Chapitre 4. La remise en cause de l’avenir de la France en Syrie (1917-1918)
p. 177-212
Texte intégral
Le tournant de 1917
1Au cours du printemps 1917, un certain nombre d’événements, directement liés à l’Orient ou de portée plus générale, modifient les bases mêmes de la politique orientale de la France. Sur le plan international, les États-Unis entrent en guerre aux côtés de l’Entente le 2 avril 19171. Si elle ne modifie pas les conditions militaires de la guerre, la déclaration de guerre américaine précipite un changement de ton dans la diplomatie internationale, déjà repérable depuis 1916 : désormais, la dimension idéologique devient un facteur de légitimation de la poursuite de la guerre. Dans sa déclaration aux Chambres, en l’honneur des Etats-Unis, le 5 avril 1917, le nouveau président du Conseil et ministre des Affaires Étrangères, Alexandre Ribot, souligne que la nation américaine « ne veut ni conquête ni compensation, qu’elle entend seulement aider à la victoire de la cause du droit et de la liberté »2. Les États-Unis n’adhèrent pas à la déclaration de Londres du 5 septembre 1914. S’il ne connaît pas officiellement les clauses des traités secrets, Wilson ne les ignore pas. Dès 1915, le colonel House, principal conseiller du président, l’a mis au courant des pourparlers entre les Alliés3.
2Plus immédiat est l’impact de la révolution russe de février-mars 1917. Bien que le nouveau gouvernement constitutionnel-démocrate du 14 mars 1917 affirme la poursuite de la guerre et le maintien des alliances et traités, les Alliés ne peuvent s’empêcher d’entrevoir les dangers qui guettent l’équilibre diplomatique et militaire de la Quadruple-Entente. Des missions militaires françaises et britanniques sont envoyées en Russie pour examiner les capacités combattantes de l’armée russe. Le 24 mars 1917, le Soviet de Saint-Pétersbourg demande la renonciation à tout programme de conquête et l’ouverture de négociations « avec les ouvriers des pays ennemis ». Cette proclamation pacifiste s’accompagne d’une affirmation du droit des peuples et des nationalités à disposer d’eux-mêmes.
3En France, le printemps 1917 est marqué essentiellement par l’échec de l’offensive britannique devant Arras et de l’offensive Nivelle au Chemin des Dames. Les mutineries qui éclatent dans de nombreuses divisions françaises en sont la conséquence. Nivelle, commandant en chef des armées françaises depuis la démission de Joffre en décembre 1916, est remplacé en mai 1917 par le général Pétain, dont la première décision est de revoir les principes offensifs qui avaient jusque-là prévalu dans l’état-major français. L’armée franco-anglo-belge de France entre dans une période de pause qui durera jusqu’à la reprise des offensives allemandes en mars 1918. Cette décision donne plus d’audience aux fronts secondaires, non touchés par les mutineries, dont l’efficacité stratégique peut être renforcée par l’immobilisation des opérations sur le front principal.
4La crise militaire s’accompagne d’une crise politique. Le 17 mars 1917, le deuxième gouvernement Briand tombe à la suite de la démission de Lyautey en comité secret. Ribot entre rapidement en conflit avec les socialistes auxquels il a refusé la délivrance de passeports pour se rendre au congrès de Stockholm. L’incident marque l’éclatement de l’Union sacrée. En comité secret, le pouvoir doit affronter les critiques de plus en plus virulentes des parlementaires sur la conduite de la guerre, mais également, maintenant, celles d’une opposition socialiste. Lors du comité secret de la Chambre du 1er au 4 juin 1917 sur la question des buts de guerre, les députés socialistes révèlent l’existence d’accords entre les Alliés portant sur des revendications territoriales. Briand reconnaît que les négociations ont porté sur la rive gauche du Rhin et sur l’Asie Mineure4. Ribot justifie l’attitude de son prédécesseur :
« Quand nous vîmes que, d’une part, la Russie intervenait, que, d’autre part, l’Angleterre faisait des progrès constants, arrivait en Mésopotamie, occupait Bagdad, ce qui devait, à Berlin, être considéré comme une mauvaise nouvelle, mais qui, chez nous, n’avait pas ce caractère, nous nous sommes demandés ce que nous allions faire. Nous avions, nous aussi, de vieilles influences et de vieux droits dans ce pays ; nous avions des protégés. La Syrie est à nous, par l’affection de nos protégés ; elle est dans la zone d’influence de la France, et si la France, oubliant toutes ses traditions, avait dit : “Je me désintéresse de ce qui se passe en Asie Mineure, cela ne me touche pas, je suis indifférente à tout ce grand mouvement”, dans cette Chambre, on se serait levé sur tous les bancs pour nous faire un reproche sanglant et pour dire que nous n’étions pas vraiment les représentants de la France5. »
5La formation du cabinet de coalition Lloyd George, le 6 décembre 1916, permet le retour sur le devant de la scène diplomatique et politique des défenseurs de la grandeur impériale britannique, dont lord Curzon et lord Balfour6. La composition du nouveau gouvernement le rend plus sensible aux thèses expansionnistes et anti-françaises des milieux anglo-égyptiens. Bien que la mort en mer de Kitchener en juin 1916 ait affaibli le relais à Londres de leurs idées, ces derniers bénéficient du remplacement de MacMahon au Caire par le sirdar d’Égypte, sir Reginald Wingate, nouveau haut-commissaire du protectorat.
6Le capitaine Thomas Edward Lawrence est arrivé à Djeddah pour une mission en octobre 1916. Il participe à des opérations militaires durant les premières semaines de l’année 1917 (prise de el-Wedj par les Arabes), mais trouve une situation générale pour le moins inquiétante. C’est au cours de ces développements militaires qu’il met au point la nouvelle stratégie de la révolte arabe, dont les implications sur la question syrienne et les relations franco-britanniques sont importantes. Les Arabes ne doivent pas chercher à affronter les forces ottomanes enfermées à Médine, mais mener des actions continuelles de guérilla visant à immobiliser l’ennemi et à empêcher tout secours ou ravitaillement. Le terrain étant solidement tenu, les Arabes peuvent se porter massivement vers le nord pour étendre la révolte à la Syrie. Afin de convaincre Faysal, chef du camp de la révolte arabe à Djeddah, du bien-fondé de sa méthode, il semble très probable que Lawrence ait informé son interlocuteur des grandes lignes de l’accord Sykes-Picot aux alentours de février 1917. Lawrence affirme dans Les Sept piliers qu’il n’était au courant ni des engagements pris par MacMahon ni de l’accord Sykes-Picot, assertion totalement fausse pour ce qui concerne la correspondance Hussein-MacMahon, et qui correspond bien à la volonté de Lawrence après la guerre de se laver de toute accusation éventuelle de duplicité. Comme le pense Jeremy Wilson, il paraît légitime de supposer que Lawrence a pris connaissance de l’accord Sykes-Picot avant son arrivée dans le Hedjaz7.
7Toutefois, il ne conseille pas à Faysal de franchir le Jourdain et de tenter une campagne vers le littoral, une occupation du Mont-Liban ne pouvant que braquer la France et aliéner les sympathies alliées pour la cause arabe. Lawrence préconise de laisser le littoral au corps expéditionnaire égyptien et de lui faire occuper le flanc droit des opérations. Personne ne pourrait protester tant que la campagne militaire arabe semblerait respecter les limites territoriales définies par l’accord Sykes-Picot8. Les orientations préconisées par Lawrence excluent également la Palestine du champ de la révolte arabe. La conséquence immédiate de cette réorientation de la révolte est une détérioration des relations des officiers britanniques du Hedjaz avec Brémond, partisan d’une fixation des insurgés autour de Médine. Le 9 mai 1917, Lawrence part vers le nord du Hedjaz avec un détachement bédouin d’élite. L’objectif est le ralliement des tribus du sud syrien en vue de la prise d’Akaba9.
Les règlements ultimes des accords alliés sur l’Orient
L’accord avec l’Italie
8Lors de la conférence interalliée de Rome de janvier 1917, Briand s’est déclaré favorable aux demandes du gouvernement italien en Orient10. Ribot, lorsqu’il arrive au pouvoir, ignore tout des accords et négociations entre les Alliés sur les questions orientales. Il conclut, à la lecture des documents, que la Grande-Bretagne a favorisé par ses seules déclarations les revendications russes et que Delcassé a laissé faire par inaction. À propos des accords passés entre la Russie, la France et la Grande-Bretagne pour régler le sort de l’Empire ottoman, Ribot est plus réservé encore. Son commentaire révèle la prise en compte de la nouvelle dimension idéologique du conflit : « Il faut bien reconnaître que nous sommes loin des préoccupations qu’on avait à l’origine de la guerre. Ce n’est plus à défendre les petites nations qu’on s’applique, mais à faire un véritable partage, sans que l’intérêt des populations soit mis en avant11. »
9La question des buts de guerre italiens est relancée, en février 1917, par les offres de paix séparée de l’empereur austro-hongrois. Les émissaires de Charles Ier à Paris (les princes de Bourbon-Parme) sont chargés de rencontrer Poincaré12. L’ouverture autrichienne refuse les revendications italiennes. Lloyd George est favorable à la poursuite des négociations avec l’Autriche-Hongrie. Ribot écrit dans son journal : « Il prend feu pour l’idée de traiter avec l’Autriche. Il se croit sûr d’amener l’Italie à céder Trieste en lui offrant Smyrne. Il me demande d’arranger une entrevue avec M. Sonnino13. » C’est dans ce cadre que s’ouvre le 19 avril 1917 à Saint-Jean-de-Maurienne une conférence franco-anglo-italienne, bien que de nombreux responsables français soient réticents à satisfaire les prétentions italiennes en Orient.
10Le 19 avril 1917, la conférence s’ouvre directement sur l’Asie Mineure. Les responsables italiens se plaignent d’avoir été tenus à l’écart des négociations de 1916 sur le sort de l’Orient. Les Français et les Britanniques sont disposés à céder Smyme à l’Italie. Mais Sonnino demande également Mersine et Adana, proposition qui reçoit une fin de non-recevoir de la part de Ribot. Ils réclament également une compensation au cas où l’Italie ne pourrait entrer en possession du lot qui lui est attribué. Bien qu’acceptant cette proposition sous la pression de Ribot, Lloyd George tente de faire prévaloir l’idée d’une prise en compte de la « somme d’efforts et de sacrifices qui auraient été faits par chacune des puissances pour vaincre la Turquie14 ». En échange de ces concessions, le chef de gouvernement britannique essaye d’aborder la question des ouvertures austro-hongroises, mais en vain. L’abandon de Smyrne à l’Italie n’a pas constitué une surprise pour les responsables italiens. Dès le 17 avril 1917, Painlevé a confié à l’ambassadeur italien à Paris la volonté de son gouvernement d’octroyer Smyrne à l’Italie15. Quelques jours après la conférence, le 22 avril 1917, le gouvernement français précise au prince Sixte qu’aucune proposition de paix ne peut être envisagée avec l’Autriche-Hongrie sans tenir compte des revendications du gouvernement italien. À Saint-Jean-de-Maurienne, celui-ci a montré qu’il n’était pas disposé à souscrire à une remise en question des conditions acceptées par les Alliés pour prix de son entrée en guerre contre l’Autriche-Hongrie.
11De retour à Rome, Sonnino réclame la participation de l’Italie à l’administration des lieux saints. La question, non abordée à la conférence, s’appuie sur le soutien que le gouvernement britannique est prêt à apporter à une participation militaire de l’Italie aux opérations de Palestine. Consulté, Ribot se montre favorable à la présence d’un petit contingent italien limité à 300 hommes, dépourvu de toute mission politique et circonscrit à la zone internationale. Informée des disposition de ses alliés, l’Italie croit pouvoir soulever la question des lieux saints. Ribot envoie à Barrère des instructions pour opposer un refus catégorique à cette demande16. L’Italie sera toutefois associée, sous une forme qui reste à définir. Un mémorandum est finalement signé entre la France, la Grande-Bretagne et l’Italie, le 8 août 1917. L’Italie obtient une zone verte (administration directe) et une zone C (zone d’influence) dans le sud-est anatolien (région d’Adalia). Smyrne demeurera un port franc pour le commerce italien, mais Rome obtient les mêmes avantages à Mersine17. Les entretiens de Saint-Jean-de-Maurienne déclenchent en France de vives réactions au sein des milieux colonialistes. Le 23 mai 1917, une délégation, composée de De Caix, Flandin, Terrier, Fidel, Marin et Jonnart, remet au gouvernement français un « vœu de protestation contre les ambitions italiennes », signé par la plupart des sociétés coloniales françaises18.
12Lors de la réception de la délégation, Ribot déclare que, la Palestine étant internationalisée, on ne peut refuser à l’Italie d’y être présente. Il précise que cette clause a été négociée avant son arrivée au pouvoir. Les délégués sont surtout contrariés que les Alliés aient donné Smyrne à l’Italie. Ils réclament une intensification des opérations à Rouad, ce que le chef de gouvernement refuse, la position devenant intenable depuis que les Ottomans ont installé des batteries de campagne sur la côte. Ce qui inquiète davantage encore les délégués, c’est que les déclarations de Ribot laissent entendre que tout est remis en question si la Russie renie sa signature19. Pourtant, au même moment, la France et la Grande-Bretagne s’engagent dans une procédure de renforcement des ententes en envoyant dans le Hedjaz Sykes et Georges-Picot entretenir le chérif Hussein de la nature des accords sur le sort de l’Empire ottoman.
L’entrevue de Djeddah (19-20 mai 1917)20
13Cette entrevue, souvent ignorée par les historiens contemporains, infirme l’idée que le souverain hachémite n’aurait pas été tenu au courant de l’accord Sykes-Picot et aurait appris l’existence des accords secrets passés par le régime tsariste avec les puissances au moment de leur publication en décembre 1917 par le gouvernement bolchevique. L’initiative de l’entrevue revient au gouvernement français, qui considère que le chérif peut être mis au courant de l’essentiel des accords franco-britanniques, afin de le rassurer sur les intentions françaises et de le mettre en garde contre les intrigues de certains Syriens favorables à la reconstitution d’un empire arabe21. Le 1er mai 1917, des instructions, concernant la version de l’accord Sykes-Picot à présenter au souverain hachémite, sont envoyées à Cherchali, membre de la mission politique du Hedjaz : la France encouragera, « dans les provinces où domine l’élément arabe », la création d’émirats à Alep, Damas, Mossoul. Les souverains y auraient des liens avec le roi du Hedjaz. Le gouvernement français se réserve le droit de fournir seul les conseillers dont les émirs pourraient avoir besoin « pour mener à bonne fin leur œuvre de civilisation » et d’apporter les capitaux nécessaires à la mise en valeur du pays. Pour les régions littorales – la note utilise le terme « front de mer » –, les populations sont plus mélangées. Un gouvernement spécial s’y impose, sous l’égide directe du gouvernement français. Pour « Jérusalem et la Palestine », les Alliés sont disposés à étudier un « modus vivendi de nature à garantir le respect de toutes les religions, et le Chérif ne serait pas écarté de cette étude22 ».
14Informés des intentions françaises, les Britanniques dépêchent Sykes dans le Hedjaz en mai 1917. Celui-ci rencontre le souverain hachémite et obtient la possibilité d’une entrevue tripartite pour le 19 mai. Il sépare les arrangements sur les affaires arabes en trois dossiers distincts : un dossier franco-anglo-arabe, un dossier anglo-arabe concernant la Mésopotamie, un dossier franco-arabe concernant le littoral syro-libanais. Sykes a abordé le deuxième dossier avec Hussein, mais s’est refusé à toute discussion sur le troisième. Il demande à Brémond de n’aborder ce dernier qu’avec circonspection et sans trop entrer dans les détails. Il suggère également que l’on demande au chérif de désigner un haut-commissaire arabe chargé des questions franco-arabes23. Georges-Picot et Sykes arrivent à Djeddah le 18 mai 1917. Le bateau qui amène Georges-Picot s’arrête d’abord à el-Wedj pour prendre à son bord le chérif Faysal. Une discussion entre ce dernier et le haut-commissaire français permet d’entrevoir les principales difficultés que la France rencontrera dans l’établissement de son influence politique en Syrie. Georges-Picot constate une grande défiance à l’égard de la France et un refus de traiter sur le même pied la France et la Grande-Bretagne24.
15Le 19 mai, l’entrevue entre Hussein et les délégués français et britannique, qui devait clarifier les choses, va contribuer à rendre plus opaques les intentions françaises. Georges-Picot déclare que son gouvernement est déterminé à « apporter en Syrie la même aide efficace que les Anglais lui ont donnée dans l’Irak et à Bagdad » et à faciliter la libération de la « race arabe » par l’occupation du littoral syrien où la population appelle de ses vœux la France. Le chérif Hussein, assisté de Faysal, revendique la Syrie intégrale (« tant chrétienne que musulmane », précise Georges-Picot dans son rapport) et la non-division de l’Arabie. Le 20 mai, la réponse finalement livrée par Hussein à ses interlocuteurs souligne les malentendus créés par la déclaration de Georges-Picot. Si ce dernier a spécifiquement souligné que le littoral syrien devait posséder un régime à part, il donne néanmoins des indications qui ne peuvent qu’être interprétées différemment par ses interlocuteurs arabes.
16La France viendrait dans cette région libérer la « race arabe ». Il n’y a donc plus de différence de traitement entre les musulmans et les chrétiens. Seconde confusion : la mise sur le même pied de la situation britannique en Irak et de la situation française en Syrie. Pour Georges-Picot, il s’agit de renforcer l’égalité de traitement des deux puissances dans le futur royaume arabe. Pour Hussein, si un régime spécial a été reconnu, dans la correspondance avec MacMahon, à l’Irak, il n’est que provisoire. L’égalité de traitement signifie donc pour lui une acceptation provisoire de l’influence française en Syrie. Le souverain hachémite accepte de placer la France « en Syrie musulmane » dans les mêmes conditions que la Grande-Bretagne dans la région de Bagdad. Pour Georges-Picot, c’est une acceptation plus large des dispositions de l’accord franco-britannique. Non seulement le roi Hussein accepte de limiter son action à la Syrie musulmane, reconnaît implicitement un régime spécialement français sur le littoral, mais il met finalement sur un pied d’égalité la zone rouge avec la zone A de l’accord Sykes-Picot, une zone d’influence directe avec une zone d’influence indirecte. Il y a là très probablement un lapsus de la part de Georges-Picot, mais il est porteur de difficultés nouvelles. Pour le chérif, la France abandonne toute différence de traitement entre le littoral et l’intérieur, en reconnaissant l’existence d’une race arabe sur la côte. En tout cas, il n’accorde pas explicitement un régime spécialement français à la Syrie maritime. Elle est disposée à ne considérer son influence que temporairement. Georges-Picot résume ainsi les concessions obtenues : collaboration avec les représentants du roi du Hedjaz dans les parties musulmanes de la Syrie, « État protégé » dans les parties chrétiennes « si nous les occupons avant la fin de la guerre25 ».
17Ribot télégraphie à Georges-Picot pour lui demander que Cherchali précise auprès du souverain hachémite la définition du terme « Syrie musulmane », dénomination jamais employée jusque-là dans les documents divers des négociations et qui ne doit s’appliquer qu’à la zone A de l’accord Sykes-Picot. Ribot a saisi le malentendu que l’entrevue des 19-20 mai 1917 a créé dans l’esprit des Arabes : ces derniers peuvent être amenés, si ce n’est déjà fait, à « interpréter ce terme dans un sens étendu et à l’appliquer à tous les territoires Syriens habités par des Musulmans, c’est-à-dire à la totalité de la Syrie, le Liban mis à part ». Georges-Picot estime qu’il est préférable de ne pas chercher à trop préciser les choses pour obtenir le soutien du souverain hachémite26. Il est donc bien conscient du caractère ambigu de l’accord obtenu avec Hussein et reconnaît implicitement que certaines régions littorales sont habitées par des musulmans pouvant réclamer leur inclusion dans le royaume arabe. Georges-Picot enjoint Cherchali de n’aborder la question que si le chérif Hussein l’a contraint. Il continue de privilégier cette interprétation en creux de la déclaration hachémite du 20 mai 1917, consistant à croire que l’acceptation par le souverain hachémite de l’égalité de traitement entre la zone B (ou zone rouge selon les cas) et la Syrie musulmane équivaut à un acquiescement tacite de la domination française sur un « Grand-Liban ».
18Cette dernière expression est désormais fréquemment reprise par les responsables français. Dans le contexte des négociations franco-arabes de 1917, elle désigne moins la satisfaction territoriale de revendications grand-libanaises que l’espace littoral syrien de domination française. Ce glissement sémantique, imputable à Georges-Picot, n’est évidemment pas saisi par tout le monde. Defrance suggère que l’expression ne soit pas utilisée par Cherchali dans ses conversations avec Hussein, car elle pourrait donner l’impression à ce dernier que « toute région syrienne non comprise dans ce qui constitue actuellement le Liban fait partie de ce qu’il a appelé la Syrie musulmane27 ».
L’initiative Morgenthau en faveur d’une paix séparée
19L’entrée en guerre des États-Unis a ouvert à nouveau la question d’une paix séparée des Alliés avec l’Empire ottoman. Les États-Unis n’ayant pas déclaré la guerre à ce dernier, ils disposent d’une marge de manœuvre plus grande. Ils ne sont pas tenus par des accords secrets sur le sort de l’Empire ottoman. Le gouvernement américain, notamment par la voie de son secrétaire d’État, Lansing, farouchement anti-allemand, entend recourir à toutes les méthodes pour affaiblir les forces de l’Allemagne. Bien qu’engagés par des accords secrets de plus en plus complexes et étendus, la France et la Grande-Bretagne ne sont pas sur le principe opposés à l’ouverture de négociations avec l’Empire ottoman28. La France y voit notamment un moyen possible de suppléer à la défection de plus en plus probable de l’armée russe, en ramenant vers la France des troupes britanniques alors inutiles en Orient. Le commandant Sarrou, envoyé en mission en Orient en mars 1917, est chargé d’entrer en contact avec les autorités ottomanes, et surtout Jamal Pacha, qu’il connaît bien pour l’avoir fréquemment rencontré avant la guerre. D’après Sarrou, les conditions d’une paix séparée sont : l’internationalisation de Constantinople et des Détroits sous la souveraineté nominale du sultan, la cession de la Cilicie et de la Syrie à la France, de la Mésopotamie à la Grande-Bretagne et de l’Arménie à la Russie, l’indépendance de l’Arabie, le contrôle des Alliés sur différentes administrations ottomanes, le maintien des capitulations et de tous les avantages économiques et politiques acquis, le protectorat de la France sur les chrétiens, la neutralité absolue de l’Empire ottoman. Les conditions sont exorbitantes et il ne s’agit de rien de moins que de retrouver en Orient une situation analogue à celle d’avant 1870 avec un contrôle administratif, intellectuel et moral sur l’ensemble des territoires de l’Empire ottoman29. En fait, la question est plus compliquée que ne le pense Sarrou. Au Quai d’Orsay, on comprend qu’une tentative de paix séparée peut remettre en cause les accords passés depuis le début de la guerre et précipiter une entente entre la Russie et l’Allemagne.
20L’initiative visant à entrer en contact avec des responsables ottomans revient à l’ancien ambassadeur américain à Constantinople, Morgenthau, qui semble avoir reçu, avant son départ de la capitale ottomane, des avances dans ce sens de Talaat Pacha. Avec l’accord de Lansing, Morgenthau se rend à Gibraltar pour y rencontrer des émissaires alliés et arrêter une position sur la question d’une paix séparée avec l’Empire ottoman. Lansing est favorable soit à l’internationalisation de l’Empire ottoman, soit au maintien d’une suzeraineté nominale ottomane30. Lors d’un entretien ultime avec Jusserand, Morgenthau précise qu’il est favorable à la seconde solution, y compris sur les régions arabes. La Palestine serait placée sous la protection des puissances européennes (sans les États-Unis). Il ajoute : « Quant à la Syrie, son sort ne doit concerner que vous seuls. » L’affirmation peut être comprise de deux manières : souveraineté nominale ottomane et protection française, souveraineté entière de la France31.
21Le gouvernement allemand est mis au courant de la volonté alliée de détacher l’Empire ottoman des puissances centrales et il entend utiliser cette information pour favoriser les mouvements favorables à une paix séparée russe avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Réunis à Gibraltar autour de Morgenthau, les délégués des Alliés concluent finalement à la nécessité d’un succès militaire avant toute entreprise de négociations avec les Ottomans32. Mais la question d’une paix séparée reste toutefois présente à l’esprit des Alliés, surtout après la révolution bolchevique, lorsque le concours de l’armée russe est définitivement compromis.
Les conséquences diplomatiques et militaires de la préparation de la campagne de Palestine
La mise en place de la mission française de Palestine
22Dans la première quinzaine de mars 1917, la mission Georges-Picot est constituée. Le ministère de la Guerre met à la disposition du haut-commissaire le lieutenant Coulondre, ancien adjoint de Georges-Picot à Beyrouth avant la guerre, et le sous-lieutenant Louis Massignon33. Le ministère de la Guerre nomme, le 31 mars 1917, le lieutenant-colonel de Piépape, ancien chef d’état-major du corps expéditionnaire des Dardanelles, à la tête du « détachement français de Palestine » (le DFP). Du côté britannique, le haut-commissariat est confié à Sykes34. Les instructions de la mission française, rédigées par Georges-Picot, mettent l’accent sur le respect de l’accord de 1916 :
« Si, dans la zone B, qui doit se trouver un jour dans la sphère d’influence anglaise, il convient de laisser à votre collègue une liberté d’action plus grande, un traitement également favorable devra nous être reconnu par lui dans la zone A qui ressortira de notre surveillance. Dans la zone côtière enfin, qui se trouvera placée un jour sous notre protectorat, il y aura lieu que votre direction se fasse plus exclusive, afin de bien faire pressentir aux populations l’avenir qui se prépare pour elles35. »
23La mission Georges-Picot doit mener une politique arabe musulmane caractérisée par une propagande anti-turque fondée sur la politique athéiste du gouvernement jeune-turc et qui jouera sur la fibre nationale arabe par l’utilisation d’un argument religieux (ce qui exclut de la définition des Arabes les chrétiens). Georges-Picot devra mettre sur pied une politique de collaboration avec les éléments arabes musulmans de la zone A afin de préparer l’établissement « d’institutions nationales ».
24Le 21 avril 1917, le général Murray tente une seconde offensive sur Gaza, mais sans succès. L’armée britannique a perdu une dizaine de milliers de soldats depuis le mois de mars36. Les Ottomans reconquièrent certaines positions perdues durant les mois précédents. Le front égyptien risque de se transformer en une guerre de position. La cessation des combats dans le Caucase permet un renforcement des positions ottomanes en Palestine. Ne pouvant pas distraire du front français des troupes engagées dans l’offensive Nivelle, la Grande-Bretagne demande à nouveau le transfert rapide d’éléments britanniques de Salonique vers l’Égypte. La conférence anglo-française de Londres des 28 et 29 mai 1917 décide qu’aucun retrait de Salonique ne se fera avant l’expiration d’un délai de six semaines à compter du 1er juin37. Le 27 juin, le général Allenby arrive au Caire pour remplacer le général Murray. Il entend reprendre sérieusement en main les opérations vers la Palestine. Le 2 juillet, les Arabes, encadrés par Lawrence et quelques officiers de Faysal, s’emparent d’Akaba38. De retour au Caire, Lawrence est nommé major par Allenby, qui entend lui confier la direction des opérations d’une aile droite arabe dans l’offensive de Palestine, à l’est du Jourdain. Ce plan d’ensemble, décidé par le nouveau chef d’état-major britannique en Égypte, suppose un renforcement des effectifs britanniques au Proche-Orient. L’arrêt des offensives sur le front français, décrété par Pétain, permet ce transfert, accepté en principe par les Français.
Le renforcement de la présence militaire britannique en Égypte
25La question n’est pas facilement acceptée par les responsables politiques et militaires français. À la conférence interalliée de Paris, le 25 juillet 1917, Lloyd George demande une réduction des effectifs de Salonique. L’offensive de la Tcherna, le 5 mai 1917, s’est soldée par un échec. L’armée d’Orient n’est pas en mesure de lancer de nouvelles offensives. Sa reconstitution peut se faire aisément avec l’appoint des troupes de la Grèce, entrée en guerre le 26 juin 1917. Les Britanniques réclament l’envoi d’une division en Égypte et de matériels d’artillerie lourde pour forcer le front de Palestine avant l’arrivée des renforts. Foch s’oppose à des mesures immédiates, non qu’il tienne au maintien du front des Balkans, mais parce qu’il craint que les Allemands ne recherchent une décision militaire sur ce front, suite à leurs succès en Galicie39. Dégarnir Salonique, ce serait par ailleurs décourager définitivement la Roumanie et donner des signes peu encourageants à la Grèce. Lord Balfour souligne que l’Allemagne a toujours cherché, depuis le début de la guerre, à finir l’année par un succès militaire : la Serbie en 1915, la Roumanie en 1916. Plus que la Grèce, en fait solidement défendue par la position de Salonique, les Allemands pourraient bien rechercher un succès contre la Grande-Bretagne en Égypte. Ce ne serait pas une défaite simplement pour la Grande-Bretagne, mais pour la cause alliée40.
26Albert Thomas estime que le déplacement d’une division britannique ne pourrait avoir d’effets véritables sur l’évolution militaire du front de Palestine. Painlevé insiste sur le fait que la présence alliée à Salonique retient des effectifs ottomans en Turquie d’Europe. L’effet du départ d’une division britannique serait annulé par un transfert équivalent de troupes ottomanes vers l’Égypte. Léon Bourgeois met en parallèle les conséquences d’une défaite dans les Balkans et celles d’une défaite en Orient. En cas de victoire ennemie dans les Balkans, la position alliée en Méditerranée serait intenable, l’Italie serait affamée par l’ennemi, le blocus se développerait rapidement, l’Égypte ne tarderait pas à tomber. Pour Balfour, ces objections ne sont pas sérieuses, car elles ne tiennent pas compte de la probabilité des désastres annoncés. Le front balkanique est solide et rien n’indique que l’ennemi entende l’attaquer. Le front égyptien est fragile et l’ennemi est aux portes du protectorat. Sonnino propose, pour remédier à la situation, de dépêcher en Égypte des contingents coloniaux italiens, environ 12 000 hommes, moitié Italiens, moitié Éthiopiens. Ribot objecte que, dans ce cas, une coopération française serait également indispensable, « pour éviter une interprétation politique contraire à nos intentions communes ». La réponse de Lloyd George est plus catégorique et en dit long sur les intentions britanniques en Orient : « Je reconnais le mérite que pourraient rendre des troupes italiennes ou françaises. Mais notre État-Major s’est toujours montré peu favorable, lorsqu’on peut l’éviter, à l’emploi de troupes de différentes nationalités dans une même armée. »
27Le Premier ministre britannique propose plutôt l’emploi d’une division française pour effectuer un débarquement à Beyrouth ou Tripoli. Foch, consulté sur ce point, estime qu’une telle opération demanderait au départ deux divisions, mais il serait impossible de limiter l’entreprise, une fois engagée, à un maintien des positions littorales. Une exploitation militaire du débarquement nécessiterait au moins six divisions. Même si l’état-major ne prévoit pas d’offensives de grande envergure sur le front français, il doit pouvoir se permettre quelques initiatives – une offensive alliée a été déclenchée dans les Flandres le 22 juillet -et, surtout, faire face aux incertitudes du front russe, dont l’effondrement ramènerait vers la France de nombreuses divisions allemandes41.
28Le débat reprend à la conférence interalliée de Londres, le 7 août 1917. Les échanges entre Ribot et Lloyd George sont très vifs. Le chef de gouvernement français menace de faire porter la question devant le Parlement français afin de dédouaner le rôle de son cabinet. Il propose d’envoyer une division française de Salonique sur le front palestinien. Lloyd George répond que si la France est disposée à dégarnir le front de Salonique d’une division française, elle peut accepter, ce qui revient au même au point de vue des effectifs, le transfert d’une division britannique. Ribot répond que la France craint un retrait progressif de toutes les forces britanniques et la volonté de la Grande-Bretagne de faire prévaloir une attitude défensive sur le front de Salonique42. Finalement, la France et l’Italie acceptent le transfert britannique, mais conditionnent tout retrait ultérieur à un agrément des Alliés réalisé par la tenue d’une conférence.
29Les objections de la France révèlent bien la portée réelle du débat. Le gouvernement français craint moins pour le front balkanique que pour le front oriental, où la supériorité numérique incontestable de la Grande-Bretagne pourrait porter préjudice aux intérêts français dans la région, négociés en 1916. La veille de la conférence de Londres, Balfour a proposé que les ententes des Alliés sur l’Asie Mineure soient conditionnées à l’attribution de Constantinople à la Russie. En cas de renonciation de cette dernière, les accords seraient annulés. Si une conversation avec l’Empire ottoman en vue d’une paix séparée était engagée, les accords deviendraient par contre définitifs. Ribot refuse de s’engager sur cette voie qui exclut de la conversation la Russie et l’Italie et remet en cause la position française en Orient43. Ribot rajoute que le retrait d’une division britannique doit être compensé par une liberté d’action réservée à la France en Syrie pour protéger ses intérêts, demande incompréhensible après la signature de l’accord Sykes-Picot, si elle ne révèle pas la crainte du gouvernement français de se voir évincer de la Syrie par la Grande-Bretagne. Balfour comprend bien la portée de cette réclamation et il se garde bien de dire que les intérêts et les droits de la France dans cette région sont garantis par un accord entre les deux pays. Il affirme plutôt que ceux-ci sont assurés par la présence d’un contingent français aux côtés de l’armée britannique de Palestine, ramenant ainsi la discussion sur le terrain des effectifs réciproques des deux nations et assujettissant la satisfaction des vues alliées au poids de leur présence militaire44.
La recherche de concours locaux
30Durant l’été 1917, différents projets d’intervention français en Syrie circulent au sein de l’état-major. Les services de renseignements de la Marine et les officiers et sous-officiers français présents en Orient45 recherchent le concours des populations syriennes au cas où les états-majors accepteraient de passer à l’action. Dès le mois de février 1917, le commandant Trabaud entre en contact à Rouad avec des activistes musulmans de Tripoli, dont certains parents sont engagés dans la révolte du Hedjaz. Trabaud entend profiter de ces contacts pour obtenir des informations précises sur l’état de l’opinion publique dans les régions littorales : chefs musulmans, notables de l’Akkar, de la vallée du Nahr al-Kabir, de la région des ‘Alawites. L’officier français considère que « les relations entre les musulmans et la France sont créées46 ».
31Le gouvernement français est favorable à ces initiatives. Il doit se préoccuper activement de l’attitude des populations musulmanes en Syrie et de leur opinion à l’égard de la France. Les représentants français ne doivent perdre aucune occasion de leur faire savoir que la France est décidée à respecter leur religion à l’égal de la religion chrétienne et de leur réserver un traitement identique dans l’action qu’elle entreprendra en faveur du relèvement de leur pays47. Les responsables militaires français espèrent surtout un soulèvement des ‘Alawites. Depuis 1916, les Français savent que les ‘Alawites seront dans la zone bleue et qu’ils représenteront la communauté musulmane la plus soudée et la plus utile avec les Druzes. Trabaud a déjà établi des contacts avec cette communauté. Un émissaire musulman se rend aux États-Unis au début de l’année 1917 afin d’obtenir le concours du shaykh ‘Abd al-Hamid, chef de la communauté ‘alawite émigrée. Celui-ci accepte d’enrôler 500 membres de sa communauté, en échange d’une gratification et de promesses générales concernant l’administration future de la région. Le shaykh pourrait également se rendre à Rouad pour y mener une campagne en direction du littoral et galvaniser ses coreligionnaires48. Envoyé en août 1917 en Égypte, le capitaine Mercier est chargé de réfléchir au mode d’utilisation de ces concours : enrôlement dans la Légion d’Orient49, création de corps de partisans syriens, « chrétiens, arabes ou mixtes », armée autonome de Syrie, mouvements insurrectionnels dans la zone proche des combats. Mercier doit tout spécialement entrer en contact avec les Algériens et les Marocains demeurés en Syrie50.
32Ces projets s’appuient sur un rapport du père Jaussen, du service de renseignements de Port-Saïd, en date du 8 octobre 191751. En dehors de quelques « groupements compacts » (Maronites, Druzes, ‘Alawites), le pays est un mélange de races et de religions. Le noyau dur de l’influence française est représenté par les chrétiens latins – environ 15 000 – descendants pour la plupart de familles européennes, les Levantins. Leur fidélité sera fonction, en fait, des gratifications et bénéfices qu’ils pourront retirer de la France. Il convient donc de ne s’appuyer qu’avec prudence sur cette clientèle assez mouvante et par ailleurs très minoritaire au sein de la population syrienne. Pour le reste de la population, tant chrétienne que musulmane, Jaussen estime qu’un travail actif doit être fait par la France afin d’obtenir leur ralliement. Le moyen le plus efficace consisterait à jouer sur les antipathies syriennes à l’égard des Arabes du Hedjaz et à utiliser la menace que ces derniers pourraient faire peser sur l’avenir du pays comme un repoussoir politique. Le sentiment de supériorité des Syriens sur les autres Arabes les amène en fait à envisager la domination de la Syrie sur le reste du monde arabe. Ce n’est pas le Hedjaz qui cherche à conquérir la Syrie, c’est la Syrie qui veut le contrôle des villes saintes. La France a donc tout intérêt à favoriser les sentiments de grandeur des Syriens afin de gagner leur sympathie.
33La politique que la France doit mettre en œuvre pour faire face à l’intervention militaire britannique est l’œuvre exclusive du gouvernement. Celui-ci a parfaitement compris que les accords signés ne suffisent pas à garantir l’avenir de la présence française au Levant. Les négociations successives ont compliqué la visibilité de la carte de l’Orient après la guerre. Non seulement les Britanniques insistent désormais davantage sur les conditions militaires à la réalisation des accords sur l’Orient, mais Georges-Picot a laissé clairement entendre que l’acceptation par le roi du Hedjaz de la présence française dans la zone bleue était conditionnée par une occupation militaire avant la fin de la guerre, interprétation en fait personnelle du diplomate français. La prise de conscience est donc réelle en France de la nécessité de recourir à l’outil militaire pour fonder la situation faite à la France en Syrie au moment de la paix52.
La France et l’introuvable clientèle syrienne
La constitution du comité central syrien53
34En janvier 1917, Shukri Ghanim écrit au Quai d’Orsay en se présentant comme le président d’un « comité central syrien », structure encore informelle née de la nécessité de regrouper les initiatives syriennes en faveur de la propagande française en Orient et du recrutement des volontaires pour la Légion d’Orient54. Ghanim obtient la collaboration de plusieurs Syriens de Paris, dont Georges Samné. La décision de former un organisme syrien semble avoir été motivée par la publication de la note interalliée du 10 janvier 1917 stipulant l’affranchissement des populations sous le joug ottoman. Le Quai d’Orsay appuie la création du « comité central syrien », car il y voit un instrument de sa future politique en Syrie. L’ancien consul de France à Bagdad avant la guerre, Ferdinand Wiet, est chargé de coordonner l’action de ses membres. Le 25 avril 1917, il assiste à une première réunion constitutive du comité, au café Le Globe, à Paris55. Des filiales seront créées dans d’autres villes de France, notamment à Marseille. Dans le compte rendu de la réunion, Gout ajoute en marge :
« Je crois devoir signaler l’intérêt que nous avons à favoriser la fédération des Syriens sous notre égide. Un organisme centralisateur à Paris deviendra forcément un centre d’attraction pour tous les Syriens répandus dans les divers pays. Par cet organe nous pourrons lutter contre les aspirations contraires à nos vues, et spécialement contre celles qui sont inspirées par certains coloniaux d’Égypte56. »
35La première réunion du conseil d’administration a lieu le 2 mai 1917 dans les locaux du « comité parlementaire d’action à l’étranger ». Le 19 mai 1917, Ghanim s’autoproclame président du comité, ce qui lui attire les inimitiés d’une partie des Syriens de France. Les statuts du « comité central syrien » stipulent en article 1er que « cette association a pour but de réunir tous les Syriens disséminés dans les pays alliés et neutres ainsi que tous les groupements régionaux constitués et de développer entre eux les sentiments d’union et de fraternité sans lesquels les intérêts généraux de la collectivité ne peuvent être défendus. Elle reliera en un même faisceau tous les dévouements et toutes les compétences pour que tous les Syriens soient en mesure de collaborer à la délivrance de leur patrie [watan] avec le concours de la France dont les fils de Syrie ont toujours reconnu les bienfaits. L’Association aura enfin pour objet la libération de la Syrie et son accession à l’indépendance [al-istiqlal] sous l’égide de la France [tahta ri’ayya fransa] et avec son aide et sa garantie, par un régime fédéral d’autonomies provinciales, laissant ainsi aux diverses régions (Mont-Liban – qui jouit déjà d’un régime autonome –, Palestine, etc.) leur caractère propre et le libre développement de leurs légitimes aspirations57. »
36Le « comité central syrien » est donc pourvu d’un programme national, à côté de sa politique de collaboration avec le gouvernement français. La version arabe révèle un contenu sémantique encore largement marqué par les logiques identitaires d’avant-guerre. Les membres du « comité central syrien » placent toutefois nettement leurs revendications dans le cadre d’une tutelle française. C’est sur ce point que la division persiste entre les membres de la communauté syrienne de Paris. Certains, tels al-Najjar et Khayrallah, lancent une campagne de dénigrement du « comité central syrien » auprès de leurs compatriotes résidant en Égypte58. Si Ghanim ne parvient pas à réaliser l’union des Syriens sur son programme, il entend en revanche poursuivre la campagne de recrutement de volontaires pour la Légion d’Orient. Une mission est envoyée en Amérique latine en mai 1917. Elle est composée de César-Jean Lakah (chrétien libanais) et de Jamil Mardam Bey59. En dépit d’une activité inlassable, la mission Lakah ne parvient à recruter que quelques dizaines de Syriens et Libanais. Lakah dresse un tableau sombre de l’opinion libano-syrienne : absence de dévouement, opinions dominées par l’intérêt. Ses compatriotes estiment que la Syrie sera libre avec ou sans eux. Les journaux arabes sont subventionnés et influencés par des agents allemands ou ottomans, ainsi que par les opposants syriens au « comité central syrien »60. En octobre 1917, le Quai d’Orsay réoriente les objectifs de la mission Lakah. Il ne s’agit plus de favoriser un recrutement massif de Syriens et Libanais, mais de réaliser la « fusion » politique des divers groupements libano-syriens d’Amérique latine « dans une commune pensée de loyalisme à l’égard de la France » et d’obtenir leur adhésion au programme français sur la Syrie. Un fonds spécial de 10 000 francs sera affecté par le Quai d’Orsay à la mission. Il s’agit, par ailleurs, de lutter contre la propagande anti-française diffusée par les journaux arabes publiés sur place ou en Égypte61.
37La mission politique de Lakah n’obtient pas plus de résultats que la mission de recrutement. En Argentine, les Maronites se seraient montrés intransigeants et n’auraient rien voulu savoir d’une collaboration avec les Grecs-orthodoxes ou les Arméniens, encore moins avec les Druzes ou les musulmans. Lakah et Mardam Bey se heurtent à une association puissante, l’Union libanaise, qui préfère organiser de son côté une campagne de propagande et de recrutement et refuse toute collaboration avec le « comité central syrien ». Si elle est prête à envoyer des volontaires en Orient, elle réclame en échange un statut autonome pour les Maronites dans la Syrie d’après-guerre62. Les reproches essentiels que formulent les comités syriens d’Égypte et d’Amérique latine au « comité central syrien » concernent son affiliation aux coloniaux français et au Quai d’Orsay. Ghanim est sommé de s’expliquer dans la Correspondance d’Orient afin de dissiper les soupçons des communautés d’Amérique, mais il maintient un discours favorable à la France63. Il agit sans savoir quelles sont les intentions réelles du gouvernement français. Mais la publication par le gouvernement bolchevique, en décembre 1917, des accords secrets passés entre les puissances alliées sur l’Orient l’oblige à réagir. En dépit de quelques gains moraux, la constitution du « comité central syrien » n’apporte pas à la France les résultats espérés. L’initiative soutenue par la France ne permet de contrebalancer ni les effets de la révolte arabe, ni l’action des Syriens d’Égypte et du Hedjaz, ni les inquiétudes libanaises à l’égard des vues grand-syrianistes du « comité central syrien ».
La campagne panarabiste des Syriens du Hedjaz
38Arrivés dans le Hedjaz, les premiers Syriens au service du roi Hussein s’organisent pour mener une propagande politique en faveur de la constitution d’un royaume réunissant tous les Arabes. Des émissaires sont envoyés au Caire pour organiser une propagande panarabiste et convaincre les Syriens des avantages d’un rattachement de la Syrie à l’empire arabe. Pour les responsables français, des agents britanniques du Caire sont derrière ces initiatives, et notamment l’Arab Bureau64. Les panarabistes affirment que la France et la Grande-Bretagne se sont entendues pour laisser la Syrie aux Arabes et faire de Damas la capitale du futur royaume indépendant. Ils utilisent également le contenu de la note interalliée du 10 janvier 191765.
39Face à cette campagne, les Français envisagent à la fois une action diplomatique et une action d’influence. L’action diplomatique consiste à divulguer le contenu de l’accord Sykes-Picot à certains Syriens d’Égypte. Mais les diplomates français sont trop marqués par l’esprit de la diplomatie secrète pour révéler clairement le contenu des accords. C’est donc sur le terrain de l’influence que le gouvernement français entend récupérer un certain poids politique auprès des panarabistes. Les agents français au Hedjaz nouent des contacts avec quelques Syriens placés aux postes clés du royaume, notamment Muhhib ad-Din al-Khatib, musulman de Damas, directeur d’al-Qibla66. En juillet 1917, le plus proche conseiller syrien du roi Hussein, Fuad al-Khatib, affirme vouloir privilégier les relations franco-arabes. La France doit favoriser et consolider l’indépendance arabe afin de se créer une situation prépondérante dans le futur royaume. Fuad lui conseille d’abandonner ses vieux principes de politique musulmane, consistant à s’appuyer sur les confréries et notabilités religieuses, pour aider les forces nouvelles des peuples arabes, de même que Talaat ou Enver ont remplacé les vieux-turcs de l’époque d’Abdul Hamid II67. Au Quai d’Orsay, on examine avec prudence ces déclarations. La « politique arabe » de la France doit essentiellement passer par le respect de l’indépendance absolue des villes saintes de l’Islam et la non-intervention des puissances européennes au Hedjaz, l’affranchissement de « toutes les populations syriennes et arabes » de la tutelle ottomane et dans la région syrienne, un concours de la France pour « guider les États arabes de ce territoire dans leur évolution vers la civilisation moderne68 ».
Les conséquences de la prise d’Akaba
40Après la prise d’Akaba, le 2 juillet 1917, les révoltés sont désormais aux portes de la Syrie. La résistance militaire ottomane devient toutefois plus forte car les contingents arabes pénètrent dans des zones plus habitées et, surtout, plus proches des fronts de combat et des réseaux de chemins de fer. L’action de guérilla en devient plus stimulante, mais la prudence est requise pour toute opération vers le nord. Faysal et Lawrence attendent peu des paysans et bédouins sédentarisés de Syrie. Outre leur relatif affaiblissement, dû aux effets de la guerre totale dans la région, ils ne peuvent s’engager dans la révolte qu’à condition d’être définitivement libérés des Ottomans, car un retour, même hypothétique, de ceux-ci mettrait en danger leur famille et leurs biens, considération absente de l’esprit des combattants jusque-là, car ils laissent bien en arrière des zones de combat ce qu’ils ont de plus cher. Le ralliement de la masse des Syriens ne peut donc se faire que sans leur concours direct et avec méfiance, car l’incertitude de la décision militaire lors d’une opération peut entraîner toute sorte d’allégeances hâtives, de trahisons ou de dénonciations. Lawrence n’entend s’appuyer que sur les éléments bédouins. Les considérations tactiques rejoignent ici la vision générale des Arabes qui anime le major britannique. Il exclut notamment toute opération à l’ouest du Jourdain. Pour Defrance, si Lawrence n’entend pas pousser la révolte de ce côté, c’est qu’il veut préserver la Palestine contre toute influence arabe et laisser son sort entre les mains de la Grande-Bretagne69.
41Afin de marquer l’intérêt du gouvernement français pour la révolte, Ribot décide de remettre au roi du Hedjaz une nouvelle subvention de 975 000 francs70. Un petit détachement français arrive également à Akaba en août 1917, sous le commandement du lieutenant Pisani. Dans Les Sept Piliers de la sagesse, Lawrence rend hommage à ces soldats français et rappelle le rôle qu’ils ont joué dans les coups de main sur la ligne du Hedjaz ou contre des détachements ottomans. Mais ils n’ont pas participé aux raids bédouins vers le nord. Le monde nomade des Arabes bédouins reste fermé à l’influence française, à un moment où la révolte arabe est sur le point d’entrer en contact avec l’ensemble des tribus syriennes. À Akaba, les Français renouent des relations avec certains des éléments de leur clientèle syrienne. C’est le cas notamment de l’émir ‘Abd al-Qadir, petit-fils de ‘Abd al-Qadir, qui a rallié la révolte arabe peu de temps avant la prise d’Akaba. Son comportement reste suspect aux yeux de Lawrence et de nombreux chefs de la révolte. Lors d’un entretien avec Pisani, il affirme être en mesure de soulever une grande partie de la Syrie, jusqu’aux Druzes du Hauran71.
Les Syriens d’Égypte
42Depuis le début de l’année 1917, les Français tentent d’organiser en Égypte le recrutement de volontaires pour la Légion d’Orient et l’adhésion des Syriens à la formation du « comité central syrien ». La campagne de recrutement est en premier lieu destinée aux chrétiens libanais et syriens, avec l’appui de plusieurs prélats maronites et melchites. Saint-Quentin se tourne également vers Michel Lutfallah, Syrien grec-orthodoxe, président de l’Union syrienne, et vers le nouveau Comité réformiste syrien, créé par Haqqi al-’Azm, Jamil Mardam Bey et Rizq Allah Arqash, groupe partisan de la France. Les membres de ce comité sont en relations avec la Syria Mount Lebanon League of Liberation de New York72. La question de l’opinion des Syriens d’Égypte est désormais cruciale, car il est clair que ceux-ci seront amenés, après la répression politique en Syrie, à prendre des responsabilités dans le futur régime de la Syrie, tant dans la zone bleue que dans la zone A. L’esprit de refus de la domination étrangère, la conscience politique qu’ils ont acquise pendant la guerre, tout concourt à rendre cette catégorie de la population difficilement manipulable.
43Les Libanais s’organisent également en vue de l’intervention alliée en Palestine. L’action essentielle demeure celle de l’Alliance libanaise. La publication de la note interalliée et les succès de la révolte arabe relancent sa revendication essentielle depuis 1909 : l’indépendance absolue du Mont-Liban, agrandi et sous influence française73. Si les Syriens disposent de peu de relais en Amérique, les Libanais d’Égypte bénéficient du relais de la puissante Alliance libanaise aux États-Unis, dont les activités se sont développées depuis l’entrée en guerre de ces derniers. Le comité américain s’organise en véritable gouvernement provisoire. Son action est soutenue en Égypte par Mgr Darian, représentant du patriarche maronite.
44En juillet 1917, l’Alliance libanaise est ébranlée par une crise interne due au comportement énigmatique d’un de ses dirigeants, Iskandar ‘Ammun. Celui-ci aurait été pressenti par le roi du Hedjaz pour être l’ambassadeur de l’État arabe dans une capitale européenne74. Il est peu probable que le roi Hussein ait cherché sérieusement à recourir à des chrétiens libanais, position en contradiction avec les engagements pris les 19 et 20 mai 1917. S’agit-il d’une offre faite par les Syriens du Hedjaz ? Iskandar ‘Ammun a-t-il cherché à se donner de l’importance ou a-t-on voulu le compromettre aux yeux des membres de l’Alliance libanaise en le présentant comme un agent du chérif ? Iskandar ‘Ammun donne sa démission de l’Alliance libanaise en août 1917, devant le mécontentement général des membres du comité75. Auguste ‘Adib Pacha le remplace à la présidence du comité libanais.
La Légion arabe
45C’est à la suite de la prise d’Akaba, des difficultés de la politique clientéliste de la France en Égypte et des entretiens alliés de juillet 1917 que l’idée de créer une Légion arabe est évoquée en France. Sous l’impulsion de Georges-Picot, Français et Britanniques s’entendent, lors de la conférence interalliée de Londres du 25 juillet, pour former une « légion musulmane arabe », dont le recrutement et l’entraînement seront organisés par les deux missions alliées en Palestine. La Légion sera affectée à la défense du Hedjaz sous l’autorité du roi Hussein. Elle sera basée à Ismaïlia et encadrée du côté français par les lieutenants Coulondre et Massignon76. Les premiers éléments de la Légion sont surtout des volontaires recrutés en Mésopotamie par les autorités britanniques depuis la prise de Bagdad (déserteurs et prisonniers de guerre). Arabes, Turcs et Kurdes s’y côtoient. Le texte d’engagement ne fait aucune allusion à la Légion arabe et s’appuie essentiellement sur la volonté de servir le roi du Hedjaz77.
46Un premier décompte des effectifs permet d’espérer le concours de 450 soldats, dont un quart de Syriens. Quelques officiers font partie des volontaires, mais sont d’une valeur militaire médiocre. Afin de rassurer les éléments de la Légion, Fuad al-Khatib se rend à Ismaïlia en octobre 1917 et assure les volontaires qu’ils sont instruits et préparés militairement pour aller ensuite combattre dans les rangs de l’armée arabe78. Pour Maugras, qui surveille de près l’instruction, la diversité des éléments de la Légion arabe est compensée par la naissance d’un sentiment national :
« Ce patriotisme Arabe, tel qu’il se manifeste à la Légion est un sentiment assez nouveau et qui mérite quelque attention. Ce n’est pas dans la vieille solidarité religieuse Islamique que ce sentiment puise sa force ou, s’il l’y puise comme on est malgré tout porté à le croire, c’est du moins à l’insu et en dépit de ceux-là même qui l’éprouvent et qui se flattent de concevoir désormais un idéal national façonné par l’ethnographie et l’histoire, analogue à celui qui fait l’âme des diverses patries Européennes. Dans cette Légion où sont représentées toutes les provinces Arabes, Bassorah, Bagdad, Mossoul, Alep, Damas, Jérusalem, l’accord s’est fait spontanément sur un programme d’unité Arabe, de royaume Arabe dont le Malek serait le chef79. »
47Louis Massignon analyse de son côté l’impact de la propagande française auprès de la Légion. Selon l’orientaliste, les volontaires comprennent le rôle que la France joue dans l’entreprise de libération des Arabes, mais il ne serait pas judicieux de les inciter à en tirer les conclusions. L’essentiel est d’insister sur la participation de la France, sans aborder l’avenir. Sur le plan intellectuel, le concours des idées et de la culture françaises à l’éveil des Arabes est connu de tous : « Il est certain que la primauté intellectuelle et morale de la France, sa mission mondiale pour l’apostolat des idées, est franchement acceptée et admirée. » Les éléments les plus sensibles à ce rôle de la France sont les chrétiens. Viennent ensuite les musulmans, puis les Juifs. C’est auprès des musulmans que l’action de la France doit se faire sentir avec plus d’intensité. Ceux-ci sont soudés désormais par l’esprit de clan et le sentiment nationaliste. L’attachement au roi du Hedjaz révèle cette volonté de fonder une patrie arabe, davantage qu’un attachement réel à la personnalité du malik. Ce sentiment patriotique repose sur l’idée d’un patrimoine commun – la civilisation arabe –, d’une langue commune, d’un possible « vouloir vivre ensemble » (Massignon cite nommément Renan). Les chrétiens y sont également sensibles, comme l’atteste la présence de ceux-ci dans les rangs de l’armée arabe et du gouvernement du Hedjaz. Ce sentiment nationaliste n’est pas hostile à la France, « mais il sait gré à l’Angleterre de le pousser plus franchement à se développer ». La France pourrait également le soutenir, à condition de privilégier son contenu politique réel – l’idée de décentralisation – sur son contenu idéaliste – l’idée de fédérer tous les Arabes jusqu’à l’Afrique du Nord80.
48Les analyses de Maugras et de Massignon ouvrent de nouvelles perspectives peu exploitées par la France, mais, le 1er mars 1918, Georges-Picot décide de mettre fin à l’expérience de la Légion arabe. Celle-ci n’a pas apporté les satisfactions militaires que les Alliés en espéraient. Mais il est permis de penser également que l’idée même de la Légion arabe comme creuset des aspirations nationales arabes déplaît profondément à la France et à la Grande-Bretagne. Les analyses de Massignon laissent entendre que la « politique arabe » de la France pourrait s’ouvrir à d’autres perspectives, davantage par un soutien politique aux aspirations nationales que par l’exercice d’une tutelle indirecte.
49La faible implication militaire de la France en Orient explique les difficultés qu’elle rencontre à mettre sur pied un véritable instrument d’influence auprès des populations arabes de Syrie. La France est inévitablement amenée à se replier sur le bastion traditionnel qui fonde sa présence dans la région : les chrétiens du Mont-Liban. Non qu’elle veuille jouer la carte chrétienne, mais parce qu’elle n’a pas les moyens de mettre en œuvre la politique qu’elle souhaiterait suivre et qui serait plus conforme aux réalités du terrain. Cette politique nécessite du temps. Or, jusqu’à la fin de l’année 1915, la France ne se résout pas à la perte des terres d’influence que représente pour elle l’Empire ottoman. Lorsqu’elle prend la mesure de l’avance prise par la Grande-Bretagne, il est en partie trop tard. La compromission de Georges-Picot dans l’affaire des archives du consulat de Beyrouth et la priorité donnée au ravitaillement des populations chrétiennes de Syrie en 1916 achèvent d’affaiblir la position de la France.
50Les responsables français n’en sont pas immédiatement conscients. Jusqu’à l’automne 1916, ils pensent pouvoir se passer du concours syrien pour obtenir une place en Orient. L’axe essentiel de la politique française passe par des accords avec les puissances alliées et avec le roi du Hedjaz. Tout change lorsque ces accords sont peu à peu remis en question par la conjoncture diplomatique : défection croissante de la Russie, entrée en guerre des Etats-Unis, qui ne sont pas liés à ces ententes, changement de ton en Grande-Bretagne. Au Hedjaz, la personnalité de Lawrence domine les orientations arabes. La France, face à cette situation, manque cruellement de soutiens. Les accords diplomatiques ne remplacent pas l’action sur le terrain. Le Quai d’Orsay développe une pression importante, au cours de l’année 1917, pour décider l’état-major général français à dépêcher un corps expéditionnaire en Orient. Celui-ci s’y oppose, non parce que le front français ne le permettrait pas, mais parce qu’une intervention française serait trop coûteuse en hommes et en matériels. La Grande-Bretagne refuse en effet d’accueillir des contingents militaires français, au nom des impératifs de commandement et d’approvisionnement matériel du front de Palestine.
51Il ne peut donc être question que de débarquer sur un autre point. Cette opération est trop lourde à mettre en œuvre en 1917. Les forces ottomanes sont autrement plus organisées et plus nombreuses qu’au début de la guerre. La défection russe au Caucase, l’inactivité alliée dans les Balkans font du front égyptien le front prioritaire de l’armée ottomane. La révolte arabe a accentué encore l’importance stratégique de cette région. Les côtes sont sérieusement gardées et des batteries ennemies menacent désormais les positions françaises à proximité des littoraux ottomans. Castelorizo et Rouad sont bombardées régulièrement à partir de l’été 191781. Il n’est donc pas possible dans ces conditions d’envisager sérieusement une opération de débarquement français. La France comprend désormais que la Grande-Bretagne a les moyens de remettre en cause les ententes passées en 1915 et 1916. L’impossibilité de contrebalancer ce rapport de force militaire par l’organisation de comités syriens en Orient, de légions arabes et syriennes, accentue le sentiment d’inquiétude des responsables français. Le déclenchement de l’offensive de Palestine par Allenby, en novembre 1917, s’effectue donc dans une atmosphère crispée et défensive.
La France et la campagne de Palestine
Clemenceau
52Le déclenchement de l’offensive d’Allenby en Palestine coïncide avec l’arrivée à la tête du gouvernement français de Clemenceau. Le gouvernement Painlevé est renversé le 13 novembre 1917, en pleine crise politique intérieure. Clemenceau forme son cabinet le 16 et prend la direction du ministère de la Guerre. Stephen Pichon est le nouveau ministre des Affaires étrangères. Georges Leygues obtient le portefeuille de la Marine. Clemenceau entend gouverner en solitaire, entouré d’une petite équipe de confiance. Son cabinet civil et son cabinet militaire deviennent une cellule d’information et de décision totalement fermée aux parlementaires et aux journalistes82. Cette méthode politique réduit sensiblement le pouvoir que Poincaré s’était octroyé sur le gouvernement depuis le début de la guerre. Les interpellations parlementaires sont progressivement refusées par Clemenceau – il en obtient l’ajournement le 4 juin 1918 –, celui-ci préférant réserver ses réponses aux commissions spécialisées. Le chef de gouvernement refuse également tout comité secret.
53Le 20 novembre 1917, Clemenceau se présente devant l’Assemblée nationale. Sa déclaration ministérielle entend recentrer l’action du gouvernement français autour d’un seul objectif : la poursuite de la guerre et la victoire. La situation diplomatique et militaire internationale est marquée par la révolution bolchevique et par le discours de Wilson du 9 janvier 1918, au cours duquel il énumère les buts de guerre de son pays, communément appelés les « 14 points ». Le point XII concerne l’Empire ottoman : « La partie turque de l’actuel Empire ottoman devrait se voir reconnaître une complète souveraineté, mais les autres nations qui sont aujourd’hui sous domination turque devraient recevoir une entière assurance pour la sécurité de leur existence, et se voir accorder une occasion, en dehors de toute pression, de développements autonomes83. » Le 11 janvier 1918, Pichon a approuvé intégralement le message de Wilson, mais il est clair que celui-ci remet en cause certains principes ayant présidé aux discussions alliées sur le sort de l’Orient : complète souveraineté de l’Empire ottoman en Anatolie, fin de la diplomatie secrète, accent mis sur l’émancipation politique des Arabes, Arméniens et autres nationalités, sans pour autant mentionner le terme d’indépendance. Cette déclaration américaine pourrait relancer la question des buts de guerre de la France, objets de vifs débats au cours de l’année 1917. Mais Clemenceau met fin à toute tentative de rediscuter les buts de guerre de la France84.
54À l’égard des affaires orientales, l’attitude de Clemenceau est complexe. Le chef de gouvernement est entouré de deux personnalités très sensibles aux questions orientales : Stephen Pichon, qui a négocié les accords sur les chemins de fer dans l’Empire ottoman en 1913, et Georges Leygues85. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, le nouveau chef de gouvernement s’intéresse à l’Orient. Il n’est pas opposé à une politique d’influence française en Orient, mais celle-ci ne doit pas passer par un soutien au protectorat catholique de la France et aux établissements congréganistes. Il critique violemment les interventions de Poincaré en faveur des chrétiens d’Orient. Sur la question syrienne proprement dite, l’opinion de Clemenceau est plutôt tiède. Lors d’une réunion avec Brémond, le 14 février 1918, Clemenceau s’exclame : « Oui, la Syrie, je sais de quoi il s’agit ; mais je n’ai pas une âme de conquérant. Et puis c’est loin, et, comme je l’ai toujours dit, la bataille sera gagnée en France, et là seulement86. » Bien qu’il entende augmenter les effectifs et faire la chasse aux embusqués, afin de faire face au renforcement de l’armée allemande, il ne veut toutefois pas réduire les contingents armés des fronts d’Orient. Ceux-ci peuvent exercer une pression salutaire sur le flanc sud de l’ennemi et réduire la portée du gonflement numérique allemand en France87. Dans l’esprit des responsables français, la forte présence militaire de leur pays dans les Balkans doit pouvoir contrebalancer l’effort militaire fourni par la Grande-Bretagne dans le reste de l’Orient.
La prise de Jérusalem
55Le 7 novembre 1917, Allenby parvient à rompre le front ottoman, s’empare de Gaza et déclenche la campagne de Palestine. Il donne immédiatement son accord pour que des éléments du DFP (2 800 hommes en tout) soient envoyés vers Jaffa. Les Français obtiennent donc un droit de présence sur le littoral de Palestine, ce qui est conforme à l’entente passée entre la France et la Grande-Bretagne, mais également lié à l’action de soutien maritime de la France dans l’offensive britannique. Georges-Picot rencontre Allenby le 27 novembre. Le général en chef assure ne rien connaître des questions politiques et ne rien vouloir en connaître. Son objectif est de mettre sur pied en Palestine une administration militaire, avec le concours des fonctionnaires du Soudan. Devant les protestations énergiques de Georges-Picot, l’état-major britannique accepte la présence d’un détachement français lors de l’entrée à Jérusalem et la présence de soldats français dans les établissements religieux protégés avant la guerre88.
56Le 9 décembre 1917 au soir, Jérusalem est conquise par les Alliés. L’entrée officielle a lieu le 11 décembre 1917. Allenby et Georges-Picot pénètrent ensemble dans la ville sainte. Lawrence a raconté, dans une célèbre anecdote des Sept Piliers, l’intervention de Georges-Picot auprès d’Allenby, lors du pique-nique de l’après-midi du 11 décembre :
« “Dès demain, mon cher général, dit-il de sa voix flûtée, je prendrai les mesures nécessaires pour établir dans cette ville un gouvernement civil.”
Jamais mot historique ne fut plus hardi. Un silence suivit, semblable à celui qui dut régner dans le ciel quand on rompit le septième sceau. Salade, poulet à la mayonnaise et sandwiches au foie gras restèrent intacts sur nos langues ; bouche bée, nous nous tournâmes tous vers Allenby. Lui-même parut un instant incapable de répondre. L’idole allait-elle trahir quelque faiblesse ? Nous commencions à le craindre. Soudain, le sang lui monta au visage ; il avala, le menton en avant (comme nous l’aimions) et dit durement : “Il n’existe, dans la zone militaire, qu’une seule autorité : le Général Commandant en chef, moi-même”. - “Mais Sir Grey, Sir Edward Grey...” bégaya M. Picot. Allenby coupa : “Sir Edward Grey avait en vue le gouvernement civil qui s’établira quand j’aurai jugé que la situation militaire l’autorise”89. »
Présence et politique de la France en Palestine occupée
57Dans les jours qui suivent, Georges-Picot commence sa tournée des établissements religieux relevant de l’influence française. Le dimanche 16 décembre, le service religieux au Saint-Sépulcre est célébré en présence du haut-commissaire français. Les honneurs traditionnels lui sont rendus, en tant que « représentant de la puissance protectrice des lieux saints90 ». Le Quai d’Orsay propose d’affecter des crédits inscrits à l’exercice 1917 aux établissements d’instruction et de charité de la Palestine, au premier rang desquels la custodie de Terre sainte et les missions françaises demeurées dans la région91. En février 1918, certaines institutions rouvrent leurs portes. Mais la concurrence des établissements britanniques est désormais rude. Les écoles françaises ont dû instituer l’enseignement de l’anglais devant l’engouement de la population pour cette langue (150 000 soldats britanniques sont stationnés en Palestine)92. Sur le plan économique, la banque ottomane de Jérusalem est chargée de pourvoir à la circulation de la monnaie fiduciaire. La question essentielle demeure celle de la participation de la France à l’administration militaire de la Palestine. Allenby ayant refusé l’établissement d’une autorité civile, le Quai d’Orsay veut obtenir la présence de deux officiers français détachés auprès du chef des opérations britanniques, dont un pourrait être gouverneur de Bethléem. Cette décision aurait un caractère provisoire, car il est bien entendu qu’un statut plus complet, organisant la présence alliée en Palestine, doit être mis sur pied. Mais la France n’obtient que la possibilité d’assurer la garde militaire du Saint-Sépulcre et du sanctuaire de Bethléem deux jours par semaine93. Au début de l’été 1918, l’administration de la justice civile et religieuse est rétablie par les autorités britanniques dans les territoires occupés selon les dispositions antérieures à la guerre, à l’exception des juridictions consulaires, impossibles à reconstituer en l’état actuel des choses94.
58Stephen Pichon et Georges Leygues tentent de convaincre Clemenceau d’accepter une intervention française en Syrie. Le ministre des Affaires étrangères est persuadé de la nécessité de prendre un gage en dépêchant un corps expéditionnaire en Syrie du Nord. Le 2 janvier 1918, Clemenceau décide l’envoi du corps syrien de la Légion d’Orient en Palestine95. Brémond, rappelé en France, propose soit d’intervenir, soit de négocier l’abandon de la région à la Grande-Bretagne. Si l’on donne l’indépendance à la Syrie, ce sont les clergés, seuls pouvoirs existants, qui prendront le pays en main et créeront un État de l’Église qui n’aurait pour la France laïque que des inconvénients96. Saisi par Clemenceau, le Conseil supérieur de la guerre souligne la nécessaire posture défensive de la France sur le front occidental, tant que les forces américaines ne seront pas arrivées. Renonçant momentanément à diriger son effort principal contre l’Allemagne, l’Entente aurait intérêt à atteindre la coalition adverse dans l’un de ses points faibles. L’Empire ottoman représente la puissance dont la mise hors de combat peut être le plus facilement obtenue. Sa défaite, après un effort ultime, libérerait les troupes britanniques engagées en Orient et permettrait leur retour en France. L’action sous-marine allemande serait paralysée. L’ouverture des Détroits renforcerait les moyens d’action militaires des Alliés en Russie. Un débarquement à Alexandrette serait la solution militaire la plus souhaitable. La difficulté de soustraire du territoire français de nombreux effectifs pourrait être compensée par le recours à des éléments japonais97. En Conseil des ministres, Clemenceau désapprouve le projet. Mais le 17 février 1918, il décide finalement de faire passer les effectifs du DFP de 2 800 à 6 200 hommes98.
59Le 25 mars 1918, les troupes britanniques franchissent le Jourdain et occupent Sait. Une jonction avec les insurgés arabes est envisagée dans la région de ‘Amman. Mais au début du mois d’avril, les effectifs britanniques évacuent Salt et repassent le Jourdain, tout en y maintenant une tête de pont. Les Britanniques se sont heurtés à une vive résistance de l’armée ottomane. La raison essentielle de l’arrêt de l’opération est la décision de Londres de rappeler des effectifs militaires d’Égypte et de Palestine en France. Le 21 mars 1918, l’armée allemande a déclenché une offensive éclair sur la Somme, dans la région d’Arras, où les troupes britanniques sont essentiellement concentrées. Il faut deux semaines aux Alliés pour colmater cette brèche de 60 kilomètres et organiser une résistance près d’Amiens. Devant la situation, l’état-major britannique souhaite le renforcement du contingent français, à la venue duquel il s’est dans un premier temps opposé pour des raisons d’unité d’action99. Malgré l’insistance du Quai d’Orsay, l’état-major refuse de garnir davantage le DFP. Foch, qui vient d’obtenir le commandement unique allié le 26 mars 1918, doit faire face à une deuxième offensive allemande dans les Flandres à partir du 8 avril 1918. Le colmatage n’est réalisé qu’à l’aide de divisions françaises et de troupes belges. La tendance est désormais à la concentration des effectifs face au danger allemand et le restera jusqu’à la fin de l’été 1918, lorsque les dangers d’une offensive sont définitivement écartés.
La déclaration de Sykes au « comité central syrien »
60La nécessité d’informer les Syriens et les Libanais sur l’avenir de la région devient de plus en plus urgente, à mesure que les Alliés avancent en Palestine. Un autre élément d’inquiétude surgit lorsque la presse britannique publie la promesse faite le 2 novembre 1917 par lord Balfour à lord Rothschild de favoriser « l’établissement en Palestine d’un Foyer national juif100 ». La France donne son adhésion à la promesse britannique le 14 février 1918, mais de nombreux responsables en France mettent l’accent sur la difficile compatibilité entre les aspirations nationales arabes et les revendications sionistes. Le 27 décembre 1917, Pichon lit aux Chambres une déclaration destinée à rassurer les populations syriennes sur leur sort : « C’est d’ailleurs une vieille et glorieuse tradition de la France, depuis Charlemagne, de défendre contre la tyrannie des populations d’Asie Mineure[...]. Je tiens à dire au nom du Gouvernement que la France, consciente de son devoir d’humanité et de ses obligations historiques, est décidée à ne plus laisser ces populations au caprice et au couteau des Turcs ; elle veut leur assurer la libération que leurs mérites divers et leurs souffrances passées justifient. Dans ces régions de l’antique Syrie où ces populations se trouvent mélangées, elle leur prêtera tout son concours pour organiser, dans le respect mutuel des croyances et des races, une autonomie féconde et pour accomplir, guidées par elle, leurs destinées de races, dignes de la civilisation101. » Georges-Picot a recommandé d’éviter d’aborder la question sioniste, « qui sera englobée dans l’autonomie des groupements ethniques ou religieux102 ».
61Les effets de la déclaration de Pichon sont affaiblis par la déclaration de Sykes aux membres du « comité central syrien » en décembre 1917. Ces derniers s’inquiètent de la progression des Britanniques vers la Syrie. Ils craignent un renoncement définitif de l’influence française en Syrie et demandent que la France favorise la création d’un gouvernement syrien, dans les premiers territoires libérés de Syrie, placé sous l’autorité du haut-commissaire français et chargé de réunir des contingents indigènes103. Les responsables français repoussent ces demandes car elles ne sont pas réalisables dans le cadre des accords sur l’avenir de la Syrie, où le souverain hachémite doit jouer un rôle politique dans la zone A. Mais ils craignent que le « comité central syrien », seul soutien de la politique française en Orient, ne se tourne vers la Grande-Bretagne. C’est dans ce cadre qu’une entrevue a lieu, dans les salons du « comité d’action parlementaire à l’étranger », entre le « comité central syrien », Gout et Sykes. Ce dernier souligne que les deux pays sont en parfaite harmonie sur l’avenir de la Syrie. La libération d’une partie des territoires arabes étant désormais chose acquise, « il y a des garanties pour un gouvernement solide et progressif en Palestine et en Mésopotamie, c’est un jalon sérieux posé pour un meilleur état des choses en Syrie ; je ne puis imaginer Damas, Alep et Beyrouth restant en arrière de Jérusalem et de Bagdad ». Sykes critique la division politique des Syriens. La conquête de la Syrie n’est pas faite. Or, si la guerre devait s’arrêter demain, il serait difficile pour les Alliés d’obtenir « davantage que des réformes sur le papier » si les Syriens ne faisaient pas la démonstration de leur unité de vue et d’action104.
62Gout approuve la déclaration de Sykes et réaffirme l’entente complète entre la France et la Grande-Bretagne « pour assurer aux populations non-turques d’Asie Mineure, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur origine ethnique, la libération du joug ottoman, et la préparation d’un meilleur avenir ».
« Repoussant toute idée de domination coloniale, les deux Alliés se sont résolus chacun dans sa sphère d’action, à guider les populations de langue arabe et celles de toute autre langue qui habitent les régions qui s’étendent des monts Anatoliens à la Mer des Indes, vers un régime d’autonomie et de développement civilisé dans le mutuel respect des croyances et des nationalités. Guide vers un meilleur avenir, arbitre entre les groupes religieux et ethniques, conseiller amical de civilisation, tel est le rôle que la France et la Grande-Bretagne sont prêtes à assurer, l’une dans le nord, l’autre dans le sud105. »
63Les déclarations de Gout et de Sykes confirment donc officiellement les informations publiées par les journaux bolcheviques. Si le premier met l’accent sur la nécessaire présence des puissances européennes dans la destinée politique de la région, le second n’en souffle mot et insiste davantage sur l’unité des Syriens, faisant de cette condition préalable un gage de liberté et d’autonomie. Ces déclarations sont publiées dans les journaux syriens et libanais à la fin de février 1918. Pour Defrance, les déclarations du 23 décembre ont fixé les positions. Désormais, les Syriens savent qu’ils ne pourront pas diviser la France et la Grande-Bretagne sur l’avenir de la Syrie, puisque celles-ci se sont entendues. Mais certains persistent à croire que si la Grande-Bretagne a renoncé à jeter son dévolu sur la Syrie, elle entend toutefois y établir son influence. Sans cela, comment comprendre la politique de soutien britannique aux troupes arabes de Faysal et à l’installation de ce dernier en Syrie ? Si la Grande-Bretagne ne recherche pas un contrôle direct de la Syrie, c’est parce qu’elle dispose du concours des chérifiens pour le faire. Les Syriens anglophiles doivent donc se tourner désormais vers Faysal, afin de préserver leur allégeance à la politique britannique. Sur la nature du régime futur de la Syrie, les déclarations de Sykes sont interprétées comme un encouragement à l’indépendance absolue, alors que Gout a rappelé la nécessaire présence étrangère.
64Les réactions les plus virulentes viennent des milieux chrétiens libanais, qui redoutent les tendances grand-syrianistes du gouvernement français. C’est Emile Eddé, notable et avocat libanais maronite résidant à Alexandrie, qui se manifeste le premier, en remettant une note de protestation à Defrance en mars 1918106. Pour les services de renseignement français à Alexandrie, cette note reflète les « procédés politiques » des milieux libanais, qui consistent à aggraver subtilement certaines oppositions entre la politique britannique et la politique française, dans le but d’obtenir des engagements plus précis et des promesses plus décisives. Les propos laissent entendre que l’union étant impossible entre chrétiens et musulmans, seuls les premiers sont les obligés de la France, « postulat inadmissible si l’on songe que seul l’élément musulman a donné des preuves positives de son attachement et non par des affirmations verbales, mais par des actes et de réels sacrifices107 ».
65L’Alliance libanaise d’Alexandrie réclame l’indépendance absolue du Mont-Liban, c’est-à-dire son détachement complet de la Syrie108. Cette campagne est relayée au Caire par la filiale de l’Alliance libanaise et en Amérique latine par l’Union libanaise d’Argentine. Ces comités sont prêts à réclamer une indépendance garantie collectivement par l’Europe et les Etats-Unis, si leurs intérêts sont mis en danger par la prééminence française sur une grande Syrie109. Cette position est vivement condamnée par le « comité central syrien ». Ce dernier dénie à l’Alliance libanaise le droit de parler au nom des Libanais. Sa volonté de placer l’indépendance du Mont-Liban sous la garantie des puissances est un désaveu des accords intervenus entre la France et la Grande-Bretagne sur l’avenir de la région et, notamment, de l’exclusivité de la présence française sur le littoral110. À la fin de l’été 1918, l’Alliance libanaise critique violemment les positions francophiles adoptées par certains prélats maronites d’Égypte. La question libanaise doit être séparée de la question syrienne et l’Alliance doit s’efforcer d’obtenir par les moyens diplomatiques le soutien des grandes puissances111. À la veille de la prise de Damas, le « comité central syrien » est plus que jamais isolé.
La révolte arabe en route vers la Syrie
66Pour les Français, c’est désormais Faysal qui semble le plus déterminé à mener la révolte vers la Syrie, encouragé par Lawrence et soutenu par les Syriens d’Égypte favorables à la constitution d’un royaume de Syrie. Faysal et les nationalistes arabes syriens sont particulièrement marqués par les déclarations de Wilson en janvier 1918 et les prises de positions de la nouvelle Russie à l’égard des petites nationalités112. L’unanimité syrienne est toutefois loin d’être réalisée autour de la personne de Faysal. Outre les difficiles relations des Syriens avec les Mésopotamiens et les Hedjaziens, les premiers sont impressionnés par les déclarations de Sykes et de Gout, le 23 décembre 1917. Les officiers et partisans syriens de Faysal retiennent que la Syrie doit demander à la France son aide et ne peut placer tous ses espoirs dans la politique chérifienne. Haqqi al-’Azm, à Akaba le 16 décembre 1917, affirme à Faysal que les Syriens n’accepteront jamais comme gouverneur le roi du Hedjaz, car la Syrie est riche et civilisée et ne peut dépendre d’un pays uniquement peuplé de bédouins et dépourvu de civilisation. 11 est disposé à accepter Faysal comme gouverneur, mais à condition que la Syrie se conduise elle-même et soit sous la protection d’une puissance étrangère, la France de préférence. Devant le refus de Faysal, Haqqi al-’Azm décide d’organiser une députation syrienne chargée de convaincre l’émir de s’entendre avec la France sur la question syrienne113.
67En mai 1918, les Syriens chérifiens envoient une délégation auprès du roi du Hedjaz afin de lui demander de prendre sous sa souveraineté la Syrie. Ils sont partisans d’un régime largement décentralisé, sur le modèle administratif des cantons suisses. Le concours financier et industriel sera demandé à des nations neutres européennes – la Suisse, la Suède, le Danemark – ou à des pays alliés, à condition qu’ils soient sous l’autorité du gouvernement arabe114. Les projets syriens de Faysal sont loin de rassembler tous les suffrages et l’émir doit lutter contre de nombreux courants politiques favorables à la Grande-Bretagne, à la France, à son père, à l’indépendance pure et simple.
68L’ex-khédive d’Égypte, ‘Abbas Hilmi II, est en Syrie en janvier 1918. Pour le compte du gouvernement ottoman, il est chargé d’entrer en discussion avec le roi Hussein pour négocier la reddition de Médine. Il doit également proposer une paix séparée aux Arabes et la délimitation d’une frontière entre la Syrie, qui resterait ottomane, et le Hedjaz, qui acquerrait un statut d’autonomie. Hussein aurait accepté le principe de ces négociations, ainsi que son fils ‘Abdallah. Dès novembre 1917, Faysal a reçu une lettre de Jamal Pacha lui dévoilant plus largement les projets britanniques sur la Péninsule arabique et les projets français en Syrie, et lui proposant une alliance politique115. Les tractations entre Faysal et Jamal Pacha portent sur le repli de toutes les troupes turques au sud de ‘Amman sur cette ville, le transfert de tous les soldats et officiers arabes de l’armée ottomane à l’armée arabe, le commandement en chef autonome de l’armée arabe, les relations futures de la Syrie et de l’Empire ottoman modelées sur celles existant entre l’Autriche et la Hongrie, la remise de toutes les réserves alimentaires en Syrie à l’armée arabe116. Ces tentatives ottomanes de négociation avec les Arabes inquiètent les Alliés, mais l’évolution du front oriental précipite le dénouement des opérations. En avril 1918, les troupes de Faysal ont occupé Karak. La montée vers le nord est lente et méticuleuse. Elle est freinée par l’offensive avortée des Britanniques sur Salt et ‘Amman. En août 1918, des émissaires de la révolte sont chargés de prendre des contacts avec les Druzes du Hauran, les Ru’ala, les tribus arabes entre ‘Amman et Alep. La marche vers Damas est commencée.
Épilogue : Damas117
69Après le rétablissement du front en France, au début du mois d’août 1918, Foch n’envisage pas d’opérations importantes avant 1919, date à laquelle la supériorité numérique alliée sera incontestable. En Palestine, on ne doit pas donner à l’armée alliée des objectifs très éloignés. Celle-ci a pour tâche essentielle de fixer l’ennemi et d’attirer si possible de nouvelles forces. Elle devra atteindre au mieux Caïffa, le lac de Tibériade et Deraa, et nettoyer la région entre la mer Morte et le désert du Hedjaz, pour couper définitivement la ligne de chemin de fer. Ces opérations ne sont pas de nature à justifier l’importance numérique de l’armée britannique de Palestine. La France envisage donc de prélever sur elle des forces pour les affecter à d’autres théâtres d’opérations, en France, en Macédoine ou en Mésopotamie118. Mais la progression subite des Alliés sur le front français et le déclenchement de l’offensive de Franchet d’Esperey le 15 septembre 1918, à partir de Salonique, engagent l’état-major britannique en Palestine à passer à l’action. Le 22 septembre, Allenby annonce à Piépape son intention d’occuper Damas. Cette intervention devant s’effectuer dans la zone d’influence française, le général est favorable au transport du DFP vers Damas. Le bataillon territorial et la Légion d’Orient seront réservés à l’occupation des régions littorales119.
70Devant l’imminence des opérations, le gouvernement français interroge Londres sur l’application de l’accord de 1916. L’expérience, désastreuse pour les intérêts et l’influence de la France, de l’occupation de la Palestine ne doit pas être renouvelée en Syrie. Georges-Picot est envoyé à Londres pour rencontrer Sykes. L’insistance de la France à vouloir obtenir un nouvel engagement de la Grande-Bretagne démontre que l’accord Sykes-Picot n’est plus considéré comme un document irréfutable. Interrogé le 23 septembre 1918 par Paul Cambon, lord Balfour affirme ne pas avoir eu connaissance de l’accord de mai 1916. Sykes souligne qu’il s’agit simplement d’un projet préparé par Georges-Picot et qui a été soumis en substance au comité Bunsen, mais ne peut être accepté par le gouvernement britannique sans modification profonde. Les responsables du Foreign Office insistent sur l’impossibilité de porter atteinte à l’autorité du commandement en chef des forces britanniques, sur la nécessité d’envisager l’entrée en Syrie d’une armée arabe et la proclamation dans cette dernière ville d’un gouvernement arabe, sur les risques de soulèvement que provoquerait l’idée d’une annexion à la France de certaines régions syriennes. Ils demandent une déclaration commune en vue de rassurer la population locale sur les intentions des puissances alliées. L’établissement de la sphère d’intérêt de la France est conditionnel et la Syrie est comprise comme un tout. Il n’y a plus de différence de traitement entre la Syrie littorale et la Syrie intérieure120.
71Sous la pression de Paul Cambon et de Georges-Picot, les autorités britanniques acceptent de signer un nouvel accord, le 30 septembre 1918, base nouvelle de la coopération franco-britannique en Syrie et texte interprétatif de l’accord Sykes-Picot. Allenby admettra, dans les zones réservées à la France, un « conseiller politique » français, sous ses ordres du point de vue militaire. Sa tâche sera d’organiser l’administration civile des zones A et bleue121. Le texte du 30 septembre 1918 réaffirme donc les différences de traitement entre les zones bleue et A de l’accord Sykes-Picot, mais il établit l’autorité militaire de la Grande-Bretagne sur l’ensemble de la région. Cette autorité reste essentielle. L’administration provisoire civile en zone bleue sera mise en place « à la demande du Commandant en chef ».
72Le 1er octobre 1918, les troupes alliées et arabes pénètrent dans Damas. Avant de quitter la ville, Jamal Pacha a remis le pouvoir aux émirs algériens Sa’id et ‘Abd al-Qadir. Arrivé en train de Deraa, Faysal entre dans la ville le 3 octobre et défile dans les rues à la tête de 1 500 cavaliers arabes, accompagné par Lawrence et les principaux officiers de la révolte. Les autorités militaires britanniques, le général Allenby en tête, entrent officiellement le même jour dans la ville122. Le 4 octobre 1918, le capitaine Mercier, officier de liaison français entre le gouvernement arabe et le haut commandement britannique, désigné pour la zone A, s’installe dans la ville. Le 15 octobre 1918, alors qu’Allenby doit être reçu officiellement par le gouvernement arabe de la ville, Mercier tente vainement de rencontrer le commandant en chef, mais celui-ci refuse. Il se rend avec son état-major au Serai al-Hakouma123 en automobile. Mercier, qui n’est pas associé, suit dans la foule le cortège. Il assiste à l’allocution de Rida Pacha al-Rikabi, chef du gouvernement de Damas, à la réception des différents corps constitués, des fonctionnaires du nouveau gouvernement, de la municipalité, des fonctionnaires religieux musulmans, des prêtres des différentes communautés chrétiennes et juives, des notables druzes. Le soir, l’émir n’est entouré que de représentants britanniques et chérifiens. Les discours prononcés ne font aucunement mention de la France, sauf au titre des Alliés avec l’Italie et les États-Unis124.
73Les chérifiens sont de plus en plus hostiles à la France depuis leur arrivée à Damas. Le 3 octobre 1918, Allenby a expliqué à Faysal que la France est pour la Syrie le « Pouvoir protecteur », que l’émir aura l’administration de la Syrie – sans la Palestine et le Mont-Liban – avec les conseils et le soutien financier de la France et que le littoral syrien échappera totalement à son autorité. Faysal proteste et rappelle que Lawrence lui a affirmé que les Arabes auraient l’administration de toute la Syrie, à l’exclusion de la Palestine. Il rejette catégoriquement la présence de conseillers et d’officiers de liaison français et se déclare prêt à accepter le soutien britannique.
« Le chef se tourna vers Lawrence : “Mais ne lui avez-vous pas dit que les Français auraient un Protectorat sur la Syrie ?” Lawrence répondit : “Non, sir, je n’en savais rien.” Le chef poursuivit : “Mais, vous saviez catégoriquement que lui, Faysal, ne devait rien avoir à faire avec le Liban ?” Lawrence répondit : “Non sir, je ne le savais [pas]”125. »
74Dès le 4 octobre, le Lisan al- ‘Arab, journal chérifien de Damas, annonce la formation d’un gouvernement constitutionnel sur toute la Syrie. Un groupe d’une vingtaine de cavaliers de la révolte arabe gagne Beyrouth pour y soutenir les partisans de l’émir126. Le 5 octobre, le drapeau arabe flotte sur les édifices publics de la ville et sur l’ancien palais du gouverneur libanais, mais avec l’arrivée du DFP et de la division navale de Syrie, les hommes de Faysal doivent rebrousser chemin. Le 14 octobre, le colonel de Piépape est nommé « gouverneur militaire de la zone ouest », comprenant la côte méditerranéenne de Saint-Jean-d’Acre à Alexandrette et le Mont-Liban127.
75Dès leur arrivée dans Damas, les troupes chérifiennes ont expulsé le gouvernement provisoire proclamé par ‘Abd al-Qadir et Sa’id. L’émir ‘Abd al-Qadir se vante d’être le premier à avoir proclamé l’indépendance syrienne et la royauté hachémite, hissé le drapeau chérifien et remis à Faysal la ville. Mécontents d’avoir été écartés du nouveau régime, les émirs algériens prennent contact avec Mercier et entendent constituer un parti d’opposition, en relais notamment avec les Druzes du Hauran. Mercier demande que la France redonne la protection consulaire à ces individus qui ont perdu le statut de sujet ottoman128. Le 9 novembre 1918, un décret d’arrestation des émirs algériens est publié par le gouvernement chérifien. Si le second est arrêté, le premier tente de s’enfuir vers la montagne et est abattu par les soldats chérifiens. L’opération a lieu le lendemain du départ de Mercier pour le GQG britannique129.
76Cette affaire contribue à tendre davantage les relations des officiers français avec Faysal. Mercier tente toutefois de rassurer Faysal sur l’avenir du royaume arabe syrien. Le 13 octobre 1918, il déclare à l’émir : « Je n’ai pas été autorisé, jusqu’ici [...] à vous communiquer le texte des accords franco-anglais dont vous soupçonnez l’existence. Votre Excellence sait aussi que la France est liée à la Syrie par trop de liens et de traditions pour se désintéresser d’elle en ce moment. En l’absence d’instructions détaillées de mon Gouvernement, je crois pouvoir prendre l’initiative de vous déclarer officiellement que la France ne poursuit ici aucune conquête et ne désire pas d’annexion : la Syrie ne sera pas une colonie française et la Grande-Bretagne en est garante130. » Faysal souligne que si les principaux responsables chérifiens sont rassurés sur les intentions des Alliés, il n’en est pas de même du peuple. L’émir demande comment « concevoir un royaume arabe indépendant qui n’aurait pas d’accès à la côte ». Il craint les déclarations libanaises en faveur d’un Grand-Liban. Mercier lui assure que le royaume chérifien disposera d’un accès à la mer, mais il se plaint ensuite de la propagande panarabiste cherchant à unir le pays en dépit des intérêts des puissances. Faysal répond :
« Lorsque MM. G. Picot et Marc Sykes vinrent à Djedda, les conversations entre eux et mon père établirent que Damas, Hama, Homs, Alep feraient partie d’un royaume arabe, mais que la question de la côte syrienne et du Liban était réservée ; de sorte que la France, l’Angleterre et moi sommes trois commerçants en présence d’un bien sans maître. N’est-il pas logique que chacun cherche à s’approprier ce bien en devançant les autres131 ? »
77Ainsi, les nombreux malentendus créés pendant la guerre resurgissent en octobre 1918 dans les conversations entre Faysal et les représentants français. Mercier ne parvient pas à gagner la confiance de l’émir. Lorsque Faysal annonce son intention de se rendre à Alep pour y installer Shukri al-Ayyubi comme gouverneur, Mercier fait remarquer à l’émir que c’est le représentant français qui devrait le seconder dans son voyage, et non le représentant militaire britannique. Le 18 novembre 1918, Faysal quitte Beyrouth pour la France. Mercier souligne, avant que l’émir n’arrive à Versailles, « les très hautes ambitions de l’Émir Feysal, poussé et conseillé par le Major, depuis Colonel, Lawrence : constitution d’un énorme empire s’étendant à tous les peuples de langue arabe sans distinction de culte, sous l’influence apparente ou latente de la Grande-Bretagne. Cette devise panarabe cache, en réalité, une reprise du programme panislamique sous les Turcs132 ».
78La situation est tendue également entre les Français et les Britanniques. Le 29 septembre 1918, Franchet d’Esperey a signé l’armistice avec la Bulgarie à Salonique, sans consulter le commandant des forces britanniques de l’armée d’Orient. En réponse, Lloyd George retire l’armée britannique de l’autorité française. Clemenceau cède et accepte que les forces du général Milner constituent le noyau d’une armée interalliée engagée en Thrace. Le 30 octobre 1918, l’amiral Calthorpe signe l’armistice à Moudros avec les autorités ottomanes, sans participation française cette fois-ci. Lloyd George refuse que Calthorpe soit placé sous l’autorité française. Il invoque les rectifications apportées depuis le début de la guerre à la convention du 6 août 1914. Pour le chef du gouvernement britannique, la prééminence des effectifs britanniques en Orient justifie cette initiative. En Palestine, le gouvernement français n’a envoyé qu’une « poignée de troupes noires », quelques « policiers nègres pour veiller à ce que nous ne volions pas le Saint-Sépulcre. Et pourtant, lorsqu’il s’agit de signer un armistice, on en fait toute une histoire133 ».
79Tout en donnant des assurances aux responsables français sur le terrain, la diplomatie britannique s’attache à remettre davantage en cause l’avenir de la présence française en Syrie. L’accord du 30 septembre 1918 est un premier pas dans ce sens. Les responsables britanniques veulent d’abord obtenir une déclaration commune franco-britannique assurant les Arabes que les Alliés œuvreront en faveur de l’indépendance de la région. Le résultat est un communiqué sibyllin, publié le 7 novembre 1918, assez proche dans ses termes et son esprit du point XII du discours de Wilson du 9 janvier 1918 :
« Le but qu’envisagent la France et la Grande-Bretagne en poursuivant en Orient la guerre déchaînée par l’ambition allemande, c’est l’affranchissement complet et définitif des peuples très longtemps opprimés par les Turcs et l’établissement de gouvernements et administrations nationaux, puisant leur autorité dans l’initiative et le libre choix des populations indigènes.
Pour donner suite à ces intentions, la France et la Grande-Bretagne sont d’accord pour encourager et aider l’établissement de gouvernements et d’administrations indigènes en Syrie et en Mésopotamie actuellement libérées par les Alliés ou dans les territoires dont ils poursuivent la libération et pour reconnaître ceux-ci aussitôt qu’ils seront effectivement établis134. »
80En décembre 1918, Wilson est en route pour la France. Clemenceau, inquiet pour la satisfaction des demandes territoriales françaises vis-à-vis de l’Allemagne, entend obtenir l’accord préalable du gouvernement britannique. Cette entente passe par un assouplissement de la position française concernant l’Orient. Lloyd George sait qu’il peut faire céder Clemenceau sur les questions orientales. Le 28 novembre 1917, peu après son arrivée au pouvoir, Clemenceau a déclaré au chef de gouvernement britannique qu’il souhaitait faire la paix à tout prix avec l’Empire ottoman et qu’il ne voulait pas de la Syrie pour la France. Si la Grande-Bretagne veut établir un protectorat en Syrie, il ne s’y oppose pas135. Le 4 décembre 1918, Lloyd George obtient finalement de son interlocuteur le compromis qu’il recherchait. L’accord est purement verbal et nous n’en avons connaissance que par Maurice Hankey, qui écrit, le soir même, dans son journal :
« Clemenceau et Foch ont traversé [la mer] après l’armistice et on leur a donné une grande réception militaire et publique. Lloyd George et Clemenceau ont été conduits à l’ambassade de France... Quand ils furent seuls... Clemenceau dit : “Bien. De quoi devons-nous discuter ?” “De la Mésopotamie et de la Palestine”, répondit Lloyd George. “Dites-moi ce que vous voulez”, demanda Clemenceau. “Je veux Mossoul”, dit Lloyd George. “Vous l’aurez”, a dit Clemenceau. “Rien d’autre ?” – “Si, je veux aussi Jérusalem” a continué Lloyd George. “Vous l’aurez, a dit Clemenceau, mais Pichon fera des difficultés pour Mossoul”136. »
81Pour Clemenceau, la question syrienne est désormais réglée et rien ne devrait perturber les relations franco-britanniques sur ce point durant les négociations de paix. Pour Lloyd George, le retrait français n’est qu’un début et la diplomatie britannique doit pouvoir obtenir de nouvelles concessions de la part des responsables français.
Notes de bas de page
1 Les États-Unis ne déclarent pas la guerre à l’Empire ottoman.
2 Journal de Alexandre Ribot et correspondances inédites (1914-1922), publiés par le docteur A. Ribot, Paris, Plon, 1936, pp. 52-53. Ribot, à la fin de son discours, affirme que les Alliés travaillent « à fonder un ordre nouveau ». Bonnefous Georges, Histoire politique..., pp. 234-235.
3 Pichon Jean, op. cit., pp. 135-136.
4 Bonnefous Édouard, op. cit., p. 244.
5 Ibid., p. 252.
6 Renouvin Pierre, La Crise européenne..., pp. 377-378.
7 Wilson Jeremy, op. cit., pp. 1130-1131 (note 24).
8 Ibid., pp. 401-403. Voir également la démonstration faite par Wilson de la datation de cet entretien pp. 1146-1148 (note 9). Ce point de l’attitude de Lawrence lui sera constamment reproché par l’historiographie française entre les deux guerres. Voir par exemple Général Andrea, La Révolte druze et l’insurrection de Damas, 1925-1926, Paris, Payot, 1937, pp. 13-14.
9 Laurens Henry, Lawrence en Arabie..., p. 61.
10 MAE, papiers Charles-Roux, 3, 242-243, lettre de Briand à Boselli, 5 février 1917.
11 Commentaire non daté (mars 1917) dans Journal de Alexandre Ribot..., p. 58.
12 Voir sur cette affaire Bihl Wolfdieter, « La mission de médiation des princes Sixte et Xavier de Bourbon-Parme en faveur de la paix », Guerres mondiales et conflits contemporains, n°170, avril 1993, pp. 31-75. Pedroncini Guy, « La France et les négociations secrètes de paix en 1917 », ibid., pp. 131-139.
13 Journal... p. 67. Sydney Sonnino est le ministre italien des Affaires étrangères.
14 Journal de Alexandre Ribot..., p. 69.
15 Painlevé a notamment déclaré : « Confirmez vos aspirations : la France sera la première à désirer la part qui vous revient équitablement, nous voulons montrer que nous ne sommes pas des alliés à la semaine. » Ibid., p. 72 (note 1).
16 MAE, Guerre 1914-1918, 994, 58, Ribot à Barrère, 24 avril 1917.
17 Bittar Marie-Claude et Hokayem Antoine, op. cit., pp. 67-69. Nevakivi Jukka, Britain, France..., p. 54.
18 BN, Cartes et plans, Société de géographie, 9, note de la Société de géographie, 23 mai 1917.
19 MAE, papiers Ducrocq, 63, note de Ducrocq (ou Marin), 23 mai 1917. Ducrocq participe à l’entrevue du 23 mai.
20 Voir Khoury Gérard D.. op. cit., pp. 93-98.
21 MAE, Guerre 1914-1918, 1694, 279-280, note de la sous-direction Asie, 5 avril 1917.
22 Ibid., 133-134, instructions à Cherchali, 1er mai 1917.
23 Ibid., 1695, 162-164, Defrance à Ribot, 8 mai 1917.
24 Deux ans plus tard, lorsqu’ils se rencontreront à Damas le 16 mai 1919, Faysal avouera à Georges-Picot : « Je vous ai vu pour la première fois, il y a deux ans et demi à El-Ouedj, en compagnie de sir Mark Sykes et j’en ai gardé depuis une mauvaise impression parce que j’ai su que vous veniez de négocier le traité de 1916. » Cité par Khoury Gérard D., op. cit., p. 229. Faysal confirme ainsi les indiscrétions auxquelles Lawrence s’est livré quelques mois plus tôt.
25 MAE, Guerre 1914-1918, 877, 122-127, Georges-Picot à Ribot, 24 mai 1917.
26 Ibid., 187-188, Georges-Picot à Ribot, 8 juin 1917.
27 Ibid., 239, Defrance à Ribot, 21 juin 1917. Ribot répond : « Je vous approuve pleinement d’avoir invité M. Cherchali à ne jamais se servir des mots Liban, ou même grand Liban, pour qualifier la région où la France entend accomplir directement son œuvre de civilisation, car ce serait faire le jeu des Syriens de l’entourage du Chérif qui désirent précisément limiter étroitement notre action éventuelle au pays exclusivement chrétien, c’est-à-dire au Liban. » Ibid., 261, Ribot à Defrance, 27 juin 1917.
28 Voir les discussions en cours sur le sujet dans Hanotaux Gabriel, Carnets..., pp. 224-225.
29 Marine SS Guerre 1914-1918, Sa Division navale de Syrie, 42, rapport du commandant Sarrou sur la possibilité d’une paix séparée avec la Turquie, 23 avril 1917.
30 MAE, Guerre 1914-1918, 162, 179, Jusserand à Ribot, 5 juin 1917.
31 Ibid., 190-191, Jusserand à Ribot, 12 juin 1917.
32 Ibid., 225-226, Jules à Paul Cambon, 12 juillet 1917.
33 Ibid., 876, 31, Lyautey à Briand, l2 mars 1917.
34 Ibid., 183, Defrance à Ribot, 10 avril 1917.
35 Ibid., 137-142, instructions de Ribot à Georges-Picot, 2 avril 1917.
36 Laurens Henry, op. cit., p. 68.
37 MAE, Guerre 1914-1918, 994, 243-244, Paul Cambon à Ribot, 3 juin 1917.
38 Sur l’ensemble de cette opération, Wilson Jeremy, op. cit., pp. 435-458.
39 Les puissances centrales ont déclenché une contre-offensive victorieuse le 19 juillet 1917, causant en quelques jours la perte de 120 000 hommes dans les rangs russes.
40 MAE, Guerre 1914-1918, 996, 37-38, conférence interalliée de Paris, 25 juillet 1917.
41 Pour l’ensemble de ces débats, voir ibid., 83-87, conférence interalliée de Paris portant sur les propositions britanniques de retirer du front de Macédoine une division pour l’employer en Palestine, 24-26 juillet 1917.
42 Ibid., 10-53, première séance de la conférence des Alliés à Londres, 7 août 1917.
43 Journal de Alexandre Ribot..., pp. 170-171.
44 MAE, Guerre 1914-1918, 997, 69-70, troisième séance de la conférence des Alliés à Londres, 8 août 1917.
45 Doynel de Saint-Quentin, le commandant Sarrou, mais également le général Bailloud et le capitaine Mercier, envoyés en mission en juillet-août 1917.
46 Marine SS Guerre 1914-1918, A Armée navale, 165, Trabaud à Lacaze, 20 février 1917.
47 MAE, Guerre 1914-1918, 877, 159, Ribot à Defrance, 2 juin 1917.
48 Ibid., 891, 189, 3 mai 1917. La note propose une somme de 6 000 francs à verser au chef de la communauté ‘alawite. Painlevé donne son accord. Ibid., 227-228, Painlevé à Ribot, 22 mai 1917.
49 La Légion d’Orient est créée en 1915 par la France à Chypre pour enrôler tous les sujets ottomans souhaitant combattre aux côtés de l’Entente : elle est surtout composée d’Arméniens et de Syriens.
50 Guerre, 7 N 2082, instructions pour M. l’Officier Interprète Mercier, 9 août 1917.
51 MAE, Guerre 1914-1918, 879, 24-57, Defrance à Ribot, 8 octobre 1917.
52 En 1919, Georges-Picot expliquera à Faysal que les raisons militaires ont dès le départ motivé la nécessité de négocier avec les Anglais : « La France et l’Angleterre se sont rendu compte qu’aucune intervention militaire n’était possible en Syrie si un accord précis ne liait pas les deux gouvernements, l’un ne permettant jamais à l’autre d’agir sans lui. » Khoury Gérard D., op. cit., pp. 229-230.
53 Oudet Benoit, « Le rôle du Comité central syrien dans la politique syrienne de la France, 16 juin 1917-24 juillet 1920 », sous la direction de Dominique Chevallier, Paris IV, 1986, 152 p. Voir également La Question syrienne exposée par les Syriens, Paris, Comité central syrien, 1919, 56 p.
54 MAE, Guerre 1914-1918, 875, 98-99, note de Ghanim, 7 janvier 1917.
55 MAE, papiers Wiet, 1, 83, note de Gout à Margerie, 25 avril 1917. Le Globe avait déjà servi de lieu de réunion au printemps 1913 pour la préparation du congrès arabe-syrien de Paris.
56 Ibid., 86, note de Gout et Wiet, 26 avril 1917.
57 Comité central syrien, L’Opinion syrienne à l’étranger pendant la guerre. Documents, Paris, 1918, pp. 30-32.
58 MAE, Guerre 1914-1918. 892, 224, lettre de Ghanim à Gout. 20 septembre 1917.
59 Ibid., 138-139, Claudel, ministre de France à Rio de Janeiro, à Briand, 10 mars 1917. Ibid., 877, 119-120, lettre de Ghanim à Ribot, 22 mai 1917.
60 MAE, Guerre 1914-1918, 893, 210-230, rapport de Lakah à Pichon, 14 avril 1918.
61 Ibid., 879, 132-133, Margerie à Barthou, 26 octobre 1917.
62 Ibid., 883, 68-69, Jullemier, ministre à Buenos Aires, à Pichon, 6 février 1918.
63 Oudet Benoit, op. cit., p. 35.
64 MAE, Guerre 1914-1918, 1693, 117-126, Defrance à Briand, 26 février 1917.
65 Ibid., 875, 243-244, Defrance à Briand, 28 février 1917.
66 Ibid., 1694, 287, Defrance à Ribot, 7 avril 1917.
67 Ibid., 1697. 21-27. note de Cherchali, 11 juillet 1917.
68 Ibid., 1698, 190-191, Gout à Cherchali, 13 septembre 1917.
69 MAE, Guerre 1914-1918, 878, 173-181, Defrance à Ribot. 30 août 1917.
70 Ibid., 1698, 55, Ribot à Thierry, ministre des Finances, 24 août 1917.
71 Général Brémond Édouard, op. cit., pp. 183-184.
72 MAE, Guerre 1914-1918, 891, 47-60, Defrance à Briand, 9 janvier 1917.
73 Ibid., 877, 245-246, Defrance à Ribot, 24 juin 1917.
74 Ibid., 1697, 70, Defrance à Ribot, 16 juillet 1917.
75 Ibid., 878, 152, Defrance à Ribot, 15 août 1917.
76 Ibid., 121, 31 juillet 1917.
77 Guerre, 7 N 2082, instructions pour M. l’Officier Interprète Mercier, 9 août 1917.
78 Ibid., 879, 79, Maugras à Ribot, 15 octobre 1917. Maugras est l’adjoint de Georges-Picot.
79 Ibid. Cette analyse a certainement été inspirée par Massignon.
80 Ibid., 260-266, Maugras à Pichon, 16 novembre 1917. Note de Massignon.
81 Ibid., 177, Laffon, consul à Port-Saïd, à Barthou, 5 novembre 1917.
82 Duroselle Jean Baptiste, Clemenceau, Paris, Fayard, 1988, p. 635.
83 Cité par Laurens Henry, L’Orient arabe..., p. 161.
84 Bonnefous Georges, op. cit., p. 380. À une question de Moutet, Pichon répond le 25 mars 1918 qu’il n’y a « absolument pas » de partage de l’Asie mineure envisagé entre les puissances. AN, C 7491, 234 n° 1, 34-35, séance du 25 mars 1918.
85 Voir l’action de Leygues auprès de Clemenceau dans Raphael-Leygues Jacques, Georges Leygues..., 318 p.
86 Général Brémond Édouard, op. cit., p. 249.
87 Guerre, 4 N 8-2, note du conseil supérieur de la guerre, 18 décembre 1917.
88 MAE, Guerre 1914-1918, 880,60-61, Georges-Picot à Pichon, 27 novembre 1917.
89 Lawrence Thomas E., op. cit., p. 566.
90 MAE, Guerre 1914-1918, 881, 8, Georges-Picot à Pichon, 17 décembre 1917.
91 Ibid., 882, 74, lettre de l’abbé Lagrange à Pichon, 15 janvier 1918.
92 Ibid., 884, 185-186, Georges-Picot à Pichon, 2 mars 1918.
93 Ibid., 881, 204, Georges-Picot à Pichon, 31 décembre 1917.
94 MAE, E-Levant 1918-1929, 1, 44-45, Coulondre à Pichon, 1er juillet 1918.
95 MAE, Guerre 1914-1918, 893, 71, Clemenceau à Pichon, 2 janvier 1918. La compagnie syrienne du DFP arrive à Ramleh le 25 février.
96 Ibid., 882, 93, 16 janvier 1918. Argument choisi par Brémond pour mieux sensibiliser Clemenceau.
97 Guerre, 4 N 8-2, note du conseil supérieur de la guerre, 4 janvier 1918.
98 Khoury Gérard D. op. cit., p. 109.
99 MAE, Guerre 1914-1918, 886, 84, Georges-Picot à Pichon, 11 avril 1918.
100 Laurens Henry, L’Orient arabe..., p. 164.
101 MAE, Guerre 1914-1918, 881, 15, projet de déclaration au Parlement, 17 décembre 1917.
102 Ibid., 90, Georges-Picot à Pichon, 20 décembre 1917.
103 Ibid., 25-27, note du « comité central syrien », 18 décembre 1917.
104 Ibid., 115-117, discours prononcé par sir Mark Sykes à la réunion du « comité central syrien » du 23 décembre 1917.
105 Ibid., 114, allocution de M. Gout prononcée à la réunion du « comité central syrien » du 23 décembre 1917.
106 Ibid., 884, 172-181, Defrance à Pichon, 9 mars 1918.
107 Marine SS Guerre 1914-1918, Q Services de renseignement, 78, Massis à Dartige du Fournet, 5 mars 1918.
108 MAE, Guerre 1914-1918, 881, 159, Defrance à Pichon, 27 décembre 1917.
109 MAE, E-Levant 1918-1929, 1, 7-23, Defrance à Pichon, 23 mars 1918.
110 MAE, Guerre 1914-1918, 885, 41, Pichon à Defrance, 14 mars 1918.
111 MAE-Nantes, Le Caire, 520, note sur le journal al’Umma d’Alexandrie, 24 septembre 1918.
112 MAE, Guerre 1914-1918, 882, 84-89, Defrance à Pichon, 16janvier 1918.
113 MAE, papiers Gout, 7, 3-6, note du père Jaussen, 22 mars 1918.
114 MAE, E-Levant 1918-1929, 56, 16-18, Defrance à Pichon, 16 mai 1918.
115 MAE, Guerre 1914-1918, 882, 26, bulletin de renseignements, 7 janvier 1918. Wilson Jeremy, op. cit., pp. 512-513.
116 Ibid., pp. 549-564. Lawrence Thomas E., op. cit., pp. 689-693.
117 Voir Kedourie Elie, « The Capture of Damascus, 1 October 1918 », Middle Eastern Studies, vol. 1, n° 1, octobre 1964, pp. 66-83.
118 Guerre, 4 N 8-2, note du 3 août 1918.
119 MAE, E-Levant 1918-1929, 2, 29-30, Coulondre à Pichon, 22 septembre 1918.
120 Ibid., 44-46, Paul Cambon à Pichon, 23 septembre 1918.
121 Ibid., 81-89, Paul Cambon à Pichon, 30 septembre 1918.
122 Sur l’entrée des Alliés et des Arabes dans Damas, voir Khoury Gérard D., op. cit., pp. 117-121.
123 Palais du gouvernement.
124 MAE, mandat Syrie-Liban, 2429, Mercier à Georges-Picot, 17 octobre 1918.
125 Wilson Jeremy, op. cit., p. 563. Le contenu de ce texte est contesté. Khoury Gérard D., op. cit., pp. 124-125.
126 MAE-Nantes, mandat Syrie-Liban, 2364, Coulondre à Pichon, 4 octobre 1918.
127 Khoury Gérard D., op. cit., pp. 132-135.
128 MAE-Nantes, mandat Syrie-Liban, 2429, Mercier à Georges-Picot, 11 octobre 1918.
129 Ibid., Mercier à Georges-Picot, 11 novembre 1918.
130 Ibid., Mercier à Georges-Picot, 13 octobre 1918.
131 Ibid., Mercier à Georges-Picot, 24 octobre 1918.
132 Ibid., Mercier à Georges-Picot, 20 novembre 1918.
133 Allain Jean-Claude, « Le commandement unifié... », pp. 48-49. Cet argument est désormais constamment repris par Lloyd George. Voir Mantoux Paul, Les Délibérations du Conseil des Quatre (24 mars-28 juin 1919), Paris, Éditions du CNRS, 1955, vol. 2, pp. 158-161.
134 Bittar Marie-Claude et Hokayem Antoine, op. cit., p. 98.
135 Roskill Stephen, Hankey, Man of Secrets, London, Collins, 1970, vol. 1 « 1877-1918 », p. 466.
136 Ibid., vol. 2, p. 28.
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