Le Clos des Mûriers et Haute-Maison (1893-1898)
p. 203-224
Texte intégral
Du manoir de la Cour Brûlée au Clos des Mûriers
1C’est devenu une habitude : en 1893, Geneviève et Ludovic vont encore connaître ensemble une même joie, celle de s’offrir une maison à la campagne pour y passer les beaux jours.
2Avant la construction du Clos des Mûriers, Geneviève louait à Mme Aubernon le manoir de la Cour Brûlée, une belle demeure de style anglo-normand située sur les hauteurs de Trouville. Elle aimait cet endroit d’où la vue s’étendait largement sur la mer et sur la campagne environnante. C’était « une jolie lanterne » qui cachait ses colombages sous des cascades de géraniums. En 1890, à la faveur d’une opportunité, les Straus achètent les cinq hectares de terrain jouxtant celui de Mme Aubernon et font construire une grande maison, le Clos des Mûriers, qui est en fait une réplique du manoir de la Cour Brûlée, géraniums compris. Les travaux furent terminés et la maison inaugurée en juillet 1893. Meilhac se trouvait là pour la circonstance, ainsi que Daniel Halévy qui écrivit à ses parents :
Mais oui, j’ai vu le chalet. C’est une construction genre Greffulhe, qui n’ont du chalet que le style. Mais ce n’est pas un château en ce que l’escalier est relativement modeste, et en ce qu’il n’y a pas deux salons. C’est meublé très joliment, tendu de may-pools qui ont dû coûter de très gentils prix ; enfin ça n’a rien d’original ni comme dimensions ni comme mobilier, ni comme style et vous devez voir ça d’ici. Pour luxueux, ce l’est ; mais1...
3Ni château ni chalet, le Clos des Mûriers est néanmoins une très belle demeure, ornée de balcons comme la Cour Brûlée et harmonieuse dans ses proportions, avant d’être enlaidie par la terrasse protubérante que des propriétaires récents lui ont infligée. Située en haut d’un verger en pente, la maison est abritée par un haut mur de soutènement dépendant de la propriété des Baignères, les Frémonts. Sur ce vaste terrain, Émile satisfait sa passion en faisant planter quantité de rosiers, et rapidement le Clos des Mûriers devient aussi « une jolie lanterne », prise d’assaut par les géraniums et la vigne vierge.
4Aucune lettre de Geneviève à Ludovic ne nous est parvenue concernant cette période. Ce sont les allusions de Ludovic qui nous apprennent à quel point Geneviève est absorbée par les mondanités d’un « Trouville bien brillant cette année », et il ajoute : « Il n’est question, dans les journaux, que de vos divertissements et de vos splendeurs. » En effet, pour l’été, Geneviève a transféré son salon au Clos des Mûriers. Elle y reçoit une société lettrée et brillante : Anna de Noailles, Mme de Pierrebourg et Paul Hervieu, les Dumas, le prince d’Arenberg, Othenin d’Haussonville, les Baignères, Meilhac et bien sûr les frères Ganderax, Alphonse et Gustave de Rothschild et leurs épouses, et des amis de Jacques Bizet, Robert Dreyfus et Marcel Proust qui écrira plus tard à Geneviève : « J’ai vu naître, grandir, devenir de plus en plus belle votre demeure d’aujourd’hui. Je vous revois encore dans la précédente, le manoir de la Cour Brûlée (que j’aimerais savoir le sens de ce nom !) », et il lui parlera de « l’élan de [son] cœur qui va vingt fois par jour aux Mûriers2 ». Trouville et Deauville voient se succéder les fêtes et les manifestations d’une société parisienne ayant pris ses quartiers d’été.
Haute-Maison
5Le 17 mai de cette même année, Valentine Halévy écrivait à une amie de sa mère au sujet de Ludovic :
Ses fils lui demandent tant cette année d’avoir quelque chose à lui, où l’on puisse avoir des livres à soi, des bêtes à soi, des intérêts de toute sorte à soi, qu’il est décidé depuis plusieurs mois à ne pas leur refuser plus longtemps un plaisir d’ailleurs si sain, si raisonnable et si rarement demandé par des jeunes gens. La difficulté était de trouver un endroit respecté encore par les Parisiens tout en étant pas trop éloigné d’eux3.
6C’est à Sucy-en-Brie, en un lieu où le plateau briard surplombe un méandre de la Marne, que Ludovic a trouvé l’endroit rêvé : le château de Haute-Maison.
7Le 20 juillet 1893, il achète pour 86 571 francs neuf hectares de parc et une belle demeure bourgeoise aux airs de campagne. Classique sans rigueur, ornée d’un fronton Directoire décoré de putti, Haute-Maison regroupe ses communs autour d’une cour ra tissée.
8Pour Ludovic, c’est la réalisation d’un rêve longtemps caressé, et les descriptions de l’environnement, les fréquentations du voisinage alimentent les lettres qu’il adresse à sa cousine.
9Cependant, la gestion des affaires de Georges Bizet et les préoccupations au sujet des futures représentations de Carmen constituent un souci permanent, aucune interprète ne pouvant vraiment se mettre dans la peau du rôle.
« Ces tristes choses... »
10Pourtant, il y a une ombre au tableau. Alors que tout semble leur sourire, Geneviève et Emile Straus vont traverser une crise conjugale que nous ne connaissons que par quelques lettres de Ludovic à Émile Straus. L’entourage se perd en conjectures. Le 28 janvier 1895, Edmond de Concourt rapporte dans son Journal :
Une piste...
Moi. – J’ai dîné mercredi chez la Princesse4 avec Mme Straus, elle était en beauté.
Mme ***. – Ah ! elle est cependant souffrante... Je l’ai vue samedi, elle venait d’avoir une crise nerveuse... Elle ne mange pas, à ce qu’il paraît, depuis une quinzaine de jours... Il se passe quelque chose chez elle. (Mme *** se tait un moment puis reprend) Mme de Baignères, qui la sait par cœur, me disait qu’elle n’aimait que l’amour et qu’un moment, si Maupassant lui avait dit de le suivre, elle aurait tout abandonné... A-t-elle un sentiment ?… Et pour qui ? (Un silence). L’autre jour, je lui parlais de son fils et elle me disait qu’il travaillait, qu’il allait être reçu externe chez Pozzi. À ce nom, lui qui était là, a regardé sa mère d’une certaine façon... Oui, il y a plusieurs petites choses qui me font penser que c’est lui.
Moi. – Tiens, tiens, vous pourriez être sur la piste... Comment Pozzi, qui ne vient pas d’ordinaire chez la Princesse, dînait-il avec elle, rue de Berri, mercredi dernier ?... Puis je vais vous donner un petit détail qui a son importance. Elle, si frileuse et qui avait toujours aux dîners de la Princesse un bout de fourrure ou de dentelle sur les épaules, alors qu’on gèle un peu chez la Princesse depuis le remplacement du gaz par l’électricité, en dépit de mes objurgations de voisin de table, elle a voulu absolument rester décolletée...
Mme ***. – Ça a l’air de confirmer la chose... Il faudra que je lui écrive que j’ai vu samedi dans ses yeux quelque chose de si douloureux qu’elle doit avoir une peine morale... Je vous tiendrai au courant lundi5.
11Le fait est que dans la correspondance de l’année 1895 apparaît à plusieurs reprises le nom du Dr Samuel Pozzi, lorsque Geneviève sollicite Ludovic afin qu’il facilite son élection à l’Académie des sciences. Très en vue dans les milieux mondains où fréquentait sa clientèle, Pozzi dirigeait une clinique ; il avait introduit en France, avec plus ou moins de bonheur, de nouvelles techniques opératoires en particulier en gynécologie. Dans les années 1890, il aurait soutenu Jacques Bizet qui faisait ses études de médecine. Ainsi la rumeur prête au beau docteur une liaison avec Geneviève. Sans connaître les causes précises de cette crise conjugale, on peut en mesurer les conséquences aux efforts déployés par Ludovic pour restaurer le couple de sa cousine.
12En août 1896, Geneviève est seule au Clos des Mûriers et Émile refuse de la rejoindre malgré les injonctions de son cousin.
Cher ami, écrit Ludovic, je ne sais que vous dire. Je comprends bien ce qui vous a fait hésiter devant le retour à Trouville, mais vous comprenez (enfin) le sentiment qui me fait désirer ce retour. J’ai peur qu’une séparation trop prolongée rende plus difficile le rapprochement que je désire de tout mon cœur. Et cependant, je n’ose même plus vous donner des conseils. J’ai écrit à Geneviève il y a quelques jours. Elle ne m’a pas répondu. Daniel a écrit à Jacques6...
13Ludovic finira par se rendre lui-même à Trouville pour parler à Geneviève, mais il aura plus de mal à convaincre Émile.
Je suis bien affligé par ces tristes choses. [...] Je l’ai trouvée fort triste, fort abattue et désolée de votre absence, sincèrement désolée... Geneviève ne tient plus du tout le même langage qu’elle tenait il y a un mois. Je suis persuadé que vous devez revenir à Trouville et j’ai le ferme espoir que vous pourrez y rester. Jacques est parfait dans tout cela, de bonheur, de sagesse, d’affection pour vous et en même temps de tendresse pour sa maman7.
14Finalement Straus est revenu, et l’on peut supposer que peu à peu les blessures se sont cicatrisées. La correspondance de Geneviève et Ludovic, expurgée de tout ce qui évoque cette crise, ne nous renseigne pas davantage sur les circonstances de la réconciliation. On ne peut que constater combien, cette fois encore, Ludovic a payé de sa personne pour tirer Geneviève d’un mauvais pas.
15En ce qui le concerne, et pendant qu’il découvre et goûte les joies de sa campagne, 1893 va inaugurer des années difficiles : la mort de sa belle-mère, Caroline Breguet, et surtout celle de Nanine, le 12 avril, et celle de Valentine le 28 décembre vont profondément marquer Ludovic, comme sa cousine d’ailleurs. À partir de cette date, il commence à se plaindre de maux diffus, il est souvent « patraque » et l’on remarque que les soucis professionnels, qui ne semblent guère plus préoccupants qu’auparavant, prennent désormais à ses yeux une importance accrue et le perturbent davantage. Le ton change.
16Le 4 mai 1897, Geneviève réussit à sortir vivante de l’incendie du Bazar de la charité. Pour ce faire, elle dut traverser le rideau de flammes qui la séparait de la rue, et fit preuve, en l’occurrence, d’une présence d’esprit et d’un sang-froid qui lui sauvèrent la vie. Sa correspondance avec Ludovic ne mentionne pas ce drame qui fit quelque cent quarante victimes, sans doute parce que tous deux vécurent cet événement très proches l’un de l’autre.
*
* *
183. Ludovic à Geneviève < fin juillet 1893 >a
Chère amie,
Valentine est un peu mieux depuis quelques jours et paraît résolue à partir. Je crois donc que nous serons tous installés à Sucy dans les premiers jours de la semaine prochaine. Nous y avons envoyé Élie et Daniel, et je me console de ne pas être là-bas en allant déjeuner presque tous les jours avec eux. Nous sommes de plus en plus contents de notre emplette, c’est vraiment très joli.
Émile est venu dîner avec nous avant hier et nous a raconté bien spirituellement de bien jolies histoires.
Je suis désolé de ne pouvoir aller voir ta maison qui est, paraît-il, merveilleuse. Cela m’a été dit par Finaly, l’acquéreur de la villa Baignèresb... mais cela m’est impossible en ce moment avec toutes les préoccupations et tous les tourments que nous avons à Paris.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
184. Ludovic à Geneviève, 1er août 1893
Chère amie,
Tout continue à aller bien ici. Il y a une réelle amélioration dans l’état de Valentine. Nous sommes de plus en plus contents de notre petit domaine. C’est vraiment très joli et très agréable à habiter. Tout à fait grande campagne avec Paris à une heure et le télégraphe à cent pas.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
[Sur la même feuille]
Mardi 1er août 93
Nous espérons bien qu’Émile va venir un de ces jours. Je lui ai écrit de venir avec son fusil. Nous avons beaucoup, beaucoup de lapins, et comme nous sommes complètement clos, notre chasse est toujours ouverte.
185. Ludovic à Geneviève, 9 août 1893
Chère amie,
Valentine a reçu ta lettre et te remercie. Elle avait eu de mauvaises nuits depuis dimanche et était très fatiguée. La nuit dernière a été meilleure et la journée est bonne... Elle lit, elle cause... Je crois que si elle avait une série de nuits calmes l’amélioration deviendrait sérieuse.
Notre maison nous ravit. Voici la chaleur, la grande chaleur revenue, mais nos murs d’un mètre d’épaisseur nous donnent une délicieuse fraîcheur.
Nous avons, d’ailleurs, comme toi, des rosiers chez nous, on n’échappe pas à celac. Nous nous disions : il n’y aura rien à faire, et il y a toujours quelque chose à faire.
Je suis allé hier à Grosbois voir une très charmante voisine, la Princesse de Wagram qui t’envoie mille amitiésd. C’est tout près... tout près, et admirable ! Neuf cents hectares clos de murs ! et cependant, au retour, mes neuf hectares m’ont encore paru grands et très grands.
Si le baron Alphonsee est à Trouville – comme je le crois – dis-lui bien ma joie de l’incident Morès – Cornélius Herz – – Drumont. Morès commandité par Cornélius Herz, Drumont mêlé à cette aimable négociation, cela dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer et espérerf !
Tendresses de nous tous et toutes pour vous trois.
Ludo Halévy
Mercredi 9 août 93
186. Ludovic à Geneviève, 21 août 1893
Lundi 21 août 93
Chère amie,
Je ne te demande pas de tes nouvelles, les journaux annoncent ce matin que tu étais – en blanc je crois – aux courses de Deauville. As-tu gagné au moins un peu d’argent ? J’en ai touché pour toi, mais pas beaucoup. Chez Souchon, pour le second trimestre 1893, 59 francs, puis chez Pellerin pour les deux comptes des deux mois de juin et juillet 1 239.70. Total 1 831.70 sic qui sont à ta disposition.
Une note publiée par divers journaux annonce que les spectacles de réouverture de l’Opéra Comique seront des représentations alternées de Carmen, Werther et Phryné. Avec qui Carmen ? Probablement Tarquini d’Or. Carvalho, l’autre jour, à la distribution des prix du Conservatoire, m’a dit qu’il croyait tenir une Carmen. Mais il m’a dit cela si souvent... Et cette folle de Calvé ne pourrait-on la décider à rejouer le rôle à Paris, on me dit que c’était, la saison dernière, son grand succès à Londres.
Valentine à peu près dans le même état. Cependant, ce matin, elle a bien voulu se laisser promener dans une petite chaise roulante. Elle a fait ainsi le tour du parc et est restée, cet après-midi, dans le jardin. C’est la première fois qu’elle sort de sa chambre. Tendresses de nous cinq pour vous trois.
Ludovic Halévy
187. Ludovic à Geneviève < septembre 1893 >g
Chère amie,
De tes nouvelles s’il te plaît. Ici, les choses toujours de même. Valentine ni mieux ni plus mal. Elle a été très agitée à cause du départ de notre charmante petite sœur Ildefonse qui a été obligée d’aller faire à Auteuil une retraite d’une dizaine de jours. Elle est heureusement revenue hier.
Je suis allé à Paris hier. J’ai vu les recettes des deux représentations de Carmen données depuis la réouverture : 5 500 et 5 100. Ce sont les plus fortes recettes du mois – et de beaucoup – Ah ! S’il y avait une Carmen !
Je n’ai pas touché tes droits du mois dernier. Je prendrai en même temps août et septembre, le 10 octobre.
Ton compte de Choudens doit être assez gros. Je n’ai pas encore touché, mais Meilhac m’a dit qu’il avait 2 400 pour Carmen. Donc 4 300 pour toi, et comme tu as en outre Djamileh et les Pêcheurs, tu dois dépasser pas mal ce chiffre.
Veux-tu dire à Straus que l’affaire de Francineh est enfin terminée grâce à lui et à M. de Biéville. Je crois bien que sans son intervention jamais on ne serait sorti de cet extraordinaire quiproquo. Les jeunes gens vont pouvoir se marier.
Dis-lui enfin que je désespère de trouver une secrétaire pour sa grande dame qui veut écrire ses mémoires.
Quel temps ! Toujours le même soleil et le même ciel bleu. Comme nous serions heureux ici sans les tristes préoccupations que tu sais. Notre petit domaine est vraiment charmant. Nous y passerions volontiers tout le mois d’octobre, mais, à cause de Valentine, nous rentrerons dans la première semaine d’octobre. Les froids, à partir de ce moment, sont à craindre et le voyage serait dangereux pour elle.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
188. Ludovic à Geneviève, 24 septembre 1893
Chère amie,
Les choses ici toujours dans le même état. Aucune amélioration. Nous autres tous bien. Nous rentrerons à Paris avant toi. Nous avons peur de froids prématurés qui rendraient le voyage difficile et même dangereux pour Valentine.
C’est Tarquini d’Or qui chante Carmen. Il y a eu quatre représentations depuis l’ouverture. Une cinquième est annoncée pour mercredi. Recettes excellentes. Les voici toutes quatre : 5 623 – 5 520 – 4 155 – 4 510.
Choudens m’ayant dit l’autre jour que Delna savait le rôle et désirait le chanter, j’ai écrit tout de suite à Carvalho (d’après le conseil de Choudens) pour lui demander de faire jouer la pièce par Delna. Il est hésitant, paraît-il. Il a peur qu’elle soit une Carmen un peu lourde. Je crois que la lourdeur de Delna avec sa belle voix vaudra mieux que la minceur de Tarquini avec pas de voix du tout. Si c’est ton avis, tu pourrais, toi aussi, écrire à Carvalho.
Tendresses à vous deux.
Ludovic Halévy
Dimanche 24 septembre 93
189. Ludovic à Geneviève, 29 septembre 1893
Chère amie,
Oui, nous avons reçu les photographies et nous avons tous admiré. Cela doit être délicieux.
Non, nous n’avons pas de photographies. Madame Howland est venue, a pris une dizaine de clichés, mais nous n’avons pas encore eu d’épreuvesi.
Nous rentrons à Paris lundi. Valentine toujours de même.
J’irai voir Carvalho dès ma rentrée à Paris, c’est-à-dire mardi.
On a joué Carmen. Mercredi dernier 5 344 francs de recette, et la pièce est affichée pour dimanche soir.
Les cinq représentations de ce mois ont dépassé 25 000 francsj.
Oui, certainement nous demandons Jacques dès le retour de la famille Proust. Qu’il vienne déjeuner tous les jours.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
Vendredi 29 septembre 93
190. Ludovic à Geneviève, 1er octobre 1893
Chère amie,
Carvalho m’écrit : « C’est fait. Melle Delna travaille Carmen. Elle y sera très belle. »
J’aimerais mieux « répète » que « travaille », mais nous rentrons à Paris demain. J’irai à l’Opéra Comique et tourmenterai Carvalho si cela me paraît nécessaire pour arriver vite aux répétitions.
On joue Carmen ce soir et la pièce est annoncée pour mercredi.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Dimanche matin
191. Geneviève à Valentine < automne 1893 >k
134, Bould. Haussmann
Mardi matin
Ma chère petite Valentine,
Je suis obligée de rester à la maison aujourd’hui étant un peu souffrante. Cela me fait beaucoup de peine de ne pouvoir aller auprès de toi. Demain j’espère être remise et alors j’irai de bonne heure voir la pauvre Anna Gounod pour revenir bien vite chez toi. Je lui ferai ta commission que je vais déjà lui transmettre par un mot. Fais-moi donner des nouvelles de ta nuit par quelqu’un des tiens. Je t’embrasse tendrement de tout mon cœur, ma chérie. À demain, le plus tôt possible.
Geneviève
Si par hasard j’étais mieux ce soir, je viendrais tout de suite t’embrasser.
192. Ludovic à Geneviève, 18 avril 1894
Chère amie,
Je ne peux pas tout de suite te dire si je pourrai – ce dont je serais charmé – offrir un de nos petits caniche [sic] à M. Hervieul. Ces quatre petits chiens ne sont pas tout à fait à moi. La mère appartient à l’ancien propriétaire de notre maison. Le jardinier m’a dit l’autre jour, qu’il croyait que M. Simon – c’est le nom de ce monsieur – ne prendrait qu’un des petits caniches et m’en laisserait trais... Le jardinier a écrit à M. Simon pour lui demander si je pouvais disposer des trois petits chiens. J’attends la réponse. Si j’ai les trois, il y en aura un pour M. Hervieu. Sinon, j’aurai le regret de ne pouvoir lui en donner un, car nous en garderons un et Louise, hier, en a promis un à Rose Lemoinne. Nous avons une femelle d’après ce que m’a dit le jardinier. J’espère bien avoir les trois.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
18 avril 94
193. Ludovic à Geneviève, 18 mai 1894
Chère amie,
Daniel nous dit que vous étiez, ce matin, un peu effrayés de votre voyage de demain. Ne venez pas, envoyez une dépêche si le temps n’est pas meilleur qu’aujourd’hui. La pluie cesse d’ailleurs, et voici même un petit, tout petit brin de soleil.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
PS : Que Geneviève n’ait pas peur du trajet de la gare à la maison. J’irai vous prendre avec la voiture fermée.
194. Ludovic à Émile Straus < 31 mai 1894 >m
Cher ami,
Je sais que vous vous intéressez à Melle Dubois. Moi aussi, d’ailleurs, je m’intéresse à elle et je désire très sincèrement qu’il nous soit possible de la faire concourir cette année. Elle est jolie, distinguée, intelligente, travailleuse... Ce sont bien de qualités, tout cela. Elle a par malheur une très petite voix, très frêle, très mince. C’est là... et ce sera toujours pour elle, le principal obstacle.
Nous espérons bien vous voir à Sucy après le huit juin. Nous sommes ici dans le paradis. Il nous semble que nos arbres sont plus grands et plus verts que l’année dernière, nos asperges plus grosses et nos haricots verts plus tendres, nos fleurs plus... non, il n’y a pas encore de fleurs... mais elles seront plus belles.
Nous allons pourtant, tout à l’heure, Louise et moi, quitter ce paradis pour aller entendre Heredia prononcer (ou bégayer) son discours à l’Académie. Il paraît, d’ailleurs, que ce discours est tout à fait remarquable. Les membres de la Commission qui l’ont entendu avant-hier ont été enchantés.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
195. Ludovic à Geneviève < 15 juillet 1894 >n
Chère amie,
Comment vas-tu ? As-tu le même temps que nous, pluie et vent et tempête ? Nous nous en consolons par nos gazons reverdis... mais au bord de la mer cela est plus dur qu’au bord de la Marne. J’écris à Straus pour lui demander de venir aujourd’hui dîner avec nous. Je lui remettrai 1 632 fr. 50 touchés pour toi le 10.
Deux lignes pour nous donner de tes nouvelles.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Dimanche 15 juillet
Comment va Jacques ?
196. Ludovic à Émile Straus, 22 juillet 1894
Dimanche 22 juillet 1894
Cher ami, depuis quatre ou cinq jours, je me demandais pourquoi vous ne veniez pas à Sucy et ce matin la poste me renvoie la lettre ci-incluse. Je vous avais écrit boulevard Malesherbes. Cette fois, je vais tâcher de réussir à écrire boulevard Haussmann et vous, tâchez de venir dîner à Sucy cette semaine, n’importe quel jour, jeudi excepté. Je suis du jury du concours d’Opéra Comique et rentrerai à je ne sais quelle heure.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
197. Ludovic à Geneviève, 27 juillet 1894
Chère amie,
J’ai passé hier la journée au Conservatoire avec Carvalho. Nous faisions partie tous deux du jury de concours pour l’Opéra Comique. Une Melle Dubois a obtenu le premier prix dans la scène du 1er acte de Carmen. Pas très grande voix, mais chantant bien et jouant mieux encore, et très espagnole, très Carmen enfin. Carvalho l’a engagée et la fait débuter dans Carmen. Il me semble qu’elle doit réussir à être une très agréable Carmen.
Mais c’est Delna qu’il faudrait, et j’ai parlé de Delna à Carvalho. Il croit qu’en ce moment elle chante ou se prépare à chanter le rôle dans une ville d’eau. Il ne sait trop laquelle. Il pense qu’elle reviendra à Paris sachant le rôle et qu’elle le chantera l’hiver prochain à l’Opéra Comique. Comme on rouvre avec Falstaff et que Delna chante dans Falstaff, rien à faire pour le moment. En attendant, je suis persuadé que cette charmante Melle Dubois vaudra mieux que ce que nous avions. Elle a vraiment très joliment chanté le duo du 1er acte, et joué spirituellement, drôlement, avec un peu de mignardise mais avec beaucoup d’intelligence et avec des actions à elle, des choses pas apprises.
Amitiés à Émile qui resta à Trouville pour y recevoir ma lettre. Qu’il vienne encore une fois dîner avec nous avant son départ définitif. Il sait quel plaisir il nous fera.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Vendredi 27 juillet 94
198. Ludovic à Geneviève < vers le 20 août 1894 >o
Chère amie,
Nous n’avons pu aller vous voir pour un tas de raisons. D’abord Élie n’a pas fait le voyage qu’il devait faire. Il a été fort sérieusement souffrant pendant trois semaines et nous ne pouvions le laisser seul à Sucy. Il est aujourd’hui tout à fait rétabli. Après Élie, ça [a] été le tour de Louise. Elle a déboulé dans l’escalier, et de là une foulure qui l’a condamnée à l’immobilité pendant une dizaine de jours. Puis en ce moment, le temps, le temps, le temps... Un perpétuel déluge. Je t’écris avec l’accompagnement d’une pluie plus serrée et plus violente que la pluie de ces jours derniers.
De l’Opéra Comique je ne sais rien, on doit commencer à répéter pour le spectacle de réouverture. Je compte y aller ces jours-ci afin de tâcher de savoir les projets de Carvalho pour Carmen. Delna n’a pas chanté Carmen à Aix, jusqu’à présent du moins. Va-t-on faire débuter le premier prix du Conservatoire ? Melle Dubois... Pas très grande voix, plus chanteuse d’opérettes, mais si gentille, si adorable, si jolie... et jouant et disant et chantant d’une manière charmante. Elle a fait le plus grand effet en jouant la seconde moitié du 1er acte devant le public le jour de la distribution des prix.
Daniel va très bien. Il n’a plus qu’un petit mois de régiment. Il sera mis en liberté vers le 20 septembre.
Nous espérons bien aller dans la première quinzaine de septembre vous faire une toute petite visite. Nous pensons voir Straus avant son départ définitif.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
Jeudi
199. Ludovic à Geneviève, 8 septembre 1894
Samedi 8 septembre 94
Chère amie,
Quel temps ! Quel temps ! Un véritable déluge aujourd’hui, et je continue à être fort patraque... Et j’ai à écrire un affreux rapport sur les prix de vertu, la pire des corvées académiques, et je n’en ai pas écrit cinquante lignes... et je commence à croire que je ne verrai pas encore cet été... cet été !!! votre maison de Trouville, ce dont je suis désolé. On a joué Carmen jeudi avec Wynsp.
J’étais allé, ce jour là, à l’Opéra en pensant mettre la main sur Carvalho. Il n’était pas là.
Je n’ai pu avoir des nouvelles sûres de l’effet de Delna dans Carmen. Ainsi les journaux ont tous publié une note, la même partout – évidemment note réclame communiquée par le Casino d’Aix, et qui – bien que réclame – n’était pas très chaude. Il y aurait plus et mieux que cela si le succès avait été net et décisif. Quel ennui de ne pouvoir trouver pour Carmen une vraie Carmen, jeune, jolie, comédienne et chanteuse...
Je crois que cette petite Dubois vaudra mieux que Tarquini d’Or et que Wyns, mais ce ne sera que gentil. Elle sera évidemment insuffisante dans toute la partie dramatique du rôle.
Dis à Straus qu’un des polygonums prend un développement extraordinaire. Les autres végètent. Ce n’est pas l’eau qui leur manque. Nos raisins ne mûrissent pas et une partie de nos foins – l’unique produit de Sucy – est en ce moment étalée recevant ce déluge.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
200. Ludovic à Geneviève < entre le 20 et le 24 septembre 1894 >q
Chère amie, après huit jours du plus merveilleux temps du monde, voici la pluie, la pluie, la pluie. Nous avons reçu ce matin – et tu as dû recevoir – la nouvelle de la mort de Madame Brun, sans souffrance, dit la dépêche. Mélanie va bien et commence à croire que sa main droite n’est pas paralysée. Elle se coiffe elle-même. Seulement, comme elle ne sort pas et n’a pas pu se ravitailler en teinture, elle se fait des sourcils violets. Elle n’a plus que de cette couleur-là.
Voici les quatre recettes de Carmen ce mois-ci, 5 691, 4 393, 4 827, 4 885. Un ténor a débuté mercredi dans Don José, M. Imbert de la Tour !!! Choudens, que j’ai vu hier, dit qu’il a été bien. Il dit que Carvalho pense toujours Delna, mais qu’il faudra la faire beaucoup répéter et beaucoup travailler. Il paraît qu’elle avait joué le rôle là-bas, sans préparation, de chic, au petit bonheur. Calvé revient en novembre à l’Opéra Comique et doit chanter Carmen et Les Pêcheurs. C’est toujours Choudens qui parle.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
201. Ludovic à Geneviève < mardi 20 novembre 1894 >r
Chère amie,
Des billets, j’en ai tant que tu voudras, mais je n’ose en offrir à personne. En voici deux, mais je te préviens que tu ne t’amuseras guère. La séance commence à deux heures. Je lirai le dernier, vers trois heures et demie. Arrive vers trois heures afin de n’avoir pas l’air d’arriver pour moi. D’ailleurs la quatrième lecture, M. Bouquet de la [illisible], sera très agréable, si le lecteur sait se faire entendre. Moi j’en aurai pour vingt minutes au plus. Ce ne sera pas fort divertissant, mais ce ne sera pas long.
Oui, je ferai tout ce que je pourrai, dans la mesure de l’équité, pour le succès de ta recommandée, et elle aura, si elle le désire, ses deux ou trois minutes de comédie après ses deux ou trois minutes de tragédie ; c’est son droit. Mais nous avons 120 concurrentes pour une vingtaine de places au maximum.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Mardi soir
202. Ludovic à Geneviève <1894>s
Chère amie,
Boniface ? De l’avenir ? Je le crois. Tante Léontine est une des plus jolies pièces qui aient été écrites en ces dernières années. Mais voilà tout ce que je peux te dire. Je ne connais pas du tout, pas du tout M. Boniface. Je ne l’ai jamais vu. Je vais tâcher d’avoir sur lui par une voie sérieuse et sûre les renseignements que tu désires, et je te les enverrai. Mais ce sera l’affaire de deux ou trois jours.
Les places de M. Bertrand pour les répétitions générales ? Claretie me les avait promises, mais j’ai eu le tort de ne pas lui rappeler sa promesse pour la dernière répétition générale. Je lui écris ce matin même.
On va reprendre Severo Torrelli de Coppée dans une dizaine de jours. Il y aura, je crois, une répétition générale et j’espère bien que Madame Bertrand ne sera pas oubliée cette fois.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Vendredi matin
203. Ludovic à Geneviève <1894>t
Dimanche soir
Chère amie,
Je ne soupçonnais pas l’existence de ce livre et j’ignorais le nom même de ce M. Imbert. Tu penses bien que je ne me serais jamais permis, sans t’en parler, d’accorder une autorisation de ce genre. Ce monsieur s’est bien gardé de la demander. Il n’avait pas le droit de publier ces lettresu. On ferait un procès on le gagnerait. Et après... cela ferait vendre ce livre qui va probablement passer inaperçu. Gregh, que j’ai vu – après ta lettre reçue – m’a à peu près expliqué ce que contenaient ces lettres. J’écris à Achille pour qu’il m’envoie le volume. Il serait bon d’empêcher à l’avenir de telles publications et d’un autre côté, il est dangereux de faire une réclame à ce volume. Enfin je serai meilleur juge de la question quand j’aurai vu le livre et que je saurai exactement de qui il est. Je te récrirai après l’avoir lu.
Dès votre retour de Trouville nous prendrons jour pour Sucy.
Tout à toi.
Ludovic halévy
PS : Que dit et que fait Straus ? C’est ennuyeux de laisser passer une chose pareille et d’autre part, je m’arrête... Je m’arrête car j’allais recommencer ma phrase de tout à l’heure.
204. Ludovic à Geneviève <1894>v
Mercredi
Chère amie,
Il n’y a pas à dire : c’est raide. Publier ainsi, contre tout droit et contre toute convenance, cinquante pages de lettres inédites, s’emparer d’une propriété, mettre au jour des lettres intimes, le procédé est révoltant. Encore une fois, quel est l’avis d’Émile ? Je reste, moi, très perplexe sur les suites à donner, bien que tout à fait indigné.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
PS : Quand partez-vous ? Quand revenez-vous ?
205. Ludovic à Geneviève < 1894 >
Chère amie,
J’ai été tout à fait patraque depuis cinq jours. Je suis un peu mieux aujourd’hui et voici le temps qui s’adoucit. J’espère donc pouvoir aller te demander à déjeuner vendredi midi et demie. Cela te va-t-il ? Je t’apporterai tout pour faire un petit travail sur les coupures qui me paraissent nécessaires. Cela est très simple d’ailleurs. Enlever tout Guiraud. Faire disparaître des lettres Lacombe tout ce qui n’est pas consultation musicale. Tout à toi.
Ludovic Halévy
Mercredi
206. Ludovic à Geneviève <1894>w
Chère amie,
Voici mon petit travail sur les coupures. J’espère cependant toujours aller déjeuner chez toi vendredi. Cela dépendra de ma santé et du temps. Je ne vous parle pas de venir à Sucy. Cependant, nous désirerions bien vous y voir... mais avec un peu de soleil et de ciel bleu.
Tout à toi.
Ludo
Mercredi
207. Ludovic à Geneviève < 1894 >
Chère amie,
J’ai reçu les trois somptueux volumes de M. Bapstx... mais le prix Vitet, ce me paraît un peu gros et ça n’ira pas tout seul. Cette année, d’ailleurs, le prix est en quelque sorte donné à des candidats ajournés la dernière fois, et plus littéraires que M. Bapst. Je lui écris pour le remercier de ses livres une lettre aussi aimable que possible, mais je ne peux lui promettre ma voix, cette année du moins. J’ai déjà des engagements.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
Samedi
208. Ludovic à Geneviève, 27 février 1895
Chère amie,
Je verrai Bertheloty et je plaiderai de bien grand cœur la cause – facile à plaider – de M. Pozzi. Seulement j’ai bien peur de trouver Berthelot déjà engagé. Je sais qu’il connaît le Dr Reclus qui est l’intime ami d’une certaine amie de Mme Berthelot. Je verrai Bertrand jeudi et lui parlerai. Non, je ne crois pas qu’il puisse avoir grande influence en cette circonstance.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Mercredi 21 février 1895
209. Ludovic à Geneviève, < vendredi 1er mars 1895 >z
Chère amie,
J’ai parlé de M. Pozzi à Bertrandaa. Il est très aimé à l’Académie des Sciences et a très certainement de l’influence sur Guyon, Bouchard, etc. qui sont, et de l’Académie des Sciences, et de l’Académie de Médecine. Écris-lui un petit mot dimanche, de telle sorte qu’il le reçoive lundi matin (jour de la séance hebdomadaire de l’Académie des Sciences). Cela réveillera le souvenir de ce que je lui ai dit, et les démarches seront faites par lui le jour même.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Vendredi
210. Ludovic à Geneviève, 23 avril 1895
Rome 23 avril 1895
Chère amie,
Nous avons eu de tes nouvelles par l’adresse de la lettre écrite par toi à Élie. Je peux pour lui accuser réception des dessins japonais. J’avais oublié de laisser à Paris l’adresse d’Élie à Berlin. Si bien que ta lettre est allée de Paris à Berlin par Rome.
Nous sommes ici tous les trois en bonne santé. Un petit rhume de deux ou trois jours à Florence a été la seule anicroche de notre voyage. Rome, depuis huit jours, m’enchante. Nous partirons vendredi soir pour retourner directement à Paris – deux nuits et un jour – et y être le dimanche matin 28. J’irai te voir dimanche après déjeuner.
Il y a ici un être charmant, parfait de bonne grâce et d’amabilité et un cicerone de premier ordre, c’est Primolibb. Nous avons passé hier la soirée chez lui. Tout à fait une soirée de la Cosmopolis de Byzance. Des princes et des romanciers, des poètes italiens, des diplomates de tous les pays, tout cela parlant français fort bien mais avec tous les accents du monde, et dans une vieille maison où sont entassées toutes sortes de vieilles choses tout à fait originales et curieuses.
Tout à toi. Tout à vous.
Ludovic Halévy
211. Ludovic à Geneviève, 23 juillet 1895
Chère amie,
De nos nouvelles ? Louise et Daniel à Sucy vont bien. Élie à Dresde hier, allait bien. Il revient samedi à ma grande joie. Quatre mois et demi d’Allemagne ! Je suis, moi, toujours patraque. C’est l’estomac à présent. Des crampes insupportables qui m’obligent à mangeotter un peu – pas beaucoup – toutes les trois heures. Moizard dit que cela passera.
Oui, je voudrais bien, nous voudrions bien aller te voir, et si, quand mon estomac sera raccommodé, nous pouvons, Louise et moi, faire une petite fugue de quarante-huit heures, tu nous verras arriver.
J’ai écrit à Émile pour lui demander de venir dîner à Sucy entre deux voyages à Trouville.
À toi de cœur.
Ludovic Halévy
Mardi 23 juillet 95
212. Ludovic à Geneviève, 4 août 1895
Chère amie,
Voici trois petites photographies. Par malheur une des plaques s’est fendue (de là cette affreuse raie) et c’était la meilleure des trois.
J’ai oublié de vous remettre l’autre jour, 629 francs que j’avais touchés pour Geneviève (Société Souchon). Venez les chercher à votre prochain et dernier voyage. Tout à vous deux.
L.
4 août 95
213. Ludovic à Geneviève, 25 août 1895
Chère amie,
J’ai écrit à Royat pour ton abandon de droits d’auteur.
Oui, je voudrais bien aller à Trouville, et j’irai si mon estomac détraqué se raccommode un peu. Un voyage, en ce moment, serait compliqué pour moi. Je suis obligé de manger comme les petits oiseaux. Pas beaucoup, mais toujours. Il faut que je grignotte quelque chose toutes les deux heures, sans quoi les crampes sévissent. Pardonne-moi cette lettre à la Busnach.
Vous avez eu, ce me semble, un Trouville bien brillant cette année. Il n’était question, dans les journaux, que de vos divertissements et de vos splendeurs. Sucy est plus calme, et peut-être, je crois, trop calme à notre jolie voisine, Madame Bodleycc. Elle a été fort surprise quand Louise lui a dit que tout dormait chez nous vers dix heures du soir...
Calvé va rentrer à l’Opéra Comique, et dans le programme annoncé, pas un mot de Carmen avec elle, avec elle qui ne joue que cela à l’étranger.
Tout à toi. Tout à vous.
Ludovic Halévy
Dimanche 25 août 95
214. Ludovic à Geneviève < septembre 1895 >
Chère amie,
Je ne t’ai pas écrit pour te demander de tes nouvelles parce que j’en ai eu par Madame Hayman il y a trois semaines puis par Meilhac et par Étienne il y a huit jours. Ici nous allons bien, jouissant de ce temps merveilleux bien qu’il rôtisse nos gazons et dessèche notre raisin au lieu de le mûrir. Nous rentrerons le 10, 15 octobre, si la chaleur cesse ; si elle continue – et il semble qu’elle ne puisse pas finir – nous passerons l’hiver à Sucy.
Carmen a fait quatre recettes fort honorables malgré cette étonnante chaleur – de trois à quatre mille – et même une fois plus de quatre mille.
J’ai toujours à toi 629 francs – touchés il y a trois mois – à la Société des Concerts (Souchon), rien de plus, et je n’ai rien pris rue Hte Le Bas, j’ai laissé s’accumuler les trois mois. Je prendrai le tout le 10 octobre et te le porterai Bd Haussmann puisque tu vas revenir puisqu’il va pleuvoir et faire froid, puisque nous reverrons la rue de Douai... Je ne peux pas croire à tout cela, et c’est l’impression générale, on commence à être convaincu à Paris que cet été sera perpétuel. Il y a eu quelques petits nuages dans l’après midi, et le baromètre baissait, mais les nuages s’en sont allés, le baromètre remonte, et voici que la lune se promène dans un ciel étoilé. Non, cela ne finira jamais.
Tout à vous deux.
Ludovic Halévy
Lundi soir
215. Ludovic à Geneviève, 13 janvier 1896
Chère amie, Je n’avais pas eu le temps d’aller chez Souchon. J’avais oublié de te le dire. J’irai aujourd’hui ou demain.
Lis l’Intransigeant de ce matin. Il y a un article de Rochefort et une biographie de La Bruyère qui sont tout à fait extraordinaires.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Lundi 13 janvier 96
216. Ludovic à Émile Straus, 22 janvier 1896
Cher ami,
Oui, vous pouvez compter sur moi pour le jeudi 6 février. Dites à Geneviève que si je ne suis pas allé la voir depuis quelque temps c’est que j’ai eu successivement un rhume et des examens au Conservatoire.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
Mercredi 22 janvier 1896
217. Ludovic à Geneviève, 14 avril 1897
Chère amie,
Je suis allé hier boulevard Montmartre comptant y trouver Émile. Je croyais qu’il devait revenir à Paris entre deux séjours à Trouville. J’ai trouvé la maison close. Écris-moi pour me donner quatre lignes de vos nouvelles. Ici le temps devient meilleur – il fait ce matin tout à fait froid – nous irons, Louise et moi, passer quelques jours à Sucy la semaine prochaine. Nous y serons sans fils. Daniel est toujours à Venise, et ravi d’y être, et de là il ira passer un mois à Florence. Élie part demain pour la Tunisie et ne reviendra que vers le 15 mai.
Mille tendresses de nous trois pour vous trois.
Ludovic Halévy
PS : J’ai touché pour toi 3 065 francs.
218. Ludovic à Geneviève, 10 juin 1897
Chère amie,
Ce matin, lettre de Daniel de samedi matin. Il m’écrit que Jacques va très bien. Ils viennent d’ailleurs de faire une promenade de trois jours entre Florence et Sienne qui prouve qu’ils sont tous deux en bon état. Ils doivent quitter Fiesole après demain, aller déjeuner à Pise et de là Jacques ira à Marseille et Daniel à Paris.
Je compte toujours aller déjeuner chez toi jeudi à midi et demie.
Tout à vous deux.
Lundi 10 juin 97
219. Ludovic à Geneviève, 17 août 1897
Sucy 17 août 97
Chère amie,
Je t’assure que nous désirons tous les deux aller à Trouville. Nous pensions n’avoir personne à Sucy dans les derniers jours de juillet. Mais Madame Darmesteterdd, qui ne devait venir que vers le 15 août est venue le 25 juillet s’installer ici au lendemain du départ de Cavé. Elle partira dans les premiers jours de septembre et j’espère que nous pourrons alors te faire une petite visite.
Oui, Daniel est revenu de Bayreuth, et nous avons aussi Élie qui n’a fait qu’un tout petit tour de promenade dans le Nord de la France.
Oui, Louisee est toujours fourré dans ses épreuves et dans ses notaires. Il a fini – tu dois savoir cela – par aller s’installer à St-Germain dans la maison louée pour Meilhac. Il vient tous les jours à Paris. Je l’ai rencontré jeudi dernier rue Auber, chez les Calman-Levy, et nous avons déjeuné ensemble. Les scellés ne sont pas encore levés. L’appartement de la place de la Madeleine n’est pas loué, on avait cru tenir un locataire qui s’est dérobé. Le notaire et l’avoué pensent qu’un inventaire est nécessaire (uniquement, je pense, pour faire des frais). Tu devines que Louis, au milieu de tout cela, (et n’oublions pas les épreuves) a peu de temps à lui et beaucoup de longs récits à faire.
Si une certaine Pauline Savary t’écrit pour te demander de chanter la Juive à la Porte St-Martin cet été, envoie-la promener. Je lui ai répondu que cela était impossible. Cette troupe d’été de la Porte St-Martin annonce qu’elle jouera Les Mousquetaires de la Reine. À cela rien ne presse. C’est M. Methonnet qui aura autorisé. Bertrand m’a dit qu’après Guillaume Tell l’Opéra jouera La Juive, et à cause de cela, il ne faut pas laisser donner à Paris de représentations boiteuses de l’ouvrage.
Tout à vous deux.
Ludovic Halévy
220. Ludovic à Geneviève < 1897 >ff
Lundi matin
Chère amie,
Je reçois cette lettre de M. Methonnet. Que répondre ? Je crois qu’il est bien difficile de ne pas lui dire, cette fois : faites ce que vous voudrez. Carvalho aurait bien pu reprendre L’Eclairgg qui aurait réussi.
Nous sommes ravis d’être ici, malgré ce temps peu régalant. Je suis arrivé exténué et quarante-huit heures de silence et de repos m’ont déjà fait grand bien. Plus de coups de sonnette ! Plus de candidats à l’Académie ! Plus de commissions pour les prix de vertu ! Plus de répétitions aux Variétés ! Plus de commission des auteurs ! Plus rien ! Plus rien ! Ah ! si le temps était autre je te dirais : venez donc passer huit jours à Sucy (ou même plus). Tu gagnerais de l’argent au besigue et tu jouerais avec un énorme chien de Terre-Neuve qui ferait ta joie. Et puis cela me ferait grand plaisir. Pourquoi pas, dis, si le soleil et la chaleur se décident à revenir.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Émile prendrait un train de dix heures qui le mettrait à onze heures un quart au Palais de Justice qui est tout près de la gare de la Bastille. Rien de plus simple.
Notes de bas de page
a D’après la date de la lettre n° 180. La carte de deuil évoque le décès de Nanine survenu le 12 avril 1893.
b C’est dans cette villa des Baignères, les Frémonts, située juste au-dessus du Clos des Mûriers et du manoir de la Cour Brûlée, que Marcel Proust séjourna chez Marie Finaly. Il en fit dans son œuvre le manoir de la Raspelière.
c Émile Straus était un amoureux des roses et avait fait planter au Clos des Mûriers une roseraie exceptionnelle.
d Le château de Grobois, situé sur la commune de Boissy-Saint-Léger, est voisin de Sucy. Il appartenait alors au prince et à la princesse de Wagram (née Rothschild).
e Alphonse de Rothschild.
f Commencés en janvier 1893, les procès liés à l’affaire de Panama se déroulèrent jusqu’en 1897.
g La mention de la recherche d’une secrétaire pour une « mystérieuse grande dame » se retrouve dans une lettre de Ludovic à Émile Straus datée du 9 septembre 1893 (Ludovic Halévy, Lettres à Émile Straus et divers, BNF Man. M.F. 3819 ff. 12,13).
h Francine Jault était une fidèle domestique des Halévy. Elle servit Louise jusqu’à sa mort, en 1930, avant de se retirer en Bourgogne dans son village d’Issy-l’Évêque.
i Hortense Howland a réalisé de poétiques clichés de Haute-Maison.
j Représentations des 8, 13, 18, 20 et 27 septembre.
k Après le 18 octobre 1893, date de la mort de Gounod.
l Paul Hervieu, très lié à Geneviève, deviendra dreyfusard sous son influence. Il sera élu de justesse à l’Académie française en 1900 grâce au soutien de Ludovic et de ses amis contre les voix « nationalistes » de Coppée, Bornier et Lavedan.
m Date de la réception de Heredia à l’Académie.
n L’année est précisée par la lettre 196 adressée à Émile Straus.
o Daniel Halévy a terminé son service militaire en septembre 1894.
p Charlotte Wyns, de l’Opéra-Comique.
q C’est en 1894 que Carvalho envisageait d’engager Delna pour le rôle-titre de Carmen et qu’Emma Calvé reprit le rôle à l’Opéra-Comique le 14 décembre. Les quatre recettes mentionnées sont celles des jeudi 6, lundi 10, samedi 15, mercredi 19 septembre. Une autre représentation eut lieu le 24, Ludovic ne la mentionne pas encore (Registre des recettes de Ludovic Halévy, archives de J.-P. Halévy).
r La séance de remise du prix de vertu évoquée par Ludovic eut lieu le jeudi 22 novembre 1894.
s D’après la date de la reprise de Severo Torrelli.
t Date de la parution des Lettres à Paul Lacombe d’Hugues Imbert.
u Il s’agit de lettres adressées par Georges Bizet au musicien Paul Lacombe. Ces lettres contiennent essentiellement des conseils donnés par Bizet à un ami compositeur qui les sollicitait. Emporté par son tempérament, Bizet y formulait des jugements féroces sur le talent de plusieurs musiciens très en vue.
v Cf. lettre 203, note 1.
w Cf. lettres précédentes.
x Germain Bapst (1853-1921), fils de Paul-Alfred Bapst, joaillier de la Couronne sous le Second Empire, était historien des joyaux de la Couronne et éditeur des lettres du maréchal de Canrobert.
y Marcelin Berthelot, l’un des inventeurs de la chimie organique, était, aux yeux de Péguy, l’incarnation de la « gloire temporelle ». Il avait épousé Sophie Niaudet, cousine germaine de Louise Halévy ; les deux femmes sont toujours restées très liées. Par leurs alliances, Marcelin Berthelot et Ludovic avaient donc des liens familiaux étroits.
z Cf. L’allusion à la rencontre de Bertrand dans la lettre précédente datée du mercredi 27 février 1895.
aa Joseph Bertrand était professeur de mathématiques au Collège de France et membre de l’Académie des sciences. Sa fille avait épousé Édouard Bourdet, fondateur de l’Observatoire.
bb Joseph Primoli, fils du comte Pierre Primoli et de Charlotte, petite-fille de Lucien Bonaparte. À Paris, il fréquentait le salon de sa tante, la princesse Mathilde, et fut ami des Straus.
cc Un couple d’Anglais, les Bodley, avait loué pour l’été le château de Sucy, voisin de Haute-Maison.
dd Mary Robinson, veuve de James Darmesteter, orientaliste éminent, était une jeune poétesse anglaise. Elle était l’amie de Robert Browning, George Moore, et en France de Renan, Taine, Bourget, Barrès. Après son veuvage (1895), les Halévy l’accueillirent à Sucy où elle fit ensuite d’autres séjours.
ee Louis Ganderax assurait la direction littéraire de La Revue de Paris éditée par les frères Calman-Lévy.
ff Cf. lettre 219 du 17 août 1897.
gg L’Éclair, opéra-comique de Fromental Halévy, créé en 1835, la même année que La Juive.
Notes de fin
1 Daniel Halévy, carte adressée à ses parents le 12 juillet 1893, archives J.-P. Halévy.
2 Marcel Proust, Correspondance avec Mme Straus, op. cit., p. 136 et 236.
3 Archives de J.-P. Halévy.
4 La princesse Mathilde.
5 Concourt, Journal, op. cit., p. 1080-1081.
6 Lettre de Ludovic Halévy à Émile Straus, du 17 août 1896, citée par C. Bischoff, op. cit., p. 143.
7 Lettres de Ludovic Halévy à Émile Straus, BNF Ma.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956
Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984
Charles-Robert Ageron (dir.)
1986
Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale
Actes du Colloque International du CNRS (Montpellier, 26-29 avril 1983)
Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil et al. (dir.)
1987
La formation de l’Irak contemporain
Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’état irakien
Pierre-Jean Luizard
2002
La télévision des Trente Glorieuses
Culture et politique
Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (dir.)
2007
L’homme et sa diversité
Perspectives en enjeux de l’anthropologie biologique
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boetsch et Alain Froment (dir.)
2007