Savoir se montrer. Modèles, modes et salons de coiffure à Casablanca
p. 227-238
Texte intégral
Hier, j’étais une couronne d’or
Contente, fière de mon sort
Aujourd’hui, je perds le bonheur et le confort
Comme une farouche bête
Elle me mit en bouclette
Femme, j’en ai assez de cette frisette !
Chaque jour, chaque soir,
Elle assomme ma mémoire
Avec ces ciseaux, et ce séchoir
Enfin. Elle m’auréole d’une façon cruelle
Avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !
Femme ! Écoutez mon conseil éternel
La vraie beauté est dans tout de qui est naturel.
Maryam Saadi, lycéenne, Azemmour
« L’opinion des jeunes »,
L’Opinion, p. 6, 23 février 1993 (1 Ramadan)
1Mémoire assumée, nature brimée, la beauté « confectionnée » des salons de coiffure semble poser des problèmes aux femmes et aux hommes que nous avons rencontrés à Casablanca1. Lors de ces entretiens, nous avons pu constater, d’une part, que le thème du « naturel » et de l’authenticité côtoyait en permanence celui de l’interdiction sociale et religieuse et, d’autre part, l’ambivalence des « mensonges » perpétrés par la femme qui se maquille et se coiffe. Nombreuses sont celles qui déclarent que « la Marocaine est la plus naturelle des femmes ». Elles affirment également que « les femmes d’autrefois étaient plus naturelles que celles d’aujourd’hui ». Mais à quoi se réfère cet « autrefois » ? Selon les récits des femmes interviewées, il s’agit de l’époque des haîk et du souak2, du henné et du khôl. C’était le moment éternel, avant que les mères ou les grand-mères ne soient « sorties de la maison ». Mais c’est encore aujourd’hui une étape de la vie de chaque femme : « Quand j’étais jeune fille, je pensais que les jupes courtes étaient simplement jolies. »« Quand j’ai commencé à sortir, à penser aux regards des hommes de la rue, je me suis occupée de moi-même. »
2Passé, pureté et absence de conscience du regard masculin se mêlent. La rupture avec l’innocence de la jeunesse (ou avec la génération des femmes d’autrefois) ne semble pas s’exprimer dans le contraste entre le monde du paraître et celui où les apparences ne comptent pas. Au contraire, tout le monde s’accorde pour dire que les jeunes (comme les grand-mères) savent (et savaient) « se faire belles ». Seulement, les jeunes sont « innocentes ». Les « vieilles » participaient à un monde où les critères de beauté étaient différents. Ces deux images de l’autre féminin se rejoignent surtout par référence aux regards des hommes et des étrangers. La rupture vient ainsi du fait que le modèle est différent et qu’il implique un autre rapport au corps et aux espaces.
3On dit souvent que « l’influence des Européennes après la colonisation était forte ». On répète qu’« à partir du moment où la femme travaillait, il fallait porter des vêtements plus pratiques » (à l’européenne). On affirme que les « nouvelles modes ont été copiées sur les Européennes quand les femmes ont commencé à écouter la radio et à aller à l’école ». On relève aussi parfois un décalage entre l’introduction des habits « modernes » (pantalon, costume) pour les hommes et pour les femmes, et dans le sens d’un « retard » pour les femmes en général. Les limites de l’espace « féminin » sont constamment évoquées. L’influence du « modèle » importé d’Europe est donc liée à un changement dans les mouvements des femmes et autour d’elles : les mouvements des corps dans les vêtements, les mouvements des yeux qui les regardent, entre les maisons et dans les espaces « ouverts » de la ville ou de la plage. En rapport avec ces mouvements, on trouve des références aux savoirs et aux modes d’organisation sociale qui sont censées aller de pair avec eux.
4C’est donc par référence à l’espace et aux mouvements, en fonction d’une manière de percevoir leurs « sorties » progressives, que ces Casablancaises ont choisi de parler de la beauté de la femme marocaine, tout en commençant à situer leurs pratiques corporelles. Le thème de l’ouverture constitue le leitmotiv des discussions sur le corps. Elles opposent l’univers de la maison à celui de la rue (du bureau et de l’école). Or, ces ouvertures impliquent des savoirs nouveaux. La rue est un espace ouvert. Le maîtriser implique l’apprentissage de la féminité vue par les hommes et par les étrangers. Grâce à ses « sorties », la jeune fille s’instruirait sur la signification sociale du paraître. Elle bénéficierait, également, des explications de ses proches, des lectures et des images télévisuelles pour se façonner en tant que femme. En dépit du fait que les femmes tendent à associer la maison au passé, aux liens privés et « cachés », la télévision ouvre une fenêtre, dans l’espace familial, pour proposer des paysages de rêve et diverses manières de paraître (Ossman, 1994). Les images des revues, des journaux, des affiches ou des articles sur la mode, ainsi que les romans roses, proposent des savoirs pour se situer dans un espace « ouvert », en théorie, au monde entier. Les frontières mises en place à l’intérieur de cet espace sont pourtant multiples. L’abstraction des cartes et des images façonnées selon les normes modernes nous aide à ignorer les ruptures intimes et collectives qui vont de pair avec la mise en place de « l’ouverture ». On peut observer que l’instauration de nouvelles relations au temps et à l’espace est porteuse de pratiques et de valeurs différentes. Cependant, ces différences sont attachées à des abstractions telles que la « femme moderne » ou la « femme traditionnelle ». Les changements semblent aller de soi. Rares sont les Casablancaises qui évoquent le rôle actif des femmes dans ces transformations, voire un engagement dans les « mouvements » politiques ou féministes. Toutefois, une lycéenne explique que, « grâce au mouvement féministe », elle a pu « mettre du vernis sur les ongles et porter du rouge à lèvres ». Et si la liberté de se mouvoir dans l’espace public était donnée à partir de l’obligation de porter du rouge à lèvres et du vernis ? Les expressions sur les choix nouveaux des femmes se doublent de dires et de discours sur les limites du paraître que l’on doit respecter. Toutefois, puisque les choses sont « en mouvement », ces limites sont difficiles à cerner.
5Les figures comme la « femme marocaine » ou la « femme moderne » sont utilisées afin de clarifier les contours des choix individuels et collectifs. Ces images donnent lieu à des comparaisons entre les femmes marocaines et les femmes européennes, les femmes « modestes » et les autres, ainsi qu’à des distinctions entre les différents groupes au Maroc, distinctions liées à des positions dans le temps mythique du passé et de l’innocence. Les femmes d’origine urbaine tendent à mettre en avant leur différence avec les femmes de la campagne qui sont décrites comme des sortes de « survivances » utilisant encore des méthodes de « grand-mères ».
6Une femme de 20 ans nous explique que, venant d’un milieu fassi (« de la ville de Fès »), sa grand-mère portait « déjà » des jupes courtes pour aller à l’école et que sa mère l’obligeait à « s’occuper d’elle ». « S’il m’arrive parfois, dit-elle, de ne pas vouloir me maquiller, ma mère vient vers moi et me dit : “C’est quoi ce visage ? Tu as l’air très pâle ! Arrange-toi un peu le visage !” Elle ne supporte pas, déjà, de me voir comme ça. Et si elle me voit mal habillée, elle me demande de me changer. À force de te répéter ces choses-là, tu prends l’habitude de prendre soin de toi. Quand je me réveille, elle n’aime pas que je tourne en pyjama. Quand on t’inculque cela, dès le départ, très jeune, cela devient une habitude. Tu commences à agir de la sorte. »
7Comme d’autres femmes issues de familles originaires de Fès, de Tétouan ou de Rabat, cette jeune fille établit un ordre « d’évolution » des femmes : il passe des femmes urbaines, longtemps habituées à sortir et à se vêtir « à l’européenne », aux femmes ‘aroubi, qui, vivant à Casablanca, « font beaucoup d’efforts » et, enfin, aux femmes chleuh, qui, selon plusieurs Casablancaises de Fès, sont perçues comme très « rétrogrades », « encore sans maquillage et habillées tristement en djellaba ». Il est peut-être superflu de dire que les femmes de ces groupes « rétrogrades », tout en acceptant l’évolution des femmes d’origine urbaine, suggèrent que c’est peut-être justement à cause de cette évolution que, de leur point de vue, la fassiyya est snob et frivole.
8La notion de « femme marocaine » est mouvante en fonction des circonstances et, bien sûr, selon l’interlocuteur. Elle se construit avec des images et des discours transmis par la télévision, les revues féminines, eux-mêmes se référant aux pratiques « d’autrefois » et aux femmes (actuelles) perçues comme faisant corps avec ce passé résiduel, sans mouvement. La femme « qui bouge » ne fréquenterait pas nécessairement les salons de coiffure. Elle ne mettrait pas forcément des vêtements roumi. Mais elle est censée avoir fait « le choix » de sa manière de paraître en fonction de sa « personnalité » et de sa bourse. Par exemple, certaines femmes qui cachent leurs cheveux sous le hijab (« voile ») mettent en avant le fait qu’elles ont adopté cette pratique vestimentaire par suite d’une décision personnelle. En outre, cette décision n’exclut pas toujours l’utilisation du maquillage ou la fréquentation d’un salon de coiffure. Le « bricolage » et la réappropriation de modèles, à sa guise, que mettent en relief de nombreuses études sur les échanges transnationaux, semblent être des faits établis. « Se façonner » deviendrait le droit de tout un chacun, du moins à partir du moment où la femme a pu sortir de la maison et aller à l’école. Ce constat n’entraîne pas la marginalisation des modèles « anciens ». Mais ces derniers deviennent des références à « l’authenticité » dans des circonstances précises : « Ce que j’adore, c’est notre authenticité. Je mets le khôl el-beldi et le henné. Je mets la djellaba tous les vendredis et je m’habille de manière traditionnelle dans les occasions. C’est une tradition chez nous » (Kich, 1989). Dans les mariages contemporains, on s’habille de manière traditionnelle (Kapchan, 1996). Néanmoins, les images de la mariée constituent un véritable collage, allant de la mythologie hindoue à la robe blanche de la mariée européenne, en passant par les habits traditionnels des différents groupes sociaux. Le plus souvent, on ne se prépare plus à la maison pour le mariage. La mariée sort avec son entourage pour se faire coiffer et maquiller au salon de coiffure.
Le salon de coiffure : espace de savoir et de sociabilité
9L’institut de beauté (ou salon de coiffure) est un des lieux que l’on associe à « l’ouverture » de la femme urbaine contemporaine. Il est particulièrement intéressant pour comprendre « l’ouverture », « le choix » et les limites de ces mouvements. Dans le salon, on observe comment on peut opérer des « choix » qui peuvent « assommer la mémoire », régulièrement. La logique du salon divise le corps en parties abstraites. La rationalité imprègne le corps, l’espace et les échanges économiques. Chaque soin est effectué sur une partie du corps, ou selon un seul genre d’application. L’espace est spécialisé : un espace pour laver les cheveux, un autre pour les couper, encore un autre pour les soins esthétiques. On y trouve des bassins pour des traitements différents (lavage des cheveux, soins du visage, teinture), des brosses pour des natures de cheveux les plus diverses, des séchoirs et des ciseaux de tailles ou de puissances différentes, ainsi que des machines pour produire de la vapeur (que l’on dirige uniquement sur le visage, et non sur tout le corps, comme dans le hammam). Le matériel ressemble à ce qu’on peut voir dans des cabinets de médecins ou de dentistes : toutes sortes de chaises qui permettent d’approcher le corps de tous les côtés. Les personnes qui travaillent dans le salon sont également divisées selon leurs expériences et leurs compétences. La plupart du temps, cette hiérarchie est signalée par le style ou par la couleur des habits qui rappellent ceux des médecins et des infirmières : blouses blanches ou de couleurs claires. La cliente paye selon l’acte, tout comme dans un cabinet médical de type moderne (Ossman, 1991). Mais peu de coiffeuses et d’esthéticiennes peuvent ouvrir leur propre salon et agir comme les femmes des professions libérales. La plupart d’entre elles travaillent pour une « patronne » et reçoivent des salaires, comme des infirmières employées dans un hôpital.
10Sur les murs des salons, ainsi que dans les revues féminines exposées (Femme actuelle, Sayedati ou Nous deux), les clientes découvrent les modèles reçus (photographies, types de coupe, télévision) qui sont interprétés par le savoir de spécialistes, en référence à des savoirs transnationaux (coiffeur, esthéticienne, visagiste). Une coiffeuse de Casablanca explique qu’elle essaie les modèles sur elle-même, avant de les proposer à ses clientes. Certaines d’entre elles apportent des photos de modèles, sélectionnées dans les revues et les journaux ; d’autres déterminent leur choix à la vue d’actrices ou de chanteuses connues. Ces images venues de loin, ou de nulle part, reflètent l’abstraction de l’organisation du corps, dans l’espace du salon. Elles provoquent aussi des discussions entre le professionnel et ses clientes, et entre les clientes. Si la coiffeuse « sait » évaluer la valeur des modèles et trouver la « vérité » de chaque femme qui devrait ressortir de l’application d’un modèle, toutes celles qui fréquentent le salon participent également au débat : en prenant en compte l’âge de la femme, ses traits ou son métier, les discussions mettent en place tout un ensemble de jugements (Abu Lughod, 1993).
11La mémoire d’une jeune fille peut être oblitérée, mais l’opération magique s’avère plus difficile, au fur et à mesure qu’elle avance en âge et que la femme assume des responsabilités, familiales ou professionnelles. Tout comme la femme jeune a une bonne cote sur le marché matrimonial, la femme riche est supposée avoir la possibilité de « se faire belle ». Une coiffeuse d’un quartier populaire parle de sa capacité à transformer les clientes, en opposant la beauté de la femme ordinaire à celle de la femme qui a des moyens : « … Parfois, la femme arrive avec des cheveux en l’air, mal coupés, comme, par exemple, la femme que tu as vue arriver avec les cheveux longs. On lui a fait une coupe ; ensuite, elle s’est maquillée. Elle sort complètement transformée. Il en est de même pour la mariée, elle sort d’ici avec un autre visage. Par notre métier, on rajoute toujours quelque chose à la beauté de la femme. Quand la femme sort contente du salon, cela me fait vraiment plaisir. Je m’occupe bien de tout le monde, même de la femme qui n’est pas aisée. Elle sort du salon aussi belle que la femme aisée. »
12La mode est légitimée par référence à plusieurs « hauts lieux » de création, tels que Paris ou Le Caire. Elle l’est aussi en fonction des niveaux sociaux. L’image de ce que l’on désigne comme typiquement marocain tend à se distinguer de l’image européenne ou égyptienne. Elle se différencie également, comme nous l’avons vu, selon son appartenance aux divers groupes qui font partie de l’ensemble « Maroc ». Si nos interlocutrices semblent s’accorder sur le fait que toutes les femmes peuvent suivre les modes (ou fréquenter les salons de coiffure), c’est le plus souvent parce que même les plus démunies d’entre elles considèrent, implicitement, que les « bonnes » ou les « femmes de la campagne » n’entrent pas dans leurs représentations de la catégorie. L’idée de concurrence, face aux jugements des « autres », semble essentielle dans la création des « femmes » dont on parle, que l’on regarde et à qui l’on se compare. Ainsi, les discussions se focalisent sur les femmes et les images de femmes qui sont « comme nous », ou « à qui nous aimerions ressembler ». Curieusement, ces femmes modèles viennent de tous les continents et de tous les milieux, à l’exception de « celles qui sont encore comme les femmes d’autrefois ». La pauvreté semble aller de pair avec ce passé. Pourtant, certaines femmes objectivement très pauvres suivent les modes avec acharnement. La beauté en soi et la possibilité d’acquérir le savoir de paraître en public ne seraient-elles pas un aspect de ce que l’on nomme les « moyens » d’une femme ? La pauvreté est associée à l’absence de choix de modèles et au manque de dispositions de son propre corps. La richesse, quant à elle, est économique. Elle rend apte, surtout les jeunes femmes, à élargir le rayonnement social et professionnel. Le mouvement est ordonné. Certaines femmes semblent capables de glisser sur toute la surface du globe, comme les couvertures des revues de mode. D’autres, par contre, arrivent juste à maîtriser l’espace urbain en autobus, pour se rendre au salon et s’y reposer. Enfin, celles qui sont cantonnées « à la maison » sont quasiment exclues.
13Comme les autres lieux de sociabilité, le salon de coiffure peut être appréhendé d’après la capacité de mouvement de celles qui le fréquentent, et en rapport avec les espaces de la ville et du monde. Certes, la relation à l’espace urbain nous renseigne sur la place des instituts de beauté dans la vie des femmes. Plus encore, l’analyse de cette « place » démontre comment ces salons évoluent, en fonction des trajectoires de leurs clientes. La place du salon dans l’ensemble des lieux de sociabilité féminine (et parfois masculine), comme la relation entre ce cadre et les autres espaces, est donc à prendre en considération.
14Si l’ouverture et le mouvement sont signes de changement pour de nombreuses femmes à Casablanca, les lieux qu’elles investissent peuvent également être classés selon leur imbrication dans l’espace de la ville, voire dans les espaces internationaux de la communication. Les salons de quartier sont, pour la plupart, fréquentés par des femmes s’y rendant à pied. Ici, les sujets de conversation ont trait, le plus souvent, aux incidents locaux, à l’échange de recettes de cuisine, même si la télévision et la radio sont parfois présentes. On parle des mariages, des naissances, et on répand de la médisance (nemima) sur les voisines. Ces salons ne se situent pas nécessairement dans les quartiers populaires. Ils se caractérisent par la modicité de leurs prix, par leur assimilation à un univers domestique, par le fait, enfin, que les coiffeuses et les esthéticiennes y sont moins diplômées et généralement moins rémunérées qu’ailleurs. Il est rare d’y rencontrer des hommes : certaines femmes qui fréquentent régulièrement les salons de quartier pour des soins courants, comme le brushing, se rendent dans des lieux plus chics afin de se faire couper les cheveux par un coiffeur (les hommes du métier étant, en outre, plus réputés que les femmes, bien qu’ils soient considérés comme efféminés).
15Les salons plus élégants attirent des femmes et, parfois, des hommes de toute la ville. Leur clientèle est souvent plus aisée, mais, surtout, plus mobile. Fatima, professeur de lycée, précise que son salaire ne lui permet pas d’aller chez « Jacques » pour le brushing ; elle ne se rend chez lui que pour des soins « permanents », comme la coupe de cheveux. Certes, les critères économiques entrent en jeu dans le choix d’un salon. Cependant, dans la mesure où de nombreuses femmes, et surtout de jeunes femmes, disent consacrer au moins le tiers de leur budget aux soins esthétiques, à la coiffure et aux vêtements, il serait faux de penser que seules les différences pécuniaires hiérarchisent les salons. Dans les salons dits « de luxe » on peut observer une relative ouverture par rapport aux salons de quartier. Les femmes qui fréquentent les premiers peuvent se connaître, mais généralement c’est avec le coiffeur ou l’esthéticienne qu’elles entretiennent un rapport privilégié. Parfois, des top-modèles mises en vedettes par les revues Vogue ou Cosmopolitan font l’objet de la conversation : on parle de leur look ou de leurs problèmes intimes avec le praticien. Souvent, la patronne propose aux clientes des produits de beauté, des vêtements ou des bijoux qu’elle a « importés » d’Europe. Plus le salon est chic, plus l’individualité de la femme, celle du « créateur » ou la griffe du modéliste sont revendiquées. Le processus de distinction entre salons de coiffure s’élabore en dehors de ces lieux : lors d’un dîner, on compare des salons connus et on fait comprendre ses préférences. On parle avec des « Copines » de ce qu’a dit le coiffeur sur tel modèle ou sur telle personne. Un rapport personnalisé se maintient, créant l’impression que les modèles reproduits dans les revues sont, en effet, « faits sur mesure ». Ainsi, ces salons reflètent ou miment un rapport « privilégié » à l’information de ceux qui « savent ». Ce rapport au savoir rappelle celui de ceux qui se voient comme appartenant aux « élites », en écoutant les informations à la radio ou à la télévision. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’un savoir abstrait, mais d’une connaissance « personnalisée » censée distinguer ceux qui « savent ».
16Entre les instituts de luxe et un autre genre de cadre que sont les salons fast existe un lien. Celui-ci peut être compris, non pas principalement en relation avec l’espace urbain, mais par rapport aux espaces d’échanges nationaux et internationaux qui donnent un « nom » au créateur de mode et à sa cliente. Comme à l’école publique ou dans un concours administratif, la référence au patronyme disparaît, dans ce type de salon. Chacune devient Fatima ou Jamila, Leïla ou Halima. Loin de traduire une situation d’anonymat, il s’agit plutôt d’une « ouverture » qui, sans s’attacher au « passé » ou aux « origines », renvoie, à la fois, à des modèles de mode et de « femme marocaine ». À Casablanca, depuis peu, des chaînes françaises de coiffure fast (Jacques Dessange) se sont installées, suivant la progression fulgurante de restaurants quick (Mac Donald’s ou Pizza Hut)3. Les clients et les clientes viennent y chercher un espace contrôlé où les coiffures (ou la nourriture) sont confectionnées selon des normes légitimées par un savoir international normalisé. Certes, ces salons sont généralement moins chers que ceux des coiffeurs qui « ont un nom ». Mais on peut facilement imaginer pourquoi un tel espace attire des femmes pour qui le désir (ou l’obligation) de « bouger » est vital, dans la perspective d’une construction personnelle. Cet espace rompt, en apparence, avec les habitudes familiales, comme avec celles du quartier. Il promet de transformer la femme selon des modèles « sûrs », légitimés non pas par un individu, mais par la référence à des modes internationales. On pourrait dire qu’il est « détaché » de la ville. On y voit, parfois, des comportements interdits ailleurs : une femme allumant une cigarette dans un salon tenu par une étrangère, durant le mois du carême (ramadan) ; un jeune homme venant dans le salon pour se faire faire une permanente.
17Chacun de ces types de salon correspond à une relation spécifique au temps et à l’espace, avec son équivalent dans d’autres aspects de la vie. Tous demeurent liés, dans leurs manifestations, à la notion d’un corps morcelé devant être mis en image. Leur importance n’est pas la même, cependant, dans chaque formule. Il apparaît que, dans les cas « médians » des salons fast, l’appel à des critères de « rationalité » et d’ouverture, en tant que valeurs, est le plus évident, à l’instar de la vie des femmes qui travaillent (grâce à des compétences acquises à l’école) ou qui sont appelées à « gérer » le rythme horaire d’une famille – dont les enfants sont scolarisés ou partent en colonie de vacances (Taylor, 1989). Néanmoins, même dans ces salons, il serait illusoire de dire que les modèles sont librement choisis (sur le plan de possibilités illimitées), selon un rêve moderniste comme celui qui a accompagné le développement de Casablanca (Rabinow, 1989). Plus que le résultat d’un changement déjà accompli, nous devons comprendre l’engouement des femmes pour le salon fast comme une aspiration à de nouveaux lieux de sociabilité.
Trouver sa place : entre les hommes et les « autres »
18Cette demande de nouveaux espaces est à rapprocher des discours sur le libéralisme ou la société civile. Elle peut être confrontée, de plus, aux tensions que suscite l’image de la femme véhiculée par ces discours et les médias, à la difficulté de se voir en tant que « femme marocaine » ou « femme qui travaille ». Tout comme dans l’économie, cette quête de certitude, liée à une notion d’efficacité et d’avenir, traduit une exigence d’individualisation et de distinction qui ne serait pas simplement issue du statut social, mais de « soi-même » : « Je pense qu’une femme même âgée doit prendre soin d’elle ; elle doit se maquiller, sortir souvent. Elle doit être ouverte et doit discuter avec les gens. La femme doit s’arranger selon sa personnalité et selon ses moyens ; elle ne doit pas copier sur les autres. »
19En dépit de l’omniprésence des discours sur « l’individualité » et ses choix, ces demandes reflètent, en premier lieu, le désir de participer à une forme de société spécifique qui se structurerait par des thèmes répandus tels que celui du « naturel ». En second lieu, la possibilité de faire sa vie autour de ces choix est aussi limitée que n’importe où dans le monde. Pour certaines femmes, les mouvements semblent aller trop loin ou trop vite. Elles recherchent une notion de civilité et de beauté qui corresponde à des statuts plus clairs, à des différences sociales inscrites sur les corps. C’est ce rêve de différence absolue qu’entretient la rupture avec le passé et les « autres ». On la rencontre également dans l’ambivalence d’une femme qui refuse d’admettre que n’importe quelle femme, selon les règles du marché, devrait pouvoir « jouer » le jeu de l’originalité : « Ce sont des femmes que j’aperçois, moi aussi, dans la rue, et je m’étonne, en me demandant d’où elles ramènent l’argent pour soigner leur look. Ces femmes-là, quand tu vas chez elles, tu trouves qu’elles manquent de tout. Au lieu de nourrir leurs familles, elles préfèrent se priver pour suivre la mode. Et même les belles choses qu’elles portent, elles ne leur vont pas, car ce n’est pas de leur niveau. Ces femmes s’habillent bien, juste pour se montrer, et pour montrer qu’elles peuvent être plus belles et plus élégantes que les filles des grandes familles. »
20« Ces femmes des classes défavorisées, même si elles font tout pour soigner leur look, elles ne me plaisent pas car elles ne sont pas naturelles. Par exemple, en ce qui me concerne, je n’ai jamais porté une djellaba avec des broderies (ttarz). Alors qu’elles, on les voit souvent avec des djellabas de ttarz. Si je n’en porte pas, c’est parce que j’estime que chacun doit vivre selon ses moyens. À mon avis, il n’y a que les gens qui ont les moyens qui doivent suivre la mode ; ceux qui n’en ont pas ne doivent pas imiter, pour concurrencer les autres. »
21« Depuis que je me suis mariée à Casablanca, j’ai vu que les gens ont beaucoup changé ; il y a une concurrence incroyable entre les gens pour paraître les meilleurs ; puis il y a eu, aussi, le phénomène des’aroubiya : eux passent leur temps à imiter les autres. Mais le problème c’est que toutes les choses qui ne se font pas naturellement, ne sont pas belles et ne vont pas aux gens… »
22Et si le pouvoir de s’ouvrir et de bouger venait avec la capacité « d’imiter les autres » ? Si la notion même de « modèle vrai » était obsolète, périmée ? Le soupçon du manque de vertu, introduit chez les « autres » par l’ouverture des possibilités esthétiques, n’est pas sans parallèle avec une certaine manière de proposer aux femmes « marocaines » d’être « femme », afin d’affirmer, malgré leurs mouvements, la nécessité de « garder » leur place (par peur de la perdre). Comment, alors, se mettre en mouvement, tout en restant à sa place ? Michel Foucault rappelle que le changement de mode de gouvernement, survenu à Rome à l’époque impériale, a eu des conséquences sur l’idée qu’on se faisait de soi : « Alors que l’éthique ancienne impliquait une articulation très serrée du pouvoir sur soi et du pouvoir sur les autres, et devait donc se référer à une esthétique de la vie en conformité avec le statut, les règles nouvelles du jeu politique rendent plus difficile la définition des rapports entre ce qu’on est, ce qu’on peut faire et ce qu’on est tenu d’accomplir ; la constitution de soi-même comme sujet éthique de ses propres actions devient plus problématique » (Foucault, 1984, p. 105).
23On pourrait reconsidérer ces remarques de Foucault dans une situation où il semble que « ce qu’on peut faire et ce qu’on est tenu d’accomplir » n’est pas facile à lier à « la constitution de soi-même comme sujet éthico-esthétique ». Si les références à ce qu’on peut « faire » sont importantes, il ne faudrait pas oublier l’importance de ce qu’on imagine être « capable » de faire et de ce qui « pourrait » advenir. Les manières de paraître signalent l’ouverture d’une femme, par le travail, mais aussi, quant à sa capacité de maintenir un équilibre entre son « ouverture » dans l’espace et sa « respectabilité ». Les « règles du jeu », politiques et sociales, ne proposent pas des statuts : elles agissent plus selon une logique de collage et d’assimilation que selon le choix de conduites claires (Ossman, 1994). Les régularités de la représentation politique ou personnelle ne sont pas des « règles » pour lesquelles on désigne des manières de faire ; car les discours de choix, de libéralisme et d’ouverture (voir de « transparence ») ne correspondent qu’en partie aux cadres de vie et aux formes du savoir.
24Les pratiques qui donnent lieu à la possibilité d’asseoir un statut sont, comme celles des instituts de beauté, de plus en plus distendues dans l’espace. Le pouvoir sur les autres et le pouvoir d’« être soi » sont liés à la possibilité de se « dissoudre », d’être partout de par ses actions, son image ou l’écho de sa voix, voire d’être en relation avec des personnages qui participent au monde, éclaté dans l’espace mais uni dans ses normes, de la mode internationale.
25Le mouvement concerne à la fois les gens et les choses, les idées et les représentations. Le discours de l’abstraction rationnelle, où le temps et l’espace seraient répartis de manière régulière, domine et ordonne les soins et les paiements dans les salons de coiffure, comme dans les grands magasins. Néanmoins, l’ordre des mouvements introduit des inégalités. Mais, en plus de ces limites d’ordre matériel, il nous fait percevoir les limites des possibles sociaux. Car, à s’en tenir à l’analyse des discours de la rationalité et de ses envers, nous ne faisons qu’un mouvement de bascule entre des dualismes. De même, nous pouvons comprendre des territoires et des échanges à partir de modèles culturels moins sophistiqués (par ce mot je veux dire « aptes à nous permettre de saisir des aspects pertinents ») que les rationalités purement « techniques ».
26Tout comme les images politiques ou celles de la mode vestimentaire, on observe dans les salons qu’il n’y a pas un simple processus de « bricolage » d’éléments venus de lieux dispersés en fonction d’« un système » d’interprétation local.
27Dans un salon du centre-ville, Samira regarde les modèles de la revue Elle et explique à Naïma, la coiffeuse, qu’elle aimerait bien une coupe courte « comme ça ». Mais elle lui explique que ce n’est pas possible parce que « trop court », « trop masculin ». Elle souhaite garder « un peu » de ses cheveux pour rester féminine.
28Une mode qualifiée dans cette revue de « sportive » ou de « chic » est donc « masculine », selon Samira. Narjis lui réplique en lui expliquant pourquoi elle a longtemps opté pour une coupe de ce genre : « Je voulais montrer que j’étais libre, que j’étais aussi forte qu’un homme. Pendant des années, je portais mes cheveux très courts et je n’aimais pas porter des robes, surtout avec des couleurs ou des tissus à fleurs. Effectivement, je m’imposais ; mais je me suis aussi éloignée de ma féminité. C’était un malaise que j’exprimais. »
29Samira est secrétaire, alors que Narjis est expert international. Toutes deux sont célibataires. Leurs dires, comme les autres points de vue échangés sur les modèles, ne cessent de rappeler l’importance de la séparation de l’homme et de la femme, et l’exigence stricte de n’employer que des signes de masculinité ou de féminité. La mode « unisexe » exprime un désir de distinction personnelle qui peut, en effet, mettre en cause l’ordre des relations entre les hommes et les femmes. Dans la limitation des choix et dans la possibilité de jouer de ces limites pour exprimer un point de vue, on perçoit que, à l’instar des domaines économique et politique, la possibilité de « se faire belle » ne s’opère pas dans un monde abstrait de choix absolu. La limite de l’autre s’exprime par référence à des femmes de la campagne (ou d’autrefois), mais, aussi et surtout, par rapport à la nécessité de maintenir des distinctions claires entre l’univers des hommes et celui des femmes, dans un monde où des mouvements les placent côte à côte.
30La difficulté de se mouvoir dans la mixité est reprise, fréquemment, dans des travaux sur le port du hijab. On y explique que le fait de se couvrir les cheveux, dans les lieux publics, permet aux filles et aux femmes plus de liberté, tout en les rassurant sur leurs relations à Dieu. On peut avancer l’idée que ces buts séculaires sont atteints, également, lorsque les femmes adoptent des signes explicitement féminins (Ossman, 1991). Le problème ne résiderait donc pas dans le mélange des corps au sein d’un même espace, mais plutôt dans la violation d’une règle de « genre ». Ainsi, les femmes qui jouent des limites entre les genres, dans les salons de coiffure ou chez elles, voire en faisant des courses, pourraient être perçues comme des artistes qui seraient plus ou moins douées dans l’assimilation de cette règle. Pour les femmes, identifiées par la société en fonction de leur sexe, l’espace des salons, comme celui d’une salle de sport ou de danse, contribue à rendre possible leur intervention dans l’élaboration du genre « femme », leur permettant d’affiner les sous-genres tels que la femme « classique » ou « bourgeoise », la fille « sexy » ou « classique ». À chaque modèle correspond une manière de « savoir parler aux gens » et de s’imaginer en rapport avec les autres.
31Qui va parler ? Qui va écouter ? C’est en réponse à ces questions que la variabilité des espaces ouverts par les divers salons intervient. L’interprétation des genres et la possibilité de s’exprimer de manière effective à travers cette expérimentation sont, en effet, liées au pouvoir de se faire écouter, dans un espace de paroles et d’images précises. Cet espace est changeant et ne correspond pas à une limite donnée de « culture » ou de nation, bien que ces termes interviennent dans la construction des espaces et des discours.
Le salon de coiffure : une institution internationale
32L’institution internationale qu’est le salon se situe non pas simplement dans des sites précis. Elle se développe selon les liens réels et possibles existant entre gens qui peuvent « bouger », selon les mêmes rythmes. Toutefois, les choix de chacun ne sont pas entièrement déterminés par cette faculté de se mouvoir. Les rencontres « face à face » prennent une importance différente selon la manière dont elles se situent dans l’univers des échanges possibles, pour un individu comme pour un groupe. L’analyse ethnographique des lieux ne demeure un moyen privilégié pour observer l’émergence des rythmes que si, d’une part, on prend en compte la nécessité d’introduire l’autre, l’absent ; et, d’autre part, si l’on reconnaît les champs d’activité et les régularités des temps et des espaces qui font qu’un lieu se distingue des autres. Les normes de représentation introduites par les nouvelles technologies de l’information sont cruciales, non seulement pour l’appréhension de ces « autres absents », mais aussi pour la manière de cerner les visages connus depuis toujours.
33Les salons de Casablanca participent à des divisions de savoir et de pouvoir, de caractère international, où des vivants côtoient des morts à travers des images et des histoires. Les échanges et les ruptures peuvent être plus ou moins intenses, pour se situer en « régions » qui ne correspondent pas toujours aux divisions historiques entre nations, civilisations et « cultures » (Badie et Smouts, 1992 ; Gupta et Ferguson, 1992). Des nouvelles différences naissent, qui, sans qu’on les « voie », influent sur les identités sociales tenues pour être les plus enracinées dans nos manières de comprendre les gens et les sociétés4.
34Les impératifs pratiques, esthétiques des Casablancaises peuvent s’exprimer, en paroles, par la conciliation d’un passé mythique avec le présent. Leïla explique qu’« aujourd’hui les produits pour les cheveux et pour le maquillage sont plus naturels » ; et que « l’on recommence à utiliser les produits à base de plantes, comme nos grands-mères ». Les récits sur les femmes des autres temps et sur les « autres » d’aujourd’hui ressemblent fort aux discours des anthropologues qui « partagent » le monde entre les sociétés avec et « sans » histoire (Lenclud, 1992). Pour ces Casablancaises, aller chez le coiffeur ou se maquiller, c’est traverser une histoire collective et personnelle qui se dit en rupture avec un état d’innocence ou de pureté ethnique ou individuelle. Elles évoquent la traversée d’une période dangereuse où elles ont employé des modes et des produits qui peuvent « faire du mal à la peau » ; elles seraient, ensuite, parvenues à un moment où l’accumulation des savoirs sur le monde international de la mode – et sur soi-même – leur a permis de contrôler, à leur gré, les formes et les forces de la « modernité », afin de produire de nouvelles manières d’être soi.
Notes de bas de page
1 Cette étude, basée sur l’observation participante, a été réalisée, entre 1993 et 1995, à Casablanca. Des entretiens semi-directifs ont été conduits par moi-même et par Fedwa Lamzal, dans les salons de coiffure ou à domicile, voire dans d’autres lieux de rencontre, auprès d’une quarantaine de femmes et d’une dizaine d’hommes.
2 Haïk : longue robe portée par les femmes (voir l’article de Amina Aouchar dans cet ouvrage). Souak : écorce utilisée pour nettoyer les dents et rehausser la couleur des gencives.
3 Voir l’étude de Hannah Davis-Taiëb, dans cet ouvrage.
4 L’étude sur les différents salons de coiffure à Casablanca s’inscrit dans une recherche comparative. Depuis cette recherche au Maroc, j’ai pu étendre mes enquêtes aux salons de coiffure et d’esthétique du Caire et de Paris où sont produits la plupart des modèles adoptés et remodelés par les Casablancaises.
Auteur
Université américaine de Paris, Laboratoire « Communication et politique » du CNRS, Paris
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