Chapitre XIV. Gestion des ressources et évolution des paysages au sein de l’Annapurna Conservation Area Project. L’exemple de la Modi Khola
p. 417-445
Texte intégral
1Au Népal, les espaces naturels protégés sont de plus en plus nombreux et étendus. Certains correspondent à des lieux souvent densément peuplés, où la fréquentation touristique a introduit des changements sensibles dans la gestion des ressources et le paysage. C’est le cas de l’aire de conservation créée en 1986 dans le massif de l’Annapurna. Ses habitants vivaient traditionnellement des activités agro-pastorales complétées par le recours au travail salarié temporaire à l’extérieur des villages. S’y ajoutaient le commerce caravanier pratiqué par les Thakali et les Manangi, ainsi que le mercenariat dans les armées britanniques et indiennes qui touchait surtout les Gurung et les Magar. Les districts du massif ont connu, comme beaucoup d’autres régions montagneuses du Népal, une forte croissance démographique, une émigration en direction du Téraï et des modifications importantes dans les systèmes de cultures depuis les années 1950, alors que parallèlement le tourisme apportait à partir des années 1970 de nouvelles sources de revenus.
2Le massif de l’Annapurna est rapidement devenu la première région de trekking du Népal, avec 49 316 visiteurs en 1996, dont 12 000 se rendent au camp de base. La marque du tourisme dans les paysages et sa place dans l’économie montagnarde y sont déjà anciennes et ont fait l’objet de nombreux débats à propos de son rôle dans la détérioration du milieu naturel et dans la perte des identités culturelles. En revanche, l’inscription du massif dans le périmètre d’une zone protégée y est beaucoup plus récente et lui confère un statut différent de celui des parcs nationaux précédemment établis au Népal. En effet, la création de l’Annapurna Conservation Area Project (ACAP) en 1986 marque, pour la première fois dans le pays, la volonté de mener une expérience de « développement durable » fondée sur la gestion participative des ressources naturelles et sur la protection de l’environnement par les sociétés locales. Il s’agit de la plus vaste aire protégée du Népal : sur une superficie de 7 600 km2, se concentre une richesse biologique exceptionnelle (1 226 espèces végétales et 336 espèces animales répertoriées), et surtout une population de près de 120 000 habitants répartis en 55 ga.bi.sa.
3C’est donc dans un contexte institutionnel nouveau1 qu’il nous faut analyser les dynamiques de la société locale et l’évolution des paysages. La vallée de la Modi Khola offre à cet égard un bon terrain d’observation : on dispose en effet, pour le versant de Ghandrung-Mohoriya, de la thèse de Bernard Pignède réalisée à la fin des années 19502, et surtout d’un second état des lieux effectué par Alan MacFarlane au début des années 19903, ce qui permet de saisir l’évolution du versant sur une période de quarante ans. Ensuite, c’est dans cette vallée qu’a été expérimentée pour la première fois la politique de l’ACAP. Les principes qui ont guidé la création de l’aire de conservation se fondent sur une interprétation pessimiste des changements qui affectent la région. L’action menée par l’ACAP dans la Modi Khola se présente comme l’application concrète à l’échelle locale des discours internationaux sur la protection de l’environnement, qu’il nous faut mettre en regard avec l’évolution des paysages agro-pastoraux sur la longue durée, et avec les dynamiques introduites par le tourisme sur ce territoire désormais protégé.
L’état des lieux dans la Modi Khola à la veille de la création de l’ACAP
L’organisation des paysages et du peuplement sur le versant de Ghandrung-Mohoriya
4Le versant de Ghandrung-Mohoriya, étagé entre 1 000 et 3 100 m d’altitude, se situe sur la rive droite de la Modi Khola, une rivière d’orientation grossièrement nord-sud, qui prend sa source sur le flanc méridional de l’Annapurna. Les villages, de population gurung, se localisent entre 1 500 et 2 000 m d’altitude sur une longue pente cultivée en terrasses jusqu’à 2 300 m d’altitude. Au-dessus, la forêt occupe l’espace jusqu’à la crête. On la retrouve aussi en dessous de 1 500 m, accrochée aux parois rocheuses qui surplombent la Modi Khola.
5L’amont de la vallée est occupé par le ga.bi.sa. de Ghandrung. Regroupant 4 748 habitants, ce gros village, perché à 2 000 m d’altitude, est le plus haut et le plus grand établissement permanent de la Modi Khola. Son territoire s’étend jusqu’aux grandes pelouses d’altitude du Machhapuchhare et de l’Annapurna consacrées traditionnellement à l’élevage bovin et ovin, où n’existaient pas d’établissements permanents avant l’arrivée du tourisme.
6Ghandrung est constitué d’un groupement lâche de maisons, séparé en deux parties : la plus ancienne, située au nord, est perchée sur un replat qui domine le fond de la Modi Khola, en contrebas du sentier qui mène à Ghorepani. La partie la plus récente se trouve au sud, un peu plus en hauteur, sur le haut du versant qui domine Kimche. En contrebas et entre ces deux quartiers se trouvent des groupements de maisons plus basses et plus pauvres, occupées par les castes de service.
7En aval, le versant qui s’élève jusqu’à une croupe forestière culminant à 3 100 m, comprend le ga.bi.sa. de Dangsing-Mohoriya qui compte 3 533 habitants. Il est constitué de deux ward : le plus ancien est celui de Dangsing, qui occupe vers 1 500 m d’altitude un éperon orienté au sud-ouest dominant la confluence de la Modi Khola et de la Bhurungdi Khola au-dessus de Birethanti. Le deuxième ward, constitué par le village de Mohoriya, se situe à peu près à la même altitude (1 600 m), et se trouve à environ deux heures de marche de Dangsing en direction de Ghandrung. Il comprend 150 maisons en majorité de Gurung, qui s’égrènent en longueur de part et d’autre du chemin principal, auxquelles s’ajoutent deux maisons de Kami et Damaï, un peu à l’écart du village, et celles de quelques familles Bahun-Chetri qui vivent au pied du versant sur les khet.
8Situé en contrebas de Dangsing, Birethanti forme un autre ga.bi.sa. qui commande l’entrée de la vallée : localisé à la confluence de la Modi Khola et de la Bhurungdi Khola, ce village peuplé de Gurung et de Magar était autrefois une étape commerciale pour les marchands thakali de la Kali Gandaki qui menaient leurs convois de mules de Jomossom à Pokhara par le col de Ghorepani. Ce dernier marque la limite avec le ga.bi.sa. de Sikha qui occupe le versant de rive gauche de la Kali Gandaki à l’aplomb du ga.bi.sa. de Bhurung-Tatopani situé au fond de la vallée.
9L’architecture ancienne des villages de la vallée présente une belle unité : les vastes maisons construites généralement en longueur sont bordées en façade par de grandes cours dallées entourées de murettes basses bien entretenues. Elles sont accolées deux à deux dans le sens de la courbe de niveau le long des chemins principaux, ou s’organisent en groupement autour de deux ou trois cours formant un espace central (cas du vieux village de Ghandrung). Les murs de pierre sont blanchis ou recouverts d’ocre à mi-hauteur, et percés de fenêtres en bois sculpté. Les maisons comportent toutes une véranda en bois et parfois une galerie à l’étage. L’étable pour les buffles est attenante à la maison. Les toits sont en lauzes. Les toits de chaume qui étaient assez fréquents dans les années 1950 tendent à disparaître : ils recouvrent encore quelques modestes maisons occupées par les castes de service. Quelques maisons disposent de toits en tôle ondulée, surtout à Ghandrung.
10Les Gurung ont marqué les grands versants de la Modi Khola de leurs activités agro-pastorales. Les terres de fond de vallée et des premières pentes portent des terrasses rizicoles. Au-dessus de ces terres irriguées, la plus grande partie du versant est occupée par les terres sèches : pakh-moro (pākho, nép.). On y cultive du maïs, du millet, du blé, des pommes de terre, de l’orge et du sarrasin. À Mohoriya, les terrasses sèches sont entourées d’un système de murettes de pierres destinées à protéger les champs du bétail. Des arbres et des rideaux de broussailles occupent les pentes les plus abruptes. Le centre du territoire est constitué d’une vaste étendue de pierraille recouverte d’une pauvre végétation où se trouvent toutes les sources d’eau de consommation appelées localement kyu-wadhu.
11La carte topographique au 1/100 0004 fait apparaître sur le versant des différences dans la couverture forestière : celle-ci est plus importante sur le ga.bi.sa. de Ghandrung où elle jouxte partout les terrasses de culture, qu’au-dessus de Mohoriya et du hameau de Kimche, où apparaissent de nombreux espaces non cultivés. La forêt se situe à environ deux heures de marche de ces deux villages. Quant aux pâturages d’altitude situés sur les flancs du Machhapuchhare et de l’Annapurnaen amont de la vallée, ils appartiennent au territoire de Ghandrung, mais sont utilisés par l’ensemble des éleveurs de la région.
12Les activités économiques de la vallée sont, traditionnellement, l’agriculture et l’élevage, auxquels s’ajoute le mercenariat. Jusqu’à ces dernières années, celui-ci permettait aux Gurung de compléter les ressources de l’exploitation agricole et d’investir au moment de la retraite dans l’achat de terres et la construction d’une maison au village.
Des changements déjà perceptibles dans les structures du territoire à la fin des années 1980
13Le versant de Ghandrung-Mohoriya a été étudié pour la première fois par Bernard Pignède en 1958. Ghandrung était alors un village tourné vers l’élevage, alors que Mohoriya, se consacrait surtout à l’agriculture. Dans ce dernier village, le troupeau ovin et caprin, qui s’élevait à 500 têtes en 1860, n’en comprenait plus que 200 un siècle plus tard. De même, le nombre de vaches était déjà passé en un siècle de 300 à 213 têtes. On était donc loin, au début des années 1960, de l’importance que peut tenir encore aujourd’hui l’élevage dans les villages gurung d’altitude, comme ceux du district de Gorkha par exemple. À la fin des années 1950, Pignède met sur le compte de la pression démographique la mise en culture de nouvelles terres au détriment de la forêt sur le versant de Mohoriya5 : en effet, des terrasses récentes occupent les premières pentes abruptes au-dessus des rizières, sur des sols médiocres mais irrigables grâce à l’eau des torrents qui dévalent la pente. Ce mouvement semble se poursuivre au moins jusqu’à la fin des années 1960 : environ douze ropani de rizière ont été mis en culture tandis que les villageois envisageaient à l’époque la possibilité de convertir encore cinq ropani en rizière.
14La situation apparaît pourtant très différente en 1990, date à laquelle MacFarlane enquête dans le village : aucune nouvelle terre n’a été défrichée et il constate au contraire une contraction significative de la surface cultivée6. De nombreuses terrasses sont abandonnées aux broussailles (banja) et à l’arbre. Ce sont les cultures les moins rentables (orge, sarrasin), les terres les moins fertiles où poussait le millet, ou les moins bien exposées plantées en pommes de terre, qui ont régressé entre 1960 et 1975. Les friches ont été reconverties en prés de fauche, en terrains de parcours pour les animaux ou ont été reboisées.
15Dans le même temps, l’élevage a poursuivi une évolution entamée à l’époque de l’enquête menée par Pignède. Le troupeau de moutons et de chèvres s’est stabilisé à deux cents têtes, appartenant essentiellement à des familles d’éleveurs de Dangsing, Mohoriya n’ayant conservé que des chèvres. Celles-ci sont conduites par les enfants et les adolescents sur les pâkhā, terrasses en friches ou pentes raides herbeuses non cultivables. Il n’y a plus qu’une cinquantaine de vaches à Mohoriya. Cependant, sur l’ensemble du ga.bi.sa., il subsiste encore des troupeaux de moutons, dont le plus gros atteint trois cents têtes. Ils appartiennent à un petit nombre de familles d’Ulleri et de Sabed, en amont du versant, ainsi que de Ghandrung. Les bêtes pâturent en été aux alentours de 3 700 m d’altitude, non loin du camp de base du Machhapuchhare.
16En revanche, à Ghandrung, comme à Mohoriya, chaque maison dispose d’au moins un buffle. Les animaux de labour et les buffles sont gardés à l’étable où ils sont nourris avec des fanes de maïs, de l’herbe coupée et des feuilles provenant des arbres fourragers. Ces derniers sont plantés près des maisons, à proximité des étables qui leur sont attenantes, donnant à l’ensemble du versant un aspect particulièrement arboré.
17Ces changements dans le paysage cultivé s’accompagnent de changements dans la taille et la structure de la population. On les observe tout d’abord dans le paysage par la diminution du nombre de maisons : à Mohoriya, trente-neuf maisons cartographiées en 1958 ont disparu et trois sont vides. Seize nouvelles maisons ont été construites, la plupart dans le quartier des Kami, non dans le village principal, mais sur le chemin qui descend à la rivière et dans les rizières, où elles sont occupées par des populations non gurung. À Ghandrung, on constate aussi la présence de maisons abandonnées. Dans ce village, en revanche, les constructions neuves destinées aux touristes, hôtels et lodges, sont en nombre croissant.
18Les comptages effectués à Mohoriya en 1990 par MacFarlane permettent, dans les limites géographiques du comptage effectué par Pignède, de préciser sur le plan démographique ce que le paysage enregistre dans le bâti : la population totale, incluant les hommes vivant à l’extérieur du village mais dont la famille est installée à Mohoriya, s’élevait en 1990 à 328 personnes. Par rapport aux effectifs de 1958, la population aurait diminué de 33 %. Bien plus, la part des Gurung par rapport aux castes de service s’est effritée : 67 % de la population actuelle est gurung contre 85 % en 1958.
19Parallèlement à ce déclin, la vallée de la Modi Khola s’est largement ouverte au tourisme à partir des années 1970.
Une vallée anciennement et inégalement ouverte au tourisme
20L’ouverture du massif des Annapurna au tourisme s’est faite à partir de 1964. Avant cette date, la région n’avait été visitée que par l’alpiniste anglais Tilman en 19497, et par l’expédition française à l’Annapurna de Maurice Herzog en 1950. Le retentissement international de la première ascension réussie d’un « 8 000 » fait alors de l’Annapurna un des hauts lieux de la planète. La vallée de la Kali Gandaki, qui mène au camp de base de la montagne, est alors empruntée pour la première fois par des groupes de touristes, encadrés par les agences de trekking pionnières de Katmandou. Cependant, alors que les étrangers commencent à pouvoir se rendre au Népal, la frontière nord est fermée du fait de l’occupation chinoise du Tibet en 1959. Entre 1972 et 1975 la haute Kali Gandaki, qui est devenue le refuge des rebelles Khampas en armes, est interdite aux étrangers par les autorités militaires.
21Les touristes se rabattent alors sur la vallée de la Modi Khola dont l’accès est facilité par la construction de la route Katmandou-Pokhara en 1972. Elle offre, au départ de Pokhara, une alternative commode au trek de la Kali Gandaki, en permettant d’accéder au « sanctuaire de l’Annapurna », site du camp de base des expéditions sur la face Sud. Mais ce n’est qu’après le désarmement des Khampas et l’ouverture aux randonneurs du col du Thorong que le tour complet du massif devient réalisable par les randonneurs. La fréquentation de la région augmente alors rapidement, passant de quelques milliers d’individus dans les années 1970 à 37 902 touristes en 1988. Tandis que l’ACAP se mettait en place à partir de 1986, la croissance du nombre des touristes s’est poursuivie, à un rythme cependant un peu moins soutenu, pour atteindre 49 316 visiteurs en 1996, soit 60 % du total des trekkeurs au Népal. Sur ce total, on évalue à 25 000 le nombre de randonneurs qui empruntent la vallée de la Modi Khola chaque année, dont 12 000 se rendent au camp de base de l’Annapuma. La fréquentation, concentrée sur l’automne et le printemps, se partage entre les groupes de campeurs et les touristes individuels, de loin les plus nombreux, auxquels s’ajoutent leurs guides et porteurs.
22L’inscription du tourisme dans l’espace reste cependant inégale, limitée à l’itinéraire de trekking : celui-ci débute traditionnellement à Shyangja près de Pokhara, passe par Dhampus et Pothana, pour rejoindre la rive gauche de la Modi Khola à Tolka et traverser la rivière à l’aplomb de Ghandrung. À partir de ce village, deux options sont possibles : la remontée de la haute Modi Khola jusqu’au camp de base de l’Annapurna ou le franchissement du col de Ghorepani afin de rejoindre l’itinéraire qui mène à Jomossom depuis Tatopani. Un sentier bien aménagé suit le fond de vallée en rive droite de la Modi Khola pour remonter au niveau de Kimche vers le village de Ghandrung. Mais celui-ci est pour l’instant peu utilisé par les touristes, qui empruntent généralement le sentier de rive gauche. De ce fait, Dangsing et Mohoriya, pourtant situés à quelques heures de marche de Ghandrung et de Birethanti, ne voient passer aucun étranger et n’ont aucun lien avec l’activité touristique. En revanche, celle-ci a profondément modifié la physionomie et la structure des villages traversés par les randonneurs (figure 50).
23Les premiers visiteurs ont trouvé d’abord à se loger chez l’habitant, lorsqu’ils ne campaient pas avec leurs porteurs. Mais très rapidement, devant l’augmentation de la fréquentation, les villageois se sont mis à construire de leur propre initiative des dortoirs accolés à leur maison ou aménagés à l’étage, puis des lodges ou guesthouses dans des bâtiments séparés. Le chemin qui mène au « sanctuaire de l’Annapurna » est aujourd’hui jalonné par 235 lodges offrant une capacité totale d’accueil de près de 3 200 lits.
24La plupart se sont implantés au cœur des villages-étapes, mais ils ont aussi gagné les forêts et les alpages d’altitude : Chhomrong, Bambou Hotel, Hinku, camp de base de l’Annapurna. Ils ont tous été construits récemment et ne sont occupés que pendant la saison touristique. Certaines implantations se sont cependant transformées en de véritables villages permanents, comme au col de Ghorepani-Deurali, qui donne accès au belvédère de Pun Hill8. Jusque dans les années 1970, le site était utilisé comme terrain de pâture par les villageois de Khibang, et ne comportait qu’une seule maison faisant office d’étape pour les marchands caravaniers qui empruntaient l’itinéraire Pokhara-Jomossom. Entre 1963 et 1985, cinq lodges ont été construits sur le col en pleine forêt, suivis d’une quinzaine d’autres à partir de 1986. L’ensemble constitue aujourd’hui une petite agglomération de trois cent vingt habitants permanents, qui peut accueillir jusqu’à huit cents touristes en haute saison.
25Dans la Modi Khola proprement dite, Ghandrung, qui bénéficie d’une situation stratégique comme nœud majeur des circuits de la région, possède plus d’une centaine de lodges. Ils sont répartis en trois quartiers bien distincts, juxtaposés à l’ancien noyau villageois qui a conservé son aspect traditionnel.
26Les changements liés à la venue des touristes sont observables également à l’entrée de la vallée de la Modi Khola, dans le village de Birethanti. Ce dernier est devenu, grâce à la route Pokhara-Baglung, une des portes d’entrée possible du « tour des Annapuma » et du circuit du sanctuaire de l’Annapurna. La majorité des hôtels construits depuis 1985 se sont établis de part et d’autre du pont. La rue principale est bordée de maisons à l’architecture traditionnelle, dont beaucoup comportent une boutique en rez-de-chaussée ou ont été aménagées pour les touristes dans les années 1970.
27C’est dans ce contexte de transformations rapides que la Modi Khola est choisie en 1986 pour devenir le terrain d’expérimentation d’une nouvelle politique de gestion de l’environnement consacrée par la loi de 1996 sur les aires protégées, dans le cadre de l’Annapurna Conservation Area Project.
La création de l’ACAP, une réponse nouvelle au scénario de la « crise himalayenne »
Aux origines de la création de l’ACAP, la critique des modes de protection des parcs nationaux et le procès du tourisme
28La croissance de la fréquentation touristique dans les années 1970 a remis sur le devant de la scène la question de la dégradation de l’environnement et des paysages par le tourisme, d’autant que certains auteurs constatent parallèlement une crise des systèmes agro-pastoraux traditionnels. Pourtant, contrairement à la région de l’Everest ou du Langtang, le massif de l’Annapurna n’avait pas fait l’objet d’une procédure de création de parc national, alors qu’il était de loin le plus fréquenté par les touristes.
29En 1986, le contexte idéologique a changé. L’implantation dans le massif des Annapurna de la première aire de conservation du Népal (figure 51) s’inscrit dans une période de remise en cause des modes de gestion des parcs nationaux. On critique le manque d’implication des sociétés locales et les effets pervers d’une gestion purement conservationniste des ressources9. On insiste sur la nécessité de prendre en compte les intérêts des populations locales et de les faire participer plus étroitement à la protection de leur environnement. Pour le reste, la justification de la création des aires de conservation ne change guère : elle se présente toujours comme une réponse au scénario de la crise écologique himalayenne, auquel s’ajoute le procès fait au tourisme de dégrader l’environnement et de pervertir les cultures locales10.
30Les objectifs de l’ACAP sont, en effet, de préserver l’environnement devant la menace réelle ou supposée de la pression démographique et de l’accroissement des flux touristiques dans la région. On s’alarme en particulier d’une déforestation accrue dont seraient rendus responsables les feux de bois des campeurs et de leurs porteurs et l’utilisation des arbres comme bois de charpente pour la construction des lodges ou comme source d’énergie pour le chauffage et la cuisine. Le tourisme est de plus accusé d’introduire de nouvelles formes de pollution par les déchets sur les sentiers et d’être un facteur de désintégration des structures socio-économiques.
31Dans les années 1960, les premières expéditions de haute montagne étaient en effet de grosses consommatrices de bois, dans la mesure où elles employaient parfois des centaines de porteurs qui devaient trouver par eux-mêmes à se nourrir et à se chauffer sur le chemin. La situation s’est toutefois améliorée dans les années 1970 et 1980, avec l’abandon progressif des expéditions lourdes pour des ascensions en technique alpine utilisant des équipes plus réduites. En revanche, les groupes de campeurs ont pris le relais des expéditions : les agences népalaises de trekking ne prennent pas en charge la nourriture et le logement de leurs porteurs, ce qui n’est pas le cas pour les membres permanents de l’équipe de trekking (guide, sherpas et cuisiniers), qui disposent d’un budget pour l’achat du combustible. De plus, les porteurs ne sont pas autorisés à utiliser les réchauds de l’équipe de cuisine, car leur appartenance de caste ou d’ethnie les contraint à manger à l’écart du groupe. Ils sont donc obligés de ramasser du bois mort le long des chemins ou de l’acheter aux villageois pour se chauffer et préparer leurs repas, ce qui ampute parfois du quart ou du tiers leur salaire de base. Les prix augmentant en fonction de l’altitude, il n’est pas rare que du bois soit volé dans les réserves des maisons proches des campements.
32Mais c’est surtout la construction et le fonctionnement des lodges destinés aux voyageurs individuels qui occasionnent une forte pression sur la forêt : le bâtiment, les fournitures telles que les tables, les chaises ou les lits, ainsi que le combustible utilisé pour la cuisine et pour chauffer l’eau des douches, nécessitent des prélèvements importants à l’échelle locale qui s’ajoutent à ceux des paysans. Toutefois, cette pression s’exerce de façon relativement ponctuelle, puisqu’elle se limite aux forêts des villages traversés par un itinéraire de trekking, et qu’elle se concentre sur quatre mois dans l’année, à l’automne et au printemps. Par ailleurs, l’emploi de plus en plus fréquent de matériaux industriels et de sources d’énergie alternatives par ceux qui en ont les moyens permet de diminuer la consommation de bois. Les situations peuvent ainsi être très différenciées dans le temps et dans l’espace, en fonction de la richesse des villages, mais aussi de leur situation à proximité ou non d’une route permettant l’acheminement à un coût raisonnable d’autres sources d’énergie ou de matériaux modernes.
33Tout en désignant le tourisme comme un responsable majeur de la dégradation des milieux, les autorités n’en cherchent pas moins à profiter au maximum des revenus qu’il produit et à en faire un levier du développement local. C’est pourquoi la mise en place de l’ACAP ne s’est pas accompagnée d’une limitation de l’accès du massif aux touristes, sauf dans la région du Mustang, où leur sélection se fait par l’argent11. Au contraire, l’argent des touristes doit permettre de financer des opérations de protection de l’environnement et de développement à l’intérieur de la zone. C’est ainsi que l’entrée dans l’aire protégée est devenue payante. Plusieurs check-post ont été établis aux points de départ des itinéraires de trekking. Alors qu’autrefois les touristes ne payaient que leur permis de trekking, celui-ci est désormais remplacé par un droit d’entrée de 1000 NR, directement perçu par les check-post de l’ACAP, et non plus par les services d’immigration, comme c’était le cas au début de la création de l’aire de conservation. Ce droit d’entrée représentait plus d’un million de dollars en 1996. Parallèlement, l’ACAP diffuse une brochure à destination des touristes, le minimum impact code, afin de les rendre plus conscients de leur impact sur l’environnement et la société locale.
34La première mission de l’ACAP est la conservation des ressources naturelles et en particulier de la forêt. Les actions de protection reposent sur un zonage précis du territoire en cinq catégories d’espaces à gestion différenciée : les Wilderness areas englobent l’ensemble des espaces de haute altitude qui sont strictement protégés de toute activité humaine. Les Biotic/anthropological zones sont des régions isolées et peu peuplées (Mustang, Nar-Phu sur la haute vallée de Manang), qui sont soumises à une protection particulière et à une limitation du nombre des touristes. Les Special managment zones concernent des espaces de peuplement récent, depuis moins d’un siècle, caractérisés par des paysages remarquables, dont la protection est jugée prioritaire : c’est le cas de Ghorepani et de la région du camp de base de l’Annapurna, mais aussi en dehors de notre terrain d’étude, du col du Thorong, du lac de Tilicho et de la forêt de Chame, dans le district de Manang. Les Protected forest/ Seasonal grazing zones concernent les pâturages et les forêts situées au-dessus des zones cultivées : elles sont soumises à une utilisation sélective des ressources. Enfin, les Intensive managment zones sont constituées par tous les espaces intensément marqués par les activités humaines, où l’ACAP privilégie l’encadrement des populations et leur participation à la gestion de leurs ressources.
35Les principales mesures prises dans les zones habitées et exploitées par les populations locales concernent essentiellement les interdictions de la chasse et de la cueillette d’espèces protégées, mais aussi la mise en défens de certaines forêts, le contrôle des coupes de bois et de la collecte des produits forestiers dans les zones autorisées. S’y ajoutent la réalisation de plantations d’arbres au moyen de pépinières, ainsi que la promotion de sources d’énergie alternatives. Dans les villages les plus touristiques, l’ACAP encourage la collecte et l’élimination des déchets. La conservation ne s’applique pas seulement à la nature mais aussi au patrimoine culturel : rénovation des édifices religieux, mise en place de festivals folkloriques.
36La seconde mission de l’ACAP est de promouvoir le développement rural, afin de lutter contre la pauvreté et d’améliorer les conditions sanitaires des villages. Jusqu’à présent, les actions entreprises ont surtout porté sur la création ou l’entretien des infrastructures de base (ponts et chemins, réseaux d’alimentation en eau potable, construction de toilettes publiques et privées). S’y ajoutent dans certains secteurs (Lwang, Siklis, Bhujung), des programmes d’agroforesterie et d’introduction de cultures commerciales s’appuyant sur des fermes modèles.
37Des formations sont également dispensées aux propriétaires d’établissements touristiques afin d’améliorer la qualité des prestations offertes et d’assurer une coordination entre les lodges : uniformisation des prix des chambres et des repas notamment, qui sont fixés annuellement au niveau de chaque ga.bi.sa., quel que soit le niveau de confort des hôtels12. La standardisation des tarifs a été voulue par l’ACAP afin d’éviter que les touristes ne se pressent sur les lodges les moins chers et pour obliger les hôteliers à améliorer le confort de leur établissement à un niveau standard. La concurrence ne se fait donc pas sur les prix mais sur le service proposé, la localisation et la qualité des équipements.
38Enfin, l’ACAP s’efforce également d’élever le niveau d’alphabétisation des villageois, tout en développant des programmes d’éducation à la conservation. Ce dernier point est considéré comme la clé de la réussite à long terme du projet : il vise à rendre les populations locales conscientes de la nécessité de protéger la nature et à en faire les gardiennes de leurs ressources naturelles, notamment contre les braconniers.
La mise en place de structures d’encadrement des populations
39La participation des habitants à la gestion de leur environnement impliquait que soient mises en place des institutions locales d’action et de décision de type associatif qui se sont ajoutées aux structures administratives traditionnelles. L’aire de conservation a été pour cela divisée en plusieurs secteurs (Ghandrung, Lwang, Siklis, Ghalekharka, Bhujung, Manang, Jomossom et Lo Manthang), disposant chacun d’un bureau avec à sa tête un officier de conservation. Un comité de gestion de l’aire de conservation (CAMC) a été créé dans chaque ga.bi.sa. Il est constitué du président du ga.bi.sa., de neuf membres choisis par les habitants à raison d’un représentant de chaque ward et de cinq membres choisis par l’officier de conservation qui doit s’assurer de la représentation des femmes, des communautés dites « arriérées » (castes de service), ainsi que des travailleurs sociaux. Le CAMC doit établir et proposer au chef de l’aire de conservation un plan d’aménagement pour une durée de cinq ans concernant la protection du milieu naturel, le développement des communautés et des ressources naturelles de la zone. Il est chargé de délivrer un permis payant pour la chasse, la pêche, le pâturage, la coupe des arbres et l’utilisation des ressources naturelles. Les droits à payer pour la récolte des produits de la forêt sont fixés par le comité et approuvés par l’officier de conservation, mais les sommes ainsi collectées appartiennent à l’ACAP et sont déposées en son nom, à charge pour elle d’allouer à chaque comité les sommes nécessaires à la mise en œuvre des programmes annuels. D’une manière générale l’ACAP finance l’apport de matériaux, de plants destinés aux pépinières ou de compétences extérieures non disponibles sur place, et les habitants fournissent la main-d’œuvre et les matériaux que l’on peut trouver localement.
40Le CAMC a le pouvoir de constituer des sous-comités (par ward ou par spécialité), mais il peut être dissout par l’officier de conservation s’il ne respecte pas ses attributions. C’est ainsi que des comités de conservation et de développement (CDC) et divers comités pour la gestion des lodges, de l’électrification, des dépôts de kérosène, ou des postes de santé, ont été constitués par les habitants à l’instigation de l’ACAP. Celle-ci s’appuie sur ces comités pour décider des programmes de développement et de conservation à conduire. À Ghandrung, par exemple, c’est le comité hôtelier qui se charge de brûler les déchets des hôtels, de mettre en place des poubelles sur le chemin et de faire recycler à Pokhara les bouteilles de boisson fraîche consommées sur place par les touristes.
41Les femmes constituent un « groupe cible » privilégié, car elles sont considérées comme un point d’appui fondamental pour la réussite des activités de développement (Boisseaux, 1998). Elles reçoivent souvent des formations spécifiques (alphabétisation, hygiène, activités artisanales ou commerciales liées au tourisme...). Dans la Modi Khola, ce sont les comités de femmes (āmātoli) qui se chargent des replantations d’arbres et de la gestion des pépinières. Elles collectent elles-mêmes de l’argent en organisant des spectacles de danse afin de se constituer des fonds propres qu’elles utilisent pour les replantations, pour la construction, la réfection et l’entretien des sentiers et des temples, ou pour organiser des journées de nettoyage de leur village. Ce système s’ajoute au crédit rotatif que pratiquent traditionnellement les femmes gurung. Chaque ward a son comité comportant une représentante de chaque maison qui se réunit une fois par mois. Enfin, pour assurer le lien entre les gestionnaires de l’aire et le gouvernement, un officier de liaison est désigné par le département des Parcs et de la conservation de la vie sauvage. Secondé par des assistants, il a pouvoir de constater et de poursuivre les contrevenants à la réglementation.
42Les populations sont donc désormais solidement encadrées et se voient soumises à de nouvelles contraintes dans la gestion de leurs ressources, en contrepartie de programmes d’amélioration de leurs conditions de vie et de développement. Qu’en est-il alors dans ce contexte nouveau de la place et du statut de la forêt, et comment la logique de préservation de l’environnement s’articule-t-elle avec la dynamique touristique initiée par la société locale dans la Modi Khola ?
L’application de la politique de l’ACAP et les pratiques locales dans la Modi Khola
43Les principaux changements introduits par l’ACAP dans la vallée concernent essentiellement la réglementation de l’accès à la forêt, le reboisement grâce au développement de pépinières et le développement de sources d’énergies alternatives.
44Les premières pépinières ont été constituées en 1990 à partir des plants fournis par le centre horticole de Lumle avec l’aide des Britanniques. Depuis 1992, l’ACAP a pris le relais en encourageant la création de pépinières de bois d’œuvre sur des zones de pākhā incultivables. Les plants en provenance des pépinières sont fournis gratuitement aux villageois, que ce soit pour des plantations privées ou communautaires. Ces dernières sont entourées de murettes de pierre ou de fil de fer barbelé pour les protéger du bétail. Dans le secteur de Ghandrung, 226 905 arbres privés ont été replantés, ainsi que 98 527 sur les terres communautaires, entre 1986 et 199613. À Mohoriya, les zones de reboisement concernent essentiellement le lieu-dit Dharapani Pakha dans la zone du Kyu-Wadhu. Les arbres sont destinés au bois d’œuvre et au fourrage. On plante aussi des arbres fourragers privés en bordure des maisons et des champs qui entourent le village, plus rarement dans les champs éloignés, ou encore sur des terrasses de cultures abandonnées.
45La forêt demeure néanmoins une ressource importante pour le bois d’œuvre et de feu. C’est pourquoi les prélèvements forestiers sont désormais strictement contrôlés par l’ACAP qui paye des gardes afin d’assurer la surveillance quotidienne de la forêt et de faire respecter la réglementation (mises en défens ou accès soumis à autorisation par les comités). À Ghorepani, par exemple, la coupe de bois d’œuvre est totalement interdite sur l’ensemble de la forêt. Les villageois doivent se contenter du ramassage des arbres endommagés par les phénomènes naturels (foudre, neige, glissements de terrain) ou bien s’approvisionner dans le ga.bi.sa. voisin de Sikha hors des limites de l’ACAP14. À Ghandrung, les villageois expriment leurs besoins en bois en nombre d’arbres et en types d’espèces à abattre, selon la taille de leur maison ou de leur lodge. La coupe de deux à trois gros arbres suffit généralement pour la charpente, les galeries, les fenêtres et les portes, ainsi que pour l’équipement en tables et lits. L’autorisation de coupe est soumise au versement d’un droit auprès du CAMC, dont le montant varie selon l’espèce et selon la distance au village : les espèces les moins chères sont celles qui sont les plus éloignées du village ou les plus abondantes. Les plus proches, et donc les plus vulnérables à la coupe, sont soumises à des tarifs dissuasifs. C’est ainsi que certaines espèces à bois dur, utilisées pour faire les portes et les fenêtres, comme le magnolia, sont les plus chères (500 NR pour un gros arbre), et il est très difficile d’obtenir l’autorisation de coupe.
46Les besoins liés à la cuisson des aliments et au chauffage en hiver doivent désormais être couverts exclusivement par le ramassage du bois mort. Il s’effectue une fois par an en hiver (novembre-décembre) sur la base de deux doko bhari15 par jour et par personne. Mais il faut souvent aller le chercher de plus en plus loin, à deux ou trois heures de marche, car tout le monde le prélève au même moment au plus près des villages. Autrefois les basses castes et les paysans les plus pauvres collectaient ce bois mort pour le vendre 60-70 NR par doko bhari dans les lodges. Ils sont aujourd’hui privés de cette source de revenus du fait des limitations instaurées par l’ACAP et de l’utilisation de plus en plus systématique de sources d’énergie alternatives par les lodges.
47L’ACAP encourage en effet l’utilisation de bonbonnes de gaz ou de kérosène. Les bonbonnes de gaz sont coûteuses (500 NR), mais une seule suffit à la consommation d’une dizaine de personnes pendant trois semaines. Des bidons de kérosène sont aussi disponibles dans des dépôts situés à Ghandrung, ainsi qu’à Chhomrong, sur la route du sanctuaire de l’Annapurna. D’autres ont été installés à Nayaphul, à Tirkhedhunga et à Ghorepani.
48L’utilisation des ressources alternatives ne s’est toutefois pas encore généralisée à l’ensemble de la zone de conservation. Les villages qui ne vivent pas du tourisme parce qu’ils sont à l’écart des sentiers de trekking n’ont pas recours à ces dépôts. Ceux qui sont situés sur le tour des Annapurna connaissent des situations très inégales. Dans la Kali Gandaki, par exemple, 80 % des lodges utilisent encore le bois, même si sa consommation a baissé de moitié en dix ans16, et seulement un lodge sur six a recours exclusivement à de nouvelles sources d’énergie17. Ces dernières restent encore très coûteuses, surtout lorsqu’il faut ajouter à leur prix le coût du transport (de 15 à 30 NR le litre de kérosène, transport compris). Elles ne sont pas à la portée de tous les lodges et encore moins des populations qui ne bénéficient pas des revenus touristiques.
49La Modi Khola fait figure de modèle pionnier dans ce domaine et il semble difficile aujourd’hui de rendre le tourisme responsable de la dégradation des forêts, s’il l’a jamais été. En effet, avant la création de l’ACAP, on évaluait à deux ou trois doko bhari la consommation journalière d’un lodge pour la cuisine et le chauffage, soit 75 à 90 kg par jour. Cette consommation se réduit à un demi-doko bhari environ par jour en basse saison, soit 15 kg18, ce qui équivaut à peu près à la consommation d’une maison qui n’accueille pas de touristes ou en très faible nombre. En prenant la base de calcul la plus haute, on peut tenter d’estimer approximativement la consommation actuelle de bois des lodges de Ghandrung et la comparer à celle des autres habitations du village en 1991. Un lodge consommerait alors 16,5 tonnes de combustible en haute saison et 2,8 tonnes en basse saison, soit un total annuel de 19,3 tonnes. Une simple maison, sur la base de 15 kg par jour, ne consommerait que 5,4 tonnes par an. L’écart est en effet considérable. Mais si on se place à l’échelle du ga.bi.sa., en prenant cette fois en compte la consommation annuelle de tous les lodges du village, et qu’on la compare à celle de l’ensemble des maisons qui n’accueillent pas de touristes, la situation s’inverse : les 111 lodges de Ghandrung consomment 2 113 tonnes de bois par an, contre 4 938 tonnes pour les 902 autres maisons. S’il est clair que la consommation liée aux besoins des touristes s’ajoute à celle des villageois, elle lui reste cependant inférieure, même avec un doublement de la population résultant de l’afflux des touristes en haute saison. Cela relativise fortement le rôle dévolu au tourisme dans la déforestation. Si l’on considère que le nombre de lodges construits à Ghandrung avant 1986 était beaucoup moins important qu’aujourd’hui, on est forcé d’admettre que la pression touristique sur la forêt a été largement exagérée, avant même que l’action de l’ACAP ne permette de réduire notablement les prélèvements forestiers. Aujourd’hui, les lodges de Ghandrung n’utilisent plus le bois pour la cuisine, mais le réservent au chauffage des habitations en hiver, donc à une période de faible fréquentation touristique. En haute saison, les douches destinées aux touristes sont chauffées par panneaux solaires et l’éclairage est fourni par une petite centrale hydroélectrique. Quant aux groupes de campeurs, ils ne peuvent désormais pénétrer dans l’aire de conservation que s’ils sont autosuffisants en combustible. Seuls leurs porteurs continuent de dépendre des ressources locales. Mais une simple mesure sociale, comme l’obligation de prise en charge de leurs besoins par les agences de trekking, permettrait de résoudre ce problème plus efficacement que le recours à un arsenal réglementaire strictement environnemental.
50Malgré les restrictions et les contrôles, les paysans passent souvent outre aux interdictions de chasse et surtout de collecte de bois lorsqu’ils n’ont pas accès à d’autres sources d’énergie. La construction d’hôtels se poursuit, même dans des zones a priori inconstructibles. La participation aux comités forestiers d’hommes largement impliqués dans l’activité touristique facilite sans doute une application différenciée de la réglementation. Il y a une quinzaine d’années, des villageois de Ghandrung ont édifié illégalement des lodges dans un secteur forestier appartenant à l’État, aux lieux-dits de Bantanti et de Tadapani sur le chemin qui mène à Ghorepani. Les autorités ont alors fermé les yeux sur cette infraction. Les propriétaires sont toutefois contraints aujourd’hui de payer une sorte de loyer compensatoire à l’ACAP. En revanche, à Ghorepani, trois lodges qui avaient été construits entre 1969 et 1986 au sommet de Pun Hill ont dû être déplacés en 1989 sous une double pression, celle de l’ACAP qui voulait protéger le site, mais aussi celle des propriétaires des hôtels du col, qui leur reprochaient de leur faire une concurrence déloyale.
51Par ailleurs, les restrictions concernant l’usage du bois ont eu des effets importants sur l’architecture villageoise : si les lodges les plus anciens restent toujours de grandes constructions de pierre tout en longueur, couvertes de toits de lauze avec une véranda et une galerie en bois à l’étage, les hôtels les plus récents offrent souvent trois à quatre étages avec des terrasses en ciment. Le confort des lodges s’améliorant progressivement, on est passé d’un simple logement chez l’habitant à un véritable hébergement touristique. Les plus grands établissements peuvent offrir jusqu’à 60 lits19. Le ciment, le parpaing et la tôle ondulée importés remplacent désormais les matériaux traditionnels exploités localement ; les fenêtres s’agrandissent pour se transformer parfois en baies vitrées lorsque la salle du restaurant offre une vue panoramique sur les montagnes. Les propriétaires de lodges les plus riches qui sont capables d’acheter et d’acheminer les matériaux modernes sont finalement ceux qui participent le mieux à la préservation des ressources forestières. Mais ces nouveaux modes de construction, s’ils sont plus économes pour la forêt, ont un fort impact visuel dans le paysage. Déjà des touristes se plaignent que l’architecture locale soit de plus en plus déparée par des édifices en tout point semblables à ceux des banlieues modernes de la capitale népalaise. On se trouve là face à une nouvelle contradiction entre la préservation de ressources naturelles et la conservation d’un certain paysage, perçu selon les normes esthétiques de l’Occident.
52Cette contradiction n’est pas la seule. Lorsqu’on prête attention aux changements intervenus sur le versant de Ghandrung-Mohoriya, on s’aperçoit que ces derniers ne coïncident guère avec le scénario catastrophe de la crise himalayenne qui a justifié la création des aires protégées. L’implantation de l’ACAP s’est faite dans une vallée anciennement aménagée par les sociétés rurales. Les paysages y sont le fruit d’une évolution qui a connu des variations dans le temps et des mutations sensibles durant ces trente dernières années, évolution beaucoup plus complexe que celle que pouvait laisser entrevoir la théorie de la crise des milieux himalayens. Quels paysages s’agit-il alors de conserver : ceux du début du siècle ou bien les paysages actuels ?
Les différentes logiques à l’œuvre dans l’exploitation des ressources et l’évolution des paysages
Logiques migratoires et transformations des systèmes agro-sylvo-pastoraux, ou lorsque la forêt cache l’arbre...
53D’après la théorie de la crise himalayenne, les besoins accrus des populations en combustible et en nouvelles terres, auxquels s’ajoutent les besoins des touristes, auraient pour corollaire la destruction de la forêt et l’accroissement de l’érosion entraînant une baisse des rendements agricoles et l’appauvrissement des populations réduites à émigrer vers le Téraï ou vers les villes. Or ce scénario ne s’est pas réalisé, ou s’il l’a été, ce n’est ni durant la période récente généralement incriminée, ni pour les raisons habituellement invoquées.
54La description du versant à deux dates différentes, 1958 et 1990, nous a montré précédemment que s’il y a bien eu un mouvement de conquête de terres nouvelles pour faire face à l’augmentation de la population, celui-ci a débuté avant les années 1950 et s’est nettement ralentie à la fin des années 1960. Durant les décennies qui suivent, on assiste au contraire à un relatif déclin de la population, à un abandon des terres les moins rentables et à une reconquête des friches par les arbres. Dans les années 1980, il n’y a eu qu’un seul glissement de terrain sérieux sur tout le versant de Mohoriya20. Les pertes en récoltes dues à l’érosion ont été estimées à seulement 80 mûri de rizières et 100 muri de maïs, ce qui ne suffit pas à expliquer la réduction de l’espace cultivé, ni le départ des populations. On ne peut donc mettre sur le compte de la pression démographique récente le recul de la forêt, comme s’accordent à le dire les responsables de l’ACAP. Finalement, le mouvement de contraction des terres qui a débuté peu après la visite de Pignède n’est pas le résultat de la déforestation. Son origine doit plutôt être recherchée dans les forces du marché, l’évolution du coût du travail et l’émigration.
55La concurrence des productions agricoles du Téraï a d’abord fragilisé l’économie montagnarde. Le rapport entre la valeur des récoltes et la somme de travail nécessaire pour les cultures est trop bas, particulièrement sur les terres les plus pauvres, situation qui semble être commune à la plupart des villages situés à proximité du marché de Pokhara. Les contraintes sont encore plus fortes pour l’élevage qui apparaît nettement moins rémunérateur que l’agriculture. C’est ce que les plus riches ont compris, qui ne gardent plus de grands troupeaux comme autrefois. Ils n’ont même plus de bœufs de labour mais les louent aux familles les plus pauvres lorsqu’ils en ont besoin. L’élevage transhumant ne s’est maintenu que dans les villages qui disposent d’un accès facile aux alpages et dans les maisons qui peuvent compter sur une main-d’œuvre familiale suffisante pour assurer la conduite des troupeaux.
56De plus, la diminution constatée de la population, qui réduit les disponibilités en main-d’œuvre, n’est pas ici le seul et simple résultat de la pression démographique sur les terres, mais plutôt celui des occasions de meilleurs revenus par le travail et l’investissement à l’extérieur du village. Les Gurung de Dangsing-Mohoriya connaissaient autrefois un fort enrôlement dans l’armée britannique. Le marché foncier était alors très actif dans les villages car, à l’époque, les soldats investissaient dans la terre grâce à leurs soldes et leurs pensions. Dans les années 1950-1960, les hommes pensionnés de l’armée retournaient au village y construire une maison et prêtaient l’argent accumulé aux villageois pauvres et aux gens des bazars. Or cette source relativement facile de crédit s’est largement épuisée : tout d’abord le recrutement s’est progressivement tari. Ensuite, la plupart des riches Gurung se sont retirés en Inde ou dans les villes népalaises où ils investissent leur argent dans l’immobilier, dans l’éducation de leurs enfants, ou dans un commerce. Les revenus excédentaires sont déposés sur un compte en banque. Parallèlement, le prix de la terre stagne au village, car l’argent venu de l’extérieur n’est plus investi dans l’achat de terre, alors que le prix du foncier à Pokhara a considérablement augmenté et permet des investissements fructueux21. Beaucoup d’anciens soldats ont finalement vendu les maisons qu’ils avaient fait construire au village pour leur retraite, ou les ont cédées à leurs frères et parents. Leurs terres sont désormais cultivées en métayage par les familles des mercenaires de l’armée indienne, qui n’offre pas des soldes et pensions aussi intéressantes que celles de l’armée britannique, ou par les Bahun-Chetri et les castes de service, si bien que ces derniers sont désormais majoritaires dans le village. Du fait de la faible productivité du travail, la solution du métayage, qui a fortement augmenté depuis les années 1980, ne peut attirer que ceux qui n’ont pas d’autres choix pour survivre. On a donc affaire à un exode rural de « riches » qui, avec la pénétration de l’économie de marché, semble le principal responsable de l’évolution des systèmes agro-pastoraux. Non seulement il n’est pas le résultat d’une crise écologique et sociale, mais de plus il diminue la pression sur les terres et permet une amélioration relative des conditions de vie des plus pauvres en leur autorisant l’accès à la terre, même si ce n’est que par l’intermédiaire peu avantageux du métayage.
57Enfin, si la forêt a reculé dans le passé, ce recul s’est désormais stabilisé : en effet, la pression sur les ressources en fourrage des forêts, qui accompagne souvent le passage de l’élevage transhumant à la stabulation entravée, a été compensée par des plantations d’arbres. Celles-ci ont favorisé une moindre dépendance des paysans à l’égard des ressources forestières : les anciennes terrasses cultivées qui avaient été abandonnées servent aujourd’hui de pépinières ou de réserves de fourrage. Ce mouvement qui a débuté avant la création de l’ACAP – les nouveaux comités forestiers n’ayant été mis en place qu’en 1990 à Ghandrung-Mohoriya – est actuellement amplifié par sa politique d’aide au reboisement et à la création de pépinières. L’ACAP contribue ainsi à renforcer la modification des paysages de la Modi Khola, commencée dès avant sa création par la transformation des systèmes agro-pastoraux : aux longs versants en terrasses de cultures sèches ou irriguées surmontées par la forêt que l’on pouvait observer dans les années 1960-1970, se substitue progressivement un paysage verdoyant où l’arbre planté à proximité des villages, le long des chemins et sur les pākhā tient une place essentielle22. Les prédictions catastrophistes sur la déforestation et ses conséquences pour la survie des populations ne semblent donc plus guère d’actualité ici, un des principaux facteurs d’évolution ayant été le recours aux migrations à l’extérieur de la vallée.
Encadré 21
Plantations d’arbres au Ladakh
Pascale Dollfus
« No more a moon land »
Créée en 1980, la Leh Forest Division, officine gouvernementale, s’est fixé d’ambitieux objectifs : couvrir d’espèces arbustives le plus possible de surfaces ; combler l’écart entre l’offre et la demande pour le bois de chauffe et de construction, aujourd’hui encore principalement importé du Cachemire ; protéger les rares espaces peuplés de bosquets naturels ; limiter l’érosion ; améliorer le microclimat de la région et arrêter la progression du désert (to arrest the desertic conditions in this cold desert) !
Les terrains appartenant à l’État montrent l’exemple avec des futaies de saules et de peupliers plantées autour des nombreux cantonnements militaires et protégées par une double rangée de barbelés (tableau 7).
Du riz subventionné à la « plantation de poutres »
En l’absence d’un accroissement du réseau d’irrigation, les plantations d’arbres privées se font nécessairement au détriment des cultures céréalières. Pour convaincre les villageois de planter des arbres sur les parcelles ensemencées en orge ou en blé par leurs ancêtres, le gouvernement finance les plantations de peupliers et de saules à hauteur de 5 roupies par plant et, dans certains cas, offre en outre la clôture, voire même le gardiennage de la plantation en appointant un chawkidar à l’année. Parallèlement, il incite les Ladakhi à réduire leur consommation et leur production d’orge et de blé en leur vendant à bas prix riz et farine de blé en provenance du Pendjab (le district de Leh a importé 4 994 tonnes de riz et de farine de blé en 1989-1990 et 13 000 tonnes en 1997-1998). De fait, pour les habitants de Leh et des villages alentour – qui, pour pallier le manque de main-d’œuvre familiale, recourent à des travailleurs journaliers –, se nourrir de riz et de farine importés revient aujourd’hui moins cher que de se nourrir de farine d’orge grillée ou tsampa, base traditionnelle de l’alimentation des agriculteurs sédentaires au Ladakh.
La plantation d’arbres apparaît ainsi comme une alternative intéressante aux activités traditionnelles d’agriculture et d’élevage. Non seulement, elle permet de gagner immédiatement de l’argent grâce aux subventions accordées et, plus tard, de vendre poutres et lattis à bon prix à Leh – où chaque année voient le jour de nouvelles constructions : habitations, échoppes, restaurants ou hôtels –, mais encore, elle présente l’avantage de ne demander ni gardiennage, ni soins quotidiens.
Tableau 7
Plantations d’arbres au Ladakh entre 1956 et 1997
Type de terre | Surface en hectares | Nombre de plants |
Forêts départementales | 3 377 | 10 545 897 |
Terrains privés | 521 | 1 355 490 |
Stabilisation des dunes | 528 | 1 373 000 |
Total | 4 426 | 13 274 000 |
Source : Mohammed Deen Darokhan, 1999, « The Development of Ecological Agriculture in Ladakh and Strategies for Sustainable Development », p. 78-91, dans Beek, Bertelsen et Petersen (éd.), Ladakh : Culture, History and Development between Himalaya and Karakoram, Aarhus, Aarhus University Press.
Lorsqu’une ressource extérieure, le tourisme, participe à la mutation du territoire
58L’abandon progressif de l’élevage transhumant au profit d’une agriculture qui se concentre sur les meilleures terres et d’un élevage à l’étable, ainsi que l’extension du métayage, peuvent être observés pour l’ensemble des villages du versant, dans un contexte toutefois légèrement différent pour les villages les plus touristiques. Les propriétaires de lodges sont en majorité d’anciens soldats mercenaires gurung, de l’armée britannique et secondairement indienne, qui ont pu investir leurs soldes et pensions dans le tourisme. Aujourd’hui à Ghandrung, 10 % de la population vit exclusivement du tourisme. Les revenus tirés du trekking, tout comme ceux qui sont issus du mercenariat ont également entraîné une désaffection des propriétaires de lodges pour les activités agro-pastorales, mais ont favorisé en revanche le maintien sur place de la population. Le tourisme offre un investissement rentable au village pour les soldats pensionnés qui vivent alors de l’activité de leur lodge et des terres qu’ils louent à d’autres. Les bénéfices tirés de l’activité touristique sont réinvestis dans la modernisation et l’agrandissement de leur établissement ou servent à financer les études secondaires ou supérieures des enfants. Les ex-mercenaires n’ont plus autant d’intérêt à quitter un village comme Ghandrung, dans la mesure où l’afflux des touristes a suscité la mise en place de nouveaux équipements : fontaines et tuyaux d’amenée d’eau, électricité, télévision et téléphone. L’école du village est bien équipée grâce aux donations des touristes, les boutiques se sont multipliées et proposent des biens de consommation courante qu’il fallait, il y a seulement une dizaine d’années, aller chercher à pied à Pokhara.
59La production des terres que les propriétaires de lodges conservent est cependant devenue insuffisante pour les besoins alimentaires d’un établissement de grande taille. Le dal-bhat traditionnel servi aux premiers visiteurs a de ce fait été remplacé par de la nourriture en grande partie importée de Pokhara. En effet, l’amélioration du réseau routier permet aux propriétaires de lodges de faire venir de la ville, qui n’est plus qu’à un jour de marche et une heure et demie de bus de Ghandrung, les marchandises dont ils ont besoin pour alimenter leurs auberges. Seuls quelques produits frais locaux sont fournis en faible proportion. Ils sont constitués par les surplus de maïs, de pommes de terre et de riz. S’y ajoutent les légumes du potager et parfois le lait de la bufflesse familiale, auquel est toutefois préféré le lait en poudre acheté à l’extérieur23.
60La proximité de la route Pokhara-Baglung et des lodges de la Modi Khola a par ailleurs stimulé le rôle commercial de Birethanti, qui tire parti de sa position charnière entre la vallée et les nouveaux courants d’échanges favorisés par la route goudronnée : les marchandises qui viennent de Pokhara en camion sont chargées à dos de mule au bazar de Nayaphul où se sont multipliées les boutiques le long du chemin qui mène à Birethanti. Les convois de mules qu’utilisent les propriétaires de la région tendent à se substituer désormais au transport à dos d’hommes. L’ancien pont a été reconstruit en acier, afin de faire face à l’augmentation du trafic et permettre le passage en sécurité des animaux de bât et des hommes.
61La Modi Khola suit ainsi l’exemple de la Kali Gandaki, où le transport des denrées destinées aux touristes s’est substitué à l’ancien commerce du sel. Les Thakali et les Magar assurent avec leurs troupeaux de mules l’acheminement du riz, de l’huile, du sel, de la farine et des lentilles vers les villages de la vallée depuis Béni ou Pokhara, mais ils sont de plus en plus sollicités pour transporter des boissons en bouteille et des produits alimentaires vendus dans les lodges aux touristes. Près de 85 % des marchandises destinées aux lodges sont transportées par ce moyen : les tarifs pratiqués sont concurrentiels par rapport au transport à dos d’homme, surtout si les porteurs sont employés en période de mousson24. Un habitant de Jomossom ou de Marpha paie un muletier environ 10 NR par kilo de marchandise transportée, un habitant de Ghorepani 6 NR et un habitant de Таtopani 4 NR, alors que le salaire d’un porteur varie entre 12 et 16 NR par kilo transporté. L’avion n’est guère utilisé que dans les villages proches de l’altiport de Jomossom : 28 % des marchandises destinées aux lodges sont acheminées par la voie aérienne et redistribuées ensuite par mules aux autres villages ; le coût du fret aérien varie entre 20 et 55 NR par kilo, auquel doit être ajouté le coût du transport muletier.
62Par ailleurs, le tourisme a renversé les traditionnels courants migratoires en attirant saisonnièrement des populations nouvelles grâce au nouveau marché du travail que constituent ces lodges. La main-d’œuvre utilisée pour leur construction, tout comme celle qui y travaille en saison, est pour la plus grande part recrutée à l’extérieur de la vallée parmi les paysans pauvres venus des districts du sud et de l’est du massif. 436 personnes y sont employées chaque année de façon saisonnière ou permanente. Une économie de plus en plus monétarisée se substitue progressivement aux modes anciens d’exploitation. Elle dépend de moins en moins des ressources locales, et cela avec ou sans l’ACAP, comme le montre l’exemple de Tatopani.
Encadré 22
Aux portes de l’ACAP, les mutations d’un village touristique : Tatopani Sophie Bourdet
Situé à la jonction du sentier de Ghorepani et de celui de Béni sur la rive droite de la Kali Gandaki, Tatopani est le seul village touristique de la vallée à ne pas appartenir au périmètre de protection de l’ACAP. Coincé en fond de vallée entre des versants forestiers extrêmement sensibles aux glissements de terrain, le village dispose de peu de terres agricoles et a longtemps fonctionné comme une étape pour le commerce caravanier.
Le tourisme, dès son accès à la région, a pris le relais de cette activité commerciale pour devenir l’occupation dominante des villageois. Tatopani est en effet depuis 1963 une étape appréciée des trekkeurs du tour des Annapuma. Ses sources d’eau chaudes (tāto pānî), fréquentées par les hippies dans les années 1970, connaissent un succès certain auprès des randonneurs. On s’y baigne moyennant un droit d’entrée de 50 NR. Gérés par le ga.bi.sa., les bains sont nettoyés régulièrement en saison touristique. L’ouverture, en 1996, de la route entre Pokhara et Béni lui offre aujourd’hui la possibilité de devenir un lieu fréquenté par des touristes qui ne souhaitent pas faire de trekking. Les huit lodges et les deux emplacements de camping de Tatopani constituent une capacité d’accueil de 350 lits pratiquement tous occupés en saison : ainsi en octobre-novembre, la population du village fait plus que tripler. Le tourisme a favorisé l’éclosion de quatre magasins de commerce. Les propriétaires de trois d’entre eux sont originaires de Pokhara, Katmandou et Beni. Installés à Tatopani dans un but purement commercial, ils achètent et acheminent eux-mêmes les marchandises depuis les marchés urbains : 15 % des denrées sont vendues aux touristes, le reste à la population locale (produits de base). On trouve également deux orfèvres dans le village, témoins d’une activité artisanale rendue possible par son développement commercial et touristique, une laverie et un bureau de change, annexe d’une des banques principales de Pokhara, ainsi que trois autres boutiques pour touristes ouvertes uniquement en saison. Si les Thakali et les Pun Magar détiennent la majorité des lodges, ils ont eu le souci de faire bénéficier tous les habitants du village des retombées du tourisme : les paysans, peu nombreux au demeurant, puisqu’il n’y a que trois familles d’agriculteurs, destinent 70 % de leur production aux lodges qui ne s’approvisionnent que chez eux.
Cette orientation touristique qui assure le développement économique du village n’a cependant pas empêché les habitants de Tatopani de prendre conscience, bien avant l’instauration de l’ACAP, de la fragilité de leur environnement naturel. La population est très impliquée dans la préservation et la gestion de ses ressources forestières. Le ga.bi.sa. a ainsi pris des mesures de réglementation et de contrôle des coupes en forêt. Elles ont eu des effets là aussi sur les matériaux de construction utilisés pour les maisons d’habitation et les lodges : grâce à la proximité de Béni sur la route Pokhara-Baglung, l’emploi du ciment et de la tôle ondulée s’est généralisé, ainsi que celui des énergies de substitution pour le chauffage et la cuisine. L’approvisionnement, commode, se fait à faible coût par rapport aux autres villages de la vallée : ainsi un litre de kérosène qui vaut 30 NR à Jomossom, revient à seulement 18 NR aux habitants de Tatopani. La plupart des lodges n’emploient plus de bois depuis longtemps, même en basse saison, mais des réchauds fonctionnant au gaz et au kérosène pour la cuisine, ainsi que des panneaux solaires pour chauffer les douches. Le bois ne sert plus que pour la boulangerie et la pâtisserie en haute saison. Trois lodges sur huit utilisent exclusivement le kérosène : leur consommation est de 4,7 litres en moyenne en haute saison et de 1,5 litre le reste de l’année. Tous les autres utilisent uniquement du gaz, leur consommation moyenne variant d’un cylindre de gaz tous les dix jours en haute saison, à un cylindre tous les quinze à vingt jours en basse saison.
Le développement touristique de Tatopani et la politique de préservation et de gestion des ressources du village ne doivent donc rien à l’ACAP. Le chef du village, dont la liberté d’action n’est pas entravée par une autorité extérieure, envisage désormais de développer la pratique du rafting, du parapente, du vélo tout terrain et de mettre en valeur les sources d’eau chaude. On comprend dans ces conditions qu’il soit très réticent à l’idée de voir le ga.bi.sa. englobé dans le périmètre d’une nouvelle aire de conservation, actuellement à l’étude dans le massif du Dhaulagiri.
Des sociétés locales prises entre différentes logiques
63Si la structure d’aire de conservation n’est probablement pas la seule responsable des changements positifs intervenus dans la zone, elle semble toutefois plus efficace que celle des parcs nationaux, du moins dans son objectif d’impliquer les populations locales afin d’éviter les conflits. Il faut dire que tout est fait pour que ces dernières acceptent, malgré certaines réticences, une politique dont ils comprennent souvent mal les enjeux. L’enquête menée par Thierry Boisseaux en 1998 montre que les villageois retiennent surtout de l’action de l’ACAP les interdictions ou restrictions. S’ils s’accordent sur le côté positif des aides au reboisement, les chefs de village considèrent que l’ACAP n’a pas introduit d’idées véritablement nouvelles en matière de protection de l’environnement et que des mesures avaient déjà été prises avant sa création par les habitants eux-mêmes. Peu soulignent la mission de développement qu’est censée mener l’ACAP. La véritable force économique est le tourisme, et celui-ci n’a pas attendu la mise en place d’une aire protégée pour porter ses fruits. Il n’est pas étonnant que les propriétaires de lodges, qui cumulent souvent de nombreuses fonctions électives au sein des ga.bi.sa. et des différents comités de gestion institués par l’ACAP, soient pour l’instant le meilleur soutien de sa politique. Enrichis par le tourisme, plus ouverts aux influences étrangères, ils ont compris que leur intérêt devait passer par leur participation aux nouveaux organes de décision, quitte à les utiliser à leur profit. Certains considèrent cependant que le droit d’entrée dans l’ACAP est trop élevé et craignent que cela devienne un frein à la venue des touristes.
64En revanche, les populations qui vivent à l’écart des sentiers de trekking se plaignent, souvent à juste titre, du fait que les efforts de l’ACAP se portent surtout sur les villages les plus touristiques qui ont le moins besoin d’aide, alors qu’elles-mêmes subissent les interdictions sans grandes contreparties, malgré les programmes de développement prévus par les textes. Le progrès reste fortement circonscrit aux villages traversés par un sentier de trekking : c’est ainsi que les habitants de Dangsing-Mohoriya ne semblent pas concernés par l’économie qui s’est mise en place à Ghandrung. Aucun villageois ne travaille dans les lodges ou dans leur construction, aucun échange commercial ne s’effectue avec les villages qui servent d’étapes aux trekkeurs. Pourtant, les villageois de Mohoriya n’ignorent rien des changements opérés chez leurs voisins proches : Ghandrung est perçu comme un « beau » village parce qu’il dispose de l’électricité, du téléphone et de la télévision et que tous ses habitants parlent le népali. Il s’agit là d’une constante dans le discours villageois : le progrès c’est l’éducation et en particulier la maîtrise de la langue nationale, indispensable dans leurs relations avec les représentants du pouvoir, bien avant l’amélioration des conditions matérielles, des équipements sanitaires ou la préservation de leurs ressources naturelles. Ils envient ceux de Ghandrung, parce que l’afflux des touristes a suscité des équipements nouveaux et une amélioration des conditions de vie dont ils souhaiteraient bénéficier à leur tour. Cette attitude est observée aussi dans d’autres espaces non protégés : à Salmé (district de Nuwakot)25 par exemple, ou encore dans les villages gurung situés au pied du Manaslu, les paysans, qui connaissent par les guides et porteurs de trekking la richesse des villages touristiques de l’Annapurna, espèrent voir s’installer une aire de conservation dans leur région. Elle est avant tout pour eux synonyme de la venue de touristes, même s’ils ne prennent pas toujours bien la mesure des contraintes réglementaires qu’elle impose.
65Les discours dominants ont cependant réussi à faire croire à une grande partie de la population que leur ignorance et leurs pratiques étaient la cause de la dégradation des ressources naturelles et qu’elles devaient apprendre à protéger leur environnement. Les villageois ne semblent pourtant guère capables d’évaluer véritablement l’état de ces ressources. Mais l’idée que la conservation de l’environnement est une condition de la venue des touristes a fait son chemin dans les esprits. Ainsi, lorsqu’on leur demande s’il serait nécessaire de protéger la nature en l’absence des touristes, la question paraît saugrenue à la plupart des interlocuteurs26. Certains ont recours à des arguments très généraux mettant en valeur la production d’oxygène des forêts ou leurs responsabilités écologiques pour les générations futures, mais il est très rare que la menace de disparition des ressources pour leurs besoins immédiats soit citée (ibid.).
66D’autres, suivant en cela les recommandations des autorités de l’ACAP, insistent sur la nécessité de maintenir les traditions, notamment vestimentaires, pour plaire aux touristes, alors que les jeunes générations qui sont en contact avec ces derniers ou qui ont fait des études en ville s’habillent à l’occidentale (ibid.), contradiction classique entre l’idéologie conservationniste et les dynamiques réelles de la société. Contradiction encore plus apparente à la vue de la création récente à Ghandrung par le comité des femmes d’un musée de la culture gurung, sous l’impulsion de l’ACAP : les objets présentés sont toujours en usage dans n’importe quelle maison du village, mis à part quelques bijoux et pièces de vêtement. La création de ce musée peut être interprétée comme un signe de modernisation d’un village qui est entré pleinement dans l’économie touristique et sait utiliser à des fins marchandes le recours à sa culture traditionnelle. Mais on peut aussi émettre une autre hypothèse : en Europe, l’émergence du « folklore » mis en spectacle pour les premiers touristes a souvent accompagné la construction des États-nations. En muséifiant une culture encore vivante au nom de la conservation des traditions et des attentes supposées des touristes, ne risque-t-on pas de renvoyer la culture gurung dans un passé figé, donc inoffensif, au moment même où la népalisation de la société progresse et où des réactions identitaires commencent à émerger au sein des minorités montagnardes ? En même temps, alors que l’on accuse souvent le tourisme d’entraîner la perte des valeurs culturelles, ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater que c’est à Ghandrung et non à Dangsing ou à Mohoriya, que réside le dernier lama de la vallée auquel tous les Gurung de la Modi Khola ont recours pour célébrer leur traditionnel rituel de fin de deuil.
67Les populations locales s’accommodent pour l’instant du nouveau contexte institutionnel de l’ACAP sans le remettre en cause. Cependant se pose à terme la question de la pérennité de l’ACAP et des contradictions qui pourraient naître entre la dynamique de développement des territoires suscitée par le tourisme et les principes conservationnistes des tenants du « développement durable ». Ces derniers considèrent que seule la pratique réglementée du trekking peut assurer un tourisme respectueux de l’environnement. Or si l’action de l’ACAP se poursuit et si les revenus assurés par le tourisme s’étendent à de plus larges couches de la population, l’économie locale peut s’affranchir en grande partie de la forêt. Les mesures drastiques prises depuis une quinzaine d’années doivent-elles alors être maintenues de la même manière ? Par ailleurs, l’expérience prouve que le tourisme ne dure que s’il est capable de s’adapter à l’évolution des pratiques touristiques, en renouvelant ses formes. Même si, pour l’instant, on imagine encore mal ce qui pourrait remplacer le trekking, l’accessibilité croissante des vallées et l’amélioration des conditions d’hébergement permettent d’envisager dans l’avenir de retenir plus longtemps sur place des touristes qui actuellement ne font que passer. L’excursion ou la pratique d’activités sportives à partir d’une base de séjour fixe serait, dans cette perspective, de l’ordre du possible, comme le montre l’exemple de Tatopani (voir l’encadré 20). Mais, sauf à la reconsidérer, la réglementation actuelle de l’ACAP risque de ne pas être en parfaite adéquation avec une évolution de ce type. Elle supposerait en effet des mutations sans doute plus profondes des territoires et la définition de nouveaux modes de gestion de l’environnement. Pourtant, assigner à un espace de façon « durable » une monoactivité inchangée dans ses formes actuelles, c’est la condamner à plus ou moins longue échéance, car il n’est pas certain que la vogue du trekking dure éternellement. Il faut alors pouvoir imaginer des ressources de remplacement ou tout au moins une adaptation des structures existantes à l’évolution de la demande touristique et des besoins des villageois.
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68La création de l’ACAP marque le passage d’une politique parachutée du haut ne tenant pas compte des populations à une politique dite participative, censée répondre à leurs besoins et mise en œuvre grâce à leur implication permanente. Pourtant, cette politique demeure largement extérieure aux villageois qui n’ont jamais été consultés avant l’établissement des aires protégées, et sont seulement invités à entériner et à reprendre à leur compte des idées venues d’ailleurs. Comme le souligne Thierry Boisseaux (1998), il s’agit moins ici de condamner une politique qu’on ne pourra juger qu’à ses résultats sur le long terme, que de s’interroger sur la rhétorique qui lui est liée : même si les mesures prises s’efforcent d’être compatibles avec les intérêts locaux, elles sont toujours le fait d’une autorité publique extérieure qui prend des décisions au nom d’intérêts nationaux ou internationaux et les fait appliquer en s’appuyant sur des arguments souvent plus idéologiques que scientifiques.
69Avec ou sans l’ACAP, les sociétés paysannes ont fait la preuve de leur capacité d’adaptation, que ce soit pour modifier leurs systèmes de culture quand nécessité faisait loi, ou pour organiser l’accueil des touristes. Elles savent fort bien chercher hors de leur territoire des revenus complémentaires et les investir sur place lorsque l’occasion s’en présente. Les stratégies économiques des paysans ne se limitent pas au versant qu’ils cultivent. Elles s’étendent aux espaces de leurs migrations temporaires à l’échelle nationale, voire internationale, et aux revenus non agricoles, qu’ils soient le fruit de l’émigration paysanne ou de la venue des touristes sur leur territoire. Il y a là un décalage avec les logiques conservationnistes qui n’envisagent le problème des subsistances que dans une relation linéaire et malthusienne entre population et ressources, cela dans des espaces bien circonscrits, dont on redoute par ailleurs la fréquentation par des étrangers. L’ACAP n’a pour l’instant fait qu’accompagner des dynamiques préexistantes, sans toutefois réduire les inégalités entre les villages touristiques et ceux qui ne le sont pas. Un des enjeux futurs de la région résidera dans sa capacité à laisser une certaine souplesse aux initiatives locales et à les soutenir, afin de répondre aux besoins légitimes des populations d’accéder à de nouvelles ressources capables d’améliorer significativement leurs conditions de vie.
Notes de bas de page
1 Depuis la mise en place des aires de conservation dans le massif des Annapurna et du Makalu-Barun. de nouvelles créations sont à l’étude dans les massifs du Manaslu et du Dhaulagiri.
2 Pignède, 1966.
3 Pignède et al., 1993.
4 Annapurna. 1/100 000, en couleurs, Nepal-Kraftenwerk der Arbeitsgemeinschaft für vergleichende Hochgebirgsforschung, n° 9, Münich, 1993. Vérifications sur le terrain réalisées entre 1989 et 1991.
5 Pignède, 1966.
6 Pignède et al., 1993.
7 Tilman, 1952.
8 « Pun Hill » signifie « la colline des Pun Magar ». Ces derniers contrôlent toute l’activité touristique de Ghorepani.
9 Voir le chapitre xii, « Des discours et des lois : gestion des ressources et politiques environnementales depuis 1950 » (B. Ripert, I. Sacareau, T. Boisseaux, S. Tawa Lama).
10 « Increase in the population and their growing needs, trekking tourism and over-grazing of posture and forests were the main factors responsible for the environmental and socio-economics problems. These problems had led to deforestation, erosion and landslide, litter pollution, aberration in the local cultural values, poverty and socio-economic inequality. » (ACAP, 1996).
11 L’entrée dans la région n’est autorisée qu’aux groupes de touristes solidement encadrés par une agence de trekking homologuée et par un officier de liaison, appartenant à la police ou à l’armée, qui est censé faire respecter la réglementation. Ils doivent acquitter un permis de trekking de 700 $ par semaine et par personne pour une durée limitée à 15 jours, en sus du droit d’entrée dans l’ACAP.
12 Ils s’élèvent, en 1996, à 80 NR pour une chambre. 30 NR pour une place en dortoir. 20 NR pour un emplacement de camping et 75 NR pour les charges de cuisine des groupes qui campent sur les terrasses attenantes aux hôtels. Ces tarifs varient selon l’altitude afin de ne pas pénaliser les villages les plus éloignés des sources d’approvisionnement en denrées importées.
13 Les espèces les plus représentées sont l’aulne, le bambou, le magnolia, le teck, le ficus et le pin.
14 Bourdet, 1999.
15 Un doko bhari est un panier plein, une charge pouvant contenir environ 30 kg de bois en moyenne, et qui sert ainsi d’unité de mesure aux villageois.
16 Bourdet, 1999.
17 Jomossom est le village le plus en pointe dans ce domaine : la consommation de bois des lodges y varie de 15 à 18 kg selon la saison et celle de kérosène de 2 à 8 litres grâce aux facilités d’approvisionnement offertes par l’altiport. Ghorepani, qui dispose pourtant d’un dépôt de kérosène et du même nombre de lodges, ne consomme qu’un peu plus de 3 litres en haute saison et 45 kg de bois. Quant à Ghasa, village le plus éloigné des sources d’approvisionnement, une demi-douzaine de lodges y consomment 51 kg de bois et un peu plus de 3 litres de kérosène par jour en haute saison.
18 Bourdet, 1999.
19 Dans le sanctuaire de l’Annapurna, l’ACAP a contraint les propriétaires de lodges à limiter le nombre de lits à 15 par établissement.
20 macfarlane, dans Pignède et al., 1993.
21 La valeur des terrains à bâtir à Pokhara a été multipliée par cent entre les années 1970 et 1990. Pour ceux qui ont de l’argent, l’investissement à Pokhara rapporte dix fois plus que l’investissement au village.
22 Voir également à ce sujet les travaux de Gilmour (1988), Smadja (1995) et l’encadré 21 pour le Ladakh.
23 Dans la haute Kali Gandaki, Jomossom est devenu un marché pour les surplus agricoles des villages de Syang et surtout de Marpha. Les vergers de pommiers qui ont été implantés dans les années 1970 fournissent les lodges en fruits frais ou en brandy grâce aux distilleries dont toute la production ne peut être écoulée vers Pokhara ou Katmandou, du fait du coût du transport et de son irrégularité.
24 Le transport à dos d’homme représente un peu moins de 8 % du transport dans la Kali Gandaki (Bourdf. t, 1999).
25 Voir les chapitres xii (« Des discours et des lois : gestion des ressources et politiques environnementales depuis 1950 ». B. Ripert, 1. Sacareau, T. Boisseaux, S. Tawa Lama) et xv (« Morcellement, privatisation mais gestion collective de l’espace et des ressources du versant de Salmé », B. Ripert).
26 Boisseaux, 1998.
Auteur
Maître de conférences, Université de La Rochelle, géographe
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