Chapitre XII. Les autorails de la deuxième génération
p. 168-179
Texte intégral
1Par bien des points, la SNCF des années 1960 se retrouve, pour ses lignes à faible trafic, dans la même situation que les compagnies des années 1930 dont elle est l’héritière : même situation financière difficile, même position peu favorable des pouvoirs publics (surtout locaux) vis-à-vis du chemin de fer, même concurrence accrue de la part de l’automobile que la guerre avait pour un temps écartée, et, d’autre part, même prix compétitif du pétrole par rapport aux autres sources d’énergie.
2Les mêmes causes produisant parfois les mêmes effets, l’autorail apparaît de nouveau comme la solution technique face à cet ensemble de problèmes et plus que jamais, après la grande période 1933-1939, les années 1948-1965 sont fastes pour cet engin très caratéristique du chemin de fer français.
3Lancé courageusement par les anciennes compagnies durant les années 1930 pour sauver les lignes en difficulté par la technique de traction pour lignes secondaires, l’autorail est un cas intéressant montrant comment une politique de traction peut évoluer à la suite de résultats purement techniques. En deux ou trois années, on passe de la Pauline, autorail léger à deux essieux, aux rames articulées Bugatti assurant des relations rapides sous la forme de véritables trains entre des grandes villes éloignées dans le plus pur style TEE dès le milieu des années 1930. Cette sorte de bipolarité de l’autorail, à la fois engin de desserte ponctuelle pour lignes secondaires et engin apte aux longs parcours rapides sur grandes lignes, n’a pas été perdue durant les trente années de la période 1935-1965.
4Toutefois, deux données ont changé : les constructeurs ont perdu l’initiative de proposer des modèles aux réseaux, et la SNCF, au lendemain de la guerre, assure la conception des nouveaux autorails dans le cadre d’une politique d’autorails dits unifiés après avoir commandé aux anciens constructeurs des séries dites « de redémarrage », identiques, à peu de chose près, aux modèles d’avant-guerre.
5 C’est à cette époque que se met en place la doctrine SNCF en matière d’autorails, que nous pourrions appeler « la première doctrine », et qui s’intègre bien dans la politique générale de recherche de l’unification du matériel roulant des années 1948-1965. Elle donne naissance aux autorails de la deuxième génération, celle des années 1950-1960, qui prennent la relève des types conçus par les anciennes compagnies et qui roulent toujours à l’époque.
6Une deuxième doctrine naît durant les années 1970 avec une certaine fusion des conceptions automotrice électrique, d’une part, et autorail d’autre part, avec un accroissement du confort et des performances marquant une sorte de retour de la liaison ferroviaire régionale sur le devant de la scène. Ces autorails que nous pourrons appeler de la troisième génération seront examinés dans la troisième partie de l’ouvrage.
La première doctrine SNCF en matière d’autorails
7Si la SNCF commande au lendemain de la guerre les autorails Renault AB J 4, De Dietrich 320 ch, et dix autobus Floirat sur rails, elle anticipe beaucoup plus loin que ces séries de redémarrage et pense déjà à des engins formant un programme cohérent et exploitable avec une logique nationale.
8La bipolarité entre grand parcours et desserte locale est respectée dans son principe parce que, sur ces deux tableaux, l’autorail est capable de se substituer à la traction vapeur d’une manière extrêmement rentable. Les deux cas de figure impliquent des circulations à faible capacité. Nous sommes, dans un cas comme dans l’autre, aux deux extrémités de la courbe statistique de remplissage des trains, mais avec deux publics et deux types de relations complètement différents : d’une part, un public restreint de voyageurs relativement exigeants (hommes d’affaires surtout) désirant aller loin et vite, et, d’autre part, un public tout aussi restreint mais considéré (à tort ?) comme peu exigeant et captif du chemin de fer et demandeur de relations locales dans lesquelles la vitesse et le confort peuvent être modestes.
9Accepter de continuer à satisfaire ces deux types de clientèle fait d’ailleurs l’objet d’un débat à la SNCF, où le courant d’opinion en faveur des trains rares et lourds, transporteurs de masse comme le chemin de fer le serait par définition, gagne des points, ou, plutôt, en gagnera de plus en plus durant les difficiles années 1960. À la fin des années 1940, les pouvoirs publics et les dirigeants de la SNCF veulent bien encore considérer que le transport d’une clientèle relativement peu importante numériquement fait toujours partie de la vocation du chemin de fer, si toutefois on peut trouver les solutions techniques limitant les coûts.
10Dans des faits, pourtant, les autorails assurent en 1947 20 % du service des voyageurs avec des parcours de 400 kilomètres par jour en moyenne1 et les services de l’Exploitation sont très satisfaits de la souplesse des autorails et de leur comportement en service. Ce sont eux qui pèseront en faveur de la poursuite d’une politique des autorails, même si le confort insuffisant (au bas mot), le manque chronique de capacité, un entretien souvent difficile, et une image de marque déplorable auprès du public modèrent l’ardeur des autres services de la SNCF à leur égard. Les autorails accumulent, jour après jour, un actif réel en assurant un service difficile et l’Exploitation ne voit pas comment se passer d’eux.
11Les commandes de matériel neuf à la SNCF sont tantôt la conséquence de l’apparition de besoins nouveaux, tantôt celle de la disparition du matériel existant (limite d’âge, destructions de la guerre). La politique des autorails répond bien à cette logique : le matériel a disparu, soit du fait de la guerre dans une certaine proportion, soit surtout du fait de la réforme nécessaire par suite de la vétusté.
12Et, de ce fait, la SNCF va remplacer des autorails par... des autorails, lorsqu’elle ne supprime pas purement et simplement leurs services. À la Libération, la division des Études d’autorails de la SNCF, la fameuse DEA, est chargée du programme ci-dessous sous la responsabilité de l’ingénieur Charles Tourneur (tableau IX).
Tableau IX. Le premier programme d’autorails de la SNCF.
Caractéristiques | Type 150 ch | Type 300 ch | Type 600 ch |
Essieux moteurs (nb)/total | 1/4 | 2/4 | 4/4 |
Disposition d’essieux | Parallèles | Bogies | Bogies |
Vitesse maximale (km/h) | 80 | 110 | 120 |
Poids en charge (t) | 22,5 | 34,5 | 56 |
Capacité (pl. ass + deb) | 60+20 = 80 | 62+38 = 100 | 68+42 =110 |
Couplage/jumelage | M + M, M + R | M + M, M + R, M + R + M | M + M, M + R+R, M + R + M |
13À ce tout premier programme s’ajoute un autre autorail dit de « type FNC » à deux essieux de type léger, proposé par la Fédération nationale des cheminots qui prend sur elle la défense des petites lignes secondaires.
14Notons que trois autorails unifiés présents dans ce tableau ont tous en commun d’être des autorails à une seule caisse, un point important qui vaudra, dans l’histoire des autorails de la SNCF, bien des retournements en matière de conception et de doctrine. Le « monocaisse » est la formule de base utilisable telle quelle en exploitation quotidienne. La remorque est considérée comme un appoint éventuel pour une journée de pointe, mais elle pénalise fortement les performances. La SNCF s’apercevra que l’utilisation quasi systématique des remorques, du fait du manque de capacité des autorails, non seulement ruine les performances mais aussi complique la tâche des agents d’accompagnement. Alors, durant les années 1960, comme nous le verrons, la SNCF revient à l’autorail « bicaisse » (deux éléments articulés), bien plus performant que le système autorail et remorque et qui permet la circulation des agents et des voyageurs sans contrainte. Mais un retour tardif durant les années 1980 se fait à nouveau en faveur du « monocaisse », avec un gain essentiel sur la main d’œuvre puisqu’un conducteur unique peut tout faire, y compris le ramassage des billets. Mais il faut, à nouveau, construire des remorques...
L’autorail type FNC (1949)
15Le plus petit des types d’autorails mis en service par la SNCF, ajouté aux trois types dits unifiés par la volonté syndicale des cheminots voulant défendre leur profession, est certainement un point intéressant de la politique de traction de la SNCF en matière de matériel léger pour lignes secondaires.
16La DEA de la SNCF n’y croit guère. Faire circuler sur des voies ferrées un matériel très léger de conception automobile semble bien loin du service ferroviaire avec tout ce que cela implique de confort, de sécurité, de régularité. Bref, « ce n’est pas du train » pour la DEA mais ce matériel, soupçonné de ne pas faire le poids dans tous les sens du terme, se révélera plutôt efficace à l’usage. Il ne pourra sauver, pour autant, les lignes sur lesquelles il est engagé, dans la mesure où il en constitue pratiquement le seul trafic.
17Le FNC est chargé de démontrer que l’emploi d’un matériel roulant léger, de construction plus simple et plus économique que le matériel ferroviaire traditionnel, est compatible avec une exploitation quotidienne, et il est chargé aussi de démontrer que l’abaissement des prix de revient (consommation de carburant, amortissement du prix d’achat, entretien, etc.) permet d’assurer l’exploitation de lignes qui seraient déficitaires avec du matériel ferroviaire traditionnel.
18Pour un poids de 17 tonnes en charge et quarante-trois places, la consommation moyenne de gas-oil est de 20 litres pour 100 kilomètres, y compris les stationnements, sorties de dépôt, manœuvres. En ligne, cette consommation peut tomber à 16 litres : c’est la moitié ou le tiers de celle des autorails classiques lourds. Et, avec une remorque légère à deux essieux, la consommation en ligne atteint 19 litres. Après une année d’essais, en 1947, les recettes s’élèvent à 4 272 000 F pour les six mois comprenant la saison d’été (la plus forte en trafic) et les dépenses à 3 715 000 F.
19La SNCF commande alors trente autorails FNC en 1948 qui sont mis en service, en 1949-1950. Une autre série est construite en 1952-1953, portant le total du parc FNC à soixante exemplaires. Et pourtant quelques années plus tard, au début des années 1960, leur retrait du service est envisagé. Il sera effectif à la fin de la décennie. Incontestablement, ces autorails ont donné satisfaction, répondant techniquement à un cahier des charges draconien qu’aucun matériel ferroviaire classique n’aurait pu satisfaire.
20Mais ce « pou du rail », comme on le surnomme souvent, léger, au confort malgré tout approximatif, s’il ne demande que très peu de carburant, demande malgré tout, comme tout engin ferroviaire, une voie ferrée, c’est-à-dire une infrastructure lourde et coûteuse.
21À partir du moment où les autres trains classiques (marchandises ou trains de voyageurs transitant nécessairement par la ligne) ne circulent plus sur une ligne, le FNC, malgré son faible coût et ses bénéfices modestes, ne peut plus justifier financièrement le maintien de la ligne. Le FNC vient rappeler cette vérité économique fondamentale de tout système ferroviaire : la complémentarité cohérente. Victimes plutôt de la chute générale du trafic ferroviaire sur les petites lignes des années 1960 que de leurs propres insuffisances, les FNC disparaissent avec les lignes pour lequelles ils sont spécifiquement faits, incapables, par exemple, d’assurer d’autres services omnibus plus conséquents sur d’autres lignes à plus fort trafic sur lesquelles on aurait pu les transférer. Trop spécialisé, le FNC illustre bien ces cas particuliers qui apparaissent en histoire des techniques et qui, soit parviennent à modifier le système dont ils sont le fruit, soit sont éliminés parce que le système l’emporte.
L’autorail de 150 ch (1950)
22Il est le véritable autorail pour services omnibus conçu par la DEA, en reprenant une disposition d’essieux et une formule générale (poids, dimensions) qui ont eu un certain succès avant la guerre avec les modèles construits par les Entreprises Industrielles Charentaises pour le réseau du Midi et d’autres en 1933-1934. Avec ses 80 km/h et ses 22,5 tonnes en charge, cet engin est déjà plus proche des normes ferroviaires que le FNC, et les cent huit exemplaires construits en 1950-1951 et 1953-1954 peuvent non seulement assurer un service sur des petites lignes, mais aussi un service omnibus sur des lignes plus importantes.
23Officiellement nommé série X 5500 (tranche 5501 à 5551) et série X- 5800 (tranche 5801-5855) pour la deuxième série, cet autorail unifié de 150 ch connaît une carrière de durée moyenne qui le mène vers la fin des années 1970 sur un ensemble de lignes secondaires ou de petites relations omnibus. Doté d’une cabine de conduite surélevée placée dans un angle de la caisse, cet autorail circule facilement dans les deux sens (comme le FNC d’ailleurs), tirant ou même poussant des remorques très légères à deux essieux. Il souffre, mais moins, du même problème de spécialisation que le FNC, ne pouvant faire survivre les lignes sur lesquelles il circule, voué à mourir avec elles. Une capacité de soixante places assises (ne parlons pas des hypothétiques vingt places debout) et une caisse de seulement 14,7 mètres en font certainement un engin dont la capacité est insuffisante quand il faut le transférer pour des services omnibus sur d’autres lignes plus actives. Dans certains cas limites, il peut toutefois effectuer ces services.
L’autorail de 300 ch (1950)
24Sans doute le plus connu de la série, le plus populaire aussi chez les cheminots qui préfèrent le surnom de « Picasso » à celui, plus officiel, de X 3800, cet autorail reste le plus marquant de cette époque des autorails de la deuxième génération des années de l’après-guerre et de conception dite unifiée.
25Comme l’ensemble de ces quatre séries d’autorails, il est à transmission mécanique (embrayage et boîte de vitesses type poids-lourd automobile), robuste, économique, facile à utiliser. Mais par rapport aux deux premiers types FNC et 150 ch, il est plus lourd, car de construction nettement ferroviaire. Il a une caisse de plus de 20 mètres reposant sur deux bogies formant un ensemble de 34 tonnes en charge, se mouvant à 110 km/h (vitesse passant dans les faits à 120 km/h). Il est conçu, d’après la notice descriptive SNCF de l’engin, « sur plans SNCF en vue d’assurer, dans de bonnes conditions de confort, les relations omnibus et semi-directes sur des parcours de longueur moyenne et de fréquentation moyenne ». Ce type d’autorail peut circuler seul, avec une remorque à bogies, en jumelage avec un autre autorail, ou dans une composition comportant deux autorails encadrant une ou même deux remorques.
26C’est donc l’illustration même d’une conception rustique de l’autorail pourrait-on dire, et beaucoup l’ont dit à l’époque. C’est celle de la DEA des années 1940-1950, cette rusticité étant d’ailleurs plutôt le fait de la mécanique et de la transmission que celui du confort qui reste acceptable : toilettes, chauffage, aération, caisse insonorisée, sièges à appuie-tête (à partir du X-3982). La suspension des bogies, eux-mêmes de conception nouvelle, donne aussi un très bon confort même sur des voies inégales. Mais, il est vrai, l’ensemble laisse l’impression d’un engin robuste et simple, assez bruyant, demandant une certaine adresse de la part des conducteurs pour ne pas trop secouer les voyageurs lors des démarrages et des changements de vitesse.
27Mais il montre surtout que, pour la SNCF, le chemin de fer a une mission à accomplir et non une séduction à exercer (cette préoccupation viendra plus tard) et que la vocation de transporteur de masse et de service public, même sur les relations omnibus, pour ne pas dire surtout sur ces relations, est une priorité nationale de l’époque en dépit des attaques dont le chemin de fer est l’objet. Le X 3800 illustre particulièrement la prise de conscience de cette mission.
L’autorail de 600 ch (1950)
28Si l’autorail de 300 ch précédent apparaît comme un autorail non spécialisé, celui de 600 ch, ou X 2400, se présente comme un engin destiné à faire face à des conditions plus sévères, notamment en matière de profils de lignes ou d’acceptation de surcharges (remorques) sans minoration des performances.
29Prévu dans le projet des autorails unifiés avec un tel cahier des charges, cet appareil (terme souvent utilisé à la SNCF pour désigner un autorail) a besoin d’un moteur nettement plus puissant que le X 3800. Or, à l’époque de sa conception, ce moteur n’existe pas sur le marché sous une forme éprouvée et au point. La DEA choisit alors d’utiliser deux moteurs. Elle sélectionne le type équipant les X 3800 (Renault 300 ch ou Saurer 320 ch) en renouvellant une solution déjà utilisée par Renault avant-guerre pour des autorails à vocation analogue, les ADX-2. Il semblerait, à ce sujet, que pour le 600 ch, la DEA se soit fortement inspirée de l’ADX-2 d’avant-guerre ou, en tous cas, ait été guidée par l’expérience du constructeur Renault en la matière.
30Formant la série des X 2401 à 2479, cet autorail est construit en 1950- 1951 et seuls les 2470 à 2479 reçoivent deux moteurs Saurer, les autres recevant des Renault. C’est un très bel engin long de 27,63 mètres, bien dessiné, spacieux (80 places), confortable, puissant, rapide. Il peut maintenir une vitesse de 120 km/h même sur des lignes à profil dur, ou bien tracter une remorque à bogies en rampe de 30 ‰, 2 remorques à 20 ‰, et 3 remorques à 10 ‰ dans des cas de compositions forcées pour les jours de pointe. Ces capacités exceptionnelles de traction de remorques deviennent, dans les faits, la cause de circulation de véritables trains de remorques d’une manière assez fréquente. L’Exploitation profite de la souplesse présentée par les remorques, et forme des « trains » qui, aux yeux du Matériel, n’en sont guère.
31La possibilité d’accumuler des remorques d’autorail derrière le X 2400 amène une certaine dénaturation du concept d’autorail, en effet, et fait se poser bien des questions, du côté des bureaux d’ études du DEA, concernant la mise au point de nouveaux matériels. Les services de l’Exploitaion ne sont-ils pas en train de réinventer le train à coup de remorques d’autorail ?
Les rames à grand parcours (1954)
32Si les trois autorails précédents constituent le parc « tous services » de la SNCF d’après-guerre et s’inscrivent dans la vocation naturelle des autorails construits dès les années 1930 par les anciennes compagnies, la SNCF ajoute à ce parc des autorails de 600 ch, dérivés du type X 2400 précédent, qu’elle appelle rames à grands parcours ou RGP.
33La formule du train automoteur à plusieurs caisses, léger et rapide mais offrant un confort de type deuxième ou première classe (à l’époque des trois classes) a été lancée vers la fin des années 1930 pour une clientèle d’hommes d’affaires et avec un excellent matériel à l’époque : rames Bugatti ou rames TAR (trains automoteurs rapides) comportant trois caisses reliées par soufflets et roulant à 140 km/h grâce à une motorisation généreuse. Il est vrai que, techniquement, la conception de type autorail de ces rames rapides est évidente, et les RGP, à ce titre, en sont la descendance. Mais les RGP que la SNCF met en service après la guerre dans le cadre du programme unifié souffrent d’être toujours à la limite inférieure des performances, du confort et de la capacité que la clientèle devrait être en droit d’attendre. Les premières rames RGP ne roulent, tout compte fait, qu’à 120 km/h, c’est-à-dire moins vite que les trains classiques les plus rapides de l’époque, et guère plus que la vitesse de pointe atteinte par les autorails quand les lignes le permettent.
34La SNCF commande vingt rames RGP en 1950, rames formées d’une motrice à deux moteurs de 300 ch du type autorail, et d’une remorque accolée en permanence et comportant un poste de conduite supplémentaire. Formant un ensemble long de 52,16 mètres pesant 81,5 tonnes en charge, la rame offre 104 places en deuxième classe et 12 en première, et accepte deux tonnes de bagages. Il est possible de jumeler deux rames pour former un ensemble de 4 caisses. Livrées en mai 1954 seulement, elles circulent sur Paris – Clermont-Ferrand, ou bien Strasbourg – Lyon, ou Lyon – Bordeaux, assurant des relations rapides de jour. La remorque comportant une cuisine, il est possible d’assurer un service de repas. Le succès est réel, et les services de l’Exploitation apprécient la réversibilité de ces rames, du fait du poste de conduite dans la remorque, tout comme la possiblité d’augmenter la capacité par simple jumelage.
35Les RGP de la deuxième génération, à moteur unique de 825 ch, sont au nombre de 18. Les progrès accomplis en matière de moteurs diesels sont tels que la DEA adopte le gros moteur MGO que la Société alsacienne de constructions mécaniques propose en remplacement des deux moteurs de 300 ch d’origine. Ce moteur à 12 cylindres en V est associé à une transmission comportant une boîte de vitesses mécanique classique à commande hydraulique – une technique toujours de conception « très autorail ». Les notices descriptives de l’engin, d’ailleurs, utilisent bien le terme d’« autorail » pour le désigner.
36Mais si la conception est de type autorail, la RGP sort nettement, sur le plan de l’exploitation, de ce type de service avec le lancement des rames TEE qui en sont une version au confort encore accru. En effet, la SNCF adhère au groupement TEE constitué par un certain nombre de réseaux européens désirant développer des relations internationales rapides entre eux : les réseaux ouest-allemand, belge, néerlandais, luxembourgeois, suisse et italien.
37La SNCF commande onze motrices et neuf remorques, cette différence de nombre s’expliquant par la possibilité de composition M + R + M. Leur aménagement intérieur est plus confortable que celui des RGP à vocation purement nationale. Engagées à partir de 1956-1957, principalement sur des relations au départ de Paris en direction des capitales d’Europe du Nord, les RGP de type TEE assurent, avec leur vitesse maximale de 140 km/h, de bonnes performances. Par contre, sur le plan du confort, elles sont dépassées par les autres rames TEE des autres réseaux du groupe, notamment les rames allemandes ou helvético-néerlandaises qui sont d’une conception beaucoup plus lourde, comprenant une véritable locomotive intégrée à une rame formée de caisses proches de celles d’une voiture classique. L’absence de véritable voiture-restaurant ou d’une salle spéciale pour le service des repas, l’absence de climatisation (élément représentatif d’un « plus » commercial à l’époque) et l’inconfort des places situées sur les bogies contribuent, avec les progrès de l’électrification en Europe, à mettre progressivement fin à la carrière de ces RGP spécialement aménagées.
L’autorail de 825 ch (1957)
38Mais une descendance de la RGP voit le jour sur le plan technique avec un retour à l’autorail aménagé de façon classique, pour tous services. Le succès du moteur MGO de 825 ch de la SACM, tournant à 1 500 tr/mn et très endurant en service, conduit la SNCF à le placer sur des autorails qui prennent naturellement la succession des 600 ch à deux moteurs. Ce sont les autorails X 2 800.
39« L’intérêt de cette extension est d’autant plus certain que lorsque la question se pose vers 1955, le parc d’engins puissants est loin d’avoir atteint le niveau souhaité. Entre les deux positions possibles, soit continuer la série des 600 ch bimoteurs, soit créer un nouvel autorail monomoteur de 825 ch, il n’y a guère d’hésitation convenable : le 825 ch apparaît sinon peut-être moins coûteux d’achat, du moins plus économique d’entretien, de capacité un peu plus importante et surtout plus souple d’exploitation. Ce dernier avantage provient de sa puissance supérieure et d’autre part de sa possibilité de couplage (conduite de deux unités par un seul conducteur) et de télécommande depuis une remorque-pilote. »2
40On voit à quel point, en matière d’autorails, la prise en compte des besoins des services de l’Exploitation par ceux du Matériel est effective. Plus encore que les locomotives classiques, l’autorail est vraiment taillé sur mesure pour les besoins quotidiens de l’Exploitation, et celui de 825 ch permet d’accomplir des prodiges en matière de compositions de rames. Les autorails 825 ch sont livrés à partir de 1957 et forment un parc de cent dix-huit exemplaires. On retrouve souvent le 825 ch sur les lignes à profil difficile, tractant jusqu’à quatre remorques à bogies, formant ainsi de véritables « trains » de 380 places !
41Ces trains en remorque d’autorails feront parler Yves Machefert-Tassin de « capacité considérable quoiqu’à limite rationnelle d’utilisation »3. Effectivement, ces remorques unifiées que la firme Decauville fabrique à 722 exemplaires pour la SNCF entre 1948 et 1962, et qui sont incluses dans un gigantesque parc de plus de 900 exemplaires si l’on compte les autres types léger sur deux essieux ou les types datant d’avant-guerre, ne brillent guère, il faut le dire, par leur confort. Déjà l’objet d’une fierté très mitigée de la part de la direction du Matériel qui les a conçues, ces remorques n’enthousiasment guère ceux qui sont attachés à une image valorisante du chemin de fer, cheminots ou clients ! Mais la loi de la capacité variable, sans laquelle l’Exploitation de tout réseau ferré déclare forfait, dicte ici ses impératifs à une époque où, plus que jamais, il faut faire des économies.
Le point sur la doctrine en matière d’autorails
42À la fin de la période 1948-1965, la SNCF a construit en très grande quantité un parc d’autorails qui sont, pour nous, ceux de la deuxième génération, et qui illustrent la première doctrine SNCF en matière d’autorails.
43Lorsque les anciennes compagnies font construire leurs premiers autorails, ou, plutôt, les achètent auprès de l’industrie privée automobile, ils disposent d’engins directement dérivés des techniques du poids lourd automobile. Des constructeurs comme Renault, Decauville ou De Dietrich conçoivent bien leurs engins comme devant circuler seuls sur une voie ferrée, ou avec une remorque légère. L’autorail doit bien rester fidèle à sa définition, c’est-à-dire un véhicule autonome, puissant et léger, et dont la légereté, justement, permet une montée en vitesse rapide assurant des moyennes correctes et un prix de revient modique sur les services omnibus, même si la vitesse de pointe reste inférieure à celle des trains rapides. Cette légèreté se paie, évidemment, par un manque de capacité, mais cette dernière est souvent suffisante pour les services envisagés. Si la capacité est insuffisante, les compagnies d’alors choisissent le modèle d’autorail articulé à deux caisses, ou même à trois caisses.
44Mais, peu à peu, les réalités de l’exploitation, au fur et à mesure de la généralisation des autorails, se font sentir et remontent jusque dans les bureaux d’études des compagnies et des constructeurs. La capacité variable devient l’exigence prioritaire. Dès 1936, De Dietrich ou Renault proposent des modèles couplables (c’est-à-dire pouvant circuler attelés ensemble, et conduits par un seul conducteur) mais au prix d’équipements coûteux et délicats à régler. La compagnie du PLM étudie et met au point un système de jumelage (circulation de deux autorails attelés ensemble et conduits par deux conducteurs) applicable seulement à deux autorails de type identique, le premier conducteur restant toutefois maître du freinage des deux engins. Le système est plus simple et la SNCF, en fin de compte, l’utilisera après-guerre. Mais la doctrine de la capacité variable ne peut, comme toute doctrine issue de l’Exploitation, s’embarrasser de systèmes complexes surtout si ceux-ci génèrent des surcoûts en main d’œuvre de conduite. Le sytème le plus simple est donc d’utiliser un seul engin moteur et un seul conducteur, et d’y atteler des remorques en fonction des besoins, ce que font déjà certaines compagnies, avec l’autorail comme unique élément moteur d’un train composé de remorques attelées à la demande. C’est bien la doctrine « monocaisse + remorques » que le réseau Nord applique avec son matériel Standard à partir de 1937, ou le PLM avec ses remorques Decauville qui préfigurent les remorques SNCF d’après-guerre. En 1938, la SNCF n’a d’autre choix que de reconduire cette pratique et d’en faire sa doctrine.
45Au lendemain de la guerre, cette politique est toujours celle de la SNCF, plus que jamais même, puisqu’elle entreprend une campagne systématique d’équipements de ses autorails avec des attelages standard permettant la remorque de tout ce qui peut s’y prêter : 41 vraies remorques d’autorail datant d’avant-guerre, des Michelines démotorisées et transformées en remorques, des vieilles voitures ex-PLM ou prussiennes, ou d’autres voitures anciennes à essieux indépendants d’origine PO, etc. Faute de vapeur pour chauffer ces voitures, le poêle à charbon, vissé au plancher, a belle allure mais il ne suffit pas à réchauffer l’atmosphère. Les autorails disponibles sont mis en tête des compositions les plus invraisemblables qui restent encore vivantes dans les souvenirs de ceux qui ont voyagé dans ces trains de l’immédiat après-guerre.
46Les services de l’Exploitation de la SNCF persistent dans le choix de la formule autorail monocaisse + remorques. Ceci amène la SNCF à commander à Decauville un parc considérable de 772 remorques d’autorail dites unifiées livrées entre 1948 et 1962. D’un poids de 17 à 18 tonnes, ces remorques offrent 66 à 80 places assises selon les séries, permettant d’ajouter de 66 à 80 places jusqu’à un maximum théorique de 320 places (4 remorques) à un autorail puissant. À ces remorques s’ajoutent des remorques plus spécialisées : pour RGP (TEE ou non), pour FNC, ou « type renforcé » pour automotrices électriques. Ceci porte le nombre total de remorques à plus de 900 exemplaires. La politique de l’autorail + remorques est poussée à un tel point que, avec environ 1 100 autorails et 900 remorques, la SNCF assure, en 1962, 44 % des parcours de trains de voyageurs, une proportion remarquable dont Yves Machefert-Tassin dira qu’elle est « probablement la plus forte de tous les grands réseaux du monde ».
47Au début des années 1960, le parc autorail de la SNCF connaît donc une sorte d’apogée, et les autorails puissants (825 ch) qui composent environ 35 % du parc assurent des relations rapides de jour, des correspondances rapides pour des prolongements de parcours des grands trains rapides, des dessertes de lignes de montagne, et ceci souvent sur des parcours totalisant plusieurs centaines de kilomètres : traversées intégrales du Massif central, relations Lyon – Bordeaux ou Lyon – Toulouse, ou celles des Alpes avec Grenoble – Digne. Les quelques voyageurs effectuant le trajet complet passent une dizaine d’heures dans un confort très relatif, la majorité des occupants faisant, bien sûr, des trajets partiels. Les autres autorails, les 65 % du parc restant, sont essentiellement des 300 ch ou moins, d’avant-guerre ou récents, assurant sur l’ensemble du réseau un service omnibus en fonction des compositions très diversifiées selon les besoins de l’Exploitation : M + R, M + R + M, M + R + R, etc.
48Mais à partir du milieu des années 1960, la situation évolue. La traction connaît des changements importants : les électrifications progressent et la traction diesel de ligne est définitivement au point et active. Le train classique, maintenant à traction électrique ou diesel, est moins cher et plus performant que le train à vapeur. L’autorail voit le fossé qui le séparait de la locomotive à vapeur se combler quelque peu. Il est plus facile, un jour de pointe, d’engager une BB 67 000 et quelques voitures récentes et légères qu’une Pacific en tête d’une lourde rame OCEM des années 1920. Par ailleurs, en dépit de toute l’affection que lui portent les services de l’Exploitation, l’autorail est peu aimé par le grand public : « Les autorails sont actuellement considérés comme essentiellement inconfortables. Alors qu’aux premiers temps de leur activité ils constituaient un facteur attractif du chemin de fer, ils sont, actuellement, trop souvent considérés par la clientèle la plus fidèle comme des repoussoirs, et le remplacement d’un train par un autorail est souvent ressenti comme une brimade par de nombreux abonnés.4 » Ces lignes parues en 1964, écrites par Yves Machefert-Tassin, sont éloquentes : non seulement il connaît parfaitement la situation, mais il l’a vécue à l’époque. Il est temps, pour la SNCF, de songer à une nouvelle génération d’autorails et à une nouvelle doctrine pour leur conception et leur utilisation.
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