Chapitre VII. Incursion toponymique au cœur de deux territoires villageois du Ladakh
p. 237-257
Texte intégral
1Les toponymes analysés ici ont été recueillis dans deux oasis, toutes deux situées en rive droite de l’Indus, dans le massif du Ladakh, et arrosées par de petits torrents nés des glaciers d’altitude. Le premier territoire villageois, du nom de Sabu, se trouve dans la région du haut Ladakh, à quelques kilomètres à l’est de la ville de Leh (photo 45, figure 36). C’est dans une longue vallée régulière, bordée de part et d’autre par deux éperons rocheux aux sommets peu saillants mais aux versants découpés par de nombreux vallons plus ou moins profonds, que s’étire l’oasis de Sabu. En aval, la vallée débouche sur la large plaine de l’Indus à laquelle elle se raccorde par un vaste cône de déjection. L’espace cultivé de l’oasis se déploie de 3 400 à 3 950 m d’altitude, sur près de cinq kilomètres, depuis la partie supérieure du cône préférentiellement ensemencée en blé du fait des températures relativement clémentes, jusqu’à un rétrécissement de la vallée où les derniers champs de l’oasis, situés loin au-dessus des plus hautes habitations permanentes, portent de maigres récoltes d’orge. Cette « Terre offerte aux Dieux », sa phud 1, comme nous le laisse entendre le nom du village tel qu’il se prononçait à l’origine, se révèle prodigue envers les hommes. C’est, dit-on, l’une des vallées les plus fertiles de la contrée. Le second territoire villageois, du nom d’Hémis-shukpa-chan, se trouve dans la région du bas Ladakh. L’oasis y apparaît bien plus isolée au cœur du massif (photo 46, figure 37). Depuis l’Indus qui demeure encaissé pendant la majeure partie de sa traversée du bas Ladakh, une étroite gorge ascendante conduit vers 3 600 m d’altitude aux premiers champs et maisons de l’oasis. La vallée s’élargit alors brusquement sur un espace ouvert où les champs s’étagent jusqu’à 3 950 m. Tout autour, modelés et couleurs du relief apparaissent plus variés que ceux de la vallée de Sabu. C’est à sa situation élevée, favorable au maintien du manteau neigeux, et à la présence d’un bosquet de genévriers que l’oasis doit son nom de he mis shug pa can 2, « Doté de neige et de genévriers ».
2Le corpus de toponymes recueillis dans ces deux terroirs réunit des noms désignant aussi bien des éléments des espaces bâtis (bergeries, maisons, quartiers), cultivé (champs, portions de l’espace cultivé, réservoirs et canaux) et pâturé (plaines arides, pelouses humides, versants montagneux, vallons d’altitude) que des éléments saillants du paysage auxquels l’homme n’a pas accès, sinon par le regard (sommets, crêtes, pitons ou brèches). Alors que le corpus relevé à Hémis-shukpa-chan est centré sur le domaine de la montagne (ri), celui de Sabu privilégie les espaces fondamentalement utiles que sont les zones cultivées et pâturées.
3Ces toponymes sont puisés dans le langage courant, une forme dialectale du tibétain3, et sont voulus signifiants. C’est pourquoi, il nous a semblé légitime d’en proposer la traduction donnée localement, même si certaines restitutions sont hasardeuses. En effet, l’homophonie de certains termes ou un glissement de la prononciation des toponymes au fil du temps peuvent conduire à des confusions, voire à des interprétations erronées de la part des habitants eux-mêmes. À Sabu par exemple, alors que la plupart des villageois expliquent le nom du lieu-dit « Yulgok », occupé par un vaste réservoir d’irrigation, par « Canal détruit » (yur gog), un notable de l’oasis fit un jour remarquer que le réservoir en question avait été creusé à l’emplacement du fort et du village originels de la vallée, aujourd’hui disparus ; l’interprétation du toponyme en « Village détruit » (yul gog) s’imposait donc. De même, au sujet du canal dénommé « Saser », les villageois hésitent entre les traductions « Canal des terres jaunes » (sa ser yur ba) et « Canal des terres nouvelles » (sa gsaryur ba). En fait, la dernière proposition, bien que de prononciation légèrement différente de celle du toponyme actuel, est plus appropriée. Effectivement, comme le soulignent les habitants des maisons voisines de ce canal, l’espace irrigué par ce dernier se caractérise davantage par sa colonisation tardive que par la couleur jaune de sa terre. À Hémis-shukpa-chan enfin, la traduction du nom de quartier Sta mgo par « Tête de cheval » (rta mgo), bien que communément admise, n’est guère convaincante. Les villageois questionnés ne donnent aucune explication et la comparaison avec d’autres villages du Ladakh invite plutôt à traduire ce toponyme par « Porte des chevaux » (rta sgo), ainsi qu’est appelé en maints endroits le lieu à l’approche du palais royal où les cavaliers mettaient pied à terre.
4Parmi les quelque deux cent trente-cinq toponymes répertoriés, tous donnés « il y a de très nombreuses années », seuls une quinzaine sont restés obscurs. Interrogés à leur sujet, les villageois répondent simplement « c’est un nom », sans plus de précision. Dans les tableaux 11 et 12 en annexe, nous les avons transcrits tels que les ont orthographiés nos informateurs.
5À l’instar du tibétain, le ladakhi est une langue monosyllabique pour laquelle l’unité minimale phonémique et sémantique est la syllabe. D’un point de vue linguistique, les toponymes recueillis recouvrent des formes variées : noms simples énoncés sous la forme d’un adjectif ou d’un substantif (« la Pointue », gzar mo4 ; « les Sillons », sul ; « les Genévriers », shug pa...) ou noms composés. Parmi ces derniers, numériquement plus nombreux, beaucoup intègrent le vocable nommant l’élément du relief ou du milieu qu’ils désignent (glacier, gang ri ; montagne, ri ; colline, sgang ; vallée, lung ; col, la ; brèche, kong ka ; cuvette, sding ; plaine, thang ; pelouse humide, spang ; source, chu mig ; etc.), le qualifiant par un second terme : adjectif (« Passe aplatie », kong nyag ; « Grand sommet », ri mgo che...) ou substantif5 (« Montagne de brume », rmogs ri ; « Glacier de cristal », shel ’i gang ri...). D’autres sont formés d’un nom commun suivi du suffixe comitatif can signifiant « ayant, possédant, doté de, pareil à » (« Pourvue de neige », kha can ; « Pareille à un pichet de bière », chabs skyem can ; « Planté d’abricotiers », eu li can) ou de deux adjectifs juxtaposés sans conjonction de coordination (« la Jolie Sablonneuse », bye ma bde mo ; « la Fine [mais] large », zheng can phra mo). D’autres encore, sont énoncés sous la forme d’une proposition incluant un verbe. Le nom d’une plaine aride située aux confins du terroir de Sabu (« Lieu où le cheval est mort », rta shi sa 6), illustre cette dernière catégorie.
6Par ailleurs, de nombreux toponymes, et ce quelle que soit leur forme grammaticale, fonctionnent en doublet, intégrant une dimension verticale introduite par les termes « au-dessus/au-dessous » (gong ma/yog ma, ‘og ma) : « Tourelle d’en haut », spe’u gong ma ; « Tourelle d’en bas », spe’u yog ma ; « Source d’en haut », chu mig gong ma ; « Source d’en bas », chu mig yog ma, etc7.
Les toponymes de l’espace pâturé : montagnes, vallons d’altitude et plaines arides
7Au-delà des champs irrigués règne l’espace aride de la montagne et des plaines, fréquemment parcouru par les villageois au cours de leurs activités de collecte et d’élevage. À Sabu, ce sont les noms des vallons qui ont été préférentiellement cités par les hommes, femmes et enfants interrogés, tous familiers des activités de gardiennage des troupeaux (figure 38). À Hémis-shukpa-chan, le corpus originellement établi avec un interlocuteur privilégié, érudit et au fait des traditions, dénote l’attention particulière portée par les villageois aux sommets dont un très grand nombre sont nommés.
Des oronymes essentiellement descriptifs
8Les oronymes recueillis renvoient essentiellement au visible, à ce que l’œil perçoit : la taille, la forme, l’aspect, la couleur, la nature du sol ou le couvert végétal. Ces caractéristiques sont exprimées à l’aide d’un adjectif ou d’un nom subordonné, qualifiant directement l’élément du relief qui est nommé (sommet, colline, dépression, vallon, etc.), mais également par le truchement d’images empruntées à la vie quotidienne.
9Ainsi, aux côtés des classiques « Petite montagne » (ri chung se), « Grande pelouse humide » (spang po che) ou « Large vallée » (rgya lung) présents dans la plupart des oasis, l’évocation de la taille se traduit par de nombreuses figures métaphoriques. À Sabu, glosent les villageois, le « Pilier du ciel » (gnam ’i ka) est une montagne si haute que son sommet soutient le ciel ; la « Vorace » (hah gdang), un vallon grand ouvert, est telle une bouche béante prête à engloutir des monceaux de nourriture. À Hémis-shukpa-chan, la « Grande ombre » (sgrib chen mo) est une paroi rocheuse si large qu’en été elle projette sur les pâturages situés en contrebas une ombre immense.
10Les toponymes qui s’attachent à décrire la forme du lieu désigné, généralement une montagne ou un rocher remarquable, sont tout aussi expressifs. La « Pointue » (gzar mo) est une montagne effilée « comme la pointe d’un couteau bien aiguisé ». L’éloquent « Sommet édenté » (cong cong rtse) parle de lui même ; le « Rocher-couvercle » (pho long kha leb) également. La « Grande continuité d’en haut » (rgyun chen mo gong ma) et la « Grande continuité d’en bas » (rgyun chen mo ‘og ma) désignent deux montagnes allongées et qui, l’une en dessous de l’autre, « s’étirent, coulent sans fin comme des rivières » ; la « Vieille enrobée de graisse » (rgad mo tshil khur), une montagne trapue qui s’orne de bourrelets ; enfin, la « Mariée et son aide » (bag ma dang y a to), deux petites montagnes triangulaires dressées l’une à côté de l’autre. La « Brèche anneau nasal » (khug ru kong ka) évoque par sa forme les anneaux (khug ru) placés dans les naseaux des bovidés ; la montagne « Pareille à un pot de bière » (chah skyems can), celle des pichets en cuivre dans lesquels cette boisson est servie.
11Les toponymes suggérant l’aspect lisse, rugueux ou strié de la montagne ou de la paroi rocheuse qu’ils désignent, sont également parlants. « Clous de fer » (lcags zer mo) nomme une roche criblée de morceaux de ce métal ; « Coussinets du chien » (khyi sbal), une crête parsemée de taches de mousse, dont l’aspect et le toucher rappellent cette région rembourrée de la patte des chiens. Les noms « Pied de Montagne [en] moustaches » (sma ra ri rtsa) et « Sillons » (sul) donnés à deux montagnes d’Hémis-shukpa-chan renvoient eux aux dessins formés par le plissement des couches géologiques qui les constituent.
12Les références à la couleur et à la nature du matériel de surface rappellent par leur nombre important et leur diversité l’omniprésence du minéral dans ce « Pays d’entre les cols » (la dwags). Elles intéressent l’ensemble des formes orographiques, les montagnes comme les vallées, les brèches comme les cuvettes ou les plaines arides. En témoignent ces quelques exemples désignant des montagnes et des crêtes : « Roche rouge » (brag dmar), « Schiste rouge » (g. ya dmar), « Montagne de sable » (bye ma ri), « Montagne de poussière » (thal ri), « Argile blanche » (rdza dkar po), « Sommet d’éboulis et d’argile » (shal ma rdza mgo), « Crête caillouteuse » (shag sgang) ; des cols et des brèches : « Col jaune » (la ser mo), « Col de sable » (bye ma’i la), « Brèche couleur argent » (dngul mdog kong ka), « Brèche Roche rouge » (brag dmar kong ka), « Brèche noire » (kong ka nag po) ; des dépressions et des vallons : « Cuvette aux graviers » (shag ma sding), « Vallée rocailleuse » (shal lung), « Dotée de natron » (ba tshwa can) ; des plaines arides : « Terrain pierreux » (rdza rog), « Plaine aride de roche et de sable » (brag bye thang), « Plaine aride à la terre [dégraissant] la laine » (bal sa’i thang).
Une flore et une faune évoquées en tant que ressources
13Espace inhabité et aride, la montagne8 n’est pourtant pas sans ressource. Au contraire. Les toponymes désignant vallons, dépressions et terres incultes voués à la pâture et à la collecte en attestent. La flore y est citée en tant que ressource (fourrage, combustible, plantes médicinales ou alimentaires) ; la faune évoquée à travers le cheptel et les produits de l’élevage.
14La « Plaine aride aux tshe pad (Ephedra gerardiana) » (tshe pad thang) désigne une vaste étendue de sable et de pierre où abonde cette plante, dont les feuilles sont broutées par les moutons et les chèvres et les parties ligneuses collectées pour servir de combustible. La « Vallée de la nourriture » (za lung) est ainsi appelée car elle abrite en grand nombre plusieurs espèces de plantes sauvages comestibles (za tshod), consommées en légumes verts après cuisson. De même, la « Cuvette aux “pili” (Stipa trichoides) » (pi li dig dig), la « Vallée des églantiers » (se lung tse), le « Col aux épineux » (tsherma can la), la combe « Au milieu des Lonicera spinosa » (sred gzhung), ou encore les lieux-dits « Planté d’abricotiers » (eu li can), les « Saules rouges » (Icang ma dinar po), les « Genévriers » (shug pa) (photo 47) nomment des lieux caractérisés par une forte population de ces herbes, arbustes ou arbres, utilisés comme combustible, comme fourrage ou à des fins alimentaires ou religieuses. Paradoxalement, le couvert végétal est parfois suggéré à travers son absence comme dans les toponymes suivants : « Brèche nue » (kong ka sing sing) et « Plaine nue » (thang sing sing) désignant des reliefs où « pas une seule herbe ne pousse ».
15Le monde animal occupe une place moindre. Treize toponymes répertoriés y font référence, dont seuls deux renvoient à des animaux sauvages : la « Plaine aride aux chevreaux sauvages » (bi gu thang) et la « Brèche aux pigeons » (phur gon kong ka), ainsi nommée car ces derniers s’y rassemblent à l’automne avant de s’abattre sur les récoltes mûres des champs tout proches. Les onze autres se rapportent au cheptel (cheval, bœuf, veau et chèvre) ainsi qu’à l’élevage. Le « Lieu où l’on conduit les bœufs » (glang to ‘khyer sa) nomme une haute vallée où yaks et hybrides montent à l’estive dès le mois de juin ; le « Col des chèvres » (ra la mgo), une passe fréquentée quotidiennement par les troupeaux d’ovins et de caprins ; le « Lieu où meurent les veaux » (be do shi sa), un vallon froid où le soleil pénètre rarement ; « Rétention de beurre » (mar bkag), une bergerie située dans les pâturages d’altitude où le beurre baratté à partir du lait recueilli sur place est conservé, etc.
Un homme singulièrement absent
16L’homme pour sa part intervient peu comme référent dans la dénomination des lieux de l’espace non cultivé. Seuls cinq toponymes l’évoquent directement : à Hémis-shukpa-chan, le « Lieu où le drapeau fut accroché » (jhan da btag sa), le « Lieu de crémation de Chocho » (Jo jo sreg sa), le « Lieu de résurrection du lama » (bla ma gso sa) ; à Sabu, le « Lieu où mourut le musicien ambulant » (bhe da shi sa). Le premier est le nom d’une montagne au sommet de laquelle des agents chargés de l’élaboration des cartes topographiques plantèrent jadis un fanion (jhan da en ourdou) en guise de repère. Les autres désignent respectivement le vallon où fut brûlé le corps d’une vieille femme surnommée Chocho, morte d’épuisement après avoir tenté de fuir une bande de pillards, l’endroit où un saint homme revint miraculeusement à la vie et une combe au fond de laquelle un musicien (bhe da), étranger au village, mourut de soif, de faim et de froid après s’être perdu.
17Dans un registre analogue relevant de l’anecdotique, du vécu plutôt que du visible, quelques toponymes soulignent les dangers que recèle le territoire et dont la connaissance relève de la seule expérience. C’est le cas notamment du « Lieu où le cheval est mort » (rta shi sa) nommant une plaine aride où de nombreux animaux se seraient perdus et en particulier le cheval sus-mentionné, et du « Lieu où meurent les veaux », mais également de la « Grande vallée de khra sang » évoquant une affection – khra sang – localisée à l’intérieur de la bouche et atteignant les jeunes animaux, qui serait provoquée par l’ingestion d’une plante vénéneuse, ou encore de la « Vallée folle » (lung smyon), qualifiée ainsi en raison de l’instabilité structurale de ses versants : à maintes reprises, les pluies, pourtant rares dans la région, y auraient donné naissance à des coulées boueuses excessivement dangereuses.
Les toponymes de l’espace cultivé : champs et canaux
18À l’espace inhabité de la montagne et des plaines arides s’oppose l’espace cultivé, aménagé par l’homme, sillonné de canaux et de rigoles d’irrigation précisément nommés. Les noms des groupes de champs, des réservoirs et des canaux s’apprennent très tôt, au fil des activités agricoles. Cette connaissance, tout d’abord limitée aux noms nécessaires à l’exploitation de ses propres terres, s’approfondit par la suite lors de la prise de fonction des charges de « gardien des récoltes » ou de « maître de l’eau », attribuées chaque année selon un tour qui englobe l’ensemble des maisons de l’oasis. Les gardiens des récoltes (lo ra pa), tenus de protéger l’espace cultivé des animaux errants pendant toute la durée de la saison agricole, se familiarisent au cours de leurs rondes avec un grand nombre de toponymes. Les maîtres de l’eau (chu dpon), responsables de la gestion du tour d’eau et donc de l’ouverture et de la fermeture de l’ensemble des réservoirs et des canaux, parcourent quotidiennement l’oasis en tous sens, afin de garantir la bonne coordination des irrigations. Au terme de leur fonction d’une durée de sept mois environ, tous connaissent les moindres parties de l’oasis et leurs noms, des noms exempts de connotations culturales. La lecture des noms de canaux de Sabu atteste une fois encore la part prééminente du visible dans la dénomination des différents lieux ou éléments du paysage. L’on trouve les noms usuels référant à la taille ou à la position relative des aménagements : « Canal principal » (ma yur), « Petit ravin » (grog chung), « Canal d’en bas » (yog yur) et « Canal d’en haut » (gong yur). D’autres noms contiennent des indications topographique ou géographique. Ainsi, « Tourelled’en haut » (spe’u gong ma) et « Tourelle d’en bas » (spe’u yog ma) sont deux canaux parallèles qui s’étirent face à la « Vallée de la tourelle ». Quant aux canaux « Butte de Meyek » (mi nyag rdung) et « Angle de la colline » (sgang zur), leurs noms trouvent leur origine dans l’éminence près de laquelle ils sont creusés. Enfin, un grand nombre de canaux empruntent le nom de la maison dont ils desservent (ou desservaient) les terres et qui souvent se dresse à proximité. Les canaux dits du « Tisserand » (thags mkhan yur ba), du « Grand stûpa » (mchod rten chen yur ba), de « Nouvelle maison » (khang saryur ba), de « Tête cassée » (mgo bcag) et de « Saules rouges » (lcang dmar mo)9 en sont des illustrations.
19Pour leur part, les champs sont généralement désignés par un nom collectif qui concerne toute une portion du secteur cultivé – survivance sans doute d’un ancien cadastrage – et qui correspond souvent à l’espace desservi par un même canal. Le nom du canal, de la zone qu’il dessert et du champ est alors identique. La propriété étant dispersée, ce nom suffit généralement à distinguer un champ au sein des terres détenues par un même propriétaire. Quelques champs portent néanmoins des noms spécifiques. C’est le cas notamment des « champs principaux » ou « champs-mère » (ma zhing), terres inaliénables transmises à l’aîné(e)10 avec la « maison-mère » ou « grande maison » (khang chen). Leur forme « Deux coins » (gnyis gru), « Triangulaire » (zur gsum), « Carré » (zur bzhi), « Long champ » (zhing ring) – et leur emplacement – « Petit champ [près] de la luzerne » (’ol’i grwa gu), « Petit champ [près] du torrent » (grog po’i grwa gu) – interviennent fréquemment dans leur dénomination. Ce n’est le cas en revanche ni de leurs caractéristiques pédologiques, ni de leurs aptitudes culturales qui ne sont guère prises en compte. Un seul nom de parcelle, « Rocaille » (rdza 11), intègre en effet cet aspect qualificatif. Enfin, une fois encore, l’histoire locale joue un rôle mineur. Deux champs à Sabu portent le nom de leur ancien propriétaire, selon une pratique attestée de longue date dans le monde tibétain12 : « Seigneur Targyes » (jo rtags brgyad), « Champ de la médium » (lha mo zhing). Un autre à Hémis-shukpa-chan, nommé « Petit champ-aire de danse » (rtses sa grwa’u), depuis longtemps en friche, évoque un événement marquant de l’histoire du Ladakh, à savoir la maladie du roi Jamyang Namgyal, souverain qui régna sur le Ladakh au début du xve siècle, puni par les divinités-maîtres du sol pour avoir pénétré indûment sur leur domaine réservé.
Ayant repéré une étendue idéalement plate et ensoleillée entre le village d’Hémis-shukpa-chan et celui de Temisgang, Jamyang Namgyal décidait de la transformer en « jardin d’hiver » (rgun tshas) et dans ce but entreprenait d’importants travaux d’adduction d’eau. La construction du canal d’irrigation était déjà bien avancée, quand soudain un lézard apparut. Ce n’était pas un lézard ordinaire. Il était bizarre et démesurément grand, haut comme un enfant de huit ans. Dès que les ouvriers l’aperçurent, ils se mirent à crier, épouvantés. Certains hurlaient : « Tuez-le ! » D’autres au contraire disaient : « N’y touchez pas ! Laissez-le ! » Dans la pagaille, un homme se détacha du groupe et frappa le lézard à coups de pioche. Au même instant, le roi Jamyang Namgyal en son palais tombait malade. Les médecins appelés à son chevet diagnostiquèrent la lèpre, maladie par excellence des klu 13. Les travaux furent immédiatement arrêtés, le trou rebouché en hâte, la terre remise en place et d’importantes cérémonies célébrées dans tout le pays par les plus grands prêtres. En vain. La maladie était là, visible, stigmatisant la faute du roi et l’obligeant à se cacher de ses sujets.
À cette époque, les danses du Nouvel An se déroulaient dans un grand champ appelé « Grande aire de danse » (rtses sa chen mo) en face de la maison Padma Tsering. Mais cette année-là, pour éviter au roi de sortir avec sa vilaine figure mangée par la lèpre, son conseiller demanda qu’elles aient lieu sur un petit champ situé en contrebas du palais royal. Ainsi, le souverain pouvait assister aux danses des fenêtres du Château des fleurs, sans sortir. C’est pourquoi ce lieu est appelé « Petit champ-aire de danse » (rtses sa grwa’u). Aujourd’hui encore, on y exécute les danses du Nouvel An14.
20Les noms collectifs (groupe de parcelles) ou individuels (champs) informant sur l’histoire de l’utilisation des sols font également figures d’exception. À Hémis-shukpa-chan, un groupe de parcelles, la « Grande plaine aride » (thang po che), renvoie à l’époque lointaine où ce secteur du village n’était pas encore cultivé. À Sabu, un champ nommé « Pelouse brisée » (spang bcag), rappelle le dur labeur, pioche en main, qui permit jadis de convertir une pelouse humide encombrée de gros blocs rocheux, en terre arable.
Les toponymes de l’espace bâti : quartiers et maisons
21Les allusions à des événements passés ou à des pratiques révolues, exceptionnelles dans la dénomination des formes du relief et des éléments du secteur cultivé, constituent en revanche des champs préférentiels pour l’appellation des groupes d’habitations (srang tsho, beu tsho) ou des maisons elles-mêmes.
22À Hémis-shukpa-chan, le quartier « À l’extérieur du château » (phyi mkhar) rappelle ainsi l’époque où les maisons du village se massaient au pied de la butte rocheuse portant le château royal.
Jadis, au pied de l’éperon rocheux sur lequel était bâti le château se trouvaient les soixante maisons du village. Petites, construites les unes contre les autres, elles étaient rassemblées à l’intérieur d’un mur d’enceinte en pisé qui les protégeait des pillages et des razzias [...]. Les champs se trouvaient à l’extérieur, on s’y rendait par petits groupes dans la journée. [...] Après qu’est-il advenu ? Le village s’est agrandi, agrandi. Il s’est construit hors les murs. L’une après l’autre, de grandes maisons furent bâties près des champs qu’elles détenaient15.
23Le quartier « Coupé par le ravin » (rko bcod) témoigne lui du changement de lit du cours d’eau alimentant l’oasis, changement qui advint à la suite de la rupture en amont d’un verrou glaciaire. Ce bouleversement hydrographique isola alors une partie des maisons et des champs du reste de l’oasis.
Entre les villages de Tia et d’Hémis-shukpa-chan se trouvait autrefois un grand lac. Un jour, un berger qui gardait là ses bêtes, entendit une voix. Venant du lac, elle disait : mtsho ’phud da, ’phud da (le lac va se déverser). Ayant entendu plusieurs fois cette voix, le berger regarda autour de lui. Il n’y avait rien, il ne voyait aucun homme, personne qui ait pu dire : ’phud da, ’phud da.
Une fois encore, [le berger entendit] ’phud da, puis le lac se déversa. Quand le lac se déversa, l’eau vint [ici]. De nombreux champs furent emportés. Quand l’eau vint, le torrent qui coulait alors au milieu du village, là où se trouvent aujourd’hui les moulins, ce torrent changea de lit. Il s’en vint par là-bas. Et le village fut coupé en deux, une moitié laissée ici, une autre laissée là-bas. Dans le bas du village, de nombreux champs furent isolés de l’autre côté du torrent. L’endroit fut appelé « Coupé par le ravin » (rko bcod) 16.
24À Sabu, le groupe de maisons appelé Meyek (mi nyag), et considéré par les villageois comme le lieu le plus anciennement habité de la vallée, évoque l’origine de l’une des familles fondatrices du village qui assure descendre de cette région du Tibet oriental. L’étymologie même de Sabu, déformation de sa phud (Offrande de terre), renvoie à l’histoire du Ladakh telle que la tradition orale la raconte. Elle remémorerait en effet le don, par le souverain ladakhi Jamyang Namgyal, d’une partie des terres de l’oasis à un grand maître tibétain l’ayant guéri d’une grave maladie (voir supra). Enfin, le nom du quartier Ayu, situé tout en aval de la vallée, serait selon certains informateurs la contraction de aphyi yum, un terme d’adresse faisant référence à la reine Gyal Khatun, épouse de Jamyang Namgyal. Ce quartier, doté de nombreuses sources, aurait été autrefois un jardin d’agrément aménagé pour rappeler à cette reine la végétation de son pays d’origine, le Baltistan (figure 39).
25Dans l’attribution du « nom de maison » (khang pa’i ming), nom qui, en l’absence de patronyme, est celui par lequel l’individu est reconnu socialement et nommé à l’intérieur comme à l’extérieur du village, le cadre géographique intervient parfois. Les maisons nommées « Ceux en contrebas du canal d’irrigation » (yur ’og pa), « Ceux dotés d’abricotiers » (eu li can pa) et « Ceux à l’angle de l’éperon » (sgang zur pa) en sont autant d’exemples. Toutefois, ce sont les qualités prêtées à l’ancêtre fondateur ou à un aïeul à la personnalité marquante qui jouent un rôle essentiel. Les noms nous renseignent alors sur les fonctions que celui-ci exerçait au sein de la communauté villageoise : « Conseiller du roi » (blonpo), « Représentant du palais royal » (mkhar sdod pa), « Chef des habitations » (grong dpon) ; sur son métier ou sa spécialité : « Médecin traditionnel » (am chi ou lha rje), « Astrologue » (on po ou dpon po), « Peintre de figures religieuses » (dpon), « Tisserand » (thags mkhan pa), « Forgeron » (mgar ba) ; sur ses vertus physiques ou morales, sa condition : « Religieux » (chos pa), « Riche » (phyug po), « Maigre » (skiu ru pa) ; sur son origine géographique présumée : « Ceux du Changthang » (byang thang pa) ou tout simplement sur son nom : Padma Tsering, Norbu, Phuntsok.
Les toponymes relatifs aux cours d’eau, lacs et sources
26Les hydronymes sont peu signifiants et numériquement pauvres. Sur l’ensemble de notre corpus seuls deux toponymes nomment des cours d’eau et quatre des sources : un nombre étonnamment faible au regard d’autres régions himalayennes qui offrent des registres détaillés17. De même, la présence d’eau dans le sol n’est pas mentionnée, sinon de façon exceptionnelle. Dans les pâturages d’altitude d’Hémis-shukpa-chan, un lieu-dit est ainsi désigné par l’expression chub chab chib, onomatopée qui évoque le bruit de l’eau souterraine.
27Au Ladakh, il est vrai, le réseau hydrographique est très peu dense et les sources suffisamment rares pour que leur simple présence suffise à singulariser un lieu. C’est ainsi que deux vallons de Sabu, pourvus tous deux d’une source, sont désignés par la même expression « Doté d’une source » (chu mig can), à la suite de laquelle est spécifiée la position relative de chacun (« Doté d’une source, d’en bas » ; « Doté d’une source, d’en haut »).
28Cette faiblesse numérique est accompagnée d’une pauvreté sémantique singulière. À l’inverse des oronymes, les noms dévolus aux différents éléments du réseau hydrographique frappent en effet par leur manque de diversité et d’originalité. Les cours d’eau et les lacs d’altitude ne portent pas de nom spécifique. Ils sont communément désignés par le terme générique qui leur convient auquel est rajouté au besoin le nom du territoire plus ou moins vaste qu’ils traversent ou sur lequel ils sont situés. Localement, l’Indus est dénommé « le fleuve/la rivière » (gtsang po), tout comme l’un de ses affluents, la rivière Zanskar, qui draine la région éponyme18. Les lacs et étangs sont nommés « lac » (mtsho19) ; les torrents nés des glaciers et des névés d’altitude « torrent/ravin » (grog po 20) ou plus simplement encore « eau » (chu) ; un terme précisé le cas échéant par le nom de l’oasis : sa bu grog po, he mis grog po. L’intimité obligée entre l’espace oasien, habité et cultivé, et le cours d’eau qui lui donne vie apparaît ainsi renforcée par l’usage d’un même nom. Parmi les hydronymes, seules les sources sont parfois dotées de noms qui leur sont propres. À Hémis-shukpa-chan, parmi la dizaine de sources répertoriées sur l’ensemble du territoire, quatre sont nommées : la « Source d’en haut » (chu mig gong ma), la « Source d’en bas » (chu mig yog ma), la « Source du roitelet » (jo chu mig) et la « Source Tarka » (tar ka chu mig), terme à la signification inconnue. À Sabu également, une source se singularise. Elle possède, dit-on, des vertus thérapeutiques et est pour cela dénommée, à l’instar d’autres sources médicinales mais qui sont des sources chaudes, « Eau chaude » (chu tshan21) bien qu’elle ne le soit pas. À la belle saison, les villageois des alentours s’y rendent dans l’espoir d’y soigner leurs maux de tête ou de ventre.
29Cette pauvreté sémantique des hydronymes s’étend aux marécages et aux terres humides et enherbées (spang), dont les noms ne varient guère d’une oasis à l’autre. Elle peut sembler paradoxale dans un milieu aride où, en raison d’une pluviométrie moyenne annuelle inférieure à 90 mm/an, l’eau constitue une ressource aussi précieuse que limitée. Pourtant, l’examen de la carte de l’oasis d’Hémis-shukpa-chan dressée à notre demande par un instituteur natif de ce village le confirme : dans ce paysage montagneux, dominé par les lignes verticales, ce sont bien les éléments saillants du relief et non le réseau hydrographique qui, pour le repérage dans l’espace, se révèlent pertinents pour les agricultures sédentaires de ces hautes vallées (figures 40 et 41). D’ailleurs, sommets, pics et pitons ne constituent pas uniquement des repères spatiaux, mais aussi des repères temporels. Nombre d’entre eux, choisis en fonction de leur position sur la ligne d’horizon, jouent le rôle de bornes solaires (nyi tho). L’observation à leur niveau, du lever de soleil – cette observation étant réalisée depuis un lieu spécifique invariable –, marque le retour d’une période précise de l’année solaire. Certains de ces pics sont associés aux solstices, ce que révèle leur nom : « Lieu d’où le soleil retourne » (nyi ma log sa) ou « Lieu où le soleil stationne » (nyi ma bzhugs sa). D’autres indiquent le moment venu pour commencer les irrigations, les semis ou les récoltes22 (photo 48).
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30Tous ces toponymes, créés par et pour les occupants du lieu, réalisent un véritable archivage du milieu23, de ses ressources et de ses dangers, mais aussi des événements remarquables de la vie villageoise et familiale. Leur analyse sémantique met en évidence l’importance accordée par les Ladakhi au visible, à ce que l’œil perçoit, par opposition au non-visible relevant de l’histoire et des croyances locales dans la dénomination des espaces pâturés et cultivés. Elle révèle également une lecture utilitaire, pragmatique du territoire : des montagnes repérées comme « bornes solaires », des grottes « abris », des vallées nommées en fonction des ressources qu’elles offrent (combustible, fourrage, plantes à usage alimentaire ou médicinal). Curieusement, la religion qui, au Ladakh, imprègne les moindres actes de la vie n’apparaît guère dans la toponymie, à l’exception notable des noms des monastères, ermitages et constructions bouddhistes. À peine 5 % des noms recueillis y font référence. À Sabu, un champ est appelé « Extrémité d’offrande » (tshogs rtse), car il contenait autrefois une pierre dressée dont la forme conique rappelait celle des gâteaux de pâte (tshogs) façonnés par les moines à l’occasion de nombreux rituels. On rapporte que lorsque le propriétaire du champ, désireux de rendre les travaux agricoles plus faciles sur sa terre, la brisa, du lait s’en écoula attestant de son caractère sacré. Hors de l’espace cultivé, un versant (Idebs) doit son appellation « Versant du Protecteur » (mGon po ldebs), à la figure du grand protecteur Mahakala (mGon po) lisible dans les plis de la roche, et un vallon, celle d’« Enclos heureux » (ra bkra shis), car un villageois y aurait vu un jour un monastère empli de moines. À Hémis-shukpa-chan, deux montagnes et une pierre dressée portent le nom des divinités dont elles sont les palais ou tout au moins le lieu de prédilection : « Tashi Palmo » (bKra shis dPal mo), « Paldan Zombe » (dPal Idan ’dzom ba) et « Reine au visage de roche » (jo mo brag gdong ma). Enfin, une montagne se dressant à l’est de l’oasis est appelée « Ventre du Maître » (ston grod), car aux dires des anciens, elle était autrefois une destination de pèlerinage pour les femmes désirant un enfant.
Derrière la montagne connue sous le nom de dPal Idan ’dzom ba se dresse une autre montagne appelée ston grod, « le Ventre du Maître ». [...] Dans le passé, les gens qui ne réussissaient pas à avoir d’enfant se rendaient en pèlerinage au mont Kailash pour en accomplir la circumambulation. S’ils ne pouvaient y aller, ils faisaient simplement le tour de cette montagne sainte (gnas ri). Pour ceux qui avaient la foi, le mérite qu’ils retiraient de cette circumambulation était aussi grand et leurs souhaits exaucés24.
31Les toponymes ne renseignent pas sur la présence des dieux et des esprits signalés par les villageois dans plusieurs lieux-dits et qui font par ailleurs l’objet de nombreux récits. À Hémis-shukpa-chan par exemple, la grande pelouse qui s’étend au pied du bosquet de genévriers est réputée pour être un lieu prisé des klu qui apprécient tout particulièrement ces arbres pour le parfum agréable qu’ils dégagent. De même, la vallée « Au fond de la gorge » (rong mthil) est connue de tous pour être un btsan lam, c’est-à-dire un chemin régulièrement emprunté par les btsan, démons rouges, extrêmement séduisants de face, mais dépourvus de peau dorsale. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, rien dans la toponymie n’en laisse présager l’existence25. Aucun nom ne les cite directement ou indirectement.
32Cette situation est diamétralement opposée à celle qui prévaut dans les hauts lieux (gnas chen) ouverts par des maîtres tantriques et sanctifiés par la venue de grands méditants, où le divin s’inscrit dans la toponymie, comme dans le paysage. À Phu mkhar dzong, lieu de pèlerinage situé dans l’ouest du Ladakh, les montagnes sont toutes pensées comme les palais (pho brang), les châteaux (mkhar) ou les trônes (khri) de divinités ou d’êtres d’exception et ont pour nom : « Continent de Hayagriva, Vajrapani et Garuda » (rta phyag khyung gling), « Palais de Jing skyong » (Zhing skyong pho brang) ou « Château de Gesar » (Ge sar’i mkhar). Dans chaque paroi rocheuse se lisent les figures de bouddhas et de bodhisattva, ou encore les manifestations spontanément apparues (rang byung) d’objets de culte. Le même plissement rocheux qui, à Hémis-shukpa-chan, donne à la montagne son nom de « Pied de montagne [en] moustaches » ou de « Sillons », y est appelé « Corde de méditation ». De même, les cavités à flanc de montagne appelées à Hémis-shukpa-chan et à Sabu, « Piège à tête [pour les chèvres] » (mgo khad) ou plus simplement « Grande grotte » (phug chen mo), sont dans ces hauts lieux qualifiées de « Trésor adamantin » (rdo rje ke’u tshang), de « Grotte de profonde concentration » (Ting ’dzin phug pa) ou encore de « Grotte du péché » (sdig pa phug pa).
Notes de bas de page
1 Le terme phud désigne la première part d’un matériau ou du produit d’un travail, qui est destinée à être offerte aux divinités. Selon Jäschke, rdo phud et sa phud sont des offrandes de pierres et de terre qui, à l’occasion de la construction d’une maison, servent à confectionner des représentations des divinités (Jäschke, 1980, p. 344).
2 hem, terme darde dérivé du sanscrit hima signifie « neige » ; shug pa, « genévrier » ; can, « doté, pourvu, ayant ». Pour Sonam Phuntsog, érudit local, Hémis-shukpa-chan dériverait de Hé-shuk. Hé signifiant « rocher » et shuk (pa) « genévrier » (communication personnelle).
3 Seuls deux toponymes intègrent des mots non ladakhi (en ourdou pour l’un, en « darde » pour l’autre). Les termes ladakhi sont translittérés selon le système Wylie.
4 Seule la première syllabe est porteuse de la signification du nom ; la seconde syllabe, mo, est un affixe précisant le genre (féminin).
5 Le cas échéant, la marque du génitif (’i) est souvent absente.
6 Dans de telles constructions, rien n’exprime le temps du verbe, ni la marque du pluriel ou du singulier. Seul le contexte permet de savoir s’il convient de traduire rta shi sa par « Lieu où est mort le cheval », « Lieu où sont morts les chevaux », « Lieu où meurent les chevaux », etc.
7 Ce trait présent à l’échelle du terroir – il concerne aussi bien des noms de canaux et des quartiers de l’oasis, que des noms de sommets et de vallons alentour – se manifeste également à l’échelle d’une aire géographique plus vaste (village, région).
8 Sur la montagne au sens large, espace vide, inhabité, opposé à l’espace cultivé et construit klungs, voir le chapitre II, « Les composantes du paysage ladakhi » (P. Dollfus, V. Labbal).
9 Tisserand, Grand stûpa, Nouvelle maison, Tête cassée et Saules rouges sont tous des noms de maisons de l’oasis de Sabu.
10 Voir le chapitre ii, « Les composantes du paysage ladakhi » (P. Dollfus, V. Labbal).
11 Selon les villageois, le nom rdza donné à la parcelle est issu de rdza rog qui signifie « terrain pierreux » et non de rdza, « argile ».
12 Dans le livre contant la vie de Milarépa. grand saint et poète qui vécut au xie siècle, la coutume de donner aux champs le nom de leur ancien propriétaire est présente dans plusieurs exemples.
13 Divinités du sous-sol et du milieu aquatique.
14 Récit recueilli sur le terrain par P. Dollfus.
15 Voir la note 10.
16 Ibid.
17 Voir le chapitre vi, « Une lecture du territoire et du paysage des Tamang de Salmé » (J. Smadja).
18 gtsang po est également le nom par lequel les Tibétains désignent le Brahmapoutre tout au long de son parcours tibétain.
19 mtsho : lake (Jäschke, 1980, p. 456).
20 grog po : a deep well, ravine, lateral valley (ibid, p. 78) ; chu : 1. water, 2. brook, river (ibid, p. 157).
21 Il nous a été suggéré que chu tshan, (eau chaude), était une déformation de chu sman, (eau médicinale).
22 Sur les nyi tho ou sun markers, leur sélection et leur usage, voir Khoo, 1997, p. 240-244.
23 Blanc-Pamard, 1999.
24 Voir la note 10.
25 Il convient de citer toutefois une exception : la « Montagne au fantôme » (lha ‘dre ri) dont le nom fait référence à un esprit aux allures de fantôme, lha ‘dre, qui. la nuit, hante ses parages, et dont les bergers, résidant à la belle saison dans les cabanes proches, redoutent les apparitions.
Auteurs
Chargée de recherche au CNRS (UPR 299), ethnologue
Postdoctorante, agro-ethnologue
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