Alliance, parenté, structure génétique
p. 265-268
Texte intégral
1Le degré de parenté que l’on peut établir entre les différentes personnes qui forment un groupe ou une population constitue l’un des paramètres importants permettant de décrire la structure de ce groupe ou de cette population. Le degré de parenté résulte des différentes stratégies matrimoniales qui président au choix du conjoint. Ce choix est directement conditionné par des facteurs socio-économiques, culturels et démographiques qui décrivent les caractéristiques des partenaires possibles et délimitent leur nombre, définissant ainsi ce que l’on appelle « l’aire matrimoniale ». L’estimation du degré de parenté est donc une étape importante pour comprendre comment ces différents facteurs interviennent dans la structuration des populations.
2L’aire matrimoniale intéresse particulièrement les généticiens, car ils la considèrent comme une sorte d’isolat, c’est-à-dire comme un ensemble de personnes dont le degré de parenté détermine le degré de similarité ou de diversité des gènes qui le compose et qui détermine donc la structure génétique de la population et son évolution de génération en génération.
3Le coefficient de parenté génétique entre deux personnes a été défini par Malécot comme la probabilité pour qu’un allèle pris au hasard chez l’une d’elles en un locus soit identique par ascendance à un allèle pris au hasard au même locus chez l’autre personne. L’expression « identité par ascendance » signifie que cet allèle, présent chez deux personnes, dérive d’un ancêtre qui leur est commun. Une fois que l’on connaît le coefficient de parenté qui prévaut entre toutes les personnes qui constituent la population, on peut évaluer le coefficient de parenté moyen qui caractérisent, globalement, la population.
4La mesure du coefficient de parenté d’une population peut se faire directement, en dressant les généalogies de tous les individus qui la composent, à la recherche des ancêtres communs. Hélas, il s’agit d’une méthode bien imparfaite dans la mesure où les généalogies sont rarement accessibles dans leur totalité.
5Une autre méthode a été proposée en 1965 par Crow et Mange. Ces auteurs ont remarqué que le coefficient de parenté d’une population est égal au quart de la fréquence des mariages isonymes, c’est-à-dire des mariages contractés entre des partenaires qui portent le même patronyme. Comme le recueil d’une telle information est simple, facile et économique, la structure génétique d’importantes populations possédant un système patronymique, a pu être étudiée par cette méthode.
6Mais la facilité et la simplicité de cette méthode, qui se fonde sur la substitution d’une donnée biologique (le gène) par une donnée culturelle (le patronyme), ne doivent pas dispenser d’un contrôle rigoureux des conditions qui valident cette substitution. Or l’origine polyphylétique des patronymes, les changements de nom, l’adoption, l’illégitimité, la mobilité différentielle par sexe, peuvent invalider le modèle et donc entraîner des estimations incorrectes ou biaisées du coefficient de parenté. De multiples études ont donc été nécessaires pour évaluer l’efficacité de la méthode isonymique par rapport à la méthode directe des généalogies et pour élaborer de nouvelles méthodologies.
7Les huit textes de cette partie offrent un tableau très hétérogène de ce type d’études : les échantillons sont de dimensions variables ; leurs provenances et leurs caractéristiques géographiques sont très différentes ; la subdivision des données s’effectue selon des critères temporels ou spatiaux variés. Cependant, on peut dans ces études distinguer deux approches.
8La première comprend les études menées, à un niveau local, sur de petites populations, enclavées dans des populations plus larges, et délimitées à partir de critères différents : orographiques, comme les quatre communes du Haut-Jura (Vernay et al.), les dix paroisses de montagne en Haute-Provence (Collomp), les quatre populations alpines du Dauphiné (Boëtsch et Prost), les huit villages de la vallée d’Azgour au Maroc (Baali et al.), politico-administratifs comme la population de la République de Saint-Marin (Pettener et al.), ou culturels comme les minorités ethniques albanaises, croates et grecques en Italie du Sud (Biondi et Vienna). Dans ces études, les petites dimensions facilitent la récolte des patronymes aussi bien que la comparaison de la mesure de l’isonymie avec bien d’autres mesures d’isolement, alors que la reconstruction des généalogies peut se révéler incomplète.
9La seconde porte sur une population entière, subdivisée en grandes entités régionales, avec une histoire reconstruite sur plusieurs siècles. L’étude québécoise (Gagnon, Tremblay et al.) en est une parfaite illustration, même si, comme le soulignent ces auteurs, il s’agit d’une situation unique qui n’est pas reproductible dans la plupart des populations. En revanche, elle permet de confronter, d’une manière exhaustive, la méthode généalogique et la méthode patronymique.
10Dans toutes ces études, le but des auteurs n’est pas simplement la mesure du degré de parenté ou de consanguinité par l’une des méthodes isonymiques, qu’il s’agisse de la méthode probabiliste de Crow et Mange, qui suppose la transmission verticale du patronyme à partir d’un ancêtre commun, ou de la méthode historico-anthropologique qui suppose quant à une reconstitution généalogique horizontale et verticale des alliances et des filiations (Collomp). Leur objet est également de proposer une évaluation critique de la validité et de l’efficacité des méthodes fondées sur les patronymes.
11La distinction entre études sur petites populations et sur grandes populations se répercute au niveau des méthodologies utilisées, des résultats et de leur interprétation. Dans les études sur les petites populations, les analyses sont ponctuelles et portent sur des patronymes individuels, sur la consanguinité récente, sur les stratégies matrimoniales. L’endogamie et la fréquence de paires patronymiques répétées y sont mesurées. Dans l’aire matrimoniale, le coefficient de parenté a pu être partagé entre une composante aléatoire, Fr, correspondant à la proportion de mariages qui sont isonymes du seul fait du hasard, et une composante non aléatoire, Fn, correspondant essentiellement à la proportion de mariages isonymes parce que les conjoints ont une ascendance commune. De la même façon, le généticien Wright distinguait, dans la ressemblance entre allèles en un même locus, la partie due au changement des fréquences géniques au cours du temps et la partie due à l’écart d’un modèle où les mariages se feraient au hasard.
12L’intérêt majeur de ces études sur les petites populations tient à la possibilité de justifier les résultats obtenus par une connaissance précise de l’histoire socio-démographique et culturelle locale. En revanche, ces études locales permettent difficilement de comparer l’efficacité de la méthode patronymique avec celle de la méthode généalogique, dans la mesure où la méthode généalogique se fonde sur une profondeur historique limitée par rapport à celle que l’on peut obtenir par la méthode patronymique.
13Les études sur les grands échantillons ou sur les populations entières se prêtent davantage à des problématiques plus générales : l’histoire, la démographie, la culture, sont relatives à l’ensemble de la population et sont la somme de nombreuses histoires locales qui, désormais, ne sont plus distinguables, et la délimitation des aires matrimoniales n’est plus possible. Dans ce cas, la subdivision du coefficient de parenté en ses composants n’a plus de sens, comme le souligne Gagnon. Le cas heureux de la population du Québec, dont toute l’histoire démographique a été « photographiée » depuis le début et suivie jusqu’à nos jours, reste un modèle particulier dans lequel les méthodes patronymique et généalogique se comparent avec la méthode des « lignées » en s’appuyant sur le concept de « patronymique idéal », identique à un gène. Cette comparaison permet de résoudre quelques incertitudes quant à la signification à donner à l’isonymie et, en même temps, met en lumière d’autres sources d’erreur possibles.
14L’ensemble des travaux présentés dans cette partie conduit à une conclusion qui s’impose : la méthode de l’isonymie peut apporter sa contribution à l’étude de la structure génétique des populations à condition d’en connaître les limites, comme Collomp l’a bien mis en relief, et d’en contrôler l’applicabilité.
15On doit rappeler que l’interprétation génétique de l’isonymie est seulement relative comme rappelait Crow en 1983- Par conséquent, elle reste valable pour comparer les coefficients de parenté qui sont estimés en des temps différents chez une même population ou bien qui sont estimés dans les différentes subdivisions d’une même population à un moment donné. Ces prémisses étant posées, l’application de la méthode de l’isonymie devrait permettre de mesurer l’évolution du degré d’isolement d’une population dans le temps ou l’hétérogénéité génétique entre populations. De cette manière, on peut espérer pouvoir reconstruire des histoires génétiques différentes.
16Dans le cas du Québec, si l’isonymie calculée sur la population générale est une mesure fiable du niveau moyen de consanguinité, son changement au cours du temps représente aussi le changement dans la structure génétique de cette population (Gagnon). Lorsque la population est subdivisée en régions (de toute façon de grandes dimensions), l’hétérogénéité des estimations semble pouvoir s’expliquer par des différences dans les structures géographique, historique, socio-démographique et, donc, génétique de ces régions (Gagnon, Tremblay et al.).
17D’un autre côté, en Italie, Pettener et al. ont démontré que la frontière politico-administrative qui borne la République de Saint-Marin n’a pas déterminé un isolement reproductif. Aux frontières culturelles, ethniques et linguistiques des minorités albanaises, croates et grecques du Sud ne correspondent pas autant de frontières génétiques (Biondi et Vienna).
18Au contraire, dans les communes rurales en Haut-Jura (Vernay et al.), dans les populations alpines du Dauphiné (Boëtsch et Prost), dans les pays de montagne de la vallée d’Azgour (Baali et al.), les turbulences historiques, l’évolution socio-économique et l’accroissement des échanges ont modifié la dimension de l’aire matrimoniale, en laissant toutefois intact un noyau patronymique (et génétique) stable qui les caractérise et les diversifie. Dans ce cas, les patronymes continuent d’être la mémoire des gènes.
Auteur
CNR, Istituto di Genetica
Biochimica e Evoluzionistica
Pavia
ITALIE
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