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Chapitre XIII. Les automotrices électriques : un cas particulier

p. 180-184


Texte intégral

1Issu du trafic urbain et du tramway, ce « wagon motorisé » qu’est l’automotrice électrique conserve un rôle de second plan sur les lignes de banlieue des anciennes compagnies d’avant la SNCF. À l’image de l’immense réseau du Southern anglais desservant le sud de l’Angleterre entre Londres et la côte, le réseau français de l’État se lance dans un système de lignes électrifiées en troisième rail latéral, parcourues par des automotrices desservant une grande partie de la banlieue ouest de Paris dès le début du siècle et surtout entre les deux guerres. Le réseau du PO, et son associé, celui du Midi pratiquent une politique d’automotrices de ligne non pas en banlieue, mais sur des lignes secondaires des Pyrénées.

2L’électrification de la ligne Paris – Le Mans, en 1937, marque un tournant perceptible dans l’évolution technique des automotrices électriques. Il s’agit en effet de parcourir à grande vitesse une ligne principale en assurant une desserte omnibus de gares intermédiaires. Intégrée dans les services des grands trains rapides, cette desserte assure, en quelque sorte, le ramassage des voyageurs dans les petites gares en précédant le train rapide et en déposant les voyageurs avec une avance de quelques minutes dans une gare importante.

La génération des automotrices en acier inoxydable

3Il est certain que les années 1938 et 1939 ne laissent guère à la jeune SNCF le temps de songer à mettre en place un nouveau matériel de banlieue, ni même d’électrifier les lignes qui en seraient le nécessaire champ d’action. Pendant la guerre toutefois, le grand projet d’électrification de la ligne Paris – Lyon, avance dans les esprits. Il est bien prévu, par la force des choses, d’éliminer la traction vapeur sur les services de banlieue Paris – Melun – Montereau.

4Le congrès des inspecteurs de l’Exploitation et des chefs de Dépôt de 1941, lors de la conférence du 4 octobre, fait le point sur ce que l’on peut attendre de cette électrification1 : de toutes les banlieues parisiennes, celle du sud-est est certainement la moins importante. La nature de la région desservie, son étroitesse géographique, une petite banlieue qui n’a guère de chances de s’étendre sur les plateaux de la Brie (on notera que ces plateaux difficiles à vivre n’effrayeront pas les promoteurs des années 1970-1980 !), voilà qui n’incite guère, il faut le dire, à prévoir une électrification en tant que telle. Mais, comme pour Paris – Le Mans, il s’agit d’une électrification intégrée à celle d’une grande ligne nationale. Et le développement possible de Melun, de la vallée de la Seine entre Corbeil et Melun, le raccordement possible à Juvisy de la banlieue électrifiée du sud-ouest peuvent permettre de créer un système offrant de l’avenir sur le plan économique.

5L’exemple du réseau de l’État est cité : les rames à démarrage rapide et à adhérence totale ont démontré l’intérêt d’un matériel à hautes performances sur les relations de la banlieue. Toutefois « sans aller jusque-là, et surtout si les arrêts ne sont pas trop rapprochés, de l’ordre de 3 kilomètres, on obtient des résultats excellents avec 50 % d’essieux moteurs, c’est-à-dire avec des éléments comprenant une automotrice et une remorque. Ajoutons que les automotrices permettent des variations de composition très aisées selon la densité horaire du trafic. On peut, à chaque instant, adapter le matériel en service, donc l’énergie consommée et les coûts d’exploitation aux besoins réels »2.

6La doctrine SNCF est donc fixée, dès 1941, une dizaine d’années avant que l’on puisse passer aux actes. Des automotrices selon la formule motrice + remorque, des dessertes fréquentes en petite banlieue (jusqu’à Villeneuve-Saint-Georges), une connection avec la banlieue sud-ouest (chose impensable du temps des anciennes compagnies), des prévisions de 10 000 voyageurs/heure lors des pointes, et une incitation à une augmentation du trafic par la présence de dessertes fréquentes et d’un matériel attractif, voilà les grandes lignes dans la doctrine SNCF de la banlieue sud-est. Il reste à mettre au point le matériel roulant, estimé à 300 millions de francs de 1941 pour les automotrices, les remorques et les quelques locomotives BB supplémentaires nécessaires pour remorquer des rames de banlieue classiques jusqu’à Fontainebleau ou Montereau.

7Mais si l’électrification de la ligne Paris – Dijon ouvre, dès 1950, la voie à la traction électrique des trains de banlieue, les automotrices ne sont pas au rendez-vous et on les attendra jusqu’en 1952. Alors, en attendant la livraison des automotrices, des BB prennent en charge des rames métalliques à bogies, de conception Nord d’avant-guerre, construites par le PLM et que la SNCF équipe d’un chauffage électrique en 1951. Il faut donc une heure pour atteindre Melun. Les rames automotrices tant attendues promettent un gain de temps de 40 %.

8Ces rames automotrices arrivent enfin dans le courant de l’année 1952. Leur caisse en acier inoxydable, très belle d’ailleurs et témoignant à un niveau poussé en matière de constructions métalliques, avouent leur descendance des premières rames à brevet Budd de 1937. Mais c’est ici une création purement SNCF, avec une disposition générale d’essieux différente, plus classique, sans le recours à des caisses reposant sur des bogies communs : chaque caisse a bien ses deux bogies propres, qu’il s’agisse des motrices ou des remorques.

9L’acier inoxydable, cher mais économique en entretien, a été l’objet d’un vif débat dès 1944 entre la DEA et la DETE d’après ce que l’on peut lire dans les carnets de Marcel Garreau. Il s’agissait, en l’occurence, de définir un programme et une politique d’autorails. L’issue fut un refus de la DEA d’utiliser l’acier inoxydable, « solution de riches ». L’ingénieur Fernand Nouvion, partisan de cette solution, pourra l’appliquer sur le matériel de banlieue sud-est de 1952 et l’étendre à l’ensemble du nouveau matériel de banlieue SNCF qui suivra. Bien sûr, cela demandera un équipement spécial et un nouveau savoir-faire pour les ateliers chargés de la réparation des caisses, mais en échange, l’absence de peinture à entretenir et l’évacuation des problèmes liés à la rouille diminuent les coûts d’entretien.

10Lors de la deuxième grande période de construction d’automotrices de banlieue, en 1965-1966, la solution de la caisse en acier inoxydable sera de nouveau retenue avec les Z-5300 pour la banlieue sud-ouest, les Z-6 100 pour la banlieue nord ou les Z-6 300 pour la banlieue ouest (Saint-Lazare). Les rames circulant sous une caténaire en monophasé de fréquence industrielle bénéficient des progrès accomplis en matière de traction électrique, et ont notamment des bogies monomoteurs à moteur continu alimenté par redresseurs au silicium : un seul moteur suffit, par rame, et assure, avec par exemple 615 kW pour les 6 100 ou les 6 300 des performances jugées acceptables.

L’automotrice électrique tous services (1962)

11Comme le fait remarquer Jean Roques dans un article paru dans la Revue générale des chemins de fer3, « l’une des conséquences les plus marquantes des électrifications réalisées depuis quinze ans (depuis 1947) a été l’amélioration des relations à grande distance, tant pour les marchandises que pour les voyageurs ; par contre, les relations à courte et moyenne distances, en dehors de la banlieue parisienne, n’ont pas suivi la même évolution, et, devant leur développement croissant, il a fallu dans de nombreux cas, remplacer le train classique, trop lent, par des services d’autorails plus rapides et d’exploitation plus souple. »

12L’extension des électrifications amène naturellement la SNCF à faire étudier par la DETE des automotrices électriques de ligne qui sont, en fait, une transposition de la conception autorail à un engin tout à fait analogue, mais pouvant circuler d’une manière encore plus économique, sous une caténaire déjà installée et donc déjà rentabilisée par un important trafic.

13L’autorail servant de référence, pour cette conception, est le 825 ch unifié série X 2 800. Un intéressant tableau publié dans l’article de J. Roques donne une comparaison des masses et des performances de deux engins similaires utilisant deux modes de traction différents (tableau X).

Tableau X. Performances comparées d’un autorail et d’une automotrice.

TypesAutorail X 2 800Automotrice électrique
Z 7100
Puissance aux arbres des mot. (ch)8251 240
Masse à vide (t)5055
Masse adhérente (t)3155
Puissance massique (ch/t)16,522,5
Vitesse maximum (km/h)120130
Longueur (m)27,7326,13
Places offertes 1re classe1212
Places offertes 2e classe6264
Total des places offertes7476

14En dépit d’un poids supérieur, l’automotrice offre un rapport puissance/poids (ou « puissance massique ») supérieur du fait des 1 240 ch facilement installés et disponibles. En outre, l’automotrice est capable de tirer, en palier, trois remorques à 130 km/h et, en rampe de 10 ‰, trois remorques à 110 km/h. Dans une sévère rampe de 33 ‰, elle tire une remorque à 80 km/h. Dans les mêmes conditions, l’autorail offre des performances inférieures de près d’un tiers.

15Répartie à Lyon et Avignon pour les automotrices type Z-7 100 sous 1 500 V et à Strasbourg pour les deux automotrices Z-9060 et 61 en monophasé, la série est complétée par 75 remorques inspirées des remorques d’autorail, mais dotées, pour 28 d’entre elles, d’un poste de conduite en réversibilité, et toutes pourvues d’un chauffage et d’un éclairage autonomes.

16Formant des compositions allant jusqu’à trois remorques ajoutées aux motrices, les Z 7 100 circulent sur les lignes de l’étoile de Lyon, en assurant des dessertes omnibus vers Dijon, Paris, Chambéry ou Saint-Étienne, ou sur la rive gauche du Rhône en assurant des relations jusqu’à Marseille, ou en reliant Béziers à Toulouse ou à Neussargues, à Millau, etc. Les lignes de Neussargues et de Millau comprennent des pentes de 33 ‰ et les engins à freinage rhéostatique y ont engagés. Les deux Z-9060 et 9 061 assurent des relations entre Strasbourg, Nancy ou Metz, ou des dessertes omnibus de la région de Conflans et Hagondange.

17Les parcours moyens, à la fin de 1962, s’établissent, par automotrice et par journée, au chiffre assez conséquent de 450 kilomètres. Des pointes de 700 kilomètres dans la journée sont signalées, ce qui, pour ce genre de roulement comportant de nombreux arrêts, est exceptionnel et traduit une productivité élevée.

18Il est intéressant de noter qu’après la construction des Z 7 100, l’automotrice électrique tous services marque une sorte de pause, et que le nombre de ces engins ne sera jamais très élevé. Se glissant dans le trafic de lignes importantes dont il n’est, en fin de compte, qu’un complément, cet « autorail électrifié » reste, pour son rayon d’action, prisonnier de la caténaire. Toutefois l’extension des électrifications de la fin des années 1970 amènera la SNCF à construire, comme nous le verrons dans la troisième partie, une nouvelle génération d’automotrices de ligne, les fameuses Z 2. Mais, sur un autre plan, le progrès des automotrices de banlieue, tant en performances qu’en confort, amenera à les utiliser de façons très diverses, les faisant circuler parfois très loin de la capitale et les engageant même définitivement dans des opérations régionales de dessertes cadencées.

19On voit même des automotrices de banlieue type Z 5 100 assurer des relations jusqu’à Orléans, Le Mans, Poitiers. Ici aussi, le pragmatisme fait l’essentiel des doctrines en matière de traction, le matériel moteur étant non seulement utilisé dans les services pour lesquels il a été normalement conçu, mais aussi dans ceux pour lesquels il s’est révélé utile sur le terrain.

Notes de bas de page

1 Congrès des inspecteurs de l’Exploitation et des chefs de Dépôt, octobre 1941. Archives de la direction du Matériel de la SNCF.

2 Id.

3 roques J., Ameil M., Le Berrigaud R. et Meilhat J.-P., « Les automotrices électriques tous usages de la SNCF », RGCF, septembre 1961.

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