Chapitre IX. Les cultures à l’épreuve du temps. Esquisse d’une histoire de l’agriculture en Himalaya1
p. 273-316
Texte intégral
1Les paysages himalayens doivent leur diversité non seulement au relief et au climat, mais aussi à des pratiques agraires nombreuses et variées. Loin d’être immuables, celles-ci résultent d’une histoire si complexe qu’il n’est pas possible de la retracer pour l’ensemble de la Chaîne. Aussi avons-nous choisi de nous en tenir à l’évolution des cultures, et ce, dans deux sites d’études principaux, la vallée de l’Indus au Ladakh central et la vallée de Katmandou au Népal, qui offrent une documentation relativement abondante. Ces sites illustrent en outre deux situations représentatives de l’Himalaya : l’un, situé en haute altitude (3 300-3 900 m) sur le versant nord, est soumis à des influences tibétaines, l’autre, à basse altitude (1 400 m) et sur le versant sud, connaît principalement des influences indiennes.
Les données archéologiques
2Les recherches archéologiques relatives à l’aire himalayenne sont récentes et restent parcellaires. En effet, les premiers grands programmes de fouilles ne datent que des années 1980 et concernent seulement trois régions : le Téraï népalais, le Cachemire et le Mustang. Dans un tel contexte, chaque découverte modifie radicalement les connaissances précédentes. S’il convient de demeurer prudent quant à l’appréciation des données disponibles, il est toutefois important de les présenter, car elles montrent l’existence très ancienne de divers courants migratoires en Himalaya et la coexistence de deux grandes cultures. Par sa position charnière, cette région a toujours constitué, à l’instar du sous-continent indien2, un carrefour où se sont croisées culture à bifaces d’origine indienne (handaxe culture) et culture à choppers3 du sud-est asiatique.
3Le peuplement himalayen est plus ancien qu’on ne le pensait et date au moins du Pléistocène moyen, comme l’attestent plusieurs foyers d’occupation humaine mis au jour sur les marges des vallées Dun et au pied des Siwalik, dans le Téraï népalais4. Les sites paléolithiques de Dang-Deokhuri et de Satpati (Lumbini) ont révélé des bifaces, façonnés par des groupes de tradition acheuléenne originaires de l’Inde, dont la présence dans le Téraï n’était – semble-t-il – que temporaire. Ces sites forment la frontière nord-est de la culture à bifaces, qui s’étend depuis l’Afrique jusqu’à la plaine gangétique. L’occupation au pied des Siwalik a perduré pendant le Pléistocène supérieur et l’Holocène inférieur, comme en témoignent les diverses industries à éclats et à choppers des sites de Patu et de Chabeni. L’accroissement, à cette époque, du nombre de sites par rapport à celui des gisements datant du Pléistocène moyen semble lié à l’avènement de conditions plus humides, comme en atteste la présence de lignite.
4Patu, sur la rivière Rato, dans le district de Mahottari, date de l’Holocène inférieur. G. Corvinus5 montre à quel point le site se distingue de celui de Dang, mais présente des affinités avec le Hoabinhien du Nord-Vietnam. Cette parenté avec l’Asie du Sud-Est est encore plus évidente à Chabeni (Lumbini), où une industrie à sumatralithes s’est implantée au cours de la même période sur un ancien site paléolithique à bifaces.
5Deux cultures d’origine très différente se sont donc succédé au Népal pendant la préhistoire : l’une de type indien au paléolithique et l’autre de type sud-est asiatique au mésolithique.
6Hormis dans ces basses terres, et à l’exception du Cachemire, aucun peuplement antérieur au troisième millénaire avant notre ère n’a été mis au jour en Himalaya6. Pourtant, sur le plateau tibétain, les fouilles archéologiques ont révélé plusieurs sites paléolithiques et néolithiques qui témoignent de l’importance et de la continuité de son occupation depuis cette époque7. Du Qinghai à la frontière népalaise, aucun biface n’a été découvert, confirmant la situation du Tibet dans le groupe des cultures à choppers, au nord-est d’une ligne reliant le delta du Gange à la mer Caspienne.
7Les seuls sites néolithiques himalayens mis au jour sont situés au Cachemire. À Burzahom, près de Srinagar, s’est développée de 2375 à 1000 av. J.-C. une économie agricole associant la culture du blé (Triticum aestivum et T. sphaeroccum), de l’orge (Hordeum vulgare) et de légumineuses (Lens culinaris et Pisum sativum) importées du Moyen-Orient – via Harappa –, à une horticulture privilégiant des espèces autochtones comme le noyer (Juglans régla) et des arbres fruitiers originaires d’Asie centrale, tels que le pêcher (Prunuspersica) et l’abricotier (P. armenica). Le riz (Oryza sativa), domestiqué dans la vallée du Gange dès le ive siècle av. J.-C., y est cultivé au premier millénaire (1000-600). Cette culture de mousson succédant aux céréales d’hiver (blé et orge) inaugure la double rotation annuelle, toujours pratiquée aujourd’hui8.
8Dès le IIIe millénaire, les vallées himalayennes du Swat, au nord de la plaine de l’Indus, sont occupées par des villages à habitat en fosses, associés à une culture néolithique tardive apparentée à celle du Cachemire, notamment à Burzahom. À cette époque, des contacts sont instaurés avec les plaines, comme en témoignent des objets de facture harappéenne, puis des relations sont établies avec les frontières septentrionales du sous-continent, expliquant partiellement le caractère très original des cultures du Swat. Les établissements agricoles s’y multiplient au IIe millénaire, avec la culture du blé et celle du riz dès 1700 av. J.-C.9.
9Au Ladakh, les vestiges les plus anciens découverts à ce jour – des pétroglyphes – se rattachent à l’âge du métal10. Datées à partir de rapprochements stylistiques avec des cultures connues, ces gravures rupestres figurant des scènes de chasse à la masse d’arme, des bouquetins, des félins et des chevaux, témoignent de la présence sur ces hautes terres, depuis la fin du IIIe millénaire jusqu’au ive siècle avant notre ère, de peuples vivant de chasse et d’élevage. Apparentés aux groupes des steppes d’Asie centrale et en contact avec les « empires » de la Perse achéménide et de la Chine des Zhou, ils pourraient être les ancêtres des Saka du Xinjiang et de Khotan, transhumant entre des pâturages d’été en altitude au Ladakh, au Zanskar et au Tibet central, et des quartiers d’hiver situés sur les piémonts des Kunlun, au cœur d’oasis accessibles par les passes de Gilgit ou par la route du nord du Ruthog11.
10Au Mustang, les grottes funéraires situées entre Marpha et Tukche dans la Thak Khola ont révélé des objets en cuivre apparentés à la culture des caches de cuivre (Copper Hoard 12) qui s’est développée dans la vallée du Gange au IIe millénaire. Un récipient en écorce de bouleau daté du ixe-viiie siècle av. J.-C. y a également été trouvé. À Phudzeling, dans la basse vallée de Muktinath, et à Mebrak plus au nord, on a découvert des grottes habitées à la même époque, dont certaines contenaient diverses sortes de céréales : orge, blé, sarrasin13.
11Les fouilles menées dans le Téraï népalais à Tilaurakot où s’élevait Kapilavastu, capitale des Sakya, attestent de l’occupation du lieu à partir des xe-xiiie siècles av. J.-C.14. Dans le site voisin de Lumbini, où naquit Siddharta Gautama au vie siècle av. J.-C., des poteries grises datant du viie siècle av. J.-C. ont été exhumées15.
12En l’absence d’autres informations, il n’est pas possible de dater le passage en Himalaya d’une économie essentiellement fondée sur la chasse, la pêche et la cueillette, à un mode de vie fondé sur l’agriculture et l’élevage. Nous ne pouvons qu’élaborer des hypothèses à partir des découvertes faites dans les régions voisines, d’informations de seconde main et de textes littéraires oscillant entre le mythique et le normatif, tels que les épopées ou les chroniques royales.
La vallée de l’Indus au Ladakh
Mythes, épopées et chroniques
13Vers 430 av. J.-C., Hérodote, se fondant sur des informations obtenues auprès de Perses, relate l’existence, dans un désert de sable au nord de l’Inde, d’un peuple au tempérament belliqueux possédant de l’or extrait du sol par d’étonnantes « fourmis ». Mégasthène, Strabon, puis Pline l’Ancien, reprennent ce récit et y ajoutent des éléments nouveaux. Ils nomment « Dardes » (Derdai, Daradrai, Dardae...) ces hommes ravissant l’or aux fourmis et les situent dans de hautes montagnes inaccessibles. Le Mahābhārata, leur faisant écho, signale – quelque part en Himalaya – la présence de fourmis auricavatrices ainsi que d’un peuple de montagnards important, pour son usage personnel, des queues de yack, des plumes, du miel et des herbes médicinales de l’Uttara Kuru et du Kailasa.
14Si l’on est bien en peine de fournir des arguments incontestables permettant d’identifier ces Dardes, on s’accorde généralement à situer le Pays de l’or aux confins du Ladakh et du Baltistan, dans les vallées aurifères du haut Indus et de ses affluents : la Shyok et la Suru16. C’est également dans cette région que la tradition orale place la fondation du premier village du Ladakh et les débuts de la culture de l’orge. Les différents récits d’origine17 ne font pas état d’une population autochtone, mais relatent tous l’implantation dans des vallées inhabitées (litt. « vides », stong pa) d’émigrants venus des contrées voisines. Ils s’accordent pour faire de trois frères, originaires de Gilgit, les premiers habitants du Ladakh. Séduits par les vallées riches en gibier découvertes par hasard en y venant chasser, les trois hommes décidaient d’y retourner quelques mois plus tard, sitôt leur réserve de viande épuisée. Or, à l’endroit où ils s’étaient jadis arrêtés pour se reposer, s’étendait désormais un champ d’orge prêt à être moissonné, né spontanément des graines tombées de la paille garnissant leurs bottes. Conquis par cette terre giboyeuse et fertile, ils choisissaient de quitter leur village natal pour s’y installer, apportant quelques semences d’orge, des boutures de saule et de bouleau18, ainsi que leur connaissance de l’irrigation. Au fil des mois et des années, de nombreux hommes venus des quatre orients – du Cachemire à l’ouest, des vallées cis-himalayennes au sud, des oasis d’Asie centrale au nord, et du Tibet à l’est – rejoignirent ces pionniers et fondèrent d’autres villages.
15Les Chroniques royales du Ladakh (la dvags rgyal rabs), ensemble de manuscrits hétérogènes et souvent contradictoires compilés en tibétain au xviie siècle, ne disent mot de cette histoire. Elles n’évoquent pas non plus le mythe anthropogonique largement répandu dans le monde tibétain19 dans lequel le bodhisattva Avalokiteshvara extrait du Mont Meru les cinq « sortes de grain » (orge, blé, riz, moutarde et pois) et permet ainsi aux descendants des premiers ancêtres – un singe et une démone des rochers – de devenir des hommes. En effet, à partir du moment où, au lieu de se nourrir de baies sauvages, ils commencent à manger les plantes qu’ils cultivent, leurs poils tombent, leurs queues rapetissent et ils acquièrent forme humaine.
16Dans leur récit des origines, les Chroniques du Ladakh empruntent au bouddhisme indien la notion de dégénérescence progressive de l’humanité et citent le riz comme première céréale. Les hommes, d’abord des êtres lumineux, s’alourdissent progressivement en goûtant à un nectar au parfum de miel, puis à une crème sucrée, et enfin à un riz poussant spontanément, dont chaque épi renferme plusieurs mesures de grain et dont chaque grain a la taille de quatre doigts. Par la consommation de cette nourriture solide, les hommes s’épaississent, exhalent des humeurs et deviennent sexués20.
17Les Chroniques placent l’invention du labour et celle, conjointe, de l’irrigation, sous le règne du roi tibétain mythique sPu-lde gung-rgyal (alias Bya-khri), fils de Gri-gum « tué par l’épée et la souillure », premier souverain à laisser un cadavre sur terre à la manière des mortels :
Ayant fondu ces trois minerais avec du charbon de bois,
de l’argent, du cuivre et du fer furent extraits.
Ayant percé des trous dans du bois,
araires et jougs furent fabriqués.
Ayant réuni sous le joug deux [animaux] de même taille,
les plaines arides [thang] furent labourées en champs [zhing].
Des lacs, l’eau fut drainée en des canaux d’irrigation21.
18Si ce texte ne permet pas de dater ces techniques, il est néanmoins intéressant de noter que, dans la genèse des inventions, celle de l’araire est première, et apparaît simultanément à l’irrigation indispensable dans ces contrées arides. Elle précède de plusieurs générations d’autres innovations, telles la production de bière à partir d’orge ou de riz, la transformation de lait en yaourt et en fromage, la confection de pots à partir d’argile, l’utilisation du métier à tisser ou encore l’apparition du moulin hydraulique. Ces dernières sont, elles, présentées comme contemporaines de l’introduction du bouddhisme au Tibet, vers 650 apr. J.– C.
19Avec l’entrée dans l’histoire, les remarques relatives à l’invention de techniques agricoles ou pastorales cessent. De la fondation du royaume du Ladakh au xe siècle22 par un descendant de l’ancienne monarchie tibétaine à son annexion au Cachemire au milieu du xixe siècle, les Chroniques se consacrent essentiellement à rapporter les hauts faits de l’élite, les conquêtes et les actes méritoires des rois et de leurs ministres. Rédigées dans un esprit sectaire, elles nous renseignent peu sur la géographie du pays et le mode de vie de ses habitants. De même, à l’exception de l’épidémie de variole de 1802, citée parce qu’elle causa la mort prématurée d’un des derniers souverains, elles ne mentionnent aucun cataclysme : séisme, inondation, sécheresse ou famine.
20Les productions locales apparaissent toutefois en filigrane à travers les taxes en nature levées par les rois du Ladakh auprès de leurs sujets, ou encore les tributs payés par le royaume à ses puissants voisins. Il y est essentiellement question d’élevage, et dans une moindre mesure de chasse, dont les produits sont échangés avec les États voisins contre des denrées agricoles. On apprend ainsi que le valeureux roi Seng-ge rNam-rgyal, au début du xvie siècle, peupla au fil de ses conquêtes le royaume de yacks et de moutons et qu’il offrit au grand lama tibétain sTag-tshang ras-pa cent petits chevaux, cent yacks et cent autres bovins ; ou encore, qu’au terme du traité de paix signé en 1682 avec le Cachemire, le roi bDe-legs rNam-rgyal promit d’envoyer chaque année à l’empereur moghol dix chevaux pie, dix-huit queues de yack de couleur blanche et dix-huit poches de musc en échange de cinq cents sacs de riz. L’activité agricole n’apparaît dans les Chroniques que sous la mention d’un impôt en grain (bru khal) levé par maisonnée23.
21Les premières descriptions de l’agriculture au Ladakh sont dues aux missionnaires jésuites envoyés au xviie siècle24 vérifier la rumeur circulant en Europe selon laquelle, au-delà des montagnes du nord, s’étendrait une terre chrétienne contenant beaucoup d’églises, de prêtres et d’évêques25.
Observations des missionnaires portugais et italiens (xviie et xviiie siècles)
22Dans ses lettres, le père Francisco de Azevedo26 dépeint les salines et les hauts plateaux steppiques de l’est du Ladakh où, à plus de 4 300 m d’altitude, les pasteurs vivent sous des tentes et élèvent des moutons qui « bénéficient comme pâturages des bons gazons poussant tout au long de quelques rivières ». À Gya, village situé à 3 940 m d’altitude, la femme du seigneur leur offre à deux reprises « une douzaine de pommes pareilles aux grosses pommes de Lisbonne, oblongues et excellentes ». En arrivant à Leh, il décrit les vastes étendues plantées d’orge qui occupent le fond de la vallée de l’Indus et produisent un grain qui, « comme celui d’un blé dur, est très nourrissant et a bon goût ». En contrebas de la cité royale coule « une rivière surgie des montagnes voisines qui fait tourner de nombreux moulins. Il y a quelques arbres, au demeurant peu nombreux et dépourvus de feuilles pendant presque toute l’année27. » L’orge, consommée sous forme de farine et de bière, constitue la base de l’alimentation de la population. Le thé, dont les feuilles sont importées de Chine, est la boisson des plus riches.
23Près d’un siècle plus tard, les pères italiens Ippolito Desideri et Manuel Freyre envoyés à Lhassa pour y faire renaître la mission tibétaine, dressaient un portrait analogue du Ladakh qu’ils traversaient d’ouest en est au cours de l’été 1715 : un pays montagneux et peu peuplé, aux arbres rares, où l’orge constitue la principale culture, complétée par du blé et des abricotiers dans les vallées les plus basses. De ce siècle, aucun autre témoignage ne nous est parvenu28. Certes, le Tibet continue d’attirer les Occidentaux, mais ils s’y rendent soit par le sud (le Bhoutan), soit par le nord (la Mongolie), dédaignant le Ladakh. Il faut attendre les premières décennies du xixe siècle et les relations de voyage des Britanniques William Moorcroft et George Trebeck29, ainsi que les récits de leurs interprètes et serviteurs indiens Mir Izzet Ullah et Gholam Hyder Khan, envoyés en éclaireurs, pour en savoir davantage sur les sols, la gestion des ressources, les techniques agraires et les céréales cultivées.
Récits des administrateurs britanniques et voyageurs du xixe siècle
24Le premier témoignage détaillé est dû à Moorcroft et à Trebeck qui, de 1820 à 1822, arpentèrent le Ladakh, depuis les hauts plateaux du Rupshu à l’est jusqu’aux confins du Baltistan à l’ouest. Ils font part de leur admiration pour l’ingéniosité du système d’irrigation, constitué d’un réseau de canaux présentant divers aménagements (réservoirs, moulins hydrauliques), ainsi que pour la simplicité et la qualité de l’outillage agricole, dont le principal instrument est un araire entièrement en bois – de saule généralement –, à l’exception du soc, formé par une petite pièce de fer.
25Ils décrivent de façon précise la construction d’un champ en terrasse à partir de terres gagnées sur la montagne, puis la préparation du sol, enrichi d’excréments humains récupérés facilement chaque année grâce à des latrines astucieusement conçues, et mélangés aux cendres du foyer ; les bouses et le crottin n’étant pas utilisés pour la fumure, mais précieusement gardés comme combustible de cuisson en raison de la rareté du bois.
26Les labours-semis de l’orge et du blé ont lieu de mars à mi-mai, au sortir des gelées d’hiver30.
Les labours sont effectués par une paire de dzo [mdzo, hybrides de yack et de vache], conduits sans rêne par le laboureur, mais guidés, quand ils sont bien dressés, avec la meilleure des précisions, à la voix ou à l’aide d’une baguette de saule. [...]
Le sillon, tracé dans une terre meuble, est superficiel. Il dépasse rarement dix à treize centimètres de profondeur. Les mottes sont brisées et la terre réduite en une poudre aussi fine que celle d’un jardin. La semence est couverte avec grand soin.
Selon la sécheresse du sol, on irrigue avant ou après le premier labour. La terre une fois labourée, la fumure est transportée dans des sacs, à dos d’âne, jusqu’aux champs, puis épandue sur le sol. On procède alors à un second labour, au cours duquel le grain est semé, soit à la volée, soit dans le sillon, soit en boquet31. Dans les alentours de Leh, lorsque les jeunes pousses atteignent une dizaine de centimètres a lieu la première irrigation. Dès lors, les plantules sont « rafraîchies » par un peu d’eau quasiment chaque jour.
La nécessité de prélever tout aliment potentiel pour nourrir le cheptel conduit les paysans à procéder à un sarclage régulier et efficace de leurs champs de céréales. Environ trois semaines après les semis, femmes et enfants se rendent ainsi chaque matin dans les champs pour les désherber. Aucun mal ne résulte de cette pratique quotidienne. En effet, si d’aventure les plants sont couchés ou écrasés par les sarcleurs, ils ne sont jamais déterrés et se relèvent quelques heures plus tard une fois le champ à nouveau irrigué. Ce sarclage régulier permet aux racines de bénéficier d’air et de lumière, et aux céréales de tirer tout le profit du substrat32.
27Selon les villages, on récolte le blé et l’orge en septembre ou en octobre.
Quand le sol est très sec, les épis sont arrachés avec la racine. Quand il est plus humide, ils sont coupés à l’aide d’une faucille à lame courte et très incurvée [...]. Chaque centimètre de paille a de la valeur pour le paysan qui doit nourrir ses animaux en stabulation durant le long hiver. C’est pourquoi, dès qu’il est possible d’arracher la plante avec la racine sans prendre trop de terre, cette pratique est toujours préférée ; dans le cas contraire, la tige est coupée au plus près du sol. [...]
La moisson n’est pas liée en gerbe, mais étalée librement sur le sol en brassées déliées, amoncelées les unes sur les autres. Par beau temps, les épis couverts par les tiges de ceux placés au-dessus achèvent pendant quelques jours encore leur mûrissement. Par temps nuageux ou pluvieux, la récolte est dressée en moyette, les épis vers le haut, sur de grandes pierres le long de parois rocheuses. Après quelques averses, la paille perd sa couleur blanc crème pour prendre une teinte proche de celle du soufre, sans dommage cependant pour sa qualité, sauf en cas de fortes pluies, ce qui arrive fort rarement33.
28Dans un milieu qu’ils décrivent comme extrêmement contraignant, Moorcroft et Trebeck sont surpris par les hauts rendements obtenus. Ils s’étonnent que les paysans du Ladakh, qui ne pratiquent pas la jachère et peu la rotation de cultures, obtiennent en moyenne dix fois la quantité semée (voire vingt fois à Dras, dans l’ouest du pays), des épis sains rarement sujets aux parasites et champignons, ainsi qu’un grain régulier et de belle venue34. Pourtant, au Spiti, dans un milieu analogue, Hutton en 183835, confondu par le nombre important de champs en friche et de villages désertés qu’il traverse, impute cette situation à une monoculture sans jachère qui, en provoquant l’épuisement du sol, conduit les habitants à partir ailleurs, cultiver de nouvelles terres.
29Parmi les céréales attestées au Ladakh au début du xixe siècle, l’orge appelée nas en ladakhi, est de loin la plus importante sur le plan quantitatif. Elle est présente sur toutes les catégories de terre, de 2 700 m – l’altitude la plus basse de la région – à 4 500 m. Moorcroft et Trebeck distinguent l’orge à six rangs à grains vêtus Swa (so ba), semblable à l’orge commune d’Europe, semée dans les champs les plus bas, de l’orge nue Sherokh (shi rog), cultivée dans les hautes terres et qui se caractérise par un grain auquel les glumelles ne sont pas adhérentes. Cette orge à grains nus, la plus répandue au Ladakh, comprend six variétés dénommées localement selon la couleur du grain, la forme de l’épi ou encore la rapidité de sa croissance : Chu Nas36, Giok Nas37, Nas Yan Karmo38, Nak Nas39, Tughzut Nas40 et Mendokh Nas41, une orge originaire des environs de Lhassa et importée par les caravaniers tibétains42.
30Le blé d’été (Triticum aestivum) ou To (gro) vient en second rang. Il est cultivé entre 3 000 et 3 800 m. Selon Drew43, c’est essentiellement une culture de rente, vendue ou échangée sur le marché de la capitale, Leh. Moorcroft et Trebeck mentionnent trois blés indigènes – To Chand, To Surutze et To Karmo44 –, tous qualifiés de très résistants, le To Karmo offrant les meilleurs rendements et donnant, en outre, une farine des plus fines. Ils citent également une variété sans barbe appelée pour cette raison To Mondhu, « blé sans coin » (gro man gru), ou blé de Hasora, du nom de la région dont il est originaire. Il est cultivé seulement dans les villages du Ladakh occidental et se caractérise par une paille très solide, un épi court et large, renfermant quarante à soixante-dix grains ronds de couleur jaune, alors que les blés locaux donnent des grains plutôt allongés et rougeâtres45.
31Le sarrasin (Fagopyrum sp.), Do ou Bro (bra bo), plus sensible au froid, pousse uniquement dans les vallées les plus chaudes, entre 2 700 et 3 200 m d’altitude. Il est semé au début du mois d’août sur les terres moissonnées d’orge et récolté en septembre.
32Le millet (tse tse, Panicum miliaceum), attesté dans les hautes vallées du Kinnaur et du Kumaon, n’est pas cité par Moorcroft et Trebeck. Il est mentionné en revanche par Drew, en seconde culture en rotation avec l’orge dans l’ouest du Ladakh et dans les vallées de la Shyok et de la Nubra au Nord qui, en raison d’une moindre élévation, bénéficient de conditions climatiques plus clémentes.
33En raison de l’altitude élevée et du manque d’eau chronique, le riz ne pousse pas au Ladakh. Ce dernier est toutefois connu et apprécié de la noblesse locale, qui en importe du Cachemire voisin pour sa consommation personnelle. Quant au maïs, son introduction tentée par les résidents britanniques dans les jardins de la capitale au milieu du xixe siècle se révéla un échec, les épis ne parvenant pas à maturité46.
34Outre ces céréales, des légumineuses et des oléagineuses sont cultivées en plein champ : essentiellement des pois Shanma (sran ma, Pisum sativum) semés, récoltés et moulus avec l’orge, et de la moutarde blanche (nyuns dkar, Brassica campestris). Les villageois en consomment les feuilles bouillies en légume et broient les graines pour en extraire de l’huile qu’ils utilisent pour la cuisson des aliments, et surtout pour l’alimentation des lampes47. Par ailleurs, dans les potagers accolés aux maisons et soigneusement fumés, poussent différentes sortes de radis (la phug), des oignons blancs (tsong) et des navets (nyung ma). Le navet, que l’on rencontre jusqu’à 4 500 m d’altitude sur les rives du lac Tsomoriri à l’est du Ladakh, apparaît comme « le » légume des hautes vallées himalayennes et tibétaines. Cultivé pour ses feuilles et sa racine, il est mentionné dès les premières relations par les voyageurs occidentaux et leurs interprètes. En 1631, de Azevedo confie que les navets verts échangés contre des dattes séchées « ne sont pas un petit régal48 ». Au xixe siècle, Ullah (1826) les qualifie de « très fins », Cunningham (1848) les trouve d’excellente qualité et « vraiment délicieux ».
35Alors qu’au Ladakh et au Spiti49 le navet est surtout une plante de potager, au Kinnaur, il est semé en plein champ en août sur les terres d’orge et de blé moissonnées. À Soongnum (2 800 m.) selon Hutton (1840), les navets, qui constituent la base de l’alimentation des hommes et du bétail durant les mois d’automne et d’hiver, font l’objet d’une culture soignée. Les champs sont éclaircis et les racines replantées à quelque distance les unes des autres pour accroître leur taille. Sortis de terre en octobre, les navets parvenus à maturité sont de couleur jaune, de consistance plutôt farineuse et peuvent peser jusqu’à deux kilos. Ils sont alors coupés en rondelles et séchés. Ils peuvent ensuite être moulus et mêlés à de la farine de blé ou d’orge grillée.
36Au Ladakh, la ville cosmopolite de Leh, où se croisaient caravaniers et marchands originaires d’Asie centrale, du Tibet, du Cachemire, voire du Pendjab, offrait une plus grande variété de légumes. Dans ses potagers, outre des oignons, des navets et des radis poussaient de l’ail, des choux, des choux-raves, et des carottes50. Ces dernières auraient été introduites dans la capitale, puis dans les villages avoisinants, par des caravaniers d’Asie centrale, d’où leur nom ladakhi sa rag turman, dérivé du turki et distinct du terme désignant la carotte au Tibet central.
37À lire les chroniques et les récits des voyageurs et administrateurs, le Ladakh et notamment la vallée de l’Indus ou Ladakh central apparaît comme un pays autosuffisant, n’ayant jamais connu de grandes famines. La croissance démographique y est très faible, les rendements bons – compte tenu de l’altitude et des conditions climatiques –, les séismes rares et de faible ampleur, les invasions d’insectes ravageurs inconnues. Si certaines années, en raison de chutes de neige intempestives ou d’épidémies touchant les troupeaux, paysans et éleveurs connaissent de maigres récoltes et de fortes pertes dans leur cheptel, ils ne sont jamais contraints d’émigrer pour louer leurs bras comme leurs voisins du Spiti ou du Baltistan, ou réduits à se nourrir d’herbes sauvages, de racines, ou encore de marrons d’Inde comme le furent les habitants du Kinnaur après la terrible invasion de sauterelles qui dévasta leurs cultures en 181751.
La vallée de Katmandou
38La vallée de Katmandou constitue un site privilégié pour étudier l’histoire de l’agriculture en Himalaya. Les documents historiques, remontant jusqu’au vie siècle, y sont nombreux. En outre, la vallée a connu depuis le xviiie siècle des visites d’Européens : missionnaires capucins, puis envoyés et résidents britanniques. Si la vallée renseigne sur les pratiques agraires du versant sud de l’Himalaya, il faut toutefois en signaler les particularités : elle connaît depuis deux mille ans une forte densité de population, des formes étatiques de pouvoir et des activités de commerce florissantes.
Mythes et chroniques
39Les chroniques relatent que la divinité Manjushri serait à l’origine d’un premier drainage du lac52 recouvrant la vallée. À la suite de cet assèchement furent fondés un certain nombre de sanctuaires (Swayambhunath, Guyeshvari, Pashupatinath) et la ville de Manjupattan, avec à sa tête le roi indien Dharmakar. Il n’est alors pas question de groupes de populations autochtones, mais surtout de pèlerins venant en grand nombre honorer les divinités du Népal. Puis il advint un déluge et l’eau aurait inondé à nouveau toutes les basses terres, forçant la population à se réfugier sur les hauteurs. À cette époque mythique, il n’est fait nulle mention des produits de l’agriculture, même si le premier acte de Manjushri fut de labourer un lopin de terre, en attelant un tigre et un lion ou un lion et un griffon53. Cette terre existe toujours. Elle est située au nord de Katmandou et appartient aux prêtres du monastère de Thamal. Wright54 nous apprend qu’il s’agit du premier champ de la vallée à être planté en riz chaque année. Dans ce mythe, Manjushri façonne le paysage de la vallée, par ce labour qui initie sa vocation agricole, mais aussi par la plantation d’arbres le long de la Bagmati, qui forment aujourd’hui la forêt sacrée de Mrigasthali55.
40Après cette première époque mythique présentant le Népal comme un lieu de pèlerinage, où fleurissent ermitages et monastères, suit une longue période au cours de laquelle il est dit que des Kirant venus de l’est régnèrent sur la vallée. Ils sont présentés comme des sauvages, et leur capitale, établie dans la jungle, était fréquemment attaquée par des bêtes féroces.
41La chronique Gopāla souligne que la vallée de Katmandou était couverte à l’origine d’une forêt dense. Le nom des premières dynasties, Kirant, Gopala et Mahisapala (Sauvages, Bouviers et Gardiens de buffles), renforce cette assertion.
Les périodes Licchavi et Thakuri (300-1200), débuts de la riziculture
42Les documents historiques établissent la présence de représentants de groupes parlant le sanscrit et le prakrit pendant la période Licchavi (300-879) : les Licchavi, Vriji, Shakya et Koliya. Les poteries exhumées à Dumakhal, à dix kilomètres au nord-est de Katmandou, présentent des affinités avec celles de l’Inde du Nord56, prouvant pour le moins que les habitants de cette époque entretenaient des relations de commerce avec la plaine gangétique, voire qu’ils étaient originaires de cette région.
43Les souverains Licchavi encourageaient le défrichement de nouvelles terres, en les exemptant d’impôt57. La construction d’un champ ou d’un canal constituait un acte méritoire, entrepris par les rois et les hommes pieux58. Cependant, les villageois bénéficiant de l’eau d’un canal royal devaient payer un dixième de leur récolte en impôt59.
44À l’époque Licchavi, la riziculture ainsi que les cultures d’ail et d’oignon sont mentionnées60. Le riz en particulier détenait une importance prédominante, puisque l’unité de mesure des terres cultivées (mānikā) était calculée en fonction du riz produit61. De même, nombreuses sont les donations de rizières. Dans une inscription où il est surtout question de riz, le blé est également évoqué sous forme de farine nécessaire à un rituel62. L’élevage de cochons, de volailles, de bufflesses et de taureaux est aussi signalé63. Quant aux ressources en bois et en fourrage, elles représentaient déjà un enjeu puisqu’elles étaient l’objet de conflits entre villageois64.
45Les fouilles entreprises à Dumakhal ont permis d’exhumer des grains de riz dans les deuxième et troisième strates du site, cette dernière étant datée du vie siècle65. Cependant, si l’on en croit le pèlerin chinois Wang Hiuen-ts’e, dont les observations ont été reprises dans L’Histoire des Tang, l’agriculture était peu développée au viie siècle dans la vallée de Katmandou : « Les marchands, tant ambulants qu’établis, y sont nombreux ; les cultivateurs, rares66. » La Nouvelle Histoire précise : « parce qu’ils ne savent pas labourer avec les bœufs67. » De fait, ce pèlerin chinois s’étonne que les bœufs de la vallée n’aient pas le nez percé, preuve qu’ils ne travaillent pas. Pourtant, Regmi68 souligne l’emploi à la même époque du terme gohale, indiquant selon lui que le labour avec des bœufs était connu, de plus les Népalais ne percent généralement pas les naseaux des bœufs.
46En dépit de ces mentions anciennes, la culture du riz n’est pas pensée comme première dans la vallée, ni comme autochtone. Plusieurs sources relatent ainsi un mythe d’introduction du riz depuis la plaine gangétique. La Bhāsā vamśāvali69 indique qu’avant le règne d’Amsuvarma (605-621), les habitants du Népal ne se nourrissaient que de fruits. L’introduction du riz est attribuée à Balbal ou Balabhadra :
Autrefois au Népal, travailler les rizières, planter le riz, retourner [la terre] à la houe, couper le riz, le battre, le faire sécher, le décortiquer, en faire des flocons : tout cela n’existait pas. Il n’y avait que des fruits et des papayes. Sous le règne de ce roi [Amsuvarma], par la faveur des dieux naquit Balabhadra qui, s’étant entretenu avec le roi, construisit des rizières et apprit aux sujets comment faire : construire la rizière, mettre les graines, planter le riz, le couper, le faire sécher, le décortiquer, en faire des flocons, etc [...], il leur apprit tout.
47Le mythe le plus répandu de l’introduction du riz se trouve dans l’histoire de Matsyendranath relatée en néwari par Vajracarya (2014 VS) :
Gunakamadeva (r. 987-990), roi de Bhaktapur, avait une petite fille du nom de Gunalakshmi qui pleurait tout le temps. Sa mère lui dit que si elle continuait ainsi, elle la donnerait à un chacal. La princesse grandit et un chacal prit l’habitude de venir hurler à la mort tous les jours devant le palais. Les souverains en demandèrent la raison à leur astrologue, qui répondit qu’une promesse non tenue avait été autrefois faite à cet animal. Le roi et la reine se souvinrent alors de ce qu’ils avaient dit et offrirent au chacal d’épouser leur fille. L’animal se révéla être le dieu Narayan, qui félicita les souverains de leur loyauté et offrit en retour d’exaucer leur vœu. Le roi consulta son peuple pour savoir ce qu’il souhaitait et celui-ci répondit qu’il n’avait pas de riz (wā) et que le souverain devait en demander à son gendre. Narayan déclara alors au roi : « Envoie des gens au Madesh chercher des grains de riz. Sème-le après le huitième jour de la quinzaine claire de Jesth, et laisse-le ainsi jusqu’à Asadh, puis pendant Asadh, repique-le. » Le roi suivit les conseils du dieu, mais les balles de riz se révélèrent vides de grains au moment de la récolte. Narayan expliqua alors au roi que seul son propre maître Karunamaya avait le pouvoir d’octroyer ce grain et qu’il aiderait leur lignée à le ramener au Népal, dans une génération. C’est ainsi que quelques années plus tard, Narendradeva, le fils du roi Gunakamadeva, partit en expédition à Kamuni kshetra en Assam pour quérir Karunamaya. Au terme d’un voyage périlleux, le dieu de l’abondance fut finalement installé au Népal dans le royaume de Patan et le grain se mit alors à prospérer dans la vallée.
48Ce mythe a été trop rapidement résumé par Locke70 pour le passage qui nous intéresse. Il écrit en effet : « Peu de temps après, ce dieu [Narayan le chacal] apparut à son beau-père. En cadeau, il lui donna du riz, plante qui à l’époque n’existait pas encore au Népal. » En fait, ce n’est pas Narayan le chacal qui offre le riz. Il conseille seulement au roi de dépêcher des hommes en Inde, dans la plaine du Gange, pour y chercher du riz, se contentant par la suite d’expliquer le calendrier de sa culture. Le riz pour les Néwar est donc bien pensé comme indien et d’introduction tardive dans la vallée de Katmandou71.
49Le riz est tenu en grande estime par les habitants de la vallée et les prodiges liés à sa culture sont enregistrés par les chroniques, comme ce plant à cent vingt-quatre épis qui poussa dans le champ d’un sage72. Il est également dit que le monastère Pinta Bihar conserve en ses murs des spécimens de grains d’un riz aux dimensions extraordinaires qui aurait poussé dans la vallée autrefois. Wright73 ajoute que ces grains peuvent être vus au mois de Sawan, et qu’ils sont gros comme des petites noix d’arec. Les Néwar disent aujourd’hui que les variétés de riz cultivées par leurs ancêtres dans un âge mythique avaient des grains tellement gros qu’il fallait les couper en tranches pour les manger. Ils appuient cette légende sur le fait qu’en néwari « servir du riz » se dit « couper le riz » (jatayegu). Les hommes auraient été maudits par les dieux à voir la taille de leurs grains se réduire74. De même, le riz servait à tester la solidité des édifices religieux. Ainsi, lorsque Bhupatindra Malla fit construire un temple à cinq étages en 1703, « Au moment où les fondations du temple furent édifiées, un Jyapu sema du riz, et lorsqu’il revint le récolter, il s’aperçut qu’il ne pouvait pas arracher les plants et dut se servir d’une houe pour les déterrer », signe de la stabilité des fondations75.
La période Malla (1200-1768), introduction du maïs
50Si la période Licchavi est marquée par l’introduction du riz, lié à la prospérité, la période Malla est, elle, associée à l’introduction du maïs, vu comme un grain néfaste, apportant la disette et que les Néwar aujourd’hui encore ne consomment que rarement, arguant que cette culture est « bonne pour les animaux ».
51L’arrivée du premier grain de maïs est racontée de façon similaire dans différentes chroniques. Dans la Padmagiri vamśāvali76, il est dit que sous le règne de Trilokya Malla77 (1561-1613), un grain de maïs fut apporté depuis les « pays de l’est » dans un sac de légumineuses (urd). Le roi consulta ses astrologues au sujet de ce grain et ces derniers ayant déclaré qu’il apporterait la disette, il le renvoya dans sa région d’origine, tandis que des banquets pour les brahmanes et des rituels pour les dieux étaient organisés afin qu’une famine n’advienne pas.
52On ignore comment le maïs a pu être adopté dans ces conditions, mais il est apparemment connu et couramment consommé dès le milieu du xviie siècle dans la ville de Bhaktapur, comme en témoigne ce passage de la Bhāsā vamśāvali78 :
En Sambat 783 [1663], au mois de Bhadau [...], les rois de Kantipur et de Lalitpur encerclèrent la ville de Bhaktapur, et ses habitants ne purent plus en sortir par aucune porte. [...] ne trouvant plus rien à manger, ils souffrirent beaucoup [...]. Dans la ville, il y eut une telle famine qu’avec un dām, on ne pouvait acheter que douze grains de maïs, et avec un mohār que deux mānā de riz non décortiqué. [...] Ceux qui n’avaient rien à manger se mirent à consommer des feuilles d’arbre, du coton et de l’herbe.
53Entre son rejet vers la fin du xvie siècle ou le début du xviie, et son cours consigné dans la ville de Bhaktapur en 1663, il peut être établi d’après les chroniques que le début de la culture du maïs dans la vallée de Katmandou date de la première moitié du xviie siècle. Hormis ces épisodes, il est difficile de juger de l’état de la culture du maïs, céréale qui n’est pas utilisée dans les rituels et ne figure donc pas dans les textes de donations religieuses.
54Les documents de l’époque Malla ne contiennent que très peu de descriptions de l’agriculture et aucun n’évoque les méthodes de culture79. Il est fait mention de champs de riz, de la pratique de la jachère et du labour de terres incultes80. Les nombreuses donations de terres ne précisent que la superficie offerte (jusqu’à 400 ropani soit 20 hectares) sans indiquer la nature du terrain, ni même s’il est cultivé81.
55Quoi qu’il en soit, cette période se caractérise par « un admirable système de cadastrage, qui pourrait faire honneur au gouvernement britannique de l’Inde82 ». Jaya Sthiti Malla (r. 1382-1395) institua une réforme des mesures de terres. Le ropani, défini selon la qualité de la terre en quatre83 mesures différentes, fut réduit sous son règne84, prouvant selon Lévi que la valeur de la terre avait augmenté, les salaires étant attribués en terres jāgir85. « Ainsi l’unité de mesure n’est pas une unité de superficie, mais une unité de valeur86. »
56Les souverains Malla intervenaient manifestement aussi dans le patronage des forêts87.
57La correspondance des premiers missionnaires capucins88 nous offre quelques informations sur la fin de la période Malla. Le père Giuseppe da Ascoli raconte son voyage au Népal entre janvier et mars 1707, dans une lettre en date du 8 mars 170789. À deux kos du village de Darbanka [Darbhanga], il note que les gens meurent de faim dans le hameau de Hahara et que du riz est cultivé dans les villages situés entre Kurkut et Sankhu. À un kos avant Sankhu, il relève également la présence de blé et de moutarde dans une belle vallée bien irriguée. Enfin, il souligne le contraste entre la vallée de Katmandou, « où l’on trouve tout pour vivre » et même « assez de farine pour faire des raviolis », à défaut de pain, et la région qu’il a traversée depuis l’Inde « où l’on ne trouve rien d’autre que du riz cuit dans de l’eau salée90 ».
58Par la suite, Ippolito Desideri séjourna dans la vallée en 1721. Il remarque que le riz est la nourriture principale tandis que le millet forme l’aliment de base des plus pauvres. Le millet et le blé sont également consommés sous forme d’alcool. « Le riz est cultivé en grande quantité, ainsi que le blé, la canne à sucre, les fruits et les légumes91. » Plus loin, l’importance est donnée au blé : « Les principaux produits sont le blé, le riz, une sorte de millet noir, les légumes, et diverses sortes de fruits comme des figues de barbarie, des ananas, des citrons et des oranges. » Peut-être doit-on y voir l’importance accordée au blé par certains Italiens... car ces observations contredisent celles du père Loro. Il écrit en effet dans une lettre datée de 1744 : « Le royaume est abondant en riz, qui forme le pain quotidien de ses habitants. Il y a encore un peu de blé, qui sert le plus souvent à faire de l’alcool92 [...]. »
Les récits des envoyés britanniques au tournant du xixe siècle
59Si la correspondance des pères capucins, les données figurant dans les chroniques, les inscriptions et les textes de donations forment une source essentielle pour l’histoire de l’agriculture, on ne trouve une description détaillée des pratiques agraires dans la vallée qu’à partir des écrits des envoyés et résidents britanniques93.
Encadré 12
À propos des famines au Népal
Marie Lecomte-Tilouine
La chronique Gopāla relate des famines récurrentes dans la vallée de Katmandou entre les xiie et xive siècles sous les règnes d’Amrtadeva (1174-1178), d’Arimalladeva (1200-1216) et surtout d’Abhayamalla (1216-1255). Sous le règne de ce dernier, il ne plut pas pendant les mois d’Asadh et de Bhadra 1219, en conséquence la moitié de la population mourut de faim. De nouveau en 1232 sévit une sévère famine, les denrées agricoles atteignirent des prix extraordinaires et un tiers de la population trouva la mort. Ce fléau frappa encore la vallée du Népal en 1244.
Plus tard, en 1316, les récoltes furent ravagées par des grêlons gros comme des « grosses mangues et oranges » et un quart de la population mourut de faim. En 1328, le prix exhorbitant du riz indique une disette et, en 1329, se répandit une épidémie du nom de maize-death (appellation particulièrement étonnante, si l’on pense que le maïs a été introduit sur le sous-continent indien par les Portugais). En 1380, le riz fut repiqué très tardivement par manque de pluie, entraînant probablement de maigres récoltes et, en 1384, il est dit que les gens ne pouvaient plus acheter de grain tant il était cher.
Ces mentions répétées de disettes pour la période 1200-1400 sont relayées par les chroniques plus tardives décrivant des famines tout au long des xve, xvie, xviie siècles et même au début du xviiie siècle. La chronique Padmagiri relate une famine de sept ans sous Gunakamadeva, puis une autre de douze ans sous le règne de son fils Narendradeva, laquelle causa en 1513 la dispersion des habitants de Bhadgaon. Des famines marquèrent également les règnes d’Amara Malla (1529-1560), de Suvarna Malla (début xviie s.) et de Vishnu Malla (début xviiie s.).
On sait par ailleurs qu’en 1767 Prithvi Narayan bloqua avec son armée toute importation de nourriture dans la vallée de Katmandou (notamment riz et haricots1). Le père Giuseppe, témoin de ce siège, raconte : « Le roi de Gorkha [...] chercha à s’emparer du Népal en y causant une famine, et pour cela posta ses troupes à toutes les passes [...] et toute personne prise sur la route avec un peu de sel ou de coton était pendue à un arbre [...] et quand je suis arrivé dans ce pays au début de 1769, le spectacle était horrible de voir tous ces gens pendus sur la route2. » On peut déduire de l’effet de ce blocus que la vallée ne produisait pas assez de nourriture pour sa population dès le xviiie siècle, et cela donc avant même l’implantation massive des Parbatiya attachés au gouvernement central qui s’y installa peu après.
Un siècle plus tard, en 1863-1864, l’absence de pluies en période de mousson fut à l’origine, de nouveau, d’une terrible famine. Le gouvernement interdit toute exportation de grain et alla même jusqu’à confisquer l’ensemble de la récolte en 1866 pour la redistribuer équitablement3. Il sévissait probablement une plus grande disette encore en Inde pour qu’un peuple subissant une famine ait profit à y vendre son grain.
Le plus souvent les famines furent causées par le manque de pluie de mousson. Cette dépendance indique une agriculture à caractère pluvial, l’eau des canaux d’irrigation étant souvent déviée de ruisseaux alimentés par les pluies. Or, comme le note Hasrat (1970) : « Les famines rapportées par les chroniques sont complètement contraires à l’expérience moderne. Dans les trente dernières années, il n’y a pas eu une seule mauvaise récolte et même quand il y en eut, à peu près la moitié de la récolte habituelle fut obtenue. »
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer les famines récurrentes dans la vallée de Katmandou durant la période médiévale puis leur disparition à la fin du xixe siècle : l’introduction de nouvelles cultures à haut rendement, comme le maïs au xviie ou la pomme de terre au xviiie, parallèlement à la disparition de cultures à faibles rendements comme le riz non irrigué ; le développement des réseaux d’irrigation ; celui des importations de nourriture ; et enfin, peut-être, des conditions climatiques plus favorables.
Les catégories du paysage et les sols de la vallée
60Les premiers voyageurs notent tous la grande fertilité de la vallée. Il n’y avait pas de terres stériles et l’eau y était abondante94. Les terres basses, entièrement irriguées, se distinguaient des terres plus élevées, moins facilement irrigables, où coexistaient cultures sèches et humides. Toutes les terres y étaient parfaitement enterrassées hormis les sommets. Selon Campbell, les flancs des collines environnantes avaient l’apparence de marches d’escaliers et la taille des champs décroissait au fil de la montée, pour devenir minuscule et ne plus recevoir qu’une douzaine de plants de riz tout en haut95.
61Le fond de la vallée est composé de sols alluviaux que les Néwar classent ainsi : le sable (Phiso-cha), considéré comme chaud et mauvais, l’argile (Guthi-cha), froide et bonne et le sol marécageux (Pon-cha) qui ne convient qu’au riz. Le mélange d’argile et de sable est le plus prisé. De l’argile recouverte d’une fine couche de sable donne également de bons résultats, mais l’inverse est mauvais. Une terre noire (Dan-cha) est utilisée comme mortier dans la construction à la place de la pierre à chaux, rare et chère, qui ne se trouve pas dans la vallée.
62Il existe également une terre fossilifère (Kon-cha) appliquée comme engrais96. Elle contient beaucoup de silice et est particulièrement adaptée aux sols argileux et calcaires97. Extraite pendant les mois d’hiver, elle est entreposée en tas, puis étalée en fine poudre sur tous types de sol, avant la culture du riz. Sur sol sableux, on épand de l’argile orange en vue des cultures de blé, pois (Oorid) et riz sec. Cette argile toutefois n’est pas considérée comme un engrais, mais comme une matière qui apporte de la consistance aux sols trop sableux.
63Les Néwar distinguent deux grandes catégories de champs selon la nature du sol et surtout ses possibilités d’irrigation98.
64Le Luckaboo99 est un champ de terre très argileuse, situé dans la partie basse de la vallée près d’un cours d’eau qui permet son irrigation toute l’année. On y cultive du riz en mousson et du blé en hiver. Dans la catégorie des Luckaboo, on distingue les champs qui restent humides toute l’année, appelés Poomboo, qui ne permettent qu’une culture de riz. Les rizières Luckaboo sont également classées selon leurs rendements : les meilleures sont dénommées Dōl ou Jhūl par les Néwar, Sym et Panikhet par les « Parbattiah100 ». Le Wullaboo est un champ au sol argileux ou sableux, situé dans la partie haute du fond de la vallée. De moindre valeur, il n’est pas inondable de façon certaine et ne convient donc qu’à la culture du riz sec, des légumineuses, des légumes et des céréales rustiques (coarser grains) : maïs, éleusine et sarrasin. En néwari, le terme Luckaboo signifie « champ en eau » et désigne systématiquement une rizière. Wullaboo signifie « champ à riz sec (Wulla) ».
65Cette description donne une idée du raffinement de la typologie néwar des champs, lui-même lié à la richesse de leur classification des sols et aux possibilités d’irrigation. À cette richesse conceptuelle répond une pratique d’intervention sur les sols, inhabituelle en Himalaya.
Successions culturales
66La succession des cultures, déjà très intense au début du xixe siècle, différait selon le type de champ. Dans les terres marécageuses, seule une culture de riz était effectuée. Dans les terres irriguées, la rotation était annuelle et ne variait pas : le riz repiqué était suivi de blé, moutarde, radis ou ail. Dans les terres humides du plus haut niveau de la vallée, le riz repiqué était suivi de blé ou de riz sec, puis de moutarde ou de radis101. Dans les terres hautes et sèches, une rotation sur trois ans prévalait : blé suivi de légumineuses (Oorid) pendant deux années successives, puis riz sec suivi de légumineuses (Oorid ou Mong)102.
Encadré 13
Les sols dans la vallée de Katmandou, d’après Hamilton
Traduction de Marie Lecomte-Tilouine
Avant Hodgson, Hamilton a décrit en détail les sols de la vallée dans les parties non publiées de son manuscrit intitulé Some Observations on Nepal (watermark 1802).
[P. 54] Dans cette plaine, il n’y a pas une seule pierre de taille importante. L’ensemble, aussi loin que l’homme a creusé, est composé de matières alluviales couvertes par le sol. À certains endroits, les matières alluviales consistent en un lit épais de gravillons et de sable, dont une importante partie est micacée. Parmi ces lits, on trouve des concrétions de ces mêmes matières qui forment des balles de la taille et de la forme d’un œuf de dinde. À l’une de leurs extrémités, ils sont généralement percés d’un petit trou ; et certains, mais pas tous, sont creux. Les Nawars les appellent Dungoda, mais [p. 55] ne peuvent expliquer leur formation. Moi-même, je n’ai pu rien observer qui puisse fournir une explication. Une grande proportion des matières alluviales consiste en une substance noirâtre qui ressemble à de l’argile [...] et, je n’en doute pas, est d’origine végétale. Cette substance est appelée Concha par les Nawars, qui l’extraient en grande quantité et l’épandent sur leurs champs comme fertilisant. Les couches où on la trouve sont souvent épaisses et étendues, présentant également beaucoup de feuilles, de morceaux de bois, de fruits et autres matières organiques provenant de plantes similaires à celles qui poussent sur les collines avoisinantes.
Les nombreuses rivières qui coulent à travers la Concha mentionnée plus haut, ont mis au jour dans cette strate une autre substance plus dure et plus noire, mais toujours très semblable, qui est appelée Ha Concha. On la trouve très souvent dans les lits des rivières et les habitants la considèrent comme du charbon altéré [...]. [P. 56] Mélangée à la Concha, une sorte de terre ferreuse de couleur bleue, appelée Ong Shiguly par les Nawars, est également commune. [...] On trouve aussi dans les matières alluviales de la plaine du Népal, de grandes strates d’argile utilisables par le potier et le briquetier.
La majeure partie des montagnes qui entourent la vallée du Népal, sont constituées de granite gris dont la surface, lorsqu’elle est exposée à l’air, est très altérée. Sur le côté sud de Chundunghery, à environ [p. 57] 6 kilomètres à l’ouest de Pherphing, il y a une strate très étendue d’un sable blanc très fin, que les Parbutties appellent Seta Mutty, ou terre blanche. Il me semble que ce n’est rien de plus que du granite désagrégé et je pense qu’il est probable que le grès que l’on trouve à Suembu et sur la colline voisine en direction de Hilehuck, est composé de ce sable granitique aggloméré en roche. Ce grès est utilisé dans quelques constructions, mais je n’en ai pas vu de gros blocs et la difficulté ou l’impossibilité de s’en procurer a probablement conduit à négliger en général cette pierre.
[P. 58] La chaux est si rare que l’argile est le seul mortier utilisé par les habitants. Nous avons cependant visité une carrière sur la montagne appelée Nag Arjun, où les gens se procurent de la chaux pour chauler leurs maisons et pour la mâcher avec du bétel. [...] Dans la partie inférieure des collines qui bordent immédiatement la plaine, on trouve de grosses masses d’un schiste rouge décomposé que les Nawars appellent Lungcha et utilisent pour peindre les murs de leurs maisons.
[P. 61] Ayant ainsi décrit en détail les productions minérales du Népal, il me paraît évident que la vallée a été un lac autrefois [...].
67Dans les meilleurs champs, trois cultures par an étaient effectuées sans jachère. La succession culturale était alors si intense que pendant la récolte du riz par les femmes, les hommes retournaient déjà la terre à l’autre bout du champ, en vue d’une culture de vesce103. La jachère n’était pratiquée, en hiver, que s’il y avait semis de riz sec au printemps104.
68Deux modes de labour – à la houe – étaient pratiqués105. Pour la préparation du sol l’hiver, le champ était retourné trois à quatre fois et des billons formés en vue de cette phase de jachère. Lors d’un deuxième labour au printemps, billons et sillons étaient intervertis, mettant à l’air les racines encore en terre. Campbell remarque que cette méthode permet aux chaumes de bien se décomposer à l’intérieur du billon et d’exposer toutes les racines à l’air. Au moment des semailles, les billons étaient aplanis.
Les cultures
69Au début du xixe siècle, le riz était la principale culture dans la vallée de Katmandou. Hodgson en mentionne quatre sortes : le Ghaiya (Oola en Néwari) ou riz sec, le Touli (néwar : Pooa), le Angha (néwar : Kowa) et le Malsi (néwar : Malsi), repiqués en rizière106.
70Le riz sec, Ghaiya. Cette culture détenait apparemment une place très importante parmi les plantes cultivées. Tout d’abord, elle occupait une grande partie des terres arables. D’après Campbell107, le tiers de la superficie cultivée de la vallée au début du xixe siècle était semé de riz sec, et l’on peut penser qu’il était encore plus répandu par le passé puisque le terme néwar désignant les terres non irriguées signifie littéralement « champs à riz sec ». Il occupait également une grande importance symbolique, car non seulement il avait la particularité de marquer le début de la saison des semailles, mais encore celles-ci se pratiquaient le jour du premier bain du dieu de la prospérité, Matsyendra de Patan, le huitième jour de la quinzaine claire du mois de Cait108. Le semis se faisait dans un sol retourné deux fois, en Magh et Baisakh, et dont les mottes avaient été brisées à deux reprises à l’aide d’un maillet de bois. Il était semé en ligne, graine à graine, à l’aide du doigt. Toutes les observations montrent que sa culture était soignée, le sol biné deux ou trois fois et fréquemment désherbé. Lors de la récolte en septembre, seuls les épis étaient coupés109. Aujourd’hui, le riz sec est considéré comme le meilleur pour préparer du baji, flocons de riz.
71Le riz irrigué. Dans la vallée de Katmandou, le riz irrigué était toujours repiqué dans des rizières après semis en pépinière. Tout comme le riz sec, la saison de mise en culture était fixée par le calendrier rituel : le semis commençait au deuxième bain de la divinité Matsyendranath au mois de Baisakh, puis vingt-quatre jours étaient assignés au repiquage, au mois de Jaith110. Selon Hamilton111, le rituel effectué par la reine la veille de la nouvelle lune d’Asadh, clôturait la saison de repiquage. Ainsi le jour de Krishna Chaturdasi, la reine et ses jeunes esclaves repiquaient une petite rizière dans l’enceinte du palais royal, qui devait être la dernière de la vallée à être repiquée. La coexistence de ces deux dates rituelles différentes clôturant la saison du repiquage soulève des questions. En effet, les dates d’Hodgson précèdent d’une quinzaine celle d’Hamilton. On peut imaginer que le rite effectué par la reine respecte un calendrier agricole rituel importé de Gorkha, lieu d’origine de la famille royale, où les fonds de vallée sont situés plus bas que la vallée de Katmandou, ce qui expliquerait que le repiquage se fasse plus tardivement112. Les données de Hodgson, fortement liées à Matsyendranath, seraient quant à elles néwar113. On sait en outre que l’influence des Gorkhali sur la riziculture de la vallée a été importante, puisqu’ils y auraient introduit le riz de type Malsi114.
72Le riz était désherbé deux à trois fois, régulièrement irrigué et récolté en octobre-novembre à la faucille, les tiges coupées à la base. Selon Hamilton115, au tout début du xixe siècle, la majeure partie de la récolte de riz repiqué était transformée en hakuwa, riz fermenté. Les gerbes étaient entassées en meules de trois mètres sur deux, recouvertes de mottes de terre, et laissées ainsi pendant huit à douze jours avant d’être battues. La fabrication du riz fermenté est aujourd’hui encore l’objet de procédures rituelles : les paysans de Khokna et Bungamati célèbrent le rite Burãca, qui consiste à placer une effigie de paille de la déesse de la prospérité Lakshmi au centre de la meule de riz. Au bout de treize ou quatorze jours, le maître de maison rend un culte à la meule à laquelle il offre du vermillon, du riz, des fleurs et une lampe à huile. Puis un banquet comprenant de la bière rouge faite à partir du riz fermenté et des flocons de riz sec, est organisé dans le champ avant que le riz soit battu. Enfin, ce riz non décortiqué est emporté à la maison et reçoit de nouveau un culte à la porte d’entrée, ainsi que dans la réserve116. Le terme hakuwa semble être l’appellation générique du riz fermenté, fabriqué en fait selon deux procédés, le deuxième consistant à ne mettre en meule que le grain vert qui ne s’est pas détaché au battage. Le riz obtenu par cette deuxième méthode est appelé pathuwa 117. Le riz fermenté est considéré comme plus complet, plus digeste et plus « froid » (swardi) que le riz blanc. En outre, il gonfle davantage à la cuisson.
73Plusieurs mythes d’origine expliquent cette technique particulière de fermentation du riz, non pratiquée hors de la vallée118. Une version en attribue prosaïquement la découverte au mode de tenure de la terre.
Les fermiers devant donner la moitié de la récolte au propriétaire, battre légèrement les gerbes pour préserver du grain sur les tiges serait à l’origine du riz fermenté, fabriqué à partir du grain non détaché119.
74Mais la version la plus répandue de la découverte du hakuwa est liée à une invasion de la vallée au moment de la récolte du riz. Les paysans la jetèrent dans l’eau et la recouvrirent de terre pour ne pas la laisser aux ennemis. Une semaine plus tard, quand ces derniers eurent quitté la vallée, les paysans furent obligés de manger ce riz fermenté, qu’ils trouvèrent finalement délicieux120. Gajurel et Vaidya121 rapportent que l’invasion serait celle de la ville de Kirtipur par le roi Prithvi Narayan Shah, alors que les Jyapu de Bungamati racontent qu’il s’agit de la visite du roi Mukunda Sen à Matsyendra de Patan122. Dans la Padmagiri vamśāvali123, il est dit que sous le règne du fils de Ramasimhadeva, le roi Mukunda Sen de Palpa envahit la vallée du Népal à l’époque des moissons. Les paysans quittèrent leur maison après avoir enterré leur récolte de riz et de radis. Lorsque le roi repartit, ils la déterrèrent et la trouvèrent à moitié pourrie ; ils appelèrent alors le riz Hakua (riz noir) et les radis Sunki (légumes pourris).
75Que l’invasion soit attribuée à Prithvi Narayan (xviiie s.) ou à Mukunda Sen (xvie s.), les grands traits du mythe restent les mêmes : il s’agit d’un fameux roi de l’Ouest, Khas ou Parbatiya qui, en saccageant la vallée, devient la cause involontaire de ce prodige, car pour les Néwar, la fermentation ajoute de la force (bal), ou de l’énergie (tagat), au grain.
76Finalement, il est remarquable de constater combien l’introduction d’une culture comme le riz procède par étapes dans la pensée néwar. Au départ, les paysans mourant de faim en demandent l’introduction à leur roi. Cela suppose qu’ils en connaissent l’existence, mais que l’adoption d’une nouvelle culture ne peut relever d’une initiative personnelle, et doit être soumise à l’approbation royale. Cette hypothèse est renforcée par le mythe d’introduction du maïs, où, de manière analogue, le premier grain est rejeté par le roi après qu’il eut pris conseil auprès de ses astrologues. L’accord du roi une fois obtenu, l’intervention divine est nécessaire. Dans le mythe de l’origine de la riziculture, cette intervention est même redoublée. Tout d’abord « bon à brûler », le riz obtenu sur les conseils de Narayan ne produit du grain qu’à l’issue d’une longue quête rituelle aboutissant à l’implantation dans la vallée du dieu de la prospérité Matsyendranath. Mais encore faut-il attendre la venue d’un roi étranger pour transformer ce produit en un aliment culturellement « parfait ». Ce récit souligne le rapport très particulier que les Néwar entretiennent avec l’agriculture. L’aspect naturel de la culture du riz est minimisé à outrance : semée sans précaution rituelle, la plante ne donne pas de grain. Seule l’intervention du roi et de son prêtre tantrique, rapportant la divinité de la prospérité, permet le rendement de la culture nouvelle. Encore celle-ci n’est pas totalement bonne et c’est une nouvelle invention technique, liée à la divinité et à la ruse néwar qui rend le grain « complet ». Chaque année, le lien entre la culture du riz et son patron divin est réaffirmé par les dates rituelles de semis et de repiquage, qui sont celles de son culte et qui, plus généralement, sont étroitement liées à la course du soleil.
77Le blé. Contrairement au riz, le blé – qui existait sous deux variétés, rouge et blanc – était une culture peu soignée pour laquelle on ne retournait le sol qu’une fois, lors de son semis à la volée fin novembre. Un rapide bris de mottes recouvrait les semences à moitié. Le blé n’était ni désherbé, ni engraissé. Ses plants étaient déracinés lors de sa récolte à la fin mai124. Consommé exclusivement sous forme d’alcool, le blé était pourtant, avec le riz, la seule céréale partagée avec le propriétaire terrien dans le système de tenure Adhiya125, ce qui peut laisser penser que l’alcool de blé était particulièrement prisé.
78Il est à noter que le blé d’hiver était déjà cultivé sur les terres irriguées de la vallée dès la première moitié du xixe siècle, alors qu’il ne fut introduit qu’au début du xxe siècle dans les régions de Gulmi ou de Pokhara et dans les années 1990 seulement dans de nombreuses localités du Mahabharat central.
79Le maïs. Le maïs n’était sans doute pas une culture prédominante dans la vallée de Katmandou au xixe siècle. Occasionnellement cultivé pendant la mousson sur les terres marginales, il n’était pourtant pas négligé126. Désherbé plusieurs fois, il recevait de la cendre et de l’engrais après le premier éclaircissage127. D’après Hodgson128, le maïs était utilisé principalement pour faire de la bière. Campbell129 rapporte cependant qu’il était consommé par les Bhoteahs et les basses castes, qui en appréciaient les qualités gustatives et nutritives. Dans les collines et les confins de la vallée, le maïs grillé était même l’unique aliment des pauvres en août et en septembre130. Les Néwar, quant à eux, estimaient que le maïs était une nourriture pour animaux et ne mangeaient les épis que frais et grillés. Les cannes, coupées en morceaux, étaient données aux éléphants et au bétail131. Elles servaient également de litière et de combustible132.
80Les cultures maraîchères. Légumes et oléagineux occupaient déjà au début du xixe siècle une place importante. Cultivés sur terres irriguées, moutarde, ail et radis faisaient l’objet d’un grand soin133. Les potagers, engraissés d’excréments humains et de lisier, étaient nombreux et leurs produits n’étaient pas partagés avec le propriétaire. On y trouvait du curcuma, du gingembre, des piments, des laitues, des épinards et des cucurbitacées134.
81L’agriculture dans la vallée de Katmandou au xixe siècle se caractérise donc par l’intensité du cycle cultural et le soin extrême apporté aux différentes étapes des processus culturaux. Seul le blé semble avoir été négligé, ce qui peut s’expliquer par les règles de métayage, obligeant le paysan à donner la moitié de sa récolte au propriétaire. Le riz tombait sous cette même législation, mais sa valeur – économique, symbolique et gustative – incitait à une production maximale.
Les grands changements
82Dans la vallée de Katmandou, l’introduction du riz irrigué est rattachée au premier millénaire, celle du maïs au xviie siècle et l’abandon du riz sec date du xixe siècle. Au Ladakh, l’orge est présentée comme une culture originelle et la pomme de terre, adoptée récemment, comme la principale importation. Ces deux exemples sont-ils généralisables à une plus vaste échelle ? Sont-ils représentatifs des montagnes himalayennes ? Des éclairages ponctuels et parcellaires pris çà et là montrent que ces deux modèles ont prévalu un peu partout dans la chaîne. Bien entendu, chaque lieu a connu une histoire agraire particulière, participant toutefois de l’un ou de l’autre. Il faut pourtant noter qu’une grande famille de céréales, les millets, absente des deux exemples ici traités, semble avoir joué un rôle important dans les basses et moyennes montagnes. Du point de vue de la transformation des paysages agraires, les vallées de Katmandou et du haut Indus (Ladakh) sont des exemples en un sens limitatifs, car ils ne permettent pas d’en saisir la mise en culture originelle, ni même tout à fait le processus d’intensification déjà largement amorcé au temps des premiers observateurs. Partout ailleurs, des transformations majeures de l’agriculture ont modifié le paysage pendant cette période.
Progression du riz irrigué et abandon du riz sec
83Le riz irrigué est la céréale la plus anciennement citée au Népal. Une certaine prudence s’impose tout de même quant à la portée des mentions répétées du riz, sachant qu’il détient une importance symbolique primordiale. De fait, son introduction et la construction de rizières sont conçues comme des événements fondateurs, relatés aussi bien dans les anciennes chroniques que dans les traditions orales contemporaines.
84Nous l’avons vu à travers les chroniques de la vallée de Katmandou, son introduction est à l’origine même de l’agriculture. Ce motif mythique est probablement structurel dans la pensée hindoue. C’est ainsi qu’on le retrouve dans la région de Jumla, à l’extrême ouest du Népal. La Jumleśvar vanisāvali135 raconte :
Autrefois, pendant le règne du roi Bhopata, il y avait un lac à Jumala. Il n’y avait pas de rizières (jiulā). Asséchant l’eau boueuse et défrichant la forêt, le dieu Shri Candan Nath apporta un grain de riz du Kashmir et s’installa au village de Lacchu. Alors que Budhai Budho s’était rendu à la rivière Sipali du mont Narsingh pour collecter du bambou ningālo, il entendit un enfant qui criait, dans le gîte d’un mouton sauvage. Budhai Budho emporta l’enfant chez lui et l’appela « Lacchal kheti ». C’est à lui que Candan Nath donna le grain de riz et Lacchal kheti lui demanda comment on devait procéder pour la culture du riz. Le guru répondit que la forêt devait être coupée pour en faire un champ. Le 1 1e jour de Chait, le riz doit être trempé dans de l’eau. Le 16e jour, le sortir de l’eau et le faire chauffer au soleil. Une fois séché, le garder dans la maison, couvert de tissus. Le 20e jour le semer sur la surface du champ.
85Ce mythe ne relate pas une introduction du riz hors de tout contexte, mais s’enracine dans la situation très particulière de Jumla, où l’altitude élevée oblige les paysans à suivre précisément le procédé technique décrit par Candan Nath pour faciliter la germination du grain.
86On ignore si les populations tribales possédaient la riziculture avant l’arrivée des Khas, ancêtres des Indo-Népalais, implantés dès le viie siècle dans le Kumaon et à l’origine de royautés qui remontent au xiie siècle dans l’extrême ouest du Népal et au xve siècle dans le centre du pays. Les ethnies des rivières, tout au moins, pratiquaient traditionnellement et jusqu’à une date récente, une riziculture extensive et itinérante le long des cours d’eau136. Quant à l’introduction de la riziculture137 intensive, repiquée sur rizière aménagée, elle peut aussi être rattachée aux cultures plus anciennes qui fleurirent dans les grands centres que furent Lumbini et Janakpur dans le Téraï, ainsi que la vallée de Katmandou.
87La première inscription mentionnant des rizières dans les moyennes montagnes est localisée à Gorkha, dans la grotte de Gorakhnath. Datée de l’époque Licchavi (1002), elle comporte les termes de khet et de mānikā138. Toutefois, les Licchavi ayant leur capitale dans la vallée de Katmandou, l’inscription désigne peut-être des terres de la vallée offertes au dieu de Gorkha. Hormis ce document issu d’une grande dynastie qui a laissé des écrits, la documentation relative aux royaumes du Moyen-Pays est tardive et remonte très rarement au-delà du xviie siècle. À cette époque, un édit du roi de Gorkha Ram Shah (r. 1606-1633) atteste non seulement la présence du riz irrigué à Gorkha, mais aussi une législation de l’irrigation. Des textes provenant de plusieurs autres royaumes du Moyen-Pays, datant des xviie et xviiie siècles, décrivent par ailleurs des donations de rizières139.
88L’analyse de l’organisation spatiale des anciennes royautés indo-népalaises montre qu’elles comportaient à leur périphérie de vastes fonds de vallée aménagés en rizières irriguées, véritables greniers royaux dont le contrôle semble avoir joué un rôle vital dans l’édification de ces principautés montagnardes140. Dans la région de Gulmi141, les villageois ont visiblement commencé par façonner des rizières dans les fonds de vallée et le long des cours d’eau. Plus difficiles à installer, de longs canaux à flanc de montagne furent creusés sur ordre royal, comme en témoigne leur dénomination de rāj kulo ou « canal royal ».
89L’intérêt porté au riz par les royautés Thakuri a sans doute contribué à l’expansion de la riziculture irriguée dans les moyennes montagnes lors de la période médiévale. Les témoignages des premiers voyageurs confortent la prééminence du riz dans les vallées des moyennes montagnes à la fin de cette période. Ainsi, Desideri, voyageant de Katmandou à Patna en 1721-1722, raconte : « Dans les vallées, les Parbettia, tels qu’on nomme les habitants de ces montagnes, sèment du riz. Et les champs sont toujours remplis d’une eau stagnante profonde de la largeur d’une main142. »
90De façon générale, le riz irrigué et la mise en culture des fonds de vallée des basses et moyennes montagnes sont étroitement associés par les populations locales aux Indo-Népalais de hautes castes qui s’y établirent à partir du xve siècle. Les études ethnologiques appuient cette vision des choses, même si le vocabulaire employé dans les langues tibéto-birmanes ne permet pas d’être catégorique : alors que 80 % des substantifs relatifs au riz dans la terminologie tamang est d’origine népali143, les Magar du Sud et les Limbu144 possèdent une proportion de vocabulaire qui leur est propre plus importante.
91Finalement, aucun document ne nous permet d’évaluer véritablement l’état de la riziculture dans les moyennes montagnes avant le xixe siècle. M.C. Regmi (1971) donne l’image d’un pays faiblement cultivé145, où de nombreuses terres peuvent être encore défrichées, le gouvernement y incitant. Selon lui, l’agriculture de la vallée de Katmandou était plus intensive que celle des districts montagneux146. Pour cet auteur, l’attention portée aux canaux d’irrigation, les règles élaborées de leur maintenance et la réglementation minutieuse des droits d’eau dans la vallée de Katmandou seraient les signes d’une culture intensive. À l’opposé, l’absence de réglementations écrites en dehors de la vallée où les rois ne s’immiscent pas dans la distribution de l’eau, laissant les paysans s’organiser selon leurs règles coutumières, témoignerait d’une agriculture moins intensive147. Or, l’attention portée par le roi à la gestion de l’irrigation ne présage en rien du type d’agriculture effectué.
92Avec l’arrivée des Gorkhali au pouvoir, l’objectif fut de promouvoir la mise en valeur des terres, notamment la riziculture irriguée148 qui assure un revenu plus important à l’État. Les règles incitant à la construction de canaux continuèrent sous le gouvernement Rana. Il est clairement stipulé dans le Code légal de 1854 que rien ni personne ne peut empêcher la construction de canaux et de terres irriguées ; les maisons mêmes doivent être déplacées si besoin est. Un édit envoyé à Dolakha en 1847, en réponse à une plainte au sujet de la sécheresse engendrée par la coupe d’arbres, stipule que les forêts ne doivent plus être défrichées en vue d’être cultivées et que les arbres bordant les canaux, les réservoirs et les sources, ne doivent pas être abattus149. Il est cependant difficile de connaître l’influence de ces politiques d’incitation sur le développement de l’irrigation – et donc de la riziculture – au xixe siècle. En fait, il semble que le nombre de réseaux d’irrigation ne se soit véritablement accru qu’au cours du xxe siècle, en réponse à l’explosion démographique150. Parallèlement, de nombreux secteurs de moyennes montagnes furent façonnés en rizières enterrassées dépourvues de canaux d’irrigation mais inondées par l’eau de pluie qu’elles retiennent.
93Parent pauvre du riz irrigué, le riz sec a connu une très forte régression depuis le xixe siècle151. Dans la vallée de Katmandou, il est toujours dans les mémoires : près de Buddhanilkantha, par exemple, les paysans peuvent montrer de nombreux champs irrigués qui étaient encore cultivés en riz sec dans les années 1970152. Kirkpatrick en mentionne deux variétés dans le royaume de Tanahun, le Towli, mûr en été, et l’Ikâro, mûr au solstice d’hiver153. À l’est du Népal, Hooker décrit également un riz cultivé sans irrigation dont le « grain rustique, gros et plat » devient gélatineux et souvent rose quand il est cuit154. Il en existait huit à dix variétés, qui n’avaient pas besoin d’être irriguées en raison de l’humidité du climat155. Ce riz formait la nourriture principale des Lepcha de Darjeeling156. Dans tout le pays Limbu, sa culture est ritualisée et chantée :
Un vieil homme appelé Shorokpa proposa de travailler dans les champs tout en dansant. Tout d’abord, il introduisit le procédé de semis du riz dans un champ sec. Il disposa une douzaine de jeunes garçons en ligne au bord d’un champ plat et préparé, tenant des bâtons [...]. Puis il disposa derrière eux une douzaine de jeunes filles tenant un sac de graines destinées à être semées dans les trous formés par les garçons. Alors le vieil homme se mit à chanter et tous avancèrent en plantant le riz. Quand il fut mûr, le vieil homme leur apprit à le couper et à le faire sécher au soleil, puis à le battre au pied en dansant. C’est la danse du riz appelée Shorokpa. Dans chaque district du Limbuwan, la danse du riz est différente157.
94Au Kumaon, le riz sec était semé sur essart par les Raji d’Askot158. Dans le Mahabharat central, il représentait, d’après les villageois, une culture importante159. En dépit de ses qualités gustatives reconnues, il est aujourd’hui en voie de disparition dans les moyennes et basses montagnes du Népal, restant marginalement cultivé par ceux qui n’ont pas de rizières. Son rendement est en effet deux fois plus faible que celui du riz irrigué (2,5 muri contre 4 mûri par ropani 160). De plus, il requiert un important travail de désherbage et, à Gulmi tout au moins, son grain ne peut être offert aux dieux.
La conquête du maïs
95En 1793, Kirkpatrick mentionne le maïs comme l’une des principales cultures sur les champs non irrigués des moyennes montagnes161. Paradoxalement, si la culture du maïs était soignée dans la vallée alors qu’elle y était marginale, elle était négligée dans les montagnes où les ours faisaient des ravages162. Elles la décrit cependant comme « luxuriante163 ». Le maïs était une culture annuelle unique semée en boquet fin mai, hormis de rares endroits où il était cultivé en alternance avec les pommes de terre. Plante colonisatrice des terres nouvellement mises en culture164, le maïs poussait sur des sols pauvres, mais il était également perçu comme une plante régénérante pour le sol165.
96À l’est du pays, en 1850, Hooker mentionne du maïs sur des contreforts de montagne, en association avec du millet et du riz. Il signale la prédominance de cette culture sur des champs en pente de 25° et précise que les villageois aiment son goût166. Le mode de stockage observé par Hooker en 1850 dans la vallée de Myong semble identique à celui que l’on peut voir aujourd’hui : un grenier monté sur quatre poteaux167. Dans les années 1880, Elles168 le signale dans la vallée de Deokhur dans les Dun de l’ouest du Népal, d’où il est exporté vers l’Inde. En 1910 le prix du maïs est donné pour de nombreux districts du Népal169, montrant qu’il était très répandu.
97L’histoire de la diffusion du maïs au Népal, entre le début du xviie siècle où il apparaît comme une plante néfaste venue de l’Est que l’on renvoie sur sa terre d’origine et le début du xixe siècle où il est signalé comme prédominant dans les collines, reste inconnue. En effet, il n’apparaît dans aucun texte en raison de son caractère profane et peu prestigieux. Sa prodigieuse diffusion ne semble pas non plus avoir été encouragée par des mesures d’État, à l’inverse du riz ou de cultures commerciales comme le coton ou l’indigo.
Encadré 14
L’évolution des prix des denrées agricoles
Marie Lecomte-Tilouine
Sans tenir compte du cours de la roupie, les prix comparés des denrées agricoles offrent un éclairage intéressant sur l’histoire de l’agriculture, des mouvements de population et des habitudes alimentaires (tableau 5). D’après G. Campbell (1837) et les données recueillies dans les Regmi Research Series (1971-1985), de 1792 à 1929 dans la vallée de Katmandou, le prix du maïs a été multiplié par 26, celui du riz par 13, et celui du blé et de l’éleusine par 11. Au cours de cette période, les prix sont restés stables entre 1792 et 1816, ont énormément augmenté entre 1816 et 1832, pour ne plus qu’augmenter faiblement jusqu’en 1900 (avec cependant quelques années exceptionnelles lors de mauvaises récoltes liées à la sécheresse, comme celle de 1836) et enfin sont restés stables entre 1900 et 1930. Le prix du riz, par exemple, a été multiplié par 5 entre la période 1792-1816 et 1832, puis encore par 2 au cours des quatre années de 1832 à 1836. Enfin, entre 1832 et 1905-1932, son prix ne fait plus que doubler. Quant au maïs, son prix a décuplé de 1816 à 1832 passant de 80 pāthi par roupie pour la première période, à 9 pāthi en 1832 et 7 pāthi en 1836. De nouveau entre 1836 et les années 1905-1929, le prix du maïs double, atteignant 3 pāthi par roupie. Globalement le prix du maïs a donc augmenté deux fois plus que celui du riz entre 1792 et 1929.
Campbell associe la hausse des prix de 1816 à la perte des terres du Téraï à l’issue du traité de Sugauli, puis l’augmentation de 1816 à 1832 à l’arrivée massive dans la vallée d’une population de fonctionnaires et de soldats en provenance de ces territoires. L’écart important entre les hausses de prix des différentes denrées révèle de nouvelles pratiques alimentaires : alors que le maïs n’était consommé que par les Bhoteahs et par les plus pauvres, la croissance démographique aurait contraint, d’après Campbell, un plus grand nombre de gens à en manger. On peut aussi penser que des cultivateurs de maïs, les populations des montagnes, se sont à cette époque installés en plus grand nombre dans la vallée, en raison de l’unification du Népal. Les prix du riz, du blé et du millet ont augmenté à peu près dans les mêmes proportions de 1792 à 1929, contrairement à celui du maïs. Entre 1816 et 1832, le prix de toutes les denrées augmente énormément, mais celui du maïs de façon plus spectaculaire que celui des autres et, après 1832, les prix du riz et du maïs continuent à s’accroître jusqu’à doubler en 1929 alors que ceux du millet et du blé augmentent de façon moindre pendant cette deuxième période. On peut en conclure que le riz et le maïs sont devenus les aliments de base de la population de Katmandou.
Tableau 5
Quantité (en mānā) de céréales obtenue pour une roupie (entre 1792-1816 et 1932)
Années | Riz décortiqué | Blé | Éleusine | Maïs |
1792-1816 | 100 | 320 | 520 | 640 |
1832 | 40 | 40 | 84 | 72 |
1836 | 24 | 38 | 52 | 56 |
1852 (royal purpose) | 32 | 40 | – | – |
1900 | 13,25 | – | - | – |
1905 | 15,5 | – | – | 24 |
1910 | 18,5 | - | 48 | 34 |
1914 | 15 | 24 | - | 28 |
1926 | 13 | 20 | – | 20,5 |
1929 | 15 | 28 | – | 25 |
1932 | – | 28 | - | – |
G. Campbell (1837) et Regmi Research Series (1971, vol. 3, n° 5, 7 ; 1976, vol. 8, n° 1 ; 1977, vol. 9, n° 5 ; 1978, vol. 10, n° 10 ; 1980, vol. 12, n° 2, 10 ; 1981, vol. 13, n° 7, 8,9,10 ; 1985, vol. 17, n° 4/5).
L’épopée de la pomme de terre
98L’introduction de la pomme de terre en Himalaya est le fait d’administrateurs ou de missionnaires. Elle fut introduite au Bhoutan en 1774 sur les conseils de Hastings, qui chargea Bogie d’en semer dix à quinze tubercules dans chaque village traversé, afin d’en répandre la culture dans un pays où prospéraient déjà de nombreux légumes et fruits170 et diverses céréales, blé, orge, maïs et riz171. Deux siècles plus tard, la pomme de terre y représente, avec la cardamome cultivée dans le sud du pays, la principale culture de rente. Les surfaces dévolues à sa culture augmentent d’année en d’année et, dans les hautes vallées du Nord, elle tend peu à peu à remplacer les cultures vivrières traditionnelles : sarrasin, blé, orge172. Au Népal, Kirkpatrick la mentionne lors de sa visite à Katmandou en 1793, mais souligne que les habitants ne savent pas la reproduire et doivent chaque année acheter de nouvelles semences à Patna, dans le Bihar. Campbell dans les années 1830 rapporte sans plus de précisions une alternance pommes de terre-maïs dans « certains endroits des collines ». Il ajoute que les paysans des environs descendent vendre leur récolte sur le marché de Katmandou une première fois à la fin du mois de juillet, et une seconde fois en novembre, apportant avec eux « des pommes de terre rouges plus cireuses et farineuses que celles de l’Inde ». En 1884, Elles173 décrit la culture d’une grosse pomme de terre rouge et ronde dans la vallée de Katmandou, plantée dans les terres basses en janvier et février et déterrée en mai-juin. Cette dernière est cependant peu cultivée, les Népalais lui préférant la pomme de terre des montagnes alentours, rouge et de petite taille174.
99Dans les hautes vallées du Népal, Hooker la signale en 1848 au Nord-Est chez les Bhotiya de Yangma, à l’ouest du Kanchenjunga, et suggère qu’elle pourrait venir des potagers des colons européens de Darjeeling ou du jardin du résident britannique de Katmandou. Elle fut introduite à la même époque (entre 1840 et 1860) chez les Sherpa du Solu-Khumbu, trouvant dans le sol léger et sableux de cette région un milieu extrêmement favorable à son développement, « à tel point qu’un champ ensemencé de pommes de terres donne un rendement nettement supérieur à celui d’un terrain de même superficie consacré à la culture du sarrasin au cours d’une très bonne année175 ». En quelques décennies, sa culture transforma tout le système économique sherpa176 et rendit matériellement possible l’épanouissement de la vie religieuse et la création de nombreux temples et monastères bouddhistes. Ailleurs, l’introduction de ce tubercule fut beaucoup plus tardive, mais connut un égal retentissement. Dans l’Ankhu khola, la pomme de terre « blanche » semble être venue de Kyirong au Tibet et aurait été introduite dans les années 1935-1940177. Dans les moyennes montagnes du Centre-Ouest, la pomme de terre fut importée de Dhorpatan vers 1920-1930178. Depuis, de nombreux pâturages ont été transformés en champs de pommes de terre, lesquelles représentent aujourd’hui 90 % de l’alimentation des villageois Kham Magar en été179. Il ressort de ces données que la pomme de terre au Népal a connu un double mouvement de diffusion nord-sud et sud-nord, contrairement aux autres cultures qui n’ont apparemment pas connu de mouvement nord-sud dans un passé récent.
100Dans l’Himalaya occidental indien, les huit pommes de terre apportées directement d’Europe dans une petite boîte par le missionnaire morave Heyde en 1857 à Kyelang, au Lahaul, transformèrent elles aussi radicalement le paysage agricole de la région. Autrefois cultivée essentiellement pour l’autoconsommation, la pomme de terre y est devenue, depuis l’ouverture en 1970 d’une route reliant Manali aux plaines indiennes par le col de Rothang, le principal produit d’exportation et a évincé les cultures traditionnelles d’orge et de sarrasin. Elle constitue aujourd’hui la base de la nourriture de la population, dont elle a transformé le type d’agriculture, l’économie, et partant, le mode de vie180. Un tel changement n’a pas eu lieu au Ladakh où ce tubercule introduit en 1875 par Johnson, alors gouverneur, demeure une plante essentiellement potagère. Toutefois, depuis l’implantation dans les années 1960 de plusieurs milliers de militaires indiens dans la vallée de l’Indus, à la suite du conflit de l’Aksai-chin, sa culture s’est sensiblement développée. Elle représente une aubaine pour les habitants de Leh et des villages voisins, qui la cultivent de plus en plus. Semées en avril en potager ou sur champ, les pommes de terre sont récoltées à l’automne et conservées dans un trou d’environ deux mètres de profondeur creusé en plein champ, puis sont recouvertes de terre, selon une méthode apprise auprès des missionnaires. La conservation des semences de pomme de terre demeure délicate et l’Himalaya renferme certains sites, tel Dhorpatan au Népal central, où les villageois vont s’approvisionner dans un rayon de plusieurs jours de marche.
Intensification agricole et appauvrissement de la diversité des cultures
101L’essartage était encore pratique courante dans le bas Kumaon vers 1930. Les arbustes étaient coupés et brûlés, la terre cassée à la houe. Le bois des arbres était laissé à sécher tout l’hiver, puis brûlé également. Les semences d’éleusine, d’amarante, de légumineuses ou de sarrasin, étaient alors semées à la volée sur les cendres, ou parfois en godet. Puis, les champs étaient terrassés et régulièrement cultivés au bout de quelques années, apparentant cet essartage à un défrichement181.
102Au Népal, l’essartage se pratiquait également à cette époque dans les forêts des moyennes montagnes. À Darling (district de Gulmi) par exemple, les arbres étaient coupés à une hauteur de 1,50 m, sur une parcelle qui était labourée à son pourtour avant qu’on y mette le feu pour que ce dernier ne se propage pas à l’ensemble de la forêt. Puis, du maïs était semé en godets182. L’essartage se rencontre aujourd’hui encore de façon marginale dans les territoires reculés, comme dans les villages gurung et tamang septentrionaux183 ou le long du Mahabharat central. Là, malgré sa forte régression, conséquence des législations sur la forêt et de programmes de développement (tel Action Aid), beaucoup de paysans se montrent réticents à l’abandonner, car il ne requiert pas d’engrais et produit de bons rendements. Les principales plantes cultivées sur essarts sont le maïs, le riz sec, les millets (sāmār, kāuno, junelo) dont l’éleusine (kodo), le sarrasin, les taros et des légumineuses (vesce gahat et haricot noir mās)184.
103En même temps que le territoire exploitable se trouvait limité, l’accroissement des besoins en nourriture fit naître une forte intensification des cycles culturaux et des pratiques d’élevage. Sur les terres non irriguées des moyennes montagnes, un système de rotation de trois cultures en deux ans sur un versant séparé en deux soles, semblait prévaloir jusque dans les années 1930185. Il a laissé place à une rotation annuelle à deux cultures, encore augmentée de cultures marginales186. De ce fait, la culture de l’orge, longue à mûrir, a souvent été abandonnée. Lorsqu’ils n’ont pas laissé place au maïs et à l’éleusine, les champs à orge ont été transformés en rizières, comme dans le Mahabharat central187.
104Ces transformations culturales ont eu de visibles répercussions sur le paysage : non seulement la zone des rizières envahit peu à peu celle des champs secs, mais encore, la division des terroirs en deux soles a totalement disparu. De plus, on observe un appauvrissement de la diversité des cultures : le sarrasin phapar, de nombreux millets – kāuno, sāmār, cinnu –, le coton, la canne à sucre, l’amarante, pour ne citer que celles dont les gens se souviennent, ont fortement régressé, voire ont été totalement abandonnées. Là où il subsiste, le sarrasin est destiné aux plus pauvres, tout comme les millets et l’amarante, dont les rendements sont faibles. Seul un millet, l’éleusine (kodo), se maintient car ses rendements sont bons et son grain produit un excellent alcool.
105La disparition des cultures de canne à sucre et de coton, importantes jusqu’à la fin du xixe siècle, relève quant à elle de phénomènes de marché. En dépit de quelques tentatives, le Népal n’a jamais réussi à développer une agriculture commerciale. Au xixe siècle, le gouvernement chercha à promouvoir les cultures de rente. L’indigo fut encouragé au début de ce siècle, mais fut abandonné vers 1860 avec la découverte de nouvelles teintures. Dans l’est du Téraï, il fut remplacé par le jute dès 1850, dont la culture connut également un rapide déclin. Les Rana favorisèrent alors les plantations de canne à sucre, encourageant parallèlement celles du thé en Ilam et à Udayapur dans les basses montagnes au sud-ouest du pays188.
106Le blé détient une place différente selon les régions et les altitudes. Il est cultivé de longue date dans l’Ouest, aussi bien sur champs secs qu’en rizières189, dans la vallée de Katmandou et ses alentours proches190, ainsi que dans les moyennes montagnes de l’Arun où sa présence est attestée en 1920191. À Kimtang, dans l’Ankhu khola, il entrait au début du siècle dans la rotation biennale en bas de versant, tandis qu’à partir de 1 800 m, une récolte annuelle de blé d’hiver était produite192. Malgré les incitations gouvernementales193 visant à promouvoir les cultures d’hiver, le blé semble n’avoir été introduit dans les basses montagnes du Népal central qu’au début du xxe siècle194. Dans les moyennes montagnes de cette région195 ainsi que dans le Mahabharat central196, il est apparu encore plus tard, à partir des années 1970, remplaçant la jachère d’hiver sur terrasses irriguées ou prenant la place du sarrasin. L’introduction du blé d’hiver sur rizières nécessite la suppression de la vaine pâture, ce de façon collective, et entraîne par conséquent un vaste bouleversement du système agro-pastoral : portage du fumier, affouragement du bétail.
107Dans les basses et moyennes montagnes himalayennes, depuis son introduction probable au premier millénaire, la riziculture irriguée n’a cessé de s’étendre jusqu’à nos jours depuis les fonds de vallée jusqu’aux altitudes les plus extrêmes permises à sa culture. Sur les flancs de montagne, le maïs s’est quant à lui taillé un empire depuis le xviie siècle. Enfin, dans les terres d’altitude des moyennes montagnes et les vallées les plus élevées de la chaîne, la pomme de terre a révolutionné l’économie et le mode de vie des habitants, à la charnière des xixe et xxe siècles. Aujourd’hui en Himalaya, la place de ces deux nouvelles cultures est telle qu’en certaines localités elles sont pensées comme les plus anciennes, signe de leur complète intégration. Fürer-Haimendorf197 note ainsi dès les années 1960 que les Sherpa sont très peu nombreux à savoir qu’il fut un temps où l’on ne cultivait pas la pomme de terre au Khumbu. Et au village de Cautara, au Népal central, deux informateurs tamang affirment qu’autrefois les plantes les plus cultivées auraient été le maïs et la pomme de terre, plutôt que le blé et l’orge ( !) et que l’éleusine n’aurait été introduite que vers le milieu du xixe siècle, suivie, un peu plus tard, du riz irrigué198. Partout, la diffusion massive du riz, du maïs et de la pomme de terre et le processus d’intensification se sont faits au détriment de nombreuses plantes rustiques qui restent malgré tout cultivées marginalement.
*
* *
108Les deux régions étudiées, la vallée de Katmandou et celle de l’Indus au Ladakh, se distinguent par une forte et ancienne mise en culture de leurs terres. Seules des modifications de types de culture peuvent y être retracées, sans que le processus de transformation des terres incultes en terres arables puisse être saisi. Ici et là, le défrichement remonte à une époque mythique. Dans la vallée de Katmandou, il y a longtemps que le territoire cultivé n’a plus de possibilité d’expansion. Au Ladakh, on préfère investir dans les plantations d’arbres et les luzernières encouragées par le gouvernement et, dans une moindre mesure, dans les cultures maraîchères, plutôt que d’augmenter par de longs et coûteux travaux d’adduction d’eau les surfaces dévolues aux céréales (blé, orge), jugées peu rentables. Dans ces deux régions, l’élevage est devenu secondaire. Cette situation, qui n’est certes pas représentative de l’ensemble de l’Himalaya, présente toutefois un schéma vers lequel tendent les systèmes agraires depuis le début du xxe siècle. En témoignent la disparition de la culture sur brûlis, l’intensification et l’individualisation du cycle cultural allant de pair avec l’abandon de plantes rustiques et l’adoption de nouvelles plantes ou de variétés améliorées. Ce mouvement s’inscrit dans un certain nombre de réformes administratives qui ont contribué à l’accélérer : les législations sur les forêts qui fixèrent les limites du territoire cultivable ; la création des Pancayat en 1962 qui créa des unités administratives circonscrites à un territoire clos ; le cadastrage qui eut pour effet de figer et d’individualiser systématiquement toutes les parcelles exploitées ; les subventions et les directives gouvernementales qui favorisèrent une culture au détriment d’une autre.
Encadré 15
Les premières observations du Téraï
Marie Lecomte-Tilouine
Au xixe siècle les données concernant le Népal sont peu nombreuses car le pays est inaccessible aux étrangers. Seules sont assez bien connues la vallée de Katmandou et la route empruntée par les voyageurs qui mène du Téraï à la vallée, via Hetonda et Bhimphedi.
Au xviiie siècle, le père Joseph (manuscrit sans date) nous met en garde contre l’idée de sauvagerie du Téraï : « La forêt contient de nombreux villages, mais on ne les voit pas de la route en raison de l’épaisseur de la forêt qui abonde d’éléphants, de rhinocéros, de buffles, de tigres [...]. » Empruntant cette route en 1793, Kirkpatrick signale qu’il a vu très peu de cultures le long du chemin de Munniary à Hetonda, à l’exception de Soophye dont le sol semble fertile et de la vallée de Makvanpur, où les rendements sont élevés et le riz présent sous de nombreuses variétés4. Malgré sa fertilité, la plaine du Téraï semble avoir été peu cultivée et la culture du riz n’y était probablement pas très étendue. Il faut toutefois se méfier des généralités faites à cette époque à partir de sources de seconde main ou d’observations restreintes. Ainsi Hamilton note : « Bien que l’endroit soit propice au riz, les paysans se contentent de cultures d’hiver de blé, d’orge et de moutarde5 », car les éléphants sauvages demeurant pendant la saison sèche dans les forêts des collines, sortent en mousson et détruisent les récoltes de riz. G. Campbell avance au contraire que le Téraï, trop humide, n’est pas propice à la culture du blé6. Quoi qu’il en soit, les rendements de riz y sont élevés : en moyenne 4 mûri de riz par ropani, soit 4 tonnes par hectare. Si les larges vallées intérieures, les Dun, étaient cultivées, les vallées étroites et les collines environnantes ne l’étaient guère. « Il y a quelques villages dispersés dans la forêt, surtout sur les hauteurs. Leurs habitants cultivent le coton, le riz, et d’autres choses avec la houe, après avoir essarté une partie de la forêt, comme le font les Garos de Ranggapur. La principale raison de l’état désertique de cette partie du pays, semble être son caractère extrêmement malsain, dû à sa faible mise en culture7. »
Certaines clairières sont occupées et très productives, mais si étouffées dans la forêt qu’elles sont difficilement observables8. Traversant cette région au milieu du xixe siècle, Laurence Oliphant en fait un tableau très précis : « à peine passe-t-on la frontière népalaise que les villages sont plus pauvres, les gens plus sales. Le pays semble presque inculte. À perte de vue s’étendent de grands pâturages à l’herbe rase où paissent de nombreux troupeaux. Beaucoup viennent de l’Inde et leurs propriétaires paient de grosses sommes comme droit de pâture au gouvernement népalais. Cette zone s’étend sur 10 miles, puis commence la “grande forêt de saul”, d’une largeur de 10 autres miles9. »
Un peu plus tard, Oldfield signale que des groupes tels les « Tharus, Dhanwar et Manjis (Masahis) » cultivent du riz et du bajra10. Il distingue l’est du Téraï, plat et pestilentiel, de l’ouest au sol favorable à tous types de cultures, comme la canne à sucre, le pavot et le tabac.
Henry Ballentine qui traversa un peu plus tard cette région, vit des champs de riz, de blé et de légumineuses une fois passée la frontière népalaise à Raxaul11. Les localités se sont visiblement développées le long de cette route et il s’étonne de la taille d’Hetonda, tout en notant qu’il ne s’agit toutefois que d’un habitat temporaire d’hiver, car « l’endroit est abandonné du 1er mai à la fin d’octobre aux orgies mortelles de la fièvre du Téraï, aux répugnantes sangsues et aux immondes rhinocéros. Mais il faut attendre de passer Bhimphedi et les gorges de la Markhu, parsemées de petites maisons aux toits de chaume, pour voir enfin des champs cultivés le long du chemin. Petits, par manque d’espace, ils sont très fertiles et cultivés en blé d’hiver et en radis12. »
En 1927, Northey et Morris décrivent les terres arables comme occupant une largeur de 10 à 15 miles. Les grands pâturages du Téraï sont alors mis en culture. Dans la forêt, on rencontre toujours des clairières cultivées habitées par des Tharu13.
Quelle qu’ait été l’importance des surfaces cultivées dans le Téraï au début du xixe, nous savons par Hamilton que l’agriculture y était moins intensive qu’elle ne l’est aujourd’hui et que la pratique de la jachère y était générale. Hamilton a mené une enquête (non publiée) sur l’agriculture du Téraï et a effectué ses observations sur la partie indienne de ce territoire, afin de ne pas éveiller de soupçons. Il signale que ce qu’il écrit est « entièrement applicable au district de Cucheroa, sauf que dans le Terriany du Népal [...], la culture du riz est fort négligée14 ». Ces observations sont précieuses, formant la description la plus précise que l’on possède ; elles sont résumées ci-dessous brièvement.
Le sol est labouré à l’aide d’une ou de deux paires de bœufs, puis égalisé par le passage d’une longue plane appelée hanga sur laquelle le paysan monte pour faire plus de poids.
Les rizières sont plus nombreuses que les champs secs. Parmi les rizières, on distingue les Du Fusly qui donnent deux récoltes, des Agani qui n’en permettent qu’une15.
Sur les terres Du Fusly, on cultive deux sortes de riz : le Sati qui, semé sur les plus hautes terres, mûrit en quatre mois et le Guddar, plus rustique, que l’on sème uniquement sur les plus basses terres, de moindre valeur, et que l’on peut également faire pousser sur les rizières Agani. Ces deux sortes de riz comprennent de nombreuses variétés.
Sur champs Du Fusly, le sol n’est pas inondé pour le labour et le grain est semé à la volée. Le riz est désherbé après quinze jours à l’aide d’un petit sarcloir en fer appelé Curipi, et de nouveau quand il atteint une vingtaine de centimètres. Il est moissonné à hauteur de l’épi, dépiqué par des bœufs et sa paille n’est pas utilisée16. Après sa coupe, on cultive sur les terres Du Fusly de l’Urid (Phaseolus minimso Roxb.), du Kiroa (Pisum arvense), du Cossari (Lathyrus sativus), du Mossuri (Ervum lens) ou du Chona (Ticer arictinum L ?). Ces légumineuses sont désherbées une fois et leur partie herbacée n’est pas utilisée comme fourrage.
Les terres basses Agani sont trois fois plus nombreuses que les Du Fusly. On y cultive de nombreuses variétés de riz, toutes transplantées. Les rizières sont d’abord inondées, labourées, puis on y passe la plane. Les pépinières sont situées sur des terres élevées et leur mise en place est semblable à la culture du riz Sati, sauf qu’il y est semé deux fois plus dense. En vingt jours, les plants, appelés Boa, sont prêts à être transplantés. Après leur arrachage, ils doivent être gardés une ou deux nuits attachés en bottes, avant d’être repiqués en touffes de deux à trois, à un empan de distance les unes des autres. La surface de la pépinière représente la moitié de celle de la rizière. Comme les rizières sont constamment inondées, elles ne nécessitent pas de désherbage. Ce riz Agani est coupé près du sol et le grain est séparé en le battant contre une bûche. « La paille de ce riz est le seul fourrage utilisé dans le Terriany, ce qui rend cette culture précieuse. » Les rizières ne reçoivent aucun engrais et sont cultivées chaque année jusqu’à ce que le paysan constate leur épuisement. Une année de jachère est alors pratiquée et, en général, on observe une année de jachère sur cinq.
Une grande partie des champs secs produisent également deux cultures (Du Fusly), appelées respectivement Badui et Rabbi. Les cultures Badui comprennent de nombreux millets : Curti (Dolichos biflorus), Codu (Paspalum frumentaceum Roxb.), Merua (Cynosarus corveanus), Tangun (Panicum italicum), Jamma (Panicum colonum L), Crus (Corvi Roxb.), China (Panicum mileaceum), ainsi que Jauara (Holcus sorghum), en très petite quantité. Elles ne reçoivent pas d’engrais et ne nécessitent pas de désherbage.
Après leur récolte, on sème les cultures Rabbi : orge, blé et légumineuses (pois chiche, lentille, etc.). Dans la mesure du possible, on engraisse les champs d’orge et de blé et quand les plants atteignent une quinzaine de centimètres, ils sont désherbés. Selon la qualité du sol, une année de jachère succède à deux, trois ou quatre ans de culture. Parmi ces cultures Rabbi, les plus importantes sont l’orge et le colza.
Une grande partie des terres élevées ainsi que les meilleurs champs sont occupés toute l’année, principalement par des oléagineuses. Il existe également des potagers et des champs de tabac.
Pour Buchanan Hamilton, la pauvreté des cultures et de la population s’explique avant tout par le manque de soin apporté au bétail17, extrêmement maigre, à cause de l’état des pâturages et du manque de fourrage. Devant ce constat, il est particulièrement étonnant de relever combien peu de résidus de culture sont donnés en pâture au bétail dans la description de l’agriculture du Téraï.
Notes de bas de page
1 Les données concernant le Ladakh sont dues à P. Dollfus, celles concernant le Népal à M. Lecomte-Tilouine et O. Aubriot. Afin d’alléger le texte, un certain nombre de sigles sont utilisés en référence à des auteurs fréquemment cités : C pour l’article de G. Campbell, 1837 ; HP pour les Hodgson Papers ; MT pour l’ouvrage de Moorcroft et Trebeck, 1971 (1837) ; RRS pour les Regmi Research Sériés.
2 Agrawal, 1982, p. 265 : « In the Stone Ages, India was a meeting ground for the handaxe culture of Europe and Africa and the pebble-tools culture of China and Southeast Asia. » Les premières traces d’occupation humaine découvertes à ce jour en Inde remontent à la seconde période interglaciaire, entre 400 000 et 200 000 avant notre ère.
3 Les choppers sont faits à partir de galets aménagés et d’éclats provenant de rognons de silex travaillés.
4 Toutes les données relatives au Téraï népalais sont dues à Corvinus.
5 Corvinus, 1996, p. 7.
6 Le Cachemire semble avoir été habité dès le paléolithique, comme en témoigne le site de Pampur, près de Srinagar, qui renferme une industrie à éclats.
7 Pour l’archéologie du Tibet, notre source est le livre de synthèse de Chayet, 1994. Un important matériel paléolithique a été découvert au Tibet, mais il s’agit uniquement de ramassage de surface, qui doit être traité avec prudence. Le matériel mis au jour dans le site néolithique tibétain le plus ancien, celui de mKhar-ro au Tibet oriental, a permis de distinguer deux périodes d’occupation, dont la plus ancienne remonte au ive millénaire avant notre ère. Les habitations et les nombreux outils découverts (grattoirs, racloirs, pointes de flèches, broyeurs et meules, socs et houes en pierre taillée), ainsi que les ossements animaux et les végétaux retrouvés – parmi lesquels du millet en abondance – ont révélé des habitants vivant de chasse, d’élevage et d’agriculture. Les autres sites, découverts sur les rives du Tsangpo (ou Brahmapoutre) au Tibet central, sont plus tardifs (Chayet, 1994, p. 38-46).
8 Lone et al., 1993.
9 Jarrige, 1992.
10 Devant l’impossibilité où l’on est de distinguer un âge du bronze d’un âge du fer dans l’aire tibétaine, les spécialistes jugent plus prudent d’utiliser l’expression « âge du métal » ; voir Chayet, 1994.
11 Francfort et al., 1990.
12 La culture des caches de cuivre Copper Hoard a précédé la culture de la céramique grise peinte (Painted-Grey Ware ou PGW), présente dans la vallée du Gange entre 900 et 500 av. J.-C.
13 Simons et al., 1994a.
14 Rual, 1979, p. 34.
15 Rao, 1968, p. 2.
16 Pour une discussion approfondie et une interprétation des différentes sources relatives aux fourmis auricavatrices et aux Dardes, voir Boulnois, 1983, p. 48-63.
17 Ces récits présentent des variations, mais la trame est la même. Voir Vohra, 1982 ; Francke, 1992 [1926] ; Pathak, 1996 ; Kaplanian, 1981. Certains récits sont ladakhi, d’autres ’brog pa. Le nom de ’brog pa (litt. habitants des hauts pâturages ’brog) est donné par les Ladakhi (parlant un dialecte tibétain) aux locuteurs d’un parler indo-iranien (« dardique »), regroupés aujourd’hui dans quatre villages au nord-ouest du Ladakh et reconnus généralement comme les premiers habitants du pays.
18 Dans les récits de fondation, il est souvent question de planter un bâton dans le sol. afin d’en tester la fertilité. S’il bourgeonne, la décision est prise d’établir en ce lieu un village ou une forteresse. Les arbres cités sont le noyer, le bouleau, le saule ou des « arbres fruitiers ».
19 Différentes versions de ce mythe existent au Ladakh, au Mustang, au Bhoutan, etc.
20 Francke, 1992 [1926], ii, p. 66-67.
21 Ibid., p. 79.
22 Dès le viie siècle apr. J.-C., le Ladakh et les territoires voisins (Spiti, Lahaul, Kinnaur), ainsi que le Tibet occidental, furent conquis par la dynastie du Yarlung (ancien royaume de Zhang-zhung) et appelés Nga ri (mNga’ ris), « zone sous contrôle ». Il semble néanmoins que d’un point de vue culturel, la haute vallée de l’Indus soit restée dans l’orbite du Cachemire jusqu’à sa conquête vers 950 par un descendant de l’ancienne monarchie tibétaine, dPal-gyi-mgon.
23 Cette expression que Macdonald (1982, p. 54) traduit par « impôt en orge » ne précise pourtant pas la nature du grain.
24 En 1602, un marchand portugais d’Almeida visitait le Ladakh. Malheureusement, il ne laissa aucun témoignage.
25 Lorsqu’en 1600, le petit-neveu de saint François-Xavier accompagna l’empereur moghol Akbar au Cachemire, un marchand musulman lui affirma que « le royaume du Tibet qui s’étend vers l’est du Cachemire jusqu’au Cathay [contenait] de nombreux chrétiens et beaucoup d’églises » (cité par Taylor, 1985, p. 35).
26 En avril 1624, Antonio de Andrade et Manuel Marques, deux frères jésuites portugais, quittaient Delhi pour Tsaparang, capitale du royaume de Guge au Tibet occidental où, sous la protection du souverain, ils fondaient une mission. Mais très vite, la situation tournait en leur défaveur. Durant l’hiver 1629-1630, le roi du Ladakh s’emparait de Guge, les chrétiens étaient emprisonnés et la mission détruite. Pour tenter de sauver ses frères en religion, le père de Azevedo partait pour Tsaparang juger de la situation. Le 4 octobre 1631, accompagné du père de Oliveira, il gagnait Leh afin d’y rencontrer le souverain ladakhi et d’implorer sa clémence.
27 Didier, 1996, p. 189-190.
28 On sait que Philip Efremov, un sous-officier russe évadé du khanat de Boukharie où il avait été vendu comme esclave par des nomades Kazakh, parvint à Leh en 1781-1782 ; mais du Ladakh il ne dit rien sinon qu’il est totalement impossible d’y aller à cheval en raison d’immenses précipices et de chemins détestables. Du Tibet, il écrit : « Dans certaines vallées au sein de ces montagnes, on fait pousser de belles récoltes de céréales ; ailleurs nomadisent des peuples qui déplacent leurs habitations et s’arrêtent toujours, pour leurs troupeaux, là où il y a de bons pâturages » (traduction du russe et communication personnelle de L. Boulnois).
29 Moorcroft et Trebeck, 1971 [1837J.
30 Tous les témoignages concordent sur ce point, à l’exception d’un seul, celui de Khan (1835, p. 177) qui écrit : « Ils sèment le blé en novembre, qui reste dans le sol couvert de neige jusqu’en mars. Quand le sol dégèle, le blé pousse en abondance. »
31 Une méthode employée à Nubra, précise ultérieurement l’auteur.
32 MT. p. 271-274.
33 MT, p. 282-283.
34 En 1849, au Tibet méridional entre Gyantse et Shigatse, A. Campbell (1855, p. 228-229) fait les mêmes remarques. L’orge est la première céréale cultivée. Il y a peu de rotation des cultures ; le blé peut être ainsi semé des générations durant sur les mêmes terres. Pour la fumure, les bouses ne sont pas ou peu utilisées, car elles sont gardées comme combustible pour le feu. Les excréments humains, mélangés aux cendres du foyer, constituent la principale source d’engrais. Dans les villes, le contenu des latrines publiques est d’ailleurs une source de revenus pour le gouvernement.
35 Hutton, 1839, p. 930.
36 S’agit-il de « l’orge lourde » (lchi nas) ?
37 mgyogs nas, littéralement « orge rapide », est la principale variété dans la région de Dras, dans l’ouest du Ladakh.
38 nasyang dkarmo, « orge blanche qui donne plus », est l’orge la plus prisée en raison de son bon rendement agricole, mais surtout de la qualité supérieure de sa farine.
39 nag nas, « orge noire », est une orge très rustique, qui pousse dans des conditions climatiques et altitudinales extrêmes, mais est dépréciée en raison de la couleur grisâtre de sa farine.
40 drug zurnas, « orge à six angles », est inférieure en qualité et en rendement à l’« orge blanche ».
41 me tog nas, « orge-fleur », peu cultivée au début du xixe siècle, n’est plus attestée aujourd’hui.
42 MT, p. 276-277.
43 Drew, 1976 [1875], p. 246.
44 To Chand : gro chen ?, c’est-à-dire « gros blé » ; To Surutze : ? ; To Kar mo (gro dkar mo), « blé blanc », est réputé le plus précoce.
45 MT, p. 274-275.
46 Drew, 1976 [1875], p. 246. L’altitude maximale de la culture du maïs est estimée par amatya (1968, p. 34) à 2 550 m.
47 L’huile obtenue à partir des amandes d’abricot sert à l’alimentation des lampes rituelles et comme cosmétique pour le visage et les cheveux.
48 Didier, 1996.
49 Hay (1850) note qu’au Spiti il n’y a aucun légume, même pas de navets. Wilson (1885) en décrit à Nako, dans le Haut-Kinnaur.
50 Gholaum Hyder Khan, à Leh en 1819, note : « The common vegetables cultivated here are savoy cabbages, very fine turnips, carrots, onions, garlic, radishes, some meytee-ka-sang, and mustard-tops » (1835, p. 178).
51 J. D. Cunningham, 1844. En cas de disette, les habitants du Kinnaur se nourrissent de marrons d’Inde ou d’amandes d’abricot, qu’ils font tremper plusieurs jours dans de l’eau pour en retirer l’amertume, puis sèchent et réduisent en farine.
52 La période préhistorique de la vallée de Katmandou est toujours inconnue. Si la présence de fossiles permet de dater le sol du Pléistocène, époque où Je lac qui la recouvrait s’assécha, aucun site paléolithique ou même néolithique n’y a été mis au jour. Seule une hache polie datant du néolithique y a été découverte par Banerjee et Sharma (1969), mais elle n’était pas in situ, et pour Corvinus (1985), il pourrait s’agir d’un objet tibétain rapporté en tant que pierre sacrée.
53 Ce mythe du premier labour de Manjushri reste mystérieux, car les raisons de son acte sont explicitées de façon tautologique. Il est dit que Manjushri aurait agi ainsi pour faire croire au roi que la terre avait été labourée par un dieu (ce qu’il était en fait...).
54 Wright, 1993 [1877], p. 85.
55 Hasrat, 1970, p. 11.
56 Riccardi, 1988.
57 Jha, 1970, p. 194.
58 D. R. Regmi, 1983, t. 2, p. 27, inscr. XLVII, datée de 492 Samvat (1098 A.D.) : « Now Bhārawi built a water conduit as an object of fame for the enhancement ofthe virtues of his parents and of himself », et inscr. LXV, p. 40 : « Let it be known to you within the boundaries of your land, past kings and other pious men, in order to enhance the welfare, had created specified fields [...]. »
59 Inscription du roi Jisnugupta. datée 654 A.D. (Banerjee, 1985, p. 38).
60 Mention de paddy fields dans D. R. Regmi, 1983, t. 2, p. 48 et 72 (inscr. LXXVI et CXVIII) et d’exemption de taxes sur l’ail et l’oignon (ibid., p. 32, inscr. LIV).
61 D. R. Regmi, 1969, p. 269. Vajracarya (1974) discute de cette unité (mānikā) et prouve de façon convaincante qu’il s’agit non pas du mānā, comme on l’a souvent suggéré, mais du moderne muri. Dans une publication plus récente. D. R. Regmi (1983, t. 3, p. 28-29) montre que les inscriptions ne permettent pas d’évaluer le volume de cette unité de mesure.
62 D. R. Regmi, 1983, t. 2, p. 75, inscr. CXXII, texte de Narendradeva (né de la famille Licchavi), 686 A.D. : « Here are the régulations for donations. The head of the area will give 4 mānikās of rice on Kārtika śukla 11 (ekādaśī) to repair the thoroughfare, on the next day [...] an arrangement is to be made to feed, eatables like ghee (clarified butter), wheatfloor, etc., to be provided and to make another grant for seeting up pillars, one, rice 54 mānikās, thereafter for a flag during bull fights 25 purana, for the daily worship of Lokapālāsvāmi and for purification 40 mānikās paddy, and again the mon who sets up the image will get mānikâ bhuktikā paddy. »
63 Ibid., p. 43, inscr. LXVIII : « Please know that we are pleased with you as you have nursed to care fowls, pigs, and infant deer and fishes [...]. » Cette inscription peut faire douter du bien-fondé des propos de l’illustre historien Baburam Acarya, qui à la question : « Have the Magars any connection with the Licchavi period ? » répondait : « Magars reared pigs during the Licchavi period. On the other hand, the Licchavis were ritually pure. Some of them were Buddhists too. Therefore, they could have vanquished the Magars had they so wanted. But they did not establish any relationship with the Magars. Licchavis regarded Magars as untouchable » (RRS, 1973, vol. 5, n° 11, p. 212). Sans se demander en quoi leur pureté ou leur adhésion au bouddhisme rendaient si forts les Licchavi aux yeux de B. Acarya, on peut toutefois noter qu’ils se réjouissaient de la présence de cochons, au demeurant très nombreux dans la sainte ville de Pashupatinath au début du xixe d’après Wright (1877, p. 12). On trouvera également des mentions d’élevage de bovins dans D. R. Regmi, 1983, t. 2, p. 49 et 64.
64 D. R. Regmi, 1983, t. 2, p. 36, inscr. LX : « For the inhabitants of your village, goingfrotn here to collect wood, grass and leaves, everywhere in the forest and then after collecting them while they go silently, the inhabitants of Pherang kotta and others will not in any way deprive them of their sickle, dagger, hoe, spade, and wood, and shall not detain them. If anybody knowing this transgresses this order, he will be punished according to the rules applied to breakers of the king’s law. »
65 Riccardi, 1988.
66 Cité par Lévi, 1905, t. 1, p. 164.
67 Ibid.
68 Regmi, 1969, p. 264.
69 Paudel, 2020 VS, I, p. 85.
70 Locke, 1973, p. 42.
71 Se fondant sur la traduction de Locke, Toffin (1990) voit en la personne du chacal la manifestation du « socle ethnique néwar le plus ancien », détentrice du riz, face à la famille royale, qui serait, elle, d’origine indienne. Or, dans le mythe, la population néwar souffre de faim et ne possède pas de riz. Elle va profiter de la loyauté du roi pour lui demander d’intercéder pour elle auprès du dieu Narayan.
72 Paudel, 2020 VS, t. 2, p. 71.
73 Wright, 1877, p. 117.
74 Communication personnelle de Sushila Manandhar.
75 Wright, 1877, p. 195.
76 Hasrat, 1970, p. 59.
77 Dans la Bhāsā vams̀āvali et dans la chronique éditée par Wright, ce n’est pas sous le règne de ce roi mais sous celui de son fils, Jaggajjyoti Malla, que le grain est arrivé au palais dans un sac de haricots (mās).
78 Paudel, 2020 VS. t. 2, p. 67-68.
79 On ne peut juger, comme le fait D. R. Regmi (1966, t. 1, p. 536), de l’état de l’agriculture dans la vallée de Katmandou en se fondant sur l’exportation vers le Tibet de produits agricoles – riz, blé, piments rouges –, ne sachant d’où ils proviennent. Le poivre, par exemple, qui est mentionné dans la liste des denrées exportées, n’est pas aujourd’hui cultivé dans la vallée de Katmandou, mais importé de l’Inde, comme il l’était déjà sans doute à l’époque.
80 « I... I by the law of Bhumicchidra [by which was meant "the uncultivated fallow land” the donee hringing it under plough]... » (D. R. Regmi, 1983. t. 2, p. 82, inscr. CXXXII).
81 M. C. Regmi, 1971, p. 512.
82 Lévi (1905, t. I. p. 298) citant Hodgson.
83 « According to later chronicles Jaya Sthitimalla introduced a new measure of land, and this he fixed in four standards as the cultivable land dictated. In the words of the chronicler “In the first class a ropani as 95 hāths, fora second class 109 hāths, for the third class 112 hāths and for the fourth 112 [?] hāths". The statement, however, is not corroborated by facts. A hāth was to be of the length of 24 lengths of the joint of the thumb, according to the same source » (D. R. Regmi, 1965, t. 1, p. 534).
84 Jaya Sthiti Malla a réduit les mesures de terre – la perche d’arpentage est passée de 10,5 coudées à 7,5 –, ce qui prouve que la valeur des terrains avait augmenté (Lévi, 1905, t. 1, p. 299).
85 En 1792, le cadastre de Bahadur Shah mesure toujours les terres en ropani. Les résultats sont tenus secrets, mais le peuple a attribué la soudaine disgrâce du régent au péché de « vouloir mesurer les limites de la terre » (HP. p. 299). Il est intéressant de noter que pendant la période Gorkha, le système de mesure des longueurs, pour le tissu par exemple, faisait référence au grain d’orge. Une coudée équivalait à deux empans, c’est-à-dire vingt-quatre largeurs de doigt, chaque largeur de doigt mesurant huit grains d’orge (D. R. Regmi, 1966, t. 2, p. 500). Cette référence serait-elle le fait d’un système hérité d’une société où l’orge prévaut sur le riz, et donc d’une influence ou d’un emprunt ? Dans le système de mesure du poids, il est également question d’une unité dont l’étalon est le grain, sans que le type de grain (orge, riz, etc.) soit précisé.
86 Lévi, 1905, t. 1, p. 299.
87 Voir le chapitre x, « L’État népalais et la transformation des paysages d’après les documents administratifs des xviie et xixe siècles » (P. Ramirez).
88 Parmi eux, on peut citer : Desideri qui séjourna au Népal en 1721 ; le père Cassiano dont le journal date de 1740 ; le père Giuseppe alias Joseph qui a résidé dans la vallée de 1763 à 1767.
89 Citée in Petech, 1952. Nous remercions Luce Cayla pour la traduction de cette lettre écrite en italien.
90 Petech, 1952, t. 1, p. 24 et 27.
91 Filippi, 1995, p. 315.
92 Petech, 1952, t. 2, p 163.
93 . Les données ici exploitées sont principalement dues à Kirkpatrick qui y séjourna en 1793, à Hamilton. qui y résida en 1802-1803, à Hodgson et à G. Campbell, dont les observations datent des années 1830-1840. L’article de Campbell, principale source sur le sujet, est ici complété et comparé avec les données non publiées de Hodgson, conservées à l’Indian Office Library à Londres (Hodgson Papers, vol. 15). Nous avons conservé les orthographes des auteurs pour les termes vernaculaires.
94 HP, p. 15.
95 C, p. 113.
96 HP, p. 1.
97 C, p. 70.
98 C, p. 68 et 74.
99 Orthographié « Lākhāboon » par Hodgson (HP, p. 2).
100 HP, p. 3.
101 G. Campbell, 1837. p. 83. A Gazetteer of Afghanistan and Nepal de 1908 décrit également une succession annuelle de trois cultures sur ces terres : riz repiqué suivi de blé suivi de radis, de moutarde ou de sarrasin (p. 1 14). Le maïs n’était pas encore mentionné comme culture d’hiver sur terres humides dans cet ouvrage.
102 Dans A Gazetteer [...] de 1908, cette rotation n’est plus mentionnée : le blé est suivi de maïs, gingembre, curcuma ou piment rouge.
103 C, p. 116.
104 C, p. 84.
105 C, p. 115.
106 HP. p. 1. Une rizière, par définition, est une « terre à riz recouverte d’eau » (Abé, 1995, p. 21). On notera que pour Hodgson, le riz Angha est repiqué sur rizières, tandis que pour campbell, il s’agit d’un riz repiqué, mais non inondé.
107 C, p. 122.
108 HP, p. 1.
109 Hamilton, 1819, p. 223.
110 HP, p. 1. Hodgson (p. 3) précise que seuls les champs de première catégorie sont repiqués pendant ces vingt-quatre jours ; les champs de deuxième catégorie qui ne peuvent être repiqués avant le début de la saison descendante, sont plantés en Angha, mauvaise sorte de riz.
111 Hamilton, 1819, p. 224.
112 Dans une légende rapportée par Thapa (2041 VS, p. 204-207) le roi Yasobrahma de Lamjung et la reine repiquent une rizière rituelle (le khet de Lakshmi-Narayan) le quinzième jour du mois d’asār.
113 Sans faire référence à ces rituels, Campbell note que le repiquage a lieu entre la mi-juin et fin juillet.
114 C, p. 100. Ce riz représente une dizaine de variétés parmi la trentaine listée par Campbell.
115 Hamilton, 1819, p. 224-225.
116 Nous remercions Satya Shrestha qui a généreusement réalisé l’enquête à notre demande.
117 Cette distinction est effectuée par Gajurel et Vaidya (1984, p. 192-193) et confirmée par notre informateur Krishna Rimai, alors que G. Campbell (1837) et Toffin (1977, p. 79) décrivent comme technique d’obtention du hakuwa celle donnée pour le pathuwa par Gajurel et Vaidya.
118 À notre connaissance, en Himalaya, seuls les Néwar mangent du riz fermenté selon ce procédé.
119 Gajurel et Vaidya, 1984, p. 194.
120 Information récoltée par le colonel Crawford, membre de la mission de Kirkpatrick en 1793 (Hamilton, 1819, p. 225).
121 Gajurel et Vaidya, 1984, p. 192.
122 Communication personnelle de Satya Shrestha. C’est cette dernière version que l’on retrouve dans les chroniques.
123 Hasrat, 1970, p. 51.
124 HP, p. 3-4.
125 HP, p. 8.
126 C, p. 60.
127 C, p. 125.
128 HP, p. 9.
129 C, p. 126.
130 C, p. 125.
131 HP. p. 7.
132 C, p. 127.
133 HP, p. 3-4. Semées après trois à quatre retournements de terre, deux bris de mottes et une inondation, les graines de moutarde sont recouvertes d’une épaisse couche de terre Koncha. Les champs sont creusés en billons en vue d’un rendement maximal et la moutarde est semée très dense afin de fournir des légumes verts au fil des éclaircissages. Quand la moutarde est mûre, la plante est arrachée et battue au bâton. Cette riche et abondante culture n’est pourtant pas taxée.
134 HP 15, p. 4.
135 Naraharinath, 2012 VS, p. 107-109.
136 Joshi, 1970, p. 40.
137 La description ancienne de séances de repiquage ritualisées et la dénomination d’un riz ropaï indique l’existence d’une riziculture repiquée pratiquée par les populations indo-népalaises, distincte de la riziculture par semis des tribus fluviales du Téraï. En 1935 cependant, dans le bas Kumaon, la riziculture par semis direct et la riziculture avec repiquage étaient toutes deux pratiquées, le choix dépendant du soin que l’on pouvait apporter à la culture et des quantités d’eau disponibles (Pant, 1935, p. 106-119).
138 Vajracarya, 1973, p. 523-526.
139 Mention de khet et de « canal » dès 1662 à Dolakha à l’est du pays (document sur feuille de palme, numéro 1. p. 189) et dès 1665 à Nuwakot. Là, un texte de 1763 octroie une rizière produisant du riz mārsī (document 34, p. 29) [Vajracarya et Shrestha, 2031 VS]. Mention de khet à Doti en 1697 (1754 VS) dans une donation royale (Naraharinath, 2022 VS, p. 651). Donations de 80 mûri de khet (environ un hectare) par le roi de Gulmi en 1749 (1671 Sake), don de 40 muri de khet en 1751 (1673 Sake) et de 20 kutmuri de khet en 1815 (1872 VS) [Shrestha, 1983). Donation de 100 muri de kholā khet en 1703 par le roi de Pyuthan et confirmation d’un don de 40 muri d’aksetyā dans un guth khet en 1788 (1845 VS) [Giri, 2052 VS, p. 93]. Donation de khet par le roi de Palpa en 1783 [Ghimire, 2045 VS. p. 210]. Intervention du roi de Palpa pour la protection d’un canal d’irrigation en 1795 [ibid., p. 219]. Existence du rāj kulo d’Argali (dans le royaume de Palpa) en 1787 [Pradhan, 1990, p. 41].
140 Ramirez, 1993, p. 263-264.
141 Aubriot, 1997, p. 191-205.
142 Fillipi, 1995, p. 319.
143 Communication personnelle d’András Höfer.
144 Sagant, 1976. Sur les quatre-vingt-treize termes relatifs à la culture du riz utilisés par les Limbu étudiés par Sagant, trente sont d’origine népali, soit un peu plus de 30 %. Sur les douze termes relatifs au riz et à la rizière chez les Magar du Sud (travaux personnels de M. Lecomte-Tilouine), aucun n’est d’origine népali.
145 Plus à l’ouest, si le Kumaon est décrit en 1814 comme cultivé, le Garhwal toutefois apparaît désertifié (Military History of Nepal, 1983, p. 145-147). Le riz y est cependant la principale culture (ibid., p. 56).
146 M. C. Regmi, 1971, P- 18
147 Ainsi un des édits de Ram Shah (1603-1633) stipule : « Not to hear the complaints of the water carriers, the oilmen and the persons who fight about the conduits and ducts carrying water into their fields from running streams, because everyone of them lias equal need of these ; therefore, let them do according to their custom and need » (Gorkhā vamsāvali ; Hasrat. 1970, p. 110). Cette déclaration est remarquable, déployant une idéologie extrêmement égalitariste en ce qui concerne les moyens de subsistance, au sein d’une société de castes pourtant très hiérarchisée.
148 Un texte de 1834 adressé aux autorités de Jumla, stipule : « Partout où les terres incultes peuvent être irriguées par un canal, faites le nécessaire pour leur transformation en rizières » (RRS, 1971, vol. 3, n° 6, p. 59).
149 RRS, 1981, vol. 13, n° 6, p. 83-84.
150 Selon une enquête menée sur cent neuf réseaux d’irrigation à travers le Népal, dix-huit sont de création antérieure à 1800, une vingtaine a été créée au xixe siècle et le restant (soit 70 %) datent du xxe (Benjamin. 1992, p. 29). Il faut cependant être prudent face à ces chiffres qui ne représentent pas des statistiques, de nombreux réseaux étant situés dans le Téraï qui a vu un développement agricole important au xxe siècle. Nos propres recherches dans la région de Gulmi confirment cependant un développement important du nombre de canaux d’irrigation au xxe siècle (Aubriot, 1997). Ainsi à Darling (Gulmi), les rizières furent construites à partir de 1920 (Lecomte-Tilouine et Michaud, 2000). De même, à Kimtang, dans l’Ankhu Khola, la riziculture ne fut introduite qu’en 1955 (Blamont, 1983).
151 Les flocons de riz sec étaient auparavant en vente sur le marché alors qu’aujourd’hui seuls des flocons de riz irrigué sont vendus.
152 Information personnelle de C. Jest.
153 Kirkpatrick. 1969 [1811], p. 82.
154 Hooker, 1987 [1885], p. 123.
155 Ibid., p. 146.
156 Ibid., p. 123.
157 Chemjong, 1966, p 89.
158 Pant, 1935, p. 88-89.
159 Information recueillie par N. L. Pandey.
160 Elles (1986 [1884], p. 42). D’après Kansa Tamang, de Balkani ga.bi.sa., un mānā semé produit un pāthi (information recueillie par C. Jest). La culture du riz sec atteint en Himalaya des altitudes plus élevées que la limite de 1 500 m avancée par Uhlig (1978, p. 525). On en rencontre à 1 800 m par exemple dans le nord de Gulmi (information non publiée, M. Lecomte-Tilouine).
161 Kirkpatrick, 1811. p. 93-94. Le maïs n’est cependant pas encore cultivé au Garhwal en 1809 (RRS, 1971, vol. 3, n° 7, p. 153).
162 G. Campbell, 1837, p. 127.
163 Elles, 1986 [1884], p. 42.
164 C, p. 125.
165 C, p. 129.
166 Hooker, 1987 [1855], p. 148
167 Ibid., p. 173.
168 Elles, 1986 [1884], p. 47.
169 Dailekh, Dolakha, Kabhrepalanchok, les sept villages de Bhadgaun, East n° 3, Nuwakot, Salyan, Lamidanda, Jhiltung, West n° 2, West n° 4 et West n° 5, Pyuthan, Gulmi, Madi, Malang, Dansing, Salyan, Katmandou (RRS, 1981, vol. 13, n° 6, p. 92-96).
170 Navets, poireaux, échalotes, melons d’eau et melons musqués, concombres, aubergines, fraises, mûres, abricots, pêches, pommes et poires.
171 Bogle, 1996.
172 Young, 1991.
173 Elles, 1986 [1884], p. 43.
174 Sur la pomme de terre au Népal, voir chez les Limbu : Sagant, 1976, p. 208-209 ; chez les Gurung : Pignède, 1966, p. 130-131 ; chez les Sherpa : Fürer-Haimendorf, 1980 [1964], p. 30.
175 Fürer-Haimendorf, 1980 [1964], p. 30.
176 Elle fut introduite à Rolwaling vers 1860-1870 (Sacherer, 1974, p. 317-324).
177 Blamont, 1983.
178 Par exemple dans le nord de Gulmi, voir Lecomte-Tilouine et Michaud, 2000.
179 Molnar, 1981, p. 26.
180 Meier, 1997, p. 298 ; Stutchbury, 1994, p. 159-160.
181 Pant, 1935, p. 82-89.
182 Lecomte-Tilouine et Michaud, 2000.
183 Messerschmidt, 1976, p. 168 ; Toffin, 1986.
184 Informations recueillies à notre demande par N. L. Pandey.
185 Blamont, 1983 ; Lecomte-Tilouine et Michaud, 2000.
186 Une moutarde, dont les feuilles sont mangées avant qu’elle parvienne à maturité, est semée dès que le champ est vide.
187 Informations recueillies par N. L. Pandey.
188 RRS, 1976, vol. 8, n° 10.
189 Première culture citée par Hamilton en 1819 pour la région de Jumla (1971. p. 284). Au Kumaon, en 1935, dans les basses vallées, le blé est cultivé en hiver aussi bien sur les champs secs qu’en rizières (Pant, 1935). Sur les hautes terres, il est irrigué, cultivé en été (ibid., p. 45) et déjà mentionné en 1814 (Military History of Nepal, 1983, p. 146).
190 Les collines et vallées autour de Pharphing sont très cultivées et produisent du blé (Kirkpatrick, 181 1, p. 75). D’après G. Campbell, sur les montagnes au sud et à l’ouest de la vallée de Katmandou, les pentes sont trop raides pour être enterrassées et le sol, non irrigable, est trop pauvre pour admettre du blé ou des légumineuses (1837, p. 60).
191 Northey et Morris, 1974 [19271, p. 251.
192 Blamont, 1983, p. 534-535.
193 RRS, 1971, vol. 3. n° 4, p. 93.
194 Ainsi, en 1819 et en 1900, le blé n’était pas cultivé à Palpa (Hamilton, 1819, p. 178 ; « An account of Nepal », anonyme. 1900) alors qu’il l’est en grande quantité à Baglung en 1924 (Landon, 1928, p. 17). À Aslewa (Gulmi) l’introduction du blé d’hiver sur rizières a eu lieu vers 1910-1920 (Aubriot, 1997).
195 À Darling. il ne représente qu’une culture marginale, en raison du manque d’eau et de la vaine pâture (Lecomte-Tilouine et Michaud, 2000).
196 Ainsi il date des années 1970 à Gothadi, Dhedagaun, Mithukaran. Bharatipur, Naram, Rucang Baidi. Ghiring et Khairang, et des années 1980 et 1990 dans ceux de Chip-Chipe, Bhirkot, Kot darbar, Kaule, Dhusa, Dadakharkha, Jaubari. Mityal, Sahalkot et Jhirabas. (Information : N. L. Pandey.)
197 1980 [1964], p. 30.
198 Communication personnelle de A. Höfer, qui précise qu’« autrefois » désigne pour ses informateurs les xviiie et xixe siècles.
Notes de fin
1 Naraharinath, 2023 VS, p. 463.
2 Giuseppe, 1790, p. 317.
3 RRS, 1976, vol. 8,n° 11.
4 Kirkpatrick, 1969 [1811].
5 Hamilton, 1819, p. 63.
6 Campbell, 1837, p. 79.
7 Hamilton, 1819, p. 68-69.
8 Hamilton, 1819, p. 64.
9 Oliphant, 1852, p. 39.
10 Oldfield, 1880, p. 112.
11 Ballentine, 1896, p. 25.
12 Ibid., p. 50-51.
13 Northey et Morris, 1974 [1927], p. 139-140.
14 Hamilton, watermark 1802, p. 20.
15 Ibid., p. 22.
16 Ibid., p. 23.
17 Ibid., p. 24-28.
Auteurs
Chargée de recherche au CNRS (UPR 299), ethnologue
Chargée de recherche au CNRS (UPR 299), ethnologue
Chargée de recherche au CNRS (UPR 299), agro-ethnologue
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La diaspora noire des Amériques
Expériences et théories à partir de la Caraïbe
Christine Chivallon
2004
La brousse et le berger
Une approche interdisciplinaire de l’embroussaillement des parcours
Marianne Cohen (dir.)
2003
Les territoires de la mobilité
Migration et communautés transnationales entre le Mexique et les États-Unis
Laurent Faret
2003
Histoire et devenir des paysages en Himalaya
Représentations des milieux et gestion des ressources au Népal et au Ladakh
Joëlle Smadja (dir.)
2003