Chapitre XVII. Un paysage de bocage. Masyam et le hameau de Kolang1
p. 485-527
Texte intégral
1En décembre 1922, après avoir quitté le Téraï et traversé les Curiya, le major William Brook Northey arrive sur l’une des crêtes de Masyam2 au sud de Tansen (district de Palpa). Il raconte3 :
Le point de vue était magnifique, embrassant la région de Palpa, berceau de la plupart des Magar, tribu à laquelle appartiennent nombre des soldats engagés dans nos régiments Gorkha. Mon appareil photo n’était malheureusement pas d’une qualité suffisante pour reproduire correctement le panorama qui s’offrait à moi, une scène rendue d’autant plus intéressante qu’aucun Européen n’avait pu en témoigner auparavant4.
2Relatant ce voyage dans un autre ouvrage, il insiste :
aucun Européen n’a foulé du pied la région de Palpa, sauf peut-être un éventuel missionnaire jésuite dans un lointain passé5.
3En effet, lorsque les majors Northey et Morris, officiers de recrutement pour les régiments gorkha au Népal, reçoivent l’autorisation de se rendre à Masyam, en décembre 1922 et 1932 pour le premier, en 1931 puis en décembre 1932 pour le second, ils découvrent des secteurs totalement inconnus, qui leur permettront, en y ajoutant quelques données récoltées dans l’est du pays, d’écrire les premiers ouvrages généraux, quelque peu documentés, sur le Népal6.
4Aux séjours des deux militaires nous devons une série de photos, archivées au département iconographique de la Royal Geographical Society à Londres, qui constituent l’un des rares témoignages des paysages de la région, mais aussi du Népal du début du siècle. Apportant des renseignements précieux sur l’histoire de l’utilisation des terres, elles ont motivé notre choix du ga.bi.sa. 7de Masyam pour une étude qui, à plusieurs titres, répondait aux objectifs de notre programme :
Ces photos nous ont permis d’apprécier l’évolution des forêts, des ravinements, des formes agraires et d’apporter des éléments concrets dans la discussion sur la dégradation de l’environnement.
Elles nous ont d’autant plus intéressés qu’elles concernent une région caractéristique aujourd’hui d’un paysage de bocage associé à des champs en pente, peu étudié jusqu’alors. Elles nous permettent d’étayer des hypothèses sur ce type de paysage, qui ne relevaient, jusqu’à présent, que d’enquêtes menées dans les villages auprès des personnes les plus âgées8.
Enfin, le ga.bi.sa. de Masyam offre la possibilité de mener une étude à l’échelle d’une unité administrative, composée de hameaux indépendants, mais aussi à celle d’un bassin-versant, organisé autour de la Bhaiskatta Khola et de ses affluents.
5Nos recherches, conduites dans des disciplines différentes9, autorisent d’ores et déjà la présentation de premiers résultats.
Un village de transit du Mahabharat dans la riche province de Palpa
6À l’aplomb des Annapuma, recoupant Mahabharat et basses montagnes et englobant les deux plus vastes bassins alluviaux (phāt) de la région, sur les rivières Kuru et Tinau, la province de Palpa a longtemps été une puissance majeure du Népal central (figure 59). Peuplée avant le xve siècle de Tibéto-Birmans, des Gurung et surtout des Magar qui y sont aujourd’hui encore majoritaires, elle fut, du xve jusqu’à la fondation de l’État népalais à la fin du xviiie, conquise et dirigée par des « roitelets » indo-népalais10. Elle appartenait alors à la confédération des caubisī, les vingt-quatre petits royaumes hindous du centre et de l’est du Népal. Au cours des siècles, de nombreuses mines y ont été exploitées, notamment des mines de cuivre pour la fabrication de monnaie et, depuis le xixe siècle, les soldats gorkha y sont recrutés en nombre.
7Leur centre de garnison se trouve à Tansen, actuel chef-lieu du district de Palpa (dont la taille est plus réduite que l’ancienne province éponyme), qui est aussi un important bourg commercial sur le circuit très fréquenté des échanges entre l’Inde et le nord du Népal. Jusqu’en 1968, les voyageurs en provenance de la plaine indienne ou népalaise y accédaient par le sentier pédestre, emprunté par Morris et Northey, qui traversait le bazar de Masyam, Hatiya, situé au sud-ouest de Tansen. Depuis, les échanges passent par la Siddhartha Rajmarga, route qui emprunte le fond de la vallée et relie Tansen à Butwal, dans le Téraï.
8Masyam, localisé sur les pentes du Mahabharat, reste connu et décrit par les villageois des districts voisins de Syangja, Kaski et Tanahun, comme « l’endroit d’où l’on voit de beaux paysages ». Une des étymologies proposées du mot « Masyam » renvoie à une image beaucoup plus négative du lieu : les voyageurs qui transportaient du sel depuis Butwal ou revenaient de l’étranger attrapaient la malaria en traversant le Téraï et de ce fait beaucoup mourraient en arrivant à Masyam, qui aurait alors été considéré comme un lieu de mort, masanghat. Pour cette raison on l’aurait appelé Masan, Maseng puis Masyang et enfin aujourd’hui Masyam. Une autre version fait dériver « Masyam » du mot masyang, une sorte de lentille, appelée aussi jhilange, qui y est cultivée en quantité11. Aujourd’hui l’un des ga.bi.sa. de Palpa, Masyam occupe le bassin-versant de la Bhaiskatta Khola sur une surface de 28 km2 ; les crêtes y dépassent 1 500 m et les fonds de vallée sont environ à 800 m d’altitude. Des neufs ward 12, ou hameaux, qui le constituent (figure 60) deux sont situés en rive gauche de la Bhaiskatta Khola (Kolang et Citis) et sept en rive droite (Hatiya le principal, Kut Danda, Arkhale, Maramkot, Bhaiskatta, Karangtung, Jantilung).
9Le peuplement et la sédentarisation dans ce secteur auraient été tardifs. Lors du règne de Mukunda Sen à Palpa, au xvie siècle, le hameau de Kolang n’aurait été qu’un jardin produisant des fleurs pour les cérémonies royales. En 1804, d’après le rapport d’un informateur népalais au service de l’armée anglaise, le chemin conduisant de Masyam à Tansen « traverse des forêts de sāl ; il n’y a aucun village sur le parcours, mais de nombreuses cabanes et poches cultivées et, partout, une eau excellente en abondance13 ». Quelques lignes plus loin, dans le même texte, il est question de « la nature montagneuse et boisée du district de Palpa ». Masyam n’aurait commencé à être massivement défriché et colonisé qu’au milieu du xixe siècle14.
10En 1997, la population totale de Masyam est de 5 392 habitants et la densité de 193 habitants au kilomètre carré. La densité est du même ordre dans l’ensemble du district de Palpa et dans les districts voisins de Gulmi et d’Argha Khanci – parmi les plus fortes du pays. Rapportée au kilomètre carré cultivé, elle dépasse le millier d’habitants. Les quelques enquêtes démographiques menées à Kolang laissent penser que la population a été multipliée environ par quatre entre le début du siècle et la période actuelle. Des groupes de maisons, dont les habitants sont le plus souvent du même lignage, constituent des quartiers (toi), dispersés sur les versants et répertoriés dans la toponymie (figure 61). Ces toi sont des sous-unités non administratives des ward. Les Magar sont présents dans tous les ward et constituent environ 65 % de la population totale du ga.bi.sa. Ils sont quasiment les seuls à peupler Maramkot et Jantilung, où le magar est encore parlé ; ils restent très largement majoritaires à Arkhale, Karangtung, Kolang et Citis où le magar n’est plus parlé depuis deux générations, mais sont moins nombreux à Hatiya, Kut Danda et Bhaiskatta où dominent des Indo-Népalais Bahun, Chetri, Kami, Sarki et Damaï. Le degré d’aisance ou de pauvreté des ward n’est pas sans rapport avec la composition de la population. Ainsi, le nombre de personnes par exploitation est de 7,4 en moyenne pour le ga.bi.sa. Mais il est de 10,12 et de 9,34 pour les ward de Maramkot et Jantilung au sud-est. Dans ces hameaux les enfants sont peu scolarisés, l’eau est rare et le mauvais état sanitaire de la population, ainsi que le délabrement de l’habitat contrastent vivement avec la situation de ward beaucoup plus florissants comme ceux à dominante indo-népalaise, où le nombre de personnes par exploitations n’est que de 5,4, ou encore de ward à majorité magar, mais beaucoup plus « népalisés » comme celui de Kolang.
11Les photos des majors Morris et Northey ont été prises d’Hatiya à la fin d’un séjour pluvieux15. Elles nous montrent les hameaux de Citis et Kolang – raison pour laquelle leur étude a été privilégiée dans le ga.bi.sa. de Masyam –, l’éperon de Sundanda dans le ga.bi.sa. de Thelga et, à l’est de la rivière Hulandi Khola, la colline aux croupes très nettement arrondies du village de Dumre. Au nord-est se découpent les sommets boisés de Bharkesh et de Chaurthok. Lorsqu’on 1961 Morris passe à nouveau par Masyam, il constate : « C’était exactement l’endroit où j’avais campé une trentaine d’années auparavant et il semblait n’avoir changé en rien16. » La comparaison des photos de 1932 avec celles prises en 1997 (photos 51 et 52, figure 62) pourrait, à première vue, nous conduire au même constat, les changements d’ensemble sont modestes. Pourtant certains traits nouveaux dans le paysage – la route, la Siddhartha Rajmarga, qui, à partir de 1968, a permis de relier Butwal à Pokhara, les écoles qui se sont généralisées dans le pays depuis les années 1960, ainsi que la multiplication des arbres dans les champs conduisant à un véritable paysage de bocage –, apparaissent comme significatifs de transformations importantes dans le mode de vie des populations.
Un milieu instable sous contrôle
12Masyam est caractérisé par un climat subtropical de mousson. À 1 000 m d’altitude17 les températures moyennes annuelles sont de 19 °C, le minimum hivernal de 12,5 °C en janvier et le maximum de 23,4 °C en juin. En mars-avril, quand les températures s’élèvent et que le contraste entre la haute chaîne et la plaine s’accentue, le secteur connaît des vents forts, voire violents, comme la tornade qui en 1983 a abattu les pins des forêts de Balding Danda et de Rat Mate Danda dans le hameau de Kolang. Les précipitations sont en moyenne de 1 650 mm par an, mais leur variation interannuelle est forte : le maximum relevé est de 2 220 mm en 1959, le minimum de 1 211 mm en 1964. 80 à 90 % des pluies tombent pendant la mousson, entre juin et septembre. De ce fait la saison sèche est très marquée, un déficit hydrique se manifeste pendant cinq mois de l’année (figure 63). En revanche, au cours de la mousson l’abondance des précipitations peut avoir des conséquences dévastatrices, notamment sur les bagar khet, rizières installées dans le lit de la Bhaiskatta Khola, qui sont régulièrement emportées par les crues (photo 53). Les précipitations peuvent aussi être très violentes, supérieures à 100 mm par 24 heures. Le 7 septembre 1959, par exemple, 409,2 mm de pluies sont relevés à Tansen ; le 29 septembre 1981,288 mm. L’impact des pluies est notable sur ces reliefs du Mahabharat fortement disséqués, d’autant que, orientés est-ouest, ils constituent l’un des premiers obstacles aux flux de mousson en provenance du sud-est.
13Les versants sont aussi déstabilisés par l’activité géodynamique de la chaîne himalayenne qui se traduit, dans le Mahabharat comme dans l’ensemble du pays, par une sismicité récurrente dont la norme est de quatre ou cinq microséismes par semaine18, de plusieurs séismes de magnitude supérieure à 5 par siècle (en 1934, 1954, 1966 pour les derniers ressentis à Palpa). Le Mahabharat est aussi l’un des secteurs de la chaîne où la surrection est la plus rapide, de près d’un centimètre par an en moyenne19. Cela oblige les rivières à inciser toujours plus profondément leurs vallées pour pouvoir maintenir leur jonction avec le réseau du Gange. Mais, contrairement à ceux des Curiya plus aux sud, les terrains du Mahabharat offrent une résistance non négligeable à l’érosion, résistance renforcée par leur disposition presque verticale qui favorise le développement et le maintien de pentes de plus en plus raides vers la base des versants.
14Dans le détail cependant, des nuances font l’originalité du secteur de Masyam, notamment la présence de terrains sédimentaires de nature très diverse (calcaires, schistes et grès), fortement ployés en gouttière (figure 64) : leur affleurement par la tranche crée un relief où alternent versants pentus et replats, sortes de balcons suspendus au-dessus des flancs raides en grande partie boisés de la vallée. Ces replats, sous-tendus par des roches résistantes comme les calcaires dolomitiques et, dans une moindre mesure, les grès, offrent des sites particulièrement propices aux villages et aux cultures (cas de Kolang, Bel Danda, Citis...).
15Le climat contrasté de mousson d’une part, la raideur des pentes et leur instabilité entretenue par les séismes d’autre part, favorisent donc, dans un contexte d’incision permanente des rivières, une activité de l’érosion qui, sans être toujours spectaculaire, n’en est pas moins réelle, alors même qu’à bien des égards, et sur le court terme, elle apparaît sous contrôle. La topographie reflète bien la façon dont évoluent les reliefs de cette région. Des croupes convexes et massives dans les hauts de versants20 sont interrompues par de profonds entonnoirs où se concentrent les eaux de ruissellement21, et se prolongent en contrebas par d’étroits vallons au profil irrégulier qui sillonnent les bas de versants raides du fond de vallée. C’est le cas de la Tari Khola où s’observent lits rocheux et cascades. Cette succession de formes traduit deux phénomènes importants. D’une part, la prééminence des phénomènes de ruissellement à partir desquels d’autres processus d’érosion, comme les mouvements de terrain, vont pouvoir intervenir. D’autre part, un contraste majeur, concernant le cheminement des eaux de pluies tombées sur le versant, entre des secteurs où l’eau est dispersée (les croupes convexes) et n’a que peu d’action superficielle sur les sols, et d’autres secteurs où les écoulements ont tendance à converger (les entonnoirs) et à acquérir un pouvoir érosif accru, susceptible de déstabiliser des portions entières de versant. À l’échelle de plusieurs millénaires, ces processus sont incessants et correspondent à un ajustement « instantané » des formes aux conditions créées par l’action combinée du climat et de la tectonique.
16À l’échelle des générations humaines, on distingue des secteurs d’érosion actuellement très actifs, tandis que d’autres sont cicatrisés et colonisés par la végétation. Par exemple, la forme d’entonnoir et le profond talweg de la Goghandi Khola séparant Kolang de Bel Danda seraient dus à un grand ravinement survenu il y a environ deux siècles : en apparence relativement stabilisés si l’on en juge par la couverture forestière, les flancs de cet entonnoir présentent localement des arrachements superficiels, prolongés par des griffures d’érosion qui montrent que cette phase de stabilité n’est en fait qu’un répit temporaire dans un contexte d’érosion permanente. D’autres observations aboutissent aux mêmes conclusions. La comparaison des photos (figure 62, photos 51,52, 54, 55, 56, 57) montre, dans la forêt au sud de Bel Danda, que les marques vives d’érosion, peu nombreuses en 1932 (photo 56), se sont accrues. Au lieu-dit Tallo Thari Khet, par exemple, de nouveaux arrachements sont apparus dans un champ conquis sur la forêt et engravé par les débris d’un cône accumulé au débouché d’un des ravinements (photo 57). En cultivant les terres en contrebas de ce secteur indubitablement fragile bien qu’enforesté, les villageois prennent le risque de perdre leur récolte – mais, pour l’instant, les dégâts occasionnés par l’érosion restent mineurs. Plus spectaculaires, de grands ravinements-arrachements-glissements récents marquent profondément le paysage actuel (figure 65, photos 52, 55), comme ceux localisés à Suami Dhara (au sud d’Aslami Tol) et à Raskuti Pokhara (au nord-ouest de Citis), et menacent à terme les terres cultivées. Aucun d’entre eux n’existait en 1932 (photo 51). À cette époque, le lieu-dit Suami Dhara était occupé par quelques bosquets d’arbres, et des champs y étaient aménagés. Depuis, un arrachement-ravinement, dont les villageois datent le début en 1972, a emporté l’ensemble des champs et la plupart des arbres. Malgré la mise en défens de la forêt de sāl (Shorea robusta) alentour, l’évolution de ce site est très rapide, car le matériel rocheux y est schisteux, profondément altéré et n’offre que peu de résistance au ruissellement. Quant au glissement de Raskuti Pokhara, apparu en 1962, il a réentaillé une ancienne cicatrice d’érosion – un entonnoir de ravinement creusé là encore dans un matériel schisteux altéré en surface – dans un secteur qui semble n’avoir jamais été cultivé, ce qui peut être un indicateur de la fragilité naturelle de cette pente.
17On pourrait multiplier les exemples. La carte géomorphologique (figure 65) indique les formes d’érosion aujourd’hui actives et montre comment celles-ci s’inscrivent dans des formes « plus anciennes », suggérant bien la permanence et l’ubiquité de l’érosion dans cette région. Par contraste, la répartition des villages et des champs (figure 66) reflète assez fidèlement la zonation des secteurs les plus stables : crêtes et éperons de versants convexes ainsi que replats intermédiaires, qui n’ont pas encore été gagnés par l’érosion.
18Le secteur est instable. Les populations le savent. En témoigne la mosaïque savante des paysages qui, dans l’ensemble, a été conservée entre le début et la fin du xxe siècle, même si elle a connu quelques réaménagements. Toute extension des terres ne pourrait se faire qu’au détriment d’un équilibre déjà précaire, mais qui paraît, jusqu’à présent, contrôlé. De ce fait et paradoxalement, les villageois interrogés considèrent qu’à Masyam il n’y a pas de problème d’érosion...
Une structure d’ensemble des paysages inchangée depuis près d’un siècle
19Les photos qui ont servi à la comparaison diachronique représentent des versants exposés au sud qui, au début du siècle comme aujourd’hui, offrent une mosaïque de terres cultivées sur les surfaces planes et les croupes aux pentes plutôt convexes, et des bois ou forêts plus ou moins denses sur les pentes plus fortes. Le tout est « mité » de terrains escarpés où la roche affleure, terrains qui sont réservés à des pâtures ou à des prés de graminées. En général, dans la région, les versants exposés au sud sont rarement cultivés en raison de leur grande sécheresse, de leur pente très forte, mais aussi du pendage des couches géologiques, contraire à la pente, qui a pour effet de favoriser l’infiltration de l’eau. Dans le cas des versants ici étudiés la situation apparaît néanmoins un peu moins contraignante, grâce aux replats à la fois calcaires, stables et fertiles, et à quelques éperons aux croupes convexes, bien alimentés en eau, qui ont permis la mise en cultures. Les terres cultivées ne représentent toutefois pas la moitié de la surface totale (figure 66), ce qui explique les densités de population extrêmement élevées au kilomètre carré cultivé. Il semble que tout ce qui pouvait être cultivé sans dommage l’a été dès l’occupation du territoire, puisque, malgré l’augmentation de la population entre 1922-1932 et 1997, il n’apparaît pas de changement dans la structure d’ensemble des paysages.
20Il n’y a pas eu, semble-t-il, de conversion de prés de graminées ou de pâturages en champs cultivés. En ce qui concerne l’espace forestier, il apparaît déjà comme résiduel et peu dense au début du siècle. Depuis, des lambeaux de forêt ont encore disparu pour laisser place, aujourd’hui, à des champs non irrigués, comme dans la partie basse de Bel Danda22 à Jeisi et Tallo Thari Khet (de colonisation plus récente que les hameaux alentour), ou à des pâturages, comme à Citis et sous l’éperon de Sun Danda. Mais on ne peut parler d’un déboisement massif, il ne s’agit que d’épiphénomènes. Par ailleurs, des champs cultivés au début du siècle ont été abandonnés : à Sun Danda, des champs en pente cultivés en 1922 sont retournés à la lande ; en aval d’Aslami Tol, à Phored Danda et Cilaune Danda, la forêt a recolonisé des champs qui étaient cultivés en 1932. Les forêts des collines de Barkesh et de Chaurthok, dont les parties supérieures sont des bois sacrés, semblent ne pas avoir évolué, sauf dans le tiers inférieur du versant de Barkesh. Quant à la dégradation de la forêt à l’est de Kolang, elle est due à la tornade de 1983 mentionnée précédemment. Aujourd’hui, les forêts sont pour la plupart protégées, se régénèrent, et ne devraient donc pas, sauf phénomène physique d’importance, subir de grands changements dans les années à venir.
Les unités de paysage
21La terminologie locale utilisée pour désigner les unités de paysage relève essentiellement du népali23. Dans la partie supérieure des versants domine le lekh, terres d’altitude, « froides », occupées par des pâtures ou des résidus de forêt. Les bois et les forêts peu denses sont appelés ban et les bois d’arbres plantés bricheropan ban. La dénomination de quelques pâturages (kharāk, équivalent de kharkā), est sans doute héritée de périodes où la forêt occupait le versant, car les kharkā sont généralement des pâtures en milieu de forêt dans lesquelles un abri en dur est construit. Ce n’est plus le cas, aujourd’hui, des kharāk de Masyam localisées dans des bois clairs du secteur cultivé. D’autres pâturages, surexploités, apparaissant sur les pentes fortes du secteur cultivé, sont appelés gaucaran. Les kamle, terme magar, sont aussi des endroits pâturés aux herbes rases. Quant aux kharen ou aux khar bāri, il s’agit de prés de fauche, des terres pentues sur lesquelles poussent généralement des graminées réservées aux toitures des maisons ou à l’affouragement des troupeaux. Ces terres font aussi l’objet, sur certaines parcelles communes, d’essais d’espèces fourragères et, de plus en plus fréquemment, des arbres y sont plantés.
22Dans le domaine cultivé, les khet, rizières irriguées, sont distinguées des bāri, champs non irrigués. Les khet installées sur les berges de la rivière sont appelées kholā khet. Celles localisées dans le lit majeur, régulièrement emportées par les crues, sont appelées bagar khet ou bogwa khet. Bien qu’éphémères, ces terres fertiles sont recherchées. Les gairi khet, petites rizières encaissées, peuvent souffrir de l’ombre, mais sont moins menacées par les crues. Les thari khet sont des rizières de versant dont l’irrigation dépend directement de l’eau d’un torrent, sans canal d’amenée d’eau. Leur principal problème peut être l’alimentation en eau. On pratique généralement sur les khet trois cultures par an : riz (dan), blé (gaon), maïs (makaï) et quelques légumes. Sur les bāri sont cultivées les plantes non irriguées comme le maïs, l’éleusine (kodo), le blé, le sarrasin doux (mithopaper), la moutarde (tari), le colza indien (sarsiung), le gingembre (aduwa), le curcuma (besār), des tubercules (pindalu), des haricots (simi), de la coriandre (dhaniya), des lentilles (jhilange).
23Les bāri ont ici, le plus souvent, la particularité d’être en pente et de former de vastes parcelles ; ils sont appelés bhirālo bāri. Ils contrastent en cela avec les champs finement laniérés en terrasses, image traditionnelle des versants cultivés du Népal, qui sont appelés, lorsqu’ils sont présents dans la région, ce qui est rare, gara bāri, champs en terrasse, ou gara sudar, « le bienfait des terrasses ». Hormis cette distinction concernant la forme des champs, les bāri portent aussi des noms différents en fonction de leur utilisation dans le temps. Ainsi lorsque sont effectués des essarts, le secteur défriché est dans un premier temps appelé khoriyā L’année suivante, lorsque ce khoriyā est cultivé, il est appelé lohase bāri. Une fois abandonné, le champ est appelé porti bāri (friche).
Permanence des champs en pente et instauration d’un réel bocage
24Le paysage de champs en pente est typique des districts de Palpa, Gulmi (dans sa partie sud), Argha Khanci, Pyuthan, Salyan. Lorsqu’ils sont mentionnés dans la littérature, les champs en pente sont généralement considérés comme marginaux, ou comme une étape intermédiaire de quatre à cinq ans entre le défrichement et la transformation définitive en terrasse. Or, la comparaison des photos nous montre qu’après plus de soixante ans les champs en pente ont toujours la même configuration, ce qui corrobore l’hypothèse de terres exploitées en pleine pente dès leur mise en culture, sans construction de terrasses24. De plus, les champs en pente isolés au milieu des forêts, comme ceux qui ont été observés en 1997 sur le versant de Dumre, ne sont pas, comme on pourrait le croire à première vue, des essarts récents. Ils étaient déjà présents au début du xxe siècle, constat qui invite à se méfier des jugements trop hâtifs.
25Ces champs en pente étaient délimités dans les années 1920-1930 par un petit talus (dhik, qui correspond à ce que l’on appelle en France un « rideau »), souligné par quelques arbres, des buissons et des herbacées, qui dessinaient l’esquisse d’un paysage de bocage. Les arbres dans les champs traduisaient peut-être déjà une pénurie en bois ou en fourrage foliaire, dans un secteur où les forêts ont été intensément exploitées au cours du xixe siècle. Le réel bocage instauré depuis est, aujourd’hui, très typique de cette région (photo 58). En effet, si pendant soixante ans les paysages ont peu changé dans leur structure à l’échelle des versants, en revanche une importante modification s’est produite dans les secteurs cultivés : la forêt a un peu régressé mais les arbres sont beaucoup plus nombreux autour des champs, au point de masquer, souvent, les maisons et les cultures. Ainsi de nombreux secteurs paraissent plus boisés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient au début du xxe siècle, hormis les rizières qui, elles, restent exemptes d’arbres25.
Le rôle des arbres privés dans l’imbrication agriculture-élevage
26La densification des haies est le signe visible d’un changement majeur des systèmes agraires du ga.bi.sa. de Masyam. Une approche du fonctionnement de celui du hameau de Kolang, où les arbres privés sont au cœur de l’économie des exploitations, peut nous permettre de comprendre ce paysage de bocage. Le système repose sur une imbrication agriculture-élevage typique des moyennes et basses montagnes népalaises et se rapproche de celui de type « sud » répertorié dans la typologie établie par P. Bergeret (1986) : « Les systèmes de culture sont intensifs, les troupeaux sont en stabulation, la forêt a disparu et les arbres fourragers parsèment les terrasses cultivées. » Dans le cas présent, la forêt n’a pas forcément disparu, elle peut être simplement en défens. Les arbres des champs ne sont pas dévolus uniquement au fourrage, mais aussi au bois de feu et de construction. Ils dessinent un paysage de bocage très organisé qui n’est guère présent dans le secteur de Trisuli ayant servi d’exemple aux travaux de P. Bergeret.
Photo 58
27L’agriculture à Kolang est une agriculture principalement de subsistance fondée sur des cultures céréalières. Dans l’ensemble du hameau, les bāri représentent 47 % de la surface exploitée, les khar bāri 30 % et les khet 23 %. La surface moyenne des quarante-deux exploitations agricoles auprès desquelles des enquêtes ont pu être menées est de 1,21 ha (24,24 ropani). Mais la répartition des terres n’est pas égalitaire. La plus petite exploitation mesure 0,3 ha et la plus grande 3 ha. Les Kami, artisans indo-népalais de bas statut, occupent les plus mauvaises terres sur le haut du versant à Kami Tol. En revanche, les Magar d’Aslami Tol possèdent les meilleures terres sur un vaste replat et dans le fond de la vallée de la Bhaiskatta Khola. Ils détiennent ainsi 92 % des kholā khet du hameau de Kolang.
28L’élevage répond à trois objectifs classiques des moyennes et basses montagnes du Népal. Il fournit la force de traction et la fumure nécessaires à l’agriculture, ainsi que des produits laitiers et carnés pour l’alimentation humaine. Depuis une dizaine d’années l’effectif des troupeaux a diminué de 20 % environ, cette diminution affecte surtout les bovins. En 1996, on enregistre en moyenne par exploitation 1,7 bœuf, 2 vaches, 1,7 buffle, 4 chèvres et 1,4 porc. Le nombre moyen d’animaux par exploitation est de 12,6 à Aslami Tol, 9,8 à Saru Tol, 8 à Jiuni Kharak et 5,8 à Kami Tol. Si, dans certaines exploitations, les caprins ou porcins sont absents, sont en revanche toujours présents au moins deux gros bestiaux, buffle, bœuf ou vache, effectif incompressible minimal pour assurer la production d’engrais.
29Le nombre d’animaux est fonction des ressources fourragères et dépend étroitement, depuis la mise en défens de la plupart des forêts, des arbres privés. En effet, ces derniers procurent en moyenne 45 % de l’affouragement total annuel, contre 33 % pour les herbacées et 22 % pour les pailles de riz, de blé, de moutarde, d’éleusine, de sarrasin et les tiges de maïs. Ainsi les habitants de Kami Tol, qui ont peu d’arbres privés, ont enregistré une très forte baisse, d’environ 35 %, de leur population de caprins.
30Certains animaux pâturent chaque jour sur les terres communautaires autorisées, mais l’affouragement se fait maintenant essentiellement à l’étable, le matin et le soir. Selon les habitants de Kolang, l’alimentation optimale du bétail devrait allier chaque jour la même quantité de fourrage sec (sukheko) et de fourrage vert (hariyo). La réalité est autre. En effet, de novembre à juin-juillet l’alimentation est constituée pour moitié de résidus de culture séchés (paille de riz et de blé principalement) et pour moitié de fourrage foliaire (daleghas). Mais de juin-juillet à octobre, dans la majorité des exploitations, les animaux sont alimentés uniquement grâce au fourrage herbacé (bhuighas) poussant sur les talus entre les bāri, ou dans les khar bāri.
31Parmi les quarante-deux exploitations étudiées, la majorité rencontre des difficultés d’approvisionnement en fourrage. Seules huit exploitations en disposent en quantité suffisante pour en distribuer toute l’année. Pour l’ensemble d’entre elles, la période la plus critique se situe à la fin de la saison sèche, de mars à mai, quand les arbres n’ont plus de feuilles, qu’elles ne se renouvellent plus, que les résidus de culture s’épuisent et que l’herbe est peu abondante. Si de nombreux exploitants prélèvent du fourrage foliaire sur leurs propres terres, d’autres, comme ceux de Kami Tol, ne s’approvisionnent qu’en forêt. Les exploitants ayant peu d’arbres privés étalent l’affouragement foliaire dans le temps pour éviter une alimentation fondée uniquement sur du fourrage sec. Certains prélèvent illégalement du fourrage en forêt afin de réserver leur propre fourrage aux mois les plus difficiles, quitte à « sous-nourrir » les animaux pendant un certain temps. En 1980 Stone confirmait déjà ce fait en relevant que, dans le district de Palpa, 75 % des fermiers ponctionnaient la forêt accessible.
32Le fourrage foliaire provient à 80 % des arbres encadrant les bāri généralement proches des maisons. Le reste provient des khar bāri et de la forêt. De novembre à juin-juillet, les arbres sont élagués quotidiennement, de préférence une seule fois et au maximum deux fois par an (tableau 8).
33Les arbres fourragers privés sont donc devenus un des rouages essentiels de l’élevage et de l’ensemble du système agraire. Ainsi, malgré la mise en défens des forêts et la moindre disponibilité de la main-d’œuvre, la multiplication des arbres fourragers privés et la stabulation permanente semblent, progressivement, permettre le maintien du nombre d’animaux par exploitation et, partant, la fertilité des bāri.
34Par ailleurs, si autrefois on ne brûlait que du bois choisi pour ses qualités calorifiques, depuis une dizaine d’années le bois de feu provient à 90 % des branches et branchettes récupérées après consommation du fourrage foliaire, sans considération de leur espèce ni de leur valeur. Elles sont brûlées après séchage. Enfin, tout le bois d’œuvre provient des arbres privés. Cela ne peut se comprendre qu’en parallèle avec les restrictions de collecte de bois de feu et de construction qui sont en vigueur depuis la nationalisation des forêts en 1957, mais qui ne sont réellement respectées que depuis 1991, quand tout abattage dans la forêt communale est devenu strictement interdit et, le cas échéant, puni d’une forte amende.
35Ces observations relatives à quelques versants se vérifient à l’échelle du Népal où, depuis les années 1980, les arbres sont de plus en plus nombreux dans les secteurs cultivés. Leur production en fourrage, en bois d’œuvre et de combustion, remplace celle qui provenait auparavant des arbres des forêts. Les photos de Morris et Northey témoignent du fait que ce processus était déjà amorcé dans la région de Tansen dès les années 1920. Le fait qu’à Kolang on compte aujourd’hui en moyenne 425 arbres privés par exploitation, certains exploitants en ayant plus de 800, est la parfaite expression du rôle, désormais crucial, que ces arbres jouent dans l’économie rurale de la région. Alors que les bocages occidentaux sont abandonnés ou préservés à titre patrimonial, celui qui est instauré dans cette région est en pleine expansion et résulte en grande partie d’une pénurie en bois26.
Une mosaïque complexe à l’échelle des parcelles et des talus
36La diversité des arbres, soigneusement sélectionnés en fonction de leur usage et de leur calendrier d’élagage, est grande. On relève plus de cinquante espèces différentes d’arbres fourragers par exploitation, sans parler des arbres fournissant du bois d’œuvre ou de combustion (tableau 8). Leur distribution varie selon qu’ils occupent les khar bāri ou les talus autour des bāri.
Tableau 8
37Les prés de fauche (khar bāri), sont souvent complantés d’arbres dont l’usage est presque exclusivement le bois d’œuvre, à l’exception de quelques arbres fourragers poussant spontanément. Les principaux arbres sur khar bāri sont des sāl (Shorea robusta), sallā (Pinus roxburghii), cilaune (Schima wallichii) dont les feuilles servent de litière aux animaux pendant la mousson, khalluk (Myrsine semiserrata), ciuri (Bassia butyraceae) dont les graines sont cuites et pressées pour la fabrication d’huile alimentaire, khanyu (Ficus semicordata). Y poussent également des arbustes qui fournissent surtout du bois de feu et éventuellement un fourrage peu apprécié des animaux. La gestion des khar bāri implique la prise en compte de différents besoins, puisqu’un équilibre doit être trouvé entre la nécessité de chaume pour les toits, de fourrage herbacé pour le troupeau et de bois de construction pour les futures maisons.
38Sur les dhik encadrant les bāri, la moitié des arbres est représentée par huit espèces qui offrent les meilleurs fourrages (photo 59) : dabdabe (Garuga pinnata), kutmero (Litsea polyantha), khanyu (Ficus semicordata), phasro (Grewia tiliaefolia), kabro (Ficus lacor), kimbu (Morus alba), berule (Ficus clavata), badahar (Artocarpus lakoocha). Le dabdabe, le kabro et le kimbu sont marcottés ; le kutmero, le khanyu et le phasro sont issus d’une pousse spontanée et sont replantés. Ces deux méthodes, pratiquées de longue date, permettent des taux de survie élevés, aux alentours de 80 %, comparés aux faibles chances de survie des espèces importées des pépinières gouvernementales (de 30 à 40 %). Tous les autres arbres se régénèrent naturellement sur les talus. Les paysans opèrent alors une sélection en fonction de leurs besoins futurs. Les espèces fourragères sont préservées tandis que les buissons ou les arbres n’ayant aucune utilité particulière sont éliminés. Les seuls interdits de coupe de fourrage foliaire concernent le couple sacré banyan-pipal (Ficus benghalensis-Ficus religiosa) lorsque celui-ci a été planté en guise de cautārā, aire de repos. Mais, si un banyan ou un pipal poussent sur un talus sans avoir été plantés, leurs branches peuvent être élaguées.
39Sur bāri, une compétition pour la lumière et l’eau s’exerce entre les arbres et les cultures, certains villageois considérant que « si on ne plante pas d’arbres, on dispose de moins de fourrage ; si on plante des arbres, les récoltes sont moindres ». Les principaux effets de l’ombre sur les cultures se caractérisent par des difficultés de croissance des plants qui ne poussent pas ou très lentement, qui ne mûrissent pas ou tardivement27 (photo 60). Ces difficultés se combinent au fait que la topographie en pente des parcelles favorise la migration d’éléments fertilisants vers le bas des champs. La maturité des plants varie d’une à deux semaines entre le milieu du champ et la périphérie. Les cultures les plus sensibles à l’ombre sont, par ordre décroissant, le maïs, le blé, la moutarde, le sarrasin et l’éleusine. Les arbres considérés comme donnant le plus d’ombre et consommant le plus d’eau sont le phasro, le khanyu et le dhannu bans (Bambusa sp.). Cependant la plupart des villageois ont adopté des pratiques qui les conduisent à conclure que finalement les arbres ne constituent pas une réelle contrainte pour les cultures. En effet, ils expliquent que les cultures sont sensibles à l’ombre en période froide, d’octobre à février, mais qu’en pleine période de croissance des végétaux, les arbres sont élagués, le soleil est généreux, même pendant la mousson où il est au zénith et, par conséquent, l’ensoleillement et l’alimentation en eau sont suffisants. De plus, les dates des semences, le type de culture effectué et l’épandage d’engrais diffèrent d’un endroit à l’autre de la parcelle, si bien que l’on peut noter aujourd’hui, sur un même champ et au même moment, jusqu’à huit cultures différentes : de la moutarde, du colza indien, du sarrasin doux, du gingembre, du curcuma, des tubercules, des haricots, de la coriandre (photo 59). De la même façon, le choix d’espèces d’arbres conciliables avec les productions alimentaires s’est fait sur une longue période et constitue une pratique étroitement liée à l’histoire agricole du village. Les arbres aujourd’hui présents sur les talus ne sont donc pas les rescapés d’un lointain défrichage, comme le prouvent d’ailleurs les photos du début du siècle. Ainsi la sélection, dans l’espace et dans le temps des arbres et des cultures permet aux villageois de surmonter les éventuels inconvénients de cette cohabitation.
40Ces ajustements à des conditions du milieu28 générées par les choix des villageois eux-mêmes (cultiver en pente, planter des arbres autour des champs), se traduisent dans le paysage par une mosaïque à l’échelle des parcelles, qui dessinait, en décembre 1997, un patchwork coloré remarquable. Or Morris et Northey, qui ont circulé dans la région à la même saison, ne mentionnent pas du tout une telle diversité dans leurs brèves descriptions écrites29. Elle n’est pas non plus décelable sur leurs photos. Sans doute la variété des cultures n’était-elle pas aussi grande au début du xxe siècle, comme le confirment les enquêtes menées auprès des exploitants, et est-elle en relation avec la présence des arbres autour des champs.
La perception de leurs milieux par les villageois de Kolang et de Citis
41Si l’ombre portée par les arbres n’est pas une réelle contrainte à l’échelle du champ, ombre et soleil sont toutefois des paramètres auxquels la population est en général très sensible, puisqu’ils sont désignés dans la toponymie (tableau 13 en annexe) et utilisés pour qualifier les types de terre. Dans la partie de Citis exposée à l’ouest et au nord-ouest, plusieurs toponymes indiquent un secteur à l’ombre (rip) : Rip Tol, Rip Tol Ban, Rip Khet. L’ombre, dans ce cas, constitue manifestement une contrainte. Les terres y sont d’ailleurs peu cultivées, alors qu’à proximité, dès que l’exposition du versant tourne au sud, la toponymie indique un quartier au soleil : Surya Tol, où les pentes sont cultivées au moins depuis le début du siècle. Pourtant, sur la crête bien ensoleillée au sommet de Kolang, c’est le caractère froid, dû à l’altitude (1 500 m), qui est souligné avec le toponyme Shikhar Danda.
42Les toponymes faisant référence à des crêtes (ḍāḍā), et à des ravines (gairā), sont fréquents, traduisant l’aspect accidenté des versants ; plusieurs noms indiquent des endroits instables : Singi Gaira, « Ravine de l’éboulement » ; Balding Danda, « Crête résiduelle » ; Bogwa Khet, « Rizière alluvionnaire de crue ». La disponibilité en eau joue un rôle majeur dans l’utilisation des terres et des hydronymes signalent la présence d’eau à Goghandi, l’eau qui glougloute à Gurgure, le marécage à Kalahara Khet ou à Tari Khola, l’eau de source à Kuwa Pani Gaira. En revanche, des terres sèches, de pente forte, ne retenant pas l’eau, sont mentionnées à Kharo Pani Gaira et à Kharo Pahad.
43Ces particularités des milieux ressortent également dans la façon dont les villageois qualifient les terres (encadré 24). Ils les caractérisent en fonction de leur couleur – associée à leur fertilité et à leur besoin en fumure et en eau –, de leur texture et de leur structure (compacité, porosité, pierrosité, capacité ou pas à retenir l’eau) et de leur comportement par rapport au labour. Ils distinguent les ciso māto, bonnes terres humides sur lesquelles les cultures sont « vertes », disent-ils, poussent bien et « ne sèchent pas », des khare māto, ou, pire encore, des cokhare māto, terres extrêmement sèches, de texture sableuse, très poreuses, qui ne retiennent guère l’eau et sont considérées de mauvaise qualité. Si l’eau est particulièrement nécessaire à l’agriculture dans ce secteur à longue saison sèche, trop d’eau, pendant la mousson notamment, conduit sur les parcelles en pente à une érosion importante. On parle alors d’umlane māto, umlane signifiant « bouillir » : les terres s’érodent et sont entraînées avec la fumure dans le bas de la pente. Ils distinguent encore les terres froides (shikhar), des terres chaudes (garmi), qu’ils associent à des notions d’aptitude aux cultures et de rendements, et enfin les terres ensoleillées (rapilo), où « beaucoup de soleil tape », des terres à l’ombre (rip). Cet ensoleillement est un atout pour les cultures, notamment dans les secteurs de ravines où croissent arbres et céréales, mais il peut devenir une contrainte s’il est trop important sur les terres compactes, qui s’indurent, ou sur des pentes fortes érodées et au matériel poreux. On parle alors pour ces dernières terres de khare māto ou de khare phusro māto, la teinte grisâtre étant une de leurs caractéristiques. En revanche, dans les secteurs toujours à l’ombre de Rip Tol, les sols et les cultures souffrent du manque d’ensoleillement. On comprendra pourquoi la caractérisation des terres se fait souvent par rapport à l’ombre ou au soleil, à l’humidité ou à la sécheresse, au froid ou au chaud, les trois oppositions n’étant pas égales entre elles. Le blé est particulièrement sensible à ces variations pédo-climatiques. Il a besoin d’une bonne terre (ciso māto), c’est-à-dire d’une terre suffisamment humide. C’est la raison pour laquelle il n’est pas planté partout, il ne l’est pas sur les terres poreuses particulièrement sèches, ni tous les ans en fonction des conditions pluviométriques.
Encadré 24
Vocabulaire pédologique utilisé à Kolang Joëlle Smadja
māto | sol, terre |
cāmro kasilo māto | sol compact, sec, très dur, difficile à labourer |
cāmro māto | sol compact |
chiure para māto | terre caillouteuse (chiure : cailloux mélangés 2-3 cm) |
ciplo māto | sol humide, glissant, collant, gluant (faible capacité d’infiltration) |
ciso māto | sol frais, humide, bon sol, les cultures ne s’y assèchent pas |
cokhare māto | sol très grossier, très pierreux et perméable ; se ressuie immédiatement après une pluie |
dhunge dhungā māto | sol moyennement pierreux |
dhunge māto | sol pierreux |
gambhīr māto | sol profond, « sérieux », le meilleur |
garmi māto | terre « chaude » donnant de bons rendements |
gogreto māto | sol très pierreux, sec, de mauvaise qualité, peu cultivé |
gorungo camro māto | sol noir, verdâtre, argileux très collant, compact (gley) |
gorungo māto | sol lourd, difficile à labourer |
kālo māto | sol noir, généralement considéré comme un bon sol |
kamero | terre blanche |
kasilo māto | sol dur quand il est sec, compact |
khare māto | sol sec, pierres et sable mélangés ; apporté par glissements de terrain, connoté négativement, peu fertile, mauvais sol ; souvent associé à phusro māto (sol grisâtre) |
khasro māto | sol sableux, léger, facile à labourer, mais sec |
lesaïlo māto | sol collant, argileux |
mālilo kālo māto | bon sol noir, fertile |
mālilo māto | sol fertile |
masina māto | sol contenant de petites pierres |
panhelo māto | sol jaunâtre (sol brun) |
panhelo dani māto | sol ocre jaune de la couleur du riz (dan), utilisé pour enduire les maisons |
phusro māto | sol de couleur grisâtre, terne, passée (attribuée aux sols secs, pulvérulents) |
rapilo māto | terre très ensoleillée, peut être un atout ou une contrainte |
rāto māto | sol rouge de qualité variable |
rip māto | terre à l’ombre donnant de mauvais rendements |
seto kamero māto | sol blanc pour enduire les maisons (ghar lipneko lagi) |
shikhar māto | terre « froide » donnant de mauvais rendements |
thulo māto | sol très compact, argileux, humide |
umlane māto | sol qui glisse, se ravine, est lessivé, perd son fumier ; caractéristique des champs en pente (umlane signifie « bouillir ») |
Une mise en valeur très fine des milieux illustrée par l’étude des sols dans le ward de Kolang
44À une échelle plus grande, l’étude des sols du ward de Kolang sur un transect de Kami Tol à la Bhaiskatta Khola (figure 61) illustre, à partir des analyses chimiques, des terminologies utilisées localement et des modes d’utilisation des terres, un ajustement très minutieux des activités agricoles aux principaux caractères des milieux ci-dessus mentionnés30 (tableau 9).
45Les types de sol reflètent en partie la variété des terrains géologiques évoquée précédemment : sur replats calcaires, les sols sont dans l’ensemble moins acides que ceux développés sur terrains schisteux en forte pente. Mais d’autres paramètres interviennent sur leur développement. Les rizières planes irriguées piègent les particules fines et les nutriments qui élèvent le pH de la terre, tandis que la pratique des champs en pente et le « rajeunissement » de la surface du sol qui en résulte assurent la régénération constante, à partir de l’altération des roches, du stock d’éléments minéraux utiles aux plantes, ce qui a pour effet de compenser leur entraînement irrémédiable dans la pente par les eaux de percolation et donc de limiter l’acidification des sols. De plus le drainage naturel de ces champs en pente est indispensable pour la culture des tubercules afin d’éviter que les semences ne pourissent. Par ailleurs l’amendement des terres cultivées améliore leur fertilité. Il est ici particulier. L’engrais (mol) le plus souvent utilisé est d’origine animale (bastuko mol). Généralement le fumier de vache et de buffle est épandu sur les champs les plus proches, et celui de chèvre, plus léger et plus facile à transporter, sur les champs les plus lointains. Ce dernier a un pouvoir de fumure qui dure plus longtemps que celui des autres animaux. L’engrais est aussi d’origine végétale avec l’épandage de feuilles de katus (Castanopsis indica) dans les plantations de gingembre et d’asuro (Adhatoda vasica) dans les pépinières de riz, les rizières, mais aussi dans les champs non irrigués. L’asuro a l’avantage d’être à la fois un très bon fertilisant et un repellant contre les insectes ; il protège ainsi les cultures31. Les résidus de cultures de jhilange (lentilles) constituent également un excellent engrais azoté pour les plantes qui vont leur succéder dans le même champ. C’est pourquoi les engrais chimiques sont peu utilisés car les villageois considèrent qu’ils déstructurent les sols et que, s’ils épandent de l’urée, les sols sont encore plus compacts, compacité qui constitue l’une des contraintes des sols de cette région.
Encadré 25
Différents savoirs sur les sols
Monique Fort et Joëlle Smadja
En haut de versant, à Kami Tol et à Shikhar Danda (tableau 9), entre 1 450 et 1 350 m (échantillons 1 à 4), les sols rouges (rāto māto), développés sur schistes verdâtres et violacés, de texture argilo-limoneuse à limoneuse, sont qualifiés par les villageois de thulo māto (sols lourds), ou de gorungo māto (sols collants), difficiles à labourer, ou encore de camro māto (sols compacts). Ils sont particulièrement durs quand ils sont secs et sont alors appelés kasilo māto. Les labours ne peuvent être fait qu’après des chutes de pluie. Pour que les rendements soient corrects, deux labours sont nécessaires pour le blé et au moins trois pour le maïs. Il s’agit de sols acides, lessivés, désaturés, leur pH est compris entre 4,7 et 5,7. Ils réclament beaucoup d’engrais. La matière organique y est mal décomposée, comme le montre le taux de minéralisation C/N (carbone sur azote) généralement supérieur à 12. Pour les champs en pente, la situation est un peu meilleure dans la partie inférieure de la parcelle : le pH augmente légèrement, la matière organique plus abondante est mieux décomposée, les sols sont un peu moins acides et un peu plus fertiles. Ce type de sol s’érode facilement et les villageois parlent d’umlane māto. Lorsque la pente est nulle (éch. 4), le pH s’élève et le sol, moins acide, est dans l’ensemble de meilleure qualité (C/N = 11,34). Dans toute cette partie haute du ward de Kolang, bien que le soleil tape fort (tapilo), contribuant à la sécheresse ambiante, les terres sont considérées, en raison de l’altitude, comme « froides » (shikhar), et de ce fait moins propices aux cultures que les terres « chaudes » (garmi), de bas de versant. Le blé y est peu planté et n’y sont pratiquées, généralement, que deux rotations par an : maïs-éleusine puis sarrasin. Le maïs, planté plus tard que sur le reste du versant, en mars-avril-mai, après les premières pluies de printemps, y met aussi plus de temps pour parvenir à maturité. De novembre à mars, ces terres qui appartiennent aux Kami, groupe le plus défavorisé du ward de Kolang, ne sont généralement pas cultivées. Ainsi les sols y sont considérés dans l’ensemble comme mauvais, s’érodant facilement en raison de la pente, peu fertiles, secs et froids, nécessitant beaucoup de fumure, alors même que les Kami sont ceux qui disposent le moins de bétail.
À Saru Toi, entre 1 340 et 1 200 m (éch. 5 à 8), les sols de texture limoneuse à sablo-limoneuse sont plus pierreux, et par conséquent moins compacts. Ils sont moins difficiles à labourer et nécessitent moins de labours. Ils sont appelés panhelo māto, pour les sols bruns, umlane māto et khare māto pour ceux en pente qui s’érodent facilement, ou encore dhunge rāto māto et chiure rāto māto pour les sols rouges sableux ou contenant de nombreux cailloutis. Les pH sont un peu plus élevés, quoique encore acides ; ils oscillent entre 5 et 5,8. La culture du blé y est dépendante de la pluviosité, de la teneur en humidité et de la fertilité des terres. S’il n’est pas cultivé, le blé laisse place au maïs, au sarrasin, à la moutarde et aux lentilles. Les sols sont considérés par les villageois comme des sols « corrects ».
Autour de 1 200 m, les terres de Milan Tol (éch. 9) sont perçues comme « chaudes » (ganni), et de bonne qualité, avec un rapport C/N de 10, quoique difficiles à travailler, car elles sont argilo-limoneuses à limoneuses et compactes : les sols, rouges, sont appelés gorungo rāto māto. Ils nécessitent beaucoup de fumure, mais les pH, moyennement acides, sont plus élevés : autour de 6. Les sols bénéficient à la fois des éléments fertilisants descendus du versant et bloqués sur le replat, et de la roche mère calcaire. À Raskuti (éch. 10), qui n’est pas localisé sur un replat, le sol brun clair, moins compact, de texture limoneuse et de faible pierrosité, est plus facile à labourer. Le taux de minéralisation de la matière organique y est bon, voisin de 12.
À cette même altitude néanmoins, les sols développés sur des pentes érodées et sèches et sur colluvions grossières, comme à Bel Danda, sont considérés comme très mauvais. Il s’agit de khare phusro māto. L’échantillon 11 correspond à un sol ocre jaune (panhelo dani māto), limoneux, très pauvre, ne contenant presque pas de matière organique, sur lequel le rendement des cultures est médiocre. Ce type de terre est surtout utilisé pour enduire les maisons.
En revanche, à Kabro Danda (1 100-1 065 m), sur les terrains en pente plus humides bordant la rivière, où sont installées des thari khet (éch. 12 et 13), se trouvent les meilleurs sols du versant. Ils sont limoneux à sablo-limoneux, contiennent quelques pierres (dhunge dhuiigā), sont faciles à labourer et leur pH est neutre : 7,3. Ils nécessitent peu de fumure, bénéficiant de celle qui s’accumule en bas de pente, ainsi que de l’apport de nutriments par les eaux d’irrigation piégées sur les surfaces parfaitement planes des terrasses. Les cultures, trois par an, y poussent particulièrement bien, d’autant que les sols sont « chauds » (garmi), et humides (ciso), ce qui leur vaut le qualificatif exceptionnel de gambhir māto, qui signifie « sols profonds », « sérieux »... « Gambhir mātoma tin ketti āuchan » (Dans les sols profonds on peut faire trois cultures par an), disent les villageois. Si l’on se réfère à l’échelle de fertilité des sols tropicaux en zone irriguée, établie par Dabin (Memento de l’agronome, 1974), en fonction du pH et de l’azote total (N %0), l’échantillon 12 aurait une très bonne fertilité (N % o = 0,82) et le 13 une fertilité exceptionnelle (N % o = 1,33). Les villageois considèrent qu’il n’y a pas de problème d’ombre dans ces thari khet – pourtant souvent installées dans des talwegs profonds –, puisque les sols sont humides, qu’il y fait chaud et que l’ensoleillement y est suffisant. Au contraire de la crête, l’ensoleillement (rapilo) est ici considéré comme un grand atout.
Les terres des bāri de pente forte (25°) situées en dessous de 900 m, aux alentours de Banjing (éch. 14 et 15), sont sablo-limoneuses et extrêmement sèches. Faciles à labourer, et au pH moyennement à faiblement acide, entre 5,9 et 6,5, terres noires (kālo māto), elles pourraient être de bonne qualité si elles n’étaient aussi perméables. Les villageois les qualifient de khare suka kālo māto et de cokare māto pour traduire leur pierrosité et leur perméabilité. Ils indiquent que même s’il pleut le matin, l’après-midi le sol est déjà ressuyé et très sec. De ce fait les cultures y sont limitées au maïs, au sarrasin et à la moutarde, et quelquefois même à seulement l’une des trois. Le blé et l’éleusine, lorsqu’ils peuvent être plantés, y poussent mal.
Les thari khet localisées en aval de Banjing, à Singi Gaira, à 820 m (éch. 16), bien alimentées en eau, ont au contraire de très bons sols « noirs », sablo-limoneux, faciles à labourer, de pH 7, nécessitant peu de fumure ; seules des feuilles d’asuro y sont épandues. Ces champs portent trois cultures par an. Avec un taux d’azote total de 1,83 % o, la fertilité de ces sols est considérée comme exceptionnelle sur l’échelle de Dabin. Ils sont qualifiés de malilo kālo māto (sols noirs fertiles).
Enfin, les sols des kholā khet de bas de versant, en bordure de la Bhaiskatta Khola à Cakmake Khet (éch. 17), sont à nouveaux compacts (camro), difficiles à labourer, de texture collante (lesaïlo), hydromorphes. Si de l’urée y est ajoutée, ils sont encore plus compacts, disent les villageois. C’est pourquoi ils n’y épandent que des feuilles d’asuro et éventuellement de la fumure animale (de chèvres en particulier) quand ils en ont le temps. Bénéficiant d’une bonne alimentation en eau, ils y font tout de même trois cultures par an et les rendements sont bons. Avec un pH de 6,5 et un taux d’azote total de 1,27 % o, leur fertilité est considérée comme très bonne sur l’échelle de Dabin. Ces sols noirs verdâtres, argileux, très collants, qui correspondent à des gley (sols gorgés d’eau), sont appelés gorungo camro māto.
46L’ajustement aux conditions des milieux, à des échelles variables, est donc extrêmement élaboré. Les changements intervenus dans la société depuis le début du siècle n’ont fait que renforcer les traits d’une mosaïque déjà très complexe, montrant par là même une adaptation constante de ces communautés rurales aux différentes contraintes internes ou externes rencontrées au cours du temps.
Accentuation récente des pratiques communautaires et de l’individualisation des exploitations
47Comme partout ailleurs au Népal, la croissance démographique, la progression de l’éducation des jeunes générations, le passage progressif à une économie de marché, et l’évolution politique de ces dernières années, ont profondément influencé l’évolution des sociétés villageoises de Masyam. En particulier, la prise de conscience des problèmes de surpâturage et de dégradation des forêts a été favorisée par les organismes d’encadrement qui ont trouvé de bons relais à travers des exploitants agricoles sensibles aux problèmes d’environnement.
48Les hameaux de Masyam ont mis en place des comités de développement qui exercent un rôle décisif pour la protection des espaces publics et, plus marginalement, pour la promotion des arbres fourragers. Ainsi, en 1988 fut créé à Milan Tol, dans le ward de Kolang, le Milan Toi Bikas Sumitee (MBS), sous l’impulsion de l’ONG Community Health and Development Programme, dépendant du Mission Hospital de Tansen. Le MBS fixe les règles d’accès aux forêts et aux pâtures et dirige un programme de plantations communautaires. En 1988, dans le cadre de ce programme, 300 plants d’arbres fourragers ont été plantés et des herbes fourragères – Stylosanthes guyanensis et Molasses – ont été semées sur des khar bāri. Aujourd’hui, la majorité des arbres sont morts, mais le fourrage herbacé est récolté environ trois fois par an.
49À Aslami Tol, depuis 1996, les forêts sont à nouveau ouvertes à la pâture et à la collecte de fourrage, après avoir été fermées à toute forme d’exploitation pendant cinq ans. Quant au comité de développement de Saru Toi, il ne propose pas d’aide à la plantation d’arbres fourragers, mais il a institué des tours de garde des forêts de Raju Ban à Besar Khola, où seule la pâture est autorisée.
50Parallèlement, la promotion d’arbres fourragers privés est assurée par le Forest Office qui propose gratuitement des plants de nombreuses espèces fourragères : l’ipilipil (Diverxipholia), le koiralo (Bauhinia variegata), le badahar (Artocarpus lakoocha) ou le bakaino (Melia azedarach). Des plants d’arbres fruitiers sont vendus au prix de 10 roupies l’unité : suntala (Citrus reticulata Blanco), aru (Prunus persica Linn.), litchi (Litchi chinenesis Sonn.), kagati (Citrus aurantifolia), amilo (Rumex parpego). Ces services sont diversement appréciés par les villageois qui leur reprochent souvent de ne pas disposer d’un choix de variétés très étendu. De plus, les périodes de plantation des arbres correspondant à des périodes de travail intense, les villageois manquent de temps pour aller à la pépinière32.
51Ainsi, depuis plusieurs années, une double évolution s’esquisse dans les hameaux de Masyam. L’utilisation accrue d’arbres privés encadrant les champs et la stabulation permanente contribuent à un repli des exploitations sur elles-mêmes et à une certaine individualisation de leur fonctionnement. Dans un même temps, la dynamique communautaire, représentée par les comités de développement ou d’entraide, est le signe d’une grande coopération entre les exploitants.
Les effets de la Siddhartha Rajmarga
52Jusqu’en 1968, le portage de marchandises à dos d’hommes ou de mulets, sur de longues distances entre Butwal et Baglung, était une activité économique importante de la région. Il semble, d’après Bernard (1997), qu’au début du siècle le portage ait mobilisé 75 % de la population active pendant près de quinze jours par mois et jusqu’à vingt-cinq jours pendant les mois de mousson. Il se trouvait donc en concurrence avec l’agriculture et l’élevage33. Après 1968, la mise en place d’un service de bus sur la Siddhartha Rajmarga, nouvelle route reliant Butwal à Pokhara, a entraîné sa disparition. Les habitants de la région se sont alors en grande partie tournés vers leurs terres, pour tenter d’augmenter les revenus de leurs exploitations. D’où l’intensification et la diversification de l’agriculture dont les surplus, grâce à la route, ont pu être vendus au marché de Butwal. Le marché des épices, surtout du gingembre et du curcuma, s’est développé. Le blé d’hiver a été cultivé plus systématiquement. Les jachères sont devenues moins longues. Ces modifications se sont accompagnées de la suppression de la vaine pâture qui était encore pratiquée dans certains secteurs34. Les arbres (notamment fourragers), qui poussaient sur le bord des champs, ont pu ainsi mieux se régénérer. Le réseau de haies s’est densifié et les cultures fourragères dans les khar bāri se sont multipliées. Cette tendance s’est encore accentuée depuis 1992, avec la mise en place d’une collecte de lait qui n’était guère envisageable sans réseau routier. Le lait est stocké dans un centre de refroidissement à Biurtung, le long de la route, puis transporté par camion à Butwal. Cette innovation a conduit, pour les exploitations concernées, à augmenter le nombre de leurs animaux (buffles et vaches) et à planter de plus en plus d’arbres fourragers pour les nourrir.
53Enfin, il apparaît, depuis une dizaine d’années, une catégorie d’exploitants particulièrement novateurs, spécialisés dans le maraîchage, abandonnant les cultures de sarrasin et d’éleusine au profit de cultures de rente vendues au marché de Butwal. Ils utilisent depuis 1994 des tuyaux d’arrosage qu’ils raccordent à des fontaines ou aux torrents pour irriguer leurs cultures35. Ce sont généralement les mêmes qui se sont lancés dans l’arboriculture et dans la collecte de lait.
Les effets de la scolarisation et de la croissance démographique
54La multiplication par quatre de la population depuis le début du siècle, liée aux progrès sanitaires, semble avoir été absorbée de différentes façons et à plusieurs niveaux dans le secteur de Masyam.
55La généralisation de la scolarité depuis les années 1960 a soustrait aux travaux agricoles une main-d’œuvre jeune qui était chargée, entre autres, de la garde et de l’affouragement des troupeaux. La multiplication des arbres fourragers près des exploitations et la stabulation entravée des animaux résolvent en partie ce problème, puisque les enfants vont encore, avant et au retour de l’école, couper le fourrage nécessaire aux animaux, mais à proximité des maisons. La scolarité pose toutefois le problème du maintien des jeunes générations dans les exploitations, lesquelles requièrent une main-d’œuvre abondante pour garder en équilibre ces milieux instables. Dans ce contexte, l’émigration est sans doute plus à craindre qu’une forte pression démographique.
56La croissance démographique et l’attrait des modes de vie modernes ont suscité des besoins accrus en ressources monétaires, qui s’expriment entre autres par de nouvelles formes de mouvements de population. Les migrations saisonnières associées à des activités de portage, de commerce ou de travaux agricoles, ont été en partie compensées par des emplois administratifs dans les centres urbains proches (Tansen, Butwal) d’employés-paysans ayant gardé un contact avec leur terre. Elles tendent aussi à être supplantées par des migrations de plus longue durée (plusieurs années) qui se font pour des emplois souvent sans qualification, en Inde ou dans d’autres pays, notamment du golfe Persique. Les statistiques du ga.bi.sa. de Masyam montrent que dans 60 % des familles une personne au moins migre de façon temporaire pour trouver du travail à l’étranger. Les quelques migrations définitives mentionnées sont le fait de paysans riches attirés par une vie jugée plus confortable à la ville ou dans un bazar, où ils installent un hôtel, un lieu de restauration ou une boutique. Dans ce cas, ils revendent terres et maison.
57Les paysages actuels portent la marque de ces mutations socio-économiques et de ces nouvelles mobilités. En effet, d’une part les types de culture pratiqués apparaissent en définitive comme de bons indicateurs du niveau économique des exploitations : le sarrasin reste un marqueur des terres pauvres, tandis que le maraîchage et les rizières sont au contraire révélateurs d’une certaine aisance. D’autre part, on observe une densification et une plus grande répartition des sites de peuplement. S’il est difficile d’apprécier le nombre exact de nouvelles maisons construites dans les hameaux depuis 1932, parce qu’elles sont pour la plupart cachées par les haies du bocage, il est aisé en revanche de dénombrer les constructions apparues dans la partie basse des versants depuis que les fonds de la vallée, autrefois totalement inhabités (les villageois y cultivaient les terres dans la journée et remontaient pour la nuit en altitude), ont bénéficié du programme d’éradication de la malaria mené par l’OMS à partir de 1952. Enfin, depuis 1968, la Siddhartha Rajmarga, qui emprunte la vallée de la Hulandi Khola, a servi de pôle d’attraction à bon nombre de migrants, venus des montagnes proches pour s’installer dans ces villages-rues qu’ils ont créés de toute pièce, comme le bazar de Dumre, où 50 % de la population est originaire de Masyam. Ce phénomène de populations migrant en bordure des axes routiers correspond d’ailleurs à un mouvement général dans l’ensemble du pays.
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58La comparaison entre les photos prises par Morris et Northey et celles de 1997 permet de constater qu’il n’y a pas eu de bouleversements majeurs dans le paysage du sud de Tansen depuis le début du siècle. Cependant ce paysage s’est complexifié : la mosaïque s’est accentuée, subdivisée en une multitude de sous-unités au sein de chaque exploitation. D’aucuns parlent de développement – ou d’un mode de mise en valeur des terres – « durable ». Les villageois de cette région ont probablement trouvé un équilibre dans le changement contrôlé et la diversité, une diversité qui s’exprime à différentes échelles d’analyse : le versant, la parcelle, la haie.
59Le secteur était déjà largement cultivé au début du siècle. Les champs en pente, jusqu’ici considérés comme éphémères ou marginaux, semblent être pérennes et représenter la norme dans cette région. L’amorce d’un bocage dans les années 1930 répondait déjà sans doute aux besoins en ressources arborées des populations. Il n’a fait que se densifier, remédiant à la mise en défens des forêts ou à la limitation de la main-d’œuvre consécutive, entre autres, à la scolarisation des enfants. La route et l’école, en favorisant la diffusion d’idées nouvelles, ont été des éléments moteurs de changements. Changements pris en charge, depuis quelques décennies, par des comités villageois, ce qui engendre une gestion de plus en plus élaborée et maîtrisée des ressources naturelles.
60Ainsi, les évolutions actuelles n’occasionnent pas, malgré la croissance démographique, une dégradation des milieux. Elles semblent au contraire contribuer à une meilleure stabilité des versants grâce à une stricte protection des forêts, à une densification du réseau des haies et à une gestion très raisonnée et efficace des différentes potentialités offertes par le milieu. Les résultats de cette étude rejoignent ceux de Virgo et Subba (1994) qui ont montré, dans le district de Dhankuta (Népal de l’Est), une certaine stabilité de l’utilisation des terres entre 1978 et 1990, en dépit d’une augmentation de la population de 19 %, mais aussi des échanges internes considérables entre les différentes catégories de terres. Ils rejoignent également les conclusions des travaux de Gilmour et Nurse (1991) qui ont établi le rôle positif des plantations d’arbres dans le secteur cultivé, ainsi que ceux de Fox (1993) dont le titre de la publication est révélateur : Forest resources in a Nepali village in 1980 and 1990 : the positive influence of population growth.
61À Masyam, les changements se font donc en alliant expérience séculaire et respect des équilibres naturels. Mais, nous l’avons vu, les situations varient d’un hameau à l’autre et au sein d’un même ward. Les changements se produisent en laissant sur les marges, comme ailleurs dans le monde, une partie de la population, ici les Kami de Kolang ou les Magar de Maramkot et Jantilung. C’est pourquoi les principales réflexions à mener dans l’avenir concernent sans doute moins des problèmes d’environnement, qui sont pris en charge par la majorité de la population, mais des problèmes de lien et de cohésion sociale. Comment faire pour que les mesures prises en matière d’environnement ne marginalisent pas, toujours plus, certains groupes de populations ?
Notes de bas de page
1 Certains passages de ce texte ont déjà été publiés dans Smadja, 1999 et 2001.
2 Masyam est aussi orthographié « Massiang » dans les textes cités.
3 Tous les extraits de textes qui suivent sont traduits de l’anglais par Joëlle Smadja.
4 Bruce et Northey, 1925, p. 296.
5 Northey et Morris, 1974, p. 203.
6 Morris 1985 [1933], Morris 1934. « Owing to the fact that Nepal is closed to European travellers, it has not been possible for us to give a detailed description of the interior of the country. (suite de la note 6, page 485) His Highness did, however, as a special favour, very kindly permit us to visit certain portions of the country on the eastern and western borders, and from these journeys we were enabled to gain a good general idea of what the rest of the country is like » (Northey et Morris, 1974, p. viii). « Some years after myfirst visit to Kathmandu I was asked by the Government of India to Write a handbook about Gurkhas. By this time I had got to know the Maharaja well and I wrote and told him that I could not do this job properly without seeing for myself what the interior ofthe country was like. To my surprise he replied that he had given orders for me to be allowed to go to Massiang. This is a high ridge beyond the Terai, and although it is no more than twenty or thirty miles inside Nepal it affords a glimpse of a large part of the western part of the country. By coincidence I ended my journey in 1961 along this very track and it will therefore be more appropriately described later in this book. But at the time no other European had been allowed to see even this little of the interior » (Morris, 1963. p. 30).
7 ga.bi.sa. est l’abréviation de gaon hikas samiti qui signifie « comité de développement villageois ». Sous-unité du district, le ga.bi.sa. est à peu près l’équivalent de la commune française.
8 Smadja, 1993, 1995.
9 S’y sont succédé jusqu’à présent : Tristan Bruslé (DEA de géographie), Marie Lecomte-Tilouine et Philippe Ramirez (ethnologie), Anne Bernard, David Bourdin, Jean-Baptiste Leclercq, Anne-Claire Degail, Guillaume Furry (diplôme de fin d’études en agronomie), Monique Fort et Joëlle Smadja (géographie), Christelle Georges (thèse d’écologie en cours).
10 Sur l’histoire du peuplement de cette région, voir Ramirez, 2000.
11 D’après Shrestha, 1985.
12 Les ward, circonscriptions administratives du ga.bi.sa., toujours au nombre de neuf, correspondent à des hameaux. Mais chaque hameau ne constitue pas automatiquement un ward. Ainsi, le hameau nettement différencié de Bel Danda est partie intégrante du ward de Kolang.
13 Traduit de Scott in Military History of Nepal, 1983 [1824], t. 1, p. 34.
14 La plus complète des généalogies familiales des Aslami Magar, groupe majoritaire de Kolang, fait état de huit générations (d’une vingtaine d’années) implantées à Kolang (Lecomte-Tilouine, communication personnelle).
15 « Unfortunately, it was quite early in the morning – afew minutes after dawn to be exact – when a clear view was finaly obtained, and even then only for a very few minutes. Hence, although the snows themselves stood out clearly in the early morning sun, the hills in the foreground and middle distance were in deep shadow, thereby making it impossible to obtain a photograph in which both the snows and the rest of the landscape could be clearly seen » (Northey, 1937, p. 191).
16 Morris, 1963, p. 175.
17 Les données climatiques présentées dans ce texte sont celles de la station météorologique de Tansen, localisée à 1 067 m d’altitude, à quelques kilomètres de Masyam. Elles portent sur les seules années complètes depuis 1957, date des premiers relevés.
18 Selon les données du Laboratoire de sismologie de Katmandou.
19 Bilham et al., 1997.
20 Par exemple la crête de Kolang. de Lekh à Aslami Tol. en passant par Telgha Lekh. Bhater Danda, Kami Tol et Saru Tol.
21 Comme celui qui sépare Kolang de Bel Danda.
22 Si l’on considère que, théoriquement, il n’y a pas eu de nouveaux défrichements depuis l’établissement du cadastre en 1975, ces champs ont donc été créés entre 1933 et 1975. L’instauration du cadastre n’a donc pas mis un arrêt à d’éventuels défrichements intempestifs, puisque la comparaison des photos prouve que leur extension était déjà très réduite dans cette région depuis au moins 1933.
23 On en trouve des définitions plus précises dans le chapitre premier, « Unités géographiques et paysages au Népal. Terminologies locales » (J. Smadja).
24 Smadja, 1993 et 1995.
25 Leurs racines souffriraient de l’eau d’irrigation et l’ombre portée par leur feuillage serait particulièrement gênante pour la bonne croissance du riz. Pour plus de précisions sur la répartition spatiale des arbres des champs, voir Gilmour, 1988 ; Carter, 1992 ; Smadja, 1995.
26 Voir à ce sujet les différents travaux sur le bocage du Champsaur dans les Hautes-Alpes, dans Morel et Rovéra (dir.). 1996, et dans Martin, 1999.
27 En France, Barloy et Cherouvrier (1976) ont montré que la croissance du maïs était retardée en bordure de la haie, mais au contraire accélérée sur le reste de la parcelle grâce aux bienfaits climatiques de la haie (température, effet brise-vent, évapotranspiration).
28 Mais aussi à de nouvelles donnes socio-économiques que nous examinerons plus loin.
29 « They are many mango topes in the locality, and oranges and lemons are also said to he plentiful. Otherwise, generally speaking, the soit is rather poor in this part of the country, and save in the sheltered valleys of the Kali river, very little rice is grown. Round Massiang itself, some four thousand feet or so above sea level, they grow chiefly Indian corn, wheat, huckwheat and barley » (Northey, 1937, p. 189).
30 Voir également à ce sujet les travaux de Shah (1995) dans la Jhikhu Khola et ceux de Müller-Böker (1991) à Gorkha.
31 Communication personnelle du Dr Prabakar B. Shah.
32 Shrestha et Surval, 1993.
33 Le manque de main-d’œuvre pour cultiver les terres, qui en résulte, est-il à l’origine du façonnement des champs en pente et non en terrasses ? Cela est possible, mais ne peut être prouvé dans l’état actuel des recherches.
34 Jusqu’en 1975 environ, la vaine pâture était encore pratiquée sur les bāri, à Aslami Tol, après la récolte de la moutarde et du sarrasin au mois de février.
35 Bourdin et Leclercq, 1999.
Auteurs
Doctorant, Université de Poitiers, MIGRINTER, géographe
Professeur, Université Paris 7, géographe
Directeur de recherche au CNRS (UPR 299), géographe
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