Chapitre XII. Des discours et des lois : gestion des ressources et politiques environnementales depuis 1950
p. 365-400
Texte intégral
1Le Népal a connu, au cours du xxe siècle, deux épisodes majeurs à l’origine de mutations importantes sur les plans économique, politique et environnemental. En 1951, il ouvre ses frontières aux observateurs, aux experts, aux chercheurs, aux touristes, ainsi qu’aux aides internationales. En 1990, une révolution conduira à une libéralisation du régime politique. On observe entre ces deux dates une série de transformations du pays liées aux nouvelles influences étrangères, à un gouvernement qui évolue d’une autocratie à une démocratie parlementaire, et à une volonté de développement économique.
2Ces changements ont des répercussions sur les structures du territoire à l’échelle nationale, sur les modes de gestion des ressources naturelles et finalement sur les paysages, dont nous dresserons ici un tableau général. Depuis 1950, trois périodes sont à considérer, qui traduisent chacune une étape dans l’évolution des influences étrangères, des discours ou des types de mesures prises.
Le nouveau contexte politique et économique des années 1950-1960
3Les années 1950 marquent un tournant dans l’histoire du Népal. La restauration de la monarchie gorkhali sort le pays de l’isolement où l’avait plongé le régime Rana et inaugure une phase d’ouverture politique et économique sans précédent. La mise en place de nouvelles structures administratives, le nouveau positionnement du Népal sur l’échiquier international et régional et la volonté de moderniser le pays avec l’aide d’experts étrangers, entraînent une première phase de mutations du territoire. L’ouverture au tourisme international et le début de réformes dans les secteurs de l’agriculture et des transports sont significatifs du mot d’ordre de la période, le développement économique par l’exploitation systématique des ressources naturelles.
La restauration de la monarchie gorkhali et la réorganisation administrative du pays
4En 1947, le départ des Britanniques à la suite de l’indépendance de l’Inde fait perdre à la dynastie Rana son principal soutien et précipite le mouvement d’opposition au régime. Avec l’aide du Congrès indien, le roi Tribhuvan recouvre son trône et son autorité en 1951. Mais l’ouverture démocratique que tente d’initier le souverain est de courte durée. À sa mort, son successeur Mahendra (1955-1972) prend prétexte de troubles agraires dans l’extrême-ouest et le centre du Népal pour rétablir un régime autocratique en décembre 1960 et promulguer, deux années plus tard, une nouvelle constitution qui lui donne tous les pouvoirs. Elle lui permet de réorganiser les structures administratives du pays en rétablissant l’ancien « système pancayat », qui devient le cadre administratif des opérations de développement à l’échelle régionale et locale. Le pays est divisé en 14 zones de développement, 75 districts et 3 000 village pancayat divisés en 9 circonscriptions (ward), auxquels s’adjoignent 23 town pancayat divisés en 9 à 23 ward. Chaque échelon territorial dispose d’une assemblée élue, qui est chargée à son tour d’élire ses représentants à l’assemblée du territoire d’échelon supérieur.
5L’institution du « système pancayat » permet au roi de justifier son coup d’État au nom du retour à une tradition ancienne qu’il présente comme plus adaptée aux réalités socioculturelles du Népal que le système démocratique1. Le roi en fait un véritable système de gouvernement qui empêche l’expression des conflits sociaux par les partis politiques ou les syndicats. Le peuple ne s’exprime véritablement qu’au niveau des pancayat locaux, mais ces derniers n’ont qu’un pouvoir limité dans la mesure où la plupart des questions importantes sont réglées par l’administration centrale des districts, à travers le chief district officer : celui-ci est chargé de faire appliquer les réformes et de mener les opérations de développement supervisées par le commissaire administratif de la zone de développement.
6Le verrouillage de la vie politique interne du pays avec le retour à l’autocratie et la mise en place de structures administratives qui permettent un contrôle plus étroit de l’État sur le territoire, s’accompagnent, parallèlement, d’une ouverture politique et économique du Népal dans le nouveau contexte international issu de la décolonisation et de la guerre froide.
L’insertion du Népal dans un nouveau contexte international
7L’Inde nouvellement indépendante, qui a favorisé le renversement des Rana, est le partenaire économique « naturel » du Népal. Les échanges commerciaux se sont intensifiés en même temps que la dépendance économique du Népal : l’Inde, qui cherche avant tout à écouler ses produits sur le marché népalais, est à la fois le premier client et le premier fournisseur du royaume. L’enclavement du Népal met l’Inde en position de force, et la dépendance économique s’accentue avec la fermeture de la frontière tibétaine en 1959, après l’occupation chinoise du Tibet. Les produits manufacturés et agricoles indiens pénètrent les bazars des montagnes et collines, concurrençant les productions locales.
8Le Népal s’engage alors dans une diversification de ses relations politiques, économiques et culturelles avec d’autres partenaires que l’Inde, en établissant des relations diplomatiques avec un grand nombre de pays2 et en jouant un rôle actif au sein des Nations unies, auxquelles il se joint en 1955. Il fait appel à l’aide internationale pour subventionner les réformes prévues et la modernisation du pays, ce qui est facilité par sa neutralité dans les conflits du sous-continent et à l’échelle mondiale. Les principaux donateurs sont, durant cette première période d’ouverture, l’Inde, la Chine, les États-Unis, l’URSS et les Nations unies3. C’est le début d’un financement international qui ne cessera d’augmenter et de se diversifier au cours des décennies suivantes, tout en marquant une influence et un droit de regard de plus en plus forts de gouvernements étrangers sur le Népal et sur ses politiques publiques.
9Les années 1950 sont ainsi marquées par l’arrivée de nombreux experts étrangers qui travaillent pour les programmes de développement agricoles ou industriels (barrages hydroélectriques par exemple) lancés au début des années 1960. Ils participent aussi à l’élaboration de la politique touristique du Népal et à la création d’espaces protégés.
10Cet appel aux experts étrangers traduit la volonté du nouveau régime d’ouvrir le pays sur le plan économique. Celui-ci entreprend une série de réformes et de mesures destinées à développer et à moderniser le royaume.
Planification de l’exploitation des ressources naturelles
11À partir de 1956, l’économie nationale est planifiée et le gouvernement articule ses objectifs de développement selon des plans quinquennaux. La priorité des quatre premiers plans montre très clairement une recherche de croissance économique et une volonté de développement agricole. Dans le premier plan (1956-1961), la priorité budgétaire est donnée à la construction de routes et d’altiports, l’objectif étant de désenclaver le pays et d’imposer l’autorité de l’État dans les régions éloignées de la capitale. Mais l’opération est restée partielle et les régions du nord de la chaîne et de l’ouest du pays sont encore très isolées.
12Le second grand chantier du nouveau régime est le développement de la production agricole, afin de répondre aux besoins d’une population en forte hausse démographique, et le rééquilibrage d’une propriété foncière très inégalitaire. La réforme agraire de 1964 supprime l’ancien système de tenures privilégiées, birta, jagir, rakam et rajya, pour les transformer en raikar. Seules les terres kipat des Limbu et les terres guthī gardent leur statut, ces dernières finançant la religion d’État. L’ayant droit d’une terre devient propriétaire au sens moderne du terme. La réforme limite la taille des propriétés foncières à 3 hectares dans la vallée de Katmandou et à 18,4 dans le Téraï. Toute exploitation dépassant ce plafond doit être redistribuée à ceux qui en cultivent effectivement la terre depuis un an, contre une compensation au propriétaire. Mais en pratique, seulement 1,5 % des terres cultivées ont été redistribuées auprès de 10 000 familles paysannes4. Des facilités sont offertes aux paysans endettés. Cependant, la réforme ne résout pas le problème du manque de terres. Tout au plus empêche-t-elle l’extension de la grande propriété en poussant les détenteurs de capitaux à investir dans l’industrie ou le commerce plutôt que dans l’achat de biens fonciers.
13Pour augmenter la production agricole, l’État se lance dans une politique de conquête de nouvelles terres, en mettant systématiquement en valeur la plaine du Téraï. Celle-ci avait déjà fait l’objet d’une politique délibérée de colonisation agricole des terres vierges et en friches dès le début du xixe siècle. Mais c’est surtout après 1920 que cette colonisation devient systématique et organisée par l’État au profit des paysans sans terre, afin d’atténuer la pression foncière dans les montagnes. Les terres défrichées bénéficient d’une exemption d’impôts pendant trois à six ans, puis de taux préférentiels. La construction de routes dans le Téraï et surtout une vaste campagne d’éradication du paludisme soutenue par l’Organisation mondiale de la santé, accélèrent et amplifient ce mouvement de colonisation. Cependant, la pression démographique dans les basses montagnes, des déploiements migratoires et des revendications croissantes de paysans sans terre (sukumbasi) entraînent des défrichements sauvages qui motivent la création de la Nepal Ressettlement Company en 1963. Cette institution entend contrôler et organiser l’installation des colons. Les mouvements migratoires se sont en effet amplifiés entre les montagnes et le Téraï, si bien qu’entre 1952 et 1971, la population du Téraï passe de 2,9 à 4,3 millions d’habitants, représentant alors 32,6 % de la population du pays5.
14Ce front pionnier parvient à transformer le Téraï en grenier à céréales, notamment pour le marché de Katmandou, et en fait la principale région de concentration des industries en dehors de la capitale, grâce au développement de villes-champignons le long de la frontière indo-népalaise.
15Durant cette période, les milieux népalais sont considérés comme une ressource économique dont l’État entend contrôler la gestion et accroître les revenus. Les forêts privées sont nationalisées en 1957 (Private Forests Nationalization Act), pour des raisons avant tout politiques et économiques. Il s’agit de priver les élites locales de terres qu’elles se sont appropriées sous les Rana alors qu’elles soutenaient leur régime, et de remettre en cause un système de tenures féodal. Il s’agit aussi d’exploiter certaines de ces forêts et d’en commercialiser le bois. Avant cette date l’État s’était montré peu présent dans la gestion des forêts, à l’exception de celles du Téraï qui étaient exploitées afin de fournir du bois à l’Inde, alors sous domination anglaise. Dans le reste du pays en revanche, les forêts étaient soit sous le contrôle des pouvoirs communautaires locaux, soit aux mains des notables.
16Bien que l’État népalais n’ait pas la capacité institutionnelle de réellement appliquer cette nationalisation, celle-ci a des conséquences sur la gestion des ressources forestières, d’autant plus que l’État n’a pas non plus la capacité humaine, technique et financière, d’assurer lui-même la gestion de ce patrimoine. En déniant tout rôle à la gestion communautaire locale des forêts, la nouvelle législation éveille l’hostilité des usagers traditionnels et nourrit une attitude déresponsabilisée vis-à-vis des ressources forestières. La loi stipule qu’il n’y aura pas de compensation accordée aux propriétaires des forêts. Si nombre de villages reculés sont restés dans l’ignorance de cette nationalisation (dans ce cas il n’y a pas eu d’effets sur l’usage des ressources forestières), dans d’autres, au contraire, une grande partie des forêts privées a été défrichée au plus vite, afin de pouvoir revendiquer la propriété de terres rendues cultivables6. Devant son échec, l’État tente en 1961 d’inciter à une meilleure gestion des forêts, en favorisant les plantations d’arbres, en réintroduisant la notion de forêt privée et en distribuant des semences. Mais les forestiers et le département des Forêts sont déjà perçus par la population comme une force policière opposée à leurs intérêts. De plus, la gestion forestière se disperse entre de multiples autorités gouvernementales, empêchant une coordination administrative efficace7.
Les paysages et les milieux naturels, fondements d’un tourisme naissant
17L’ouverture des frontières du Népal a facilité l’arrivée sur le territoire des touristes étrangers. L’initiative est d’abord venue des alpinistes. Les expéditions himalayennes, qui jusque-là opéraient à partir de Darjeeling, peuvent désormais se déployer au Népal grâce aux autorisations accordées par le roi. À la suite de l’ascension de l’Annapurna en 1950 par l’expédition française de Maurice Herzog, puis de celle de l’Everest par Hillary et Tenzing, de grosses expéditions se lancent à la conquête des principaux sommets du Népal. Bien que peu nombreuses, elles emploient des dizaines, voire des centaines de porteurs pour acheminer depuis Katmandou matériel et nourriture vers les camps de base. Les besoins de ces porteurs, qui doivent se nourrir et se chauffer par eux-mêmes, les poussent à couper du bois le long des chemins et aux abords de certains villages, exerçant une pression nouvelle sur les ressources forestières à l’échelle locale.
18Dans le même temps, Katmandou devient le rendez-vous des alpinistes et de la haute société européenne qui se rend dans le Téraï pour participer à des chasses au tigre et au rhinocéros, sur le modèle des anciennes chasses royales. Cependant, devant les risques d’extinction de ces espèces, le roi décide de la création d’un « sanctuaire du rhinocéros » à Chitwan en 1964. C’est le début d’une politique de préservation de la faune et de la flore par le gouvernement (figure 46), alors même que le Téraï fait l’objet d’une immigration massive, voulue par l’État, des paysans des collines et des Indiens de la plaine du Gange à la recherche de terres nouvelles à défricher. Le safari photo, organisé sur le modèle des réserves africaines à partir de jungle resorts, se substitue alors à la chasse au gros gibier.
19En 1958 l’ouverture au tourisme international, qui se limite alors à la vallée de Katmandou et au Téraï, est encouragée et organisée par le Master Plan of Tourism élaboré par des experts français. L’objectif est de favoriser, par l’intermédiaire de l’initiative privée, un développement touristique capable d’accroître les entrées en devises et de servir de levier au développement économique.
20En 1964, un des artisans de la conquête de l’Everest dans l’entre-deux-guerres, le colonel George Bruce, ouvre la première agence de trekking du Népal, Mountain Travel, et propose les premiers circuits de randonnée dans le pays. Le trekking fait alors son apparition sous deux formes principales : la randonnée individuelle avec logement chez l’habitant8 et la randonnée en groupe qui s’effectue en camping, organisée par des tour-opérateurs étrangers ou par les agences de trekking népalaises. Cette dernière ouvre un nouveau marché de l’emploi, le portage pour le compte des touristes, qui s’insère parmi les traditionnelles migrations de travail des paysanneries népalaises.
21Les flux touristiques, d’abord modestes, s’intensifient rapidement9, malgré le développement lent et inégal des moyens de transport. Ils se tournent surtout vers les massifs de l’Everest et de l’Annapurna grâce au développement du trekking et des expéditions. Le nouveau Master Plan of Tourism de 1972 prendra acte de cette évolution spontanée du tourisme de montagne au Népal : le trekking apparaît alors comme le meilleur moyen de visiter les montagnes du pays et de susciter à peu de frais un développement local. La création de moyens d’hébergement est laissée à l’initiative privée, en l’occurrence aux villageois dans les régions de trekking. Le gouvernement népalais voit dans ces nouvelles pratiques l’occasion d’exploiter les paysages himalayens comme n’importe quelle autre ressource, en particulier en percevant des royalties sur toute expédition de haute montagne. L’accès aux régions situées en dehors de la vallée de Katmandou est soumis à des autorisations payantes qui permettent à l’État d’acquérir des devises et de contrôler les flux touristiques.
22Durant ces années 1950-1960, c’est donc le développement économique et le contrôle des milieux qui priment dans les politiques de l’État pour une meilleure exploitation des ressources naturelles. Dans le domaine touristique, l’État n’intervient guère, considérant, sans doute, que la beauté des paysages est un facteur suffisant d’attraction des touristes, et laisse, durant cette première période, une assez large liberté d’action aux populations locales.
23Les deux décennies suivantes, en revanche, sont marquées par l’émergence d’une problématique environnementale : le Népal devient le champ d’application de politiques nouvelles en matière de protection de la nature qui reposent sur les théories catastrophistes en vogue à l’échelle internationale dans les années 1970, c’est-à-dire dans un contexte de crise énergétique.
La prise de conscience des problèmes environnementaux des années 1970-1980
L’émergence d’un discours international sur l’environnement
24Le début des années 1970 marque un tournant dans la prise de conscience de l’unité écologique que représente la planète et des menaces qui pèsent sur elle. L’étude prospective du Club de Rome, Les Limites de la croissance (1972), popularise10 la notion de ressources non renouvelables et de leur épuisement programmé. Des centaines d’organisations de protection de la nature dont le succès et la popularité iront croissants, voient alors le jour. Elles sont massivement présentes lors de la tenue de la première conférence internationale sur l’environnement à Stockholm en 1972. Les préoccupations environnementales y sont présentées comme un problème global devant être traité par la mise en œuvre de politiques appropriées. Une agence spécialisée des Nations unies, le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), est créée en partie à cet effet.
25Puis la décennie 1980 devient celle du « développement durable » qui cherche à réconcilier protection de la nature et développement économique. La « Stratégie mondiale de la conservation11 » de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) en 1980, inaugure cette nouvelle orientation. En 1987, le rapport de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, fruit de quatre années de travaux, définit la notion de développement durable et remarque que « le temps est venu d’un mariage de l’économie et de l’écologie, de façon à ce que les gouvernements et leurs citoyens puissent prendre la responsabilité non seulement des dommages environnementaux mais aussi des politiques qui causent ces dommages ». L’apothéose de cette prise de conscience internationale de l’environnement se produira cinq ans plus tard à Rio, lors du « Sommet de la Terre ».
26Le Népal échappe d’autant moins à cette évolution que la place qu’il accorde aux experts, aux organisations internationales et à leurs financements, est considérable. Sa politique environnementale suit les évolutions des conceptions internationales et le pays semble bien souvent jouer le rôle de laboratoire pour la mise en œuvre des dernières théories en vogue. Consacré bon élève parmi les pays en voie de développement pour sa politique de protection de la nature12, il est également signataire de la plupart des conventions et traités internationaux sur l’environnement13.
La « crise écologique himalayenne » : la paysannerie au banc des accusés, dans un contexte économique difficile
27Les résultats du développement des décennies précédentes ne sont pas à la hauteur des promesses. La population ne cesse d’augmenter, avec une hausse qui est en moyenne de 2,66 par an pour les années 197014. Durant cette décennie, la superficie des terres cultivées par habitant diminue dans toutes les régions du Népal15. Le Népal n’a pas connu de « révolution verte » comme en Inde et dans le reste de l’Asie, et les faibles augmentations des productions agricoles ne sont généralement dues qu’à l’extension des surfaces cultivées au détriment de la forêt et non à une augmentation de la productivité. La réforme agraire n’a pas eu d’effets dans ce domaine, le Népal doit importer des céréales et accepter une aide alimentaire. Sa dépendance vis-à-vis de l’aide internationale s’accroît, ainsi que son endettement.
28Les bilans réalisés par les organismes internationaux et népalais montrent que la situation ne cesse de se détériorer depuis 197016. Les efforts d’éradication du paludisme et la nouvelle accessibilité du Téraï étaient censés absorber l’excès de population des basses montagnes. Celles-ci, comme certains districts de moyenne montagne, connaissent en effet des densités très élevées au kilomètre carré cultivé, de l’ordre de 1 500 à 2 500 hab/km2 cultivé pour une moyenne nationale de 58017. Mais, dès les années 1980, le Téraï « fait son plein d’hommes » avec une densité moyenne de 209 hab/km2, voire de plus de 300 hab/km2 dans certains districts du Téraï oriental18. En 1988, le ministère népalais des finances reconnaît que le Népal se place parmi les pays les plus pauvres du monde, avec un revenu de 160 dollars par habitant, une espérance de vie de 52 ans et un pourcentage de 69 % d’adultes analphabètes19.
29C’est dans ce contexte de subsistance difficile, d’endettement et de pauvreté dans les basses et moyennes montagnes, que les experts et le gouvernement érigent la fameuse théorie de la « dégradation des milieux himalayens »20. Cette théorie est présentée sous la forme d’un scénario en huit points21 qui prédit un effondrement de l’économie sociale et des dégâts irréversibles sur l’environnement avant l’an 2000. Le contexte international des années 1970 joue dans le sens de ces hypothèses depuis la crise énergétique de 1973 qui souligne le problème chronique de la déforestation dans les pays en développement, là où le bois est la principale source d’énergie pour la cuisson et le chauffage.
30Les principaux accusés dans cette théorie, souvent présentée comme un fait, sont les paysans des basses et moyennes montagnes, rendus responsables des inondations du Bangladesh, des transformations des paysages, du changement climatique et finalement de l’accumulation des produits de l’érosion himalayenne dans la plaine indienne. Ainsi, le comportement de quelques millions de paysans affecterait la vie de plusieurs centaines de millions d’hommes et de femmes dans l’Inde gangétique et au Bangladesh. De nombreuses estimations sont alors réalisées pour alimenter cette accusation22.
31Ces idées sont largement diffusées par les médias népalais et les ONG présentes sur le territoire. Le gouvernement népalais trouve un intérêt certain dans cette théorie. Lier le déboisement du Népal aux inondations de la plaine, c’est dire qu’une population immense est concernée par le problème, ce qui justifie un afflux de fonds sans proportion avec la seule population népalaise. C’est aussi jouer sur une sensibilité internationale croissante à la « dégradation du patrimoine naturel ». De plus, désigner un bouc émissaire, la population ignorante des montagnes, justifie la radicalité de la politique environnementale qui se met en place durant ces années 1970.
Les premiers pas d’une politique de protection de la nature pour la faune sauvage et autour des grands sommets
32C’est sur la faune sauvage que se concentrent les premières mesures de protection de la nature23. En 1950, une première loi (Wildlife Conservation Act) fournit un cadre légal à la protection du rhinocéros (Rhinocéros Unicornis) et de son habitat naturel, en établissant un « sanctuaire » à Chitwan, dans le Téraï. Cette première mesure est caractéristique des inclinations fondamentales de la politique de protection du Népal : elle répond à une situation jugée catastrophique, elle se cristallise sur la protection d’une espèce emblématique dont on craint la disparition, et elle inaugure ce qui deviendra l’axe essentiel, pour ne pas dire unique, de la protection de la nature, la mise sous statut d’aires protégées d’une partie du territoire national, privilégiant la préservation plutôt que la gestion.
33Cette orientation s’affirme nettement dans la promulgation d’une seconde loi en 1973, la National Parks and Wildlife Conservation Act. Toujours en vigueur après avoir été amendée quatre fois, elle définit les types d’aires protégées : parcs nationaux, réserves naturelles, sanctuaires de vie sauvage, réserves de chasse, auxquelles sont venues s’ajouter par la suite les aires de conservation et les zones tampon. Elle donne pouvoir au gouvernement de classer une portion de territoire par simple notification au Journal officiel, mais aussi pour la déclasser, en modifier les limites et en transférer la propriété. Limitant l’entrée des parcs et des réserves aux seules personnes autorisées, elle dresse la liste des actions réglementées dans ces espaces24 et définit les pouvoirs d’investigation et de poursuite en cas d’infraction.
34Le Téraï est le premier espace à être concerné par cette loi. La colonisation rapide et intense de la plaine, qui s’accompagne de pressions nouvelles sur la forêt et sur sa faune, alimente des estimations alarmantes sur le niveau des populations de rhinocéros et de tigres. Les mesures ponctuelles de protection prises dans les années 1950 se révélant largement inefficaces, le gouvernement crée en 1973, sur le conseil de scientifiques étrangers, le premier parc national du Népal : le Parc national royal de Chitwan, qui couvre aujourd’hui 932 km2. La délimitation retenue cherche à éviter au maximum la présence de villages à l’intérieur du parc, préoccupation qui prime sur une délimitation qui aurait été fondée sur des critères écologiques. Par ailleurs, et pour la première fois, les habitants des villages environnants se voient interdire l’accès au parc pour la récolte de bois vert, de bois de feu, de fourrage et d’herbes. Les pratiques de chasse et de pâturage y sont également prohibées, ainsi que toute entrée dans le parc entre le lever et le coucher du soleil. L’armée est chargée de faire appliquer, au besoin en ayant recours à la force, cette réglementation. Trois années plus tard, en 1976, après le rhinocéros, le tigre royal du Bengale se voit attribuer son aire de protection, le Parc national royal de Bardiya (968 km2 aujourd’hui) dans l’ouest du Téraï. Deux réserves de faune complètent le dispositif, l’une à l’extrême ouest du Téraï (Shuklaphanta, 305 km2), l’autre à l’est (Koshi Tappu, 175 km2).
35Si la grande faune des milieux tropicaux a retenu l’attention de certains scientifiques, d’autres concentrent leurs efforts et leur intérêt sur les zones qui comportent les plus hauts sommets du monde (et notamment huit des quatorze sommets de plus de 8 000 m). En 1976, trois parcs nationaux sont créés : le Parc national du Langtang (1710 km2), au nord de Katmandou, le Parc national du Sagarmatha (nom népalais de l’Everest, 1 148 km2) à l’est et le Parc national de Rara (106 km2) à l’ouest.
36L’argument invoqué pour la création de ces parcs en zone de montagne apparaît comme une variante du modèle de la « dégradation des milieux himalayens » : les touristes, au même titre que les paysans et les éleveurs, sont mis au banc des accusés ; l’arrivée d’étrangers de plus en plus nombreux, dont la présence et les besoins en combustible entraînent une pression accrue sur les milieux naturels, aggrave la menace qui pèse déjà sur eux du fait de la déforestation et du surpâturage25.
37Pourtant en 1970, à l’époque où la création de ces parcs est envisagée, les touristes qui déclarent être venus au Népal pour y faire du trekking ne sont en tout et pour tout que 556. Même si leur nombre s’accroît de façon rapide durant les années 197026, on ne peut guère parler alors de flux massifs. Il est vrai que la présence des touristes, même en faible nombre, produit déjà des effets sur les paysages et l’environnement : de petites auberges surgissent dans les villages et parfois en pleine forêt. Leur construction et la cuisson de la nourriture pour les voyageurs individuels entraînent des besoins supplémentaires en bois, qui s’ajoutent à ceux des groupes de campeurs et de leurs porteurs. Cette situation nouvelle nourrit des discours alarmants sur une éventuelle surfréquentation touristique. Cependant, en l’absence d’études véritables mesurant les dégradations sur le milieu, on se contente souvent de généraliser des observations ponctuelles à l’ensemble du territoire. De plus, jusqu’en 1976, date de l’instauration d’une comptabilisation des permis de trekking, on ne connaît pas non plus le nombre précis de randonneurs, ni leur répartition par massif : on s’appuie sur des chiffres globaux d’entrée aux frontières, qui ne préjugent en rien de la direction des flux dans le pays27.
38La création des parcs est ainsi fondée dès le départ sur des contradictions somme toute assez classiques. D’un côté, les organisations internationales de protection de la nature poussent, dans les zones les plus menacées, à la création de parcs d’où la population serait exclue, selon le modèle anglo-saxon28. De l’autre, l’État espère pouvoir utiliser le label « parc » pour attirer les touristes. Le gouvernement népalais, par l’intermédiaire du Master Plan of Tourism de 1978 ne s’en cache pas : la création de parcs nationaux doit favoriser le développement touristique et économique des régions de montagne. Accepter la création de parcs nationaux permet aussi de faire appel à l’aide financière des organisations internationales de protection de la nature en brandissant la menace d’une dégradation du milieu par les touristes, tout en justifiant de l’instauration d’un droit d’entrée payant qui est tout bénéfice pour l’État. Il est possible aussi que la monarchie voie dans les parcs un moyen d’intégrer les espaces périphériques et frontaliers au territoire national en y favorisant un contrôle plus étroit des ethnies minoritaires et de leurs ressources, par le biais de l’armée, de la police et des fonctionnaires des parcs.
39Quoi qu’il en soit de ces considérations économiques et politiques, l’idéologie « conservationniste » l’a emporté en s’appuyant sur des thèses catastrophistes, dont on peut douter de la validité scientifique lorsque l’on examine les conditions dans lesquelles ont été faites les études préliminaires à la création de certains parcs29.
40Avec cette conception de la protection de la nature, l’accès aux parcs et à leurs ressources naturelles par les populations qui y habitent ou qui les côtoient, et en tirent tout ou partie de leur subsistance, devient problématique30. La mise en place d’une législation visant en premier lieu à préserver des équilibres naturels entraîne des effets pervers qui se traduisent par de nouveaux déséquilibres entre populations et ressources.
41Au début, en effet, la loi est appliquée de la manière la plus restrictive et sans nuance par les forces armées. Ainsi, tout prélèvement de bois vif est interdit et la récolte de bois mort soumise à autorisation. Cela entraîne rapidement des conflits entre populations locales et gardes des parcs. La limitation des prélèvements forestiers donne lieu à des confrontations parfois brutales avec l’armée (à Chitwan, à Sagarmatha). Dans la région de l’Everest, Hillary doit jouer les médiateurs entre l’État et les Sherpa qui obtiennent deux garanties : ils ne seront pas déplacés et seront associés aux prises de décision et à la gestion. On prendra moins de précautions avec trois villages du Parc national du lac Rara, dont les habitants ne bénéficient pas de la même notoriété internationale que les Sherpa de l’Everest : eux seront purement et simplement expulsés31.
42Par ailleurs, l’interdiction d’utiliser librement les ressources naturelles dans les parcs entraîne une pression accrue sur les milieux situés en périphérie. De plus, les villageois doivent faire face aux dégâts croissants causés aux cultures ou au bétail par la faune sauvage dont les effectifs augmentent32, sans que l’État puisse leur fournir la moindre compensation. Les autorités sont alors contraintes (à Sagarmatha en particulier) d’assouplir leurs règles : possibilité de récolter le bois mort sans autorisation ainsi que de couper trois arbres adultes par foyer et par an.
43Si en première analyse, ces conflits semblent être en bonne partie la conséquence d’une application rigide de la loi par les autorités, ils sont plus probablement la résultante obligée de deux facteurs : d’une part, de la culpabilité que l’on fait peser sur les populations qui sont considérées uniquement comme prédatrices en vertu de conceptions « préservationnistes », d’autre part, de l’inadaptation fondamentale du dispositif de parcs nationaux fortement inspiré par les grands parcs américains et que l’on voudrait appliquer à des régions plus densément peuplées et de longue date.
44C’est à partir du milieu des années 1980 que le rapport qu’entretiennent les populations avec leur milieu sera considéré différemment et que de nouveaux types de gestion seront appliqués, dès lors que les zones à protéger seront habitées.
Le « développement durable » : les populations locales au cœur des discours officiels
45Plusieurs éléments se combinent pour conduire à la politique nouvelle qui se met en place au tournant des années 1980 : les conflits qui éclatent dans les parcs bien sûr, mais aussi à l’échelle internationale, le succès croissant des discours sur le « développement durable », défini comme un développement économique censé être en harmonie avec les grands équilibres écologiques afin de préserver les ressources naturelles pour les générations futures, tout en assurant les besoins élémentaires et légitimes des populations concernées.
46Des chercheurs étrangers, géographes et forestiers, commencent à dénoncer l’exagération des discours sur la déforestation et le manque d’intégration des populations locales à la gestion de l’environnement. D’une part, une nouvelle génération de chercheurs remet en cause la « théorie de la dégradation des milieux himalayens », en dénonçant les méthodes peu fiables et les calculs erronés qui ont été utilisés pour désigner une crise écologique majeure33. Ils montrent qu’il n’existe pas de preuves sur la culpabilité des paysans et réclament, à l’avenir, davantage de rigueur d’analyse et des méthodes plus fines avant de généraliser à partir de quelques résultats ponctuels. D’autre part, une nouvelle production scientifique dans le champ de l’ethno-écologie paraît à partir de 1985, mettant en valeur l’existence d’une gestion communautaire des ressources naturelles par les sociétés traditionnelles et incitant le gouvernement à mieux prendre en compte les populations locales34.
47À l’échelle internationale, la stratégie mondiale de la conservation établie par l’UICN, le WWF et le PNUE en 1980, puis le rapport de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement en 1987 (mais dont les travaux ont débuté en 1983), marquent aussi une évolution importante des esprits. Il devient nécessaire d’impliquer plus étroitement les populations locales si l’on veut mener à bien des politiques de protection de l’environnement. Des compensations doivent leur être fournies pour qu’elles acceptent plus facilement l’instauration de périmètres protégés.
48Ces changements dans l’appréhension de la problématique environnementale se manifestent au Népal dans la politique forestière tout d’abord, puis dans celle de la protection de la nature, qui s’accompagnent d’une décentralisation progressive à l’échelle nationale.
49En effet, il apparaît vite que l’État népalais n’a pas la capacité humaine, technique et financière d’assurer lui-même la gestion d’un patrimoine forestier qu’il a pourtant nationalisé. Or. si en 1961 les forêts sont formellement attribuées aux pancayat, toutes les décisions de gestion sont prises en théorie par le service forestier et, dans la pratique, aucune véritable gestion, au sens forestier du terme, n’existe.
50La loi forestière de 1978 introduit la notion de gestion participative et la loi de décentralisation de 1982 donne pouvoir aux pancayat pour former des « comités populaires d’usagers » appelés à gérer, notamment, des espaces forestiers. La foresterie communautaire est présentée comme le meilleur moyen de répondre aux besoins fondamentaux des populations. Ainsi s’officialise, sous le contrôle de l’État, l’organisation de la gestion des forêts par les communautés villageoises elles-mêmes. Cependant, si la loi stipule que tout membre d’une communauté peut avoir accès à la forêt, dans la pratique, on constate parfois que l’accès aux ressources forestières peut dépendre des structures socio-religieuses et des rapports de force existant à l’échelle villageoise (encadré 17).
Encadré 17
Les discriminations socio-religieuses dans l’accès des populations aux ressources forestières
Isabelle Sacareau
Un problème parfois négligé par les experts est celui de l’inégal accès des différents groupes de population aux ressources naturelles. La plupart du temps, le rapport entre croissance démographique et pression sur les ressources est envisagé à l’échelle d’un territoire strictement délimité et d’une population considérée comme un tout homogène. Or on sait que les membres d’une communauté villageoise ne forment pas un tout indifférencié ayant les mêmes comportements, le même statut socio-économique, ou les mêmes droits et devoirs, surtout lorsqu’il s’agit de villages pluriethniques. Dans une étude récente portant sur trois études de cas, Adhikari1 montre l’existence de discriminations anciennes dans l’accès à la forêt et sa gestion à l’encontre des castes de services, discriminations qui durent encore. Les trois villages analysés par Adhikari (Lachok, Riban et Ghachok) se situent sur la rive droite de la Mardi Khola (district de Kaski) entre 1 200 et 1 500 m d’altitude. Deux types de forêts bien distinctes y sont exploités : il s’agit d’une part des forêts communautaires, localisées à proximité des villages à une altitude inférieure à 2 500 m, qui sont soumises à la réglementation des comités forestiers ; et d’autre part d’une forêt d’altitude appartenant à l’État, dont l’accès est libre et que se partagent les trois villages du versant. Des différences sensibles apparaissent dans la gestion des forêts communautaires entre Lachok, village pluriethnique, et Riban habité en majorité par des Gurung.
À Lachok, une douzaine de familles bahun-chetri détiennent, depuis le xixe siècle au moins, des droits de propriété sur l’actuelle forêt communautaire, qu’elles ont acquises selon deux modalités : certaines parcelles de forêt ont été enregistrées à partir de 1883 comme propriétés privées, au même titre que des terres agricoles (forêts dites bijari), tandis que les autres leur ont été allouées, ainsi qu’à quelques familles gurung au cours du xxe siècle par les hautes autorités (forêts dites sanad). Selon l’ancien système jajmani, les castes de service étaient autorisées à prélever du bois sur la terre de leurs patrons en fonction de leurs besoins.
Ni la nationalisation des forêts en 1957, ni la législation récente (Forest Protection Act de 1967 et Forest Product Rules de 1970), qui encourage la formation de comités d’usagers, n’ont remis en question les droits des Bahun-Chetri sur les ressources forestières, bien au contraire. En effet, même si la loi stipule que tout membre d’une même communauté villageoise peut avoir accès à la forêt, dans la pratique, les hautes castes ont su maintenir leurs privilèges aux dépens des plus basses castes. Les quatre comités d’usagers mis en place à Lachok à partir de 1985 regroupent toujours les familles anciennement détentrices des forêts bijan et sanad, et en excluent les autres villageois. Chacun des membres peut prélever une certaine quantité de produits de la forêt, fixée par le comité en fonction de l’état des ressources forestières et des besoins de chaque famille. Cette part est calculée au prorata de la surface de forêt possédée. Le même système prévaut pour le paiement des gardes forestiers chargés par le comité de veiller au respect de ce partage et de verbaliser les contrevenants, qu’ils soient propriétaires ou usagers illégaux. Ces droits d’usage, de propriété et de gestion, dont le comité tient un registre précis, sont transmis par vente ou par héritage. Avec le temps et la division des héritages, les inégalités entre les familles possédantes se sont accrues, ainsi que les conflits concernant la délimitation des parcelles privées. Les castes de services, pour leur part, n’ont pas le droit de participer à la gestion de la forêt « communautaire », puisqu’elles ne font pas partie du comité d’usagers : elles ne peuvent qu’y ramasser du bois mort et uniquement sur les parcelles forestières appartenant à leurs anciens patrons. La coupe du bois de construction et le prélèvement de fourrage leur sont interdits. Comme la plupart sont sans terre, elles n’ont pas la possibilité de planter des arbres privés autour des champs, comme le font les Bahun-Chetri depuis une vingtaine d’années. Le département des Forêts interdit désormais la fabrication du charbon de bois, si bien que les Kami (forgerons) ont été privés de leur activité traditionnelle. La seule zone que les castes de services peuvent exploiter est la forêt d’altitude qui n’était en principe soumise à aucune restriction d’usage, mais dont l’exploitation a fait l’objet de quotas décidés parle comité d’usagers à la fin des années 1980. Son éloignement du village leur impose de longues journées de travail (jusqu’à 14 heures) pour récolter certaines espèces (arundinaria spp.) qui servent à la fabrication des nattes et des paniers. Le temps passé à ce genre de tâche les empêche de rechercher d’autres formes de revenus salariés qui leur permettraient de moins dépendre des ressources locales, comme le font les Gurung, dont le travail à l’extérieur de leur village contribue à alléger la pression sur la forêt. Elles se trouvent, de plus, confrontées à l’hostilité des habitants du village voisin, Ghachok, qui ont longtemps prétendu détenir des droits exclusifs sur cette forêt et n’ont eu de cesse de vouloir leur en interdire l’accès.
Dans le village gurung de Riban, en revanche, il n’existe qu’un seul comité forestier qui regroupe tous les habitants du village, castes de services incluses, donnant à chacun des droits et devoirs égaux sur la coupe du bois et le ramassage du fourrage foliaire. Seule la coupe de bois vert est soumise à certaines restrictions, mais le comité recherche en général le consensus entre toutes les maisons, en fonction des besoins spécifiques de chacun. Le principe est le même pour le partage des frais d’entretien des gardes forestiers. Les familles les plus pauvres qui hésitent à payer les 45 NR requises peuvent s’acquitter de ce montant en plusieurs fois, ou bien vendre du bois de chauffe en échange, ou encore offrir quelques heures de travail à la collectivité.
L’étude d’Adhikari montre ainsi que, derrière une même législation, peuvent perdurer des modes traditionnels de gestion des forêts et un accès inégal des paysans aux ressources de leur propre territoire : à Riban, comme à Lachok, les pratiques actuelles sont dans la continuité de celles du passé. Mais les structures communautaires des Gurung ont favorisé un partage égalitaire des droits et des responsabilités à l’égard de la forêt, tandis qu’à Lachok sa gestion reste dans les mains des castes dominantes et contraint les basses castes, qui dépendent pourtant le plus des ressources locales, à exercer une pression accrue sur la forêt d’altitude. Cette analyse très localisée, donc difficilement généralisable, a cependant le mérite d’attirer l’attention sur le fait que la gestion d’une forêt, censée être un bien commun, peut en réalité reproduire des inégalités socio-économiques entre castes.
51La politique de protection de la nature évolue aussi dans le sens d’une prise en compte des populations, de leurs pratiques et de leurs problèmes à l’intérieur des aires protégées, mais également en bordure de ces dernières.
52Les nouvelles conceptions du « développement durable » trouvent leur terrain d’application dans la région des Annapurna, qui n’avait pas été prise en considération lors de la création des premiers parcs nationaux. Tenant compte de la relative augmentation de la fréquentation touristique dans le massif, les autorités décident d’y expérimenter une nouvelle forme de gestion de l’environnement, s’appuyant sur la participation des populations locales.
53Un nouveau dispositif est élaboré, « l’aire de conservation » (conservation area). Cette nouvelle catégorie d’espace protégé résulte d’une étude, menée dans la région de l’Annapurna par le King Mahendra Trust for Nature Conservation (KMTNC), ONG nationale, qui aboutit à quatre recommandations principales35 : associer les villageois aux décisions concernant la gestion des ressources, fournir des sources d’énergie alternatives afin de réduire la pression sur les forêts, promouvoir sensibilisation et éducation à l’environnement, et enfin, faire payer un droit d’entrée aux randonneurs dont le produit servira à financer des actions locales de développement et de conservation. Il faudra attendre 1996 pour que ces principes voient leur traduction légale36, mais leur application pratique est mise en œuvre dès 1988 par le KMTNC, dans la zone de Ghandrung d’abord, puis progressivement autour du massif des Annapurna (7 629 km2 et 120 000 habitants sont concernés aujourd’hui). En vertu de cette nouvelle conception de la protection, les habitants passent du statut d’indésirables à celui d’acteurs, pouvant assurer eux-mêmes une gestion effective de leurs ressources naturelles.
54L’aire de conservation est découpée en plusieurs zones avec des objectifs de gestion différenciés en fonction du niveau de protection recherché (zone de gestion spéciale, zone sauvage, zone de forêts protégées et de pâturage, zone de gestion intensive, zone biotique et anthropologique).
Encadré 18
Parc national et réserves naturelles au Ladakh
Pascale Dollfus
La création de parcs et de réserves est une initiative récente au Ladakh comme dans l’ensemble de l’État du Jammu et Kashmir dont cette région constitue deux districts (Leh et Kargil).
Le Parc national d’Hémis (Hemis High Altitude Park) fut ainsi créé en 1981 à l’initiative du Snow Leopard Recovery Programme de l’UICN pour protéger le léopard des neiges (Uncia uncia), animal en voie de disparition, dont la population est estimée au Ladakh entre 200 et 300 individus. Situé sur la rive gauche de l’Indus, il couvre 4 800 km2 (vallées de la Markha et de Rumbak) entre 3 400 et 6 400 m d’altitude et abrite, outre des léopards des neiges, des marmottes, des ongulés parmi lesquels le mouton bleu (Pseudois nayaur), l’ibex (Capra ibex sibirica), l’urial tibétain (Ovis vignei vignei), l’argali tibétain (Ovis ammon hodgsoni) et une cinquantaine d’espèces d’oiseaux. Les villageois peu nombreux – 262 en 1981 – habitant à l’intérieur du parc n’ont pas été déplacés et, à ce jour, aucune restriction de leurs droits d’usage ne leur a été imposée. Pour tenter de prévenir la coupe massive des différentes espèces arbustives vendues à Leh sous forme de charbon de bois, le Department of Wildlife Protection, aidé de plusieurs ONG locales, organise régulièrement des campagnes de sensibilisation au cours desquelles sont présentées des vidéos et des saynètes au titre éloquent : No tree, no life, ou encore I love and I preserve my country. Parallèlement, des sorties pédagogiques sont prévues à l’intention des enfants et des training sessions sont proposées à leurs instituteurs.
En 1990, une petite réserve de quelque 70 km2 a été constituée sur la rive droite de l’Indus, non loin de Leh, à Sabu, afin de préserver une espèce de perdrix (Alectoris chukar). Au Zanskar enfin, « le sanctuaire de la vie sauvage de la vallée de Lung nag », zone d’habitat du mouton bleu et de l’ibex, a vu le jour en 1992.
55Les années 1970-1980 ont ainsi vu l’émergence d’une problématique environnementale au Népal. À la menace de destruction des milieux par les populations, agitée comme un épouvantail dans les années 1960 et 1970, est venue s’ajouter celle des dégradations engendrées par le tourisme. Les groupes de pression internationaux, qui sont aussi ses bailleurs de fonds, ont poussé le gouvernement népalais à expérimenter successivement différents modes de protection et de gestion des ressources naturelles, du parc national à l’aire de conservation (figure 47). Les paysanneries sont depuis les années 1980 de plus en plus étroitement associées à ces politiques. Mais l’initiative des populations locales demeure étroitement encadrée par des autorités supérieures et doit se conformer à l’idéologie du moment, dans un contexte politique où la démocratie est absente.
56De nouvelles dynamiques font leur apparition dans la société népalaise au début des années 1990. Résultant en partie des efforts antérieurs, la modernisation du pays progresse avec la diffusion de certains équipements, tandis que le territoire se structure progressivement sous l’effet des mouvements migratoires, de l’urbanisation et de la pénétration de l’économie de marché. Des idées nouvelles se diffusent et la population, en particulier citadine et éduquée, supporte de moins en moins le régime autocratique.
De nouveaux acteurs pour une politique environnementale plus globale
La libéralisation politique des années 1990 : avènement et aléas de la démocratie
57Le succès rapide du « mouvement pour la restauration de la démocratie » du printemps 1990 est imputable à plusieurs facteurs : l’union, pour la première fois, du Congrès et des partis communistes (rassemblés sous une bannière commune) contre le « système pancayat » ; le mécontentement populaire que suscite une hausse des prix provoquée par le blocus commercial imposé par l’Inde dès mars 1989, suite à l’échec des négociations relatives au renouvellement du traité de commerce et de transit entre les deux pays ; enfin le contexte international, marqué par la chute des régimes autoritaires d’Europe de l’Est. Le 8 avril 1990, après trois mois d’une insurrection de plus en plus populaire, et dont la répression devient de plus en plus violente, le roi Birendra annonce la levée de l’interdiction des partis politiques. Suivent la dissolution de toutes les institutions du « système pancayat », la formation d’un gouvernement d’intérim et la promulgation d’une nouvelle constitution qui met en place une démocratie parlementaire sur le modèle de Westminster. Les secondes élections législatives de l’histoire du Népal (après celles de 1959), en 1991, donnent la majorité absolue au parti du Congrès, qui forme alors le gouvernement.
58La démocratisation du régime, entendue comme l’élargissement de la participation politique, se manifeste notamment par la politique de décentralisation mise en place en mars 1992, qui redéfinit le découpage administratif du pays et établit une structure de gouvernement local à deux niveaux : 3 995 village development committees (VDC37) et 36 municipalities, qui élisent 75 district development committees (DDC). Contrastant avec le centralisme qui caractérisait le « système pancayat », cette politique se veut un instrument privilégié d’accès au pouvoir politique pour les différents groupes sociaux38. Lors des deuxièmes élections locales, en 1997, des quotas (25 % des sièges au niveau des VDC) sont instaurés en faveur des femmes39. Enfin, la décentralisation accorde un rôle nouveau aux organisations non gouvernementales, invitées à devenir des partenaires officiels du gouvernement dans sa mission de développement. Celles-ci se multiplient de façon spectaculaire lors de la libéralisation du régime.
59La constitution de 1990, si elle maintient la définition du Népal comme un « royaume hindou », reconnaît officiellement son caractère « multiethnique et multilingue ». Cette pluralité ethno-linguistique trouve son expression dans un nombre croissant de nouvelles formations politiques, qui affichent une identité ethnique ou régionale, et dont les discours convergent dans la dénonciation de la domination exercée sur les institutions politiques, économiques et éducatives du pays, par les Bahun-Chetri et par les Néwar.
60Concernant la protection de l’environnement, la nouvelle constitution contient plusieurs clauses relatives à la responsabilité de l’État, contrairement à la précédente (1962) qui n’abordait pas ces questions. Toutefois, elle ne met pas en relation la protection de la nature, qu’elle présente comme une priorité, avec le développement des sociétés qui vivent dans cet environnement. Elle en reste donc à une conception « préservationiste » sans intégrer, dans les termes de ses clauses, la société concernée40. Quant aux nouveaux partis politiques issus de la démocratisation, ils accordent, dans leurs programmes, une place inégale à la politique environnementale.
61La jeune démocratie népalaise semble aujourd’hui menacée par l’instabilité gouvernementale, chronique depuis les élections législatives anticipées de 1994. Le Congrès et les partis communistes, s’ils dominent la scène politique, ne peuvent plus gouverner sans le soutien de l’un ou de l’autre des petits partis, et les gouvernements de coalition se succèdent sans autre base commune que l’opposition à la coalition précédente. La violence politique suscitée par l’insurrection maoïste, qui se répand dans les poches les plus pauvres de la zone centrale du pays et entraîne une répression brutale par la police, est une autre menace pour la démocratie. Le Parlement népalais donne l’image d’une assemblée paralysée par la vision à court terme des partis qui utilisent volontiers la rue et les démonstrations de force (grèves générales, processions avec torches) pour exprimer leurs revendications. On peut craindre que cette incapacité des partis à se plier aux règles du jeu parlementaire ne soit utilisée par le roi pour justifier un retour à un régime plus autoritaire.
Encadré 19
La place de l’environnement dans les manifestes des partis politiques Stéphanie Tawa Lama
Les manifestes électoraux constituent un genre particulier du discours politique. Ces livrets d’une dizaine de pages se composent en général d’une introduction, qui présente l’histoire du parti, les grandes lignes de son idéologie et, le cas échéant, les politiques qu’il a mises en œuvre dans le passé ; d’une énumération des problèmes identifiés par le parti, et des solutions qu’il préconise ; enfin d’une injonction à voter pour le parti. Les manifestes indiquent ainsi l’ambition de chaque parti de se faire le porte-parole des électeurs qu’il vise, en exprimant au mieux leurs préoccupations. Par extension, les manifestes constituent une source d’information précieuse sur les thèmes susceptibles de mobiliser les électeurs. En bref, ils indiquent la composition de l’agenda politique à un moment donné.
On a comparé ici les manifestes, pour les élections législatives anticipées de 1994, de quatre partis politiques : le Nepali Congress (NC), le Communist Party of Nepal (United Marxist-Leninist) (CPN (UML)), le Rashtriya Prajatantra Party (RPP) et le Sadbhavana Party (SP), et la place qu’y occupe le thème de l’environnement2.
La notion d’environnement (bātābaran) elle-même n’apparaît comme une rubrique à part entière que dans le manifeste du RPP, où elle est associée à la « préservation de la forêt et de la faune ». Dans tous les autres manifestes, c’est sur la forêt que se focalisent les préoccupations d’ordre environnemental. La forêt est un thème en soi pour le CPN (UML) comme pour le SP, tandis qu’elle est associée à la réforme agraire dans le manifeste du NC.
Pour chaque parti, le problème identifié est le même : la déforestation du pays, les glissements de terrain et l’érosion des sols qu’elle engendre. À partir de ce constat commun, des réponses différentes sont proposées. Le NC et le CPN (UML) préconisent une gestion collective des forêts ; le CPN (UML) et le RPP proposent de développer des énergies alternatives (gaz produit à partir de bouse de vache [gobargas], énergie solaire et surtout hydroélectricité) pour répondre aux besoins de combustible ; enfin le SP propose de développer l’économie agricole des régions d’origine des migrants – supposés être les principaux responsables de la déforestation du Téraï – afin d’éliminer la cause même de cette immigration.
La gestion de la forêt, et plus largement la politique de gestion des ressources naturelles, permet ainsi à chaque parti de faire valoir à la fois ses priorités et sa différence. Le CPN (UML) comme le RPP, en liant déforestation et hydroélectricité, affichent leur opposition à l’accord conclu entre le gouvernement congressiste et l’Inde, permettant à celle-ci de construire un barrage à Tanakpur. Le CPN (UML) affirme que les rivières constituent « le patrimoine inaliénable du peuple népalais », affichant ainsi un nationalisme qui s’oppose implicitement au NC, tandis que le RPP signale explicitement, lui, son opposition à l’accord de Tanakpur. Ici la forêt définit la ligne de partage entre nationalistes et « pro-indiens » (c’est-à-dire le NC). Par ailleurs, en insistant sur la nécessité d’assurer un emploi à ceux qui sont privés de revenu par la protection de la forêt, le CPN (UML) démontre son souci d’équité sociale. En affirmant que « la déforestation aboutit à un déséquilibre économique, culturel et social », enfin, le SP (qui se veut le représentant des habitants du Téraï) pare son opposition à l’immigration des sans-terre (sukumbasi) dans le Téraï, de la légitimité de préoccupations écologiques.
La deuxième préoccupation relative à l’environnement, que l’on retrouve dans tous les manifestes, est la nécessité d’une urbanisation planifiée, par opposition à l’urbanisation « sauvage » en cours, incluant notamment une meilleure gestion de l’eau potable et des déchets, et le contrôle de la pollution industrielle et automobile.
Hormis ces deux thèmes, communs à tous les partis, seuls le NC et le RPP annoncent la création de nouvelles aires protégées, et ces deux partis associent la dépollution des lacs et des montagnes au développement du tourisme. Le RPP mentionne son respect de l’Agenda 21 adopté à Rio en 1992 et affiche sa volonté de protéger la faune. Enfin le SP affirme la nécessité de « préserver l’équilibre écologique des pays de la SAARC », en plein accord avec les liens que revendique ce parti, pour les gens du Téraï, avec l’Inde.
Le caractère très mineur de ces préoccupations, indiqué par leur position dans la hiérarchie des problèmes abordés par les manifestes, permet finalement de penser que, hormis la déforestation et la pollution urbaine, les questions environnementales n’intéressent guère les Népalais. On peut donc se demander si les politiques de protection de la nature répondent d’abord à une demande intérieure.
Une association plus étroite des populations locales à la gestion de l’environnement
62Si les populations ont été placées au cœur des discours officiels dans les années 1980, leur implication devient réelle seulement depuis le début des années 1990, tant dans la gestion forestière que dans la conservation des milieux.
63Une loi de décentralisation en 1992 renforce le rôle des « groupes d’usagers » comme organisations locales de développement, puis la loi forestière de 1993 définit précisément les droits et devoirs de ces groupes, leur attribuant désormais la gestion des produits financiers de la forêt ainsi que le choix de leur destination41. Le service forestier de chaque district prend le rôle de conseiller technique auprès des groupes d’usagers et devient le garant de la mise en place d’une gestion durable des forêts au service des habitants. Il garde en effet le pouvoir de dissoudre les groupes d’usagers et de reprendre les forêts au nom de l’ État.
64L’élaboration de cette politique, puis sa mise en œuvre pratique sont saluées comme un succès et citées en exemple dans de nombreuses publications42. Elle est en fait surtout effective dans les montagnes, mais encore peu dans le Téraï. On estime aujourd’hui que 500 000 hectares43 ont été ainsi attribués à des groupes d’usagers, ce qui représente moins de 10 % de la surface forestière du pays. Ce qui n’empêche pas de nombreux « observateurs » d’attribuer à la « foresterie communautaire » l’amélioration qu’ils pensent déceler dans l’état de la couverture forestière du pays. En revanche, il est vrai que les tensions ont diminué entre les populations et le service forestier grâce à un dispositif qui permet d’incorporer et de valoriser les aspects positifs des systèmes de gestion traditionnels.
65Dans le domaine de la protection de la nature et plus particulièrement des aires de conservation, une évolution majeure intervient. Le quatrième amendement de la loi de 1973, promulgué en 1993, prévoit l’affectation directe, sans transit par le budget de l’ État, de 30 à 50 % des revenus d’une aire de conservation au développement des communautés locales44. La réglementation de 1996 sur les aires de conservation prévoit de confier, par contrat à durée déterminée, la gestion d’une aire protégée à une institution privée ou non gouvernementale et de lui adjoindre des fonctionnaires pour assurer le lien entre l’État et le gestionnaire. L’État garde donc une tutelle en théorie relativement étroite sur l’institution, mais cette réglementation ouvre la voie aux ONG pour mettre en œuvre une nouvelle politique qui les mette directement en relation avec les communautés locales.
66Une nouvelle institution locale spécifique à l’aire de conservation, le CAMC (Conservation Area Management Committee), est créée dans chaque VDC. Cet organe, qui vient s’ajouter à la représentation démocratique existante45, celle du VDC, est chargé, au nom des habitants, d’établir les règles d’utilisation des ressources naturelles et les priorités d’utilisation des moyens financiers à consacrer au développement et à la protection dans Faire de conservation46. On se retrouve ainsi dans un schéma très proche de celui mis en place pour la foresterie communautaire dans le reste du pays.
67Dans le même temps, un dispositif similaire, « la zone tampon » (buffer zone), est créé autour des parcs nationaux et des réserves afin d’atténuer les conflits avec les riverains. Cette zone est définie en 1993 dans le quatrième amendement à la loi de 1973, comme une « aire qui entoure un parc national ou une réserve [...] pour permettre l’usage des ressources forestières dans des conditions régulières et au bénéfice des populations locales ». Les pouvoirs du gestionnaire du parc ou de la réserve sont étendus à la zone tampon, mais les habitants restent, quoi qu’il en soit, propriétaires de leurs terrains. Le gestionnaire a la possibilité de former des comités d’usagers afin de mettre en place une foresterie communautaire. Enfin, disposition là aussi majeure, l’amendement prévoit que 30 à 50 % des revenus produits par le parc, au premier rang desquels les revenus touristiques, soient réinvestis dans des activités de développement local. La première zone tampon voit le jour à la fin de 1996 autour du Parc national royal de Chitwan et la seconde, en 1999 autour du Parc royal de Bardiya. Il est encore trop tôt pour juger des conséquences de ce dispositif. Cependant, de même que pour les aires de conservation, il s’agit d’une étape majeure dans l’association et l’implication des populations à la protection de la nature.
68Cette volonté d’implication ne se limite pas aux différents types d’aires protégées. L’État et les différentes administrations tentent de sensibiliser la population sur l’ensemble du territoire par la diffusion d’informations. Les journaux, lus dans les villes, ont multiplié les articles portant sur la protection de l’environnement. La radio émet plusieurs émissions par semaine consacrées à l’environnement et à la gestion des forêts. Différentes ONG proposent des formations informelles sensibilisant la population rurale à des préoccupations environnementales. Les services forestiers offrent des stages aux responsables des comités forestiers villageois. Mais aujourd’hui, pour l’État, l’école est le moyen le plus efficace de toucher en profondeur une large population sur l’ensemble du pays.
Encadré 20
Place de l’environnement dans les manuels scolaires
Blandine Ripert
Si, en 1995, le pays comptait environ 20 715 écoles primaires réparties sur l’ensemble de son territoire et 4,2 millions d’enfants inscrits à l’école3, l’enseignement public reste relativement récent puisqu’il a fallu attendre la chute de la dynastie Rana pour qu’il s’ouvre à tous. Les écoles secondaires, permettant aux élèves de poursuivre leur cursus et pour certains de le clore par l’examen national (SLC), restent encore peu nombreuses, et moins d’un tiers des élèves du primaire les fréquente.
Dans le système éducatif du Népal, les manuels scolaires sont la base de l’enseignement et c’est à partir d’eux que les instituteurs élaborent leurs cours. Chaque élève possède plusieurs manuels dans différentes matières, selon son niveau.
Les manuels et les programmes scolaires ont été profondément transformés au cours des quarante dernières années4. À partir de 1971, après instauration du New Education System Plan (NESP), les manuels font explicitement référence au milieu naturel et à sa protection. À partir de cette même date, les matières scientifiques et les études sociales sont présentées comme de nouveaux thèmes majeurs du cursus (National Plan Commission, 1993) et selon Pratyoush Onta (1996), l’éducation devient centrale dans le processus d’une socialisation planifiée des diverses communautés au sein d’une nation unique. L’environnement est alors surtout abordé sous l’angle de la protection de la faune sauvage. Différents symboles nationaux et emblèmes, figurant par exemple sur la monnaie népalaise, font référence à cette faune et sont représentés dans les manuels.
Après la démocratisation de 1990, les manuels ont été encore modifiés, au rythme d’un niveau par an. Le roi du Népal n’apparaît plus en première page des nouveaux manuels et la diversité ethnique du pays et de ses paysages est désormais mise en valeur dans les illustrations des textes.
Dans ces nouveaux manuels, l’environnement devient une matière à part entière : chaque niveau possède désormais un livre qui lui est consacré. Durant les trois premières années de l’école primaire, le terme utilisé pour désigner l’environnement se traduit par « ce qui m’entoure » (mero serophero) et est associé à une hygiène de vie. Dans les classes intermédiaires, les thèmes abordés sont plus élaborés et c’est le terme bātābaran qui désigne alors l’environnement. Il est question des drames que cause un non-respect de l’environnement, restreint le plus souvent à la déforestation. La principale solution proposée pour résoudre le problème est la plantation d’arbres. Les illustrations mettent en valeur des paysages boisés et les terrasses de cultures sèches sont toujours entourées d’arbres fourragers. Les glissements de terrain sont toujours associés à des paysages sinistrés, déboisés.
Dans les nouveaux programmes du secondaire, les problèmes d’environnement s’étendent à la pollution de l’air, de l’eau, du sol ou même sonore, qu’elles s’exercent en milieu rural ou urbain. Ils suivent ainsi la nouvelle conception de l’UICN (qui a participé à l’élaboration de certains manuels) qui, depuis 1990, ne réduit plus son action à la seule conservation des milieux naturels, mais l’étend à tous les problèmes environnementaux. Le ton est souvent dramatique.
À partir de la première année de collège par exemple, le manuel d’environnement se consacre exclusivement au lien entre la croissance démographique du Népal et la dégradation de son environnement5. On y retrouve explicitement la théorie de la dégradation des milieux himalayens. Dans ce manuel, la pression démographique est rendue responsable de tous les maux du Népal, de la déforestation au changement climatique, de la dégradation du patrimoine culturel à celle des services publics. Le catastrophisme de l’ouvrage confond souvent les causes et les effets. À aucun moment, dans l’explication des phénomènes d’érosion et de glissements de terrain, n’interviennent des éléments de géographie physique. Seules les techniques « inappropriées » des paysans, telles que la culture sur champs en pente et une pression trop forte sur les ressources, sont désignées responsables. Les dégradations de l’environnement seraient responsables d’une désertification du Népal, présentée comme le spectre à craindre pour les années à venir. Les régions sèches du Dolpo, du Mustang, de Manang, de Dang Okhaldunga et de Salyam, démontreraient l’avancée de cette désertification, sans qu’aucune caractéristique climatique ou géographique ne relativise le propos. Seuls le contrôle des naissances et la conservation/protection de l’environnement peuvent enrayer ce processus et doivent être mis en œuvre par chacun, à commencer par les élèves, sommés de diffuser chez eux les connaissances acquises à l’école dans ce domaine.
La création des parcs nationaux et des réserves est présentée comme un grand effort gouvernemental en matière environnementale, mais les manuels mettent aussi en valeur les initiatives villageoises de protection et de plantation d’arbres, surtout les créations de « groupes d’usagers » qui reçoivent l’aval du District Office of Forest. Les différentes administrations présentes dans chaque district sont décrites comme autant de relais pouvant conseiller les efforts locaux de protection de l’environnement.
La multiplication des ONG environnementales
69Depuis le retour à la monarchie constitutionnelle, l’instauration d’un régime démocratique et l’ouverture économique du pays, le nombre des ONG s’est considérablement accru : elles seraient plus de 30 00047. Aujourd’hui, personne n’est véritablement capable de les comptabiliser du fait de l’absence de recensement centralisé48. Cependant, environ 850 d’entre elles seulement sont considérées comme véritablement actives. La part de l’aide internationale dans le budget du pays est de plus en plus grande et les bailleurs de fonds ont largement favorisé le recours à ce type d’organisations.
70Le domaine de la protection de la nature et, au-delà, de l’environnement, a connu la même tendance. On estime que plus d’une centaine d’ONG travaillent autour de ce thème. Cependant, si de nombreuses ONG de taille modeste ont été créées depuis la récente démocratisation, la plupart ne sont au mieux que des courroies de transmission des quelques ONG importantes impliquées dans ce domaine. Ces dernières n’ont pas attendu 1990 pour jouer un rôle majeur. La démocratisation du régime ne leur a en effet pas été nécessaire pour s’installer, se développer et prospérer.
71Le Népal s’appuie ainsi sur quatre grandes ONG de protection de l’environnement, à la fois pour l’élaboration mais aussi pour la mise en œuvre effective de sa politique : le King Mahendra Trust for Nature Conservation (KMTNC), ONG nationale créée par une loi de 1982 et étroitement liée au pouvoir royal, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dont le Népal est adhérent depuis 1973, The Mountain Institute (TMI) et le World Wildlife Fund (WWF), deux ONG américaines installées au Népal respectivement depuis le milieu des années 1980 et depuis 1993. Ces quatre ONG, qui apparaissent désormais comme de véritables institutions, regroupent, parallèlement aux structures de gouvernement, une capacité d’expertise et d’action largement utilisée. Trois d’entre elles, (KMTNC, TMI et WWF) se sont vues confier, par contrat, la gestion directe et entière des trois aires de conservation du pays, zones habitées qui couvrent 7 % de la surface nationale49.
72Il existe aussi, parallèlement à ces grandes ONG, une multitude de petites organisations locales de comités d’usagers, groupes d’usagers de la forêt, groupes de femmes, de mères, comités de gestion des auberges, clubs de jeunes, etc. Leur existence est définie par la loi. Il s’agit là de l’unité de base de ce que peut être une structuration de la société civile, sans intermédiaire du type des ONG précédemment décrites. Dans les aires de conservation, la plupart des programmes s’appuient sur ces groupes et l’on y rencontre relativement peu d’ONG50. Dans le reste du pays, c’est l’État qui pousse à la formation de ce type d’organisations locales.
73On attribue souvent nombre de vertus aux ONG. Selon Chitrakar (1996), elles permettraient souvent de combler le vide de l’État ou de pallier son incompétence. Il traduit d’ailleurs l’expression népalaise gair sarkari sanstha utilisée pour désigner une ONG, par : in the absence of govemment. Elles seraient un atout pour la décentralisation du pays engagée depuis la démocratisation, en offrant une assistance technique à des institutions locales inexpérimentées. Dans le domaine de l’environnement, en outre, elles faciliteraient la mise en place de systèmes de gestion des ressources naturelles par les communautés locales. Enfin, elles seraient le garant que les moyens de l’État, 500 000 roupies allouées à chaque VDC, soient bien utilisés et, par leurs pratiques, seraient un vecteur de démocratie là où ces nouvelles idées ne sont pas encore acquises.
74Mais aujourd’hui au Népal, ces organisations sont de plus en plus critiquées sur leur rôle, leur efficacité et leur probité. La grande majorité d’entre elles sont restées concentrées près de la capitale, sans se préoccuper du reste du pays. On s’interroge aussi sur la perte d’énergie que leur multiplication signifie. Il ressort d’une série d’entretiens réalisés en 1998 auprès de responsables d’ONG et de villageois, que pour de nombreux Népalais, une ONG représente avant tout une occasion de trouver un emploi rémunéré51. En outre, la création d’une ONG a souvent comme but premier de tenter de drainer l’argent venant de l’étranger.
75À une autre échelle d’analyse, dans le contexte d’un pays en voie de développement tel que le Népal et dans le domaine particulier de la protection de la nature, les ONG apparaissent comme des médiateurs entre l’international et le national d’une part, entre le local et le national d’autre part. La combinaison de cette double médiation aboutit à construire un référentiel dans lequel s’élabore et se met en œuvre la politique du pays en matière environnementale52. Ce processus est en effet fondamentalement la résultante de la focalisation d’« experts » internationaux relayés ensuite par des ONG internationales sur les problèmes réels ou supposés.
76Le rôle joué par l’UICN au Népal illustre cette influence internationale. Sa mission fondamentale est de « promouvoir une approche commune », à travers le monde, de la protection de la nature et de sa gestion « durable53 ». Cette organisation apparaît aujourd’hui au Népal, comme le « chien de garde » de la loi internationale. Elle exerce depuis quelque temps une pression sur le gouvernement népalais accusé de ne pas remplir ses engagements internationaux54.
77À l’échelle nationale, c’est en définitive un petit nombre de personnes appartenant au gouvernement ou à l’une des quatre ONG principales citées, voire à l’une des ONG nationales (certaines passant de l’un à l’autre secteur), qui élaborent et mettent en œuvre la politique du pays. Les connexions avec les milieux internationaux sont d’autant plus importantes que l’essentiel des financements en provient et se met en place par l’intermédiaire des circuits que constituent le système des Nations unies (UNESCO, FAO, PNUE, PNUD), les banques de développement (Banque mondiale et Banque asiatique de développement), le Fonds pour l’environnement mondial et les coopérations bilatérales (USAID, SDC, ACDI, Coopérations hollandaise, finnoise...).
78La médiation entre les niveaux international et national trouve ses prolongements auprès des populations locales. Ce n’est pas un hasard si les actions d’enseignement et de formation sont considérées par les quatre ONG comme la pièce essentielle des programmes de conservation. Action en profondeur et démarche active, la formation a pour objectif de façonner les représentations que se font les gens des problèmes de l’environnement et de la protection de la nature. Comme toute action de longue haleine et qui prétend s’attaquer aux mentalités et aux comportements, il est trop tôt pour savoir ce qui en émergera. Les premiers résultats sont parfois étonnants ou cocasses, tant le décalage est grand entre les discours appris, répétés et souvent déformés, et les problèmes réels auxquels sont confrontées les populations55.
79Mais la médiation local-national fonctionne aussi du bas vers le haut et a permis de revoir les conceptions défendues dans les premières années. Intermédiaires entre un pouvoir centralisateur et dirigiste et des populations qui ont des solutions à proposer, les ONG ont sans aucun doute facilité l’adaptation de la politique aux besoins des gens, opération qui a eu le même type de conséquences au niveau international.
De la protection de la nature à une politique environnementale
80Les différentes évolutions dans la conception et la gestion des aires protégées et des espaces forestiers depuis 1950 ont fait émerger une politique aujourd’hui relativement complète, cohérente et pragmatique de protection de la nature.
81Jusque-là, l’existence d’une politique forestière et d’une politique de protection de la nature ne constituait pas réellement une politique environnementale. Pendant longtemps en effet, l’attention des décideurs s’était focalisée presque exclusivement sur la protection d’une nature jugée gravement menacée par les activités humaines, ce qui avait conduit à occulter les autres problèmes environnementaux du pays. La décennie 1990 marque un profond changement en la matière selon plusieurs étapes.
82En 1988, la Stratégie nationale de conservation, malgré sa dénomination, constitue le premier document de politique népalaise qui traite de l’environnement dans son ensemble, et en relation avec la société. Les conceptions essentielles liées à la notion de développement durable y sont contenues. La nouvelle constitution de 1990 mentionne, dans les priorités de l’État, celle de la protection de l’environnement. Quelques années plus tard et pour la première fois, le huitième plan (1992- 1997) inclut une politique spécifiquement environnementale, même s’il faut attendre 1993 sa formulation détaillée ainsi que celle d’un plan d’action associé (Nepal Environmental Policy and Action Plan, NEPAP). Un Conseil pour la protection de l’environnement (Environmental Protection Council, EPC), rattaché au Premier ministre, voit le jour en 1992 ; il a pour vocation de coordonner la politique environnementale du pays. En 1995, un ministère de l’Environnement et de la population est créé après que l’environnement eut été précédemment rattaché, de façon éphémère, au ministère des Forêts. Enfin, les premières dispositions législatives et réglementaires sont promulguées en 1997 (Environment Protection Act and Rides). Les problèmes spécifiques aux zones urbaines, à commencer par la vallée de Katmandou (gestion des eaux, pollution atmosphérique, gestion des déchets, règles d’urbanisme, préservation du patrimoine culturel), mais aussi ceux qui sont liés à l’émergence d’une agriculture plus intensive (usage de pesticides, d’engrais chimiques, etc.) font désormais partie intégrante des préoccupations environnementales du pays.
83Cependant, aujourd’hui comme hier, on ne dispose toujours pas d’évaluation sérieuse de l’état de la nature et des milieux du pays. Les spéculations les plus diverses et parfois contradictoires sur l’étendue et la qualité de la couverture forestière56 par exemple, ou sur les causes de l’érosion, continuent de circuler. Force est de constater que l’on manque cruellement d’indicateurs pour évaluer l’incidence des orientations des vingt dernières années sur les écosystèmes.
84Par ailleurs, même si les solutions mises en place sont reconnues novatrices et particulièrement intéressantes, elles ne répondent qu’imparfaitement aux problèmes du pays. En effet, en matière de protection de la nature, tous les efforts sont aujourd’hui exclusivement concentrés sur une faible proportion du territoire57, relativement peu habitée, alors que les zones plus peuplées sont négligées. Les « zones tampon » récemment créées tentent d’endiguer l’utilisation excessive des ressources naturelles concentrée autour des parcs nationaux, au risque finalement de repousser encore le problème.
85Aujourd’hui, après la notion de développement durable, celle de biodiversité, de sa protection et de son développement, ouvre de nouvelles perspectives. C’est elle qui oriente les décisions actuelles. Un plan d’action national pour la biodiversité était en préparation en 1998. Fédérateur des énergies internationales et des financements, ce concept apparaît comme un puissant facteur d’évolution des conceptions environnementalistes et conservationnistes. Au Népal, peut-être encore plus qu’ailleurs, la biodiversité ne se trouve pas confinée dans les seules aires protégées, elle est en partie la résultante directe d’une action de l’homme par son façonnement des écosystèmes. Cette biodiversité peut être gérée et non plus uniquement protégée et, enfin, sa gestion même et son développement peuvent être une source de revenus pour les populations. Cela ouvre donc des perspectives beaucoup plus vastes que la seule protection d’espaces restreints, exclusivement financée par le tourisme.
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86Aujourd’hui comme il y a cinquante ans, le Népal reste un pays fondamentalement rural. La vie quotidienne de près des quatre-cinquièmes de ses habitants dépend en effet d’activités agricoles, pastorales et forestières, qui continuent à façonner l’essentiel des paysages.
87Cependant, depuis 1950, de nouvelles façons d’utiliser l’espace sont apparues. Dans le domaine agricole, les tensions entre agriculture et forêt se sont renforcées sous la pression d’une population en forte augmentation, mais aussi du fait de l’insuffisance des progrès en matière de rendements agricoles. Dans certains espaces, ce sont les activités agro-sylvo-pastorales elles-mêmes qui ont été remises en cause, voire proscrites, sous l’effet de deux tendances contradictoires, liées au développement économique du pays d’une part, à la délimitation d’espaces protégés et supposés « naturels » de plus en plus étendus, d’autre part (figure 48).
88Le Népal évolue de ce fait de plus en plus vers une spécialisation de ses espaces selon leur fonction économique dominante ou exclusive : agriculture de plus en plus intensive, dans le Téraï par exemple ; urbanisation et industrialisation, principalement dans la vallée de Katmandou, le long de la frontière indienne et à proximité des axes routiers ; protection de la nature et tourisme autour des grands sommets et dans une partie du Téraï.
89Ces évolutions sont la résultante de politiques publiques nationales d’inspiration souvent internationale et sont marquées du sceau d’experts du développement, de grandes organisations internationales de protection de la nature, parmi lesquelles on compte aujourd’hui de plus en plus de Népalais. La seconde moitié du xxe siècle constitue, pour le Népal, du fait de son ouverture politique et économique, une période de changements accélérés qui l’insèrent progressivement dans le « système monde ».
90Le pays apparaît au fil des années comme un véritable laboratoire d’expérimentation des théories environnementalistes : celles-ci, élaborées (et largement financées dans leur mise en œuvre) par les institutions internationales, sont appliquées par l’État népalais et contestées par les villageois à travers les conflits qu’elles suscitent au niveau local, conflits qui amènent une redéfinition de ces théories et donc des politiques qu’elles fondent. Elles ont donné naissance à différentes formes de gestion des ressources naturelles, mais n’ont pu intégrer des données exactes sur l’état des milieux naturels.
91On est ainsi passé, en quarante ans, de la promotion de l’exploitation des ressources naturelles dans la perspective de développement économique, marque des années 1950-1960, à l’obsession de la préservation de la nature nourrie par le scénario de crise himalayenne, dans les années 1970-1980, pour aboutir, à la fin du xxe siècle, à une approche plus globale et intégrée des problèmes de développement et de gestion de l’environnement.
92Parallèlement, le statut et le rôle des populations locales dans la gestion des ressources ont évolué : largement ignorées, ou considérées comme principales responsables de la dégradation de l’environnement, elles ont le plus souvent subi les politiques mises en œuvre, jusqu’à ce qu’elles soient considérées comme un maillon essentiel de la réussite de programmes décidés à un niveau supérieur. Elles sont aujourd’hui plus étroitement associées aux opérations de protection de l’environnement, et le contrôle de l’État sur l’exploitation des ressources à travers le contrôle des populations apparaît comme une caractéristique constante des différentes politiques mises en œuvre dans ce domaine.
93Cependant, la superposition d’influences diverses – organisations internationales, ONG et leurs relais locaux, experts étrangers, lobbies forestiers, institutions nationales et locales – ne va pas sans conflits ni contradictions, car ces influences relèvent d’intérêts parfois divergents : l’environnement est au cœur d’enjeux multiples.
94À l’échelle internationale, la politique de protection de l’environnement du gouvernement népalais a pu apparaître, à un moment donné, comme un moyen de donner des gages aux bailleurs de fonds, d’obtenir des aides financières en renchérissant sur les discours catastrophistes alors en vogue.
95À l’échelle nationale, cette politique semble avoir permis de désigner des boucs émissaires (les paysans, les touristes), évitant à l’État de s’attaquer à des problèmes brûlants comme celui des « sans-terre ». Le thème de la déforestation du Téraï, en particulier, a pu conduire à une exploitation politicienne mettant en avant la crainte d’une immigration massive des populations des montagnes.
96À l’échelle locale, la mise en place de structures administratives de contrôle et de gestion des ressources naturelles, en particulier forestières, a fait émerger une élite rurale qui dispose par son statut social d’un pouvoir considérable sur les villageois. Les forestiers, les gardes nationaux des parcs ou les responsables des aires protégées deviennent des acteurs importants dans les villages, où leurs pouvoirs concurrencent, quand ils ne s’y substituent pas, les pouvoirs des représentants élus des VDC.
97Quant au réseau des ONG, il prétend suppléer aux carences de l’État tout en l’incitant à respecter ses engagements internationaux en matière d’environnement. Mais en assurant ce rôle de maillon essentiel entre ce dernier et les sociétés locales, il parachève un encadrement pyramidal des populations.
98Tantôt culpabilisés, tantôt invités à participer activement à des politiques qu’ils n’ont pas choisies, les villageois ont finalement assez peu de marge de manœuvre et doivent composer entre la nécessité de survivre et un arsenal réglementaire qui limite de plus en plus leur accès aux ressources locales.
Notes de bas de page
1 Le mot pancayat désigne un conseil de notables, que l’on trouve historiquement au niveau de l’administration des villages ou des castes, et qui a été abondamment loué dans la littérature nationaliste indienne comme un modèle autochtone millénaire de démocratie locale.
2 Au milieu des années 1960. le Népal avait établi des relations diplomatiques avec vingt-quatre pays tandis qu’ils n’étaient que cinq en 1957 (Rose, 1971).
3 Les volumes attribués passent de 141 millions de roupies en 1964 à 291.1 en 1972 (Blaikie, Cameron et Seddon, 1980).
4 World Bank, United Nations Development Programme, 1990, Nepal : Relieving poverty in a resource-scarce economy, vol. 1, Katmandou, p. 33.
5 Central Bureau of Statistics, 1971.
6 Wallace, 1986.
7 Le Department of Forests reste l’organisation principale, mais il existe aussi d’autres institutions publiques telles que la Timber Corporation of Nepal et le Forest Products Development, responsables de la commercialisation des produits forestiers.
8 Si les premiers touristes logeaient chez l’habitant, les populations locales, en particulier dans les massifs de l’Annapurna et de l’Everest, ne tardèrent pas à construire de modestes auberges et à aménager des dortoirs dans leurs cabanes d’altitude.
9 Ils passent de 6 179 visiteurs étrangers en 1962, à 12 567en 1966, pour atteindre 45 970 en 1970.
10 Elle sera diffusée à plus de dix millions d’exemplaires dans trente langues.
11 Elle a été le prélude et la base conceptuelle de plus d’une cinquantaine de stratégies nationales dans les pays du Sud, notamment au Népal. Voir HMG/IUCN, 1988.
12 Heinen et Yonzon, 1994.
13 UICN/Belbase, 1997. Notamment la Convention de Paris (Patrimoine de l’humanité), de Ramsar (Zones humide), de Washington (Commerce des espèces en danger), de Rio (Diversité biologique), de Vienne (Couche d’ozone), du Changement climatique, etc.
14 Central Bureau of Statistics, 1985.
15 Silwal, 1995. Entre 1971 et 1981, les productions agricoles augmentent bien moins que la population dans 14 régions sur 15 et les productions alimentaires par habitant diminuent dans toutes les régions sauf deux, les montagnes de l’Ouest et de l’Est (Silwal, 1995).
16 La National Planning Commission rapporte que la production nationale n’a augmenté que de 2,2 % par an entre 1965 et 1980, tandis que la population augmentait de 2,66 % par an et même de 4 % dans le Téraï, si l’on compte les immigrés indiens (Goldstein et al., 1983).
17 Atlas du Népal, 1976/1977, ainsi que, ici, chapitre iv, « Densités de population et ressources dans l’approche des paysages népalais » (P. Ramirez).
18 Le volume net des migrations en 1981 représente 261 880 personnes dans le Téraï oriental, 185 420 dans le Téraïcentral. 106 763 dans le Téraï occidental et entre 40 000 et plus de 90 000 dans l’extrême ouest du Téraï (Gurung, 1989).
19 Gaborieau, 1995, p. 83.
20 Ives et Messerli, 1989.
21 Ives (1987) analyse ces huit points que l’on peut résumer ainsi (voir l’« Introduction » de J. Smadja, supra) : à partir de 1950, après l’introduction de la médecine occidentale, de notions modernes d’hygiène et de la disparition du paludisme, on note une explosion démographique dans le pays, accentuée par l’immigration indienne non contrôlée depuis l’ouverture du Téraï. Cette explosion engendre une demande plus forte d’énergie, de bois d’œuvre, de fourrage, de terres, pour une société qui reste à 90 % rurale. Ces nouveaux besoins exerceraient une pression plus forte sur les milieux, se traduisant par un déboisement. Selon certains experts, 50 % de la forêt népalaise aurait disparu entre 1950 et 1980, et en l’an 2000 la totalité des forêts serait concernée. Cette déforestation provoquerait une érosion du sol catastrophique, augmenterait le nombre de glissements de terrain et modifierait le cycle hydrologique ; tout cela se traduisant par des inondations et des dépôts de terre dans les plaines pendant la mousson, et par l’assèchement des sources et des puits pendant la saison sèche, ces effets se répercutant jusque dans la plaine du Gange, du Brahmapoutre et dans le golfe du Bengale. Dans les collines, les distances entre les villages et les forêts augmentant, il y aurait une baisse de la productivité du travail et de l’énergie humaine, et les excréments du bétail auraient tendance à remplacer le bois comme mode de cuisson, d’où une baisse des rendements des productions agricoles privées de fumier. Ceci provoquerait donc à nouveau des défrichements pour créer de nouvelles terres, comblant le déficit inhérent à la baisse des rendements.
22 On tente, par exemple, de calculer le volume de bois utilisé par an par un agriculteur et de le comparer au volume forestier népalais. En 1985, un rapport de la Banque mondiale estime la durée de vie des forêts des basses montagnes et de sa biodiversité à quinze ans, et à vingt-cinq ans celle du Téraï.
23 Textes de loi consultés (les versions utilisées sont des traductions privées non officielles, réalisées par Népal Press Digest (Private) Ltd, Lazimpat, Katmandou) : National Parks and Wildlife Conservation Act, 11 mars 1973 ; amendé les 6 octobre 1974, 23 décembre 1982 et 27 septembre 1989. National Parks and Wildlife Conservation Rides, 11 mars 1974 ; amendé les 15 mai 1975, 2 octobre 1978, 22 janvier 1979 et 7 octobre 1985. Himalayan National Park Rules, 10 septembre 1979. King Mahendra Nature Conservation Trust Act, 25 avril 1982. King Mahendra Nature Conservation Trust Rides, 15 octobre 1984 ; amendé le 3 mars 1986. Forest Act, 24 mars 1993. National Parks and Wildlife Conservation (fourth amendment) Act, 9 juillet 1993. Forest Rules, 3 avril 1995. Buffer Zones Management Rules, 9 juillet 1996. Conservation Area Management Rules, 30 décembre 1996. Environment Conservation Act, 8 juillet 1997. Environment Conservation Rules1997,7 septembre 1997.
24 Les autorisations et réglementations concernent la chasse, la récolte de végétaux ou de minéraux, les atteintes à la vie sauvage et aux forêts, les cultures et l’élevage, le détournement des cours d’eau, les constructions, le port d’armes, de munitions ou de poison. La loi dresse la liste des espèces protégées, mais prévoit aussi la possibilité de construire des hôtels ou de mettre en place un système de transports publics dans chaque aire protégée.
25 Les organisations internationales de protection de la nature, influencées par les expériences de biologistes menées dans les grands parcs américains sur la « capacité de charge » d’un milieu naturel, ont töt fait d’appliquer aux populations touristiques des outils utilisés pour la gestion des populations animales, d’autant que le tourisme a rarement bonne presse et fait l’objet de discours le plus souvent négatifs (Deprest, 1997). Discours qui ne sont pas sans hypocrisie, dans la mesure où les autorités népalaises ont bien conscience de l’apport facile en devises que procure le tourisme et de l’impact fort que peut avoir l’image d’une nature préservée sur la fréquentation touristique.
26 Le nombre de visiteurs déclarant venir faire du trekking au Népal a doublé en quatre ans. Ils sont environ 13 891 pour l’ensemble du pays en 1976, date de la création des parcs en zone de montagne. Le cap des 20 000 est dépassé deux ans plus tard.
27 Ce n’est d’ailleurs pas dans le massif des Annapurna, de loin le plus fréquenté par les touristes individuels et les groupes de campeurs, qu’est créé un parc national, mais dans l’Everest et le Langtang où la fréquentation est loin d’atteindre les mêmes niveaux. En 1980, 14 332 permis de trekking ont été délivrés pour le massif des Annapurna, contre 5 836 pour l’Everest, 4 113 pour le Langtang et 3 179 pour tous les autres massifs (Nepal tourism statistics, 1988, Ministry of Tourism). De même, on peut citer le parc créé autour du lac Rara où il n’y a pratiquement pas de touristes...
28 En ce sens, l’intérêt porté sur le Népal par le WWF et l’UICN au début des années 1970 a permis de mettre en place une « intégration internationale » en préconisant l’application au Népal des solutions alors adoptées en Occident dans le domaine de l’environnement.
29 Celui du Sagarmatha en fournit un bon exemple. Le classement de la zone de l’Everest a mobilisé de nombreuses énergies internationales, des alpinistes, la FAO, l’UICN et surtout le gouvernement néo-zélandais qui se sent probablement une vocation particulière après le succès d’Hillary. Une série d’enquêtes de terrain (Naylor, 1970 ; Lucas et al., 1974) est menée par les experts néo-zélandais dans le Khumbu. Mais la plupart des sites choisis sont localisés sur des versants soumis de longue date à une forte érosion naturelle (failles actives et couches de terrains instables), qui ne peut être mise sur le compte d’une surexploitation par les paysans et les éleveurs de yacks (Brower, 1991). Pourtant, ces rapports, aux conclusions particulièrement alarmistes, attribuent la dégradation de l’environnement à la fréquentation touristique et au surpâturage.
30 À Chitwan (250 000 personnes sont aujourd’hui riveraines du parc), les populations se voient brutalement privées de l’accès à leurs ressources traditionnelles ; dans le Khumbu, ce sont 3 000 Sherpa qui sont concernés par la réglementation du parc.
31 Voir le chapitre xiii, « Protection des milieux, appauvrissement des hommes. Le village de Botan en bordure du parc de Rara » (S. Shrestha).
32 Estimée à 60 en 1960, la population de rhinocéros à Chitwan dépassait les 450 individus en 1994.
33 Voir par exemple Ives et Messerli (1989), Mahat et al. (1987), Thompson et al. (1986), ou Smadja (1986, 1992, 1995), Fort (1988).
34 Voir par exemple la bibliographie d’un article de Müller-Böker (1991), qui cite nombre de ces travaux.
35 KMTNC/ACAP, 1996.
36 Promulgation des Conservation Area Management Rides.
37 En népali : ga.bi.sa (gāũ bikas samiti).
38 Martinussen, 1993. Ainsi chaque VDC, composé de membres élus par les différentes circonscriptions (ward), doit s’adjoindre un « conseil » (advisory board) permettant aux catégories non représentées parmi les élus (par exemple les « comités d’usagers », les groupes de femmes, les travailleurs sociaux ou les classes défavorisées) de participer à la gestion des villages regroupés dans le VDC.
39 Cette mesure, adoptée de façon unilatérale par le CPN (UML), Communist Party of Nepal (United Marxist-Leninist), qui dirige alors le gouvernement, juste avant la tenue des élections locales, est sans doute influencée par l’adoption en Inde, en 1993, d’une politique de décentralisation prévoyant elle aussi des quotas féminins (33 % des sièges) à tous les niveaux du gouvernement local.
40 IUCN, 1991.
41 Cependant, l’État garde la maîtrise foncière de l’ensemble du territoire forestier du pays, à l’exception des terrains privés replantés récemment.
42 Hobley et al., 1996 ; Nesac, 1998.
43 Spotlight, juin 1998.
44 Dans l’aire de conservation de l’Annapurna, cela représente en moyenne un budget équivalent à celui attribué par l’État à chaque VDC.
45 Les deux tiers des membres sont choisis par les villageois, le tiers restant est désigné par Je gestionnaire de l’aire de conservation. La création de cet organe soulève des problèmes car il entre en concurrence avec le VDC. Ce dernier aurait pu jouer le rôle du CAMC, surtout dans une approche de la conservation et du développement qui se dit intégrée.
46 La tutelle du gestionnaire, et par son intermédiaire de l’État, reste cependant très forte. Toutes les décisions du CAMC doivent en effet être entérinées par le gestionnaire, aussi bien pour l’utilisation des ressources naturelles que pour l’affectation des produits financiers. La propriété de l’essentiel des terres reste par ailleurs propriété de l’État.
47 The Rising Népal, 6 avril 1996.
48 Bongartz et Dhal. 1996.
49 Le KMTNC gère l’aire de conservation de l’Annapurna. le TMI celle du Makalu-Barun et le WWF celle du Kanchenjunga. Voir HMG 1993, 1UCN 1996 et 1998.
50 Le TMI privilégie ce mode de fonctionnement, alors que le WWF préfère susciter des ONG locales.
51 Boisseaux, 1998.
52 « Médiation » et « référentiel » selon le sens donné par Pierre Muller dans son analyse des politiques publiques. Un médiateur est un « agent qui réalise la construction du référentiel d’une politique, c’est-à-dire la création des images cognitives déterminant la perception du problème par les groupes en présence et la définition des solutions appropriées » (Muller, 1994).
53 Smillie, 1995.
54 Un ouvrage a été publié en ce sens en 1997, The Implementation of International Environmental Law in Népal, et le premier numéro de l’année 1998 du bulletin d’information de l’UICN revient avec insistance sur le sujet.
55 Au cours de nombreux entretiens réalisés dans des villages (Boisseaux, 1998), loin de toute infrastructure routière, une des premières préoccupations environnementales citées concerne le « manque » d’oxygène !
56 L’inventaire forestier national est en cours de réalisation avec l’appui de la Coopération finlandaise. Œuvre de longue haleine et qui mobilise des moyens importants, il est en tout cas, au dire même des responsables du projet, impossible de comparer sérieusement ses résultats avec ceux des inventaires partiels précédemment réalisés (différence de méthode, de critères...). Voir Hurtig, 1998.
57 Même si elle représente tout de même 16 % du territoire népalais. Voir KMTNC, 1998.
Notes de fin
1 Adhikari, 1996.
2 Je remercie Pramod Khakurel pour son aide dans la traduction des manifestes.
3 Central Bureau of Statistics, 1997.
4 L’analyse des manuels récents ne porte que sur les six premières années d’études, les seules pour lesquelles ces ouvrages avaient été modifiés et publiés en 1996. Je remercie Yam Bahadur Tamang qui m’a aidée dans la traduction de ces manuels. Manuels scolaires consultés : Mero serophero, 2050 VS (1993), classe 1, n° 100 ; classe 2, Nyaachyo M., n° 127 ; classe 3, n° 133. Mero nepali kitab, 2050 VS (1993), classe 2 ; classe 3. Mero bātābaran, 2052 VS (1995), classe 4, Regmi D., n° 144. Mero desh, 2052 VS (1995), classe 4, Thapa G., n° 136. Hamro janasankhya ra bātābaran siksā, 2052 VS (1995), classe 6, Shresta P., Shresta B., n° 85. Hamro sāmājik siksā, 2051 VS (1994), classe 6, Ghimier B., Subedi R., Khatri L., n° 256. Hamro nepali kitab, bātābaran rakshya, 2052 VS (1995), classe 6. Ils sont publiés par le ministère de l’Éducation, Curriculum Development Center, Bhaktapur.
5 Le titre du manuel est d’ailleurs explicite : Étude de notre démographie et de notre environnement (Hamro janasankhya ra bātābaran siksā), P. Shresta, B. Shresta, 2052 vs, classe 6, Bhaktapur, Curriculum Development Center, Ministry of Education, 85 p.
Auteurs
Chargée de recherche au Centre d’étude de l’Inde, géographe
Maître de conférences, Université de La Rochelle, géographe
Ministère des Affaires étrangères, forestier
Chargée de recherche au Centre d’étude de l’Inde, politologue
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