Chapitre 13. Maroc. La fête des supplices. Les caricatures de l’cAyd al-kabîr
p. 316-334
Texte intégral
1Parler de la plus grande fête musulmane à partir des caricatures n’est ni une gageure ni une fantaisie. C’est plutôt prendre au sérieux et prêter de l’intérêt à ce type particulier de documents. En effet, durant toute la période faste précédant et succédant à la fête, une intense production de caricatures est à l’œuvre dans la presse quotidienne marocaine d’information. Pour la fête de 1995, les journaux parus entre le 28 avril et le 19 mai ayant réservé page, colonne, encart à l’cAyd al-kabîr pour y insérer un texte ou une caricature ont été systématiquement collectés1. Sur dix-sept quotidiens et hebdomadaires suivis durant cette période, sept seulement participent à une sorte de polémique caricaturale dont le sujet principal est la fête du mouton. Les plus prolifiques sont les caricaturistes des journaux d’opposition : Anoual, L’Opinion, Al Alam.
2Le corpus à l’appui de ce travail est constitué de 44 caricatures parues, selon un nombre décroissant, dans les journaux suivants : Anoual, L’Opinion, Al Alam, al-Ittiḥâd al-Ishtirâkî, Bayan al-yawm, Assiâsi, La Tribune du retraité. Le corpus a subi un traitement thématique qui s’inspire des méthodes d’analyse de contenu.
3Nous nous sommes posé une question, sous-jacente à ce traitement : peut-on connaître et que peut-on connaître de la fête à travers ses caricatures ? En effet, l’importance prise par la production de ce genre particulier de document, sur un thème non moins particulier, ne peut laisser indifférent et interroge sur la valeur de la caricature comme source documentaire socio-anthropologique et sur ses possibilités d’informer sur la fête et sur la société qui la célèbre.
DE LA CARICATURE
4La caricature est un document à la fois simple et complexe. Simple parce qu’il est fait d’un dessin accompagné ou non d’une légende. Complexe parce qu’il « relève de l’esthétique, de l’histoire des mœurs et de l’histoire de l’opinion (Letheve, 1961 : 6). Par définition, la caricature cherche à indigner, à faire rire ou du moins à faire sourire. Or, par-delà son sarcasme, elle est porteuse de messages : elle informe, renseigne, dévoile. C’est ainsi qu’à travers la caricature des aspects de la vie d’une société sont exposés.
5La caricature étant l’œuvre d’un caricaturiste, dessinateur et artiste, celui-ci use de la polémique iconographique pour présenter son opinion (et celle de son journal) sur des faits sociaux, ici la fête du mouton.
6Les caricatures du corpus qui sera ici analysé témoignent de la fête tout en exagérant ses avatars. Car, et c’est le propre de ce mode d’expression parfois violent, les caricatures empruntent le détour de l’iconique et de l’ironique pour offrir une image déformante, ridicule, voire négative de leur objet. Un travail de décryptage est alors nécessaire pour en pénétrer le sens. Toutefois, si la caricature dévoile les aspects les plus intimes de la société, elle en est souvent l’image déformante ou du moins l’expression ésotérique.
7De surcroît, la caricature, selon J. Letheve, « résume ce que pense, à un moment donné, au moins une minorité active (1961 : 77). Car le caricaturiste ne peut être un individu isolé (idem : 77). Sans aller jusqu’à postuler la possibilité de passer de la pensée du caricaturiste à celle de sa société, il est certain, et c’est ce que ce travail tentera de montrer, que le déchiffrage des paradigmes et thèmes récurrents développés par les caricatures permet d’accéder à des pensées et opinions qui participent à la formation de l’imaginaire social relatif à la fête.
8Les caricaturistes s’attaquent au thème de la fête sur lequel ils exécutent d’innombrables variations. C’est d’ailleurs de cette identité d’objet, la fête, que tirent leur unité les nombreuses caricatures dessinées par des artistes différents. Leur composition scénique est fort simple avec presque invariablement les mêmes acteurs : l’homme et le mouton. Une tierce personne est parfois ajoutée pour introduire des thèmes spécifiques.
9Une lecture primaire et rapide verra dans le mouton le symbole de la fête à laquelle il est identifié (il s’agit bien de la « fête du mouton ») et dans l’homme la société qui la célèbre. Mais surgit alors une question cruciale, que certaines caricatures posent sans ménagement : qui des deux est la victime de ce sacrifice ? Si la caricature fait violence à tout, ne respecte rien, dans ce cas d’espèce contre qui ses charges sont-elles adressées ? Qui incrimine-t-elle ? La fête ou la société, l’homme ou le mouton ?
10Les caricatures de l’cAyd peuvent, en gros, être rangées dans la catégorie de la « satire des mœurs en ce sens qu’elles collent aux préparatifs de la fête, scrutent le quotidien des gens du peuple en quête du mouton et exposent de façon grotesque leur désarroi. Les caricatures ont forgé leur héros négatif : le citoyen pauvre et victime pour qui la fête est plus un supplice qu’une réjouissance. Mais si la caricature se saisit des aspects sociaux, économiques et politiques de la fête, qu’elle tourne en ridicule, elle évite les aspects religieux. La raillerie sacrilège n’est pas de mise, elle est même évacuée par des techniques de distanciation assez élaborées. Et pourtant, dans l’amusement du Marocain, la blague à paradigme religieux, nukta, où il est question d’anges, du paradis, de l’enfer et même de Dieu, est un genre courant et assez prisé !
11Il faut ajouter que l’cAyd al-kabîr, en 1995, année de l’observation, s’est déroulé sur fond de crise sociale, économique et politique généralisée, aggravée par une sécheresse quasi chronique qui a conduit les hautes autorités publiques du pays à appeler à une solidarité sociale pour venir au secours du milieu rural, le plus affecté. Les caricatures ont été profondément marquées par le marasme créé par cette crise.
12Reste à souligner, enfin, une difficulté inhérente au classement et à l’analyse thématique des caricatures. Chaque dessin est susceptible d’une lecture plurielle et ne peut être fixé dans une catégorie exclusive ; polysémique, il évoque et condense plus d’un sujet. Malgré cette diversité thématique, les caricatures peuvent être articulées autour de trois paradigmes majeurs : la fête, la mort et l’animal. C’est dans ce sens que les caricatures constituent des documents privilégiés pour analyser les représentations sociales relatives à ces différents thèmes qui constituent autant de dimensions recouvrant le rapport entre la fête et la société. Les caricatures seront donc envisagées comme un discours tenu sur la fête et la société et leur analyse contribuera à mettre en lumière un imaginaire social chargé d’une multitude de représentations complexes, enchevêtrées, contradictoires, ambiguës. Mais dans leur globalité, les caricatures du corpus peuvent être vues comme une sorte de récit de la fête du sacrifice composé de trois épisodes : la quête de l’animal, le combat entre l’homme et l’animal et enfin la mise à mort de la victime.
LA QUÊTE DE L’ANIMAL
13La quête du mouton de l’cAyd par l’homme du bas peuple - qu’on appellera le héros — est une séquence cruciale dans le récit de la fête. En effet, le thème le plus récurrent dans ces caricatures, apparent ou latent, est celui où le héros est représenté face à la fête et à la difficulté d’acquérir la victime de l’cAyd. Deux types d’affrontement structurent ce récit : homme/animal et homme/homme. Envisagées et classées en fonction des acteurs, les caricatures figurant ces affrontements dont l’issue est l’acquisition de la bête sacrificielle sont prépondérantes (35 sur 44).
14Classement selon les acteurs :
15Homme-Mouton 23 caricatures
16Homme-Homme 12 caricatures
17Mouton 8 caricatures
18Homme 1 caricature
19Tout au long de cette quête le héros n’est pas seul face au mouton, il doit affronter d’autres hommes, le mouton étant alors relégué au second plan. Les autres personnages sont les représentants des catégories sociales différentes de la sienne par le statut ou la richesse. Ce sont tour à tour le patron, le propriétaire, le maquignon ou simplement un anonyme.
Deux mains pénètrent dans le champ de vision et « saignent avec un couteau les poches retournés du pauvre qui pense au mouton qu’il lui faut acheter pour l’cAyd, s’il lui reste encore de l’argent.
20L’anonyme bourreau dont on entrevoit les deux mains gigantesques est assimilé par le costume (veste sombre, manchettes de chemise blanche) au patron et au riche.
21Le mouton de l’cAyd est l’objet d’une revendication syndicale. En 1995 la fête a coïncidé avec un mouvement de grève déclenché par le syndicat des cheminots. Parmi les revendications figurait la prime destinée à l’achat du mouton, habituellement octroyée par la Société des chemins de fer marocains, entreprise publique, mais que celle-ci avait supprimée cette année-là. Des caricatures l’évoquent avec force.
Dans le bureau du patron, l’ouvrier réclame la prime de l’cAyd en rêvant au mouton qu’elle lui permettra d’acquérir. Le patron brandit un long couteau et pénètre dans ce rêve pour trancher la nuque du mouton rêvé (illustration 1). Ou encore, on voit l’ouvrier fuyant le patron qui le poursuit, un couteau à la main, en s’écriant : « Vous voulez le mouton de l’cAyd, attendez voir, c’est vous qui serez sacrifié !
22L’image du mouton alimente symboliquement la rubrique hebdomadaire qui passe au crible, en les critiquant, les émissions des deux chaînes de télévision marocaines.
Le mouton surgit, passant sa grosse tête à travers l’écran de télévision et poussant un grand bêlement. La télévision est débranchée et un couteau est posé devant le poste.
23Étant donné la qualité de vos émissions, semble dire le caricaturiste, les gens se soucient plutôt du mouton. Certaines émissions prêtent mieux le flanc que d’autres aux charges des caricatures. Le caricaturiste leur suggère « l’homme en question du mois2 : le mouton, représenté en costume et cravate, et porteur de lunettes !
24Le mouton de l’cAyd est un indicateur de la misère sociale. Le vecteur de l’opposition riche/pauvre et de tout ce que cette opposition connote sur le plan des inégalités sociales à l’œuvre dans la société marocaine. Face à la misère du héros s’étale l’arrogance de la richesse de l’homme au pouvoir.
Le pauvre, représenté sous la forme d’un squelette habillé de vêtements rapiécés, porte sur ses épaules un squelette de mouton, tandis que le riche, gras et vêtu d’un costume, manœuvre difficilement un gros mouton qui refuse d’avancer.
25L’opposition entre riche et pauvre se manifeste dans le contraste de leurs moutons respectifs. L’indigence matérielle du héros devient sujet de plaisanterie.
Un maquignon propose au pauvre un mouton en bois plus accessible à sa bourse. À un autre vendeur de moutons, le pauvre, les poches vides et retournées, offre jusqu’à ses derniers sous sans jamais atteindre le prix réclamé pour le mouton qui cligne de l’œil en direction du lecteur. Si le mouton est acquis, il est si chétif que le héros en a honte. La blague populaire est à ce sujet acerbe : le pauvre revenant du souk, son mouton chétif porté sur ses épaules, quelqu’un lui lance : « Combien as-tu payé ce cache-col ? Ou bien il conduit sa victime efflanquée dans une station service et demande à l’employé de la gonfler, de la remplir d’air, d’illusion (illustration 2).
26À la misère du pauvre fait pendant la mine pitoyable de son mouton, squelettique, chétif ou jouet en bois. Et à la place du mouton en chair et en os, de la viande nécessaire aux repas festifs, le héros n’a que des substituts : de l’air ou du bois. À chacun son mouton, ou son rêve de mouton.
Le mouton du pauvre est donc squelettique, sans viande et sans graisse, deux substances constituant les principaux attributs socialement admis pour définir les qualités du mouton de l’cAyd qui doit être gros et gras. Ou alors, c’est un agneau de lait — qui tète encore son biberon — et n’a pas atteint l’âge légal des bêtes à sacrifier, lesquelles sont représentées comme des béliers pourvus de cornes majestueuses (illustration 3).
27Le sacrifice d’un tel agnelet risque de mettre le sacrifiant en situation de non-conformité religieuse. Alors que, lors du choix de la bête, les hommes recherchent la qualité de la viande et de la graisse, les femmes se réfèrent plutôt à l’apparence, à la longueur et à l’enroulement des cornes. Une caricature — qui joue sur l’inversion entre animaux et humains — insiste sur ces critères de choix féminins.
Une ménagère-brebis et son fils-agneau font la moue devant le mouton-homme acheté par le père de famille-bélier, lui reprochant l’absence de cornes de la future victime de l’cAyd (illustration 4).
28Enfin, le mouton du pauvre est tout simplement un fétiche ou une chimère : jouet en bois ou en chiffon, nuage, coq-mouton produit de l’imaginaire et œuvre d’artifice, comme on le verra par la suite.
29Mouton idéal Substituts
30Mouton en chair et en os Mouton en bois
31Graisse et viande Air
32Dans cette catégorie de caricature, l’affrontement homme/mouton cède le terrain à l’opposition entre homme sans pouvoir et homme de pouvoir. Cette opposition situe le débat sur le plan des luttes entre catégories sociales et de la bataille quotidienne des petites gens pour la survie. Le rapport homme/mouton que la fête réactualise n’est qu’un prétexte pour dénoncer des rapports sociaux structurels. Il est naturel dans ces conditions que les caricatures qui évoquent ce thème soient inscrites dans le dualisme : riche/pauvre, patron/ouvrier, locataire/propriétaire. Le mouton est l’enjeu de leur confrontation, son catalyseur, l’élément qui la pousse à l’éclatement et au drame.
33La fête met à nu les différenciations sociales en les exacerbant, en les rendant plus apparentes, plus criantes. L’homme-héros est par principe indigent ; il doit cependant faire face à une dépense excessive pour se procurer le mouton de l’cAyd. Les caricatures le montrent tiraillé entre le patron insensible qui lui refuse la prime de la fête, le propriétaire intraitable qui lui réclame le loyer malgré la circonstance et le maquignon rusé qui le « plume ». Moralité, la fête n'a pas la même signification pour tous, elle est différemment vécue. À chacun sa fête ou son simulacre de fête.
34Mais le thème de la fête est utilisé par les journaux d'opinion à des fins polémiques, pour faire de la surenchère. La quête du mouton est un thème focal. Les caricaturistes s'y accrochent pour critiquer la politique économique et sociale du gouvernement. Ils se sont rangés du côté du bas peuple, de l'homme sans pouvoir. Ainsi, si son indigence le met en mauvaise posture car l'achat du mouton n'est pas à sa portée, c'est parce qu'il est accablé par la cascade de la hausse des prix en raison de la politique de libéralisation de l'économie marocaine entreprise sous les directives du FMI et de la Banque mondiale depuis le début des années 1980. Les caricatures se font l'écho des conséquences sociales déplorables de cette politique. Dans le contexte de baisse du pouvoir d'achat consécutive à la cherté de la vie, l'achat du mouton devient un fardeau supplémentaire impossible à assumer.
35Malgré tout, l’homme du peuple ne peut se passer du mouton. Sacrifier pour l’cAyd est un devoir religieux en même temps qu'une obligation sociale. L’homme du peuple, victime du système politique, l'est davantage encore du système social.
36Cette fois, la quête du mouton va évoluer dans un double espace : réel et imaginaire. Le héros est en proie à une lutte intérieure, tiraillé entre la réalité et la fiction.
37La réalité, c'est le prix prohibitif du mouton combiné à l'indigence matérielle du héros.
Au souk, trois moutons de taille croissante sont alignés, chacun exhibant son prix. Le plus petit, tétant encore au biberon, vaut 1 000 dirhams. Les deux autres, des béliers cornus, coûtent respectivement 1 500 et 2 250 dirhams. En arrière-plan, le héros, minuscule, est désemparé. Le mouton qui seul peut lui être accessible est un agneau de lait, dont nous avons vu qu'il était religieusement illégal (illustration 3).
Mais notre héros ne désespère pas, il n'a qu'un rêve, le mouton. Pour le réaliser, il met en vente tous ses biens (téléviseur, réchaud à gaz butane, vêtements...). Il se dénude, au sens propre et au sens figuré (illustration 5).
Une autre caricature-séquence le montre en route vers le marché, puis au retour, nu, tirant au bout d'une corde un mouton chétif
38La recherche acharnée du mouton accentue la misère du héros qui, ayant vendu ses biens les plus précieux, se trouve réduit à l'état de bestialité : il se dépouille de tout et se retrouve dans une complète nudité.
39Face à cette réalité sinistre subsiste le rêve, le simulacre, le jeu des illusions. Le désir du mouton est sublimé, renvoyé dans la sphère de l’imaginaire où il a une chance de se concrétiser.
Notre héros est assis par terre, complètement absorbé par son ouvrage : armé d’une aiguille et de fil, il confectionne un mouton de chiffon. La robe de l’animal est aussi rapiécée que le vêtement de l’artisan (illustration 6).
40Image surréaliste et suggestive : serait-il possible de se le fabriquer soi-même ? ou d’embellir le triste animal acheté ? L’obsession est telle que même les nuages prennent, pour l’urbain impécunieux, la forme de l’animal convoité mais inaccessible, devenu don du ciel.
Levant la tête vers le ciel, le pauvre désespéré voit se matérialiser un mouton à la toison nuageuse au milieu d’un « moutonnement de petits nuages : pendant quelques instants il a ainsi l’illusion d’avoir enfin trouvé sa victime de l’cAyd.
Revenant du marché, notre héros tient au bout d’une corde un étrange animal à la tête de mouton et au corps de coq (illustration 7).
41Il y a ici une ambiguïté sur l’identité de l’animal : est-ce le coq qui prend la tête du mouton ou est-ce au contraire le mouton qui emprunte le corps du coq ? A l’origine de ce travail de transfiguration, en principe réprouvé par l’islam, il y a une ruse qui désespérément tente de faire passer l’un pour l’autre et de donner l’illusion d’avoir l’un à la place de l’autre. Mais ruser avec qui ? Pour tromper qui ? Le coq-mouton (ou le mouton-coq), lot du pauvre, cristallise en l’exprimant dans un langage surréaliste le paradoxe du désir, celui d’un beau mouton et des possibilités matérielles de l’acquérir. Le coq-mouton évoque également ce jeu de substitution de la victime sacrificielle — le mouton qui prend la place d’Ismaïl, fils d’Ibrahim — par le coq quand l’indigence matérielle des hommes les y contraint. Au Nigeria, pour l’cAyd 1995, des coqs ont ainsi été égorgés à la place du mouton religieusement prescrit mais financièrement hors d’atteinte.
42Mouton accessible Moyens d’accès
43Mouton de lait Prix exorbitant
44Mouton rêvé Vente des biens
45Mouton chétif Dépouillement
46Mouton de chiffon Confection
47Mouton-don du ciel Mirage
48Mouton-coq Achat
49Que ce soit dans le rêve ou dans la réalité, l’acquisition du mouton est synonyme de conformisme social, c’est le moyen d’une valorisation de soi vis-à-vis des autres. Quel qu’en soit le prix payé ou les conséquences. Après les angoisses de l’acquisition du mouton, ce sont les ennuis des séquelles de la fête qui prennent le relais. La période située après la fête se révèle aussi dure que celle des préparatifs. Les caricatures deviennent plus acerbes.
Face à face, la carcasse dépouillée d’un mouton suspendu par les pattes de derrière, comme cela se pratique d’habitude, et, dans la même posture, le héros, vivant mais ligoté à l’aide d’une corde ; une petite pancarte est suspendue à ses pieds et porte l’inscription dîn, « dette » (illustration 8).
La dette, séquelle de la fête, est évoquée par un autre dessin où notre homme, poches retournées et vides, accroche au mur une peau, deux cornes et deux pattes. La légende précise « souvenirs de l’cAyd ».
Enfin, une autre caricature met en scène le propriétaire venant réclamer son loyer : le locataire, dépouillé même de ses vêtements, lui montre son mouton que le propriétaire s’apprête à emporter en paiement.
50Après la fête, le mouton tant convoité n’est plus que carcasse, peau, pattes et cornes. Mais le sort de l’homme est lui aussi cruel, synonyme de nudité, d’endettement concrétisé par les poches retournées et vides. La dette laissée par l’achat du mouton réduit pratiquement l’homme à l’état de bête, se rapprochant plus de la carcasse suspendue que de l’humain bipède.
51L’homme se situe donc à mi-chemin entre l’humanité et la bestialité, partageant presque la même identité que l’animal. Le caricaturiste se joue, en les confrontant, de deux types d’animalité, celle de l’homme et celle du mouton, pour dévoiler ce dénuement total de l’homme qui se retrouve, après la fête, dépouillé de son argent et donc de son statut d’être social. Au point qu’il ne peut plus honorer ses engagements, payer son loyer par exemple.
52Le recours à la symbolique de la poche est très significatif. La poche vide ou pleine est l’aune à laquelle est mesurée la valeur de l’homme et surtout sa virilité. Celle-ci est synonyme de puissance économique (Ait Sabbah, 1982 : 33). Avoir les poches vides, c’est n’être rien. La pauvreté est une honte.
LE COMBAT AVEC L’ANIMAL
53La quête du mouton de l’cAyd figure le combat sans merci entre l’homme et l’animal dont l’issue est de déterminer qui sera la victime. Les deux protagonistes se trouvent face à face. L’homme et le mouton jouent les rôles du sacrifiant et de la victime de manière interchangeable. Dans une dizaine de caricatures les statuts de l’homme et de l’animal sont complètement inversés. Mais alors que, par la technique de l’inversion, les attributs de l’un sont prêtés à l’autre et vice versa, la technique d’identification introduit la similitude entre les deux créatures. Cependant, les deux procédés convergent en ce sens qu’ils précisent les représentations de la victime et du sacrifiant et désignent, en dernier ressort, l’homme comme le véritable sacrifié de la fête.
54Caractéristiques et attributs :
55Homme Animal
56Sacrifiant Indigent ou scrupuleux Féroce
57Victime Docile Soumis
58L’image de la victime, humaine et animale, est invariable, identique à celle du mouton de l’cAyd colportée par le sens commun, synonyme de docilité et de soumission. C’est ainsi que sous l’aspect de la victime, l’animal est représenté sous les traits réels d’un agneau, d’un bélier ou d’une carcasse dépouillée ou sous les traits fictifs d’un jouet-mouton, d’un nuage-mouton ou d’un coq-mouton. L’homme-victime revêt des attributs animaux et devient franchement mouton de l’cAyd, la corde au coup et se traînant à quatre pattes. Surgissent de cette représentation trois types de victime : le mouton-fétiche, le mouton-réel et l’homme de condition modeste. Mais seuls les deux derniers sont effectivement victimes.
59L’image du sacrifiant est variable suivant qu’il s’agit de l’homme ou de la bête. Ainsi, sous l’aspect du sacrifiant, l’animal est un être gigantesque et grotesque, mais surtout horrible et effroyable, brandissant une arme (couteau, sabre ou hachoir, quand il n’affûte pas ses propres cornes) et prêt à passer à l’acte. Par opposition, l’homme est soit un être démuni, pauvre et économiquement impuissant, soit un citoyen normal voulant accomplir son devoir religieux en égorgeant un bélier, mais ayant cependant parfois des scrupules en raison de la souffrance de l’animal.
60Cette représentation de la victime et du sacrifiant ébauche une réflexion sur la logique du rapport à l’animal envisagé à travers l’acte sacrificiel. Cette logique renferme trois catégories majeures qui définissent l’acte de sacrifier et que les caricatures reproduisent en les prêtant tour à tour à l’un et l’autre acteurs : il s’agit de la férocité de l’acte, de son accomplissement consciencieux et de l’impossibilité de l’accomplir.
61Prises dans le jeu de l’inversion des rôles, les caricatures prêtent toute la férocité à l’animal. Nous avons présenté les principaux caractères de l’animal-sacrifiant. Son rapport à l’homme-victime est très conflictuel et surtout très violent. Leur affrontement tourne à l’avantage de la bête. Les deux combattent, mais à armes inégales. Le mouton est une créature féroce et cynique, tantôt bandit et agresseur, tantôt boucher ou bourreau.
62Le mouton est une créature cynique :
L’homme est à plat ventre, hurlant de douleur sous le poids de la hausse des prix symbolisée par un gros sac sur lequel un énorme mouton est assis à son aise.
63Le mouton est dessiné sous les traits d’un étrange boucher :
L’homme est suspendu par les pieds tandis qu’un mouton-boucher, un couteau entre les dents, est à l’œuvre et lui coupe les poches qui saignent (illustration 9).
64Le mouton est une créature féroce :
Dans le face à face, le mouton, un bélier aux énormes cornes et à l’air méchant, est armé d’un sabre et d’une hache de boucher, le pauvre apeuré se défend avec un coutelas (illustration 10). Deux autres caricatures représentent un combat inégal entre un bélier doublement armé — de grandes cornes et d’un immense couteau — et un petit homme rabougri, brandissant un simple couteau de cuisine.
65Le mouton est aussi voleur :
Le pauvre a les mains en l’air tandis que le mouton fouille dans ses poches. La violence atteint son summum quand l’animal-bourreau pend l’homme au bout d’une corde ou s’apprête à lui faire tomber la lame de la guillotine sur la nuque.
66Quant à l’identité homme/mouton, elle est suggérée par certaines caricatures dans lesquelles l’aspect chétif du mouton répond à la misère du sacrifiant. L’identité est parfois cruellement sarcastique.
Un homme interpelle : « Hé ! le mouton » ; le pauvre et le mouton répondent en même temps. Identité presque parfaite entre l’homme et le mouton qui réagissent au même appel chacun dans son idiome, la seule chose qui peut encore les différencier.
Le mouton et l’homme se tiennent par l’épaule, signe d’une amitié... hypocrite, car chacun s’imagine en train de festoyer avec le corps de l’autre (illustration 11).
Enfin, dans deux caricatures le sacrifiant prend les traits d’un mouton qui tranquillement ramène chez lui, au bout d’une corde, une victime qui n’est autre que notre homme (illustration 4). Dans un des dessins l’inversion est totale puisque l’homme marche à quatre pattes.
67L’image de l’homme-victime est obtenue par un subtil travail de transfiguration et de jeu avec la représentation de la mort de la victime humaine ou animale. Mais précisons que la physionomie de l’homme est toujours respectée, ce qui fait de sa transfiguration une œuvre inachevée. L’image du mouton, transposée à travers celle de l’homme, est plutôt suggérée par des éléments évocateurs tels que la posture à quatre pattes ou la corde au cou. Cette attitude de réserve est également observée quand les caricaturistes évoquent la mort. La transfiguration de l’animal ne requiert pas, de la part des caricaturistes, la même retenue observée envers les humains. Elle est même poussée à l’extrême dans certaines caricatures. Par contre, dans la figuration du mouton suppliciant, la technique d’emprunt aux humains des éléments d’évocation est utilisée pour les appliquer à l’animal.
68Mais la mort de l’homme n’est jamais un acte totalement consommé. Elle est suggérée, introduite par allusion. Elle n’est pas physique. Dans la caricature où les deux frères ennemis rêvent du festin que chacun d’eux envisage de faire de l’autre, l’affrontement, renvoyé dans leur imaginaire réciproque, a pour finalité la manducation. Mais l’anthropophagie du mouton n’est pas chose accomplie. Alors que dans l’assiette de l’homme des morceaux de gigot sont bien figurés, dans celle du mouton un homme vivant, miniaturisé par l’artiste, est en train de se débattre sous la menace de la fourchette brandie par le mouton.
69L’image de l’homme victime ne franchit donc jamais la barrière de la mort. Dans toutes les scènes qui le montrent en danger de mort, la mort physique lui est évitée. La mort réelle de l’homme ne peut être un sujet de satire : la vie humaine est tabou. L’homme des caricatures est humilié, avili, mais n’est tué que symboliquement.
70Le traitement du thème de la mort est présent dans toutes ces caricatures où le mouton est suppliciant et l’homme supplicié.
L’animal boucher, qui semble vouloir écorcher vif le héros, n’en veut en fait qu’à ses poches qu’il tranche et saigne à blanc (illustration 9). L’âme de l’homme des caricatures réside-t-elle dans sa bourse ?
Le mouton bourreau pend l’homme qui crie de douleur et d’effroi, mais est toujours vivant.
71Le propos, semble-t-il, est de mettre en exergue de façon violente l’aspect financier de la fête et la cherté du mouton qui la matérialise : la victime animale est un fardeau financier qui symboliquement tue l’homme ; cette mort symbolique du héros est obtenue par saignement de ses poches et non par égorgement.
Le bourreau anonyme, le mouton bandit ou boucher, fait subir à l’homme une saignée de sa poche qui laisse égoutter du sang.
De même, le patron tranche la nuque du mouton-rêve de l’ouvrier et non la gorge comme le veut la tradition : le sacrifice est dans ce cas illicite (illustration 1).
72La violence de l’inversion prend ses distances quand elle figure l’acte de tuer symboliquement par rapport à l’acte canonique de sacrifier. Elle évite toute parenté entre les deux. Technique de distanciation par rapport au paradigme religieux. Trancher la nuque du mouton-rêve, saigner les poches du héros ou le menacer, le pendre ou le guillotiner sont rangés parmi les actes barbares, assassins, réprouvés, par rapport auxquels l’acte d’égorger selon la tradition paraît civilisé. Si chacun a sa fête, chacun a sa mort.
LA MORT DE L’ANIMAL
73Si le mouton est accessible, se pose alors pour le sacrifiant la question de sa mise à mort. L’angoisse et la peur de donner la mort à l’animal sont représentées dans quatre dessins de façon tragi-comique. L’immolation est une technique maîtrisée par les professionnels de l’abattage rituel. Pour l’cAyd, c’est un devoir incombant au sacrifiant lui-même qui assume ainsi son statut de bon musulman et de croyant. L’immolation du mouton de l’cAyd se trouve ainsi inscrite dans la grandeur spirituelle de l’acte quand il est accompli par le sacrifiant et dans sa banalité technique quand il est délégué aux spécialistes. Mais dans le premier cas il est source d’angoisse. C’est une invite sérieuse à réfléchir sur le paradoxe du rapport entre Dieu, l’homme et l’animal, ce dernier étant une créature de Dieu à qui l’homme doit ôter la vie pour mieux se rapprocher de Dieu.
Dans une scène séquence, un mouton est d’abord représenté brandissant un drapeau blanc, signe qu’il se rend. L’homme le rassure : « Je ne te ferai pas de mal. Dans un troisième dessin, le mouton est brancardé hors d’une ambulance vers une clinique.
Sur une autre caricature du même auteur, parue le jour suivant, le mouton est sur une table d’opération ; le chirurgien, couteau à la main, attend l’effet de l’anesthésie sur l’animal pour passer à l’acte d’égorgement (illustration 12).
74La souffrance de l’animal préoccupe le sacrifiant. S’il est inscrit dans les destins de l’homme et de l’animal que, pour l’cAyd, l’un d’eux sera fatalement victime, une mort douce serait-elle possible ? Les caricaturistes poussent jusqu’à l’absurde cet aspect dramatique de la fête. S’inscrivant en faux par rapport à toutes les prescriptions religieuses définissant les règles de l’abattage rituel et les précautions dont le sacrificateur doit s’entourer pour éviter à l’animal de souffrir, le sacrificateur des caricatures fait appel à la science et à la prouesse médicale pour assurer une mort douce à l’animal, celle-ci se déroulant dans une clinique et sous anesthésie. Mort douce obtenue au prix d’une transgression, car il est clair que l’animal ne doit ni être étourdi ni endormi avant d’être mis à mort. Autre ruse impuissante à éliminer le devoir d’égorger rituellement avec le couteau, instrument recommandé ; le couteau est bien présent dans la salle d’opération, tenu par le chirurgien, au lieu de l’instrument normal, le bistouri ! Le traitement du thème de la mort et de l’angoisse qui entoure l’acte d’égorger dévoile du coup l’hypocrisie et la perfidie qui soutiennent cette ingénieuse solution de la mort sans souffrance. On peut y voir une référence à l’abattage avec insensibilisation tel qu’il est réglementé dans les pays européens. À moins que ces caricatures médicalisant l’acte de sacrifice ne soient dues à l’émergence de mouvements de protection animale au Maroc, introduisant le thème des droits des animaux.
Un premier dessin, ayant pour arrière-plan un bâtiment sur lequel est écrit SPA (Société protectrice des animaux), met en scène un mouton qui proclame : « Encore une fois je vais être le bouc émissaire ! L’article que cette caricature accompagne titre cependant « Les tarifs du mouton à 3 jours de l’Aïd El Kébir, un large choix mais les prix grimpent ».
Un deuxième dessin va plus loin, montrant un bélier en posture humaine, relaxé, yeux fermés, qui rêve à un pacte mondial des droits des moutons : autour d’une table, des béliers écoutent un des leurs qui lit un communiqué, la condamnation de l’usage du couteau, donc du sacrifice, figurant comme une revendication primordiale (illustration 13).
75Le droit à la vie et l’appel à la protection des ovins sont exprimés de façon tragi-comique dans d’autres situations.
Un bélier résigné mais en larmes fait ses adieux à sa brebis bien-aimée, elle-même éplorée : « Adieu ma chérie.
76Scène d’autant plus mélodramatique que les animaux expriment des sentiments et revêtent des caractéristiques humaines (le bélier marche debout comme un homme). C’est la traduction d’une pensée communément partagée que la société des animaux (et la famille) existe à l’instar de celle des hommes.
77Une autre attitude devant la mort est présentée par le même caricaturiste : la révolte, le refus.
Le mouton préfère se donner lui-même la mort, il se pend après avoir expliqué son geste dans une lettre : « Je préfère mourir comme ça que de finir dans une gamelle.
78Le suicide, le « mourir ainsi, et non rituellement sous le couteau du sacrificateur, est une autre façon de nier l’acte d’immoler qui rend la viande de la victime propre à la consommation familiale et au partage. Situation surréaliste dont la possibilité de réalisation mettrait en péril l’institution de l’abattage rituel. La mort par suicide, forme de mort non approuvée par l’islam, au même titre que l’étouffement ou la noyade, ferait de la carcasse du mouton une charogne. Mourir ainsi, c’est rendre inconsommable, harâm, sa propre viande, et en priver les hommes.
79Mais le mouton, même humanisé, n’est pas toujours libre de choisir. Ainsi, une troisième caricature le montre traduit devant un tribunal :
Dans cette scène, le mouton est l’accusé, le boucher le juge et le propriétaire du mouton le plaignant. Le juge condamne le mouton à mort et fixe l’exécution pour le lendemain. Hélas, dans ce procès personne ne pourra jamais dire quel crime a commis le mouton pour subir une telle condamnation. On remarque d’ailleurs qu’aucun avocat ne prend sa défense (illustration 14).
80Les caricatures de la fête du mouton font partie du mouvement de médiatisation qui accompagne cette fête au Maroc ; les différents médias s’emploient à en donner leur propre vision. Pour se démarquer, les caricatures (et les textes qu’elles accompagnent et illustrent parfois) s’érigent en protestation violente. De par leur mode d’expression iconographique et leur fonction critique, les caricatures s’accrochent aux aspects négatifs de la fête qu’elles tournent en dérision et établissent le diagnostic de ce que l’on peut considérer comme la pathologie de la fête. Et c’est l’homme du bas peuple, pour qui la fête est plus un supplice qu’une réjouissance, qui en pâtit le plus. Ces dessins incriminent tantôt le système économique et social, tantôt les mœurs qui ont transformé ce devoir religieux en une nécessité sociale.
81Dans leur effort d’élaboration de la critique de la fête, les caricaturistes abordent tous les thèmes jalonnant le processus sacrificiel : ils représentent par l’image les préoccupations des différentes catégories sociales durant la période précédant l’cAyd, depuis la difficulté de se procurer l’animal jusqu’à l’angoisse de sa mise à mort. Pour faire passer leur message, les caricaturistes emploient des techniques spécifiques, telle l’inversion des rôles de l’homme (en principe sacrifiant) et de l’animal (en principe victime). De sorte que l’homme ressort des caricatures comme la véritable victime du sacrifice de l’cAyd al-kabîr. Dans l’expression de ce statut de victime dévolu à l’homme, les caricaturistes observent cependant une certaine retenue et maintiennent la démonstration iconographique au niveau symbolique : ils ne montrent pas, ils suggèrent. L’homme est certes victime, supplicié, mais sa mort n’est pas représentée. Le grief en est d’ailleurs fait au système politique et social, jamais au dogme religieux. Ce paradigme est subtilement évité.
Notes de bas de page
1 Recherche sur la fête de l’cAyd al-kabîr en milieu urbain menée au Maroc par a.-M. Brisebarre et M. Mahdi dans le cadre des accords de coopération franco-marocains (GDR 745 du CNRS-Paris et IURS-université de Rabat)
2 Émission à caractère politique de la deuxième chaîne marocaine : une fois par mois, une personnalité politique est invitée à exprimer son opinion sur des thèmes d’actualité.
Auteur
Mohamed Mahdi, professeur à l’École nationale d’agriculture de Meknès (Maroc), membre associé du GDR 1565 du CNRS « Cultures musulmanes et pratiques identitaires »
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