La conquête agricole du désert
p. 114-115
Texte intégral
1/3 | 8 400 000 t | 1 500 000 ha | 4 % du territoire national |
des superficies cultivées en hiver sont du blé | Quantité de blé produite en 2017 | Surface bonifiée | Part de la SAU |
Sources : CAPMAS ; FAO ; MAAF, 2015 |
1Du fait d’une surface agricole utile (SAU) très réduite, les politiques agricoles de l’Égypte sont marquées depuis les années 1950 par des projets d’extension de terres vers les marges désertiques situées de part et d’autre du Nil, dans les oasis et dans la péninsule du Sinaï. Le verdissement du désert est devenu un impératif national, rendu possible par l’inauguration du haut barrage d’Assouan (1971) et par les progrès techniques en matière d’irrigation. Depuis près de 70 ans, les programmes de bonification agricole sont au cœur des stratégies des présidents successifs, visant à légitimer leur action, à satisfaire une clientèle politique et à répondre à une ambition de développement comme d’approvisionnement alimentaire (blé, légumineuses, sucre).
2Depuis la fin des années 1980, l’État s’est tourné vers les investisseurs privés, tout en contribuant largement au financement des infrastructures nécessaires : les fellahs* des terres « anciennes » ont connu, à l’inverse, un désengagement important des institutions étatiques.
Justifier la bonification du désert
3S’extraire de la vallée et du delta du Nil en raison des contraintes géographique et démographique, et aussi des « plaies » qui les accompagnent (fragmentation foncière, pollution, extension urbaine et mitage des terres agricoles) : tel est l’argument constamment formulé et repris dans les projets de bonification. Ceux-ci affichent une volonté de moderniser le pays et de faire du désert le lieu de construction d’une nouvelle Égypte.
4Dès les années 1950, c’est un territoire construit sur des terres « vierges » et assurant le développement d’une société nouvelle qui est promu par Nasser. Au milieu des années 1980, la conquête de nouvelles terres agricoles s’accompagne d’une promotion des cultures à forte valeur ajoutée destinées à l’exportation (fruits et légumes, fleurs) ; le succès escompté de la commercialisation sur des marchés exigeants est associé à la virginité des terres et à la possibilité de produire sur de grandes superficies, de mécaniser et d’utiliser des technologies performantes. Cette politique, qui encourage les investissements privés, est poursuivie sous Moubarak au cours des années 1990, avec le mégaprojet, controversé et inabouti, de Toshka. Les décennies 1990 et 2000 voient le développement de grandes exploitations de plusieurs centaines de feddan*, voire de milliers, sur les marges désertiques. Des jeunes diplômés de l’université et des paysans sans terre s’installent sur ces terres marginales, l’allocation de terres par le gouvernement jouant le rôle de soupape de sécurité lorsque la pression sociale devient trop forte.
Produire sur les terres désertiques
5Si le programme de bonification agricole a rencontré des succès inégaux – souvent en-deçà des objectifs initiaux –, la conquête de terres désertiques est une réalité, dont témoignent les paysages transformés et les productions qui en sont issues. Depuis les années 1990, le désert est devenu le lieu d’un secteur agricole dominé par une classe de grands entrepreneurs privés, et aussi façonné par de petits agriculteurs installés au sein des périmètres gouvernementaux dans les marges occidentales du Delta. Une étroite élite entrepreneuriale a bénéficié de la manne offerte, à savoir des terres désertiques à bon marché et l’accès gratuit à l’eau d’irrigation. Des grands entrepreneurs égyptiens (dont les familles Talaat Moustafa, Diab ou encore Maghrabi) et des investisseurs étrangers, souvent issus des pays du Golfe (tel le prince saoudien al-Walid bin Talal, dont l'exploitation a été depuis revendue aux forces armées égyptiennes), se sont spécialisés dans les productions destinées à l’exportation ou à la transformation agro-industrielle. Ainsi, le blé dur de Toshka est transformé dans les industries de pâtes alimentaires au Nord du pays, tandis que le raisin de table du Delta est exporté vers l’Europe.
Bonifier 1,5 million de feddan
6Le président al-Sissi décide en 2014 de relancer le projet de Toshka en l’intégrant à un programme de mise en valeur de 1,5 million de feddan au sein du désert occidental. Fondé sur l’utilisation des eaux souterraines et celles du lac Nasser, ce projet reprend le modèle du « corridor de développement », développé dès les années 1980 par l’ingénieur Farouk el-Baz sous l’appellation de « nouvelle vallée », puis abandonné.
7Les investissements agricoles dans l’extrême Sud du pays recouvrent des enjeux géopolitiques, avec une forte implication de l’armée et l’intervention des fonds émiratis et saoudiens à Toshka ou Charq el-Oweinat. Le projet de bonification en cours revêt aussi des enjeux environnementaux majeurs, en raison de l'exploitation de ressources hydriques en partie non renouvelables.
Auteur
Delphine Acloque Desmulier, agrégée et docteure en géographie, Université Paris Nanterre, boursière du CEDEJ de 2013 à 2015
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