Le Royaume-Uni
p. 330-339
Texte intégral
La fréquentation
1Avec plus de 1,6 milliard de spectateurs en 1946, le Royaume-Uni a enregistré le plus haut niveau de fréquentation cinématographique européen jamais atteint. A l’instar des États-Unis, sa croissance s’achève durant la Seconde Guerre mondiale, la phase de maturité – plus de 1,4 milliard d’entrées jusqu’en 1949 – étant suivie de trois périodes successives de baisse de fréquentation. La première dure jusqu’en 1957, avec une perte de 38 % des spectateurs, mais en demeurant au-dessus du milliard d’entrées. Le mouvement s’accélère ensuite pour atteindre le rythme de la baisse américaine, avec – 70 % en huit ans, le mouvement s’infléchissant en 1965 vers une chute plus modérée mais continue, jusqu’au minimum historique de 1984. Avec 53,8 millions d’entrées à cette date, il s’agit d’une baisse de 84 % depuis 1965, mais de 97 % depuis 1949. Après avoir été le plus grand marché européen en salles, le cinéma britannique a ainsi connu une chute inégalée dans toute l’Europe, s’arrêtant à un niveau presque deux fois moindre que celui de toutes les autres grandes nations.
2Après ce niveau de 1984 (une sortie annuelle par habitant contre trente en 1955) qui avait fait d’elle la plus sinistrée de toutes les grandes cinématographies, la fréquentation anglaise a presque triplé depuis (2000), principalement en raison du changement de législation et de la reprise économique, mais également par la construction de grands complexes à partir de 1988. La taille du parc a doublé en quinze ans (1200 à plus de 2500 écrans) et les entrées, malgré leur croissance irrégulière, ont été multipliées par deux et demi. Toutefois, malgré une population importante (la deuxième en Europe), la fréquentation annuelle par habitant ne la place toujours qu’au septième rang. A l’instar des États-Unis, les entrées se font principalement l’été, le mois d’août étant le plus favorable.
3La pdm du film national dans la fréquentation est restée stable (12 %), oscillant autour de faibles évolutions conjoncturelles. Cette part de marché, déconnectée de l’évolution générale de la fréquentation, se trouve soumise aux aléas de la production américaine qui a représenté 70 à 93 % des entrées ces deux dernières décennies. A l’encontre de la France et de nombreux autres pays, l’évolution de la part des films nationaux est inversement proportionnelle à celle de la fréquentation générale, illustrant ainsi la totale dépendance de l’exploitation britannique à la production américaine qui truste chaque année six à dix titres sur les dix premiers du box-office. La forte croissance du nombre de films britanniques produits et diffusés, même si tous ne trouvent pas le chemin des salles (80 en 1997 contre 117 produits la même année et 121 l’année précédente), permet cependant depuis peu au cinéma britannique de replacer quelques titres à la tête du B-O. La concentration des entrées sur quelques titres s’accentue chaque année, les dix premiers – tous américains (hormis quelques crus exceptionnels) – totalisant 40 % des entrées en 1999 (37 % en 1998), tandis qu’un nombre croissant ne réalise qu’une audience symbolique.
4L’un des graves problèmes de la production britannique est la difficulté qu’elle éprouve de permettre à une large part des titres anglais d’accéder aux salles. En effet, tandis que son volume s’accroissait, principalement grâce à l’apport des coproductions, depuis 1995, la moitié des films anglais ne trouve pas d’issue en salles, un quart d’entre eux seulement bénéficiant d’une sortie large, c’est-à-dire dans un nombre élevé de salles de circuits et indépendantes, à Londres comme en province. Triplant en cinq ans, l’augmentation de la production est ainsi pour le moment demeurée sans effet sur la pdm du cinéma britannique sur son propre sol par défaut de débouché comme par inadéquation avec les goûts du public.
La production
5Après l’effondrement de la production de longs-métrages au cours des années quatre-vingt (moins d’une cinquantaine de films annuels), une renaissance s’observe à partir de 1994 avec le doublement de son niveau quantitatif et la réintroduction de films britanniques en tête du B-O national, ainsi que l’exportation de certains d’entre eux. L’arrivée d’une nouvelle source de financement1 via la loterie nationale, l’engagement croissant des chaînes de télévision hertzienne et satellitaire et la création d’un nouveau studio (Leavesden) sont autant de facteurs qui ont favorisé l’investissement croissant de compagnies britanniques comme d’entreprises étrangères utilisant ses personnels et industries techniques. L’offre publique du gouvernement britannique d’allouer une nouvelle aide de 100 millions d’euros en 1995 sur cinq ans a encouragé les sociétés étrangères qui en ont bénéficié (dont Pathé pour la France), et multiplié d’autant les coproductions. La part des productions intégralement nationales a de ce fait diminué, d’autant que la faculté a été donnée aux Majors américaines de financer intégralement au Royaume-Uni des films de leur choix2. L’effet bénéfique pour les industries techniques et les statistiques britanniques est indéniable, mais d’une part il trouble l’appréciation que l’on pourrait porter sur la durabilité de l’embellie de cette production, et d’autre part la généralisation de ce type de pratique au sein de l’UE conduit à fortement relativiser la pertinence d’une appréciation sur la nationalité effective des productions, de la distribution comme de la pdm de la fréquentation en salles.
La distribution
6La distribution se trouve aux mains des Majors états-uniennes, les trois premières réalisant chaque année plus de la moitié des entrées, et cinq (Buena Vista, Columbia, Fox, UIP, Warner) plus des trois quarts, mettant sur le marché presque la moitié des titres. Cette situation depuis les années quatre-vingt avait conduit les exploitants à saisir la commission sur les monopoles en 1993, qui a demandé la cessation de plusieurs pratiques des distributeurs, comme celle de l’alignement (un distributeur offre ses films à un circuit dans une zone de chalandise, mais pas à ses concurrents), ou de la durée minimale d’exploitation (qui pouvait dépasser quatre semaines). Cela semble avoir amélioré la mise en place des films américains, mais les films britanniques et européens sont toujours aussi peu demandés... La majorité des titres disponibles relève donc de la nationalité américaine, leur croissance quantitative au cours de la décennie contrastant avec la stagnation de leur pdm. Du fait de cette hégémonie, les films des autres nationalités sont assez peu représentés, la pdm des films européens étant devenue largement symbolique (de 0,5 à 6 %), et le cinéma français peu présent outre-Manche, principalement distribué par Guild Pathé, BVI, Fox, et quelques petits indépendants (Artificial Eye, Alliance, etc.).
7L’accroissement de l’offre des Majors correspond à une volonté de couvrir tous les segments du marché, de s’adresser à tous les publics, notamment ceux qui avaient été délaissés au cours des décennies précédentes (femmes, spectateurs plus âgés, etc.). Le succès de certains titres3 laisse accroire qu’une modification structurelle du public est en cours, le regain de fréquentation depuis 1984 ne s’étant pas effectué par le public de base traditionnel du cinéma. Les 15-24 ans, qui représentaient plus du tiers de la fréquentation totale dans les années quatre-vingt, n’en pesaient plus que le quart dix ans plus tard, soit autant que la tranche d’âge supérieure (25-34 ans). Il semblerait que le développement des grands complexes ait modifié la composition du public, géographiquement en reconquérant des villes progressivement délaissées, sociologiquement par la découverte des nouveaux services (parking gratuit, absence de files d’attentes, équipement de qualité, etc.). Mais cette reconquête du public et sa recomposition ne se sont pour le moment pas effectuées au profit du film national, même si d’éclatants succès4 ont pu mettre en relief un certain renouveau de la cinématographie britannique. L’attractivité des films américains demeure cependant très stable pour la dernière décennie, oscillant entre 85 et 95 % de pdm.
8Pour des raisons historiques, le poids de l’exploitation a toujours été très fort au Royaume-Uni, le marché étant en quasi-duopole (Rank et ABC) lors de la Seconde Guerre mondiale, et son influence sur la distribution très importante, ce qui a conduit à porter le taux de location à l’un des plus bas niveaux européens (à l’époque aux alentours de 25-30 %). Cette situation a naturellement poussé à l’intégration verticale – même Channel 4 a créé sa propre structure de distribution (Film Four Distributors) – les petits distributeurs devant s’appuyer sur un réseau de salles (Mainline Pictures) ou investir dans la production (PolyGram, Icon Entertainment, etc.).
L’exploitation
9Après avoir été délaissé à la suite de la formidable baisse des entrées quatre décennies durant, le parc anglais a été l’un de ceux qui ont subi le plus de transformations depuis le milieu des années quatre-vingt. Des investissements massifs, qui ont été le fait de compagnies américaines et anglaises, se sont opérés sur tout le territoire, induisant une très forte concentration, les trois premiers groupes recueillant plus de la moitié des entrées depuis dix ans, et les cinq premiers plus des trois quarts depuis 1994. Au sein de ces groupes, les déboires des propriétaires successifs du circuit de salles MGM – racheté par Cannon, puis par Pathé-Parretti qui tomba dans l’escarcelle du Crédit Lyonnais qui le recéda à Virgin qui l’a revendu à l’UGC (1999) – ont été mis à profit par ses concurrents.
10Le groupe américain United Cinemas International, qui a été le premier à investir dans les grands complexes (1985), est devenu l’un des premiers circuits avec une trentaine d’établissements, 12 % du parc et le cinquième des entrées (2000). Son compatriote Warner, absent avant 1989, construit avec le groupe australien Village Road Show depuis cette date un à cinq établissements chaque année sous l’enseigne Warner Village, en restant spécialisé dans les établissements de taille moyenne (9 à 12 écrans généralement) ; il possédait 10 % du parc et 15 % des entrées en 2000.
11Les anglais National Amusements et Odeon Cinemas sont les deux seuls groupes nationaux importants à demeurer sur le marché des grands complexes. Avec respectivement une vingtaine d’établissements et un peu plus de 200 écrans, National Amusements est un groupe créé pour n’être présent que sur les multiplexes (de 11 à 16 écrans). Possédant plus de 80 établissements et 450 écrans (2000) dont plus du tiers de salles traditionnelles, Odeon a longtemps été le premier circuit national de salles avec près du cinquième des entrées. Propriété du groupe Rank depuis 1941, il a été vendu au groupe financier Cinven (mars 2000), déjà propriétaire du circuit ABC5. Cet autre circuit, qui n’a cependant que fort peu investi dans les grands complexes (5 pour 90 sites et 250 écrans), voit sa part de marché logiquement diminuer alors qu’il occupait encore le troisième rang en 1996 avec 11 % du parc et 13 % des entrées. Le nouvel ensemble des deux circuits de salles réunis occupe toutefois la première place au sein de l’exploitation avec près du tiers de pdm. Les principales restructurations avaient débuté au cours des décennies précédentes, et une quinzaine d’autres exploitants britanniques demeurent au niveau régional ou local, du fait du nombre encore élevé d’établissements traditionnels, même si leur poids économique tend logiquement à diminuer.
12Les nouveaux équipements qui se sont multipliés à un rythme inégalé en Europe donnent une configuration inédite au parc anglais. En dix ans, le niveau des investissements des circuits, dont certains créés ex nihilo, a été tel que le nombre de nouveaux écrans a dépassé en 1998 le nombre total d’écrans que le parc anglais comptait exactement dix ans plus tôt.
13Ne comptant que moins de 1 % des écrans jusqu’en 1985, les grands complexes anglais (plus de cinq écrans) en représentaient le quart en 1990, la moitié en 1997, les deux tiers en 2000 (le quart des établissements) ! Ce renouvellement historiquement exceptionnel, dont la croissance n’était pas arrêtée au début du xxie siècle, a de nombreuses incidences dont toutes ne sont certainement pas encore apparues. Au niveau de l’exploitation, il s’observe un bouleversement de la hiérarchie des opérateurs, une disparition rapide de nombreuses salles obsolètes et d’exploitants n’ayant pu s’assurer une présence compétitive.
14Corrélativement, la part des entrées générées par ces établissements ne cesse de croître, bouleversant l’économie entière de la filière. Au niveau de la fréquentation, qui subit les à-coups d’une offre irrégulière, la demande en croissance se cale davantage sur les films que sur les salles, les nouvelles implantations n’ayant toujours pas produit tous leurs effets. La non-corrélation entre la croissance du parc et celle des entrées introduit un risque de surcapacité et donc d’insuffisances de rentabilité, voire de faillites, ce qui recomposerait encore davantage l’exploitation britannique.
Le soutien de l’État à l’industrie cinématographique
15L’industrie cinématographique anglaise a très tôt été réglementée (1909), des quotas mis en place dès 1927 (les distributeurs devaient diffuser un minimum de 7,5 % de films britanniques, et les exploitants y consacrer au moins 5 % du temps de projection. Ces quotas varièrent au cours du temps et furent abandonnés en 1983), et les origines de l’aide de l’État au cinéma remontent à 1950. Pour résoudre les problèmes de l’industrie cinématographique après la Seconde Guerre mondiale, un système instituant une taxe sur les spectacles fut mis en place. Bénéficiant principalement aux petits cinémas, renforçant les ressources des films britanniques à succès, il alimentait également divers organismes liés au cinéma. Facultatif à ses débuts, il fut rendu obligatoire en 1957 (le Cinematograph Films Act) et le nouveau système, baptisé British Film Fund, devint indépendant pour administrer la collecte et la distribution des fonds. Devant le désastre continu de la filière depuis la Seconde Guerre mondiale, d’autres lois (1982-1985) ont profondément modifié le système, abolissant notamment la taxe additionnelle sur le prix des places pour créer un fonds garantissant un complément de recettes pour les films ayant connu une certaine audience. Elles permirent notamment à la production de repartir quantitativement – elle était passée à seulement une vingtaine de films par an (24 en 1981) – comme qualitativement, et à la fréquentation de se ressaisir dès 1984. Un organisme de soutien à la production de film fut créé en 1985, le British Screen Finance, au financement mixte État/entreprises privées (Rank, Channel 4, Pathé) en vue d’inciter les coproductions avec les autres pays européens. En quinze ans, le British Screen a investi 85 millions d’euros dans environ 150 longs-métrages, son aide moyenne couvrant 12 à 15 % du projet. Trop éclatées, les différentes institutions publiques et semi-publiques au sein du Film Council ont récemment fusionné (2000) : le Britisb Film Institute, le British Screen et le département de subvention de cinéma de l’Arts Council of England (qui gère les franchises accordées avec l’argent de la loterie nationale) opèrent désormais de concert afin de mieux orienter les aides à la production, clairement vers les films commerciaux exportables, notamment en direction des États-Unis.
16Aidés par l’ERDF (European Regional Funding Development), fonds européen qui a pour but de soutenir les régions d’Europe défavorisées économiquement, différents fonds et institutions régionaux ont vu le jour au Royaume-Uni. Fortement touchées par la cessation de leurs activités industrielles (mines, sidérurgie, etc.), certaines régions ont souhaité investir dans le secteur culturel, dont le cinéma. EERDF pouvant apporter jusqu’à la moitié du capital nécessaire, se sont créés neuf bureaux régionaux en Angleterre, deux au pays de Galles, trois en Écosse comme en Irlande du Nord. Leur mission est de désenclaver les régions isolées dans leur accès au cinéma (formation, éducation des jeunes, soutien au salles d’art et essai, etc.), et de permettre aux artistes et techniciens de demeurer dans leur région. Ces institutions régionales aident chacune un film chaque année, contre dix pour le British Screen, dix-sept pour l’Arts Council of England, et vingt et un pour la loterie nationale (1998).
17Les télévisions britanniques interviennent dans le financement de vingt à vingt-cinq films chaque année, dont la moitié pour la seule chaîne Channel 4, les télévisions étrangères (principalement Canal+) y contribuant pour une demi-douzaine.
18Il n’existe pas de réglementation officielle pour les délais de diffusion. Les délais couramment observés sont, pour la sortie vidéo, de six à douze mois après les salles en location, le double à la vente ; le pay-per-view est à douze ou dix-huit mois, et le delai pour la télévision est de deux à trois ans.
Notes de bas de page
1 Le coût moyen d’un film britannique s’élevait à 5,35 millions de livres en 1998.
2 Ce genre de pratique, qui est appelé à se multiplier, rendra de plus en plus illusoire toute analyse fine sur ce type de sujet, chaque nation ayant intérêt à gonfler ses statistiques pour vanter sa « puissance » et son « indépendance ».
3 Telle la présence de trois films interdits aux moins de 18 ans dans les cinq premiers du B-O de 1995, ou, pour un autre genre, la présence de Sense and Sensibilty, sixième au B-0 de 1996 en ayant été tiré à seulement 150 copies.
4 Disparus de la tête du B-0 national, les films britanniques y revinrent dès 1988 avec des succès comme Un poisson nommé Wanda et Les Aventures du baron de Münchhausen, puis Quatre mariages et un enterrement, plus grand succès de l’histoire du cinéma britannique (1994), ou encore The Full Monty et Bean, respectivement premier et quatrième du B-O en 1997.
5 Rank a également cédé son studio de cinéma Pinewood, construit en 1930, et semble ainsi vouloir se désengager de l’activité cinématographique.
Notes de fin
* Artificial Eye, CAC Leisure, Charles Scott Cinemas, Film Network, Hoyts, Mailine Pictures, Oasis Cinemas, Panton Film, Pictureddrome Theatres, Robins Cinemas, Ster Kinekor.
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