Chapitre II. De l’embauche à l’usine, comme de la dévolution d’un patrimoine
p. 43-56
Dédicace
à Marcel Burnat
Texte intégral
1L’étude du monde ouvrier a engendré une riche tradition sociologique. Confrontée au phénomène de la reproduction sociale, tantôt cette tradition suppose qu’elle se fait à l’identique et de manière largement collective – autrement dit la reproduction est conçue en fonction d’une hypothétique conscience de classe –, tantôt elle s’attache à expliciter des mécanismes d’ascension sociale, lesquels sont alors décriptés comme autant de parcours individuels. L’inconvénient de ces deux approches est qu’utilisant des filets aux mailles ou trop larges ou trop étroites, elles ne permettent pas de saisir dans toute leur subtilité les réalités de la filiation.
2Dans une remarquable somme consacrée aux paysanneries européennes, Georges Augustins1 a montré de son côté que l’héritage, en ce qu’on peut l’assimiler à la filiation, revêt deux facettes distinctes bien que complémentaires : un aspect matériel, le plus évident aux yeux de tous, et un aspect immatériel. Si la filiation est une question de transmission, elle est également, et peut-être même avant tout, une affaire de succession. Pour illustrer cette distinction, prenons un exemple simple, celui d’une famille de fermiers du début de ce siècle. Une telle unité productive louait les terres qu’elle exploitait à un propriétaire ; elle ne possédait donc aucun patrimoine. A la mort du père, la transmission suscitait peu de difficultés : pour peu que cette famille fût pauvre, elle portait uniquement sur les meubles, quelques outils, le linge et la vaisselle. En revanche, la succession était autrement épineuse. Il fallait en effet désigner lequel des enfants aurait le droit de poursuivre l’exploitation de la terre, c’est-à-dire « d’hériter » du bail qui liait le père, de son vivant, au propriétaire foncier, étant entendu alors que les autres, exclus, devaient tenter soit de s’installer ailleurs comme fermiers, soit de trouver des moyens d’existence autres que l’agriculture qui les avait vu naître2. On notera qu’aujourd’hui, à cause des impératifs du marché qui exigent un accroissement continu de la taille des exploitations agricoles, c’est pour l’ensemble du monde paysan, toutes catégories d’exploitants confondues, que la question de l’héritage se pose essentiellement comme une question de succession. La transmission du patrimoine foncier en tant que tel devient accessoire et se fait en règle générale selon diverses formules qui reviennent à entériner le fait successoral.
3Cette introduction sous forme de détour par le monde paysan se justifie, car si nous avons mené notre enquête auprès de la population ouvrière d’une très importante entreprise française d’eau minérale, les caractéristiques de cette population la situent à la croisée de chemins qui relèvent des problématiques respectives de la succession rurale et de la reproduction en milieu ouvrier. Il s’agit en effet d’ouvriers qui entretiennent de très fortes attaches avec leurs racines paysannes, elles-mêmes indissociables d’un particularisme régional très accentué. L’enquête, d’inspiration ethnographique, s’est déroulée au sein même de l’usine, l’ethnologue s’attachant à la personne d’un ouvrier3 particulier, un peu à la manière des apprentis d’autrefois4. Lors des premières phases de l’enquête, la parenté n’apparut aucunement comme un enjeu majeur. Pourtant, une plongée progressive dans la vie quotidienne de l’atelier, un nécessaire détour par des considérations sur la temporalité propre du travail en usine, considérations qui de prime abord en semblent fort éloignées, une intuition enfin quant à la force du non-dit, amenèrent l’ethnologue à s’interroger : et si en définitive, la parenté n’était pas la clé du comportement des ouvriers ? et si elle n’était pas l’explication de la réalité sociale observée dans cette usine ?
Sur les rives du lac Léman...
4Le bassin de recrutement de l’usine s’étend de façon régulière sur une aire géographique assez large, à savoir le pays de Gavot (le rivage du lac Léman, de Thonon à St-Gingolf, village frontalier, et les coteaux juste au-dessus) ainsi que le moyen bassin de la Dranse. Cet espace correspond à une unité géographique que l’on pourrait définir comme l’aire d’influence traditionnelle de la ville de Thonon. Un fort sentiment identitaire lie les gens de ce « pays », dont témoigne en particulier la capacité linguistique des individus. Chacun maîtrise trois parlers distincts. Le patois est utilisé entre parents proches ou voisins, dans le village donc. Il tend à s’atténuer en même temps que se perd, pour les ouvriers, l’entretien en parallèle d’une véritable exploitation agricole. Les ouvriers emploient un français quasi standard face à un « étranger » (« il n’est pas d’ici »), tandis qu’entre eux, sur les lieux de travail, ils usent d’un parler teinté d’un léger accent qui rappelle celui de la Suisse voisine et où les expressions et les tournures idiomatiques foisonnent.
5Le Bas-Chablais est une région qui jouit d’un riche potentiel agro-pastoral. Ses habitants le savent et le soulignent volontiers : « Ici, tout vient (tout pousse) ». Grands producteurs de lait, ils rejettent dans une inconcevable pauvreté les habitants des autres pays savoyards en les cataloguant de « bouseux », et avec une telle insistance que l’on se demande parfois si leur idée à ce propos ne leur a pas été inspirée par quelque reportage télévisuel sur le Haut-Tibet : « Là-bas, ils sont obligés d’utiliser la bouse de vache pour faire la lumière (le feu). » Ou encore : « Pour ne pas avoir froid, ils recouvrent leurs murs de bouse de vache. » Une simple observation des paysages confirme les dires des habitants au sujet de la richesse de leurs terroirs : densité des villages, ampleur des fermes et surtout des églises. Aussi à la différence des hautes vallées savoyardes, ce pays ne connut-il pas dans le passé de fortes émigrations, sinon temporaires vers la Suisse voisine, essentiellement pour le temps des vendanges. Ce fut plutôt un lieu d’immigration, notamment en provenance d’Italie. Il en résulte que les Chablaisiens montrent très peu de curiosité pour l’extérieur. Leur géographie mentale ne semble guère dépasser Douvaine, la bourgade qui commande l’accès à Genève. Un peu d’ouverture se manifesterait-elle que ce serait presque exclusivement en direction du pays de Vaud, en direction de cette partie de la Suisse qui leur fait vis-à-vis. Les gens du Bas-Chablais ignorent Genève – comme ils ignorent l’ensemble de la France – mais ils ont en permanence sous les yeux (effectivement ou virtuellement en cas de brouillard) les lumières de Lausanne qui miroitent de l’autre côté du lac. Au reste, nombreux sont ceux qui font la traversée en bateau deux fois par jour pour travailler là-bas. Nul doute qu’ils partagent un grand nombre de valeurs avec les Vaudois. Il est frappant de constater que pour les ouvriers qui s’adonnent au ski de randonnée – ils sont plusieurs dans l’usine – toutes leurs expéditions ont pour théâtre la Suisse, et jamais les Alpes françaises, or les commodités de circulation ne suffisent pas à rendre compte d’une telle exclusive. De même une certaine conception de l’ordre, de la propreté et, disons-le, de l’argent renvoie incontestablement au modèle suisse. Allons plus loin en ce sens : l’idéal sociologique pourrait bien être suisse mais sur place, sur cette rive-ci du Léman. L’idéal est d’avoir les moyens de se conformer au modèle suisse, sans pour autant avoir besoin d’aller en Suisse, et en particulier en évitant d’y aller travailler, situation aussi éprouvante physiquement, à cause de la longueur des déplacements – il faut emprunter tous les jours le bateau d’Evian à Lausanne –, que psychologiquement, le statut de frontalier ayant en définitive quelque chose d’humiliant.
L’identité à l’usine
6Pour l’ouvrier qui travaille posté sur une « ligne5 » ce qu’il participe à produire – de l’eau minérale en bouteille – prend très rapidement un caractère totalement abstrait. Il est significatif à cet égard que dans l’enceinte de l’usine on n’entende jamais prononcer le terme de « col », terme qui désigne une bouteille dans le jargon des commerciaux. L’eau n’a aucune réalité. Aussi, dans leur langage où l’argent sert de référence ultime, les ouvriers affirment-ils que « cela (produire) ne leur (à la direction) coûte pas cher, car la matière première (l’eau) est gratuite. » Quant au contenant, bouteilles, cartons, packs, palettes, etc., un bon sens paysan leur interdit d’y voir l’essence même du produit.
7Le continuum spatial que représente la ligne a son équivalent dans l’ordre temporel puisque l’usine, comme animée d’un mouvement perpétuel, « tourne » vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Tout se passe comme si on partait de rien, ou si peu, de l’eau, pour aboutir à des trains entiers, et cela selon une logique de l’infini temporel. De fait, une ligne fonctionne comme un tout organique, l’arrêt ou le ralentissement d’une machine se répercutant à toutes les autres. Pourtant les ouvriers sont tous attachés à une, ou à un regroupement de deux machines. Leur travail – et leur principal souci – consiste à en surveiller la cadence que mesurent de petits compteurs luminescents, tant de bouteilles/seconde à une extrémité de la ligne à tant de palettes/heure à l’autre en passant par le tant de paks/minute au milieu. Leur préoccupation réside dans le maintien à tout prix de la cadence ; elle ne résulte pas seulement de la pression qu’exerce la direction sur son personnel. Quasi transcendante, cette préoccupation tient de l’être profond de l’ouvrier : en définitive, ce dernier ne produit rien d’autre que de la cadence, à l’intérieur d’une temporalité en soi aberrante, celle des trois huit, temporalité qui équivaut à une tripartition, imposée par une nécessité sociale, d’un rythme pourtant fondamentalement binaire, à savoir le cycle journalier. Le processus productif se résume dans une soumission à une temporalité monstrueuse, simultanément folle scansion répétive des mêmes opérations et décalage perpétuel du rythme journalier. Nous découvrons plus loin qu’il est peut-être la condition de la perpétuation d’un système de reproduction sociale qui, quant à lui, se caractérise par une temporalité longue et par une circulation de biens, la dévolution des patrimoines confinant elle aussi, à sa manière, à la répétition.
8Deux conséquences de cet état des choses en résultent, l’une pouvant se lire comme l’envers positif de l’autre. Les ouvriers vivent fort mal leurs horaires de travail et les roulements hebdomadaires. L’astreinte à un perpétuel décalage par rapport aux rythmes circadien et sociologique, sorte de malédiction d’origine supérieure, sert de principal levier à la conscience ouvrière. L’ouvrier va très rapidement s’installer dans son poste et, à partir de là, investir socialement son espace de travail, notamment à travers le rituel des salutations. Chaque camarade rencontré pour la première fois de la journée est salué d’un « Adieu, ça va ? » accompagné d’une franche poignée de main. Cet échange de salutations se fait de façon aléatoire à travers l’atelier, au gré des rencontres. En revanche, entre postés d’une même ligne, il devient obligation. C’est d’ailleurs les lignes qui définissent les espaces de sociabilité, selon un sentiment de convivialité plutôt que de réelle solidarité. Lorsqu’une des machines tombe en panne ou se dérègle, chacun en amont ou en aval de venir voir, de donner des conseils ou de s’insurger contre l’incurie des techniciens, incapables de concevoir des plans d’entretien propres à éviter de tels blocages. De même, les opérateurs de l’ancienne génération évoquent avec regret une époque révolue où la « ligne » entière se retrouvait autour d’un verre pour célébrer certains événements calendaires, comme la Saint-Jean et la Saint-Joseph ou encore l’anniversaire de tel ou tel. Dans sa juste lutte contre la consommation d’alcool dans l’enceinte de l’usine, la direction a interdit le vin lors de ces réunions et a proposé de lui substituer, à ses frais, une boisson aux fruits, production d’une de ses filiales. La tradition s’est pourtant perdue, n’ayant pu s’adapter à de tels réaménagements. On évoque avec nostalgie l’époque où les lignes s’arrêtaient complètement, l’époque de la pause collective : « Alors, on cassait la croûte tous ensemble et on était bien ; on se sentait moins individualiste qu’aujourd’hui ! »
9Par ailleurs, les ouvriers postés s’accordent pour percevoir de façon négative l’ensemble de la hiérarchie présente à l’usine. Ce rejet des techniciens ou des ingénieurs se fonde sur deux motifs, le fait qu’ils échappent aux horaires des postés et celui qu’ils sont le plus souvent des étrangers « à la région ». Quant au reste de l’entreprise, elle est tout bonnement ignorée. De très nombreux ouvriers ne connaissent pas le nom de l’actuel PDG. Seuls les noms de ses deux ou trois collaborateurs chargés du personnel, et surtout de son recrutement, sont vraiment sus de tous. Dans un contexte ordinaire, c’est-à-dire non-revendicatif, l’appartenance de la société au plus grand et au plus puissant groupe agro-alimentaire français demeure une réalité totalement abstraite. L’usine apparaît ainsi comme un milieu social très fragmenté, non pas exactement refermé sur lui-même mais plutôt exclusivement tourné vers son environnement sociologique immédiat, vers son « bassin naturel de main d’œuvre », en bref vers la société déjà plus que partiellement paysanne dont il est à la fois une composante importante et le reflet.
La vraie vie est ailleurs
10L’usine est un milieu extrêmement bruyant. Pourtant, ce n’est pas de cela que les informateurs se plaignent : « Ce qui nous gêne le plus dans ce travail, ce n’est pas tant le bruit – nous commençons à être habitués – que le fait de devoir marcher toute la journée sur un sol en béton. » Marcher sur du béton, marcher sur un sol dur, revient à ne pas marcher sur un sol mou – celui de ses bois, de ses champs, de son jardin –, autrement dit celui de la terre. Si l’on peut s’habituer au bruit, on prétend ne pas pouvoir s’accoutumer à être séparé, ne serait-ce que pour huit heures d’affilée, de sa propriété, de son bien.
11La vraie vie est donc ailleurs. Elle est dans la maison. Au casse-croûte ou lors de n’importe quel moment de détente sur la ligne, la maison et ses extensions, pelouse, verger, jardin potager, propriétés forestières..., constituent le sujet de conversation privilégié. Les gens ne commentent pratiquement jamais ce qui se passe à l’intérieur de l’usine et, plus frappant encore, n’évoquent jamais leur vie familiale. Leur seul sujet de conversation se rapporte au bricolage, à la réfection des peintures, à l’installation de porte de garage ou encore au choix des plantations, à l’achat d’un nouveau motoculteur, à la tonte de la pelouse, à l’opportunité de fumure, coupe et transport de bois pour ceux qui possèdent une parcelle forestière. Bref, ils ne parlent que de la maison.
12On pourrait invoquer maints faits ou anecdotes à l’appui de la thèse que la maison – sa construction ou son acquisition, son entretien et, à terme, sa transmission – cristallise l’ethos local (pour reprendre l’expression de Bourdieu). Contentons-nous de celui-ci. Au cours d’une conversation à table, on commente le dernier scandale du pays, suscité par le comportement d’une jeune femme. Agée d’une trentaine d’années, secrétaire chez un petit entrepreneur, elle abandonne son mari et ses deux enfants pour partir avec le fils de son patron qui revenait de l’armée. « Maintenant ils habitent dans un appartement en ville. Le père du gosse (l’entrepreneur, père du jeune homme), il est quand même bien embêté. Elle reviendra certainement ; cela ne peut pas durer. Quand on commence à toucher à la maison, ça fait mal. Quand il faut la partager et tout ça. Elle a laissé la maison et les enfants... » La dimension première du scandale n’est pas, contre toute attente, d’ordre sexuel et n’est que secondairement liée au destin des enfants : elle concerne avant tout la maison.
13Une sorte de compétition égalitariste à l’excellence semble régir les relations sociales de ce pays, d’où un conformisme extrême. Reste de la société paysanne d’autrefois, l’entraide est très forte entre unités familiales, notamment pour le prêt de matériel horticole ou de gros bricolage (pour le petit, tout le monde est équipé). Ils s’aident tous entre eux pour tous avoir la même plus belle maison et la même plus belle pelouse. Cette solidarité horizontale qui suit les réseaux que trace la parenté (les frères, les beaux-frères, etc.) connaît un revers ; c’est le thème de la « jalousie » qui parfois affleure, au détour d’une conversation. Celui qui réussit trop bien s’expose à la malveillance anonyme. Alors des désagréments, voire des accidents, surviennent, qui ne peuvent trouver d’explication que dans l’animosité, dans la jalousie qu’éprouvent certains au vu de cette réussite.
14En dépit des apparences, la population ouvrière demeure encore largement sous l’emprise du système social traditionnel, même si elle ne s’adonne à des activités agricoles que de manière résiduelle. Au fil des discussions, à la cantine notamment, la maison, réelle ou potentielle, fait figure de préoccupation majeure, voire de fixation. Elle s’est substituée à l’exploitation agricole d’antan. L’intérêt que les individus manifestent pour cette entité matérielle s’accompagne, de leur part, d’une sorte d’occultation de leur famille, en particulier de leurs enfants. En réalité, la maison n’est qu’une façade. Elle n’est jamais que l’expression en plein jour d’une réalité beaucoup plus secrète : le patrimoine qui, lui, a autant trait aux personnes qu’aux biens. Si le patrimoine est en effet une perpétuelle constitution de biens, il n’en demeure pas moins toujours en puissance, puisque son actualisation est uniquement liée à sa dévolution (à sa transmission), que ce soit par héritage, partage anticipé ou transmission dotale. A cet égard, un mariage est un événement aussi important qu’un décès. On sait que toutes ces sociétés de montagne, où l’espace utile est limité, ont développé une véritable obsession pour les questions patrimoniales et ce n’est certainement pas sa « désagriculturation », somme toute relative, qui l’aurait fait renoncer à ses vieux démons, bien au contraire. Les enjeux se sont désormais focalisés sur les terrains à bâtir, tout aussi rares que l’étaient naguère les patûres.
Un népotisme ouvrier ?
15Dans tout le pays, la société d’embouteillage des eaux minérales est renommée. Il s’agit non seulement de l’entreprise qui compte le plus grand nombre d’employés, pesant ainsi sur toute l’économie locale, mais surtout de celle qui rétribue le mieux son personnel. Entre salaires, intéressement et participation, travailler dans cette usine représente aujourd’hui un avantage considérable. D’autant que l’entreprise offre à son personnel un autre avantage, considérable aux yeux de tous : une grande sécurité de l’emploi. De mémoire locale, elle n’a jamais débauché pour difficultés économiques. Aussi, bien qu’ils le fassent avec réticence, ses ouvriers ou ses employés finissent-ils par reconnaître des avantages à leur situation. On remarquera cependant qu’ils préfèrent les formuler de manière collective, donc indéterminée, plutôt que personnalisée ainsi que l’atteste la confidence suivante : « Il faut bien le reconnaître, cette boîte est la vache à lait du pays. Mais l’argent est redistribué. On ne le met pas dans une banque en Suisse. On construit des maisons. » Certes, la construction d’une maison entraîne une redistribution d’argent dont profitent fournisseurs et entrepreneurs. Le phénomène reste toutefois d’ampleur limité car, hormis le gros-œuvre, on construit soi-même avec l’aide de proches. En fait, la construction des maisons équivaut surtout à une transformation, à une transmutation, aimerait-on dire, de salaires en patrimoine, lequel est effectivement appelé à être redistribué. Mais il ne le sera que lors d’une transmission patrimoniale, à la suite d’un décès ou à l’occasion d’un mariage, c’est-à-dire de façon extrêmement restreinte et en fonction d’une temporalité particulièrement longue qui correspond à celle qui régit le renouvellement des générations.
16Compte tenu des avantages qu’elle représente (rémunération élevée, stabilité de l’emploi, considération sociale), une embauche définitive dans cette entreprise ne relève pas tant d’un accès à un travail salarié que du véritable octroi d’un privilège – de quelque chose dont on jouit, dont on a l’usufruit, à l’instar d’un troupeau de vaches ou d’une parcelle de terrain. Et la dureté des conditions de travail, notamment en matière de bruit ou d’horaires, sera en grande partie intériorisée comme étant le « prix » à payer en contrepartie de cette jouissance. Cela explique, par exemple, le manque total de combativité des délégations syndicales locales sur ces questions. Il ne saurait y avoir de privilège sans devoir, sans contrainte.
17Un privilège, réalité immatérielle, a par essence vocation à se transmettre : la stratégie du personnel va donc consister à essayer de transmettre le privilège d’appartenir à l’entreprise, d’une génération à la suivante, c’est-à-dire de faire entrer leurs enfants dans la « boîte ». Cela représente un enjeu considérable, que l’on peut directement assimiler à une transmission patrimoniale. La meilleure preuve en est qu’il fait l’objet d’un non-dit, d’un « tabou » généralisé, de même que dans la société paysanne qui sert de toile de fond à cet ethos, on ne parle pas ouvertement des affaires d’héritage. D’ailleurs, lorsqu’on discute à travers le pays avec les commerçants ou les jeunes consommateurs des bars, tous reconnaissent spontanément que dans cette entreprise « il n’y a que de la parenté ». A l’intérieur de l’usine, en revanche, nous n’avons jamais entendu dire de la part des ouvriers eux-mêmes quoi que ce soit qui se rapporterait à des liens de parenté entre eux. Or, de toute évidence, de tels liens existent : ils font simplement l’objet d’un non-dit systématique et largement inconscient, ce qui ne les empêche pas pour autant de s’exprimer dans diverses revendications collectives.
18La logique économique dominante vient renforcer, sinon sanctionner aux yeux de cette société locale, par une sorte de légitimité inespérée, ses propres conceptions concernant l’entrée dans le salariat comme dévolution d’un patrimoine. En effet, vu toutes les garanties qu’offre l’appartenance à l’entreprise, les banques accordent immédiatement toutes facilités de crédit à celui qui y est embauché en vertu d’un contrat à durée indéterminée. En être ou pas trace ici une véritable ligne de démarcation entre les uns et les autres. C’est pour financer la construction de sa maison qu’un jeune homme se rend chez le banquier et emprunte. Il le fait dès que possible, autrement dit dès l’embauche tant attendue. Mais les conséquences d’une embauche vont beaucoup plus loin au regard de la circulation patrimoniale. Elle en est souvent directement ou indirectement l’initiatrice : pour construire, il faut un terrain que permettent d’acquérir soit un partage anticipé du patrimoine familial, soit un mariage accompagné de dot, mariage que l’on imagine bien être resté en suspens jusqu’à présent, faute justement de répondant. D’une certaine façon, l’idéologie de cette société aux réflexes paysans – 1’« idéel » selon Godelier6 – se trouve comme repliée sur elle-même, intacte, bien que prise en tenaille entre deux niveaux infrastructurels totalement distincts, l’économie agro-pastorale d’antan et celle de la modernité industrielle d’aujourd’hui.
L’inconscient collectif : direction et syndicats
19Le népotisme ouvrier échappe en grande partie à la direction de l’usine autant dans ce qu’il implique comme représentation – le salariat comme forme ultime du patrimoine – que dans son ampleur. Non pas que cette dernière l’ignore totalement mais plutôt qu’elle y voit une réalité appartenant au folklore local et qui serait aujourd’hui largement dépassée. Désormais, la direction, composée de cadres « jeunes et dynamiques », formés dans les meilleures écoles aux méthodes les plus avancées, fait appel à des techniques de recrutement fondées sur toute une série de tests psychologiques ou d’aptitude. L’usine vient d’ailleurs de connaître une importante vague d’embauches, la première depuis une vingtaine d’années. Et ce sont ces techniques de recrutement qui ont été utilisées. Or un pointage rétrospectif des embauches qui se sont étalées sur trois ans confirme pleinement l’hypothèse selon laquelle les ouvriers ont cherché et... réussi dans un grand nombre de cas à faire intégrer leurs enfants, sans que la direction en ait pris conscience. Au plus fort de la vague d’embauches, jusqu’à 50 % des nouveaux étaient des fils ou des neveux de membres du personnel7. Taux considérable si l’on tient compte des aléas démographiques. Tout individu âgé de quarante à cinquante-cinq ans n’a pas en effet un fils entre vingt et vingt-cinq ans. Tout se passe comme si, en définitive, ce n’était pas une entreprise modèle d’embouteillage qui avait lancé, sur des bases scientifiques, une vaste campagne d’embauche mais plutôt comme si c’était un pays entier décidant de lui-même qui, à l’occasion du renouvellement des générations, entrerait ou n’entrerait pas à l’usine, et ce en fonction de ses propres conceptions de la gestion des individus et des ressources patrimoniales disponibles.
20Bien que la direction n’ait jamais été pleinement consciente du phénomène népotique, elle utilise des modes de gestion de son personnel ouvrier qui, jouant précisément sur ce ressort, lui permettent de conserver une emprise considérable sur celui-ci. Se justifiant par les arguments habituels en la matière, nécessité d’une certaine souplesse, d’une capacité de réponse aux fluctations du marché etc., elle maintient en effet – et cela aussi longtemps que la législation en vigueur l’autorise8 – la frange la plus jeune de sa force de travail dans des conditions d’embauche extrêmement aléatoires. Elle a recours pour cela aux contrats de saisonniers ou à des vacations à durée déterminée, ou encore au recrutement d’ouvriers au statut d’intérimaires. Ce faisant, elle fait pression, directement et indirectement, sur l’ensemble des ouvriers, les jeunes étant en grande partie les enfants de l’ancienne génération, apparemment « installée »9.
21De manière symétrique, on observe une singulière adaptation des syndicats à la réalité locale. Il est clair qu’ils ne peuvent pas promouvoir le népotisme en tant que programme d’action explicite, celui-ci n’ayant sa place dans aucune des grandes idéologies contemporaines. Et pourtant, fidèles reflets de leur base, ils se sont faits les défenseurs de quelques règles tacites qui vont tout-à-fait dans ce sens, notamment celle qui stipule que les emplois saisonniers, c’est-à-dire les remplacements lors des périodes de vacances, sont réservés en priorité (en pratique, ils le sont en exclusivité) à des enfants du personnel. L’emploi saisonnier représente ainsi la première opportunité d’une fréquentation légitime (au sens où l’entend Bourdieu) de l’usine qui, d’emplois temporaires à ceux d’intérimaires, doit déboucher à la longue sur une embauche définitive. On pourrait interpréter pareillement le fait, suite logique du précédent, que les syndicats ont récemment obtenu un quota d’embauches réservées justement aux personnels intérimaires. Là encore la boucle est bouclée et renferme sur lui-même le monde de l’usine : des emplois saisonniers réservés aux quotas d’embauches, la porte est très étroite pour celui qui, n’appartenant pas à la parenté, comme disent les gens du pays, prétendrait toutefois à un emploi permanent dans cette usine10. Un marché du travail libre est l’une de ces belles illusions dont se bercent les économistes, qu’ils soient du reste d’obédience libérale ou marxiste !
22A l’heure actuelle, l’usine vit la fin d’une période de renouvellement du personnel. Deux générations cohabitent dans l’entreprise, celle des quarante-cinq/cinquante-cinq ans, confortablement installés à l’usine comme dans la vie – ils ont fini de payer leur maison –, et celle de leurs enfants, en cours de recrutement. Nous l’avons vu, la direction fait pression sur l’ensemble du corps ouvrier. Elle le fait directement sur les jeunes en les maintenant le plus longtemps possible dans une situation précaire, et indirectement sur les « vieux » par le biais des conditions imposées à leurs fils. Dans un tel contexte, on peut faire confiance aux « vieux » pour qu’eux aussi et à leur manière, c’est-à-dire en usant des moyens internes à la structure sociale traditionnelle, se fassent le relais de cette pression exercée sur les jeunes. Nous avons bien un corps ouvrier largement solidaire, mais pas dans le sens habituel du terme, au contraire. Des intérêts de reproduction sociale, mais qui s’expriment comme autant d’intérêts singuliers de perpétuation individuelle, fragmentent largement une solidarité ouvrière qui serait uniquement comprise dans son acception classique. Si le corps des ouvriers est solidaire, il l’est dans un sens mécanique, comme peuvent l’être deux pièces d’une machine : si on exerce une pression sur une de ses parties, on agit sur l’ensemble.
23Cette nouvelle génération choisit-elle vraiment son destin en entrant à l’usine sous une pression sociale généralisée, combinaison inattendue de forces anciennes (les structures familiales et les exigences d’une dévolution patrimoniale dans les règles) et de forces modernes (incarnées par la direction de l’usine) qui la conduit à sacrifier ses potentialités intellectuelles ? En effet, contrairement à l’idée selon laquelle les individus poussent systématiquement leurs enfants à poursuivre des études dans l’espoir qu’ils parviennent à une position sociale supérieure à la leur, on assisterait ici plutôt à une limitation des ambitions d’ascension sociale. Pour ces fils, l’objectif est d’obtenir un profil professionnel qui corresponde aux besoins de l’usine. Certes, les « postés » souhaitent que leurs enfants acquièrent un niveau de compétence qui leur permette de briguer une place d’agent technique, ce qui les soustrairait à la dure loi des horaires de travail tournant, mais, réalistes, ils savent également que les places de ce type sont en nombre extrêmement limité. D’une façon générale, si l’ancienne génération pose, aux yeux de la direction, des problèmes de sous-qualification, c’est la sur-qualification des jeunes ouvriers qui la préoccupe, d’autant plus qu’elle sait qu’elle a peu de perspectives de promotion à offrir : la place d’un bachelier est-elle d’être assis à vie huit heures par jour devant une machine qui emballe les bouteilles par paquet de six ? La conjoncture sociale actuelle ne saurait cependant durer éternellement car la cohabitation à l’intérieur de l’usine de deux générations distinctes, celles des quarante-cinq/cinquante-cinq ans et celle des vingt/ trente ans, enfants des précédents, s’achèvera lorsque, dans dix à quinze ans, la première sera partie à la retraite. Seule restera alors la nouvelle génération dont les enfants ne seront pas encore suffisamment âgés pour que les enjeux de sa propre reproduction la retienne de s’exprimer et de laisser exploser toute la frustration accumulée depuis son embauche. A ce moment-là, il y a de fortes chances que la solidarité horizontale, la solidarité ouvrière classique, fonctionne à plein parce qu’aucune autre logique ne viendra l’entraver. S’adonner à de telles prédictions pourrait sembler un exercice bien hasardeux si nos informateurs ne nous avaient pas raconté qu’il y a une dizaine d’années, soit dans une conjoncture exactement similaire à celle que nous anticipons, ils avaient soutenu contre la direction une grève très longue. C’est d’ailleurs au terme de ce conflit qu’ils avaient obtenu l’essentiel des avantages financiers qui caractérisent leur situation actuelle.
24On peut être tenté de voir ici l’amorce d’un cycle, étalé dans le temps, entre deux états de la condition ouvrière, l’un classique, productif, obéissant à une solidarité horizontale et un autre, réagissant à des impératifs individuels de reproduction et qui, de ce fait, renverrait à un modèle paysan que l’on sait toujours proche. Le premier état relèverait d’une logique de classe et le second de l’ordre de la parenté. Mais s’en tenir à un tel cycle serait se satisfaire d’une image trompeuse de la réalité car, dans le cas étudié, l’ordre de la parenté, en dépit d’une visibilité fluctuante, demeure l’ordre dominant.
Persistance des modes de perpétuation
25Nous venons de décrire une situation qui, au regard des modes de recrutement, mérite d’être qualifiée de « fermée ». Dans une région industrielle de Normandie, Sophie Martin11 a observé à l’opposé une situation « ouverte », où les réseaux de parenté servent de support à des échanges d’informations sur les différentes opportunités d’embauches. La différence réside dans le fait que tantôt il y a, de la part d’une entreprise, situation de monopole (absolu ou relatif) au regard de l’attractivité de l’emploi, tantôt, au contraire, plusieurs entreprises offrent des possibilités égales ou équivalentes. Si le premier cas de figure implique un système de recrutement de la main d’œuvre qui équivaut à celui des dévolutions patrimoniales, nul doute que le second cas corresponde à l’image classique du prolétariat1. Il est frappant de constater alors combien celui-ci est synonyme de liberté de parole et celui-là d’interdit. Un informateur issu d’un milieu de cheminots tend à confirmer cette hypothèse. Chez lui, on ne parlait jamais du destin futur des enfants, alors même que chacun savait pertinemment quel devait être cet avenir : travailler à la SNCF, à l’image du père. De même, dans les familles paysannes, ne parle-t-on jamais au quotidien du partage à venir du patrimoine. De même enfin, dans l’usine où nous avons enquêté, ne parlait-on jamais de parenté. Partout, pèse un même tabou.
26L’exemple étudié atteste d’un phénomène de chevauchement dans la succession entre deux générations. Il montre aussi une logique inverse de celle qui justement prévaut désormais dans le monde agricole, où comme nous le rappelions s’impose désormais la succession unique, en totale indépendance de la transmission. Dans cette usine des bords du lac Léman, la possibilité d’une succession multiple, c’est-à-dire partagée, existe, du moins virtuellement, tandis que c’est bien le fait d’accéder à cette succession qui détermine la transmission. Logiques inverses mais complémentaires, l’une et l’autre contribuant pareillement à la pérennité du système global, à la fois économique et symbolique, qui régit dans nos sociétés la reproduction sociale, autrement dit la perpétuation du soi.
Notes de bas de page
1 Il se pourrait en définitive que le système fermé soit beaucoup plus répandu qu’on l’admet en général. Nombre d’entreprises sont réputées en effet pour couver de véritables « dynasties » en leur sein, telles la SEITA, la Société des courses, ou encore les grandes banques. Ce phénomène de népotisme, encore peu exploré par les chercheurs en sciences sociales, serait observable jusque parmi le personnel de la direction générale du CNRS à Paris !
Notes de fin
1 Augustins, G., 1989, Comment se perpétuer ? Devenir des lignées et destins des patrimoines dans les paysanneries européennes, Université de Paris X, Société d’Ethnologie.
2 Ibid., pp. 134-135.
3 Cet ouvrier était un mécanicien chargé de l’entretien, ce qui présentait deux avantages. D’une part, il occupait une position médiane, c’est-à-dire relativement neutre, dans la hiérarchie ouvrière de l’usine. D’autre part sa tâche lui imposait des déplacements constants à travers l’atelier, ce qui multipliait les opportunités de contacts informels avec les autres ouvriers.
4 Michel Villette a établi il y a déjà quelque temps un premier, et amer, bilan des tentatives d’ethnographie de l’entreprise (1989), « Qui veut publier la description ethnographique d’une entreprise ? », pp. 852-857, in Segalen, M., éd., Anthropologie sociale et ethnologie de la France. Actes du Colloque du Centre d’ethnologie française et du Musée national des arts et traditions populaires, 19-20-21 nov. 1987, Peeters, Louvain-La-Neuve. Il nous est difficile de juger si la situation a sensiblement évolué depuis. Sur les spécificités de l’enquête ethnographique à l’intérieur de l’usine elle-même, voir SÉLIM, M. et Désveaux, E., « De la réserve à l’usine, Entretien », in les Cahiers de l’AFA (Association française des Anthropologues), sous presse.
5 L’équivalent d’une chaîne.
6 Godelier, M., 1984, l’Idéel et le Matériel, Pensée, économies, sociétés, Fayard, Paris.
7 C’est à la suite de questions posées par l’ethnologue que le « responsable des relations humaines » de l’usine, qui avait été chargé de ces récents recrutements, a réalisé l’ampleur de ces chiffres.
8 Et même au-delà, avec la complicité objective des représentants syndicaux de l’usine.
9 Dans des travaux pionniers de sociologie historique ayant pour cadre de référence le Nord-Est américain, Tamara Hareven a repéré des mécanismes un peu similaires de « co-gestion » du personnel d’une usine de textile par la direction et par un réseau de parenté donné, lequel se confond de fait, dans cette région de forte immigration, avec une communauté ethnique particulière (1978, « The dynamics of Kin in an industrial Community », in Turning Points, vol. 84, supplément de American Journal of Sociology).
10 Young, M. & Willmott, P., 1957, Family and Kinship in East London, Routledge and Kegan Paul, Londres.
11 Martin, S., 1990, De l’usage des réseaux de parenté dans le devenir professionnel des jeunes en milieu ouvrier, Mission du Patrimoine ethnologique, Paris (Rapport final).
Auteur
Laboratoire d’anthropologie sociale
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