Madame Straus (1886-1893)
p. 159-201
Texte intégral
Émile Straus
1Dans ses Tableaux de Paris1, Daniel Halévy a brossé d’Émile Straus un portrait sans concession, soulignant que Geneviève avait pris
pour amant un vieil ami, riche par l’argent qu’il gagnait, qui avait beaucoup fait pour son salon dont il était fier comme du sien. Parti de rien, il était extrêmement snob, mais il n’était snob que le soir, tout le jour il travaillait, et, comme beaucoup de grands travailleurs, il était resté jeune, naïf, candide. Il était snob avec une ardeur de chérubin, et il aimait sa maîtresse comme un jeune homme. Depuis longtemps il voulait l’épouser : mais elle avait peur des décisions ; pourtant il insistait de plus en plus ; elle se trouvait à ce tournant de la vie où la vanité l’inclinait à modifier sa vie ; elle était lasse de dire non, elle dit oui.
2Après onze années de veuvage, Geneviève se décide à accepter un remariage avec ce brillant avocat d’affaires « qu’on se dit à l’oreille le fils naturel du vieux Rothschild2 ». Une lettre de Jacques Bizet, enfant, précise que Straus était déjà un familier de Geneviève en 18823. Mais Straus vivait proche de Geneviève depuis plus longtemps. Il figure à ses côtés sur plusieurs photographies prises dans la cour de l’hôtel Sacaron, à Luchon, en 1876, 1877 au plus tard, puisque sur ces photos Jacques Bizet porte encore la robe des très jeunes enfants.
3Le prétendant ne rassemblait pas tous les suffrages. Mais
ce qu’il voulait, il le voulait bien, et il fut un jour publié que Geneviève Bizet allait devenir Geneviève Straus. Quel émoi parmi les amis ! Indiscret, brutal, Straus n’était pas aimé. Il était subi parce qu’il avait de la force et de l’esprit, mais il n’était pas aimé. Les intimes se récrièrent donc, protestèrent auprès de leur amie :
– Straus, votre mari ! ça va être assommant.
Elle s’excusa :
Que voulez-vous, je n’avais pas d’autre moyen pour me débarrasser de lui4.
4Si les amis de Geneviève acceptèrent mal son nouvel engagement, ce ne fut pas le cas de Ludovic qui appréciait Émile Straus et se réjouit du mariage de sa cousine.
5Les photos d’Emile Straus révèlent un homme de stature moyenne, au front dégarni. Depuis 1870, il était affecté d’une paralysie faciale qui l’obligeait à garder les yeux mi-clos ; de ce fait, pour mieux voir, il tendait un peu son visage, ce qui lui donnait une expression à la fois ironique et « méphistophélique » que les Concourt n’ont pas manqué de relever.
6Straus appartenait à la grande bourgeoisie juive cultivée. Il était considéré comme un
homme très intelligent, qui s’était créé une très belle position comme avocat consultant pour le Chemin de fer du Nord et pour toutes les affaires litigieuses. Parti de très loin, à force d’énergie, soutenu aussi, il est vrai, par les Rothschild, il avait gagné beaucoup d’argent. Il était un peu commun, souvent mal élevé, volontiers gouailleur, mais un très honnête homme, un très fidèle ami. Il adorait d’un naïf amour la divine Geneviève, en était follement jaloux et souffrait de ce fait à peu près constamment5.
7Geneviève prétendait avoir « trop peu de religion pour en changer ». Son mariage avec Straus rendait nécessaire toutes régularisations qui situaient leur couple dans le milieu qui était le leur. Ils se marièrent le jeudi 7 octobre 1886 à la mairie du IXe arrondissement. Edmond de Rothschild, Louis Ganderax, Hippolyte Rodrigues et Ludovic Halévy furent leurs témoins. Le mariage religieux fut célébré le même jour, à domicile, par le grand rabbin Zadoc-Kahn. L’oncle Israélite de Geneviève, Hippolyte Rodrigues, fut cette fois encore son témoin6.
8Soucieux d’exalter la réputation d’un salon qui était tout autant son œuvre que celle de Geneviève, comme le duc de Guermantes dont il fut l’un des modèles, Emile Straus colportait les mots de sa femme, « et le “mot” se mangeait encore froid le lendemain à déjeuner, entre intimes qu’on invitait pour cela, et reparaissait sous diverses sauces pendant la semaine7 ». Et ces « mots » sont légion... Comme Jacques-Emile Blanche dans La Pêche aux souvenirs, « gardons-nous de citer de fameux mots d’époque que l’abus a dévalorisés. D’aucune femme plus que de Geneviève Straus, les mots “lapidaires” ne firent rire, même sur la scène ».
9D’après Daniel Halévy, Straus, bien que très épris de Geneviève et émerveillé par son esprit et sa présence, aurait témoigné envers la jeune femme d’une grande volonté de puissance et d’une humeur souvent peu amène. Il voyait en sa femme une partenaire qui l’irritait parfois lorsqu’elle retenait trop ses invités par d’interminables bavardages, mais il savait qu’on la lui enviait grâce à sa réputation de charme et d’esprit. Certains échos (Daniel Halévy, les Concourt) évoquent la brutalité de Straus : propos discordants si on les compare aux multiples allusions faites à sa gentillesse. Mais un Straus volontaire et bougon... oui, peut-être bien ; cela expliquerait les réactions des amis de Geneviève à l’annonce de son remariage.
L’entresol
10Après son mariage, Geneviève quitta le « familistère Halévy ». « Le nouveau ménage prit chevaux et voitures, il s’installa somptueusement8 » au 134, boulevard Haussmann, dans un immeuble situé à la jonction du boulevard et de l’avenue de Messine.
11Le salon ovale ouvrait ses fenêtres à l’entresol sur les feuillages des marronniers, et au-delà sur le carrefour formé par le croisement avec la rue de Miromesnil. Cette rotonde, où le fameux Portrait de veuve trônait au milieu des tableaux de la collection d’Emile Straus, « donna un avant-goût grisant de la vie de Paris » à la future duchesse de Clermont-Tonnerre, qui décrivit la Geneviève d’alors avec un regard bienveillant que peu de femmes ont eu pour elle.
Elle était sentimentale et aimait l’amour comme toutes les femmes de son époque. Elle regardait les hommes non comme des adversaires avec lesquels on lutte, mais comme de tendres amis à qui l’on demande aide et protection. Mais si elle n’avait été que jolie femme, cela n’aurait pas suffi à constituer cet aimant qui attira autour d’elle plusieurs générations d’hommes éminents9.
12Conçu à l’origine pour les boutiquiers utilisant le rez-de-chaussée des immeubles de rapport, l’entresol était devenu l’apanage des salons de la bourgeoisie.
Pourquoi cette fraction d’appartement est-elle synonyme de quelque chose d’agréable ? Assez éloigné de la rue pour n’en pas être incommodé et assez près pour en capter les rumeurs, le petit entresol parisien, facile à chauffer, à meubler, a je ne sais quel air galant d’intimité séduisante. Il semble que là les mots d’esprit naissent plus facilement, que les conversations sont plus aiguisées et la vie plus légère10.
13Émile Straus investit beaucoup d’énergie et d’entregent pour offrir ce salon à la femme qu’il aimait. Beaucoup d’argent aussi. Daniel Halévy se souvient que déjà, rue de Douai, amenées par Émile Straus,
« la baronne Alphonse, la comtesse Potocka, la duchesse de Richelieu, la comtesse de Chevigné, grimpèrent l’escalier du fond de la cour ». Boulevard Haussmann « à maints égards, le même salon promu du IXe au VIIIe arrondissement. […] C’était très agréable. Il y avait là les vivantes attaches avec le Second Empire, mon père, Meilhac, Degas, et Cavé, et les deux Ganderax. Il y avait les nouveaux talents : non pas Anatole France (que Mme Arman tenait serré), mais, très souvent, Jules Lemaître. Il y avait Bourget et Hervieu, et Forain ; les comédiens, Lucien Guitry, Réjane, Emma Calvé ; j’ai vu là la princesse Mathilde, hautaine relique ; et les étrangers, Lady de Grey, Lord Lytton, George Moore, amené par Jacques Blanche, et Marcel Proust, éphèbe inoubliable11 ».
14On pourrait encore citer d’autres noms, allonger à l’infini la liste des familiers, parcourir en tous sens les généalogies sans oublier les cours princières ; cela ne ferait que confirmer le charme et l’atmosphère de ce salon. C’était le salon de Mme Straus, avant la lettre celui de la duchesse de Guermantes.
« L’esprit Mérimée, Meilhac et Halévy »
Le genre d’esprit Mérimée et Meilhac et Halévy, qui était le sien, la portait, par contraste avec le sentimentalisme verbal d’une époque antérieure, à un genre de conversation qui rejette tout ce qui est grandes phrases et expression de sentiments élevés, et faisait qu’elle mettait une sorte d’élégance quand elle était avec un poète ou un musicien à ne parler que des plats qu’on mangeait ou de la partie de cartes qu’on allait faire12.
15Au-delà des convenances, après avoir assimilé la finesse et la richesse culturelle inhérentes aux usages mondains, Geneviève avait atteint une simplicité de ton qui était un raffinement supplémentaire et lui faisait ranger « les propos prétentieux et prolongés du genre sérieux ou du genre farceur dans la plus intolérable imbécillité13 ». Les talents prestigieux et les réussites les plus retentissantes devenaient les faire-valoir d’un salon qui manifestait surtout la créativité des hôtes et leur désir d’une sociabilité conçue comme le chef-d’œuvre de la maîtresse de maison. Emile avait su déceler chez Geneviève l’artiste fascinée par sa propre image, recréant sans cesse son propre personnage comme une œuvre d’art. Sa finesse, sa féminité attiraient beaucoup d’hommes, en horripilaient d’autres, mais, boulevard Haussmann, les habitués étaient tous des admirateurs.
16Entourée, encensée, Geneviève trouve son bonheur dans cette société avec laquelle elle fusionne. Elle cherche avec passion à atteindre l’image de perfection que les autres lui donnent d’elle-même et, bien sûr, elle use ses forces dans cette quête dont le but n’est jamais atteint. À l’affirmation de soi succède la fragilité, et le fond dépressif prend rapidement sa revanche, la soumettant à une alternance d’émotions qui perturbent sa volonté de contrôle. Mais ces avatars n’empêchent nullement son charme d’opérer.
17« J’aime cette femme comme vous pouvez désirer qu’on l’aime, écrivait Montesquiou à Émile Straus, pour sa grâce extérieure et intérieure, son indulgence philosophique, assistée de discernement. » Le « cher petit Marcel » ne ménageait pas non plus les compliments admiratifs : « Vous êtes une personne merveilleuse, lui écrivait-il, et votre talent ne fait qu’un avec votre gentillesse. Il la rend plus précieuse. Mais elle aussi lui donne une distinction suprême, un charme moral et raffiné14 ». Elle avait
un certain bon sens relevé d’une gaieté étonnée qui lui faisait dire parfois des choses énormes d’un air ingénu. Elle avait de la fantaisie dans la tête, une fantaisie qui n’était pas loin de celle de son cousin Ludovic Halévy, quelque chose de naturel et de gentil dans la narquoiserie, et de l’imprévu dans la logique. Ajoutez un côté de bienveillance et de politesse urbaine à quoi elle doit peut-être des répliques fameuses15.
18Voilà pourquoi tout ce qui est intéressant, tout ce qui participe de la mouvance de la vie se retrouve dans le salon de Geneviève, spontanément. Et cela n’a rien à voir avec ce qui se passe dans d’autres salons, aussi courus peut-être, mais moins appréciés, comme celui de Mme Aubernon où un thème de conversation convenu était proposé à l’ordre du jour.
19Ainsi, par le truchement de ses admirateurs, tous plus ou moins amoureux d’elle, Geneviève participe à la vie de l’esprit et peut prétendre à passer à la postérité. Elle a inspiré des peintres ; si « Delaunay fit d’elle un portrait d’âme », d’elle aussi « Moreau fit un portrait de rêve16 ». Elle a posé pour Toulmouche à Blanche-Couronne, et pour Boldini « qui l’a peinte rayonnante, riant presque17 ».
20Elle a inspiré des écrivains. Proust lui a dédicacé un exemplaire des Pastiches et Mélanges « pour qu’elle puisse voir son portrait » en attendant la Recherche qui met si brillamment en scène « la femme d’esprit et son impresario » de mari18. Si Laure Hayman fut furieuse de se découvrir dans le personnage d’Odette de Crécy, Geneviève ne se formalisa jamais de l’exploitation littéraire de son propre personnage. En lisant Le Côté de Guermantes, elle n’eut aucune hésitation à se reconnaître et ne bouda pas son plaisir à retrouver, dans la fiction, la jeune femme entourée et admirée qu’elle avait été. « En lisant votre beau livre – écrit-elle à l’auteur – je me trouve subitement transportée boulevard Haussmann il y a vingt ans ou vingt-cinq ans peut-être ! et puis je vais le relire lentement pour faire durer mon plaisir et pour ne pas le quitter19 ». Le plaisir, c’est de se retrouver immortalisée dans la fiction, d’être ainsi associée à la création.
21Dans Notre cœur, chaque page évoque Geneviève à travers le personnage de Mme de Burne. Maupassant a connu Geneviève lorsqu’elle vivait encore rue de Douai. Il superpose adroitement les époques, les situations, les personnages. Son héroïne « habitait un joli entresol [...] derrière Saint-Augustin » ; recevait dans un « salon, très grand, plus long que large, ouvrant trois fenêtres sur les arbres dont les feuilles frôlaient les auvents ». Son premier mariage avait été une expérience malheureuse.
Elle garda cependant de son esclavage de cinq années une timidité singulière mêlée à ses hardiesses anciennes, une peur grande de trop dire, de trop faire, avec une envie ardente d’émancipation et une énergique résolution de ne plus jamais compromettre sa liberté20.
Tourmentée par ses nerfs et non par ses désirs [...] elle vivait dans un ennui gai [...], sûre de la finesse de sa pensée, qui lui faisait deviner, pressentir, comprendre mille choses que les autres ne voyaient point, orgueilleuse de son esprit, que tant d’hommes supérieurs appréciaient, et ignorante des barrières qui fermaient son intelligence, elle se croyait presque unique, une perle rare, éclose en ce monde médiocre. [...] Il lui fallait seulement autour d’elle l’admiration de tous, des hommages, des agenouillements, un encensement de tendresses. [...] Il fallait qu’on l’aimât pour rester son ami21.
22Que Geneviève fût la clé du personnage n’était un mystère pour personne. Louise Halévy fut scandalisée de voir sa cousine jetée en pâture aux lecteurs : « À la place de Geneviève, je serais révoltée, indignée contre Maupassant22 ».
23Louise s’indignait d’autant plus que, sous leurs noms d’emprunt, elle avait reconnu, plus ou moins flattés – plutôt moins que plus – Ludovic23, Meilhac24, et même Nanine dans la vieille tante à l’esprit malicieux.
24Maupassant se confessait d’ailleurs. « La parution de chacun de ses romans soulevait par la société des agitations, des suppositions, des gaîtés et des colères, car on croyait toujours reconnaître des gens en vue à peine couverts d’un masque déchiré ; et son passage par les salons laissait un sillage d’inquiétudes. [...] Quelqu’un l’avait surnommé : “Gare aux amis.”25 ».
25Loin de se formaliser, Geneviève appréciait plutôt ce rôle d’égérie. Assez amorale et indifférente, maintenant, au jugement des autres, amoureuse d’elle-même, elle fut flattée de devenir une héroïne de roman.
26Jouant les précieuses, ce qu’elle était réellement, par tempérament et non par frivolité, elle aimait que l’on parlât d’elle, se plaisait dans la fiction plus gaie que la réalité, acceptait de tout lire et de tout entendre d’elle, à condition qu’on y mît les formes.
27Alors qu’il n’était encore qu’un jeune homme, le « cher petit Marcel, cher » lui reprochait déjà cette préciosité. « Vous savez bien que ce qu’on fait prouve plus que ce qu’on dit, vous qui dites quelquefois et ne faites jamais26 ».
28Daniel Halévy s’est montré surpris du rayonnement de Geneviève dans un milieu où les Halévy brillaient surtout par leurs talents d’auteurs et de compositeurs. Il a tracé d’elle deux portraits. Le premier, écrit en 1895, évoque le couple de Geneviève et Georges Bizet dans un texte destiné à d’éventuels Tableaux de Paris. Geneviève y est jugée sévèrement. Coquette et superficielle, elle aurait vécu quelques années auprès d’un génie sans le comprendre. Très sérieux, peu enclin aux mondanités, Daniel Halévy, à vingt-deux ans, exécute radicalement Geneviève. Cinquante ans plus tard, en 1944, sans l’idée préconçue de composer un texte littéraire, il reviendra sur le sujet dans sa Note sur les salons de ma tante Geneviève27, et malgré ses réticences à considérer un caractère si étranger à sa nature, il composera cette fois un second portrait, plus rigoureux, plus exact aussi. « J’étais trop jeune pour la comprendre », dira-t-il à Jacques-Emile Blanche. « À la recherche du temps perdu », il reconnut alors l’intérêt culturel et social de ce « luxe de paroles charmantes, d’actions gentilles, [de] toute une élégance verbale, alimentée par une véritable richesse intérieure28 ».
29Le salon de Geneviève... « tout considéré, une grande réussite parisienne et mondaine...29 »
Cher Ludovic
30Se sentant quelque peu délaissé par sa cousine au moment où lui-même devient plus casanier, Ludovic se plaint : « On dit que tu ne reviens que pour repartir et voler de château en château. Est-ce vrai ? »
31Cette période, en effet, est celle des villégiatures et des cures à outrance : Burgen – stock, Meggen, Nuremberg, Munich, Baden, Blanche-Couronne, Royat, Biarritz et Saint-Jean-de-Lutz, Luchon, Monaco, Évian, Trouville... Geneviève est partout.
32Parisien dans l’âme, Ludovic, quant à lui, freine des quatre fers dès qu’il lui faut quitter la rue de Douai et ses habitudes, et ce en dépit du plaisir qu’un voyage en Allemagne a pu apporter à son esprit curieux.
33Comme sa cousine, il découvre avec intérêt la photographie qui les rapproche en les introduisant miraculeusement en un lieu, au cœur d’une situation, et au milieu d’amis évoqués par leur correspondance. Pour Ludovic et Louise, cela va devenir un engouement, ils se feront initier par un professionnel au fonctionnement de cette boîte magique. Louise développera elle-même les belles photographies prises par Degas, ce qui lui vaudra le surnom de « révéleuse ».
34À partir de cette époque, les lettres de Ludovic commencent à faire une part importante à la comptabilité : en même temps que ses propres comptes concernant les représentations des œuvres dont il fut le librettiste, il gère ceux de Geneviève, se soucie des reprises annoncées, du choix des interprètes, des décors et des mises en scène ; bref, il veille à tout.
35Mais nul n’est parfait... Ludovic si charmant, si charmeur, menait encore une vie libre en marge de sa vie familiale ; pourtant, c’est en vain que l’on en chercherait quelque trace dans la mesure où il a brouillé toutes les pistes. Fugueur, certain d’être pardonné, il disparaissait parfois plusieurs jours et revenait sans fournir d’explications. Louise, en ces occasions, a encore prouvé, s’il en était besoin, la force de son caractère. La tradition orale en a transmis le souvenir dans la famille Halévy, elle ne fit jamais aucun reproche à Ludovic. Son commentaire se limitait à une formule lapidaire adaptée aux nécessités du service : « Vous ajouterez un couvert pour Monsieur. »
Jacques et Daniel : les complices
36Avec le zèle qu’il apporte à tout ce qui concerne sa cousine, Ludovic règle au mieux les problèmes d’éducation que ne manquent pas de poser les deux cousins complices.
37Enfants, ils avaient tous deux fréquenté le cours Pape-Carpentier où leurs camarades s’appelaient Robert Dreyfus, Marcel Proust, Henri de Rothschild. Après quelques années passées au « petit lycée » Condorcet, rue d’Amsterdam, Jacques et Daniel entrent, à quinze ans, en troisième au « grand lycée ». Ils y retrouvent d’anciens condisciples, « étagés sur trois classes », qui deviennent bientôt leurs amis : Fernand Gregh, Robert de Fiers, Henri Rabaud, Louis de La Salle, Gabriel Trarieux, et toujours Robert Dreyfus qui forme, avec les deux cousins, le groupe « des trois plus intelligents garçons de la classe », au dire de Marcel Proust qui les rejoint.
38Leurs rapports avec Proust sont d’abord assez tendus. Ils l’admirent mais sont gênés par son homosexualité. Daniel d’abord, Jacques ensuite, recevront de leur camarade des lettres et des poèmes énamourés. Tous deux prendront nettement leurs distances mais resteront ses amis. « Pauvre garçon – écrira plus tard Daniel – nous étions des brutes avec lui30. » « Il figurait parmi nous une sorte d’archange inquiet, inquiétant. Nous l’aimions bien, nous l’admirions, pourtant nous restions étonnés, gênés, par l’intuition d’une différence, d’une distance, d’un incommensurable invisible et réel entre nous31. »
39Les deux jeunes gens et leurs amis participeront à la création de plusieurs revues littéraires qui ne passèrent pas inaperçues et leur permirent de faire leurs premiers essais en littérature. Après Lundi, après La Revue de seconde, La Revue verte, La Revue lilas, La Revue blanche, paraît enfin Le Banquet en janvier 1892.
40C’est dans le salon de Geneviève que Jacques et Daniel trouvent un public pour leurs revues. Les grands noms, les célébrités confirmées sont parfois la cible de leur ironie et leur donnent des idées facétieuses : des tiroirs de leurs parents ils soustraient quelques lettres et organisent une vente aux enchères des autographes subtilisés !... Humour et plaisanteries, énormes bévues parfois... Ludovic et Geneviève sont indulgents, sauf lorsque les jeunes gens, par leur maladresse, mettent en péril de véritables amitiés.
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41La correspondance couvrant cette période n’est pas une correspondance croisée. Ludovic écrit à Geneviève, mais nous n’avons pas les réponses de la jeune femme. En revanche, Ludovic a conservé les lettres que sa cousine adressait à Nanine, et ce sont elles qui décrivent les découvertes et les impressions de voyage de la jeune Mme Straus, comme son exaltation à séjourner dans un palais princier.
42Si Geneviève se disperse dans les mondanités, Ludovic assume toutes les responsabilités. Il est toujours le pilier, le soutien de sa famille. Cependant, inquiet, tourmenté, terriblement sensible au milieu dans lequel il vit, il va commencer à ressentir des troubles de santé qui désormais ne cesseront de s’aggraver.
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126. Geneviève à Mme Léon Halévy < 15 juillet 1886 >
Netliberg près Zurich – Suisse
Ma chère petite tante,
Je voudrais bien avoir de vos nouvelles à tous. Si cela t’ennuie de m’en donner, charge le plus courageux de le faire pour toi. Je n’essaie pas de te raconter nos aventures. Elles sont trop ridicules. Qu’il te suffise de savoir que Churwalden était une invention malheureuse. C’est un village que personne ne connaît en Suisse et qui n’est habité que par quelques paysans et quelques petits bourgeois de Bâle qui ne peuvent pas dépenser assez pour aller dans de vrais hôtels. Notre arrivée dans cette auberge de grande route en plein soleil et en pleine poussière, car elle sert de halte aux diligences de St-Moritz, est absolument irracontable. D’ailleurs, l’hôte a été tellement effrayé par l’invasion de dix personnes et de dix-sept colis, qu’il nous a à peu près mis à la porte. Nous voici revenus dans des régions plus civilisées. Nous sommes installés au-dessus de Zurich, sur un petit pic sans grande prétention, mais où nous sommes confortablement. Donc, pour le moment, nous y restons. Nous sommes dégoûtés des découvertes. Nous avons perdu beaucoup de temps, dépensé beaucoup d’argent, et bravé beaucoup de fatigues pour passer vingt-quatre heures dans une chambre sale où il y avait des souris. Voilà le résultat de nos aspirations vers le nouveau.
À ton tour maintenant, raconte-moi les péripéties de ton voyage au bois de Boulogne. Ce pays, plus fréquenté que Churwalden, vous plaît-il et êtes-vous satisfaites de cet inconnu ? J’espère pour vous qu’on parle encore français en dehors des barrières. Ici le baragouin allemand me porte sur les nerfs. En somme, je ne suis pas faite pour l’étranger.
J’attends beaucoup de lettres avec impatience. C’est ici ma seule distraction ; soyez donc charitables.
Jacques embrasse ses cousins. Il va bien et moi aussi, nous sommes ici aussi bien que possible, mais ce bien me semble encore très mal loin de vous tous. Il y a des années où l’on n’est pas en train. Je suis dans une de celles-là.
Je t’embrasse et t’aime tendrement en tous temps et en tous lieux. Voilà qui est sûr. Tendresses à tous.
Geneviève
127. Geneviève à Mme Léon Halévy (11 août 1886)
Ma bonne petite tante,
J’allais justement t’écrire pour te demander si vraiment tu allais te décider à mettre tes projets d’Oise à exécution. Je suis enchantée de savoir que vous êtes parties pour de bon, car je craignais pour vous la solitude de Neuilly pendant le voyage des Ludovic. Je suis sûre que ce séjour au milieu de bons amis qui vous aiment sera excellent pour vous deux. Tâche de m’en donner des nouvelles. Cela m’est égal qu’elles soient courtes pourvu qu’elles soient bonnes.
Nous allons toujours bien, malgré les pluies torrentielles qui ne nous ont pas épargnées. Je ne sais pas trop ce que je vais faire maintenant. Mme de Richelieu retourne dans ses foyers, mais Mme Stern est arrivée depuis quelques jours et me supplie de ne pas l’abandonner à son malheureux sort. De plus, j’ai la joie de posséder Toto Perrin et j’attends Étienne ce matin. Je vais donc, si le soleil veut bien se joindre à notre société, prolonger mon pic de huit jours. Après... ah après ! j’aimerais bien revenir dans les environs de Paris, mais je vais, je crois, m’arrêter un peu chez les Ephrussi, et ensuite chez les Brancovan au lac de Genèvea. C’est égal, je ne pense pas rester jusqu’en octobre loin de ma patrie.
Jacques a une mine superbe. Je lui ai demandé pourquoi il n’avait parlé que pigeons à Élie, mais il m’a répondu avec l’animation que tu lui connais, qu’il avait donné aussi des renseignements très intéressants sur son voyage ! Il a de plus en plus quatre ans, et cela commence à m’inquiéter. Il ne quitte pas la petite Richelieu qui a sept ans, et il joue avec elle comme s’il était de son âge ! J’ai bien essayé de lui faire faire des lectures sérieuses tous les matins je ne réussis pas à l’intéresser.
Au revoir, ma bonne et chère petite tante. Tu sais que je t’aime de tout mon cœur et que tu me manques toujours plus que tout le monde. Je t’embrasse bien tendrement ainsi que Valentine. Distribuez mes amitiés aux Legendre et parlez-moi de votre « déplacement et villégiature ».
À toi très très tendrement.
Geneviève
Mercredi
Netliberg
Tu peux toujours m’écrire ici. En tous cas mes lettres suivront.
Mme Tournal a vraiment fait faire beaucoup de progrès aux petits Richelieu. Ils l’aiment beaucoup, et je vois que la leçon lui restera. Mme de Richelieu est enchantée d’elle.
128. Ludovic à Geneviève < antérieure au 4 octobre 1886 >b
Ma chère amie,
Ce que je t’ai dit ce matin en une ligne dans ma dépêche je ne pourrais que te le redire en vingt pages si je t’écrivais vingt pages. J’ai toujours pensé que la chose finirait ainsi et je l’ai toujours désiré. Tu le savais bien d’ailleurs puisque tu m’écris que tu étais certaine que j’approuverais ta décision et qu’elle ne m’étonnerait pas. Louise dont tu connais le sens droit et la parfaite raison, partage absolument mon sentiment. Elle a voulu t’écrire et tu recevras sa lettre en même temps que celle-ci. Ce matin, en recevant ta lettre, mon premier mouvement a été de partir. Je pouvais arriver à Paris à quatre heures, mais j’ai pensé que tu serais peut-être allée dîner à la campagne, chez la princesse Mathilde ou ailleurs, et j’aurais fait un voyage inutile. J’ai donc remis mon voyage à demain, mais alors nouvelle inquiétude : As-tu parlé de tout cela à maman ? Si tu ne lui en as pas parlé, je n’aurais su comment lui expliquer ce brusque voyage à Paris. Je voudrais bien te voir cependant et causer avec toi. Ce ne serait que pour te répéter ce que j’ai télégraphié, ce que je t’écris. Oui... Oui... Oui. Je t’approuve et je souhaite que cela se fasse le plus tôt possible. Tu le juges bien tel qu’il est : tendre, honnête, droit et délicat. Tu n’as pas à douter de son affection, de son dévouementc As-tu toujours l’intention d’aller chez Mme de Richelieu ? Si oui, quand pars-tu ? Nous devons revenir dimanche prochain mais si tu pars avant ce jour, j’irai certainement à Paris pour te voir. Pourquoi ne viendriez-vous pas ici tous les trois passer la fin de la semaine toi, Straus et Jacques ? J’ai un grand hôtel vide. Nous y sommes quatre, avec vous cela ferait sept, et Cavé qui arrive ce soir, huit.
Tout à toi
Ludovic Halévy
Dimanche
129. Ludovic à Émile Straus < antérieure au 4 octobre 1886 >
Mon cher ami,
Me remercier, nous remercier ma femme et moi, et pourquoi ? Avez-vous jamais pu douter de nos sentiments pour vous ? Ce qui va se faire, nous l’avons toujours désiré, ma femme et moi. Nous avons toujours pensé, toujours espéré que cela se ferait. Nous sommes très heureux, très heureux de vous voir entrer dans notre famille. Nous avons pour vous la plus sincère, la plus cordiale affection, et si vous voulez absolument nous remercier, soit, remerciez-nous, mais nous aussi, à notre tour, nous vous remercions d’avoir toujours été dans le passé un ami délicat, fidèle et sûr. Et ce passé garantit l’avenir.
J’aurais bien voulu aller tout de suite vous dire cela à Paris, vous voir, vous et Geneviève. Si mon voyage pouvait avoir quelque utilité avant samedi écrivez-moi le, je partirai tout de suite. Sinon, vous ne me verrez que dimanche ou lundi. Vous avez absolument raison, et c’est en cela que je vous aiderai de toutes mes forces il faut que les choses marchent aussi vite que possible. L’émotion de Geneviève n’a rien qui puisse vous étonner ou vous alarmer ; elle a en somme des causes très naturelles. Vous n’avez pas à douter de son affection. Et c’est parce que je l’aime de tout mon cœur que je désire la voir votre femme ; sa vie ne peut être en meilleures mains, et je n’aurai pour vous aimer vous aussi de tout mon cœur aucun effort à faire. C’est déjà chez moi une vieille et très douce habitude.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
Mardi matin
130. Ludovic à Geneviève < début de l’été 1887 >d
Chère amie,
Rien de neuf ici. Ma mère de mieux en mieux. Tous très bien. Un temps admirable. Notre maison de Marnes agréable. J’ai touché pour toi le 10 peu de chose, 330 francs pour les deux comptes. Jamais les théâtres n’ont passé à Paris et en janvier par une pareille crise. L’Opéra Comique va s’installer au Théâtre des Nations, l’ancien Théâtre Lyrique de la place du Châtelet. Provisoirement, dit-on, mais c’est un provisoire qui peut durer longtemps, sinon toujours. Le ministère a des projets grandioses pour la reconstruction de l’Opéra Comique place Favart ou pour l’installation du théâtre à l’Édene. Tout cela coûterait une dizaine de millions, jamais la Chambre ne votera une pareille somme, et alors Carvalho est, dit-on, fort abattu. Je ne l’ai pas vu depuis cinq ou six semaines.
J’ai vu Laure hier. Elle va mieux et pense partir pour Clarens mardi. Elle m’a raconté une petite histoire qui m’a beaucoup chagriné. Cette lettre écrite par Daniel et montrée par Jacques à Étienne Ganderax. La faute est égale des deux parts. Etienne – que nous aimons très très tendrement – va nous en vouloir, et rien n’est plus injuste. Il va croire que Daniel a répété un mot dit par l’un de nous, et il aura bien tort d’avoir une telle pensée. J’ai pu déplorer souvent – je te l’ai dit à toi-même souvent – qu’un homme de l’intelligence et de l’esprit d’Étienne menât une existence inoccupée, et c’était avant son entrée au ministère des Affaires Etrangères. Daniel a pu nous entendre autrefois, moi ou toi-même parler dans ce sens là et c’est avec ce souvenir là qu’il a arrangé ce bête de mot. Il n’aurait jamais dû l’écrire – et Jacques, qui n’est plus un enfant, jamais le montrer. Je ne saurais te dire à quel point je suis désolé de cela. Nous avons, Louise et moi, pour Etienne la plus vraie, la plus immense affection, et malgré toutes les explications et précisions du monde, il gardera de cela un souvenir désagréable. J’ai pris la plume pour lui écrire, puis je me suis demandé s’il ne valait pas mieux ne pas avoir avec lui sur ce point d’explication directe avec lui [sic]. Qu’en penses-tu ?
J’ai bon espoir pour les [illisible] d’Othenin d’Haussonville, mais voici le moment de la dispersion générale, et ce n’est que dans les premiers jours d’octobre qu’on pourra se rendre un compte exact de la situation et devoir et pourrais-je en parler avec certitude de succès [sic]. Il ne faut pas l’exposer à un second échecf.
Amitié à Straus. J’embrasse tout de même cet affreux Jacques. Tâche de dire adroitement à Etienne que je l’aime de tout mon cœur et dis-toi cela aussi à toi-même de la part de
Ludovic Halévy
131. Geneviève à Mme Léon Halévy (29 juillet 1887)
Ma chère petite tante,
Je te donne de mes nouvelles dans le but intéressé d’en recevoir bientôt des tiennes. Émile est d’ailleurs déjà chargé du soin de m’en apporter la semaine prochaine. Prie en attendant Ludovic ou Valentine de s’exécuter et de m’écrire un mot. Nous allons bien mais il fait plutôt laid ; des orages, des orages ! et des Allemands, des Allemands ! Je ne sais pas si je ne préfère pas encore le bruit du tonnerre à celui des voix affreuses de nos ennemis. Chauvinisme et déroulèdisme à part, je les déteste. Ils sont trop laids. Les femmes ont de trop vilains bonnets, de trop monstrueux chapeaux, et font de trop épouvantables tapisseries. Jacques s’est pourtant lié avec un de ces jeunes teutons de dix-sept ans. Ils parlent politique en se faisant des politesses au sujet des études dans les deux pays. Jacques dit en mauvais allemand : « C’est bien mieux organisé chez vous ». L’autre répond en mauvais français : « Je crois vos professeurs supérieurs aux nôtres ! » Cela va très bien comme ça... jusqu’au jour où ils se disputeront et se jetteront à la tête Bismark [sic]... et Boulanger !
Quoi de neuf à Paris ou plutôt à Marnes ? Prends-tu des forces au grand air et ton rhume est-il tout à fait fini ? Moi je suis encore un peu fatiguée du voyage et le pic n’a pas jusqu’ici produit son effet accoutumé. Je t’embrasse, ma chère petite tante et j’attends une lettre de quelqu’un. Je voudrais bien te raconter quelque chose... mais quoi ? je ne pourrais te parler que des péripéties palpitantes de mes nombreuses parties de grabuge. C’est maigre comme impression de voyage. Je te quitte définitivement parce que je reçois une dépêche des Ephrussi qui me disent qu’ils vont venir six déjeuner avec moi. Il faut que je m’occupe de les nourrir.
Je vous embrasse toutes et tous le plus tendrement du monde.
Geneviève
Bürgenstock près Lucerne – Suisse
132. Ludovic à Geneviève < été 1887 >
Marnes 12 Grande Rue
Chère amie,
Comment vas-tu ? Envoie-moi de temps en temps de tes nouvelles. J’espère bien que ton mal de gorge de l’autre jour n’a pas résisté à la [illisible] de Burgens... de Burgens... de Burgenstock, (J’ai cru que je ne sortirais jamais de ce diable de mot et en suis-je sorti ?)
Ici, tout le monde bien [sic]. L’effet de la campagne et du grand air a été magique pour Maman. Elle passe sa vie dans le jardin, et elle n’a pas toussé une seule fois depuis quarante-huit heures. J’ai envoyé à Straus une place dans la loge de Louise, demain, au Conservatoire (Concours de Comédie) et je l’ai invité à dîner chez Cavé après le concours. Je compte bien qu’il pourra venir.
Ici, calme complet. La Chambre portait Boulanger dans le troisième dessous ; nous pouvons compter sur trois ou quatre mois de tranquillité. Les bêtises recommenceront évidemment avec la rentrée des Chambres. Je ne sais rien de nouveau pour l’affaire de Monsieur d’Haussonville. Camille Doucet revient seulement ce soir, et ce n’est qu’après l’avoir vu et qu’après qu’il aura causé avec le membre influent de l’Académie que je pourrai me rendre compte de la situation. C’est d’ailleurs, en ce moment, une telle dispersion qu’il sera probablement difficile de voir clair dans les choses avant le commencement d’octobre. Il ne faut pas exposer d’Haussonville à un second échec. J’ai grand peur – car Dieu sait comme je désire cette élection – qu’on ne puisse répondre du succès que lorsqu’il y aura deux vacances, c’est-à-dire un compromis possible.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
133. Ludovic à Geneviève < été 1887 >
Chère amie,
J’ai eu hier les 200 francs de Madame de Wailly. Fais-le lui savoir. Je n’ai pas son adresse.
L’Opéra Comique va rouvrir provisoirement le 1er octobre au Théâtre des Nations, ex Théâtre Lyrique. Carvalho garde la direction. Il connaît la maison. Il y a déjà fait faillite. On a déjà commandé les décors et costumes – tous brûlés – de Carmen qui, dès le début figure au répertoire. Le projet de Spiller (?) est de rebâtir place Louvois le théâtre définitif, mais on aura de la peine à obtenir de la Chambre les millions nécessaires.
Non, nous n’irons pas au Tyrol et à Munich. Nous partirons pour Dieppe dans les premiers jours de septembre et j’y attendrai évidemment le mois d’octobre qui nous ramènera tous à Paris. Est-ce ennuyeux la vie ! ne pas être chez soi ! Je ne connais pas de plus affreux supplice. S’il y a un paradis et si je l’ai mérité (deux choses dont je doute fort) je demande mon paradis chez moi 22 rue de Douai, avec mes livres, mon chat noir, mes vieilles pantoufles et mon vieux fauteuil. Je n’aime plus que cela au monde.
Mille tendresses à tous deux de la part de nous tous et toutes.
Ludovic Halévy
Samedi matin
134. Geneviève à Mme Léon Halévy (1885) < été 1887 >
Mardi
Je pars tout à l’heure pour Meggen, ma bonne petite tante, mais je veux tout de même t’embrasser encore une fois du haut de ma montagne. Elle a été bien désagréable pendant quelques jours, ma montagne, et froide, et pluvieuse et même neigeuse pendant une demi-heure, mais depuis hier il fait très beau et je recommence à croire au soleil que j’avais oublié.
Nous allons rester une semaine chez Mme Ephrussi, ensuite nous partirons pour Ischl, nous ferons un tour à Nuremberg et à Munich et nous reviendrons par Baden au lac de Genève où nous passerons dix jours. Et puis, tout ceci fait, le moment heureux du retour sera arrivé, et je serai bien contente : d’abord de vous revoir, ensuite d’avoir vu un peu de nouveau, et enfin de n’avoir plus à en voir pendant dix mois. Nous allons bien, mais nous avons tant gelé que j’en ai encore l’onglée. En revanche, je pense que nous allons cuire à Meggen, car c’est une vraie fournaise. Mais ceci m’est égal.
Ludovic me dit qu’il passera probablement le mois de septembre à Dieppe. Cette grande maison de Marnes va vous paraître bien vide, mais enfin je l’aime encore mieux pour toi que la rue de Douai. Prie Valentine de me tenir un peu au courant quand tu ne voudras pas écrire. Dis à Ludovic que je le remercie bien de son petit bout de Figaro. C’est en effet ce qu’on peut voir de plus drôle. Remercie-le aussi beaucoup des 200 F de Wailly. Avez-vous des nouvelles de Laure ? Il paraît qu’elle déroute beaucoup la faculté sur son cas en avouant trente-cinq ans.
Je t’embrasse, ma chère petite tante que j’aime de tout mon cœur. Je te quitte plus vite que je ne le voudrais, mais on m’appelle de tous les côtés. Emile me charge pour vous deux de mille tendresses que je joins aux miennes. Écrivez-moi les uns ou les autres à Meggen, Lac des 4 cantons.
Geneviève
Je viens de lire les deux volumes de Marie Baskircheff [sic]. C’est en effet fort amusant et curieux. Tendresses de Jacques aux enfants.
135. Geneviève à Mme Léon Halévy (9 septembre 1887)
Tu es une très brave tante de vouloir faire toi-même tant de choses qui t’ennuient, mais aussi tu sais bien que tu as affaire à une nièce qui prise tous tes sacrifices, qui t’en remercie et surtout qui t’aime bien tendrement.
Me voilà en plein voyage depuis huit jours. C’est fort beau, mais ça me fatigue, surtout par cette chaleur car il fait toujours orageux. Inspruck [sic] est une ville charmante et les environs sont superbes. Maintenant je suis à Salzbourg. C’est de plus beau en plus beau, mais je suis aussi de plus en plus fatiguée, ce qui fait qu’aujourd’hui j’ai renoncé à excursionner. Je suis allée avant-hier voir quelque chose de si étonnant que cela me suffit. Ça s’appelle Koenigsée [sic]. C’est un lac tout petit entouré de montagnes toutes immenses. Ça n’a l’air de rien à raconter, mais quand on y est c’est saisissant et beaucoup plus beau que tous les grands lacs à réputation. Et puis en revenant, j’ai été visiter des mines de sel. Imagine-toi que j’ai dû endosser un costume de mineur : un grand pantalon de toile, une blouse de laine noire et une espèce de toque tyrolienne dont je ne comprends pas bien l’utilité d’ailleurs... Ah ! et j’oubliais la lanterne... qui n’est pas non plus très nécessaire car le guide porte une torche, mais c’est pour donner un air plus « armé » probablement, qu’on oblige les visiteurs à s’en munir. C’est tout ce qu’il y a de plus curieux mais cela ferait bien peur à Mélanie. On s’enfonce sous la terre dans des petites galeries glacées et au bout de dix minutes de marche, on arrive à un lac intérieur qu’il faut traverser en bateau. Tout cela, bien entendu, à la lumière d’une quantité de lanternes, et puis pour descendre il y a un petit système de poutre sur laquelle on se laisse glisser à cheval sur le dos de son voisin qui est très comique. On a l’air de jouer aux capucins de cartes, et quand on arrive en bas, on se retrouve debout sans y rien comprendre. Enfin, pour revenir, on monte à cheval sur une espèce de vélocipède à vapeur qui supporte six personnes, toujours toutes un peu à cheval les unes sur les autres, ce qui explique le pantalon, et on retraverse les petites galeries humides en moins de cinq minutes. Le grand inconvénient de cette expédition, c’est la qualité de l’air. D’abord, on ne s’en aperçoit pas et on constate seulement qu’il fait très froid. Mais au bout de quelques minutes on commence à respirer moins facilement et pour ma part j’ai éprouvé un moment de malaise qui m’a donné envie de retourner sur mes pas. Heureusement que je n’ai pas osé le dire, car si j’étais revenue, cela nous aurait privés tous d’une chose vraiment amusante. D’ailleurs je me suis habituée et j’ai pu continuer sans accident. Le plus étonnant c’est que lorsqu’on revient à l’air il semble qu’on entre dans une bouche de calorifère. On étouffe complètement. Raconte cette histoire à Mélanie, peut-être la comparaison lui fera-t-elle trouver le voyage de Marnes moins redoutable.
J’ai l’intention d’écrire bientôt à Ludovic, mais en attendant je lui envoie par ta plume mille tendresses.
Je t’embrasse ma bonne petite tante, j’embrasse Valentine et j’espère bientôt de vos nouvelles à Ischl, Hôtel Bauer, toujours Autriche. Emile t’écrira ces jours-ci. Baisers de Jacques et souvenir d’Etienne.
Geneviève
Nous n’avons plus Bourget, sans cela je m’empresserais de lui faire ta commission. Elle serait tout à fait de son goût, je n’en doute pas !!!
[P.S. de la main d’Emile Straus] Je vous embrasse bien affectueusement.
Émile
136. Ludovic à Geneviève < vers le 20 septembre 1887 >
Jeudi, Marnes
Chère amie,
Nous sommes revenus avant hier. Tout le monde ici va parfaitement. Encore quinze jours – pas même – de Marnes et ce sera fini. Ouf ! Nous rentrerons à Paris le 3 octobre. Et toi ? On dit que tu ne reviens que pour repartir et voler de château en château. Est-ce vrai ?
Je t’envoie une bien jolie chose. Le connaissais-tu ? Je te le recommande, surtout le Couplet sentimental sur l’air des Petits bâteaux.
« Et dont le seuil
« Porte le deuil, etc. »
Tu devrais apprendre, je t’en prie, cela par cœur. Tu nous le chanteras le jeudi.
J’ai pour toi 2 900 francs de Choudens. Ton compte s’élève à près de neuf mille francs, à 8 969 francs. Carmen près de 6 000, le reste Jolie Fille de Perth, Pêcheurs, etc. Choudens dit que les Pêcheurs s’installent dans le répertoire de province et d’étranger.
Je l’ai trouvé bien en souci de son fils, de sa fille et de sa gouvernante. Un des fils tapait sur un piano et Lalazac hurlait des phrases d’un opéra de Godard, je crois Jocelyn.
On ne pense pas que l’Opéra Comique puisse rouvrir avant le 15 octobre et on ne sait pas encore si Carvalho ira ou n’ira pas en police correctionnelle. En juillet, on n’a pas encore déposé son rapport. Pas encore ! Straus, mon ami, qu’en dites-vous ? Voilà une admirable lenteur judiciaire !
Mille tendresses.
Ludovic Halévy
137. Ludovic à Geneviève 20 juillet 1888
Chère amie,
Oui, j’irai lundi déjeuner chez toi à midi ou midi et demie comme tu voudras. Seulement fais-moi savoir si c’est midi ou midi et demie.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Vendredi 20 juillet 88
138. Geneviève à Mme Léon Halévy < août 1888 >g
Châlet Bergouhniou Royat – Puy-de-Dôme
Dimanche
Ma chère petite tante,
Je voudrais bien avoir de tes nouvelles, et c’est dans ce but intéressé que je te donne des miennes. Nous sommes en bon état, et je dois même dire que pendant deux jours il a fait assez beau. Seulement depuis ce matin la tempête recommence à secouer à la fois les châlets et les nerfs. C’est d’autant plus insupportable que ce froid est nuisible au traitement. Ainsi, ce matin, j’étais bravement partie sous la pluie pour aller prendre mon bain, quand j’ai rencontré le médecin. J’attendais ses compliments, mais il m’a au contraire assez mal accueillie. « Qu’est-ce que vous faites là par un temps pareil ; voulez-vous bien rentrer chez vous ! » – Mais mon bain ? – Pas de bain aujourd’hui. – Alors ma douche ? – Pas davantage. – Au moins mon gargarisme. – Jamais de la vie ; rentrez et ne sortez plus. J’ai obéi et j’en suis ravie puisque ça me donne le temps de venir t’embrasser, mais je me demande avec inquiétude quand je pourrai finir une cure qu’il est impossible de commencer. La pluie est contraire au bain, et il pleut tous les jours. Jamais je ne trouverai cette année vingt-cinq jours sans pluie pour prendre les vingt-cinq bains obligatoires. Reverrai-je mon pays et ma famille avant l’été prochain ? Quelle situation !
Je suis dans une petite maison assez confortable et convenablement meublée. Il y a même un objet de toilette curieux. Imagine-toi un bidet prie-Dieu ! Je n’avais jamais vu ça et c’est un meuble qui a dû être inventé par une personne très pressée. Il est du reste d’un style Renaissance très pur et ne serait pas déplacé dans un oratoire. Ce luxe d’ornements me fait supposer que la dame avait choisi de faire sa toilette dans la chapelle, et non sa prière dans son cabinet. Ne sois pas trop scandalisée, ma bonne petite tante, et écris-moi bien vite. Je vais t’envoyer des fruits confits de Clermont.
Nous t’embrassons tous ainsi que Valentine. Je te quitte à la hâte car j’aperçois au bout du jardin Mme Jacques Normand tout de loutre habillée. Encore mille tendresses.
Geneviève
139. Geneviève à Mme Léon Halévy (août 1888)
Ma bonne petite tante,
Merci de ta seconde carte arrivée hier. J’espère que cela ne te donne pas trop de peine de m’envoyer ces quelques lignes, et moi ça me fait beaucoup de plaisir de les recevoir et de vous savoir toutes deux bien portantes.
Je voudrais bien trouver un second meuble inconnu dont l’histoire pourrait te distraire, mais malheureusement la propriétaire a mis tous ses œufs dans la même omelette et le reste du mobilier est on ne peut plus banal. Meilhac est arrivé dimanche avec Étienne, par une chaleur épouvantable. Aussi nous gémissons presque autant que nous gémissions la semaine dernière quand il faisait froid. Ceci prouve que le ciel a raison de ne pas exaucer nos vœux, puisqu’il sait que nous continuerions à l’embêter quand même ! Meilhac paraît assez satisfait ; il commence même un petit traitement pour faire comme tout le monde. Il le suit consciencieusement, mais j’ai heureusement découvert hier qu’il confondait le gargarisme avec le « rince-bouche », ce qui risquait de le rendre tout à fait inefficace. Si je n’étais entrée par hasard en même temps que lui dans la petite grotte dite des « crachoirs », il aurait continué à jouer au bol trois fois par jour. Inutile d’ajouter qu’il aurait pu faire ce glouglou inoffensif pendant quarante ans sans résultat sérieux.
Tu as su sans doute qu’Henri Baignères était décidément révoqué ! Il paraît qu’il va tâcher d’avoir une recette générale pour se consoler. Mais Laure me paraît bien fatiguée maintenant pour un second enfant. Et puis à son âge, passe encore de garder une vieille trésorerie, mais en demander une nouvelle... c’est beaucoup. Puisque Ludovic vient demain à Paris, il faut que cette lettre serve aussi pour lui. Je le remercie de la sienne et j’en attends une autre tout comme si je lui avais répondu.
Je vous embrasse toutes les deux. Tendresses et hommages des différents hommes.
Geneviève
Mercredi
140. Ludovic à Geneviève, 19 août 1888
Chère amie,
Ici, parfaite santé de tous, et de votre côté aussi je l’espère. Avez-vous toujours Meilhac ? Oui, je pense. Demande-lui donc s’il n’a pas reçu une lettre de moi. Je l’avais adressée il y a une dizaine de jours à St-Germain avec la note : faire suivre. Voici de quoi il s’agissait. Un journal fort bien, les Annales, a reproduit les Sonnettes. La Société des Gens de Lettres me demande si j’ai accordé une autorisation pour cette reproduction, et si je l’ai accordée à titre gratuit. Moi, je n’ai rien accordé du tout. L’autorisation vient peut-être de Meilhac. Si oui, il fera savoir au bureau des Gens de Lettres qu’il n’y a rien à percevoir. Si non, on lui demandera la somme de cinq centimes la ligne, soit une cinquantaine de francs que nous nous partagerons Meilhac et moi. L’affaire, tu le vois, n’a pas grande importance, mais on m’écrit lettres sur lettres et je voudrais pouvoir répondre. Tu as su par les journaux qu’on avait encore joué deux fois la Juive à l’Opéra et Paraveyh continue à annoncer imperturbablement les Pêcheursi pour octobre. Je lui ai cependant fait savoir qu’il ne pourrait jouer qu’après distribution acceptée par nous. Et pour le moment, il n’y a ni ténor, ni chanteuse. Je tenterai de le voir, Paravey. Nous avons eu ici pendant quelques jours, ce très original George Moore, le Pierrot des bals de Cernuschi. Il était l’hôte de Jacques Blanche en même temps que M. Dujardin, le rédacteur en chef de la Revue Indépendantej, ta revue, tu signerais parmi les fondatrices de marque. Ce Dujardin est fort agréable et s’exprime de la façon la plus claire. Drôles de gens qui parlent une langue et en écrivent une autre ! Est-ce bien vrai, cette nouvelle sur la meute de Baignières, John Lemoinnek était consterné. Les journaux n’en soufflent mot. Dis à Meilhac (en confidence) que Dumas n’a pas du tout l’air de s’occuper de sa pièce. Il me semble que c’est tant mieux pour Gapra qui sera dans ces conditions là, la seule grosse partie de la Comédie Française avant l’exposition.
Mille et mille tendresses.
Ludovic Halévy
141. Geneviève à Mme Léon Halévy (septembre 1888)
Hôtel Continental Biarritz
Ma chère petite tante,
Je viens t’embrasser un peu vite parce que je suis naturellement en retard, comme toujours, mais bien tendrement. Nous sommes très contents de Biarritz. C’est ravissant et le climat est délicieux. Jacques s’amuse énormément. Et moi je suis contente de revoir ma vieille amie, la Mer, qui ne me fait pas plus mal aux nerfs que les autres personnes. Malgré tout cela, je suis contente que l’été soit fini et que le retour approche. Je pense que tu vas bientôt rentrer en possession des Dieppois, et j’en suis heureuse. Si cela t’ennuie d’écrire, demande pour moi à Valentine de me donner de vos nouvelles. Il y a beaucoup de monde ici, sans compter les taureaux et les puces. Je suis allée aux courses (pas de puces, de taureaux) et je crois que c’est un spectacle que tu n’aurais pas aimé. Je te raconterai cela à mon retour.
Toutes mes tendres tendresses pour vous deux.
Geneviève
142. Ludovic à Geneviève < début septembre 1888 >l
Chère amie,
Voici pour demain la seconde loge de Carmen.
J’ai revu hier Paravey. Il est bien entendu qu’il n’y aura pas de reprise des Pêcheurs de perles sans distribution acceptée par toi. Pour le moment, il n’y a plus de distribution du tout. Paravey laisse partir Mme Isaac et Fugère, et il reconnaît n’avoir pour les Pêcheurs ni ténor ni chanteuse. Il a l’intention de nous faire entendre un de ces jours, un ténor de Bordeaux ou de Lyon qu’il déclare très remarquable. Je lui ai répondu que j’avais un peu peur des merveilles de province.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
143. Ludovic à Geneviève < début septembre 1888 >
Mercredi
Chère amie,
Arrivés avant hier de Londres, nous partons demain pour Saint-Jamesm et le 30 septembre retour à Paris. Meilhac est arrivé ici hier matin et repart demain. Santé parfaite de tous à Saint-James et Dieppe. J’entretiens la correspondance la plus active avec ce Paravey qui depuis huit jours fait annoncer, dans tous les journaux, que les Pêcheurs seront joués vers le 15 octobre, avec M. Dupuy (un ténor inconnu) et Melle Simonet. Je lui ai écrit de Londres – et récrit de Dieppe – ce que je lui avais dit vingt fois : que cette distribution n’était aucunement acceptée par nous. J’irai vendredi au théâtre et tiendrai à Paravey le langage le plus net. Il est dans de grands embarras, il n’a rien à jouer, mais cela ne nous regarde pas, et il ne faut pas laisser passer les Pêcheurs avec une distribution quelconque. C’est Choudens qui est entré le premier, et un peu légèrement, en relations avec Paravey. Il n’y avait aucune bonne raison pour tant se hâter. Cette salle du Théâtre Lyrique est affreusement mal situéen. Le plus sage était d’attendre le moment où l’Opéra Comique sera installé dans une salle définitive.
Mille tendresses pour vous deux, pour vous trois, pour vous quatre, car Meilhac me dit qu’Étienne vous est resté fidèle et vous a accompagnés à Biarritz.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
144. Ludovic à Geneviève, 15 septembre 1888
15 septembre 88
Chère amie,
Nous avons bien Guiraud et moi longuement délibéré avec Paravey. Tout projet de reprise des Pêcheurs est ajourné. Il n’y a pas, en ce moment, de distribution acceptable. On a joué Carmen deux fois cette semaine avec des recettes dépassant 4 000 francs. Depuis la – réouverture, avec les autres spectacles, on flottait entre 2 000 et 3 000 francs. On joue La Juive ce soir. J’ai touché hier pour toi 687 francs qui s’ajoutent à 2 337 touchés le mois dernier, me constituant ton débiteur d’une somme de 3 024 francs. Je n’ai pas de nouvelles du compte de Choudens. Il est à la campagne et ne reviendra que dans les premiers jours d’octobre ; il va mieux, beaucoup mieux, et s’occupe très activement de nos affaires.
Ah ! que j’ai été content de revoir Paris ! car Saint-James, c’est Paris ! Il me semble d’ailleurs qu’on est déjà très revenu. J’ai traversé le bois à pied en rentrant, les voitures étaient en file serrée dans l’avenue des Acacias.
Maman se porte à merveille, et Louise et Valentine et les enfants et moi aussi depuis mon retour. J’ai redormi depuis deux nuits. J’avais à peu près perdu le sommeil à Dieppe et à Londres.
Mille tendresses pour vous trois.
Ludovic Halévy
145. Ludovic à Geneviève, 24 septembre 1888
Ma chère amie
Je n’ai pas encore rencontré M. Girardo. Je retournerai demain au lycée et tâcherai de réussir dans la négociation relative à Jacques. Je n’en suis pas tout à fait sûr. Voici pourquoi : M. Monceau est un professeur très distingué mais qui a le défaut de ne pas faire du tout travailler ses élèves. De là son étonnante popularité dans le lycée, et très certainement cette année, tous les élèves de seconde vont essayer de se faufiler dans cette classe bénie du ciel. Daniel ne veut pas entendre parler d’une autre classe. Il était l’année dernière avec M. Monceau qui vient de monter d’un cran et de passer de troisième en seconde. Je connais personnellement M. Monceau. Je ne peux pas ne pas lui rendre Daniel si M. Girard ne s’y oppose pas. Enfin, je présenterai les deux demandes et ferai de mon mieux pour réussir tout en pensant qu’il serait peut-être meilleur pour Daniel d’être entre les mains d’un professeur moins brillant mais plus sévère et plus exigeant pour ses élèves.
Ici, parfaite santé de tous. Nous revenons à Paris lundi. C’est, je crois, la date de ton retour. Donc, à mardi.
Tendresses pour vous trois, pour vous quatre si vous avez toujours Étienne.
À toi.
Ludovic Halévy
Lundi 24 septembre
146. Ludovic à Geneviève < octobre 1888 >p
Ma chère amie,
On reprend ce soir Le Brésilien au Palais Royal. Voulez-vous y venir avec Louise ? Et dîner à la maison avant ? Nous irons ensemble tous les quatre. R.S.V.P.
Tout à vous.
Ludovic Halévy
147. Ludovic à Geneviève <fin 1888 ou début 1889 >q
Chère amie, pas de dîner demain soir à la maison Madame Breguet est dans un état très inquiétant.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Mercredi soir
148. Ludovic à Geneviève <Mardi 12 ou 19 février 1889 >r
Chère amie,
Claretie vient de t’envoyer la place pour l’Académie.
Je suis venu passer deux jours à Paris pour les examens du Conservatoire et j’espère pouvoir aller te faire une petite visite demain matin.
Hervieu (qui est assis à côté de moi) t’envoie ses amitiés.
T. à t. [sic]
Ludo Halévy
Mardi
149. Geneviève à Mme Léon Halévy (6 août 1889)
Hôtel d’Angleterre
St-Jean-de-Luz Basses-Pyrénées
Ma chère petite tante,
Ludovic doit être maintenant parti et je me dépêche d’arriver – de bien loin – non pas dans l’espoir de combler le vide, mais pour te dire mille choses très tendres, et pour te demander de tes nouvelles. Émile, qui est arrivé hier, me dit que vous allez bien toutes les deux, mais je pense bien que ce mois va vous paraître très long et un peu triste. Ici nous sommes tous en bon état et nous arpentons les Pyrénées et l’Espagne à grands pas de beaucoup de chevauxs. Meilhac est devenu marcheur et excursionniste. Il se promène en béret et brandit un maquila, et les jours où nous allons sur mer, il s’habille tout en blanc. C’est très beau à voir. Bourget lui répète tellement qu’il va devenir mince s’il continue à faire de l’exercice que nous ne pouvons plus le faire asseoir. Nous sommes allés dimanche à Saint-Sébastien pour les courses de taureaux. On nous a servi le fameux Frascuelo. Je persiste à trouver ce spectacle ignoble, mais je ne peux m’empêcher de l’aller voir. C’est inexplicable ; ainsi tout à l’heure nous allons repartir malgré la pluie et refaire cinq heures de route, et revenir à onze heures du soir sans avoir rien trouvé à manger selon toutes probabilités, tout cela pour aller regarder une chose qui nous révolte et nous dégoûte. Nous sommes vraiment bien bêtes, et dignes d’être espagnols.
Le pays est superbe par exemple. On a au choix la mer, la montagne et la vraie campagne. Il ne fait ni chaud ni froid et l’hôtel est excellent. Peut-être irons-nous faire un vrai tour d’Espagne à la fin du mois. Meilhac, que rien n’arrête plus, veut m’entraîner jusqu’à Grenade. Mais c’est bien loin, bien loin.
En attendant, écris-moi ou prie Valentine de m’écrire. Je voulais vous envoyer des bonbons ainsi qu’à Mélanie, mais il n’y en a pas ici. Quand j’irai à Bayonne, ou dans une grande ville d’Espagne, je trouverai, je pense, du chocolat.
Je vous embrasse bien tendrement toutes deux.
Geneviève
Jacques est enchanté de son normalien qui est très gentil.
150. Geneviève à Mme Léon Halévy, non datée
Luchon
Hôtel Sacaron
Hte-Garonne
Samedi
Ma bonne petite tante,
Je pense toujours à toi et je veux presque toujours t’écrire. En outre tu m’as écrit, toi, une bonne grande lettre qui m’a fait beaucoup de plaisir et de laquelle j’aurais dû te remercier plus vite. Donc je suis impardonnable, donc je compte que tu vas me pardonner. Je pourrais bien, si je voulais, trouver une excuse car j’ai beaucoup voyagé ces temps derniers, mais je ne veux plus rien dire à la légère, car j’arrive de Lourdes et je dois avoir été touchée de la grâce. Je préfère donc me fier à ta tendresse indulgente. Nous avons quitté Saint-Jean-de-Luz lundi, suivis de Meilhac, Stanley. Nous sommes allés à Pau où nous avons vu un bel orage et Léon Sayat. Mardi matin nous avons pris le train de Luchon où nous sommes maintenant, mais avant d’y arriver nous nous sommes donc arrêtés à Lourdes où nous avons passé quatre heures inoubliables et presque irracontables. Imagine-toi une ville en délire, des gens affolés qui s’agenouillent au milieu des rues, des femmes qui se promènent un cierge à la main, des prêtres qui défilent en chantant et les passants qui se mettent à les suivre en chantant plus fort, des hommes du monde qui s’emparent de toutes les idiotes, de tous les paralytiques scrofuleux épileptiques qu’ils rencontrent, les portent dans des petites voitures, les traînent jusqu’à la grotte illuminée et les déposent entre les mains de femmes également du monde qui les fourrent, elles, dans l’eau froide en pleine campagne (campagne admirable il est vrai). Pendant que les prêtres continuent à défiler en hurlant et que la foule considérable se prosterne dans de la vraie boue en criant à la vierge [sic] un tas de supplications qui ont l’air d’injures tant elles sont bruyantes. Il y avait peut-être 10 000 pélerins à Lourdes ce jour-là et les trains se succédaient, en amenant d’autres, de tous pays et de toutes classes, d’heure en heure. Il paraît que c’est la saison des miracles comme celle des eaux, et le spectacle étonnant que nous avons vu se renouvelle tous les jours pendant un mois. Et on annonce : le pélerinage d’Agen, le pélerinage belge, le pélerinage alsacien, etc. comme dans une soirée officielle. Meilhac devenait fou, Émile était en fureur, et moi j’étais complètement ahurie et très amusée de me trouver tout à coup rajeunie de cent cinquante ans ! Il y avait surtout un petit prêtre à lunettes qui chantait faux du nez « Je veux Dieu, je veux Dieu », que j’aurais voulu pouvoir emporter. Si je pensais le revoir je retournerais m’agenouiller au pied des saints autels. Quand je dis « m’agenouiller », c’est une façon de parler, car nous avons résisté à l’entraînement général, et seuls dans toute la ville nous sommes restés debout. Heureusement que les fidèles étaient si occupés qu’ils ne l’ont pas remarqué. Ce qui est curieux c’est aussi de voir le petit rôle que joue Dieu dans cette ville-grotte. Tout est pour la vierge [sic] : les statues, les prières, les bannières, etc. On ne parle qu’à elle, et Dieu me paraît être traité en « mari qui compte peu », mais qu’on salue par politesse.
Mais assez sur ce sujet, d’autant plus que malgré tout ce que je t’en dis, je ne te dis rien en comparaison de ce que cela est.
Écrivez-moi dix lignes l’une ou l’autre pour me dire comment vous allez. Nous, nous allons tous bien et nous t’aimons beaucoup, et nous t’embrassons tendrement.
Que cette lettre immense serve aussi pour Ludovic puisqu’il vient toutes les semaines et que je suis paresseuse. Meilhac reste ici jusqu’à lundi. Il ne monte pas encore à cheval, mais il suit le mien dans des sentiers de chèvre. Il se croit maigre depuis qu’il s’est mis à ce régime. Encore mille tendres tendresses ma bonne petite tante chérie.
Geneviève
151. Ludovic à Geneviève, mardi 24 septembre 1889
Chère amie
Nous voilà sortis tant bien que mal – et en somme pas trop mal – de la bagarre des élections. Boulanger ne rentrera pas. C’est l’essentiel. L’idée de son retour triomphal me faisait horreur. Les Monarchistes paient le prix de la fête. Ils ne l’ont pas volé.
Je suis rentré avant-hier à Paris ou plutôt à Saint-James. Je suis revenu avec Daniel qui désirait ardemment voir les boulevards le soir des élections. Je crois bien qu’il comptait sur une petite émeute. Il n’a eu qu’une grande foule poussant de grands cris sous les fenêtres d’Arthur Meyer, lequel est aujourd’hui fort penaud car il était le premier inventeur de cette belle politique qui a mis dans un beau pétrin le parti Conservateur.
Louise et Élie reviennent aujourd’hui. Après quatre jours encore de Saint-James nous rentrerons pour samedi à Paris et j’aurai l’honneur le 1er octobre, d’aller te présenter mes respects. En attendant, aie la bonté de présenter ces mêmes respects à Madame de Richelieu.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Saint-James 24 septembre 89
152. Ludovic à Geneviève < fin septembre 1889 >
Ma chère Geneviève
Non décidément, et je le regrette bien sincèrement, je ne pourrai aller vous voir à Trouville. Je suis tout à fait patraque depuis huit jours. Ces grandes chaleurs m’ont écrasé et je ne puis réussir à me débarrasser d’un très fâcheux malaise intestinal. J’ai besoin de me ménager pour être en état de partir vendredi en huit. Ajoute à cela que le directeur des Variétés (absent de Paris et ne devant revenir que dans une huitaine de jours) m’a demandé de m’occuper jusqu’à son retour des répétitions de La Vie Parisienne qui doivent commencer sérieusement aujourd’hui. J’ai souligné « doivent », car je crois que le malheureux régisseur des Variétés à une grande peine à faire revenir de la campagne, de la cour ou de la mer, comédiens et comédiennes. Toute cette partie de ma lettre est pour Meilhac. Je vais aller tout à l’heure aux Variétés et je lui écrirai demain ou après demain pour lui dire ce qui se sera passé aux deux ou trois premières répétitions, si répétitions il y a.
Tu es bien gentille de nous demander Daniel. Je te l’aurais envoyé bien volontiers si Élie avait été ici, mais tu me connais...
J’aime bien avoir au moins un de mes fils sur deux. Élie ne reviendra pas à Saint-James. De Bretagne, par Nantes, il ira nous retrouver à Bordeaux. Mon égoïsme cependant n’irait pas jusqu’à retenir ici Daniel si je le voyais désœuvré ou ennuyé. Mais il a un canot et passe sa vie sur la Seine. Il a aussi son piano. Et entre le piano et le canot, son existence est assez douce à ce qu’il me semble.
Maman va aussi bien que possible. Elle est allée ce matin à Paris, en sortant découverte, naturellement, pour faire des achats au Bon Marché. Mélanie est venue dîner samedi, de plus en plus vague.
Tendres amitiés pour vous deux.
Ludovic Halévy
153. Ludovic à Geneviève, 12 novembre 1889
Chère amie
Envoie-moi la demande de Madame de Wailly. Je ne fais pas, en ce moment, partie de la commission, mais j’enverrai vendredi la lettre à Sardou avec recommandation et le secours sera accordé comme à l’ordinaire. J’irai ces jours-ci au Temps et parlerai d’Eugène à M. Parizet que je connais.
A toi.
Ludovic Halévy – Mardi 12 novembre 89
154. Geneviève à Mme Léon Halévy (février 1890)
Palais de Monaco
Ma chère petite tante,
Je veux tout de suite t’embrasser et te dire que nous sommes bien arrivés. Émile va mieux, et moi je vais bien, sans la migraine traditionnelle d’un lendemain de voyage. Il fait très froid et je regrette un peu le beau soleil de Paris, mais à part cela tout est parfait. Je voudrais bien savoir comment tu vas. Prie Ludovic et Valentine de m’écrire très souvent dix lignes pour me tenir au courant de tes progrès.
Jusqu’à présent je n’ai eu aucun cérémonial à subir. J’ai trouvé, en arrivant, Alice en lunettes bleues (elle a mal aux yeux à cause du froid !) en train de mettre elle-même des bûches dans ma cheminée, sans l’aide d’aucun chambellan ni dame du palaisu. La seule chose qui m’a fait un peu peur c’est qu’en descendant du chemin de fer j’ai trouvé une haie de curieux qui attendaient pour voir monter les voyageurs de « la voiture à cocarde ». Et puis tous ces gens et les soldats saluaient... toujours la cocarde, mais il fallait rendre ces saluts, ce qui me paraissait si ridicule que j’avais envie de me sauver. Voilà le seul petit désagrément que j’aie eu à subir et que je tâcherai d’éviter à l’avenir en prenant des fiacres... sans cocarde. J’ai un bel appartement ayant vue d’un côté sur la mer, de l’autre sur un jardin rempli de palmiers et d’orangers. Seulement je me perds toujours pour y arriver parce que je dois traverser : la galerie des fêtes, la galerie dite des glaces (bien nommée car on y gèle), la salle du trône avec un vrai trône, et une grande pièce effrayante dans laquelle est mort un duc d’York quelconque, dont on a conservé le lit mortuaire sur une estrade. Le tout pavé de marbre et de porphyre sur lequel on glisse.
Le pays est admirable. On se dirait dans une serre dont on aurait enlevé les vitres. Il n’y a pas un arbre, pas une plante qui ne soient dignes d’être regardés séparément.
Je t’embrasse, ma chère petite tante, ainsi que Valentine. Mille tendresses à tous. Amitiés d’Émile.
Geneviève
Jacques doit aller te voir et prendre de tes nouvelles pour m’en envoyer aussi.
Je t’avertirai quand nous aurons plus chaud !
Je n’aurai pas toujours cette belle couronne ! mon papier n’est pas déballé.
155. Geneviève à Mme Léon Halévy (1890)
Palais de Monaco
Ma chère petite tante,
À la hâte un petit mot et beaucoup de tendresse. Nous allons bien et il fait beau, ce qui oblige à de grandes promenades ! De plus, il y a toujours du monde dans ce diable de pays et on y est plus pressé qu’à Paris. Ainsi, pendant que je t’écris et t’embrasse de mon cabinet de toilette, j’entends Dumas piaffer d’impatience dans le salon à côté. Mais Élisa continue à me tirer les cheveux avec une méthodique lenteur.
J’ai passé vingt-quatre heures à Cannes, juste le temps de prendre froid et de t’envoyer des fruits confits. Sont-ils bien arrivés ?
Dis à Ludovic que j’ai entendu Carmen par Rezké et Deschamps et que c’est vraiment mieux que par la pauvre Galli. On la rejoue ce soir.
Ah ! voilà Élisa qui me lâche, j’en profite pour aller voir Dumas...
Je reviens, Dumas est parti et je continue ma coiffure et ma lettre. Mais maintenant c’est une autre histoire et il faut que je me dépêche pour monter déjeuner.
Je pense revenir à Paris le 10 ou le 11. Impossible avant parce qu’il y a un bal ici et qu’Alice me demande de l’aider dans cette corvée. Tout le pays est en émoi à ce sujet et les femmes de fonctionnaires se demandent, paraît-il, depuis huit jours, si elles seront invitées ; elles sont trente-deux à s’agiter à cette pensée.
Je t’embrasse tendrement ainsi que Valentine et les Ludovic. Je voudrais un petit mot de l’un de vous.
À toi, ma chère petite tante.
Geneviève
156. Ludovic à Geneviève, 24 février 1890
Chère amie
Cette lettre ne sera qu’un bulletin d’hôpital. Maman mieux toujours, oui, certainement mieux, mais si lentement, si lentement... et avec de bien pénibles et bien fatigantes crises de toux.
Daniel dans son lit depuis hier avec beaucoup de fièvre et un grand malaise. M. Moizardv pense que ce n’est rien qu’un refroidissement avec embarras gastrique. De toute manière, il va être condamné à quelques jours de lit.
Et moi toussant, toussant, toussant... J’ai dû paraître avant hier au bal des élèves de l’École Normale. J’ai pris froid en sortant à une heure du matin de l’Hôtel Continental et je suis dans l’état le plus lamentable.
Meilhac, lui, a eu la goutte, et a dû passer deux ou trois jours étendu.
Il fait, d’ailleurs, un temps de chien qui explique toutes ces maladies. Froid avec bourrasques d’un vent glacial. Quand en aurons-nous fini avec ce coquin d’hiver et quand verrons-nous venir ce coquin de printemps ?
Mille tendresses de nous tous et toutes.
Ludovic Halévy
Lundi 24 février 90
157. Geneviève à Mme Léon Halévy, 5 août (1890)
5 août
Ma chère petite tante,
Ce petit carton seulement pour cette fois car je suis encore abrutie par deux migraines terribles dont l’une en wagon en venant de Tours à Luchon. Je profite d’une éclaicie dans ma tête et d’un orage dans la rue pour remonter chez moi et t’embrasser bien tendrement avant le dernier courrier. Je sais par Émile que vous alliez toutes deux bien la semaine dernière et que vous êtes dans un très joli parc. Mais donnez-moi des nouvelles plus fraîches l’une ou l’autre en quatre lignes. Moi je vous écrirai une plus longue lettre quand j’aurai quelque chose à vous raconter. Pour le moment, je ne suis occupée qu’à ne rien faire pour essayer de me reposer sans y parvenir. Une douche, une visite d’Othenin d’Haussonville, une autre de Rémusat, voilà toute ma journée comme ce fut tout mon hier, comme ce sera probablement tout mon demain, car je ne commencerai à me rendre malade en me promenant que lorsque je me serai guérie en restant tranquille.
Je vous envoie pour tous toutes mes tendres tendresses.
Geneviève
Je félicite Daniel.
158. Ludovic à Geneviève, 18 août 1890w
Villa Blanche
Montgeron
S & O
Chère amie, ici calme parfait et bonne santé de tous. Nous sommes très agréablement installés. Nous redoutions un peu ce parc en commun, mais nous n’y rencontrons jamais personne que nous. J’ai reçu les jounaux, et tu as dû voir une distribution de la Jolie fille de Perth annoncée comme devant être jouée prochainement à l’Éden Théâtre. C’est la première nouvelle que j’en recevais. Je vais demain à Paris et verrai les Choudens qui ont évidemment autorisé. Je n’ai pas grande confiance en cette entreprise d’un théâtre lyrique à l’Éden. Il faudrait un million pour une telle affaire et l’on dit que ce Bertrand (c’est le directeur) n’a qu’une centaine de mille francs prêtés par l’auteur des Vénitiens. Tu sais qui c’est.
Tendresses de nous tous pour toi et autour de toi. Écris-nous.
Tout à toi
Ludovic Halévy
Lundi 18 août
159. Geneviève à Mme Léon Halévy (27 août 1890)
Luchon 58 avenue d’Étigny
Ma chère petite tante,
Me voilà en personne. Je peux te dire que je suis guérie et que je n’ai même jamais été bien malade. Donc, il ne faut pas t’inquiéter. Émile ne t’a rien caché et tu reverras mon nez tout entier. Je suis encore fatiguée, mais je l’étais avant mon saut périlleux et je ne pouvais vraiment pas espérer qu’il me guérirait. Je ne suis donc plus très intéressante et je n’ai plus à m’occuper que de vous. Je suis fâchée de savoir que Valentine a encore souffert de sa cicatrice. Elle aurait bien besoin de pouvoir jouir en repos de sa guérison. C’est ennuyeux de se sentir malade même quand on est bien portant et c’est fort injuste car il n’arrive jamais que l’on se sente bien portant quand on est malade. Pouvez-vous au moins profiter du plein air et avez-vous un temps possible ? Ici il a neigé avant-hier et j’ai sorti mes fourrures, mais aujourd’hui, il re-fait beau. Je pense qu’après mon accident de voiture je n’ai plus aucune chance d’obtenir jamais la confiance de Mélanie si je lui offre mes services de cocher. Veux-tu lui dire, quand tu la verras (si elle se décide jamais à prendre le chemin de fer de Lyon), que j’ai cherché partout des bonbons pour lui en envoyer ainsi qu’à vous et que je n’ai rien, rien trouvé dans Luchon.
Me croyais-tu de force à recevoir Meilhac sur le dos sans m’en apercevoir ? c’est pourtant ce qui est arrivé, et je n’en garde aucune trace. J’en conserve un certain respect pour moi-même et je me demande si je ne pourrais pas débuter au cirque comme « femme canon ».
Je vous embrasse toutes bien tendrement. J’ai vu le petit mot de Ludovic et je lui écrirai prochainement.
À vous tous.
Geneviève
160. Ludovic à Geneviève <août 1890 >x
Chère amie, eh bien ! tu as eu ton accident de voiture, sans gravité grâces au ciel. J’ai passé par là deux fois. Il y a une minute bien désagréable, mais qui est bien logique. C’est le moment où l’on se repense dans la voiture et où l’on se demande en combien de morceaux on se retrouvera après la culbute. Tu t’es retrouvée en un seul morceau et pas trop abîmée, c’est l’essentiel.
Émile me parle de La Jolie Fille de Perth. J’ai vu Choudens. Il a autorisé. Il autorise toujours d’ailleurs, et un peu trop facilement. Souviens-toi des Pêcheurs de perles. Ce n’est ni toi ni moi qui avons fait cette sottise. Cette fois il estime que l’exécution sera bonne et il m’a montré une distribution très convenable : Angel Pinardon et une femme que je sais distinguée. Soigne-toi. Guéris tes petites balafres et que cet été finisse pour vous et pour moi sans catastrophe plus sérieuse. Amitiés à Meilhac.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Dimanche
161. Geneviève à Mme Léon Halévy (19 septembre 1890)
Vendredi
Luchon
Ma chère petite tante,
Je suis bien heureuse de vous savoir en bon état et de penser que le mauvais moment des vacances est fini pour toi. Nous ne sommes pas encore sortis des mauvais pas et nous avons eu vraiment peu de chance cette année. Après ma chute j’ai eu un gros rhume qui dure encore et puis l’autre jour je me suis piquée et j’ai eu un commencement de panaris qui, heureusement, a avorté. Mais attends un peu, ce n’est pas tout ; Émile a mal aux deux pieds. Depuis plus de huit jours il peut à peine marcher, ce qui le désespère car il adore arpenter Luchon et ses environs. Il ne se console qu’à cheval ce qui ne lui est guère bon non plus, mais... il est impossible de le faire rester étendu, ce qui serait mieux. Hier nous avons été faire une petite promenade impayable. Il était en pantoufles dans ses étriers, et moi j’avais le doigt tout emmailloté. Delaunay, qui était avec nous, trottinait péniblement en médecin de campagne qui va faire un accouchement dans un hameau et qui essaie de se presser. On nous aurait donné deux sous je n’en aurais pas été très surprise.
Je pense que si le temps le permet nous resterons ici encore six ou sept jours, car je prends quelques douches qui me « retapent » un peu. Après, nous nous arrêterons un jour ou deux chez M. de Rémusat et nous reviendrons vers le 1er ou le 2. Vous aussi je pense ? Je t’ai acheté un châle des Pyrénées et aussi un pour Valentine. C’est extrêmement chaud et commode pour les corridors et escaliers.
Je t’envoie une petite photographie, fruit de mon désœuvrement. Pendant mes nombreuses maladies, ma seule distraction était d’aller poser chez Maurice Blanc qui a un petit jardin au soleil et parfait pour les convalescents. Sur les dix-sept ou dix-huit prises, il y en a deux ou trois de gentilles. Je te rapporterai aussi Émile, Jacques... et Vivettey.
Dis à Ludovic qu’il me donne encore de vos nouvelles et qu’il me parle de son voyage.
Je vous embrasse tous bien tendrement. Je suis bien contente que le retour approche.
Geneviève
Je t’avertis que j’ai encore le bout du nez rouge.
162. Ludovic à Geneviève, 23 septembre 1890
Montgeron
23 septembre 1890
Chère amie
J’ai reçu la lettre de Jacques pour M. Darluz. Je verrai aujourd’hui M. Girard et je pense pouvoir arranger l’affaire. Je dis « je pense » car tous les élèves de rhétorique veulent aller chez M. Darlu. Ici, parfaite santé. Nous avons un temps, et quel temps depuis deux jours ! Un déluge, un perpétuel déluge. Si nous avions eu cette inondation en Allemagne, que serions-nous devenus ? Nous avons eu la chance d’un temps merveilleux. Pas une goutte d’eau et du soleil toujours, et pas trop de soleil pendant notre promenade d’Heidelberg à Cologne. Le plus beau pays du monde. Heidelberg et Coblentz, deux merveilles. D’excellents hôtels. Des Allemands, beaucoup, c’est vrai, mais encore plus d’Anglais, de Français.
On va jouer la Juive dans une quinzaine de jours à l’Opéra pour les débuts d’un premier prix du Conservatoire, Melle Bréval. Fort belle personne et assez belle voix. On a joué deux soirs Carmen et Carmen fait les deux plus fortes recettes du mois. Troisième représentation vendredi. De l’Éden, je ne sais rien. On n’ouvrira, d’ailleurs, que vers la fin d’octobre. Je pense que les Choudens auraient mieux fait de ne pas donner l’autorisation, mais ils ne savent pas ne pas autoriser. Tu te souviens de ce qu’ils ont fait pour Les Pêcheurs de perles avec cet affreux chanteur italien. Ils prétendaient que Les Pêcheurs seraient très bien chantés. Dès qu’on répétera sérieusement j’irai à l’Eden. On n’en est qu’à l’étude des chœurs et à des ensembles de musique.
Amitiés à Straus. Monte-t-il toujours à cheval en pantoufles ? Fais-moi savoir le jour exact de ton retour pour que je puisse aller tout de suite te faire une petite visite. Je ne serai pas fâché de vous revoir. Que c’est bête l’été, surtout quand il pleut.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
163. Ludovic à Geneviève < septembre 1890 >
Montgeron
Chère amie, nous sommes encore ici pour quarante-huit heures – pas en très bon état – car Maman a été souffrante depuis huit jours – et je suis, moi, mis à la torture par un rhumatisme qui, très léger hier, est devenu tout à fait douloureux aujourd’hui. J’espère bien cependant que nous pourrons tous rentrer lundi à Paris et j’irai vous voir très probablement entre une heure et deux. Je n’ai pu rencontrer M. Girard au lycée, mais je lui ai écrit une lettre très pressante pour Jacques et Daniel (classe de M. Darlu). Comme il ne m’a pas répondu, j’en conclus que la chose est faite.
Mille et mille tendresses de nous tous.
Ludovic Halévy
164. Ludovic à Geneviève < octobre 1890 >aa
Chère amie,
On m’envoie la liste du Gaulois. Elle porte Charles Gounod, cinq cent francs.
Tout à toi.
Ludovic Halévy
Mardi soir
165. Ludovic à Geneviève < avril 1891 >bb
Chère amie
Donne-moi de tes nouvelles en deux lignes – et qu’elles soient bonnes. Nous avons ici un temps admirable depuis trois ou quatre jours. Hier c’était l’été. Je vais décidément mieux et j’ai pu me promener un peu à pied sur les boulevards déjà encombrés d’Anglais, d’Allemands et d’Américains, d’Américains surtout. Depuis une quinzaine de jours on a dû doubler le service des paquebots au départ de New-York. Les grands hôtels de Paris sont combles. L’encombrement de la rue de la Paix, hier, vers quatre heures, était fantastique. L’été dernier avait été admirable pour nos industries de luxe qui s’attendent à une année meilleure encore... à moins que la grève générale ne vienne le 1er mai faire de Paris une ville morte et peut-être même avant le 1er mai. On annonce pour le 17 une grève des imprimeurs. Plus de journaux ! Que deviendra Paris sans le Matin ?
Amitiés à Émile et tout à toi.
Ludovic Halévy
166. Geneviève à Mme Léon Halévy < août > (1891)
Villa Duc Évian – Hte-Savoie
Mardi
Ma chère petite tante,
J’ai enfin dix minutes pour t’embrasser et je le fais avec le plaisir que tu devines. Jusqu’ici, j’ai été absorbée par mon installation. J’ai entrepris de transformer ma maisonnette, très gentille, mais habillée en dame de province, et nous avons tous passé quatre jours sur des échelles. Le résultat est admirable, et toutes les pièces sont maintenant tendues de toiles de Gênes et d’Andrinople. Du reste, la petite villa est charmante, couverte de roses grimpantes et de clématite violette. Le jardin de curé est amusant, et la vue sur le lac est tout à fait jolie. Depuis samedi nous avons du beau temps et nous en profitons pour naviguer toute la journée. Cependant, ce matin, je me suis juré de ne pas quitter ma chambre avant d’avoir demandé de vos nouvelles. Donne m’en bien vite je t’en prie, ou charge l’un des tiens de me mettre au courant de vos santés et de votre vie de campagne.
Émile est enchanté de son traitement. Il boit avec confiance de nombreux verres d’eau pure. Jacques a loué le plus joli canot du lac et m’entraîne à « son bord » par des temps de mal de cœur. Quant à Meilhac, il a fait venir de Montreux un petit bateau à pétrole qui rivalise avec les vapeurs et il parle de faire broder des ancres sur toutes ses flanelles. Il y a beaucoup de monde ici, mais fort heureusement pas trop de connaissances. Les Poirson, les Taigny, la princesse Brancovan, la baronne Adolphe de Rothschild, Maupassant dans le voisinage, et Arthur Meyer lui-même pour la semaine, voilà toute l’affaire. Madame Poirson a malheureusement adouci ses toilettes ce qui nous prive d’une grande distraction. À ton tour maintenant de me parler de tes voisins. Es-tu liée avec Popelin ? Parle-moi de Cavé. Comment va-t-il ? Et Thérèse ? A-t-elle enfin obtenu son permis de visites ? J’ai eu grand plaisir à la revoir. Mélanie a-t-elle osé se risquer dans ce pays nouveau ? Je lui ai envoyé, comme à toi des chocolats. J’espère que vous l’avez reçu. Dis-moi quand tu n’en auras plus.
On m’écrit de Dieppe que Jacques Blanche maigrit et allonge de plus en plus. Il devient héros de Musset. Il fait le portrait de Jeanne [sic] Hadingcc et il paraît que les séances, fort troublantes pour le fils, sont pleines d’espérance pour la mère.
Maintenant je vous embrasse tous. Il faut que cette lettre serve aussi pour Ludovic car je n’ai plus rien à dire et je suis trop paresseuse pour écrire deux fois. Qu’il me réponde donc.
Je t’envoie, ma chère petite tante, nos meilleures tendresses pour vous deux, pour vous quatre, pour vous six.
Geneviève
167. Geneviève à Mme Léon Halévy (1891) < début septembre >dd
Jeudi
Villa Duc Évian
Ma bonne petite tante chérie,
Je veux vous embrasser tous bien tendrement et pourtant un peu brièvement car j’ai encore un peu mal au doigt. Ma piqûre de guêpe s’est envenimée et il a fallu un tas de soins ennuyeux pour éviter un panaris. Enfin, on a pu donner un coup de bistouri qui m’a soulagée. Donnez-moi les uns ou les autres de vos nouvelles. Avez-vous enfin beau temps, et Ludovic est-il plus content de sa santé ?
Nous sommes maintenant à peu près seuls. Meilhac est parti. Étienne aussi. Il est resté seulement cinq ou six jours et Maupassant nous a fait de Divonne une petite visite de deux jours. Grosclaudeee seul nous reste... et Paul Desjardins vient d’arriver, mais pour la journée seulement. Mme Caro et Mme Dubois sont chez la princesse Brancovan tout à côté. Les Poirson sont partis pour préparer la noce de la petite. Il re-fait chaud et beau, et je pense que nous resterons ici au moins jusqu’au 15. Plus s’il fait très chaud. Ensuite nous reviendrons tout doucement en faisant un petit tour. Et puis il y en aura pour dix mois de tranquillité, ce qui ne sera pas malheureux. Il n’y a rien de plus fatigant que cette saison de repos. C’est seulement quand je veux mener la vie saine du plein air que je m’aperçois que je n’ai pas une santé vigoureuse.
Émile me charge de t’embrasser, et tu penses si je fais la commission avec plaisir. Partagez-vous tous six les tendresses de tous trois. Et puis écrivez-nous.
Geneviève
Cavé ?... Thérèse ?... Mélanie ?... Dites-leur mille choses affectueuses.
168. Geneviève à Mme Léon Halévy (septembre 1891)
Évian
Samedi
Ma chère petite tante,
Voilà bien longtemps que je ne vous ai vus tous et bien longtemps aussi que j’ai envie de vous voir. Cela ne va pas tarder j’espère, car je pense que vous allez rentrer à Paris si vous n’y êtes déjà. J’y arriverai, moi, à la fin du mois au plus tard.
J’ai eu, comme tu le penses, beaucoup de chagrin de la mort de mon pauvre Delaunayff. C’était un ami de tous les temps pour moi, sûr, excellent... et charmant. Encore un morceau du passé qui s’en va !
Jacques est retourné à Paris avant-hier pour piocher son baccalauréat. Nous avions l’intention de quitter Évian en même temps que lui pour aller chercher la chaleur à Aix, mais il se trouve que la chaleur augmente ici au lieu de diminuer comme à son habitude. Il est donc plus simple de rester où nous sommes, puisque nous le pouvons. Il n’y a plus grand monde. Nous n’avons plus que le voisinage Brancovan, Caro (Mme !). Grosclaude est soi-disant encore chez nous, mais il est parti pour une excursion sur la montagne depuis plus de huit jours et j’espère qu’il n’est pas englouti sous une avalanche. Lippmanngg est venu hier dîner de Genève et nous a dit que Mme Dumashh était tout à fait guérie. Elle a retrouvé la raison et presque la santé. « Je n’ose pas en parler à M. Dumas, a-t-il ajouté, parce que ça le fâche. »
Si Ludovic ou Valentine veulent bien être assez gentils pour me donner encore une fois de vos nouvelles, qu’ils m’écrivent ici jusqu’à vendredi prochain en tous cas.
Je vous embrasse tous bien tendrement et je suis bien contente à la pensée de vous revoir.
Geneviève
169. Ludovic à Geneviève < septembre 1891 >ii
Chère amie
Et moi aussi j’ai bien des réponses en retard... pas vingt-huit, cependant... mais beaucoup beaucoup... Je suis d’une affreuse lâcheté pour écrire, et je reste, comme un idiot, la plume en l’air, sans trouver rien à mettre sur la feuille de papier placée devant moi. Il y a bien la ressource éternelle de parler de la pluie et du beau temps, mais on ne peut parler cette année que de la pluie et du vilain temps. Nous avons eu quatre ou cinq jours passables depuis un mois. Hier ce n’était pas trop laid, mais ce matin, le vent fait une affreuse musique dans les grands arbres qui entourent notre grande maison... et le vent, cet été, n’abat pas la pluie, comme à l’ordinaire ; il l’annonce et l’amène. Le baromètre est aujourd’hui dégoûtant à regarder. Tout le monde, ici, va bien, moi excepté. Je vais finir par dire que je suis malade, mais voilà bientôt un an que je n’ai pas eu huit jours de vraiment bonne santé. C’est maintenant l’eczéma qui me tourmente, et avec toutes sortes de petits raffinements de cruauté.
Non, nous ne sommes pas encore allés à Saint-Gratien. Je ne peux pas, toujours pour cause d’eczéma, supporter de longues courses en voiture.
Dis à Meilhac, s’il est toujours à Évian, que j’ai vu Bertrand il y a trois ou quatre jours. Il est toujours directeur de l’Opéra mais il reste directeur des Variétés, et il s’occupe de la création d’un théâtre lyrique de l’Eden. C’est décidément un personnage extraordinaire. Il parle de tout cela avec une telle tranquillité... Rien ne l’inquiète, rien ne l’agite. Tout est facile. Tout ira bien. Il avait pensé à rouvrir avec La Vie Parisiennejj mais j’avoue qu’il n’y avait que Baron et Dupuis pour jouer la pièce. Alors on va reprendre Le Fandangokk [illisible] et répéter La Cigalell à partir du 28. Seulement il songe à faire jouer trois des rôles de La Cigale par des comédiens nommés Dupleix, Chalenin et Boiton. Cela ne me paraît pas très brillant. Et puis il est parfait.
Thérèse va bien, mais je ne vois pas du tout ce qui va se passer pour elle, si elle retourne à Ramleh ou si elle est envoyée ailleurs.
J’ai touché pour toi ce mois-ci la somme de 845 francs.
Cavé est un peu mieux. Il sort, va et vient, mais ne sait trop où aller passer l’hiver. Il ne pense pas rester à Paris. Melle et Melle t’embrasse [sic] pour nous trois.
Ludovic Halévy
170. Ludovic à Geneviève < septembre 1891 >
Chère amie,
Il est convenu que nous irons lundi à cinq heures au couvent. Thérèse sera très heureuse de te voir.
Tout à toi.
Ludo Halévy
171. Geneviève à Mme Léon Halévy 22 janvier 1892
Vendredi
Ma chère petite tante,
Je suis à peu près guérie et je comptais en profiter pour aller te voir aujourd’hui, mais il paraît qu’il fait trop froid et l’on me défend encore de sortir. Donc je t’embrasse de loin. Imite ma prudence et ne sors pas non plus. Je viendrai – j’espère bien – te voir dimanche. Je vous embrasse toutes deux.
Geneviève
172. Geneviève à Mme Léon Halévy 10 mars 1892
Ma bonne petite tante chérie,
Je suis heureuse de savoir que la nuit a été meilleure. D’ailleurs, je suis bien rassurée par tout ce qu’Émile m’a répété de sa conversation avec Meyer. Moi je vais mieux, mais je ne sortirai pas encore de la journée. J’ai eu vraiment hier une migraine épouvantable et j’ai besoin d’un jour de repos. Émile ne croit pas pouvoir aller aujourd’hui rue de Douai, tu seras donc bien bonne de m’envoyer des nouvelles ce soir.
Je t’embrasse bien bien tendrement, ma chère petite tante.
Geneviève
Aurez-vous une religieuse samedi ?
173. Ludovic à Geneviève < 22 avril 1892 >mm
Chère amie,
Voici la loge du Français pour demain, je crois ; demain, samedi. J’ai été très souffrant hier et n’ai pu voir Émile. Je suis mieux ce matin, après une nuit tranquille.
T.àt. [sic] – Ludo
C’est Tarquini d’Or qui chante Carmen jeudi. Mme Arnoldson ne sera prête que dans une dizaine de jours.
Tout à toi.
Ludo
174. Geneviève à Mme Léon Halévy (juillet 1892)
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Mardi
Ma chère petite tante,
J’ai su par Ludovic que tu étais un peu souffrante le jour de mon départ et je voudrais bien avoir de tes nouvelles. Que celui ou celle de vous qui en aura le courage m’en donne vite. Ceci n’est pas une lettre mais un paquet de tendresses que je vous envoie. Je suis toujours sous le charme de cette maison et de ce pays. Jusqu’à présent, pas de désillusion... mais cela peut venir. Il fait très beau et nous allons bien. Je ne suis pas encore complètement installée, mais cela avance. Je t’écris de ma chambre qui est blanche et mauve avec cinq grandes fenêtres qui donnent sur la mer et sur la campagne, et toutes garnies de géraniums roses. C’est une jolie lanterne. Comment se porte Élie ? Peut-il travailler sans fatigue ? Je vous embrasse tous et toutes et je voudrais un petit mot.
À toi de tout mon cœur, ma bonne petite chère tante.
Geneviève
175. Émile Straus à Mme Léon Halévy (5 août 1892)
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Vendredi
Chère Madame Halévy,
Je ne savais pas, lorsque j’ai eu le plaisir de dîner avec vous vendredi dernier, que Geneviève était assez souffrante. Je suis arrivé ici samedi et l’ai trouvée avec des lunettes bleues et condamnée à la presque obscurité par le médecin de Trouville. Elle avait eu de très violentes douleurs aux yeux. On a pensé à lui mettre de l’atropine et la dilatation a permis de voir une irrégularité dans la pupille. Elle avait une adhérence et une inflammation de l’iris. Si on ne lui avait pas donné immédiatement les soins les plus énergiques, elle aurait eu un iritis, ce qui aurait été pousser un peu loin l’esprit de famillenn. Le médecin lui permet de sortir ; mais lui défend toute espèce de lecture ou d’écriture. Elle était fort préoccupée de savoir comment vous alliez interpréter son silence. Reparti pour Paris et revenu définitivement hier j’ai tenu à vous dire que ni l’un ni l’autre nous ne vous oublions. Dès que Geneviève pourra écrire, c’est à vous qu’elle adressera sa première lettre. En attendant procurez-moi la joie de lui lire une lettre de vous. Vous nous direz comment vous allez tous, comment vous êtes installés et comment Élie supporte ses épreuves d’agrégation. Je vous embrasse tendrement.
Émile Straus
Quand Ludovic vient-il nous voir ?
176. Geneviève à Mme Léon Halévy (9 août 1892)
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Ma chère petite tante,
Je veux te dire moi-même que je vais presque tout à fait bien, et que c’est seulement par prudence que je n’écris pas encore. Donc je ne puis que vous embrasser tous. Il paraît que si je n’avais pas tout de suite été bien soignée j’aurais été prise comme Valentine. Je suis bien contente de vous savoir enfin sorties de la rue de Douai. Nous avons eu jusqu’à ce jour un temps superbe et nous nous promenons beaucoup. Le pays est ravissant. Un mot de l’un de vous s’il vous plaît, et mille tendres tendresses en hâte car je descends à Trouville pour prendre ma douche.
Geneviève
177. Ludovic à Geneviève < août 1892 >oo
Chère amie,
Comment vas-tu ? Tout à fait bien j’espère et absolument guérie. Ainsi tu avais des lunettes, de vraies lunettes, des lunettes bleues... Jacques, je pense, nous apportera tes photographies avec lunettes. Ici, parfaite santé de tous et toutes. Nous avons une très agréable et confortable maison, un temps délicieux depuis que nous y sommes installés. Élie a enfin passé ce matin sa cinquième et dernière épreuve orale. Il saura demain son rang d’admission – l’admission n’est pas douteuse – et ce rang sera fort honorable si les bruits de la Sorbonne sont exacts. Nous comptons partir dans les derniers jours d’août ou premiers de septembre. J’ai peur maintenant de la foule et du chic de Biarritz. N’es-tu pas allée à St-Jean-de-Luz ? Y a-t-il là un bon hôtel ? Renseignements à cet égard, s’il te plaît. Je suis un peu patraque depuis quelques jours, rien du tout, une petite reprise d’eczéma. Cela m’empêchera très probablement d’aller, comme je le désirerais, vous faire une petite visite à Trouville, car je connais ces petits accès, et c’est l’affaire d’une huitaine ou dizaine de jours.
Amitiés à Émile, à Meilhac. Mille tendresses.
Ludovic Halévy
178. Ludovic à Geneviève < août 1892 >
Chère amie,
Élie a été reçu le second, ce qui est admirable... et cependant, il faut bien le dire, nous espérions depuis quelques jours qu’il serait reçu le premier. On croit, à la Sorbonne, qu’il était le premier à l’écrit. C’est un grand succès, et assez rare pour l’Ecole Normale qui a les trois premiers. Les Sorbonniens ne viennent qu’ensuite.
Je suis toujours patraque, toujours me déplaçant assez difficilement, toujours craignant de ne pouvoir aller à Trouville.
Dis le rang d’Élie à Meilhac. Je lui ai écrit hier. Demande-lui de me renvoyer la lettre de Samuel avec ses observations sur la réponse à faire à la lettre de Samuel. J’ai examiné bien en détail la nouvelle gare Saint-Lazare et je crois qu’il est inutile de faire un nouveau décor. Rien ne vaudra la petite rotonde de l’ancienne gare. Tu ne comprends pas, mais Meilhac comprendrapp.
Tout à vous, tout à toi
Ludovic Halévy
Dimanche matin
PS : N’oublie pas mes renseignements sur St-Jean-de-Luz.
179. Geneviève à Mme Léon Halévy (9 août 1892) < fin août 1892 >qq
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Ma chère petit tante,
Je vais mieux et j’en profite pour t’embrasser. Donne-moi de toutes vos nouvelles. Ludovic est-il parti ? Allez-vous tous bien ? Avez-vous beau temps ? ou enfin n’êtes-vous pas mécontents ce qui est déjà quelque chose ! Nous aimons toujours beaucoup ce pays. Nos hôtes du mois d’août commencent à nous quitter. Louis Ganderax et Hervieu sont partis hier, Meilhac s’en va demain et Bischoffsheim aujourd’hui après avoir perdu environ 150 000 points au bésigue. Nous attendons Étienne la semaine prochaine... et voilà. J’ai écrit à Mélanie, mais je suis sans réponse d’elle. Il est probable qu’elle ne sait plus du tout qui est cette Geneviève qui lui demande de ses nouvelles.
Je vous embrasse tous et je suis contente de penser que je vous reverrai maintenant dans un tout petit mois.
À nous, à toi, ma bonne petite tante, et de tout mon cœur.
Geneviève
180. Geneviève à Mme Léon Halévy (4 septembre 1892)
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Dimanche
Ma chère petite tante,
Puisque je vais mieux je vais prendre un grand papier et t’embrasser pendant la tempête. Depuis hier tout est déchaîné ici. La pluie nous mouille, le vent nous secoue, et le froid même commence à montrer le bout de son vilain nez. Cependant le baromètre qui remonte et aussi un petit coin bleu qui se glisse entre les nuages nous rendent un peu d’espoir pour ce soir ou demain.
Je pense que vous devez en effet trouver la maison bien vide. Avez-vous au moins retrouvé Cavé dont le voisinage entraînera sans doute celui de l’impérieuse passionnéerr ? Je n’ai pas encore de nouvelles de vos voyageurs. Donnez-m’en.
Je t’ai fait envoyer hier une boîte de « sablés », spécialité du pays... et de la rue Lafayette. Si vous les aimez je t’en enverrai d’autres.
Nous attendons Étienne demain. Louis est parti la semaine dernière. Mon Dieu qu’il était triste, et qu’il me fait de la peine ! Je crains toujours que ce découragement ne vienne de sa santé, bien qu’il ne se plaigne pas de ce côté. Les Ludovic vous ont-ils déjà donné leur impression sur St-Jean-de-Luz ? Y restent-ils ou vont-ils voyager en Espagne ? Ils reviendront, je suppose, avant la fin du mois... et malgré tout ce sera bien vite arrivé. Que l’on s’ennuie, que l’on s’amuse, en somme le temps file, file, file ! Il me semble que l’été commence et voilà l’hiver à la porte. Toutes ces belles réflexions ne m’empêchent pas de penser que je voudrais bien vous voir. Écrivez l’une ou l’autre un tout petit mot si vous manquez de courage pour un grand. Je vous embrasse toutes deux très tendrement.
Geneviève
Émile et Jacques vous envoient mille tendresses.
181. Geneviève à Mme Léon Halévy (9 septembre 1892)
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Ma chère petite tante,
Je suis très fière d’avoir reçu tant « d’écriture » de toi. Ça, c’est une vraie preuve de tendresse et qui n’a pas manqué son effet.
Hier, je passais devant le marché au poisson. Une marchande m’a dit : « Ma chère amie, j’aurai probablement demain de jolies petites barbues et je suis sûre que vous allez m’en retenir une. » Je n’ai pas voulu tromper l’espoir d’une si aimable personne et je lui ai immédiatement donné ton adresse avec ordre de t’expédier la dite barbue dès que son bateau serait rentré. Elle a pris finalement la précaution de me prévenir que cette barbue serait peut-être un turbot, mais elle a promis d’expédier quelque chose de « fin ». Par le fait, le poisson est tellement bon ici que je pense que tu mangeras mon petit envoi avec plaisir.
J’ai téléphoné à Mélanie qui a paru satisfaite de cette petite conversation à distance. Elle m’a annoncé qu’elle ne savait plus écrire, mais que cela n’avait rien d’étonnant parce qu’elle était vieille. Je lui ai demandé si elle savait encore lire et elle a répondu offusquée : « Naturellement ! Être vieux n’empêche jamais de lire, mais toujours d’écrire. Tout le monde sait ça. » Je pense que les employés du téléphone ont dû trouver que ce n’était pas pour rien qu’elle demeurait dans la maison Blanche.
Je vous embrasse toutes deux le plus tendrement du monde.
Geneviève
Amitiés tendres aux voyageurs.
182. Geneviève à Mme Léon Halévy (septembre 1892)
manoir de la Cour Brûlée
Trouville – Calvados
Ne suppose pas, ma chère petite tante, que la barbue annoncée a voyagé huit jours et qu’elle a fini par se changer en deux soles par la force de la décomposition. Voici le mot de l’énigme. La marchande si aimable qui s’était chargée de l’envoi m’a fait dire tous les jours de la semaine que ce serait pour le lendemain, la pêche ne donnant pas, soit par cause de vent, soit de pluie, soit de soleil, que sais-je encore. Finalement je suis allée moi-même lui refaire une visite et comme les barbues et turbots continuaient à briller par leur absence, j’ai choisi les deux personnes que tu dois avoir maintenant aux environs de ton fourneau. Je pense qu’elles seront bonnes et je souhaite qu’elles vous soient légères.
Avez-vous toujours de bonnes nouvelles des voyageurs ? Étaient-ils sur le bateau de Loti au moment de l’incident presque de frontières ? Nous allons toujours bien, et le temps se soutient d’une façon très convenable. Étienne est toujours avec nous. Nous avons eu aussi la visite de M. d’Haussonville, mais courte et dans le genre de celles qu’aurait pu faire Ludovic. Il est arrivé le samedi à minuit et reparti le lundi à six heures du matin. Je pense que nous allons nous revoir dans quinze jours et j’en suis joliment heureuse.
Au revoir mes bonnes petites dames. Je vous embrasse comme je vous aime. Comment allez-vous ? Mille choses à Cavé.
Geneviève
Notes de bas de page
a La princesse Brancovan accueillait ses amis à la villa Bassaraba, à Amphion, au bord du lac Léman. Sa fille, Anna de Noailles, était une amie intime de Geneviève. En 1893, Marcel Proust séjournera aussi chez la princesse Brancovan qui lui inspirera le personnage de la marquise de Cambremer.
b Date du remariage de Geneviève.
c Il s’agit d’Émile Straus que Geneviève se décidait à épouser après onze ans de veuvage.
d Cf. lettres suivantes.
e Après l’incendie du 25 mai 1887, l’Opéra-Comique s’installa au théâtre des Nations du 15 octobre 1887 au 30 juin 1898. Au début de l’hiver suivant, le 7 décembre 1898, une nouvelle salle Favart (la troisième) put lui ouvrir ses portes.
f Othenin d’Haussonville, à la fois homme politique et écrivain, sera effectivement élu à l’Académie française le 26 janvier 1888.
g Cf. lettre 139.
h Paravey, directeur de l’Opéra-Comique de 1888 à 1890, avait succédé à Carvalho.
i Les Pêcheurs de perles, opéra en trois actes de Georges Bizet, écrit sur un livret de M. Carré et E. Carmon ; créé à Paris le 30 septembre 1863.
j Cette lettre fut probablement écrite du Bas-Fort-Blanc, villa appartenant à la famille du Dr Blanche, où Jacques-Emile Blanche recevait de nombreux amis français et anglais qui fréquentaient la côte normande.
k Né à Londres de parents français, John Lemoinne devint un journaliste influent au Journal des débats qu’il contribua à infléchir vers une politique plus libérale. Très ami de Ludovic et de sa famille, il les retrouvait souvent en villégiature à Dieppe. L’une de ses trois filles, Rose, épousera Jacques-Emile Blanche.
l Cf. lettre 140.
m Saint-James, quartier de Neuilly-sur-Seine, entre le bois de Boulogne et Bagatelle.
n Ludovic parle encore du Théâtre-Lyrique, place du Châtelet, mais cette salle était devenue le théâtre des Nations.
o M. Girard était le proviseur du lycée Condorcet.
p Date à laquelle fut repris Le Brésilien après le remariage de Geneviève.
q Caroline Breguet, belle-mère de Ludovic, devait décéder le 26 janvier 1889.
r Claretie fut élu à l’Académie française le 26 janvier 1888, mais sa réception eut lieu le 21 février 1889.
s Il ne s’agit pas d’équitation, mais des promenades à cheval accompagnées par des guides montés, traditionnelles dans les Pyrénées.
t L’économiste Léon Say qui fut ministre des Finances en 1875 et 1889.
u Marie-Alice Heine s’était remariée avec le prince Albert Ier de Monaco.
v Le Dr Moizard était le médecin de famille des Halévy.
w Pour y passer l’été 1890, Ludovic Halévy avait loué une maison à Montgeron, dans la banlieue parisienne.
x D’après la lettre n° 159.
y Geneviève a donné à plusieurs de ses caniches le nom de ce personnage de L’Arlésienne.
z Daniel et surtout Élie Halévy ont toujours gardé beaucoup d’estime et d’amitié pour leur professeur de philosophie du lycée Condorcet. Alphonse Darlu, passionné par sa profession, avait fait naître autour de lui des vocations de philosophes (Élie Halévy, Léon Brunschvicg, Xavier Léon, etc.). Daniel Halévy et Jacques Bizet étaient dans la classe de Darlu en 1890-1891.
aa Ludovic mentionne cette liste du Gaulois dans une lettre à Émile Straus datée du 28 octobre 1890 (BNF Man. M.F. 3819 f.6).
bb Avril et mai 1891, dates des grandes grèves.
cc Jane Hading était une comédienne de renom, une « courageuse artiste à qui il n’a pas suffi d’être incontestablement la plus belle, qui a voulu devenir l’une des plus grandes de ce temps – et qui l’est devenue » (Le Théâtre, novembre I, 1900, n° 45, p. 12).
dd Cf. la lettre n° 168.
ee Étienne Grosclaude, journaliste, auteur de fantaisies littéraires.
ff Peintre de talent, prix de Rome en 1856 et membre de l’institut, Élie Delaunay était très lié avec Geneviève dont il avait fait le célèbre Portrait de veuve.
gg Maurice Lippmann avait épousé Colette, seconde fille d’Alexandre Dumas et de la princesse Naryschkine.
hh La princesse Nadejda Naryschkine, qui avait épousé Alexandre Dumas fils après son veuvage en 1864. Elle devait décéder en 1895.
ii C’est en janvier 1890 que Thérèse, seconde fille de Prévôt-Paradol, et dont il est question dans cette lettre, fut nommée supérieure du monastère de Notre-Dame-de-Sion à Ramleh, en Égypte. Elle revint à Paris en août et septembre 1891. Cette lettre a dû être écrite juste avant que Geneviève ne revienne d’Évian, en septembre 1891, ce que confirmerait la date de la maladie de Cavé (1890-1891).
jj La Vie Parisienne, opéra bouffe, œuvre du fameux trio Offenbach-Meilhac-Halévy, avait été créée avec succès en 1864. Elle sera reprise le 12 septembre 1892.
kk Le Fandango fut représenté pour la première fois en 1877. Il s’agit d’un ballet-pantomime dont le livret fut écrit par Ludovic en collaboration avec Meilhac, sur une musique de Salvayre. Le projet de reprise n’aboutira jamais.
ll La Cigale, également créée en 1877, était une comédie que Ludovic avait écrite avec Meilhac. L’œuvre sera reprise le 3 octobre 1891.
mm Tarquini d’Or chantait Carmen depuis le 3 octobre 1891 et c’est le 5 mai 1892 que Sigrid Arnoldson prit le rôle.
nn Valentine Halévy souffrait également d’un iritis à la même époque.
oo Élie Halévy fut reçu à l’agrégation de philosophie en août 1892.
pp L’allusion concerne le décor du premier acte de La Vie parisienne pour lequel Ludovic garda en effet « la petite rotonde de l’ancienne gare », comme en 1866 lors de la première, avant la modernisation de la gare Saint-Lazare.
qq D’après les dates du départ de Louis Ganderax précisées dans la lettre n° 179.
rr Mme Howland.
Notes de fin
1 Cf. annexe n° 10.
2 Journal des Concourt, op. cit., t. 2, p. 1028.
3 « La sacoche de Straus est-elle comme je la désirais ? » Cité par C. Bischoff, op. cit., p. 103.
4 Daniel Halévy, Note sur les salons de ma tante Geneviève, cf. annexe n° 10.
5 Gustave Schlumberger, cité par Rémy Stricker, op. cit., p. 165.
6 Cf. les actes de mariage en annexes 4 et 5.
7 M. Proust, Le Côté de Guermantes, Pléiade, p. 466.
8 Daniel Halévy, Tableaux de Paris, cf. annexe n° 12.
9 E. de Clermont-Tonnerre, Mémoires. Au temps des équipages, op. cit., p. 202.
10 Id., p. 197.
11 Daniel Halévy, Note sur les salons de ma tante Geneviève, cf. annexe n° 10.
12 M. Proust, À la recherche du temps perdu, op. cit., p. 207.
13 Id., p. 461.
14 M. Proust, Correspondance avec Mme Straus, op. cit., p. 57.
15 F. Gregh, cité par D. Halévy, in H. Loyrette, op. cit., p. 280.
16 R. de Montesquiou, Dédicace à Mme Straus pour Les Paroles diaprées, archives, B.N.F.
17 C. Bischoff, op. cit., p. 122.
18 Id., À la recherche du temps perdu, op. cit., p. 465.
19 M. Proust, Correspondance avec Mme Straus, op. cit., p. 311.
20 Maupassant, Notre cœur, Paris, Ollendorff, p. 7 et 8.
21 /d., p. 39 et 41.
22 Journal des Concourt, op. cit., p. 443.
23 Maupassant, Notre cœur, op. cit., p. 10 : « [...] qui occupait l’appartement au-dessus, lui servait de chaperon et de porte-respect. Vieux galantin, très élégant, spirituel, empressé près d’elle, il présidait les dîners du jeudi. »
24 Id., p. 16 : « Encore jeune, mais gros comme un bonhomme de baudruche, soufflant, soufflé, presque sans barbe, la tête ennuagée d’une vague chevelure de poils clairs et follets, commun, ennuyeux, il n’avait assurément pour la jeune femme qu’un mérite, désagréable aux autres mais essentiel à ses yeux, celui de l’aimer aveuglément, plus et mieux que tout le monde. On l’avait baptisé “le phoque”. »
25 Id., p. 18.
26 M. Proust, Correspondance avec Mme Straus, op. cit., p. 18.
27 Cf. annexe n° 10.
28 M. Proust, À la recherche du temps perdu, op. cit., p. 545.
29 D. Halévy, Note sur les salons de ma tante Geneviève, cf. annexe n° 10.
30 Journal de Daniel Halévy, 14 juin 1888, archives de J.-P. Halévy.
31 D. Halévy, Pays parisiens, 1929.
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