Une place évolutive au sein des migrations internationales
p. 30-31
Texte intégral
9 470 000 | 1971 | 2004 | 2016 |
Égyptiens à l’étranger en 2017 | Droit à l’émigration inscrit dans la Constitution | Accord des Quatre libertés* entre Égypte et Soudan | Loi no 82 contre la migration illégale et le trafic de migrants |
Source : CAPMAS, 2017 |
1Forte de sa population, l’Égypte est un pays d’émigration important, avec une diaspora conséquente. Elle est aussi, comme ses voisins nord-africains, un pays de destination temporaire ou permanent, loin de l’image réductrice d’« État de transit » que les pouvoirs publics s’emploient à maintenir. Ce double profil de pays d’émigration et d’immigration en fait un partenaire privilégié de l’Union européenne depuis les années 2010.
Un pays d’émigration : un rôle ancien
2Si aux xviiie et xixe siècles, l’Égypte est un pays d’immigration, c’est au xxe siècle que le pays devient une terre d’émigration, exploitant son réservoir de main-d’œuvre et les politiques d’arabisation des États indépendants. Après la révolution de 1952, Nasser encourage la migration vers d’autres pays du bloc de l’Est, participant à l’émergence de la mobilité comme outil politique.
3À partir des années 1970, une phase d’expansion des migrations s’amorce avec l’arrivée au pouvoir de Sadate et la saturation des emplois publics. Des mesures gouvernementales incitent à l’émigration, dans un contexte régional marqué par le boom pétrolier et le besoin de main d’œuvre : l’obtention d’un passeport est facilitée dès 1974. L’État fait de la migration un outil politique, social et économique stratégique. Les transferts d’épargne s’élèvent en moyenne à 3,229 milliards de dollars par an entre 1979 et 1989, plaçant l’Égypte au premier rang des pays arabes bénéficiaires des remises des émigrés.
4Depuis 2011, l’émigration a été marquée par la question du vote des Égyptiens de l’étranger, centrale lors des scrutins de 2011 et 2012, soulignant leur rôle politique. Les désillusions après les événements révolutionnaires ainsi que la dégradation sociale, politique et économique de la vie en Égypte ont accentué le recours aux mobilités illégales, communes depuis les années 2000. Environ 4000 personnes seraient arrivées sur les côtes italiennes en 2014, dont la moitié serait des mineurs non accompagnés, faisant de l’Égypte le 10e pays émetteur de migrants irréguliers en Italie. L’augmentation des départs dits clandestins tient aux difficultés croissantes à acquérir le droit de migrer légalement pour nombre d’Égyptiens dans un contexte mondial de lutte contre le terrorisme et de répression des mobilités depuis les Suds. De là, la hausse des expulsions depuis l’Europe (2515 en 2015).
Renouveau de la fonction d’asile
5L’Égypte est au xixe siècle un espace qualifié de « cosmopolite » où les mobilités sont facilitées par le système juridique des Capitulations* de l’Empire ottoman. Le pays devient une terre d’investissement et aussi une terre de refuge pour les communautés européennes italiennes ou grecques orthodoxes, pour des opposants ottomans ou soudanais, pour des communautés juives, pour les réfugiés slaves pendant la Seconde Guerre mondiale, ou pour les Palestiniens à partir de la Nakba* de 1948.
6Les années 1990 voient une réactivation de l’immigration vers l’Égypte. La gestion de ces étrangers est marquée par un jeu de rôle entre l’État et divers acteurs extérieurs, tel le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR). Mandaté pour la gestion des demandeurs d’asile et réfugiés statutaires depuis la signature d’un accord avec l’État en 1951, le HCR s’est occupé de centaines de réfugiés européens (yougoslaves notamment) après la Seconde Guerre mondiale, puis de milliers de demandeurs d’asile subsahariens au tournant des années 1970. Les guerres civiles éthiopienne (1961-1991), somalienne (dès 1991), soudanaise (1983-2005), la répression politique ou les sécheresses à répétition au Sahel entraînent d’importantes arrivées depuis la Corne de l’Afrique. Les réfugiés irakiens, puis syriens gonflent les rangs des exilés en Égypte. Jusqu’en 2013, les Soudanais sont la première nationalité de demandeurs d’asile, mais l’arrivée des Syriens modifie la situation : les personnes à la charge du HCR passent de 40 000 réfugiés et demandeurs d’asile (surtout soudanais) en 2008 à 250 000 en 2013 – donnée vraisemblablement en deçà du nombre réel, tous ne souhaitant pas s’enregistrer auprès du HCR.
7Le contexte répressif postrévolutionnaire et la pression exercée sur un système d’asile relativement précaire accentuent les difficultés pour les migrants présents sur le territoire égyptien. Si les possibilités de réinstallation existent (1932 réfugiés sont partis en 2017 pour les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne), elles sont difficiles à obtenir. Cette situation pousse un nombre croissant de personnes dans des embarcations de fortune vers l’Europe, où se croisent Égyptiens et non-Égyptiens. Les naufrages se succèdent, comme celui au large de Rosette en septembre 2016 (200 morts).
Sécurisation et externalisation du contrôle frontalier européen
8L’augmentation des départs depuis l’Égypte et sa place de carrefour migratoire de plus en plus fréquentée ont conduit l’Europe à nouer un partenariat pour externaliser son contrôle des frontières. La chute du régime garde‑fou libyen a accru le rôle stratégique de substitution de l’Égypte, qui a compris l’intérêt financier et diplomatique de ce nouveau rôle. Le Processus de Khartoum, petit frère du Processus de Rabat, entériné au sommet de La Valette en 2015, érige l’Égypte et certains voisins africains, en partenaires de l’Europe dans la répression des migrations illégales. Divers instruments institutionnels et juridiques ont ainsi été adoptés par l’Égypte, témoins de l’accentuation de l’aspect sécuritaire de la gestion des migrations. Les moyens sont désormais mobilisés pour contraindre les mobilités à travers l’Égypte, qu’elles soient le fait de résidents citoyens ou étrangers.
Auteur
Pauline Brücker, doctorante en science politique, CERI/Sciences Po Paris, boursière du CEDEJ de 2013 à 2015
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