La France
p. 273-276
Texte intégral
1Sur le plan cinématographique, la France se distingue de l’ensemble des autres pays européens sous de nombreux aspects.
2Elle demeure la seule nation au sein de laquelle l’État est intervenu systématiquement à tous les stades de la filière, la régulant depuis le début de la Seconde Guerre mondiale (lois de 1940 et 1941 sur le rôle de l’État, sur le contrôle des recettes, etc.), accentuant son rôle en 1946 (création du Centre national de la cinématographie) et 1967 (généralisation de la taxe spéciale additionnelle et du fonds de soutien de l’État à la cinématographie). L’économie mixte qui caractérise le cinéma en France tient à la fois à l’existence de cette taxe parafiscale prélevée par les salles sur chaque ticket vendu, qui est ensuite redistribuée à toute la filière par le CNC, et au rôle réglementaire, mais également de médiateur entre tous les professionnels, que joue cet établissement public autonome. Bien qu’évoluant librement sur un marché, et donc nullement administrée, bien que encadrée et surveillée, l’instance de cette régulation tacitement reconnue que constituait le CNC a su préserver quantitativement et qualitativement toutes les branches de la filière, notamment de la domination américaine. À la fin des années quatre-vingt-dix, de nombreux signes montrent cependant qu’une exception à demi-centenaire est en phase de délitescence, que ce rôle de l’État ne fait plus l’unanimité et qu’il convient de s’interroger sur la forme de sa pérennité. L’intervention des autorités européennes et leur interrogation sur la compatibilité des lois françaises avec le droit européen ; le développement des multiplexes qui rendent dérisoires et obsolètes les aides apportées par l’État au regard de celles générées par le marché ; l’intrusion du numérique à tous les stades de la filière et dans la diffusion, qui va bouleverser le cinéma après l’audiovisuel ; la mise en place de cartes d’abonnement « illimitées » par les groupes nationaux, sans concertation avec les autorités publiques et sans réaction adaptée de leur part, tous ces éléments sont autant de signes manifestant la fin d’une époque, la nécessité d’adapter cette institution et l’originalité du rôle de l’État.
3En partie grâce à cette spécificité et aux aides apportées (fig. 12 et 13), mais également par le rôle qu’ont joué les intellectuels qui se sont emparés du cinéma dans les années cinquante et soixante (mouvement « art et essai », « nouvelle vague », introduction à l’université, puis au lycée, etc.), la France a su acquérir puis conserver une place exemplaire au sein du continent européen, tant par :
- la quantité que la qualité de sa production de films (fig. 19) qui se trouve être la plus importante d’Europe depuis trois décennies ;
- la part de marché que ses films ont pu conserver, notamment en demeurant supérieure à celle des films américains jusqu’au milieu des années quatre-vingt, et en demeurant encore la plus élevée d’Europe (fig. 22 et 41) ;
- la variété des films diffusés dans les salles, la France accueillant depuis la Seconde Guerre mondiale autant de films européens et des autres continents (≈ 150 par an) que de films américains ou français (≈ 140 à 180 par an), et la pdm qu’elle leur a longtemps accordée (fig. 10 et 43).
4Cette variété est assurée par un très grand nombre d’entreprises de distribution, le plus élevé d’Europe, même si la concentration y est importante, les trois premières entreprises enregistrant régulièrement la moitié des entrées, et les dix premières 90 %. Gaumont, alliée depuis 1993 à Buena Vista International pour devenir GBVI, occupe régulièrement la première place, suivie dans un ordre variant selon les années par Pathé (ex-AMLF), UGC qui s’est alliée à la Fox depuis 1995 pour devenir UFD, et les majors américains UIP, Warner et Columbia. Quelques distributeurs de taille plus modeste essayent de s’imposer ou de se maintenir, tels Bac, Diaphana, Pyramide, Metropolitan ou MK2.
5La quantité de spectateurs est la plus élevée d’Europe depuis le début des années quatre-vingt, et ils se rendent dans un parc de salles qui est également le plus important, mais surtout le mieux réparti et de meilleure qualité que partout ailleurs en Europe depuis les années soixante-dix, et dont la décrue s’est arrêtée après la reprise de fréquentation de 1993.
6En partie du fait de la réglementation (lois sur la programmation et les ententes de 1982-1983), la concentration au sein des opérateurs est demeurée stable depuis deux décennies et ne met en pas en péril la diversité, la concentration étant même inférieure à celle observée dans de nombreux autres pays avec moins du quart du parc appartenant ou étant programmé par l’oligopole national Gaumont - Pathé - UGC, qui s’assure moins de la moitié des entrées. Ce dernier a récemment eu à subir la concurrence d’un groupe régional, le Circuit Georges Raymond (CGR), et de groupes étrangers qui se sont lancés dans la construction des multiplexes, comme Kinépolis, AMC et Village Roadshow (voir chap. 6). Ces établissements, apparus en 1993, sont principalement le fait de ces opérateurs, et ont rapidement acquis un poids croissant, les soixante-dix établissements de l’an 2000 devant doubler à court terme pour se stabiliser après couverture de la totalité du territoire. Représentant moins de 5 % des établissements mais le cinquième des écrans, ils recueillent déjà le tiers des entrées et sont devenus en quelques années un élément fondamental de la sortie en salles et de l’économie du secteur, bouleversant la géographie de l’exploitation comme les habitudes des spectateurs.
7Le financement public éclaire également les contraintes qui pèsent sur la filière. Ses ressources étaient assurées jusqu’au début des années quatre-vingt quasi exclusivement par la TSA recueillie aux guichet des salles, le solde étant assuré par le budget général de l’État, qui s’est complètement désengagé au début de la décennie suivante. Les fonds du CNC (400 millions d’euros en 2000) viennent désormais pour les trois quarts de la taxe sur les sociétés de programmes (versée par les chaînes de télévision), et seulement pour un quart du cinéma lui-même via la TSA. Si le CNC aide depuis une décennie à parité le cinéma et la télévision –ce qui a déjà été une révolution dans son histoire, que sa dénomination ne révèle toujours pas – les fonds rétrocédés à toute la filière cinématographique française (la moitié à la production et près du tiers à l’exploitation) ne proviennent plus de sa propre activité, mais pour moitié de la télévision, et pour plus du tiers des films étrangers, notamment américains, qui génèrent cette taxe sans pouvoir en bénéficier.
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