La Russie
p. 340-342
Texte intégral
1Créée au lendemain de la révolution russe de 1917, l’Union des Républiques socialistes soviétiques fut le plus grand empire mondial avec plus de 22 millions de kilomètres carrés de superficie, dont 17 millions pour la seule Russie qui compte près de 150 millions d’habitants. Composée de quinze républiques, de six territoires, et de quarante-neuf régions, elle s’étendait de l’Europe à l’Asie en jouxtant le Moyen-Orient et fut dissoute en 1991 après qu’elle eut accordé l’indépendance à ses républiques fédérées, dont les européennes des pays Baltes, la Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie. À partir de la chute du mur de Berlin en 1989, quatre mutations essentielles ont bouleversé la Russie, ses anciennes républiques comme tous les pays d’Europe Centrale et orientale : l’effondrement d’un bloc économique puissant et cohérent, la désintégration politique et militaire d’un empire, l’apprentissage de la démocratie et la douloureuse transition vers une économie de marché. Moscou dominait l’ensemble des secteurs industriels et culturels comme le cinéma, finançant et agrégeant toutes les branches de la filière sur l’ensemble de l’Union. Les nombreuses réformes qui ont eu lieu dans tous les secteurs ont conduit à réduire si ce n’est supprimer le rôle de l’État. Toute comparaison statistique entre l’avant et l’après-communisme se révèle ainsi non pertinente et est rendue délicate par le délabrement économique de la Russie et la disparition des organismes publics fiables.
2Avant la reprise de leur autonomie par les républiques fédérées, le financement de l’industrie cinématographique était fondé sur les subventions directes aux niveaux de la fédération et des républiques, ainsi que sur les recettes de l’exploitation. L’industrie soviétique n’avait pas comme objectif la réalisation de profits économiques, mais une mission d’accès à la culture pour tous et de propagande. Dès avant l’éclatement politique du pays, la production (environ 150 films par an) avait chuté, mais représentait la majeure partie de la consommation en salles, 70 % des entrées en 1986, contre 5 % pour les films américains. La crise économique profonde a supprimé les moyens accordés à cette industrie jugée non-prioritaire, et la majeure partie de la production (une cinquantaine de films par an) ne peut désormais se faire qu’en partenariat avec l’étranger, notamment la France. Les studios russes ne peuvent plus fonctionner en l’état, produisant des films désormais structurellement non rentables, les projets de privatisations (2001) se heurtant à de fortes résistances, surtout de la part du plus prestigieux d’entre eux, Mosfilm, qui a su se moderniser sans subvention, principalement grâce à la gestion des droits des deux mille films qu’elle a en catalogue, qui lui permettent d’assurer des prestations techniques, notamment pour les tournages étrangers, mais guère plus pour sa propre production (une demi-douzaine de films par an).
3Comme l’ensemble des autres secteurs, la distribution était gérée par un organisme d’État dépendant du Goskino (le Glavkinoprakat) qui intervenait localement à travers ses agences situées dans chaque république. Jusqu’en 1985, la Commission spéciale de tirage décidait au niveau national du nombre de copies à tirer pour chacun des films, selon l’une des catégories (« supérieure », « inférieure », etc.) à laquelle il appartenait, les copies étant ensuite attribuées à chacune des régions et républiques. Les mesures prises à partir de 1986 et de la perestroïka privatisèrent la filière et confièrent la distribution (et la production) à des coopératives, puis rendirent leur indépendance aux studios en 1990 en même temps qu’était restaurée une économie de marché. La diminution des aides de l’État, l’effondrement du marché du film en salles, l’incapacité de couvrir tout le territoire ont totalement désorganisé le secteur de la distribution, les salles s’adressant de plus en plus aux distributeurs étrangers pour s’approvisionner.
4Le parc de salles était de qualité très inégale et ne correspondait pas aux critères de l’Ouest. Pour rattraper son retard en équipement, les deux plans quinquennaux des années soixante eurent pour résultat de faire passer le parc de 50 000 à 140 000 salles. L’ensemble des salles reversait un pourcentage convenu de leurs recettes, qui servait à couvrir (à 60 %) les frais de diffusion et à alimenter (40 %) le comité d’État du cinéma, le Goskino. De nature très hétérogène, la taille du parc annoncée (150 000 salles à la fin des années quatre-vingt) recouvrait des réalités très différentes. L’effort en équipement avait consisté principalement à équiper en projecteurs, le plus souvent de format 16 millimètres, les petites communes rurales (≈ 130 000) et à créer des circuits itinérants (≈ 12 000). De facto, seuls 15 à 20 % du parc pouvaient diffuser les films en format traditionnel (35 mm), et, après 1991 et l’effondrement du soutien de l’État, notamment par tirage de copies en format réduit (16 mm), la quasi-totalité des « salles » (points de projection) disparurent faute d’accès aux copies de films. Une partie d’entre elles, notamment dans les grandes et moyennes agglomérations, furent remplacées par des lieux équipés en vidéo-projection, alimentées en cassettes de manière non contrôlée. Lessor de ce marché parallèle au début des années quatre-vingt-dix a accru les difficultés de la filière, désorganisant davantage les secteurs de la distribution et de la production par absence de ressources financières. L’ampleur du piratage vidéo et de l’effondrement de la production ont réduit le parc réel de salles à une taille moitié moindre que celle de la France, moins du cinquième des salles semblant réellement rentables au début du xxie siècle.
5La fréquentation avait connu une baisse lente et continue depuis le début des années soixante-dix, mais s’établissait encore aux environs de 4 milliards de spectateurs pour 280 millions d’habitants, soit une fréquentation annuelle d’environ 16 films par habitant. Depuis 1989, l’ex-URSS en général et la Russie en particulier connaissent les mêmes symptômes que l’Europe occidentale : profonde désaffection pour la cinématographie nationale, attrait pour les films américains, mais en sus un effondrement de la fréquentation sans commune mesure – 2,5 milliards d’entrées en 1991 pour l’ex-empire (– 40 %), 500 millions en 1993 et dix fois moins (45 millions) en 1999 pour la Russie. Si le délabrement de l’État et l’importance de l’économie parallèle rendent très délicate l’interprétation des données économiques depuis l’éclatement de la fédération, la destruction de la filière cinéma et la désertion des salles sont toutefois incontestables, celles-ci étant dominées par les films américains, avec plus des trois quarts des séances offertes, contre moins de 10 % pour les films russes (1999).
6La faible profitabilité du secteur, l’absence de contrôle des recettes, la raréfaction des ressources pour la production de longs-métrages, la désorganisation de la distribution, la possession d’un grand nombre d’établissements par des potentats locaux aux activités principales éloignées du cinéma, le contrôle de l’État par des groupes défendant des intérêts privés contradictoires avec l’intérêt national, l’effondrement de la croissance économique, tous ces facteurs obèrent fortement l’avenir d’une cinématographie et d’une industrie autrefois prestigieuses mais de niveau désormais inférieur à celui des principales nations européennes.
Notes de fin
* L’URSS jusqu’en 1990, la Russie seule et les salles ouvertes plus de 60 jours par an après.
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Économies contemporaines du cinéma en Europe
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