Préface (Moscou)
p. 623-631
Texte intégral
1Lorsque Cachin arriva à Moscou pour participer au XIe Plénum du Comité exécutif, près de trois ans après le VIe Congrès de l’IC, le contexte international avait bien changé, l’IC elle-même avait subi des transformations importantes tandis que la situation du directeur de l’Humanité au sein de la direction du PCF s’était fortement dégradée. Pourtant, paradoxalement, Cachin n’avait jamais, dans une assemblée de l’IC, occupé une position aussi éminente puisqu’il devait présenter, après Manouilsky, le rapport sur le second point de l’ordre du jour.
2Mais cette assemblée, en dépit de l’apparence, tranchait avec les précédentes qu’avait connues Cachin. Même si toujours les discussions de coulisse, les non-dits, avaient compté autant que les interventions en séances plénières, celles-ci pouvaient être le lieu de confrontations voire de débats. Depuis 1929, il n’en était plus question. La mise à l’écart de Boukharine et son remplacement par Molotov et Manouilsky, signifiaient bien plus que le changement d’une équipe dirigeante. Le fonctionnement de l’IC était désormais à l’unisson de celui du parti bolchevik dont Staline avait pris l’entier contrôle. Le temps n’était plus aux débats et aux controverses mais aux interventions convenues. La thématique des mots d’ordre et des analyses comme des prévisions avait gagné en optimisme révolutionnaire ce qu’elle avait perdu en rigueur et en précision. Le discours communiste avait troqué la critique pour la polémique et l’anticipation raisonnée pour la prédiction. Critiqué durement en 1928 lors du VIe Congrès, Cachin avait ensuite été écarté de la direction effective du PCF et même de l’Humanité qu’il était censé diriger. Son retour était d’autant plus remarquable qu’il avait lieu au moment où les jeunes dirigeants qui l’avaient évincé étaient à leur tour l’objet des critiques de l’IC.
L’analyse de la situation internationale
3Le XIe Plénum du CE de l’IC avec ses 180 délégués représentant 25 pays était la première assemblée réunie depuis le début de la crise économique internationale et de l’industrialisation accélérée en URSS. Elle était également la première qui fût confrontée à la montée du nazisme en Allemagne alors qu’on y escomptait encore une prochaine victoire révolutionnaire. Elle se tenait après le XVIe Congrès du PCUS où Staline avait célébré la collectivisation de l’agriculture et l’indutrialisation soviétiques. Depuis le dernier Plénum du CE de l’IC, en juillet 1929, et la réunion de février 1930 du Présidium de l’IC, la révolution semblait proche : le capitalisme n’était-il pas touché par une crise annonciatrice d’un nouveau cycle révolutionnaire ? L’heure n’était plus à la temporisation mais au volontarisme. Même si certaines inquiétudes pointent en ce printemps 1931 où la révolution attendue ne vient pas, la tonalité du XIe Plénum est délibérément optimiste. Ses travaux, organisés autour de deux questions, la situation du mouvement révolutionnaire et le danger de guerre contre l’URSS, attestent plus du souci de conforter une ligne politique déjà établie que de l’infléchir ou de la modifier.
4La menace d’une intervention contre l’URSS qui fait l’objet du rapport de Cachin n’est pas un thème nouveau puisqu’il s’agit d’un mot d’ordre récurrent dans le discours de l’IC depuis 1927. Il demeure cependant central au début des années trente et illustre de manière concrète une analyse de la situation internationale de plus en plus soumise aux exigences de la diplomatie soviétique. Cachin tient le rôle, à première vue, innattendu de rapporteur en raison de son statut de parlementaire communiste français. En 1927, lors du VIIIe Plénum, il était revenu au communiste anglais, Bell, d’intervenir pour dénoncer le rôle de l’impérialisme britannique dénoncé alors comme le fer de lance de l’antisoviétisme. En 1931 la France était considérée comme le principal fauteur de guerre contre l’URSS. Il revenait d’autant plus à Cachin d’intervenir qu’il avait peu de temps auparavant mis en cause, à la tribune de la Chambre des députés, à Paris, la diplomatie française à l’égard de l’URSS. Lors de la discussion du budget du ministère des Affaires étrangères il avait interpellé le gouvernement français, dénoncé sa politique d’encerclement de l’URSS et célébré ses progrès économiques ainsi que le rôle de Staline. « En vérité, la politique extérieure de la France vise de plus en plus à encercler économiquement la Russie soviétique, mais aussi à encercler militairement, politiquement, nous l’avons prouvé sans arrêt à cette tribune depuis plusieurs années »1. Cachin note avec plaisir les remarques flatteuses : « Knorine me dit : votre discours à la Chambre et celui-ci sont ce qui est le plus utile en ce moment à l’étranger ». Cachin ne mentionne pas dans ce carnet la teneur détaillée de son discours, puisqu’il note laconiquement : « Mercredi 8 avril, séance du Plénum. Deuxième question. Mon rapport ». En revanche quelques notations permettent de comprendre le processus de préparation de ce rapport auquel il travailla durant les premiers jours du Plénum. Deux jours après son arrivée, une documentation lui fut fournie par Fried, qui suivait déjà depuis plusieurs mois les affaires du PCF pour le compte de la direction de l’IC. Puis Cachin rencontra les dirigeants de l’IC qui, sans doute le renseignèrent sur les dernières décisions du Présidium « Je reçois d’Albert les premiers documents sur le rapport. Visite Stepanov-Piatnitsky ». Le lendemain, le plan de son rapport était prêt : il correspondait, sous réserves de modifications de détail, à la structure de l’exposé qu’il présenta quinze jours plus tard. Seule différence notable, la place de l’analyse économique, située à l’origine en quatrième partie et finalement placée en ouverture du rapport.
5Par son titre, « L’aggravation du danger d’intervention contre l’Union soviétique », le discours de Cachin se rattachait à la longue lignée des rapports de l’IC et du PCUS consacrés à cette question devenue récurrente depuis 1927. Le danger de guerre contre l’URSS, leitmotiv du discours communiste, témoignait à la fois du bien-fondé de la politique soviétique et justifiait le soutien sans faille que les partis communistes devaient apporter à la défense de l’URSS. L’intérêt du discours de Cachin réside dans la part essentielle faite à la France et la dénonciation renforcée de tous les courants socialistes. La dénonciation du rôle de la France comme chef de file de l’impérialisme attaché à réaliser l’encerclement économique, diplomatique et militaire de l’URSS prend un relief particulier grâce à Cachin. Son discours était d’ailleurs nourri d’exemples puisés dans la presse et la vie politique françaises. Il utilise la base documentaire constituée à l’occasion de sa récente intervention à la Chambre des députés. Sa dénonciation des différentes réunions intergouvemementales tenues à Paris ou à Genève pour écarter les produits soviétiques, notamment pétroliers, répondait à une préoccupation des cercles dirigeants russes soucieux de riposter à la campagne internationale qui les accusait de « dumping ». Mais Cachin, à la différence des propos qu’il avait coutume de tenir en France, fut, dans ce discours, très discret sur l’impérialisme allemand. De même dans le passage où il dénonçait les campagnes antisoviétiques des forces fascistes, rien n’était dit des nazis. Il n’évoquait la récente union douanière austro-allemande que du point de vue des dirigeants français furieux de voir ébranlé le traité de Versailles. Ces silences et ces appréciations étaient bien à l’unisson de la politique exprimée par Manouilsky qui avait jugé avec optimisme la situation politique allemande. La critique de l’antisoviétisme était surtout l’occasion d’une attaque en règle contre la social-démocratie internationale, française y compris, considérée par Cachin comme l’instigatrice de campagnes en faveur d’une intervention militaire contre l’URSS : « Les chefs social-démocrates sont donc l’un des éléments les plus actifs de la préparation de l’intervention armée contre l’URSS. Ils poursuivent quotidiennement dans la classe ouvrière leur propagande acharnée contre l’Union soviétique ». Énumérant les tâches des différents partis communistes, Cachin empruntait strictement le vocabulaire de l’IC en indiquant que « le premier combat des communistes doit être de démasquer chaque jour les chefs social-fascistes devant les ouvriers ». Il invitait également les partis communistes à se préparer à l’illégalité en citant l’exemple de la répression qu’avait subi le PCF. « Le gouvernement impérialiste français, lors du 1er août 1929, a procédé à un coup de force par lequel il voulait décapiter les organismes communistes et unitaires de notre pays. Il est aisé de prévoir qu’au moment choisi par lui pour l’agression contre les Soviets, il procédera avec une violence impitoyable pour détruire et anéantir le parti communiste et les syndicats rouges. C’est à cette éventualité qu’il faut pourvoir dès à présent, en prenant toutes les mesures en conséquence »2. Bien que membre du Comité exécutif et du Présidium depuis le début des années vingt, Cachin pour la première fois, intervenait comme porte-parole officiel de l’IC, situation pour le moins paradoxale ! Par le biais de l’IC, il revenait ainsi sur le devant de la scène communiste internationale alors même qu’il restait marginal au sein de la direction du PCF. De tels décalages n’étaient pas exceptionnels dans l’IC où dans de nombreux partis se télescopaient et se chevauchaient des équipes dirigeantes mises en place dans le cadre de tactiques différentes et rapidement jugées usées au vu de leurs piètres résultats.
La situation des partis communistes
6Les notations de Cachin nous permettent d’apprécier le tableau d’ensemble brossé par Manouilsky et la discussion qu’il suscite. Ses notes, précises et abondantes, restituent bien le long exposé de celui qui désormais joue le premier rôle dans l’IC. Son rapport, intitulé « Les partis communistes et la crise du capitalisme »3 sonne comme un plaidoyer pro-domo, la crise économique n’est-elle pas la preuve renouvelée que le tournant opéré en 1929 était bien-fondé ! L’aggravation de la situation économique internationale est mise au compte du Présidium de février 1930 au cours duquel ce pronostic avait été avancé. Désormais, selon la formule avancée par Staline lors du XVIe Congrès du parti c’étaient « Deux mondes » qui s’opposaient. Cette crise économique était lue comme la phase ultime d’une crise générale proclamée de longue date par l’IC qui avait prédit sa prochaine transformation en crise révolutionnaire. La radicalisation des masses ouvrières et paysannes devaient nécessairement découler du chômage et de la misère permettant d’envisager des grèves politiques de masse. Mais les annonces de 1930 n’ayant pas été suivies d’effet la direction de l’IC dut convenir que cette transformation était inégale et plus lente que prévue. A la différence de son discours de 1930 au Présidium, Manouilsky devant le plénum distingua la situation politique selon les pays : certains tels l’Allemagne, la Pologne ou la Chine connaissaient une évolution favorable de ce point de vue tandis que d’autres comme l’Angleterre ou la France restaient en retard. Pour l’expliquer il faisait valoir le rôle de la social-démocratie, qualifiée depuis le Xe Plénum, en 1929, de social-fasciste mais l’activité des partis communistes était également scrutée. Cela dénotait un certain réalisme se retrouvait également dans l’attention portée aux masses syndiquées et plus seulement aux inorganisés dont la spontanéité avait été vantée depuis 1929 ! Pour autant les analyses de l’IC restaient inchangées à l’égard du fascisme identifié avec la dégénérescence de la démocratie bourgeoise ce qui conduisait Manouilsky à juger que « la France est en voie de fascisation » pendant que Thälmann caractérisait comme fasciste le gouvernement Bruning. L’exaltation des succès économiques de l’URSS amplifiait l’optimisme révolutionnaire de l’IC pour qui les affrontements sociaux et politiques qu’engendrait la crise économique dans les pays capitalistes confirmaient l’imminence d’un nouveau cycle révolutionnaire. La chute de la monarchie espagnole interprétée à l’aune de l’expérience russe, semblait annoncer une prochaine révolution sociale à condition de dénoncer immédiatement la révolution bourgeoise républicaine !
7Le discours de Manouilsky fut relayé par les très nombreuses interventions des leaders communistes nationaux qui en principe devaient le conforter. Cachin note avec précision le long exposé de Thälmann sur la situation allemande et l’activité du PC A donné en exemple aux autres partis communistes et relève : « Éloge constant du PC allemand ». On lira avec intérêt l’ironie de Manouilsky qui laisse entendre au dirigeant français qu’il ne doit pas être dupe de certains communiqués de victoire malgré leur longueur et leur vigueur. Son inquiétude à l’égard des tendances, chez les communistes, allemandes étaient à l’évidence fondée lorsque ceux-ci, tel Neumann ou Thälmann, jugeaient le danger nazi désormais secondaire. Mais le même Manouilsky était loin de les critiquer publiquement puisqu’il affirmait en conclusion des travaux du plénum « Le fasciste Hitler recule devant le communisme ; le fascisme en Allemagne c’est Brüning et la social-démocratie ». Ayant également évoqué certaines insuffisances du PCA dans le travail revendicatif, il en donne la clé : « J’ai parlé pour les Allemands car là-bas il y a des tendances au putsch et il faut les calmer » confiait-il à Cachin. En fait cette préoccupation apparaissait bien moins que ses critiques à l’égard des mauvais résultats du PCF ! La situation en Chine qui fit aussi l’objet de plusieurs interventions fut présentée de manière à conforter la thèse de la continuité de la politique de l’IC depuis 1927. L’activité de l’Armée rouge et la constitution de zones soviétiques dans le sud de la Chine étaient mises au compte de l’orientation « classe contre classe » et imputées aux conseillers de l’IC ainsi qu’aux dirigeants formés à Moscou. Ce sont d’ailleurs eux qui interviennent devant le plénum pour parler du PCC. Les luttes internes dans le PCC qui avaient abouti à la mise à l’écart de Lili-Sian étaient interprétées comme une victoire sur des gauchistes taxés de putschisme venant après l’élimination de droitiers soupçonnés de complaisance à l’égard du nationalisme. Au terme des quarante-six interventions étalées sur une semaine, des thèses furent adoptées qui reprenaient les grandes lignes du rapport d’ouverture4. Il reste que ces différents exposés révélaient au-delà de la diversité des situations nationales les difficultés que les partis communistes, malgré leurs directions renouvelées les années précédentes, éprouvaient à prendre effectivement la direction de larges mouvements de lutte. Sur ce plan le cas du PCF fut tout à fait exemplaire et bénéficia de l’ironique sollicitude de Cachin qui nota sans peine exagérée l’émoi de la délégation française.
L’IC critique la direction du PCF
8Manouilsky, bientôt suivi de Piatnitsky, Vassiliev et Losovsky, adressa dans son rapport général de vives critiques au PCF. La notion centrale qui les unifiait toutes était celle de « retard ». Il s’agissait de désigner non seulement le recul de l’influence communiste mais également son décalage par rapport aux possibilités accrues de mobilisation des masses. Il fustigea ainsi l’écart entre les mots d’ordre avant-gardistes et l’impréparation pour les concrétiser. En regard de la situation internationale, les succès présentés par les dirigeants français ne faisaient pas le poids, d’autant qu’on était loin des engagements pris l’année précédente en juillet 1930 lors de la réunion à Moscou d’une commission spéciale avec les dirigeants français pour examiner la situation du parti. Stepanov, devant Cachin, expliqua à Barbé et à Thorez, « vous n’avez que de petits succès épisodiques ; vous n’avez pas rempli votre programme... ». En évoquant le rôle de la France il rappela la véritable raison des exigences à l’égard du PCF : « La France impérialiste est si décidée à la lutte contre l’URSS et elle est obligée d’agir si vite que vous n’avez pas une minute à perdre si vous ne voulez pas être dépassés par les événements. Vos petits succès de ces six derniers mois sont très insuffisants ». Il se réfèrait aux remarques de Thorez5 qui dans son intervention avait insisté sur les bons résultats électoraux, sur la direction des grèves de mineurs et les Comités de défense de l’Humanité. Les dirigeants de l’IC n’étaient pas dupes, et soulignaient, au contraire, les carences politiques du PCF à qui Manouilsky reprocha de ne savoir ni manœuvrer ni s’organiser. « Ils ont été pris à l’improviste par les manœuvres des social-démocrates, comme on a pu le voir particulièrement en France dans la question de l’unité du mouvement syndical »6. Il s’agissait de l’initiative de 22 syndicalistes de la CGT et de la CGTU qui avaient formé un Comité pour l’unification syndicale.
9Les résultats de la journée du 25 février 1931, malgré quelques progrès sur la journée analogue de l’année précédente, le 6 mars, étaient décevants aux yeux de l’IC. En fait la préparation, en France, de cette Journée internationale de lutte contre le chômage, avait été assez brève. Préoccupés par les problèmes syndicaux les dirigeants français espérèrent longtemps qu elle sera repoussée. La mobilisation des militants s’était effectuée essentiellement par le canal de l’Humanité qui avait publié des appels à l’action de la CGTU et du PCF. Il ne s’agissait pas d’envisager, comme l’année précédente, une grève politique de masse, mais de susciter des actions diverses : « L’action peut et doit revêtir de multiples formes ; manifestations (dans les entreprises, dans les rues), arrêts de travail de courte ou longue durée, meetings, réunions d’entreprises, etc. »7.
10La journée du 25 février 1931 fut finalement marquée par un certain nombre de meetings et quelques manifestations dans le Nord, la Loire, le Gard. A Paris une fois de plus « la police est intervenue pour empêcher les harangues devant les usines ». Il y eut quelques meetings, le plus important ayant lieu à Boulogne et une manifestation des 400 ouvriers de la carrosserie de Talbot qui, selon les informations de la préfecture de police, sortirent à 16 h au lieu de 17 h8. Ce qui permit à l’Humanité de titrer « A Paris et en banlieue, malgré l’état de siège policier, dans de nombreuses usines ou localités, les travailleurs et les sans travail ont manifesté, résisté à la police, acclamé les mots d’ordre communistes »9. Le 1er mai 1931 vint confirmer les difficultés de mobilisation. A Paris, le nombre des chômeurs fut en recul sur l’année précédente, le meeting, prévu au Cirque d’Hiver, est interdit et la police procède à près de 900 arrestations préventives qui brisent les vélléités de manifestations dans la capitale. Des meetings en banlieue, à Grenoble ou à Caen, quelques bagarres, ici ou là, avec les forces de police, donnèrent pourtant à Thorez l’occasion d’intituler son article, dans l’Humanité, « La poussée révolutionnaire »10. Il avait le souci de répondre à la thèse de l’effondrement communiste reprise à cette occasion par le Populaire. Mais Thorez convient « qu’une meilleure préparation, un plus large travail de Front unique à la base, une meilleure organisation, nous auraient permis d’obtenir beaucoup plus »11.
11Les critiques des dirigeants de l’IC avaient surpris Thorez et Barbé. Habitués à recevoir, ces mois précédents des encouragements pour leur dénonciation des opportunistes, ils ne comprenaient plus. Cachin note : « Extrême effervescence dans la direction du parti français (B.T.) après le discours de Manouilsky. On blâme l’injustice de M., on se plaint qu’il ait fourni des armes à tous les adversaires du parti ». Thorez reconnaît : « Quand l’Internationale communiste nous a fait toutes ces critiques, on a réagi »12. Les interventions de Ferrât, également critique, confortèrent les critiques du secrétariat romain et les réaction des leaders français. C’est ce que constate Cachin, le 9 avril : « réunion à 11 h chez Stepanov. Question française. Grand débat où l’IC prend parti par F. contre B. et T. avec violence ; on n’aime pas la contradiction ». Les reproches au PCF sont exposés, en séance plénière, donc, en présence de toutes les délégations, ce qui ajoute à l’humiliation des dirigeants français qui contestent l’analogie faite avec la situation des partis communistes des États-Unis et de Grande-Bretagne. Cachin, mis à l’écart depuis un an et demi, relève, avec un certain détachement, le sort réservé à la direction du PCF dont il fait pourtant partie ! « En fait l’attaque menée contre la direction, publiquement sans l’aviser, violemment, aux applaudissements ironiques du Plénum, met la direction sur la défensive et l’oblige à une réplique de chicane sur les détails ». Thorez intervint sur ce registre à propos de l’activité antimilitariste, dont l’insuffisance avait été critiquée par Manouilsky. « Nous ne saurions souscrire au reproche d’opportunisme dans la pratique de notre travail antimilitariste. Si, on dit grande faiblesse, nous répondons : oui. Si on nous dit, opportunisme, nous répondons : non. Nous pensons encore que nos expériences peuvent être citées en exemple aux autres sections de l’Internationale communiste »13. Une fois de plus, les dirigeants français estimaient que les reproches provenaient d’une méconnaissance de la situation française, du fait du mauvais travail de Ferrât, le délégué du PCF à Moscou depuis le début de 1930. Cachin rapporte cette phrase significative de cet état d’esprit : « Ce qui s’impose, c’est que la direction ait à Moscou un représentant qui soit en état d’esprit de défendre le parti et de renseigner exactement l’IC sur le travail accompli ». Fried console Thorez et Barbé, en leur répliquant : « Les meilleures directions sont celles que l’on critique le plus »14.
12La critique de l’IC vise, au-delà des mauvais résultats du parti, la direction elle-même, comme entité car l’activité du BP fut mise en cause. « On a critiqué aussi le Bureau politique, en trouvant que les réunions du Bureau politique étaient insuffisamment préparées »15. Les capacités individuelles des dirigeants étaient également visées par l’IC. Thorez l’évoqua d’une phrase ambiguë : « L’Internationale pense que les membres du Bureau politique n’ont pas assez d’initiative et qu’ils ne dirigent pas le parti »16. Barbé, dont l’intervention était centrée sur la crise et l’activité syndicale, apparut très en retrait. Il fit, publiquement, montre de bonne volonté, en reprenant à son compte les critiques concernant l’exagérations des analyses sur la crise économique et politique. En privé, ses réactions sont plus vives car d’après Cachin il « est fâché de s’entendre appelé opportuniste » mais on lui reprochait également le « simplisme » et le « mécanisme » de ses raisonnements17. Son retrait du Secrétariat politique de l’IC, auquel il appartenait depuis le VIe Congrès de l’IC, témoigna d’une disgrâce certaine mais cependant partielle. En effet, Barbé restait membre du Présidium.
13Thorez, bien qu’il prit la place de son camarade au Secrétariat politique de l’IC, n’était pas épargné par les critiques. Sa promotion enregistrait sa situation depuis l’été 1930 mais n’était pas une récompense pour la politique qu’il avait conduite depuis. Il était souvent associé aux reproches qui concernaient Barbé et réagit avec lui contre ce qu’il estimait être des remarques injustifiées. Par ses réponses et les discussions qu’il avait, avec les dirigeants de l’IC, il apparût effectivement comme l’unique responsable du PCF. Mais sa position, à la tête du parti restait fragile, comme l’attestaient les mesures d’organisation sans précédent adoptées par l’IC qui avait décidé d’encadrer étroitement la direction du PCF désormais suivie par une équipe d’envoyés de l’IC placés sous la responsabilité de Fried dont l’activité et la présence sont signalés par Cachin sans qu’il s’attarde sur son rôle encore mal défini. C’est dans les mois suivants que les critiques de l’IC, relevées par Cachin, allaient prendre leur plein effet avec la dénonciation du groupe Barbé-Célor au terme de laquelle la direction du parti serait recomposée.
Notes de bas de page
1 Journal officiel, Chambre des députés, séance du 3 mars 1931, p. 1507.
2 Correspondance internationale, 1931, n° 66, p. 828.
3 Correspondance internationale, 1931, n° 51, p. 673-688.
4 Id., 1931, n° 39, p. 557-567.
5 Id., 1931, n° 67, p. 843-845.
6 Extraits du discours publié dans Le Parti Communiste Français devant l’Internationale, Bureau d’Éditions, 1931.
7 Appel de la CGTU, l’Humanité, 15 février 1931.
8 AN F7 13 532 et APP BA 1646.
9 L’Humanité, 26 février 1931.
10 L’Humanité, 4 mai 1931, et séance du CE de la CGTU, 5 mai 1931, Archives de l’ISR, CRECDH, 534-7-569, enfin APP BA 1628.
11 Ibid.
12 BP 8 mai 1931, CRECDH, 517-1-1231.
13 Discours, op. cit.
14 BP 8 mai 1931, CRECDH, 517-1-1231.
15 Ibid.
16 Ibid.
17 Ibid.
Auteur
Serge Wolikow est professeur à l’université de Bourgogne (Dijon).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956
Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984
Charles-Robert Ageron (dir.)
1986
Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale
Actes du Colloque International du CNRS (Montpellier, 26-29 avril 1983)
Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil et al. (dir.)
1987
La formation de l’Irak contemporain
Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’état irakien
Pierre-Jean Luizard
2002
La télévision des Trente Glorieuses
Culture et politique
Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (dir.)
2007
L’homme et sa diversité
Perspectives en enjeux de l’anthropologie biologique
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boetsch et Alain Froment (dir.)
2007