Introduction
p. 11-36
Texte intégral
Marco Polo décrit un pont, pierre par pierre.
« Mais laquelle est la pierre qui soutient le pont ? demande Kublai Khan.
– Le pont n’est pas soutenu par telle ou telle pierre, répond Marco, mais par la ligne de l’arc qu’à elles toutes elles forment. »
Kublai Khan reste silencieux, il réfléchit. Puis il ajoute :
« Pourquoi me parles-tu des pierres ? C’est l’arc seul qui m’intéresse. »
Polo répond :
« Sans pierres il n’y a pas d’arc. »
Italo Calvino, Les Villes invisibles, 1974.
1Sommets à gravir, pentes admirablement façonnées en terrasses cultivées, versants érodés, domaine des dieux... Des montagnes himalayennes, chacun a sa propre représentation. Lieux de vie pour les uns, terrains de loisir, d’étude ou d’expertise pour les autres, elles font l’objet de perceptions différentes, à l’origine de discours et d’actions qui influencent la gestion des milieux et la production des paysages. Ces derniers, recomposés au cours des siècles au gré des phénomènes naturels, des sociétés et de leurs civilisations, connaissent depuis quelques décennies des changements rapides, dont l’interprétation se heurte à un manque de référents spatiaux, historiques et culturels. En apportant des connaissances sur le rapport de sociétés himalayennes du Népal et du Ladakh (figure 1) à leur milieu naturel et sur la façon dont elles ont, au cours du temps, utilisé les terres et géré les ressources, l’intention des auteurs de cet ouvrage est d’aider à mieux comprendre les paysages observés aujourd’hui, leur diversité, leurs transformations et à mieux cerner les questions d’environnement dans cette région du monde1.
Méconnaissances, incertitude, complexité. Un constat préalable
2En Himalaya, l’exploitation des ressources naturelles sous-tend une économie qui, pour 80 % de la population, repose encore sur l’agriculture et l’élevage. L’alimentation d’animaux qui permettent, entre autres, le labour et la fumure des champs, est assurée par des résidus de culture, l’herbe de pâtures et le feuillage d’arbres, lesquels procurent également du bois de feu et de construction. Les surfaces à cultiver – qui ne couvrent que 20 % du pays au Népal –, le fourrage et le bois se trouvent au centre des systèmes de production et un besoin accru de ces ressources, corrélatif à la croissance démographique depuis un demi-siècle, suscite de vives inquiétudes. Les préoccupations environnementales relatives à la déforestation et à l’érosion des terres y acquièrent donc une acuité particulière, d’autant plus que les fleuves prenant leur source dans ces montagnes drainent les régions les plus peuplées au monde. Ainsi, lorsque surviennent des inondations dévastatrices dans les plaines, et notamment dans la plaine du Gange, des regards accusateurs se tournent vers l’amont. De fait, le rapport à leur milieu des paysans des montagnes, leurs modes de vie, d’aménagement des terres, de gestion des ressources, leurs systèmes techniques et sociaux peuvent être décisifs dans les équilibres du vaste système Himalaya/plaine du Gange, mais ils sont encore peu connus et leurs répercussions encore moins, n’autorisant guère à établir des relations de causes à effets. Pourtant ils ont été décriés au cours des trois dernières décennies à partir d’images commentées de façon univoque, et dont la portée dramatique est à la mesure de la fascination exercée par les paysages de cette région du monde.
La dégradation de l’environnement en Himalaya, une théorie discutable
3Dans les années 1970-1980 en effet, des images sensationnelles portant sur l’exploitation industrielle de forêts et sur des coupes à blanc sur les pentes de l’Himalaya indien ou chinois, sur des chemins de trekking traversant des secteurs déboisés et offrant un spectacle de désolation au Népal, sur des éboulements et glissements de terrain multiples, ont été largement diffusées. À l’appui, sous forme de cris d’alarme, des commentaires avançaient des explications : croissance démographique, pression humaine sur les milieux, déforestation, érosion accentuée par les pluies de mousson, irresponsabilité des paysans des montagnes... dégradation de l’environnement himalayen. Les dés étaient jetés et, pendant des années, ces témoignages et leurs interprétations ont alimenté les pires scénarios sur le devenir des milieux et de leurs populations2. Ils nourrissaient également les hypothèses de base des recherches menées dans cette région du monde à l’époque. Cependant, les premiers travaux approfondis confrontant ces présupposés aux réalités du terrain ont, pour la plupart, remis en cause ce raisonnement catastrophiste dont tout l’édifice se heurtait à une question essentielle, formulée notamment par le géographe népalais Harka Gurung en 1984 : quels étaient les hypothétiques grands équilibres naturels préalables à la dégradation des milieux ? Les résultats de nombreux chercheurs rejoignaient cette interrogation3. Ils estiment que peu de faits scientifiques sont solidement établis concernant cette région du monde et que les quelques rares études détaillées contredisent souvent les versions catastrophistes ou ne suffisent pas à prouver les hypothèses avancées. Seules sont avérées l’incertitude qui pèse sur les données himalayennes et leur complexité4. Une partie de ces travaux, qui portent pour l’essentiel sur le Népal, a été regroupée et synthétisée en 1989 par Ives et Messerli dans l’ouvrage Himalayan Dilemna. Les auteurs y montrent l’indigence et l’invalidité du scénario alarmiste évoqué précédemment, scénario qu’ils ont baptisé « Théorie de la dégradation de l’environnement en Himalaya » (encadré 1). Nous ne reviendrons pas ici sur tous les travers de cette théorie5, mais sur certains points qui ont conduit à réaliser le présent ouvrage.
4Malgré la remise en question de ce scénario depuis une quinzaine d’années, et bien que certaines études montrent aujourd’hui explicitement que « Les populations de l’Himalaya ne sont pas responsables des inondations au Bangladesh6 », il perdure puisqu’un rapport récent de l’ODA en reprend encore les termes7. C’est, d’évidence, qu’il justifie l’aide internationale, les importants budgets des programmes de développement et l’existence même de certains de ces grands programmes8. Or, on le sait, la façon dont un problème est formulé induit le type de réponse qui lui est apporté et un type d’action. Ainsi le gouvernement népalais, appuyé par des organismes internationaux, a entériné ce scénario de crise. Il l’a exploité pour mettre en place une politique conservationiste de protection de la nature, matérialisée par une mise en défens des forêts et par la création de parcs naturels. Par ces mesures, il entendait aussi (ou avant tout ?) restaurer ou préserver des paysages qui constituent, en eux-mêmes, une ressource sur laquelle repose une des principales industries du pays, le tourisme. En 2001, les aires protégées, sous contrôle de l’armée, couvrent près de 17 % du territoire népalais. Cette attitude n’est pas sans rappeler celle du gouvernement français à la fin du xixe siècle, quand les forestiers de l’État étaient à l’origine de discours catastrophistes sur la dégradation des milieux qui devaient ensuite justifier leurs actions de reboisement autoritaires et de mises en défens9. À l’époque, ces forestiers se sont heurtés aux partenaires d’actions locales de développement. La situation est finalement très proche aujourd’hui au Népal, et la définition d’un état de crise environnementale y soulève, comme dans bien d’autres régions dans le monde, un certain nombre de questions10 : quels sont les référents utilisés pour diagnostiquer une crise ? Quelle est la normalité par rapport à un état de crise ? Comment définir les ressources et quels sont ceux qui les qualifient et ont la possibilité de le faire ? Partant, quelles sont les échelles d’appréhension de la réalité ? Quels sont ceux qui décrètent les états de crise et éventuellement ont intérêt à le faire ? Quant à la conservation des paysages, elle suscite aussi de nombreuses interrogations qu’Yves Michelin notamment, résume ainsi : « lorsque l’on prétend protéger des paysages, il faudrait dire contre qui et contre quoi. Contre le temps qui passe ? Au nom de quelles valeurs ? [...] Veut-on conserver le paysage d’aujourd’hui ? Restaurer celui d’hier ou d’avant-hier ? En inventer un autre inédit pour demain ? Et pour être agréable à qui ? À une catégorie sociale particulière ? À des visiteurs qui revendiquent le droit de contempler de “beaux paysages” ? Aux habitants11 [...] » dont, dirons-nous, ils constituent le cadre de vie et qui les produisent ? Dans un texte sur « Les conceptions normatives du paysage », les auteurs, dans le même esprit, ajoutent : « Il y a une contradiction [...] à vouloir qu’une société actuelle fasse perdurer, autrement que comme objet de muséographie limité dans l’espace, un paysage qui était en équilibre avec une organisation sociale passée12. » Ces questions et réflexions rejoignent les problématiques actuelles du « développement durable » et du développement local qui sont au cœur des préoccupations environnementales et renvoient à quelques points de méthodologie sur lesquels nous reviendrons après avoir examiné plus précisément la situation himalayenne.
Encadré 1
La théorie de la dégradation de l’environnement en Himalaya
Joëlle Smadja
Analysée par Ives et Messerli (1989), elle tient en 8 points :
1. Les progrès dans le domaine de la santé et de la médecine ainsi que l’éradication de la malaria après 1950 ont entraîné une croissance démographique sans précédent.
2. Cette augmentation incontrôlée de la population aurait eu pour conséquence une demande grandissante en ressources arborées (bois de feu, de construction, fourrage) ainsi qu’en terres agricoles.
3. Il s’en serait suivi une déforestation massive qui aurait conduit à la perte de la moitié des réserves forestières du Népal de 1950 à 1980 et à la prédiction qu’il n’y aurait plus de forêts accessibles en 2000.
4. La déforestation sur des pentes de plus en plus fortes et marginales conduirait à une érosion catastrophique, à la perte de terres productives en raison de mouvements de terrain de plus en plus fréquents et à la perturbation du cycle hydrologique normal.
5. Par conséquent, le ruissellement augmenterait pendant la mousson, il se produirait des crues massives et des dépôts alluviaux dans les plaines, ainsi qu’une baisse des nappes phréatiques et un assèchement des sources en saison sèche.
6. Ces processus auraient des répercussions dans les plaines du Gange, du Brahmapoutre et dans le golfe du Bengale, provoquant des inondations dévastatrices.
7. La perte de terres agricoles serait à l’origine d’une déforestation encore accrue pour aménager de nouvelles surfaces à cultiver. La distance au bois de feu s’en trouverait de plus en plus allongée et sa récolte réclamerait plus de travail. Il y aurait donc diminution de la productivité du travail et utilisation de plus en plus fréquente de bouse séchée comme combustible pour remplacer le bois.
8. En conséquence, les terres agricoles seraient privées de fertilisant naturel, ce qui conduirait à une baisse des rendements et à une cohésion moindre des sols...
Un raisonnement biaisé reposant sur des mystifications
5Les régions himalayennes, et plus particulièrement le Népal qui a été fermé aux étrangers jusqu’en 1951, sont longtemps restées inexplorées13. Au tournant des années 1950, les seules connaissances portant sur les milieux népalais provenaient de la vallée de Katmandou. Pour le reste, des notes de voyage de rares explorateurs clandestins, des descriptions et mesures menées depuis l’Inde et des renseignements ponctuels de savants ou de personnels de l’armée britannique qui eurent le privilège de circuler sur quelques axes, étaient les seuls témoignages disponibles. Peu d’entre eux étaient publiés, les maigres données historiques n’avaient pas été exploitées et les recherches de terrain hors de la Vallée ne faisaient que débuter. Aussi les experts, chercheurs, touristes ou journalistes qui se sont rendus au Népal dans les premières décennies après son ouverture ne disposaient-ils que d’éléments limités pour interpréter les phénomènes observés, ce qui aurait dû les inciter à une grande circonspection. Or, à une période où l’information spectaculaire et le catastrophisme commençaient à s’imposer, il n’en a rien été14. Ne connaissant pas l’histoire des milieux de ce pays, ils en ont fait des milieux sans histoire. Leur référentiel a été ces années 1950 qui sont ainsi devenues « le temps zéro », le point de départ de tous les processus. Des observations très ponctuelles dans l’espace comme dans le temps ont été généralisées et seuls des critères d’évaluation occidentaux ont été utilisés, qu’il s’agisse des données sur les milieux, l’économie ou la démographie. Par conséquent, et faute d’admettre l’ignorance dans laquelle on se trouvait à l’époque, l’information a été complètement biaisée15. D’autant plus que, dès son ouverture, le pays a connu de très nombreux changements comme l’éradication de la malaria et le défrichement de la plaine du Téraï pour sa mise en culture, une forte croissance démographique, une déforestation importante le long des chemins de trekking, qui ont masqué tous les processus antérieurs. Ont ainsi été occultés l’instabilité constitutionnelle de la chaîne himalayenne, les épisodes catastrophiques séculaires, géologiques comme météorologiques, les étapes de l’utilisation des terres et notamment les grandes phases de déboisement des siècles précédents, etc.
6Plusieurs méprises sont à souligner, mais une remarque préalable s’impose. Si l’on convient que l’environnement est une science récente, un « champ de recherche en formation16 », il nécessite, comme pour toutes les sciences et pour ne pas prêter à tous les dogmatismes, que les poncifs soient remis en question, que les données soient toujours placées dans leur contexte et discutées, que le doute soit admis et fasse partie du raisonnement. Les politiques environnementales ne seront que meilleures si elles sont réellement informées. Aussi les mises au point suivantes ne visent-elles pas à minimiser de réels problèmes ou à idéaliser une situation, ce qui n’a pas lieu d’être, mais à contrebalancer des jugements et à relativiser des propos souvent trop hâtifs.
7– Il apparaît que la diversité des milieux n’a pas été suffisamment prise en compte. Elle a été gommée à l’échelle de l’Asie où les plus forts taux de déforestation sont relevés au Pakistan, aux Philippines, au Vietnam, en Malaisie et en Thaïlande, alors qu’au Bhoutan et au Népal ils sont moins élevés17. De plus, dans ce dernier pays, il est plus approprié d’évoquer une conversion agricole des forêts qu’une déforestation industrielle aux conséquences souvent désastreuses18. La diversité des milieux a également été négligée à l’échelle du pays lui-même. Des généralisations ont été établies à partir de quelques observations ponctuelles dans l’espace, alors que chaque nouveau site étudié en révèle l’originalité. Le déboisement des basses et moyennes montagnes, par exemple, est sans commune mesure avec celui, massif et récent, de la plaine du Téraï ou avec celui de la vallée de Katmandou qui est intensément exploitée depuis des siècles. Ni le Téraï, ni la Vallée, ne peuvent donc illustrer la situation de l’ensemble du pays. De même, les secteurs de trekking, dont les images ont nourri bon nombre de spéculations, ne constituent qu’une part infime du territoire népalais et ne sont guère représentatifs d’une situation générale. D’ailleurs, que sait-on de l’importance du bois coupé pour les touristes par rapport au bois prélevé le long des voies commerciales empruntées par des milliers de porteurs, commerçants et voyageurs pendant des siècles, ou utilisé pour fondre des minerais nécessaires aux armées, construire des palais et des temples...?
8– Le fait que des milieux instables puissent être en équilibre a été oblitéré. En effet, nombre de glissements, éboulements et ravinements de terrain, une des principales contraintes à l’aménagement des terres en Himalaya, ne sont plus décelables après quelques années, voire après quelques mois, comme ont pu le montrer des photos prises à différentes dates19. Une partie des phénomènes d’érosion, dont les causes initiales sont multiples et complexes, ont une réversibilité inhérente au climat subtropical de mousson, souvent sous-estimée ou méconnue des observateurs étrangers qui ont pour référence les montagnes occidentales. Quant à la dégradation des sols, E. Sander Van der Leeuw nous le rappelle : « [elle] est “normale” et inévitable. Elle a eu (et a) lieu partout où les êtres humains interagissent avec leur environnement naturel. Mais la perception de la dégradation s’est transformée. On a inventé et “négocié” un vocabulaire pour parler, non plus de dégradation ou de transformation, mais de destruction. Par voie de conséquence, ce processus est devenu plus perceptible. Ainsi a-t-on fini par se focaliser sur la destruction. Il est donc aujourd’hui important d’ôter le “stigmate” destructeur qui s’attache à la dégradation, tant pour le public que dans les domaines politique et scientifique20. » Par ailleurs, et sans sous-estimer bien entendu les dégâts occasionnés par les processus d’érosion, il a été montré que, dans certains cas, des paysans népalais peuvent utiliser l’instabilité des terrains, voire la provoquer eux-mêmes afin de rajeunir les sols et d’en accroître la fertilité21. L’environnement n’est plus alors considéré uniquement comme une entité fragile menacée par l’agriculture22.
9– D’un point de vue temporel, si l’on estime qu’un milieu est dégradé, il ne peut l’être que par rapport à un état antérieur tenu pour meilleur. Prévaut alors le mythe d’un passé magnifié contre lequel Jean-Marie Legay (2000) met en garde : « l’environnement passé serait meilleur que l’environnement présent et lui sert de référence en cas d’évaluation. Comme si le mythe du paradis terrestre originel continuait à fonctionner, au pas à pas, de façon plus discrète, dans l’histoire récente. » Il nous faut alors revenir à la question essentielle : quel est cet état antérieur au Népal ? Quel serait ce Népal non dégradé, idéal, stable ? Une simple incursion dans les quelques témoignages historiques rapportés par les explorateurs du siècle passé permet de relativiser les propos et de déplacer le débat. Un des textes les plus intéressants à cet égard est celui de Hoffmeister (1848) livrant des observations faites en 1845. Ses descriptions nous offrent d’excellentes images de l’état des versants à l’époque. Elles sont d’autant plus utiles à nos recherches qu’elles concernent des circuits proches de la vallée de Katmandou, dont certains ont servi d’exemple aux tenants de la « théorie de la dégradation de l’environnement en Himalaya ».
10Du parcours qui mène d’Hetaura (au nord du Téraï) à Katmandou, il écrit23 :
Nous avons suivi la crête pendant quelque temps, progressant vers le nord-ouest et avons ainsi pu observer le contraste marqué entre les versants exposés au nord et ceux exposés au sud et à l’est. Les deux derniers sont déserts et sans arbres, alors que les premiers sont couverts de belles forêts. [P. 217.]
11En note, il ajoute que le botaniste J.F. Royle24 fait allusion à ces traits particuliers de l’Himalaya comme l’une des difficultés à définir précisément l’étagement des versants. Il cite Royle :
Une autre difficulté vient aussi de la grande différence de végétation entre les faces nord et sud pour une même chaîne de montagne, si bien que fréquemment une ligne au sommet de la crête sépare la végétation luxuriante arborée ou buissonnante de la face nord, de l’aspect brun, désertique ou herbeux des pentes exposées au sud. Cette différence peut être attribuée en partie à la plus grande profondeur des sols sur la face nord ; mais surtout, je pense, à l’influence moindre des rayons du soleil sur ces dernières qu’en face sud. [Ibid.]
12En 1880, Oldfield tient des propos identiques. L’aspect dénudé de certains versants népalais, qui relève d’une façon assez classique d’une opposition adret/ubac, ne résulte donc pas obligatoirement d’une déforestation intempestive récente associée à la croissance démographique, comme le laissent supposer certains clichés aux légendes tenaces.
13Hoffmeister atteste également que si le Téraï est occupé par une forêt dense, le pourtour de Katmandou est déboisé et intensément cultivé25.
14Il dépeint ensuite Chitpoor et les alentours du col de Kaulia (dans les montagnes au nord-ouest de Katmandou) :
Partout l’agriculture a pris complète possession des terres, jusqu’à la disparition totale de toute forêt ; même à une grande altitude, au col de Kaulia, nous trouvons des terres cultivées, toujours façonnées en terrasses. L’ensemble du versant exposé à l’ouest de la chaîne de collines de Darumtalla est abondamment approvisionné en eau, des sources et ruisseaux nombreux gazouillants en toute part, alors que l’absence d’arbres aurait fait supposer a priori le contraire [...]. [P. 236.] Les terrasses sont ici construites même au-dessus de précipices et de profonds ravins. Dans de nombreux endroits les terrasses sont trois fois plus hautes que larges [...]. |P. 239.]
15Il signale enfin, de façon très instructive, que le seul combustible utilisé dans les villages traversés est la bouse séchée :
On trouve ici des quantités considérables de cuivre et de fer et j’ai observé des dépôts de scories dans de nombreux endroits. Il est étonnant que la bouse soit ici utilisée comme combustible pour fondre le minerai alors que le bois qui pourrait servir à cet usage ne manque pas. [P. 218.]
[À Baloo Tadi il décrit : ] un four de potier en plein air dans lequel des jarres à eau, modelées dans une belle argile micacée, allaient être cuites au-dessus d’un feu nourri avec le combustible favori du Népal : la bouse26 [...]. [P. 240.]
16Ces propos, tenus en 1845, obligent à reconsidérer l’interprétation des données avancées dans la « théorie de la dégradation de l’environnement en Himalaya » (voir l’encadré 1).
17En fait, plusieurs études sur la déforestation au Sichuan et au Yunnan27, au Népal en général28, et dans le Khumbu en particulier29 – qui s’appuient sur des textes, sur la comparaison de photos ainsi que, dans le cas de Byers, sur des analyses polliniques et datations au carbone 14 –, montrent que les coupes d’arbres décriées depuis les années 1970 font partie de longs cycles, séculaires, de déforestation et reforestation.
18– Il s’avère également que l’utilisation et la gestion des milieux ne peuvent être étudiées que sur un cycle au minimum d’un an, au cours duquel temps de la nature et temps des activités humaines se rejoignent et donnent sens aux observations. De plus, temps et espace en Himalaya ne peuvent s’apprécier qu’à l’aune de leurs perceptions et représentations par les sociétés locales. Ainsi par exemple, pour les Népalais, l’année est caractérisée par l’opposition entre une saison « descendante » et une saison « montante30 » qui se traduit dans les activités sociales, religieuses et agricoles. La saison « descendante », qui englobe les quatre mois de la mousson, correspond à une période néfaste, sombre, de catastrophes, de désordres, au cours de laquelle les démons l’emportent sur les divinités protectrices du territoire. Elle se caractérise par une activité agricole intense, par des maladies des hommes comme du bétail. Dans le milieu physique, elle est marquée par une érosion importante. Des rites spécifiques sont effectués pour conjurer le mauvais sort. Puis l’ordre est rétabli, dans l’espace comme dans les esprits, au cours de la saison « montante ». Celle-ci est associée à une période faste, de bon augure. Les démons sont expulsés du territoire que les hommes, avec l’aide des divinités protectrices, se ré-approprient. Commence alors un travail de restauration des terrains : réfection des terrasses, des canaux d’irrigation et des chemins, réparation des ponts..., une maintenance cyclique nécessaire au bon fonctionnement de la société : « Chaque cycle représente une évolution de l’ordre vers le désordre jusqu’au chaos, avant la régénération qui marquera le début d’un nouveau cycle31. » N’observer que les dégâts occasionnés par la mousson, c’est ne percevoir qu’un volet du fonctionnement des systèmes népalais. C’est ne pas prendre en compte l’activité humaine permanente de restauration de ces milieux naturellement instables32.
19– Le référent est aussi trompeur s’il n’est pas local. C’est le cas par exemple quand l’indice de pauvreté est fondé sur le produit national brut qui exclut toute l’économie de subsistance, laquelle prévaut pourtant dans les montagnes himalayennes, ou lorsque, en évoquant une forte pression démographique sur des milieux instables, on oublie que leur maintenance dépend d’une importante main-d’œuvre et que les familles nombreuses constituent aussi une stratégie pour limiter les risques33. On peut se demander en fait si nous ne sommes pas ici en présence d’une crise des modèles de référence plutôt que d’une crise environnementale. Et nous pouvons rejoindre – sans pour autant, répétons-le, sous-estimer de réels problèmes qui paraissent plus politiques, économiques et sociaux qu’environnementaux, tout au moins tels qu’ils ont été définis jusqu’à présent – ce que Joël Bonnemaison a écrit sur les « gens de Tanna » : « L’abondance d’un côté, la pénurie de l’autre, le contraste est grand entre la richesse de l’homme de Tanna dans son environnement traditionnel et sa pauvreté, si on cherche à le situer dans le cadre de l’économie extérieure et de ses biens marchands34. »
20Bref, les présupposés et les idées reçues concernant les régions himalayennes ne manquent pas. Nous ne traiterons pas ici de tous ces thèmes, mais ils apparaîtront en filigrane dans plusieurs textes.
La nécessité d’un contexte spatial, temporel et culturel
21Partant de ce constat, notre objectif dans cet ouvrage a donc été de montrer la grande complexité de la réalité himalayenne, la diversité des situations, de resituer nos observations dans leur contexte, d’apporter des connaissances permettant de comprendre ce que l’on voit pour pouvoir interpréter les changements en cours et pour formuler autrement certaines questions d’environnement. Nous n’évoquerons pas ici d’importants problèmes concernant la pollution de l’air ou de l’eau dans les villes, ni les risques liés à de grandes constructions comme les barrages par exemple. Nous n’aborderons que les relations au milieu des populations rurales montagnardes (nous avons exclu, de fait, la plaine indo-gangétique du Téraï), sur lesquelles nos études portent depuis de nombreuses années et qui sont mises en cause dans la « théorie de la dégradation des milieux himalayens ». Les connaissances présentées proviennent d’échanges entre chercheurs de différentes disciplines, d’un important travail de terrain et du dépouillement d’archives.
22Appréhender des questions relatives à l’environnement de l’homme et des sociétés en Himalaya nous a poussés à utiliser comme moyen d’analyse le paysage et en corollaire, pour l’interpréter, à réunir une équipe multidisciplinaire35.
Le paysage comme approche des questions d’environnement
23Le paysage, utilisé uniquement pour ce qu’il donnait à voir et coupé de tout contexte, a joué un rôle moteur dans les politiques environnementales en Himalaya. De ce fait même, il nous a paru opportun de le considérer, mais de façon différente, en postulant qu’il est trompeur, et ne saurait être le simple reflet des pratiques de la société, mais que son analyse permet d’accéder à nombre d’informations sur la société et sur ses rapports aux milieux36. Il acquiert toute sa valeur dans une étude intégrée et comparative confrontant une multiplicité de regards sur des images du pays, si possible à différents intervalles de temps, afin d’en apprécier la diversité ainsi que la fixité ou l’évolution.
24Aussi, le paysage, terme polysémique s’il en est, est-il ici considéré comme le produit, le résultat, à un moment donné, de l’utilisation de l’espace et de la gestion des ressources par une population, en fonction des données physiques du milieu, des représentations que la société se fait de celui-ci, de ses valeurs culturelles et sociales, de son histoire politique, économique et technique, de ses besoins. Il est « une mémoire, un palimpseste, mais aussi une scène où se déroulent les pratiques en temps réel37 ». Il est tenu, dans cette acception, pour l’expression visuelle d’un territoire, ou tout au moins d’une portion de territoire, et pour le « lieu d’une lecture des processus de constitution et d’organisation des savoirs du territoire38 ». À travers le paysage, nous tentons ainsi d’accéder à certains savoirs sur le territoire et, partant, de mieux apprécier les questions d’environnement.
Différents savoirs pour traiter du paysage
25Si le paysage a constitué un moyen d’analyse et de connaissance, il a aussi été un support d’interdisciplinarité. En effet, le lien intime qui existe dans cette région du monde entre les populations (leur mode de vie, leurs pratiques, leurs rituels religieux) et la nature impliquait une association étroite entre les disciplines travaillant sur les milieux et celles qui traitent des sociétés.
26L’interdisciplinarité a été pratiquée à plusieurs niveaux. Elle a pu être simplement communication, parfois partage. Elle a été effective lors de terrains étudiés en commun qui ont permis de comprendre les approches des uns et des autres et, dans tous les cas, lors de réunions entre chercheurs de différentes disciplines sur un même sujet. Elle se traduit dans cet ouvrage par des textes rédigés collectivement ou, pour ceux écrits individuellement, par une prise en compte des discussions collectives. En fonction de leur discipline, de leur formation et de leur expérience, les chercheurs ont abordé différemment les paysages himalayens, mais chacun, à sa façon, apporte un éclairage nouveau sur des questions d’environnement. Ainsi, par exemple, l’expression hāvā pārtī, employée par les Népalais pour désigner leur milieu de vie et qui signifie « le vent (ou l’air) et l’eau », prend toute sa dimension à la lecture des contributions de Marie Lecomte-Tilouine (chapitre v) et d’Olivier Dollfus et Monique Fort (chapitre III). Le concours d’étudiants et de chercheurs statutaires, de Français et de Népalais, de multiples intervenants de disciplines diverses ayant rarement la possibilité de participer à un projet commun, conduit à une hétérogénéité certaine dans l’appréhension des processus et dans l’écriture. Nous espérons que ce « revers » de l’interdisciplinarité ne nuira pas à la lecture de ce livre, mais au contraire témoignera de la richesse des différents regards nécessaires à ce type d’entreprise.
27Un grand nombre de compétences a donc été mobilisé pour ce travail. Toutefois, les finalités du forestier n’étant pas celles de l’agronome, du géomorphologue ou de l’ethnologue, il convenait que dans les différentes approches, ni l’homme, ni les données du milieu ne soient occultés, qu’aucun déterminisme non plus ne s’impose a priori. Pour comprendre les paysages et leurs changements, seuls certains apports de ces disciplines étaient nécessaires et des pans entiers des recherches n’ont pas été restitués dans cet ouvrage. L’homme est resté au centre des préoccupations et les objets étudiés n’ont pas été uniquement écologiques, géomorphologiques, naturels, « des choses en soi », mais des ressources, des contraintes, des atouts, des risques... « impliquant toujours une double référence à l’en-soi de la nature et au pour-soi de l’humanité39 ». Les pâturages, les forêts, l’arbre, l’eau, sont alors considérés d’un point de vue environnemental, c’est-à-dire comme « des objets naturels socialement investis40 ». Une phrase de Jack Westoby résume l’esprit de ce travail : « Forestry is not about trees, it is about people. And it is about trees only in so far as trees can serve the needs of the people 41. »
28Cette démarche n’est pas sans conséquences car c’est alors la définition même de la ressource et le regard porté sur les objets de la recherche qui sont en jeu. Un exemple, au cœur de nos travaux, est à cet égard très édifiant. En effet, alors que certains observateurs, experts ou scientifiques accordent à la forêt toutes les vertus, y compris celle d’être l’unique ressource énergétique fournissant bois et fourrage, et par conséquent voient dans la reforestation le seul remède à tous les maux, de nombreux villageois, eux, désignent l’arbre pour remplir ces fonctions. Et, de fait, la plantation ou la préservation d’arbres dans les secteurs cultivés à proximité des exploitations – dont la production remplace celle qui provenait auparavant des forêts – constitue l’un des principaux changements survenus dans les systèmes agraires. Elle a conduit à l’une des transformations majeures des paysages himalayens, et plus particulièrement népalais, au cours des dernières décennies. L’initiative en revient aux villageois, même si, depuis quelques années, des actions incitatives sont menées par le gouvernement dans ce sens. Ce constat nous renvoie à la complémentarité indispensable entre savoir local et savoir des chercheurs42, et à la nécessité de recherches qui ne soient pas uniquement interdisciplinaires mais qui intègrent, toutes, les savoirs locaux (figure 2) . Il nous renvoie également au choix d’une échelle de travail, entre une échelle globale qui est plutôt du champ des experts et souvent coupée des besoins des populations et une échelle locale qui permet de produire des connaissances intégrant celles des communautés villageoises. De plus, passer de la forêt à l’arbre n’équivaut pas à un simple changement d’échelle, la focale n’est pas la même et les résultats obtenus sont différents. Ces quelques éléments de réflexion rejoignent les problématiques de la micro-histoire43 et du développement local. Or il apparaît que le « développement durable », objectif principal des programmes relatifs à l’environnement des hommes et des sociétés44, dépend étroitement d’un développement local qui intègre les projets et les besoins des sociétés45. Aussi au cours de ce travail avons-nous varié les échelles d’observation lorsque cela était possible, de la chaîne himalayenne au pays, à la région et à des exemples locaux, mais l’échelle locale a toujours été privilégiée46. Dans ce cadre, le toponyme – intégrant à la fois des données physiques, historiques, socio-économiques, religieuses et permettant en partie d’accéder aux savoirs des populations locales sur leur territoire et leur paysage – a constitué une unité de base dont l’analyse a permis d’aborder plusieurs terrains présentés dans ce livre.
Multiplicité des sites, enquêtes de terrain, dépouillement d’archives
29Aujourd’hui encore, les ouvrages synthétiques sur les milieux himalayens sont rares et ne concernent que certaines disciplines, seules des monographies éparses sont disponibles. Nous savons si peu de choses de ces milieux qu’à peine sommes-nous capables de les définir. Nous avons donc d’abord procédé à une « mise à plat » des connaissances, étape qui nous a semblé indispensable à toute avancée dans les travaux sur cette région du monde. Cet ouvrage pose ainsi les bases à l’acquisition de nouvelles connaissances. À cette fin, les très nombreuses enquêtes de terrain menées au Népal (figure 3) et au Ladakh ont été d’un grand recours. À l’exception du village de Masyam qui a été choisi spécifiquement pour ce projet – et dont l’étude est présentée en fin d’ouvrage, car il est particulièrement démonstratif de notre démarche –, les autres terrains correspondent à ceux sur lesquels travaillaient déjà les chercheurs impliqués dans le programme. Les textes traitant du Ladakh, peu nombreux car deux chercheurs seulement y ont mené des investigations, apportent un contrepoint représentatif du versant nord de la chaîne. Si les milieux y sont différents de ceux retenus pour le Népal, dans les basses et moyennes montagnes, les similitudes ne manquent pas et autorisent les comparaisons.
30Notre quête a aussi été de rechercher des bribes d’histoire qui permettent de donner un sens aux observations actuelles, d’éviter de prendre pour innovations de simples ajustements ou évolutions, ainsi que d’apprécier les temps longs et courts de la nature et ceux de l’histoire des hommes. Toutefois, contrairement à l’histoire dynastique qui est bien documentée, les témoignages historiques relatifs aux milieux sont rares, enfouis dans des archives de nature et de qualité très diverses, et il faut souvent les retrouver en filigrane au détour d’une phrase. Les sources utilisées dans cet ouvrage étaient soient inédites, soient n’avaient guère été exploitées pour les informations qu’elles recelaient sur les milieux. Les renseignements apportés par les explorateurs et scientifiques étrangers aux siècles précédents ont été recueillis au cours de longues investigations, essentiellement dans les bibliothèques londoniennes. D’autres documents ont été, pour la plupart, récoltés sur le terrain ou dans les archives népalaises regroupées à Katmandou. Il s’agit notamment de législations établies au cours des siècles, soit par les autorités administratives, soit par les propriétaires de terres, qui fournissent des indications sur l’état et la gestion des terres et des ressources, ainsi que de quelques textes religieux qui mentionnent des rituels dans lesquels certaines céréales sont utilisées. Très discontinues, les données historiques sont malaisées à exploiter et doivent toujours être critiquées – le travail historique sur les séismes, effectué par Mahés Raj Pant47, illustre la difficulté à utiliser les matériaux népalais sans se perdre dans les différentes transcriptions, ou dans le dédale des multiples calendriers et de leur conversion –, cependant leur recoupement permet des avancées notables dans la connaissance de l’évolution des milieux himalayens. Par ailleurs, en tenant compte de ce qui précède, on comprendra à quel point des observations menées même à quelques années d’intervalle prennent toute leur importance. C’est pourquoi nous avons privilégié des études diachroniques lorsque cela était possible.
31En raison de l’ampleur de la tâche que nous nous sommes assignée et des compétences disponibles, des domaines importants de recherche n’ont pu être abordés. L’étude du foncier, par exemple, en rapport avec l’utilisation des terres et la gestion des ressources reste entièrement à mener. On suppose qu’elle pourrait éclairer bien des points de l’analyse des paysages. C’est un des thèmes à développer dans les années à venir.
Le déroulement de l’ouvrage
32Un détour historique préalable montrant que le Népal est resté un « royaume inconnu » jusqu’aux années 1950 (Joëlle Smadja) permet d’apprécier l’étendue des recherches encore à accomplir et la prudence avec laquelle il convient de les appréhender.
Éléments de cadrage. Des milieux instables souvent densément peuplés
33Décrire, nommer et définir des paysages, examiner quelques éléments naturels susceptibles de les structurer et quelques paramètres démographiques pouvant apporter un éclairage sur leur diversité ou sur leur évolution, en bref procéder à une « mise en place des images », tel a été l’objet de la première partie.
34Deux textes, un sur le Népal (Joëlle Smadja) et l’autre sur le Ladakh (Pascale Dollfus et Valérie Labbal), présentent une typologie des unités géographiques et des paysages, de l’échelle de la région à celle de la parcelle. Les dénominations de ces unités, recueillies par l’ensemble des participants au programme, sont répertoriées, définies et discutées. Au Népal, une grande diversité terminologique traduit la variété des milieux et des populations. Mais la multiplicité des termes et des définitions pour les mêmes unités, qu’elle émane des textes scientifiques népalais comme étrangers, ou qu’il s’agisse d’expressions locales, révèle également une grande imprécision dans le vocabulaire employé et un état des connaissances très approximatif. Comparativement au Népal, la grande homogénéité climatique, biogéographique, mais aussi ethnique du Ladakh peut expliquer le faible nombre d’unités de paysage relevées et leur grande stabilité dans l’ensemble de la région. Quelques termes, empruntés au tibétain, sont communs aux Ladakhi et à certaines populations tibéto-birmanes du Népal comme les Tamang.
35Puis Olivier Dollfus et Monique Fort mettent en évidence les données physiques, les éléments structurants, les « invariants » des milieux qui donnent le cadre dans lequel s’inscrivent les activités humaines. Il s’agit d’atouts et de contraintes, de risques, qui influencent les pratiques. Les sociétés himalayennes sont confrontées, dans l’utilisation de leurs milieux, à l’instabilité de la chaîne en surrection, à un climat subtropical à caractère continental très contrasté, à un étagement bioclimatique qui joue un rôle dans les modes d’utilisation des terres, à des oppositions de versants qui tiennent une grande part dans les disponibilités en eau ainsi que dans la répartition de l’habitat et des cultures. Pour importants qu’ils soient, ces paramètres n’interviennent toutefois que pour partie dans la compréhension des paysages. Nous ne les considérons pas comme déterminants in fine, puisqu’une diversité des paysages est observée dans des conditions bioclimatiques semblables. Une des préoccupations qui apparaît dans l’ensemble des textes qui suit a été d’examiner comment les populations ont intégré et se sont approprié ces particularités pour utiliser les terres et gérer les ressources.
36De l’examen des densités de population à l’échelle de l’arc himalayen, réalisé par Philippe Ramirez, il ressort qu’au-dessus de 3 000 mètres elles sont faibles partout, mais qu’en revanche, sous cette altitude, et même au-dessous de 1 000 mètres, les situations sont très variables. Dans des régions entièrement rurales du Népal central, où ont porté nombre de nos observations, la densité de population est particulièrement forte, et plus encore celle au kilomètre carré exploité, qui est l’une des plus élevées au monde. L’émigration y est aussi importante depuis des siècles, ce qui peut expliquer un manque de main-d’œuvre disponible pour les travaux agricoles et, éventuellement, le moindre façonnement des pentes en terrasses. Un des points étonnants mis en évidence par cette étude est la relation, dans l’ouest du Népal, entre les Indo-Népalais de haut statut et l’élevage, alors que l’on associe plus fréquemment ces populations à la riziculture qu’elles auraient introduite dans le reste du pays en même temps que la culture irriguée en terrasses. Enfin, la démographie croît plus, actuellement, dans la plaine du Téraï qu’en moyennes montagnes et, d’ici quelques années, la population népalaise sera majoritairement une population de plaine. Il faudra alors reconsidérer les questions de pression démographique sur les milieux.
Perceptions et représentations des milieux
37Une fois mis en place ces éléments de cadrage, dans une deuxième partie nous examinons à partir de quelques exemples comment les données des milieux sont combinées avec « le vouloir » des populations pour créer des territoires et produire des paysages. De la crête à la rivière et sa confluence, au chemin, chaque élément du paysage, pour les populations qui l’ont construit, est porteur d’une signification qui échappe à un regard extérieur ou à une première lecture, ainsi que de valeurs particulières très prégnantes dans les modes de mise en œuvre et d’utilisation de la nature et de ses ressources.
38Dans un premier texte, Marie Lecomte-Tilouine montre que le paysage népalais constitue une véritable exégèse du pays, dont la connaissance cristallise l’identité des communautés et ancre le pouvoir du groupe sur le territoire. La perception religieuse du pays donne forme au monde des paysans. Les divinités le modèlent, le détruisent, s’y manifestent. Les hommes, eux, ne s’adonnent à aucune activité artistique plastique et n’expriment pas non plus d’appréciations esthétiques quant au paysage qui les entoure. En revanche, ils mettent en valeur certains sites naturels, les séparant du reste du monde, et décryptent les signes divins qui leur sont donnés à voir dans la nature.
39Un des modes d’appropriation des espaces étant de les nommer, dans deux autres textes la toponymie est examinée afin de comprendre ce que les populations reconnaissent et sélectionnent et la façon dont l’espace et les milieux, devenus territoires, sont perçus et donc vécus.
40Une lecture du territoire et du paysage des Tamang de Salmé, qui s’appuie sur une cartographie figurée des toponymes (Joëlle Smadja), révèle un espace à risque qui recoupe et en même temps diffère de celui qui peut être identifié en ne tenant compte que des données physiques du versant. Outre une opposition entre le milieu forestier, peu nommé et redouté, et le milieu cultivé soigneusement agencé où les toponymes sont nombreux, il apparaît que les populations ont enregistré les phénomènes physiques se produisant sur leur versant. Elles craignent et vénèrent des divinités ophidiennes facilement irritables, censées jalonner les secteurs instables et provoquer des mouvements de terrain si des arbres sont coupés, ou des rochers sont déplacés, dans leur lieu de résidence. L’étude des toponymes renseigne également sur les ressources sélectionnées par les villageois, sur les espèces végétales les plus recherchées, ainsi que sur celles qui ont disparu. Par ailleurs, l’origine et l’identité des différents groupes de population sont inscrites dans le territoire. Des lieux fondateurs permettent de retracer l’histoire de l’occupation du versant et des noms de lieux, ainsi que des « géosymboles », témoignent des déplacements toujours continuels de cette population aujourd’hui sédentaire.
41Dans deux oasis du Ladakh étudiées par Pascale Dollfus et Valérie Labbal, l’analyse sémantique des toponymes relatifs aux espaces pâturés et cultivés souligne l’importance accordée par les Ladakhi au visible, à ce que l’œil perçoit, par opposition au non-visible, relevant de l’histoire et des croyances locales. Elle révèle aussi une lecture utilitaire, pragmatique, du territoire : des montagnes repérées comme « bornes solaires », des grottes perçues comme « abris », des vallées nommées en fonction des ressources qu’elles offrent. Au contraire des oronymes aussi nombreux que divers, les hydronymes sont numériquement pauvres. Curieusement, la religion qui, pourtant, imprègne les moindres actes de la vie n’apparaît guère dans la toponymie, à l’exception notable des noms de monastères, ermitages et constructions bouddhiques. Cette situation est diamétralement opposée à celle qui prévaut dans les hauts lieux censés avoir été révélés par des maîtres tantriques et sanctifiés par la venue de grands méditants, où le divin s’inscrit concrètement dans la toponymie, comme dans le paysage.
42Enfin, dans un texte portant sur le « partage du territoire entre chrétiens et hindous », Lucile Viroulaud explique comment, dans un village Magar, un groupe récemment converti au christianisme a utilisé, pour son implantation, les représentations que les Magar se font de leur milieu et comment sa présence a conduit à une division spatiale du territoire entre les deux communautés religieuses. Nous retrouvons ici le territoire comme « fondement géographique de l’identité » tel que le caractérisait Joël Bonnemaison (1997).
Données historiques sur l’utilisation des terres et la gestion des ressources
43Afin de comprendre les changements observés aujourd’hui, la troisième partie aborde les grandes étapes de l’évolution des paysages en fonction des mouvements de population, d’événements, de lois, de discours. La part des différents acteurs dans les prises de décision concernant l’utilisation des terres et la gestion des ressources naturelles est mise en valeur.
44Depuis des siècles, et aujourd’hui encore, une grande partie des paysages himalayens sont façonnés par les agriculteurs. Les archives dépouillées jusqu’à présent ne permettent guère d’établir une histoire précise des pratiques agricoles, mais elles fournissent des informations sur l’introduction des différentes espèces et variétés cultivées qui ont, chacune à leur tour et à leur façon, contribué à l’évolution des paysages. D’où l’intérêt du texte « Les cultures à l’épreuve du temps, esquisse d’une histoire de l’agriculture en Himalaya » élaboré par Pascale Dollfus, Marie Lecomte-Tilouine et Olivia Aubriot, longue contribution regroupant des données sur le Ladakh, le Népal et une vue d’ensemble sur l’Himalaya. Pour traiter de la période historique, deux terrains ont été privilégiés : la vallée de l’Indus au Ladakh et celle de Katmandou au Népal. À partir de documents parfois inédits, les auteurs présentent les différentes étapes de l’histoire de l’agriculture – notamment, l’introduction du maïs et de la pomme de terre –, et s’interrogent sur les conséquences de leur adoption. Parallèlement, ils retracent l’abandon de certaines productions comme le riz sec et le déclin de céréales comme le sarrasin et le millet. Une attention particulière est portée aux mythes d’introduction des nouvelles cultures ou techniques.
45D’après des documents administratifs népalais des xviiie et xixe siècles analysés par Philippe Ramirez, il s’avère que l’érosion des terres, notamment celles consacrées aux rizières, la coupe de certains arbres, ainsi que les prélèvements en forêt, étaient déjà des préoccupations faisant l’objet de politiques que l’on appellerait aujourd’hui environnementales – de nombreuses espèces arborées étaient reconnues comme des richesses et étaient protégées. Par ailleurs plusieurs textes témoignent qu’à l’époque, les dirigeants rêvant d’un « Népal populeux et irrigué » ont incité les populations à augmenter les surfaces cultivées. Toute terre abandonnée, non cultivée, était soumise à des amendes très élevées, voire confisquée. L’auteur met ainsi en valeur le rôle de l’État népalais dans la transformation des paysages.
46À partir de « titres de terre » remontant au xviiie siècle et recueillis auprès de communautés villageoises de l’est du Népal, Bruno Muller analyse, dans la contribution « L’espace sauvage en Khimti », les règlements et conflits relatifs à la gestion des pâturages et forêts. Il montre qu’avant 1950 des réglementations, souvent sollicitées par les populations elles-mêmes, régulaient les rapports de l’homme à la forêt comme aux pâtures et imposaient des limites à la liberté de prélèvement. Il apparaît que les actuelles mesures locales et communautaires relatives à la gestion des pâtures et forêts, qui pourraient être interprétées comme une innovation, ne correspondent en fait qu’à une restauration de pouvoirs aux populations après une quarantaine d’années d’autoritarisme étatique.
47Enfin, Blandine Ripert, Isabelle Sacareau. Thierry Boisseaux et Stéphanie Tawa Lama retracent les différentes étapes de la gestion des ressources et des politiques environnementales depuis 1950 : l’ouverture du Népal à un nouveau contexte international, l’arrivée des touristes sur le territoire, les premiers pas dans la protection de la nature avec la création de parcs et réserves naturels, la multiplication récente des ONG impliquées dans la gestion et la protection de l’environnement. Les auteurs se sont particulièrement intéressés aux différentes conceptions de l’environnement, aux divers discours – ceux de l’élite rurale (notamment les forestiers) ou urbaine, des nouveaux partis politiques, des scientifiques, ou ceux des tenants du « développement durable » au niveau international –, ainsi qu’aux modes de diffusion de ces discours par l’intermédiaire de l’école, de la radio, des ONG, de conférences, de la presse... Il en ressort que, parée d’une grande légitimité, la protection de l’environnement permet à de nouveaux pouvoirs de s’exprimer : les anciens pouvoirs religieux sont remis en cause et il arrive que des jeunes captent ainsi le pouvoir local ; le gouvernement peut bénéficier de financements internationaux, accentuer son contrôle et déplacer des populations entières lors de la création de parcs naturels, etc.
Des pratiques locales actuelles, entre choix et contraintes
48En tenant compte des éléments de cadrage, des perceptions et représentations des milieux et des facteurs historiques de la production des paysages, il est montré dans cette dernière partie que les pratiques locales actuelles se trouvent confrontées à différentes logiques. Partout des changements se produisent, mais certains sont subis, d’autres sont initiés par les villageois, et tous ne répondent pas aux mêmes attentes. Les discours des « anciens » et des « modernes » s’affrontent, ceux des gouvernants et des gouvernés également. De nouvelles causes de litige apparaissent. Dans les villages, des groupes prennent en main les problèmes d’environnement qui deviennent alors des cristallisateurs ou révélateurs de conflits.
49Deux textes traitent de la gestion des ressources à la périphérie et au sein des parcs naturels. Celui de Satya Shrestha porte sur la gestion conflictuelle des ressources en bordure du parc national de Rara dans le nord-ouest du Népal, parc très peu fréquenté par les touristes. Elle explique comment la création de ce parc, en excluant les populations du secteur protégé, a en fait contribué à une déforestation et à une surexploitation importante des terres à son pourtour, qui se sont ainsi dégradées, à une diminution des troupeaux et, au final, à une paupérisation de la population. Celui d’Isabelle Sacareau concerne la Modi Khola, première région de trekking du Népal. Elle montre que l’ACAP, Annapurna Conservation Area Project, ONG népalaise créée en 1986 et financée largement par des organisations internationales de protection de la nature, marque pour la première fois au Népal la volonté de mener une expérience de « développement durable » fondée sur la gestion participative des ressources naturelles et sur la protection de l’environnement par les sociétés locales. Il s’avère que la réglementation de l’ACAP, en imposant un certain nombre de contraintes aux populations, les conduit paradoxalement à transformer les paysages, alors que le nouveau cadre réglementaire dans lequel cette action s’inscrit s’appuie sur des discours plutôt conservatoires. L’esthétique des paysages apparaît nettement dans les préoccupations environnementales de l’ACAP, mais une ambiguïté réside dans le fait que là où la coupe de bois est interdite, c’est le ciment, le parpaing, la tôle ondulée qui font leur apparition. Se pose alors la question de savoir quel paysage protéger.
50Les contributions suivantes ne concernent pas les parcs naturels mais montrent les effets des changements récents dans la gestion des ressources.
51Blandine Ripert dépeint comment, à la suite d’une série de transformations agricoles, l’organisation du versant de Salmé, dans les moyennes montagnes népalaises, a été modifiée aboutissant au morcellement et à la privatisation de l’espace, tandis que des structures d’encadrement ont été mises en place pour assurer une gestion collective des forêts. Depuis quelques années, le savoir empirique des anciens est remis en cause et ce sont les jeunes gens ayant été scolarisés qui légifèrent en matière d’environnement et de gestion des ressources. Grâce à leur maîtrise de la lecture et de l’écriture, ils ont acquis un nouveau pouvoir qu’ils imposent à tous. Un de leurs rêves, dont ils ne mesurent guère les conséquences, est l’insertion de leur territoire dans le périmètre d’un parc.
52En présentant le cas des Balami, des bûcherons de la vallée de Katmandou aujourd’hui privés de forêt, Gérard Toffin soulève le problème d’un groupe de population spécialisée, pour lequel l’abandon progressif de la coupe et de la vente de bois, une activité qui n’a pas été réellement remplacée, a aggravé une situation antérieure qui était déjà difficile. Ce groupe fortement structuré autour de la forêt, que ce soit dans ses activités économiques ou dans ses croyances religieuses, se trouve aujourd’hui déstabilisé et peine à trouver un moyen de reconversion.
53Enfin, pour clore cet ouvrage, les recherches menées dans le village de Masyam, exposées par Tristan Bruslé, Monique Fort et Joëlle Smadja, recoupent un grand nombre de questions soulevées dans les textes précédents. La comparaison entre des photos du début du siècle et celles qui furent prises en 1997, ainsi que des enquêtes de terrain, montrent que les changements survenus depuis soixante-dix ans n’ont pas engendré une dégradation des milieux, malgré une importante croissance démographique. Il se confirme que l’élément majeur du mode de gestion des ressources et de la transformation des paysages au cours des dernières décennies est la plantation ou la préservation d’arbres dans les champs – qui constituent ici un véritable bocage – pour remplacer les ressources forestières. Certains changements ont été le moteur d’innovations qui ont eu, à leur tour, des effets sur les milieux. Il en est ainsi par exemple de la construction récente d’une route qui, en permettant la collecte et la vente de lait, a conduit à accroître l’élevage des vaches laitières et par voie de conséquence à multiplier les arbres fourragers en bordure des champs, lesquels contribuent à une meilleure stabilité des pentes, etc. Cependant les populations les plus pauvres ne participent pas à ce mouvement. Elles se trouvent de plus en plus marginalisées, marginalisation à laquelle contribuent d’ailleurs les mesures prises en matière de protection des milieux.
Notes de bas de page
1 Ce livre présente les résultats de travaux collectifs réalisés dans le cadre du laboratoire « Milieux, sociétés et cultures en Himalaya » (UPR 299 du CNRS) et financés de 1995 à 1999 par le comité « Environnement, Société, Développement à long terme » du Programme Environnement du CNRS. Le comité souhaitait qu’« en développant le caractère interdisciplinaire de leur démarche » les chercheurs de cette équipe, qui travaillaient déjà sur les rapports homme-milieu, « contribuent à une meilleure compréhension des rapports entre les évolutions des sociétés humaines locales et celles de leurs environnements naturels et à la mise au point de problématiques et de méthodologies générales pour en traiter ». Les chercheurs de l’UPR 299 susceptibles de participer à cette réflexion menaient des investigations au Népal et au Ladakh. C’est pourquoi les travaux présentés dans cet ouvrage portent sur ces deux contrées. Ils s’inscrivent dans le prolongement des recherches pluridisciplinaires qui ont été effectuées au Népal par les membres de ce laboratoire, sur le versant de Salmé de 1979 à 1985, et dans les districts de Gulmi et d’Argha Khanci de 1985 à 1993, recherches qui ont donné lieu à de nombreux articles, mémoires et thèses ainsi qu’à deux ouvrages collectifs : Dobremez (éd.), 1986, et Ramirez (éd.), 2000.
2 Eckholm, 1975, 1976 ; Sterling, 1976 ; Myers, 1986 ; Ramade, 1989 ; Bishop, 1990.
3 Carson, 1985 ; Dobremez (éd.), 1986 ; Smadja, 1986, 1992 ; Hamilton, 1987 ; Fort, 1988 ; Gilmour, 1988 ; Carter, 1992 ; Hofer, 1993 ; Fox, 1993 ; Virgo et Subba, 1994...
4 Voir Thompson, Warbuton et Hatley. 1986.
5 Nous renvoyons les lecteurs intéressés au livre d’IVES et Messerli, 1989.
6 Hofer, 1999. l’édition en anglais date de 1997.
7 ODA : « Britain’s Overseas Development Agency », aujourd’hui « The Department for International Development ». « La région sud-himalayenne du Népal doit faire face à une importante dégradation de l’environnement. Les besoins alimentaires croissants d’une population en augmentation conduisent à la déforestation au profit de terres à cultiver. Les sols sont à nu et sont facilement emportés par d’importantes pluies de mousson. La productivité des terres décline rapidement, conduisant à une demande accrue en terres cultivables. De surcroît, il peut y avoir un plus grand risque d’inondations, une baisse des flux hydriques à la basse saison, une augmentation de l’érosion et des changements dans la qualité de l’eau » (ODA, 1997, p. 69, in Thompson, 1998), traduit par J. Smadja.
8 Forsyth, 1998.
9 Kalaora, 1998.
10 Voir à ce sujet par exemple les travaux de Marie-Christine Cormier-Salem, 1999, en Afrique de l’Ouest, ainsi que Corinne Beck et Yves Luginbühl, 2001, p. 74-78.
11 Michelin, 2001.
12 Lepart et al., 2000.
13 Voir ici « Liminaire. Des bribes de connaissances dérobées à un pays fermé » (J. Smadja).
14 « Plus que jamais ce sont les médias qui [...] font, défont, sélectionnent et reconstruisent ce que nous pouvons savoir de l’environnement. Ce sont eux qui ont, de manière presque discrétionnaire, ce pouvoir de trier entre le banal et le spectaculaire ; de masquer des risques potentiellement graves ou de mettre en scène et d’amplifier les accidents les plus anodins ; de faire basculer d’un seul coup le non-événement dans la catastrophe : bref de qualifier l’incertitude » (Theys et Kalaora, 1992, p. 46).
15 « Sur les cartes du monde datant de la Renaissance, les espaces vides n’étaient peuplés que de sirènes et de monstres, témoignant ainsi de fantasmes et de terreurs devant l’inconnu. Néanmoins, sur ces premières cartes, le vide des espaces lui-même était utile. Il était une convention systématique et explicite pour situer et délimiter l’ignorance. Les cartographes comprenaient que pire que l’ignorance des faits était l’ignorance de l’ignorance. Déguiser l’ignorance par de vagues détails suggestifs serait induire l’utilisateur en erreur ; l’illusion de la connaissance pourrait le mener, tout confiant, droit à la catastrophe » (Ravetz, 1992, p. 87).
16 Voir Jollivet et Pavé, 1993.
17 D’après des données recueillies par la FAO entre 1980 et 1990 ; voir Hamilton, Gilmour et Cassells, 1997.
18 C’est le cas également dans d’autres pays ; voir à ce sujet F. Verdeaux, 1998, à propos de la Côte d’ivoire.
19 Ives, 1987.
20 Van der Leeuw, 1998, p. 57.
21 Voir Kienholz et al., 1984, ainsi qu’Ives et Messeru, 1989.
22 Voir Forsyth, 1998, p. 109 et 112.
23 Les citations de Hoffmeister qui suivent sont traduites de l’anglais par J. Smadja.
24 Royle, 1839.
25 Voir le chapitre ix, « Les cultures à l’épreuve du temps. Esquisse d’une histoire de l’agriculture en Himalaya » (P. Dollfus, M. Lecomte-Tilouine, O. Aubriot).
26 La bouse sèche est encore aujourd’hui utilisée par les potiers car elle permet une combustion lente mieux appropriée que le bois à la cuisson de la terre. Son usage n’est donc pas toujours corrélé à la disponibilité en bois.
27 Messerli et Ives, 1984 ; Ives, 1985.
28 Mahat et al., 1986-1987.
29 Byers, 1986, 1987.
30 Voir Sagant, 1976. Il adopte cette image pour les Limbu de l’est du Népal, mais elle se vérifie largement pour d’autres populations du Népal, indo-népalaises comme tibéto-birmanes.
31 Gaborieau, 1982.
32 Voir Smadja, 2000.
33 Fricke, 1994 ; Thompson, 1998 ; etc.
34 Bonnemaison, 1997, p. 59.
35 Voir Jollivet éd., 1992 ; Legay, 1999.
36 « [Le paysage est] le résultat d’une multiplicité d’actes [... J. Dans ses représentations comme dans ses éléments matériels, le paysage est d’abord le produit de la pratique, de l’action quotidienne, d’une pratique exercée sur le monde physique, entre la simple retouche et l’artefact intégral [...]. Le paysage comme ensemble d’indices en dit long sur la société qui l’a produit. Non sans biais : des parties sont cachées ; des indices trompeurs, polysémiques, renvoient à des indiqués différents ; le “message est brouillé”, en partie à cause des rémanences : nombre de traces sont mortes, viennent de mouvements du passé. Par tous ces biais, le paysage n’est pas un reflet [...]. Reste qu’il est ; ce qui suffit pour [...] le considérer comme œuvre des hommes et des forces naturelles. Et qu’il révèle, à qui sait le regarder » (Brunet et al., 1992, p. 338-339).
37 Deffontaines, 1998.
38 Blanc-Pamard et Quinty-Bourgeois, 1999, p. 13.
39 Voir Berque, 1990.
40 Voir Bernard Picon, communication aux Journées du programme « Environnement, Vie et Sociétés » du CNRS : « Quelles natures voulons-nous ? Quelles natures aurons-nous ? » 12- 14 novembre 2001, Lille.
41 Jack Westoby est forestier, il est cité par Messerschmidt dans un texte intitulé « What is a Tree ? », « Qu’est-ce qu’un arbre ? » : « La foresterie ne concerne pas les arbres mais les gens. Et elle ne concerne les arbres que dans la mesure où ils peuvent être utiles aux populations » (Messerschmidt, 1990, p. 6).
42 Voir à ce sujet Stengers, 2000, p. 58.
43 « La démarche micro-historienne [...] pose en principe que le choix d’une échelle particulière d’observation produit des effets de connaissance et qu’il peut être mis au service de stratégies de connaissances. Faire varier la focale de l’objectif, ce n’est pas seulement grandir (ou diminuer) la taille de l’objet dans le viseur, c’est en modifier la forme et la trame. Ou, pour recourir à un autre système de références, jouer sur les échelles de représentation en cartographie ne revient pas à représenter une réalité constante en plus grand ou en plus petit, mais à transformer le contenu de la représentation (c’est-à-dire le choix de ce qui est représentable) » (Revel, 1996, p. 19). Voir également à ce sujet les autres textes de l’ouvrage Jeux d’échelles sous la direction du même auteur et les réflexions de Garcia, 2000.
44 À la conférence de Rio en 1992, le chapitre 13 de l’« Agenda 21 », qui se veut un plan d’action pour le xxie siècle, était intitulé « Gérer des écosystèmes fragiles : développement durable en montagne ».
45 Voir Deffontaines et Prod’ Homme, 2001.
46 Voir également sur l’intérêt des études locales et de la monographie P. Claval, 1999.
47 Voir dans le chapitre iii l’encadré 7.
Auteur
Directeur de recherche au CNRS (UPR 299), géographe
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