presque plié en deux. Un énorme bloc de pierre est arrimé contre son dos au moyen d’une corde qu’il tient lui-même à deux mains au-dessus de son épaule. Ses compagnons maintiennent la pierre latéralement, de sorte qu’il n’en supporte que le poids, sans avoir à faire d’effort pour trouver l’équilibre. Le maître-mâçon lance le chant, quelques mots, quelques notes. Les autres ouvriers et le « porteur », répondent par une sorte de refrain très court. Epousant toute la tension de l’effort, le rythme s’accélère, confinant au cri, à la vocifération :
O cœurs, marchez donc...
- en marche !
Allez au hammâm
- en prom ’nade !
Et à Ibn cAlwân1
- en pél’rinage !
Une pierre qui donne
- cœur à l’ouvrage !
Pour ceux qui ont
- bras et flancs !
O Dieu prie donc
- sur le Prophète
Ensemble prions
- sur Muhammad et cAlî
Par Dieu Il pardonne
- les péchés !
Force et puissance
- sont dans la main de Dieu2 !
2Avant que les bétonneuses ne viennent contribuer au vacarme du monde moderne, le chant ḥaǧla donnait du cœur à l’ouvrage aux maçons de Sanaa, en imprimant un rythme régulier à leur travail. Simultanément, il mettait leur « force » sous la protection du sacré. Jusqu’à maintenant, on peut entendre ce type de chant dans les environs de la ville.
3La ḥaǧla possède un rythme binaire enlevé et un ambitus mélodique très réduit (deux ou trois notes). Mais on peut encore aller plus loin dans la simplicité : lorsque le travail est particulièrement difficile, il arrive que le texte se réduise à un seul mot, comme dans cette ḥaǧla où l’on répète seulement : « Ton aide ! », cAwn-ak ! cAwn-ak ! (ce qui bien sûr s’adresse à Dieu). Dans d’autres circonstances, les plâtriers qui enduisent un sol de ciment, rythment leur travail d’un chuintement sonore. Il s’agit d’un phonème situé entre /s/ et/sh/. Courbés vers le sol, ils respirent par la bouche, filtrent l’air avec la langue, crachent souvent de la salive pour éviter d’aspirer les émanations de l’enduit humide. Peut-on encore parler de chant3 ? Peu importe. En assistant à de tels spectacles, on peut se demander si la formidable harmonie qui émane de l’architecture de Sanaa existerait sans ces rythmes si simples, mais si pleins d’énergie.
4Beaucoup de grands esprits ont suggéré que la musique et l’architecture occupent des domaines complémentaires, l’une se déployant dans l’espace et l’autre dans le temps. Paul Valéry a remarqué que c’est sans médiation apparente que toutes deux s’adressent aux sens. De là, on a souvent cherché à faire dialoguer leurs formes. Les théories n’ont pas manqué, comme chez Schopenhauer, et souvent au détriment de l’une ou de l’autre : Goethe n’avait-il pas qualifié l’architecture de « musique congelée4 » ? Jusqu’où le parallèle est-il pertinent ?
5Malgré l’admirable usage du chant fait par les maçons yéménites, ces relations sont moins simples qu’il n’y paraît. Ainsi, dans le passé, la musique était aussi utilisée pour accompagner la destruction de certains bâtiments, notamment lorsque cela avait des implications magiques ou religieuses. C’est ce que raconte un historien arabe du ixe siècle, al-Azraqî, à propos de la démolition de la cathédrale chrétienne de Sanaa, al-Qalîs, par le gouverneur abbâsside cAbbâs b. ar-Rabî al- Ḥâriṯî. Une idole païenne, Kucayb, y était adorée par les habitants de Sanaa :
« [...] Son cœur désira la détruire et prendre ce qui s’y trouvait. Il envoya chercher un fils de Wahb Ibn Munabbih5 pour lui demander son avis [...]. [Ce dernier] lui dit : Kucayb n’était qu’une idole de la Ǧâhilîya par qui ils ont été séduits. Aussi, ordonne-donc de faire venir le tambour, druhul6 et le mizmâr [hautbois ou clarinette]. Puis fais venir les démolisseurs, fais-les monter sur le toit, et ordonne-leur de commencer à démolir. Le tambour et la clarinette les stimuleront et les maintiendront joyeux. Et tu gagneras beaucoup d’argent avec les matériaux de construction [...]7. »
6Qui a assisté à la démolition d’une maison pourra imaginer la charge émotionnelle que cela peut soulever, et l’opportunité qu’il y a à la canaliser, y compris dans un sens agressif... Il s’agissait bien sûr de récupérer les pierres d’un édifice pré-islamique, mais pour briser le tabou qui protégeait ce sanctuaire où les premiers habitants de Sanaa allaient chercher une protection magique, il fallait rien moins que les instruments très sonores de la musique populaire (que l’on trouve encore jusqu’à aujourd’hui sous le nom de mizmâr et tabl). La musique n’adoucit pas toujours les mœurs, comme le montre cette version quasiment inverse du mythe d’Amphyon.
7Il s’agirait donc plutôt de chercher à comprendre comment, au cours d’une si longue histoire, les échanges entre ces deux arts, à travers leurs praticiens et leurs usagers, ont pu contribuer à intégrer différents éléments pour en faire une culture, certes homogène mais complexe, et souvent contradictoire. Ainsi, si certaines structures sont redondantes dans les deux, beaucoup d’autres ne le sont pas, et dessinent des domaines différenciés ; il arrive même qu’elles se contredisent. C’est ce jeu d’échos déformés qui nous retiendra, à au moins trois niveaux :
- Il y a dans le chant classique sancânî une tendance à puiser dans le vocabulaire de l’architecture des termes permettant la visualisation et la concrétisation des formes impalpables de la musique.
- Plus subtilement, la musique citadine a trouvé dans la maison tour un espace privilégié d’épanouissement. Comme la maison, elle adhère à une sorte de mystique de la hauteur. La verticalité est un axe où « s’élèvent » le raffinement et la spiritualité de la musique, de même que l’architecture place en haut des maisons le mafraǧ, ce salon où l’on s’abstrait des contingences terrestres.
- Si ces deux premiers aspects sont plutôt consensuels, il en est un troisième qui tranche entièrement avec ce qui précède. En effet, si l’on prend les choses dans le sens horizontal, celui de l’occupation quotidienne de la maison, musique et espace habité entrent alors en conflit. C’est que malgré ses velléités mystiques, la demeure reste enracinée dans ses structures bâties, qui sont aussi des structures sociales. Si les sons traversent les murs et s’y infiltrent, ils risquent de déranger des conventions qui consacraient le cloisonnement spatial et social : d’une pièce à l’autre, d’une maison à l’autre, d’un sexe à l’autre...
8La musique est donc aussi concernée que l’architecture par l’opposition vertical/horizontal, mais d’une manière bien différente. Aussi faut-il explorer, sans idées préconçues, ces trois niveaux d’analyse.
9Ce parcours dans un domaine situé aux confins peu explorés de deux grands domaines si étrangers l’un à l’autre, comprend un certain nombre de risques. Pour la musique yéménite, je me suis appuyé sur des matériaux recueillis lors d’un séjour prolongé au Yémen, entre 1985 et 19888. L’aspect architectural m’était moins familier, mais j’ai pu mettre à profit certaines observations avisées9. Cependant, mon propos est moins d’étudier les structures formelles de ces deux arts, que de mettre à jour les aspects cognitifs ou sociologiques de leur rencontre, et finalement, certains aspects mal connus de la vie des habitants de la capitale du Yémen.
MÉTAPHORES VISUELLES POUR LA MUSIQUE
10Trouver des parallèles aux structures musicales dans d’autres arts fait partie du programme de l’ethnomusicologie. Peu de tentatives ont pourtant été faites sur ce « terrain dangereux et piégé10 », pour reprendre les termes d’Alan Merriam. Pour faire face à ses difficultés, il faut sans doute réduire l’angle d’optique, afin d’éviter les généralisations abusives11. Or Sanaa nous offre l’avantage d’une culture aux frontières restreintes qui devrait nous permettre de définir quelques spécificités avec une relative certitude. On gardera cependant toujours en tête les relations de ces structures esthétiques avec d’autres domaines de la vie sociale12, ainsi que leurs modes de production.
11Si la maison yéménite appartient au vaste domaine traditionnel de l’« architecture sans architecte », la chanson yéménite pourrait être aisément classée dans les « musiques sans compositeurs ». Les deux arts se réfèrent à un savoir-faire dont les règles non écrites se sont accumulées au fil des générations. Pour des raisons historiques particulières, la musique yéménite n’a guère connu de codification théorique, ou l’a peut-être perdue : bien qu’elle se compose de cycles rythmiques et de modes mélodiques assez variés, elle n’a pas conservé la mémoire d’écrits théoriques et mathématiques comme il y en eut au Moyen Age au Proche-Orient13.
12Les mélomanes sont plus enclins à « voyager » avec la musique qu’à spéculer sur ses concepts, et les musiciens yéménites sont, comme les maîtres-maçons, avant tout des praticiens. Le joueur de luth qui fait une improvisation instrumentale à la manière yéménite, « exploration en groupe », fartâš ǧamc enchaîne les mélodies les unes après les autres selon l’inspiration, née de circonstances et d’un public particuliers ; cela est assez comparable, sur le plan de l'urbanisme, à la manière dont les maisons de Sanaa sont juxtaposées et orientées selon une histoire singulière, sans planification savante14. Dans ces deux domaines, s’il se trouve des structures, elles viennent après coup sanctionner un usage, plus qu’elles n’organisent a priori la pratique.
13Dans la musique traditionnelle telle que nous la connaissons aujourd’hui, l’invention procède surtout par adaptation de mélodies connues à de nouveaux textes, ceux-ci modifiant insensiblement celles-là. On procède aussi par retouches, retraits et ajouts de motifs et de cadences. Exactement comme pour certaines maisons de Sanaa, on pourrait dire de certaines mélodies qu’elles aussi sont trois fois centenaires, et qu’elles ont un étage supérieur fraîchement construit15...
14Pour ces raisons, cette musique, au demeurant très raffinée, donne parfois l’impression de manquer de concepts descriptifs, notamment dans la transmission de la tradition. Mais c’est pourquoi elle fait des emprunts au vocabulaire de l’architecture et de la décoration, qui lui apporte ainsi des éléments visuels et métaphoriques. Cet usage est plus ou moins consacré dans la tradition orale : certains termes sont très répandus nationalement, d’autres ne sont connus que dans une famille ou un cénacle, d’autres enfin, sont choisis incidemment par un musicien, chacun faisant appel, pour combler ce vide, à sa propre imagination.
15La figure 2 met en évidence l’entrelacement de deux lignes mélodiques de statut différent : la mélodie de base et le sils en do2 (Li-llâh mâ yaḥwî hâḏâ l-maqâm, interprété par Aḥmad al- Sunaydâr).
Vocabulaire architectural
16Le mot arabe désignant le vers de poésie, bayt témoigne probablement d’un des premiers échanges entre l’architecture et les arts de la muse, puisqu’il signifie aussi « tente, maison ». Les poèmes en formes de quatrain s’appellent au Yémen mubayyit, de la même racine.
17Pour sa part, la chanson a une structure mélodico-rythmique simple dont l’appellation consacrée est al-qacida, la base, le socle, mais ici plus explicitement « le modèle » : la tradition prescrit à l’interprète de la reproduire fidèlement.
18L’interprétation doit suivre un enchaînement conventionnel de trois cycles rythmiques ou « suite » (qawma, « une fois »). Celle-ci, dit un musicien, doit se construire comme un « bâtiment », mabnâ, une « structure » au sens architectural, maqâm16. La métaphore du bâtiment indique nettement le souci de la perfection et de la cohésion d’ensemble de cet enchaînement, dont les mélodies, pour leur part, sont choisies librement par le musicien. Cela n’exclut d’ailleurs pas l’existence de certains enchaînements fixes, sans doute parce qu’ils eurent leur heure de succès : c’est le cas d’une suite très connue qu’on appelle al-qaws17 (l’arc, mais aussi « l’arcade » en vocabulaire architectural), parce qu’elle est constituée de plusieurs sections, madraǧ, particulièment bien assemblées murakkaba.
19Pour ces raisons de structuration du discours musical, un musicien traditionnel ne s’arrête jamais en cours d’interprétation, même si, toussant, il ne peut plus chanter qu’avec peine, ou, son luth s’étant désaccordé, il ne joue plus juste... Ne pas compléter la suite des trois mouvements serait déroger, manquer de goût et laisser inachevé le maqâm, cette construction qui tente de répondre à la sensibilité globale de l’auditeur. Pour sa part, le « passage » d’une mélodie à l’autre, utilisant une métaphore plus simplement visuelle (la naqla, transition, passage) doit s’effectuer d’une manière insensible, là encore pour ne pas heurter la sensibilité de l’auditeur. Sa patine, que chaque musicien travaille soigneusement comme un trait personnel, évoque irrésistiblement la douceur des angles qui, à l’intérieur de certaines maisons, ont été recouverts au fil des ans de couches successives de plâtre, conservant l’empreinte des mains qui les ont lissés à de nombreuses reprises.
Vocabulaire décoratif
20En architecture, as-sils, littéralement : la chaîne, désigne les panneaux verticaux de brique qui décorent les façades, et dont le motif est généralement fait d’une ligne brisée ou ondulante, stylisée ou non, et encadrée par deux lignes droites.
21Pour le joueur de luth, ce mot désigne une technique bien particulière de la main droite, qui joue deux cordes en alternance, le sol2 et le do218. Lorsque l’on joue la seule ligne mélodique de base (fig. 1), c’est la qâcida, le squelette mélodique qui a déjà été mentionné, et qui est aussi désigné, sur le plan du style, comme un-à-un, fard. Dans le sils, on double cette ligne mélodique de base par une autre ligne sur la corde do2 pincée à vide, brodant un motif continu, très rapide et dense, qui souligne cette note : le sils. Ces motifs en do2 viennent remplir les interstices entre les notes principales de la mélodie de base (voir fig. 2).
22Par son insistance, cette sorte d’ostinato19 aigu met en relief les méandres de la mélodie principale, et donne l’impression d’un va-et-vient permanent entre deux lignes juxtaposées, dont l’une est sinueuse et l’autre droite. Le va-et-vient se manifeste aussi sur le plan visuel, dans le mouvement de la main droite de l’instrumentiste. Cette juxtaposition de deux lignes mélodiques de statut différent présente une similitude frappante avec les motifs ondulants des panneaux verticaux qui décorent les façades, sils, et plus encore avec ceux des bandeaux horizontaux20 (fig. 6, 17).
23En pratique, les musiciens jouent beaucoup sur ce genre de contrastes pour introduire des nuances expressives. Avec l’introduction de cette continuité tonale, et la rapidité du va-et-vient, l’impression ressentie est plutôt celle de l’enthousiasme, d’un flux émotionnel que l’on laisse couler généreusement (salis signifie aussi : « courant, coulant »), par contraste avec un jeu plus austère, goutte à goutte, note à note, fard (voir fig. 1), qui, à l’inverse, exprime le contrôle de soi. La commune dénomination du motif sonore et du motif visuel par le mot sils n’est donc sans doute pas un simple accident, sans qu’on puisse dire pourtant lequel des deux arts a utilisé ce terme le premier.
24Pour sa part, le mot ẖarša désigne, chez les fabricants de vitraux, leurs motifs décoratifs, et la profession est parfois désignée elle-même du mot ẖarrâš. Pour les musiciens, la ẖarša peut être la rosace du luth. Mais elle désigne surtout une opération bien précise, celle qui consiste à broder ou à improviser sur le thème de la mélodie de base, qâcida, soit avec la voix, soit avec l’instrument ; il y a donc une relation dialectique entre la qâcida et les ẖarša, entre répétition et variation. Chaque musicien a ses ẖarša propres, qui caractérisent son style personnel, d’une manière plus ou moins originale.
25La recherche de l’ornementation des mélodies grâce à des motifs infinitésimaux, fondamentale dans toute la tradition arabe21, fait généralement appel à toute sortes de termes visuels venus de l’artisanat : le « dessin, motif », naqš, très utilisé dans l’art du bois ; l’« arc, vitrail », aqd ; « galon », tadfîr, qui désigne l’interpénétration de plusieurs éléments, de même que les « entrelacements », taškîlât, termes empruntés à l’ameublement, les « petites pièces », namânim, empruntés à la joaillerie, et les « retouches », artûš, néologisme qui se rapporte... à l’art moderne du maquillage.
Répétition et variation
26D’après ce qui précède, il semblerait que, des deux paradigmes de l’interprétation musicale, la répétition fait plutôt appel à des métaphores architecturales, stables, tandis que la variation emploie des métaphores décoratives, plus libres. Chaque musicien fait usage de sa propre imagination en ce domaine, et parvient ainsi à rendre compte d’une manière synthétique des aspects vivants de son art, non seulement par des métaphores d’origine organique22, mais aussi en mettant en valeur certains aspects plus directement dynamiques de l’habitat.
27Ainsi, tel chanteur yéménite expliquera que l’interprétation mélodique d’un vers de poésie peut être comparée à une porte à double-battant, bâb fardatayn, comme on en trouve souvent à l’entrée des salons. En effet, le vers, comme la porte, a deux « battants », a deux hémistiches, masac et cajz. De même, la mélodie a en général deux sections, maqṭac. Ici, le musicien joue sur leur dualité, et la perception qu’en a l’auditeur : soit texte et mélodie, hémistiches poétiques et maqṭac musicaux correspondent les uns aux autres, soit au contraire on répète plusieurs autres hémistiches sur le même deuxième maqṭac, comme si on « ouvrait » le deuxième battant à plusieurs reprises, tout en maintenant fermé le premier (« comme une porte de mafraǧ »). Notons que l’effet esthétique est d’autant plus intense que l’auditeur connaît bien le répertoire et qu’il a conscience, de par sa culture littéraire, de la correspondance « normale » entre hémistiche et maqṭac, et des distorsions que le musicien fait éventuellement subir à cette norme.
28Il en est de même pour exprimer l’emboîtement de plusieurs mélodies en enfilade, selon la technique poético-musicale bien connue dans la tradition arabe, celle du muwaššah (bayt, tawšîh, taqfil) : le fait d’insérer le tawših (deuxième élément) comme une incise dans le poème trouva tout naturellement sa métaphore chez un musicien dans la kumma, cette petite pièce en mezzanine, fermée et sans fenêtre, elle aussi « incise » dans une autre pièce23. Pour le taqfîl, troisième élément de la structure, il inventa l’expression de « incise dans l’incise », kumma dans la kumma, reprenant parfaitement la notion d’enfilade que contient l’étymologie de ce mot (kumm est une manche).
29Citons encore la šadâba, autre petite pièce située au sommet de la maison, et en général dissymétrique par rapport au reste des pièces (du nom de la fleur de rue, Rata chalepensis). Sur le plan musical, ce mot désigne un motif mélismatique subtil et insaisissable, comme flottant en l’air. Sur le plan architectural, kumma et šaḏâba correspondent à des dénivellations par rapport au reste de la maison, demi ou quart d’étages. Cette irrégularité n’est pas sans évoquer le mélange de préciosité et d’empirisme qui fait toute la saveur de la musique de Sanaa.
30Ces quelques remarques n’épuisent pas les possibilités d’emprunts métaphoriques de la musique à l’architecture, possibilités toujours renouvelées par l’inventivité de la tradition orale.
MUSIQUE ET VERTICALITÉ
31On sait qu’au Yémen, la hiérarchie sociale se projette volontiers en une hiérarchie verticale dans l’espace, notamment celui de l’habitat. En reprenant à son compte cette opposition éthique entre le haut et le bas, la chanson rejoint ce symbolisme architectural à plusieurs niveaux : celui de la maison dans ses relations avec l’extérieur, celui du salon de réception, mafraǧ, enfin celui du rythme crescendo que la musique impose au cérémoniel qui s’y déroule.
Verticalité sociale, verticalité musicale
32La maison tour, al-bayt, par son caractère privé et fortifié, s’oppose nettement à « la rue », aš-šâric. Pour leur part, les musiques sont nettement classées, au Yémen, en une musique d’extérieur, bruyante et populaire, et une musique d’intérieur, intime et distinguée. Les styles musicaux, les instruments, les émotions diffèrent nettement dans les deux cas. Le luth, cûd, instrument de faible volume sonore, intimiste et distingué, ne peut se jouer qu’à l’intérieur. Il s’oppose en cela au mizmâr. Cette clarinette double en roseaux est un instrument populaire au son puissant et criard, qui accompagne le cortège du marié en plein air, zaffa, chez les paysans ou des citadins de fraîche date. A l’époque de l’imâm, où la musique était interdite dans les villes, on pouvait encore jouer discrètement du luth à l’intérieur des maisons, mais cela aurait été impossible avec le mizmâr24.
33A propos du chant accompagné du luth, le ġinâ' sancânî, il faudrait parler de « musique de mafraǧ », de la même façon que l’on parle, en Occident de « musique de chambre ». En effet, les circonstances actuelles de son interprétation ne sont pas sans analogies avec celles des origines de cette sorte de musique en Occident, notamment en ce qui concerne leur contenu émotionnel, et les relations du musicien avec le public25.
34L’opposition entre chanson raffinée et vulgaire passe volontiers par des métaphores spatiales. Selon une convention banale, d’inspiration monothéiste, (de même que les prières « s’élèvent » vers Dieu), il y a la chanson « élevée », râqîya, celle qui est spirituelle, et dont les paroles procèdent par métaphores et allusions raffinées. Et il y a au contraire celle qui flatte les « bas » instincts et l’amour de ce monde, la duniyâ, le « bas » monde. Pour beaucoup de mélomanes, la chanson la plus distinguée est celle qui prévalait, dans le passé, par la pudeur de son expression poétique. « Aujourd’hui, les jeunes ne savent plus dire que Habîbî, ya habîbî ! « Chéri, mon chéri ! », se plaint un vieux mélomane.
35Ce rôle de classement social de la musique est d’autant plus important que la distinction passe bien plus par l’expression de goûts et de dégoûts individuels, dans la plaisanterie ou la colère, que par une volonté raisonnée de se distinguer. Il faudrait par exemple pouvoir rendre l’émotion, c’est-à-dire la confuse constellation de significations, accompagnant une phrase qui revient souvent sur les lèvres des musiciens, celle qui réprouve, sur un ton violemment méprisant, « ceux qui chantent dans la rue ». L’émotion semble bien disproportionnée par rapport à la gravité du crime : paradoxalement, très peu de musiciens jouent effectivement « dans la rue », à part quelques mendiants itinérants. Il y a cependant une autre exception notable : dans les mariages, à la suite du rituel religieux de la zaffa, chaque musicien présent doit chanter une chanson en public, pour conclure le cortège et inaugurer la soirée de fête qui va suivre. Mais certains traditionalistes refusent encore de « descendre » jouer dans la rue, même si c’est pour honorer le marié.
36Ainsi, verticalité sociale de la maison et verticalité morale des sentiments coïncident et se renforcent mutuellement, à tel point que l’on peut se demander si certains phénomènes récents ne trouvent pas là une explication, comme persistances culturelles : les mariages donnant lieu aujourd’hui à une débauche de sonorisation, la musique (notamment les chants religieux) est amplifiée par un micro dont le haut-parleur est placé bien en hauteur pour être entendu dans tout le quartier. En d’autres temps, le Prophète Mahomet disait : « La différence entre le licite et l’illicite [c’est-à-dire entre le mariage et l’adultère], c’est le battement du tambour. » La sono aurait donc remplacé la percussion... Autre cas curieux : dans le maqyal, certains musiciens, en chantant d’un air inspiré, tournent curieusement leur visage vers le haut, comme s’ils s’adressaient au Ciel. Est-ce un hasard si on brocarde alors tel chanteur, connu pour son goût des plaisirs de ce Bas- Monde, en lui demandant : « Pourquoi gardes-tu les yeux fixés sur les étagères ? Tu vas t’envoler ! »
37Cette correspondance symbolique apparaît d’autant plus forte qu’elle peut aussi être tout entière projetée sur l’espace horizontal des pièces de réception, qui sont, comme on l’a vu, l’objet d’une représentation en termes verticaux. La verticalité n’entre plus alors directement dans le sens explicite, mais subsiste comme référence métaphorique, implicite : lorsqu’il joue (dans les fêtes de mariage), le joueur de mizmâr, qui fait partie d’un groupe de bas statut social, se trouve toujours près de la porte, près des chaussures, donc, asfal al-makân, « en bas », tandis que les danseurs évoluent vers l’intérieur de la pièce. Ces musiciens muzayyin restent debout, comme s’ils n’osaient pas vraiment entrer et souiller l’endroit de leur présence. De même, le dawšân, héraut qui célèbre en prose rimée les mérites de la généalogie du marié et de ses invités, est assis, ou debout, près de la porte. C’est reconnaître sans ambiguïté leur statut social, généralement très bas, par la seule manière dont ils se situent dans l’espace.
38Le joueur de luth citadin, au contraire, ne se définissant pas comme un professionnel, et refusant avec véhémence d’être assimilé au muzayyin, se fond parmi les autres convives, et cherchera souvent à être le mieux placé, comme invité, c’est-à-dire le plus près possible de ra’s al-makân, la « tête de la pièce ». Cette question de la place du musicien dans l’espace de réception, est sans doute très ancienne, et a dû faire l’objet de subtiles négociations symboliques dans toute la civilisation islamique, comme en témoignent certains récits anciens. Le récit suivant met en scène al- Farabî, fameux musicien et philosophe à Baghdad au ixe siècle :
« Il se présente un jour déguisé chez Ibn cAbbâd qui désirait depuis longtemps causer avec lui. Le cheikh s’assit par terre, parmi les chaussures des personnes présentes. C’était une réunion d’intimes, et ils le prirent pour un bouffon. Il s’empara de l’instrument de l’un des chanteurs, et l’ayant accordé pendant qu’on le plaisantait, se mit à jouer des airs qui firent rire les assistants au point que leurs âmes faillirent s’envoler de joie. Il passa ensuite à des mélodies si mélancoliques qu’ils versèrent des larmes et que leurs cœurs allaient se briser de tristesse ; puis il termina par un air qui les endormit tous sur place, les laissant comme morts [,..]26. »
39Dans cette scène criante de vérité, même si elle est aussi marquée par l’imaginaire, al-Farabî, que l’on « plaisantait », s’était donc assis parmi les chaussures, dans le lieu le plus « bas » de la pièce, tout comme les joueurs de mizmâr yéménites aujourd’hui.
Les rites d’une élévation musicale
40La présence de la musique vivante joue un grand rôle dans le bon déroulement de l’ordre temporel idéal du maqyal. Le musicien ne prend jamais son instrument avant que les participants ne soient calmes et contemplatifs. Ainsi, c’est souvent la musique qui déclenche la troisième des phases du déroulement idéal du maqyal ; elle contribue à sa ritualisation.
41On peut dire qu’il y a rarement musique sans maqyal dans la mesure où la musique n’est jouée ordinairement en société que l’après-midi (en dehors des nuits de mariage, samra). La plupart des musiciens traditionnels ne trouvent leur meilleure inspiration que lorsqu’ils chantent après avoir passé plusieurs heures dans un mafraǧ plein d’auditeurs potentiels, que le silence et la pénombre particulière du couchant a enveloppés. La musique du maqyal a cette particularité de ne pas venir à la demande : elle vient d’elle-même, elle résulte de la situation, de l’instant. C’est du moins un idéal qui est encore largement respecté dans la vieille ville de Sanaa à la fin des années 1980. Si le musicien prend son luth et commence à égrener quelques notes du bout des doigts, c’est peut-être qu’un participant du maqyal a fredonné involontairement un air (hanhan) qui lui est resté dans l’oreille. La musique est alors née du néant, du cri d’un oiseau ou de la réfraction des rayons du soleil. C’est alors que l’émotion et le plaisir qui en émanent sont le plus grand : on a l’impression, parfois fondée, d’assister à une nouvelle naissance, à un miracle.
42Les caractéristiques qui font la bonne musique, sont définies dans les mêmes termes que celles d’un bon qât. La chanson, comme le qât, est une « médecine de l’âme ». Le convive et l’auditeur doivent être submergés par des sentiments décrits par des métaphores « océaniques » (ils « nagent », awwam), emportant leurs pensées vers leur lieu de naissance. Les métaphores aériennes de la liberté, ne sont pas en reste, comme sabbah, le verbe « planer » par exemple. En somme, tout le rite social en quoi consiste le maqyal, est orienté vers l’instauration chez ses participants d’un effet qui est généralement attribué au qât, mais qui ressemble beaucoup à celui de la musique, même dans les cas où il ne s’y trouve aucune musique.
43C’est alors que le son vient compléter la méditation visuelle. Le chanteur, s’accompagnant du luth, semble commenter le spectacle du chatoiement des derniers feux du soleil, sur les jardins ou sur les décors de briques enchevêtrés. Par leur abstraction, les réseaux aux motifs non figuratifs des façades ouvrent sur une infinie méditation. Si par sa profusion, la nature manifeste l’existence du Créateur, la géométrie manifeste la grandeur de l’Esprit dont il a doté sa Créature. Enfin, cette complémentarité entre le visuel et l’auditif est une constante de l’esthétique du maqyal qui renvoie à un idéal culturel d’harmonie, insiǧâm.
44De même, faire chanter les jeunes garçons impubères qui sont par ailleurs dotés d’un « beau visage » (al-waǧh al-ǧamîl) relève de la même esthétique qui cherche à faire coïncider le plaisir des oreilles et le plaisir des yeux. Le fait que les voix recherchées soient aiguës ajoute à cette recherche de pureté désincarnée, là encore selon une métaphore spatiale qui recourt à la verticalité rafic, littéralement « allongée »27.
45Il faut ajouter à cela l’importance du thème des oiseaux. Rassemblés au couchant dans les arbres pour donner aux hommes un concert bariolé et joyeux, ce sont les confidents préférés des poètes, en particulier la tourterelle, le pigeon, la huppe, amie du roi Salomon, ainsi que les fameux hizâr de Sanaa, une variété de rossignol. Par leur maîtrise de l’espace, ils sont le symbole d’une liberté impossible à atteindre, mais toujours prise pour modèle :
Ecoute ! la tourterelle t’appelle
Perchée sur la branche qui se balance
Elle dit : Chante, toi, l’allié de l’amour !
Encense la colombe et prend exemple sur elle28 !
46On raconte que les musiciens du passé étaient capables de captiver les oiseaux par leur chant, jusqu’à les faire entrer dans le mafraǧ. L’oiseau, animal sauvage et plus proche de la nature, devient alors juge de la qualité de la musique. Un mélomane raconte : « Nous nous étions réunis dans un mafraǧ pour jouer. Le premier musicien réussit à attirer une tourterelle, jusqu’à ce qu’elle se pose sur un narghilé éteint, placé devant lui ; le second, le meilleur, réussit à la faire se poser sur son épaule ; quant au troisième, qui chantait mal, le volatile se posa sur une étagère au dessus de sa tête, et de là, le gratifia d’une fiente. »
47Selon une autre version du mythe, l’oiseau aurait été rendu ivre par la voix d’un chanteur. Jusqu’à aujourd’hui, il y a souvent dans l’antichambre, la ḥigra, des mélomanes et des poètes, des oiseaux en cage, toujours siffleurs ou chanteurs. Certains humains les imitent d’ailleurs à la perfection...
48En général, le musicien aura le temps de jouer un ou deux morceaux de vingt minutes chacun avant la prière du couchant, laissant à la conversation l’occasion de reprendre entre deux chansons ; ou au contraire, ayant contraint les convives à l’introspection, il les aura plongés ipso facto dans l’« heure de Salomon ». C’est alors qu’on évite soigneusement d’allumer la lumière, profitant des précieuses dernières lueurs du jour, comme si on ne devait jamais le revoir. Pour les musiciens, ce recueillement a une signification précieuse ; l’un d’entre eux raconte, exalté :
49« Un jour, je chantais chez des gens, le mafraǧ était rempli de monde. Nous n’avions pas allumé la lumière, c’était le couchant, tous admiraient sa réflection sur les nuages. Lorsque je finis de chanter, la pièce était plongée dans le noir et dans le silence. Je crus qu’il n’y avait plus personne. Je dis : Il n’y a personne ? Après un moment, quelqu’un murmura : Si si, on est là ! Ils retenaient tous leur souffle, n’avaient pas allumé de cigarette ni tiré sur le narghilé, suspendus qu’ils étaient aux derniers échos de ma voix. »
50On pense à ces mots de R. Habachi : « Le silence, maison de la musique »... Havre de paix et de sécurité, le mafraǧ n’est-il pas, par sa hauteur même, un lieu utérin qui permet de se mettre à l’écoute (isġâ) de la musique du monde, jusque dans ses manifestations les plus modestes ? Un mélomane raconte que lors de longues nuits musicales, le chanteur s’arrêtait parfois de chanter et posait son instrument pour écouter, dans le lointain, les aboiements d’un chien doté d’une belle voix...
51Certaines mélodies particulières sont jouées de préférence pour sâc at al-uns, cette « heure de la douceur ». On parle alors de ginâ’ al- ġurûb29, « musique du couchant ».
52La forme de la « suite », qui est, comme nous l’avons vu, la forme principale de l’interprétation musicale, exprime le mieux l’ethos « ascendant » de la musique de Sanaa. Elle développe cette ascension en augmentant de volume sonore, et surtout en s’accélérant, allant d’un rythme plus lent à un rythme plus rapide. La progression va aussi d’un cycle impair (à 7 ou 11 temps) à un cycle binaire (4 temps, parfois réalisés en triolets). Le musicien se garde bien d’interrompre cette continuité croissante sous aucun prétexte, précisément parce que c’est elle qui fait de la suite, nous l’avions vu, une « construction ».
53L’association entre volume sonore, tempo et hauteur dans l’espace ne va pas de soi, et n’a pas de fondements naturels directs. Cependant, un bon connaisseur de la musique arabe a pu relever à propos de cette musique que le passage du rythme impair « boiteux » et lent à un rythme binaire rapide pouvait être équivalent sur le plan symbolique à un passage du monde des forces chtoniennes à celui de la transcendance30. Enfin, cette progression temporelle a la vertu de faire vivre à l’auditeur un temps virtuel, un temps qualitatif qui sort de l’ordinaire, ou qui est, selon l’expression des gens de Sanaa, ẖâriǧ min al-umr, « n’est pas compté dans la vie [variante : « dans l’âge »] ».
54C’est alors que l’on comprend l’importance de ce symbole muet qu’est la hauteur du mafraǧ : prise dans un réseau de significations, elle indique silencieusement au méditant, consommateur de qât ou auditeur de musique, le sens de l’invitation au voyage. Membre d’une collectivité célébrant l’instant qui passe, c’est par l’accumulation d’infimes significations culturelles que l’auditeur est appelé à « s’envoler », tâyir, et à retourner par le cœur et en imagination, jusqu’à son lieu d’origine, son village, son enfance, ses souvenirs.
55Dans cet élan vers le ciel, on dirait que la maison tour de Sanaa cherche son inspiration architecturale la plus puissante dans ces instants d’envol spirituel que vivent les mélomanes, dans son lieu le plus haut et le plus prestigieux, le mafraǧ. Les maçons ne sont-ils pas eux-mêmes des adeptes du maqyal et des mélomanes ? Il est difficile de ne pas penser qu’au cours de tant de siècles écoulés, la musique n’a pas contribué un tant soit peu à reproduire ce goût, et à l’approfondir. Simultanément, la musique, en faisant « sortir de la vie » ou « sortir du temps » l’auditeur, contribue à faire du mafraǧ un lieu de nulle part, détaché des contingences humaines.
56On aurait cependant difficilement imaginé que ne s’opposent pas, d’une manière ou d’une autre, cette vocation aérienne de la musique, et celle, fondamentalement terrestre de l’architecture.
À TRAVERS PORTES ET FENÊTRES
57La bonne musique est recherchée pour ses propriétés transcendantes et « aériennes ». Or ces particularités lui permettent aussi de traverser les cloisons. Mais qu’arriverait-il si les murs se mettaient à leur tour à transmettre son message de séduction ? C’est du moins ce que souhaitait ce musicien de Sanaa, qui, dans un élan inspiré, s’écria un jour à propos de sa musique : « Je voudrais qu’en écoutant mon chant, les murs de cette maison s’écrient : Louange à Dieu pour cette beauté qu’il (Dieu) a créée ! »
58On ne doit donc pas s’étonner que l’épaisseur des murs de la maison acquière parfois une fonction stratégique, de protection morale... En effet, le chant lyrique et la musique se trouvent à un point à la fois sensible et aveugle de la culture arabo-islamique. Certes, le système du contrôle de la vie féminine utilise avant tout des supports matériels et spatiaux relativement faciles à instaurer (le voile, les étages, les murs, les portes) ; mais en revanche, avec la promiscuité inévitable des grandes villes, la musique tend à miner l’efficacité de ce dispositif, et, en quelque sorte, à mettre à vif le désir. Les objets sonores et musicaux nécessitent alors un traitement social particulier qui leur assigne des limites, des exutoires, et leur accorde des sauf-conduits.
Boucher toutes les ouvertures ?
59Comme l’indique J.Ch. Depaule, dans la codification symbolique de l’habitat et de ses limites, la question est moins celle des murs que celle des seuils, portes, transitions, fenêtres, etc.31. A partir de cette remarque fondamentale, il est intéressant de noter qu’à l’époque où la musique avait été interdite par l’imâm Yaḥyâ, les ouvertures étaient devenues un enjeu de calfeutrage : les musiciens se délectent à raconter qu’il fallait mettre des coussins et des matelas contre les fenêtres afin de ne pas être entendu. On risquait l’emprisonnement, une amende et le bris de l’instrument ; beaucoup en firent la douloureuse expérience.
60Cependant, c’était une situation extrême, là où les seuils normaux ne suffisent plus à jouer leur rôle de passage, de transition et de filtre, et où ils doivent se transformer en murs. Cette situation absurde, résultant d’une sorte d’affolement du pouvoir politique, traduisait sans doute son désarroi face à des transformations sociales aussi effrayantes qu’inéluctables. D’ailleurs, certains témoignages viennent tempérer le jugement qu’on peut porter sur le puritanisme de l’imâm Yaḥyâ, et laissent penser que celui-ci savait aussi faire la part des choses. Un jour, raconte un témoin occulaire qui défend la mémoire de l’imâm, un courtisan vint se plaindre : « De ma fenêtre ouverte, j’entends mon voisin chanter. » L’imâm, narquois, lui aurait répondu : « Mais ferme donc ta fenêtre ! »
61En répondant ainsi, le souverain ne faisait que reprendre une longue tradition de tolérance réelle, souvent démentie par l’affichage rhétorique, quasi théâtral, du rigorisme moral. Car l’espace de la maison, en Islam, est un sanctuaire ; il fixe les limites à respecter par l’étranger, mais aussi les droits de son propriétaire, face à tout pouvoir32.
62Ainsi, l’attitude de l’Islam yéménite semble être le fruit d’un compromis longuement élaboré au cours de l’histoire, et dont la quintessence semble être exprimée dans ce traité de jurisprudence zaydite du xve siècle : l’une des attitudes qui y est préconisée aux juristes est de « tolérer le chant s’il est pratiqué en cachette, hifiyatan33. » « En cachette », c’est-à-dire, pratiquement, dans la maison. Nombre d’habitants de Sanaa, aujourd’hui, ne tiennent pas un autre langage. la musique doit rester une activité discrète et domestique, un art d’amateurs.
63Il ne faut pourtant pas ignorer que ce système, à l’époque des imâms, n’était guère favorable aux musiciens qui vivaient dans des quartiers populaires, où l'habitat était beaucoup plus dense que dans les quartiers résidentiels : on était alors à la merci d’une dénonciation par un voisin envieux.
64Aujourd’hui encore, bien des habitants de Sanaa qui tiennent à leur réputation, ne reçoivent jamais de musiciens chez eux, mais vont les écouter chez des amis habitant un quartier où le contrôle social est moins fort : cela dépend non seulement de la proximité du vis-à-vis, mais aussi des marques de notabilité qui distinguent la personne concernée... De même, les musiciens reçoivent rarement chez eux : lorsqu’ils chantent devant un public, c’est en ce terrain neutre qu’est précisément le maqyal34.
65Dans le passé, l’interdiction de l’imâm était évidemment de moindre conséquence pour les gens aisés qui habitaient dans des maisons immenses entourées de jardins et allaient passer une partie de l’été dans des villégiatures, maẖraf, hors de Sanaa (comme ar-Rawḍa, wâdî Ḍahr, al-Ǧirâf).
66A la fin de la monarchie, sous l’imâm Ahmad, pourtant plus tolérant que son père Yaḥyâ, le cadi al-Ḥiǧrî, fameux ministre, tenta de porter un coup d’arrêt à l’évolution des mœurs : il ordonna que les femmes qui allaient en visite chez leurs amies en tufruṭa (équivalent féminin du maqyal) rentrent le soir chez elles avant le coucher du soleil, afin que ne dégénèrent pas ces allées et venues d’après-midi, si remarquables à Sanaa. La mémoire populaire en a conservé trace dans ces quelques vers composés par une chanteuse anonyme :
Déjà l’appel à la prière ? Allons, encore un peu !
Aujourd’hui la police est dans tous les recoins.
Déjà la prière ? Et le tambour qui chante !
Aujourd’hui c’est Ḥiǧri, plus personne ne s’amuse35.
67Ce sont là les limites dans lesquelles la maison est garante de la liberté individuelle : il est préférable (quand on peut) de recevoir, plutôt que d’aller chez les autres, cind an-nâs... Le langage de l’hospitalité, non sans affectation, joue d’ailleurs beaucoup sur cette ambiguïté d’un espace domestique ouvert, entre la politesse plus ou moins appuyée du antum fî bayt-kum, « faites comme chez vous » et la pudeur plus ou moins feinte du cind an-nâs, « je suis chez les gens ». Mais pour échapper à ce jeu très prenant, la bourgeoisie citadine peut aussi négocier plus âprement son bon vouloir à recevoir ou ne pas recevoir. Un musicien expliquant la supériorité musicale (mais aussi sociale) de sa famille sur une autre famille de musiciens, relate ce subterfuge :
68« Lorsque Untel (un musicien très célèbre) venait frapper à la porte pour mâcher du qât, et parfaire sa formation auprès de mon père, celui-ci ne lui ouvrait pas, mais il faisait dire par les femmes : “Ils”36 ne sont pas là, aujourd’hui. »
69L’autre n’était peut-être pas dupe, mais c’était la seule façon d’éviter l’impolitesse d’opposer un refus explicite. L’affaire se concluait alors sur un non-lieu, qui laissait la place au doute sur l’état des relations. A noter que dans ce cas, et contrairement à l’idée qu’on s’en fait habituellement, les femmes ne sont pas protégées par la sphère du privé, mais au contraire, ce sont elles qui en forment le rempart infranchissable : respecter la ḥurma des femmes, de signifiant majeur, devient un simple prétexte...
70Si recevoir quelqu’un chez soi est une marque de confiance, c’est que le contrôle social est encore beaucoup plus complexe à l’intérieur de la maison, en particulier concernant la musique.
Musique et espaces féminins
71Le matin, la maison est plutôt le domaine de la femme. Il est plutôt mal vu que l’homme, s’il n’est pas âgé, y reste trop longtemps. De bonne heure, il quitte le foyer pour aller au marché, travailler, ou se promener. Il prie le plus souvent à l’extérieur.
72En revanche, comme nous l’avons vu, l’après-midi, la maison est ce lieu privilégié de l’hospitalité masculine, donc de l’ouverture sur l’autre. Très souvent, dans ce cas, les femmes vont dans une autre maison, d’où la pratique très répandue des tufruṭa. Mais ce n’est pas toujours le cas : s’il y a un musicien, les femmes resteront bien plus volontiers à la maison pour profiter de cette occasion et essayer de l’entendre, cachées dans l’antichambre ḥiǧra, tout près du salon. Une anecdote semi-légendaire, qui ne se déroule pas à Sanaa, mais est racontée par un de ses habitants, illustre bien le caractère délicat de cette situation.
73Le chanteur Hamûd Qâsim, originaire d’al-Maḥwîṭ, faisait du commerce avec Aden dans la première moitié du siècle. Un jour, sur la route du Sud, il fut invité chez le sultan de Lâhej, qui goûtait beaucoup la musique. Lors du maqyal, on lui apporta un luth et il joua. Il y avait là le sultan et ses frères, et, cachée dans la ḥiǧra, la femme du sultan qui écoutait en secret. Après avoir fait un long prélude éblouissant sur l’instrument, Ḥamûd entama le chant par ce vers :
O toi la belle, du haut de ton château imprenable
Et devant qui les astres se prosternent...37
74Il avait à peine prononcé ces mots que la sultane s’effondra d’émotion, inanimée. Le désordre parvint aux oreilles des hommes, qui avaient déjà levé leurs sabres au-dessus de la tête du musicien, pensant qu’il y avait une idylle secrète entre lui et la sultane. Le sultan arrêta leur main, mais ordonna au musicien de quitter son Etat dans les vingt-quatre heures, avec toutes ses marchandises.
75Le prélude instrumental, par sa virtuosité, captive l’écoute de la sultane ; le vers de poésie vient à point nommé « décrire son état » (une femme belle, enfermée en haut d’un château)38, et provoquer, ṭarab, son trouble, brusque prise de conscience existentielle. L’incident est involontaire (il n’y avait pas de secret partagé entre le musicien et la sultane, précise le conteur), mais n’est-ce pas là précisément que réside le danger : la musique se rit des codes comme des barrières spatiales.
76Il y a donc toujours, dans une maison tour yéménite une dualité très fine entre l’ouverture et la fermeture. Jouer de la musique, dans certaines situations, revient à mettre en présence deux espaces dont la communication est potentiellement dangereuse. Par l’attente du plaisir musical qu’il crée, le musicien frôle la transgression toujours possible de l’ordre. Il s’agit donc, à l’intérieur de la maison, de faire respecter la pudeur d’une pièce à l’autre, d’un salon à une ḥiǧra39, en recourant à des codes de plus en plus raffinés, notamment des codes sonores.
Les codes sonores de la pudeur
77L’un des problèmes majeurs de l’habitat dans les maisons tours de Sanaa, c’est que ses divers étages et appartements sont desservis par un escalier unique où doivent passer plusieurs personnes, hommes et femmes, auxquels les usages interdisent de se rencontrer. L’organisation de la cohabitation passe donc par le développement d’un certain nombre de techniques, signes et signaux sonores et paramusicaux, qui permettent de ménager la pudeur et d’éviter les contacts physiques ou visuels indésirables.
78Nés d’une longue habitude, ces codes reflètent une grande ingéniosité. Ainsi, les ṣancanî reconnaissent aisément une personne qui frappe à la porte : ils savent si c’est un homme ou une femme, au nombre et au rythme des coups frappés sur le heurtoir, et en général, il savent aussi qui c’est... En revanche, si quelqu’un vient chercher un ami chez lui, il évitera soigneusement de frapper pour déranger les femmes, mais au contraire l’appellera de vive voix par son nom, pour le faire descendre, et signaler ainsi indirectement son identité. Si, finalement, il monte, il signale sa présence en grimpant les marches de la façon suivante : il prononçe le nom d’Allah d’une manière qui ressemble à une plainte, feignant de gémir à cause de la hauteur des marches40.
79De même, il y a des codes particuliers pour communiquer entre mari et femme sans le faire sentir aux invités. Et même si l’emploi d’une sonnette électrique par l’homme, pour communiquer du salon aux cuisines s’est beaucoup répandu, surtout dans les maisons modernes, elle ne résout pas tout : si la femme ne doit pas « élever » la voix devant les invités, elle ne peut donc pas a fortiori « sonner » son mari, par exemple pour passer les plats à partir de la ḥiǧra, ou signaler que le repas est servi. Dans telle famille, c’est d’un souffle que l’épouse l’appelle discrètement par la porte entrebâillée : moins encore qu’un murmure, puisqu’il n’est pas articulé, une simple expiration comme pour éteindre une allumette41 !
80En retour, le raffinement de ces codes exige le développement d’une sensibilité correspondante, par exemple une attention accrue aux bruits de la maison. Ainsi, Ḥusayn, un musicien, qui a une conscience aigüe – peut-être trop aiguë... – de son pouvoir séducteur, et qui joue chez lui enfermé dans sa chambre, s’interrompt chaque fois que sa femme passe dans l’escalier, de peur qu’elle ne soit accompagnée par une amie, qui aurait pu être séduite par la mélodie ou par la voix...
81Dans le mariage, les femmes vont se réunir dans une maison voisine, la maison patriarcale étant laissée aux hommes pour cette occasion éminemment musicale. Les femmes en sont réduites à écouter la musique des hommes perchées sur les toits voisins, témoignant cependant de leur présence en saluant le passage du marié par d’inévitables youyou, zaġârid, un des seuls codes de communication directe et publique entre les deux mondes.
82On voit donc que l’organisation sonore des codes de la pudeur passe par l’utilisation d’espaces intermédiaires : escalier, ḥiǧra, toits, de la même façon que le maqyal et les cérémonies de mariage sont à leur manière des institutions de transition : le maqyal entre le privé et le public, les fêtes de mariage entre le féminin et le masculin.
83Le chant aide les pierres à défier la pesanteur, non seulement en insufflant de l’enthousiasme aux bâtisseurs, mais aussi, grâce à son pouvoir de symbole, en entretenant chez les habitants de la maison tour, une esthétique de la hauteur, une volonté culturelle de maîtriser la dimension verticale de l’espace.
84Grâce à l’appoint du qât et de la musique, les habitants de Sanaa cherchent aussi à se libérer du temps. Non seulement en se faisant construire des hautes maisons qui éternisent leur nom, mais, au quotidien, en suspendant leurs meilleurs instants vécus, ceux, éphémères, que la musique met « hors de l’âge ». Maîtriser le temps et maîtriser l’espace, voilà deux formes éminentes du pouvoir social.
85Pour sa part, la maison tour de Sanaa est à la fois source du vocabulaire musical, sanctuaire féminin et temple élitiste des adeptes de la Muse. Mais c’est non sans de nombreux ajustements internes, spatiaux et souvent sonores, qu’elle assume les nombreuses facettes de son identité. A l’opposé du pôle spirituel et esthétique, dans les entrailles de la maison tour, l’idéal et le réel s’affrontent au quotidien, de part et d’autre d’une limite invisible, par les gestes et l’intonation, les goûts et la pudeur. Cette maîtrise, seul peut la procurer le sens aigu, et fortement émotionnel, de la tradition, de son langage et de ses micro-techniques corporelles et vocales : tradition des maîtres-maçons, tradition des musiciens, tradition familiale des habitants, qu’ils soient mélomanes ou non. C’est cette seconde nature qui permet l’intégration des exigences à la fois si complémentaires et si contradictoires de la musique et de l’architecture.
Notes de bas de page
1 Ibn cAlwân est un célèbre saint soufi qui, dit-on, faisait des miracles, protégeait des morsures de serpent, etc. Son tombeau est situé près de Tacizz, en région shafiite, mais il est également visité par des zaydites, malgré l’interdiction qui en est faite par l’orthodoxie religieuse.
2 Qulûb sîrî Sâ ’ira
Wa li-l-ḥammârn Dâ’ira
Wa li-bni cAlwân Zâ’ira
Ḥaǧar mašîq Ahl al-qulûb
cAlâ ṣ-ṣawâ cid Wa l-ǧunûb
Ya rabb sallî A-n-nabî
cAlâ Muḥammad Wa cAlî
Wa llâhu ġâfir cAḏ-ḏunûb
3 Les sons suivent étroitement le rythme de la respiration. Mais on peut rapprocher cette technique sonore d’une autre similaire qui accompagne la danse à Sanaa : le chuintement suit alors le rythme musical, remplaçant l’instrument (notamment dans les bains publics, lorsqu’on danse pour se faire transpirer). Cette technique vocale est pratiquée en particulier par les femmes, dont on dit : yštišayn (elles « chuintent »).
4 Gœthe, [1949], Conversations avec Eckermann, Paris, Gallimard, 1988, p. 285.
5 Wahb est un personnage historique semi-légendaire, considéré comme l’un des premiers yéménites à s’être converti à l’Islam.
6 Ceci ne veut pas dire nécessairement que le mot d’origine persane, duhul, était en usage au Yémen à cette époque, puisque le récit est indirect.
7 Azraqî, cité par Serjeant, 1983.
8 Sur la musique yéménite, on peut se reporter à mon ouvrage : Lambert, 1995. Le présent texte doit être considéré comme un complément à mon autre article : « Mafraǧ et maqyal : rite social et poétique de l’espace » (voir supra).
9 Mes remerciements vont notamment à Pascal Maréchaux pour avoir relu une première version de cet article.
10 Merriam, 1964, p. 256.
11 Sur l’aire arabo-musulmane, une courte étude de L. Faruqi sur les structures ornementales dans la musique et dans les arts décoratifs réussit à éviter cet écueil, grâce à sa modestie (1978).
12 On pourrait ainsi renouveler l’étude des correspondances entre le vocabulaire de l’architecture, et des domaines sémantiques comme celui du corps ou du sacré, comme le proposait S. Naim-Sanbar (1989b, p. 225).
13 A l’époque rasûlide (xiiie-xve siècle), la musique avait atteint un degré de technicité qui a probablement décru ensuite, perdant notamment certains instruments.
14 Les choses changent un peu dans l’urbanisme à partir de la deuxième occupation ottomane (1870-1919).
15 Bonnenfant, 1987b, p. 70.
16 Au sens où l’on parle du Maqâm Ibrâhîm, bâtiment faisant partie des Lieux saints de la Mecque. Le sens du terme maqâm diffère ici de son sens proche-oriental. Voir sur ce mot et sur quelques formes de représentation spatiale des concepts musicaux dans la musique arabe : Poche, 1989, p. 249.
17 On peut en trouver sur le marché des cassettes un enregistrement par Qâsim al-Aẖfaš.
18 Ou plus rarement grave, en ré1. Du grave à l’aigu, et de haut en bas, l’accordage du luth yéménite est le suivant :
Do1 Ré1 Sol2 Do2
19 Cette technique peut être comparée au chahar mezrab dans la musique iranienne : un exercice très simple sur la base duquel ont été construites des formes complexes (During, 1984 p. 149).
20 Les motifs des panneaux verticaux sont en général beaucoup plus stylisés dans un sens géométrique.
21 Faruqi, 1978, p. 17.
22 Ces métaphores sont souvent puisées à la source de la poésie chantée : le mouvement de la branche sous le vent, les bonds de la gazelle, etc.
23 Dans le passé, on y mettait la femme accouchée parce que, dit-on, c’était l’endroit le plus chaud et le mieux préservé de la maison.
24 La méfiance pour le mizmâr et sa sensualité exubérante remonte très loin dans la culture méditerranéenne, au moins aux origines du monothéisme. Ceci explique qu’il ait pu être utilisé, comme l’indique Azraqî, pour stimuler l’agressivité des démolisseurs du mausolée de Kucayb.
25 Chailley, 1961, pp. 120-121.
26 Ṣâfî ad-Dîn al-Ḥîllî, traduit par d’Erlanger, 1938, p. 547.
27 C’est grâce à sa voie aiguë que le jeune cAbd ar-Raḥmân al-cImrî eut beaucoup de succès dans les années 1980, notamment grâce à la TV. Mais on peut constater que cette esthétique est relativement ancienne, d’après la voix d’un certain Yufrûsî, un enfant qui chantait à la cour de l’imâm Aḥmad (Enregistrement Claudie Fayein, déposé au musée de l’Homme à Paris).
28 Abd ar-Raḥmân al-Ānisî, poète du xviiie siècle, cAbduh Ġânim, 1983, p. 310.
29 C’est notamment le moment d’une improvisation instrumentale sur un canevas rythmique simple, emprunté à une marche militaire turque : le musicien reprend assez longuement le thème en variant de plus en plus, se dirigeant vers un tourbillon qui annonce une chanson « allongée » (muṭawwal). On trouve deux exemples de ces pièces instrumentales dans le disque de Ch. Poche (1975).
30 Poche, 1981, pp. 97-101. Cette hypothèse semble être confirmée par la manière délibérément un peu lourde qu’ont certains musiciens de jouer ces rythmes impairs qui préludent à la suite. Par ailleurs, on retrouve un symbolisme similaire dans la progression rythmique des cérémonies de derviches tourneurs.
31 Depaule, 1985, p. 11.
32 Le calife cUmar serait un des premiers gouvernants en Islam à en avoir fait l’expérience, à Médine. cUmar faisait une tournée d’inspection de la ville pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’infraction à la loi. Il entra par inadvertance dans une maison où le propriétaire, tout en buvant du vin, était en train d’écouter une esclave chanter. « Honte sur toi ! », dit cUmar en éclatant en sanglots. L’autre retourna le reproche au calife : « Honte à toi qui as violé le sanctuaire de cette maison, ceci est proscrit par la Parole de Dieu » (Farmer, 1967, p. 42).
33 Al-Mahdî al-Murtaḍâ, s. d., vol. 4, p. 383.
34 Un spécialiste de la musique citadine afghane fait la même observation à Hérat (Sakata, 1976, p. 17).
35 Ya’dan al-maġrib wa aqûl šwayya
Wa l-yawm aš-šurta fi kulli layya
Ya’dan al maġrib wa ṭ-ṭabl yifraḥ
Wa l-yawm qaduh Ḥiǧrî mâ ḥadd yirtaḥ
36 Par respect, les femmes et les enfants des classes moyennes et supérieures s’adressent au père et parlent de lui au pluriel.
37 Wa mušrifa min qaṣri-hâ l-mumannac
Wa n-nîrât tasǧud la-hâ wa-tarkac
L’anecdote et la poésie m’ont été rapportées par M. cAli al-Ġamâlî.
38 Un exemple de plus de l’imaginaire poétique « ascendant », qui associe la beauté féminine et la distinction sociale, à la hauteur de la maison et à sa fortification.
39 L’étymologie de ce mot « protection » prend ici tout son sens (Naim-Sanbar, 1989b, pp. 223-224).
40 Cette plainte prend la forme d’une courbe tonale descendante (approximativement, un intervalle de sixte).
41 Je suis redevable de cette dernière observation à Maria Maréchaux.
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