« Manuel (travail) » : préparer au métier ou éduquer ?
p. 198-220
Texte intégral
1L’introduction d’un enseignement de travail manuel comme matière obligatoire de l’enseignement primaire constitue une innovation majeure de la loi du 28 mars 1882. En effet, si des expériences ont été tentées ici ou là dès les années 1830, il faut attendre la décennie 1870 et l’avènement de la République pour que la question de la scolarisation du travail manuel et/ou des travaux d’ateliers soit réellement posée, aboutissant d’une part à la création des écoles manuelles d’apprentissage (loi du 11 décembre 1880), et d’autre part à l’inscription officielle du travail manuel au programme des différents degrés de l’ordre primaire dès 18811. Plus précisément, alors que certaines disciplines facultatives sous le régime de la loi Falloux, comme les sciences physiques et naturelles, deviennent obligatoires avec la loi de 1882, celle-ci institue, avec les « travaux manuels et usage des outils des principaux métiers », une matière entièrement neuve de l’école primaire, et qui reste encore à créer pour l’essentiel. L’institution du travail manuel est indissociablement liée à la destination sociale et professionnelle des élèves du primaire : il s’agit de « préparer et même prédisposer, en quelque sorte, les garçons aux futurs travaux de l’ouvrier et du soldat, les filles aux soins du ménage et aux ouvrages de femmes2 ». Mais si l’expression devient rapidement générique3, le travail manuel ne concerne en réalité que les garçons, le cas des filles étant réglé d’avance : comme par le passé, elles continueront à se voir enseigner les « travaux à l’aiguille », inscrits au programme de l’enseignement primaire féminin dès 18364. Ainsi, alors que la loi de 1882 procède à une « assimilation presque complète des contenus de l’enseignement primaire féminin et de son homologue masculin » (Albertini*, 1992, p. 66), le travail manuel maintient le clivage traditionnel entre les deux sexes, préparant d’un côté les garçons au monde de l’atelier, et de l’autre les filles à l’univers domestique.
2L’historiographie livre parfois (souvent ?) un jugement sévère sur la mise en place du travail manuel (masculin) dans les établissements primaires et son évolution dès la fin des années 1890 vers un enseignement privilégiant la classe plutôt que l’atelier, l’éducatif plutôt que l’utilitaire. « En fait, pour que le travail manuel fût sérieux, il aurait fallu des ateliers », affirme ainsi Antoine Prost identifiant celui-ci à un « bricolage » sans véritable valeur pédagogique (Prost*, 1968, p. 341). Faisant, pour la fin du siècle, le constat d’un travail manuel « sans travail et presque sans main », Joël Lebeaume conclut à sa « mutilation », à une « détérioration du contenu » (Lebeaume, 1995, p. 67 et 69), tandis que Pascale Rougier-Pintiaux estime que la part croissante faite à l’approche éducative traduit l’incapacité de l’école primaire à enraciner son enseignement dans la réalité des métiers (Rougier-Pintiaux, 1988, p. 287). De telles conclusions reposent sur une acception du travail manuel comme forme scolarisée de l’apprentissage des métiers manuels, auxquels seraient destinés les élèves du primaire. Or, ce n’est là qu’un des aspects du travail manuel, tel qu’il est élaboré dès la fin des années 1870. Pour certains acteurs de l’institution scolaire, le travail manuel apparaît également comme un moyen éducatif au service de l’émancipation du peuple et de l’établissement de la démocratie. De même, on peut se demander si les liens tissés au cours de la période avec le dessin et les mathématiques ne contribuent pas à intellectualiser le travail manuel et donc à le légitimer au sein de l’institution. Quant à l’enseignement manuel féminin, vise-t-il expressément à inscrire la femme dans son rôle de mère et d’épouse ? Ne peut-on y discerner également une valeur éducative ? Plus généralement, n’assiste-t-on pas à un processus de « disciplinarisation » (Chervel*, 1988, p. 91) du travail manuel, ce qui revient notamment à le déconnecter des pratiques professionnelles et/ ou sociales et de leurs modes de transmission individuelle ? L’analyse et la comparaison des articles relatifs au travail manuel contenus dans les deux éditions du Dictionnaire semblent susceptibles non seulement d’apporter un éclairage sur les intentions de ses promoteurs et de saisir les évolutions au cours de la trentaine d’années qui suivent son institutionnalisation, mais aussi d’aider à mieux comprendre les hésitations, voire les contradictions, d’une « discipline » qui tente de conjuguer la préparation au métier (ou au ménage) et l’éducation des écoliers (ou des écolières) du primaire. Cette lecture du Dictionnaire vise également à préciser l’engagement de ses rédacteurs dans le mécanisme disciplinaire. Quelles fonctions assignent-ils au travail manuel ? En quoi le Dictionnaire constitue-t-il un relais, efficace ou non, du projet scolaire républicain ?
TERRITOIRES
3La période de publication du premier Dictionnaire coïncide avec celle de l’introduction et de la mise en place du travail manuel dans l’enseignement primaire, mais aussi des débats qui précèdent. C’est autour de l’article « Manuel (Travail) » du DP1, paru en 1884, que s’organise et se structure le « territoire » de la discipline. Non signé, mais rédigé en réalité par James Guillaume, secrétaire de la rédaction du Dictionnaire, l’article est imposant, comprenant pas moins de vingt-huit colonnes, soit le double des articles « Leçon(s) de choses » ou « Gymnastique », mais la moitié seulement, il est vrai, de l’article « Dessin ». On peut s’étonner que la rédaction de cet article ne soit pas revenue à Gustave Salicis, véritable « pape » du travail manuel dans les années 1870-1880. Répétiteur à l’École polytechnique et délégué cantonal du Ve arrondissement de Paris, ce dernier avait organisé dès 1872 un enseignement manuel à l’école de la rue Tournefort sous forme d’« ateliers d’apprentissage ». Alors qu’en 1878, il livre dans la Revue pédagogique un important article sur la question (Salicis, 1878), sa participation au Dictionnaire est limitée au seul article « Apprentissage (Écoles d’) » (deux colonnes) tandis que l’article « Apprentissage scolaire » qui vient juste après (deux colonnes) s’inspire fortement de ses principes.
4Le système des renvois détermine deux types de territoires. Le premier est d’ordre institutionnel. Il permet de sillonner le réseau complexe d’un enseignement professionnel et technique qui commence à peine à se stabiliser mais renvoie également à la question du travail des enfants avec des articles comme « Apprentis (Instruction primaire des) », « Apprentissage (Contrat d’) » et surtout « Enfants employés dans l’industrie (Travail des) » (onze colonnes). Rédigés quelques années seulement après l’adoption de la loi du 19 mai 1874 qui interdit le travail des enfants de moins de douze ans et impose la possession d’un certificat d’instruction primaire pour les enfants âgés de moins de quinze ans, ces articles témoignent de l’imbrication des questions relatives à l’éducation des enfants d’une part et à leur mise au travail d’autre part.
5Le second territoire, relativement restreint mais qui retiendra principalement notre attention, concerne plus directement les aspects disciplinaires du travail manuel. Deux remarques s’imposent, qui conditionnent la suite de cette étude. En premier lieu, le « vrai » travail manuel, c’est-à-dire celui qui prépare à « l’exercice des diverses professions manuelles » (DP1, p. 1818) ne concerne pas les écoles de filles. Le Dictionnaire reproduit le clivage garçons/filles évoqué plus haut, et même le revendique au prétexte que la couture et le tricot ne préparent pas aux professions féminines mais aux travaux du ménage, renvoyant le lecteur à l’article « Aiguille (Travaux à l’) » et plus largement au champ de l’enseignement féminin. Deux univers, masculin et féminin, se côtoient donc, sans véritable rencontre possible. De même, si les petits exercices manuels inspirés par le pédagogue Frœbel forment une « excellente préparation » du jeune enfant au travail manuel, ils ne constituent pas un véritable travail manuel, mais seulement une éducation des sens, et le lecteur est renvoyé cette fois à l’article correspondant, « Sens (Éducation des) » de Gabriel Compayré. En second lieu, à l’exception de « Vêtements (Coupe et assemblage) » qui ressortit à l’enseignement féminin, nul article relatif au travail manuel, et a fortiori au travail manuel masculin, n’est publié dans le DP2. Faut-il s’en étonner, alors que celui-ci devait constituer un « dictionnaire de leçons » et une encyclopédie pratique à l’usage des instituteurs pour la préparation de la classe ? En réalité, cette absence révèle l’état de la discipline, encore en gestation, au début des années 1880. Plus généralement, la première édition du Dictionnaire semble refléter le « vide » didactique qui règne avant le milieu de la décennie. En effet, ce n’est qu’à partir de 1885-1887 que les premiers manuels scolaires dédiés au travail manuel masculin commencent à être édités, et il faut attendre 1891 pour que le programme de travail manuel des écoles normales de garçons soit enfin fixé.
6Composé pour l’essentiel d’articles rédigés avant 1882, le territoire de l’enseignement manuel féminin est étroit : aux vingt-huit colonnes de l’article « Manuel (Travail) » du DP1 répondent la demi-colonne de l’article « Aiguille (Travaux à l’) » et les six colonnes de l’article « Couture » – rédigé par une femme, il convient de le signaler5 – que l’on peut compléter par « Coupe et assemblage » (une colonne). Il faut également compter, comme la législation de 1881-1882 y incite, sur l’article « Économie domestique » (cinq colonnes), dont l’objet est lié de près au travail manuel féminin. Cette différence quantitative, que marque notamment l’extrême brièveté de l’article générique, rend compte à elle seule du prestige symbolique du travail manuel masculin, qui devait constituer l’un des fers de lance de la nouvelle école républicaine et, partant, de la construction d’une société démocratique. Elle témoigne également du rôle respectif de l’homme et de la femme dans la société française de la fin du xixe siècle. Différence quantitative, mais également qualitative : alors que James Guillaume peint le grand tableau de l’histoire du travail manuel (masculin), nous y reviendrons, les travaux d’aiguille n’ont pas d’histoire, ou plus exactement, ils s’inscrivent dans la longue tradition de l’éducation féminine, scolarisée ou non, perpétuant ainsi une pratique sociale séculaire. De même, l’absence d’ancrage professionnel leur dénie toute prétention à égaler le travail manuel masculin. Alors que les enjeux de celui-ci intéressent la société tout entière, la couture et les travaux d’aiguille n’ont de finalité que par rapport à la cellule sociale élémentaire que forme le foyer domestique. Le Dictionnaire semble ainsi occulter la réalité du travail des femmes – à l’atelier, à l’usine, au domicile – à un moment où celles-ci, loin de se cantonner aux travaux domestiques, occupent déjà une place essentielle dans le tissu économique du pays.
7Dans la mesure où la quasi-totalité des articles relatifs au travail manuel est concentrée dans le DP1, la publication du NDP en 1911 ne modifie pas fondamentalement la donne : la plupart des entrées sont conservées et la partition garçons/filles reste toujours opératoire. Parmi les articles « institutionnels », certains disparaissent pour cause d’obsolescence, comme « Manufactures (Écoles de) », tandis que d’autres sont largement remaniés, voire entièrement nouveaux afin de tenir compte des transformations opérées depuis les années 1880. Rédigés par Émile Cohendy, membre important du Conseil supérieur de l’enseignement technique, les articles « Pratiques de commerce et d’industrie (Écoles) » ou « Technique (Enseignement) » s’attachent notamment à justifier la politique de mise sous tutelle de l’ensemble de l’enseignement technique engagée par le ministère du Commerce depuis 18926. À la question du travail des enfants vient s’adjoindre celle de la « crise de l’apprentissage », largement débattue en ce début de xxe siècle. En particulier, l’article inédit mais non signé « Apprentissage » (dix-neuf colonnes) tente un bilan des débats en cours et esquisse des solutions, en s’appuyant notamment sur un « magistral rapport » de Cohendy qui constate la « disparition » de l’apprentissage, et en publiant la proposition de loi de 1905 « relative au relèvement de l’instruction professionnelle » qui préfigure la loi Astier de 1919 sur l’organisation de cours professionnels gratuits et obligatoires pour les apprentis.
8Le territoire disciplinaire évolue peu, pour l’enseignement masculin tout du moins : ainsi, l’article « Manuel (Travail) » de James Guillaume, presque intégralement reproduit, est complété à des fins d’actualisation aux évolutions de la discipline par René Leblanc, ancien instituteur devenu inspecteur général de l’enseignement du travail manuel. Ce qui frappe en revanche, c’est le complet renouvellement du corpus disciplinaire relatif à l’enseignement féminin, signé cette fois exclusivement par des femmes. Les entrées « Couture » et « Coupe et assemblage », sans contenu, renvoient à « Aiguille (Travaux à l’) » (Marie Rauber) dont les six colonnes entièrement nouvelles constituent l’armature du champ disciplinaire. L’article « Économie domestique » (Lucie Saffroy) est également nouveau, tandis que la toute dernière partie du nouvel article « Manuel (Travail) », signée Schéfer et Bergevin et qui complète l’article « Aiguille (Travaux à l’) », renvoie à une entrée inédite des deux mêmes auteur(e)s, « Ménager (enseignement)7 ». Malgré la stabilité géographique des territoires masculin et féminin du travail manuel, l’amplification ou le renouvellement des contenus d’une édition à l’autre montre que la discipline ne reste pas inerte au cours de la trentaine d’années qui suit son institution.
LES ENJEUX DU TRAVAIL MANUEL
Former l’homme ou le travailleur ?
9Si le Dictionnaire n’offre guère de leçons types ou de conseils aux instituteurs qui souhaitent enseigner le travail manuel dans leurs classes, celui-ci ne se limite pas non plus à énoncer crûment les programmes : il s’agit notamment de justifier et de légitimer, non seulement scolairement, mais aussi socialement et politiquement, l’institution de la discipline naissante. Une bonne partie de l’article « Manuel (Travail) » est destinée à montrer, à travers une vaste fresque historique8, une IIIe République construisant la démocratie et réconciliant enfin – et définitivement – le travail intellectuel et le travail manuel. Ainsi, contre le clivage entre arts libéraux et arts mécaniques, la Renaissance affirme « l’homme complet » développant toute ses aptitudes, physiques et intellectuelles, et sachant à la fois raisonner et agir de ses mains. Au siècle des Lumières, les encyclopédistes proclament à leur tour la réhabilitation des arts et métiers. Les grands éducateurs, Comenius, Locke, Rousseau, Pestalozzi, sont convoqués. Mais si Locke « sent vivement l’importance du travail manuel, seul capable de réaliser chez l’homme l’équilibre de l’être physique et de l’être intellectuel », Guillaume le critique pour son absence de pensée politique ou sociale, de projet égalitaire9. De même, il reproche à Pestalozzi de ne pas considérer le travail manuel « comme une fonction obligatoire pour tous10 ». Enfin, bien que la Révolution française proclame « avec sa hardiesse habituelle » la participation de tous aux travaux manuels au nom de l’égalité, celle-ci s’avère impuissante à exécuter pareille mesure : un tel programme « ne pouvait être appliqué intégralement qu’après l’achèvement d’une évolution économique qui, alors, était à peine commencée11 ». En d’autres termes, les années 1880, qui voient le développement industriel de la machine à vapeur et de l’électricité, réunissent les conditions de la réalisation du projet révolutionnaire. Mais contrairement à la législation révolutionnaire, la loi de 1882 ne fixe, selon James Guillaume, qu’un but à atteindre, un « idéal » qui ne se réalisera qu’au fur et à mesure des progrès de la démocratie. L’école doit être « l’auxiliaire d’une évolution qu’elle pourra contribuer à accélérer, mais qu’elle n’a pas pour mission de créer artificiellement ; de cette évolution qui entraîne la société moderne vers un avenir où la justice et l’égalité deviendront de plus en plus la règle, dans les relations économiques aussi bien que dans les institutions politiques12 ». Est-ce à dire toutefois que la filiation avec la Révolution française esquive les deux premiers tiers du xixe siècle ? Ancien militant internationaliste, Guillaume ne manque pas d’évoquer les différents chefs de file de la pensée socialiste : Saint-Simon, Fourier, Cabet, ainsi que Robert Owen qui, dans son établissement de New Lanark « expérimentait un système d’éducation fondé sur l’union du travail manuel et du travail intellectuel13 ».
10De telles conceptions, qui placent à égalité le manuel et l’intellectuel, renvoient à la nature du rôle social et politique du travail manuel, à la fois dans l’école et hors l’école. Ainsi, Jules Steeg, dans l’article « Rousseau », prône des « humanités » universelles, communes à toutes les classes de la société et formant tout à la fois l’esprit, le caractère et le corps14. On pense alors aux propos tenus par Anthime Corbon dans son rapport de 1880 « sur les exercices manuels dans les écoles primaires considérés comme complément de l’éducation ». Ancien ouvrier devenu sénateur sous la IIIe République, Corbon voulait en effet généraliser le travail manuel à toutes les classes de la société, prônant un système d’instruction qui convienne à la fois aux enfants du peuple et aux enfants de la bourgeoisie, et allant même jusqu’à préconiser, par souci démocratique, une éducation commune sur les bancs de l’école primaire (Corbon, 1880, p. 7). Alors que théoriquement, les premiers sont destinés à exercer un métier manuel et les seconds des professions intellectuelles, le travail manuel doit permettre en quelque sorte d’établir du lien social, voire une certaine égalité, entre les uns et les autres. Le compte rendu, toujours dans l’article « Manuel (Travail) », des différentes expériences menées dans les pays du nord de l’Europe, vient à l’appui de la démonstration. Ainsi la Suède, où le travail manuel, élément indispensable de toute « éducation libérale », doit faire tomber les barrières entre les classes15.
11Non seulement Guillaume tient un discours parfois équivoque, ainsi lorsqu’il rappelle que le travail manuel doit « préparer l’élève à l’exercice des diverses professions manuelles16 », mais sa position n’est pas unanimement partagée au sein de la rédaction du Dictionnaire. Ainsi, pour l’auteur anonyme de l’article « Apprentissage scolaire », le travail manuel doit donner aux enfants du peuple le goût de leur futur métier, les préparer à leur vie d’ouvrier, tout en leur évitant une rupture trop brutale lorsqu’ils quitteront l’école pour entrer à l’atelier17. Dans un discours prononcé en 1883, c’est-à-dire hors Dictionnaire, Ferdinand Buisson tient un propos qui n’est guère éloigné de cette position. Il voit en effet dans le travail manuel un moyen pour que l’enfant du peuple « aspire à vivre honorablement du travail de ses mains, pour qu’il se mette bien dans l’esprit non pas l’ambition d’échapper à un métier, mais l’ambition de s’y distinguer » (Buisson, 1883, p. 14). Mais faut-il voir là une crainte du déclassement et des désordres sociaux qui pourraient s’ensuivre ? Ne s’agit-il pas au contraire de faire reconnaître l’égale noblesse du travail manuel et du travail intellectuel afin de réhabiliter la classe ouvrière dans la conscience collective ? Le ministre Jules Ferry lui-même est porteur de cette ambivalence lorsqu’il veut tout à la fois rattacher le travailleur à son métier « par un lien plus intime et plus profond », voire l’y prédisposer, et préparer la « paix sociale » en attribuant au rabot et à la lime la même place que le compas, la carte de géographie ou le livre d’histoire (Ferry, 1883, p. 186-187). Il n’en reste pas moins que le Dictionnaire semble plutôt privilégier, du fait même de la personnalité de James Guillaume, le dispositif d’émancipation ouvrière sur l’instrument de conservation sociale.
12Cette tension entre des enjeux apparemment contradictoires rejaillit sur les finalités plus proprement scolaires de l’enseignement du travail manuel : s’agit-il de préparer les élèves à l’apprentissage ou bien au contraire de contribuer à leur éducation générale ? Sans surprise, compte tenu de ce que nous venons de voir, Guillaume est favorable à un travail manuel éducatif. Ainsi, après avoir présenté les premières tentatives d’instauration du travail manuel en France et les différents systèmes d’enseignement recensés par Octave Gréard dans son mémoire de 1872 sur les écoles d’apprentis (Gréard, 1872), il conclut : « […] nulle part encore, on ne rencontre cette idée […] du travail manuel considéré comme agent éducatif, abstraction faite de toute préoccupation utilitaire, de toute application directe à une profession spéciale18 ». Et l’on peut lire, à l’article non signé « Manuelles d’apprentissage (Écoles) » qui suit immédiatement, cette déclaration de Corbon au Sénat : « Le développement des facultés manuelles en même temps que celui des facultés intellectuelles et morales, voilà le fait des écoles primaires : le travail n’y est pas un travail d’apprentissage proprement dit, c’est un exercice manuel19. »
13On n’est pas loin de l’idée d’« enseignement intégral » que défendait le pédagogue (et militant internationaliste) Paul Robin à la fin des années 1860 (Demeulenaere-Douyère, 1994). Il s’agit de développer conjointement l’ensemble des facultés en accordant, à côté de l’éducation purement intellectuelle, une plus grande attention au développement physique de l’enfant. « C’est une erreur pitoyable d’imaginer que l’exercice du corps nuise au développement de l’esprit. C’est le contraire qui est vrai » affirme également Jules Steeg dans l’article « Rousseau »20. On retrouve là les grandes options de la politique scolaire des républicains qui, avec l’arrêté du 27 juillet 1882, place sur un même plan l’éducation physique, l’éducation intellectuelle et l’éducation morale.
14À l’inverse, s’il estime que le travail manuel peut satisfaire, plus que n’importe quelle leçon de gymnastique, le besoin d’activité des enfants, l’auteur de l’article « Apprentissage scolaire » insiste davantage sur la préparation à l’apprentissage : il s’agit de les conduire « vers un apprentissage plus rapide et plus fructueux21 ». L’« apprentissage scolaire », c’est précisément le nom donné aux travaux d’atelier formant « une série de cours d’instruction professionnelle22 » que Gustave Salicis avait mis sur pied à l’école de la rue Tournefort dès 1872. À certains égards, ce dernier point de vue, plus utilitaire qu’éducatif, semble rejoindre l’approche « économique » du travail manuel développée dans l’article « Apprentissage (Écoles d’) » qui précède, et dont l’auteur n’est autre que Gustave Salicis23. Pour ce dernier, l’école d’apprentissage, qui doit attribuer une part notable au travail manuel sans restreindre pour autant les acquisitions intellectuelles, doit se substituer, tout du moins partiellement, à l’apprentissage ordinaire chez un patron, vivement dénoncé. En rendant les ouvriers plus habiles, en assurant leur éducation morale, l’école d’apprentissage assure le « relèvement » de la classe ouvrière en même temps qu’elle « augmente à bref délai le rendement économique dans tout le pays24 ».
15Dans le NDP, René Leblanc, qui complète l’article « Manuel (Travail) » de James Guillaume pour la période postérieure à 1882, fera particulièrement bien ressortir les deux positions en citant une notice officielle de la section belge de l’exposition universelle de 1889. Celle-ci distingue entre le « système économique » et le « système pédagogique » : « Pour l’une, le but de l’enseignement est la préparation aux professions ; pour l’autre, il est plus élevé et plus général : l’école doit former l’homme complet, développer intégralement et harmoniquement toutes les facultés de l’enfant, sans viser à une profession spéciale25. »
16Bien qu’Émile Cohendy tente de défendre, dans son article « Technique (Enseignement) », les vertus d’un enseignement technique qui ne serait pas seulement utilitaire mais contribuerait aussi « au développement des qualités intellectuelles et morales26 », la distinction opérée entre les deux « systèmes » n’est pas sans rappeler les divergences, en termes de finalités notamment, entre le ministère du Commerce et celui de l’Instruction publique. En outre, et cela ressort particulièrement dans les articles correspondants du NDP, la question de l’apprentissage ne rencontre plus guère, au début du xxe siècle, celle de sa scolarisation par le travail manuel. La transformation des écoles manuelles d’apprentissage en écoles pratiques de commerce et d’industrie comme la volonté de « relever » l’apprentissage proprement dit et d’organiser parallèlement des cours professionnels pour les apprentis en sont des signes tangibles. Seul l’auteur de l’article « Apprentissage » semble envisager un système progressif, voyant dans l’instruction professionnelle dispensée dans le cadre d’un « apprentissage éducatif » la suite logique de l’enseignement primaire élémentaire : « La pensée du travail manuel, déjà présente à l’enfant de l’école, va s’accentuant d’année en année, mais sans supprimer celle du travail de l’esprit, qui garde jusque dans l’adolescence ouvrière une place d’honneur27. »
17Au bout du compte, l’argumentaire développé par James Guillaume, la place restreinte allouée aux conceptions de Salicis, mais aussi la plus forte dissociation entre la formation professionnelle et technique d’une part, et la formation générale d’autre part, plaident clairement, malgré les équivoques, en faveur de la deuxième solution, c’est-à-dire l’enseignement à l’école d’un travail manuel éducatif. En 1911, celui-ci peut se justifier d’autant mieux qu’avec le développement de la mécanisation et l’essor des nouvelles industries, les aptitudes proprement manuelles sont désormais moins valorisées que les connaissances théoriques et/ou les compétences techniques.
Former la ménagère
18À bien des égards, le cas de l’enseignement féminin est plus tranché, inscrivant clairement la jeune fille dans son futur rôle social : épouse, mère de famille, mais aussi ménagère. Plus que la valeur éducative, à peine évoquée, l’article « Couture » du DP1 et, dans une moindre mesure, l’article « Coupe et assemblage », mettent en avant des critères d’utilité et d’économie et, plus largement, des critères moraux, pour motiver un enseignement de la couture à l’école. L’école doit privilégier, non pas les ouvrages d’agrément, comme la tapisserie, mais les « travaux utiles », c’est-à-dire le raccommodage et la confection du linge et des vêtements, qui permettent à la maîtresse de maison d’alléger les dépenses du foyer. Non seulement le raccommodage, en prolongeant la durée de vie des vêtements, soulage le budget familial, mais il favorise également la bonne tenue vestimentaire des enfants, c’est-à-dire des élèves : plus de vêtements troués, plus de boutons arrachés. Alors qu’« une proportion inquiétante de femmes de condition moyenne, de femmes d’ouvriers, […] n’aiment pas raccommoder28 », enseigner la couture « utile » à l’école, c’est en réalité substituer celle-ci à l’éducation familiale dispensée par leur mère aux jeunes filles scolarisées. Celles-ci pourront alors prétendre au statut de « femme honnête », ayant le souci de l’ordre et l’amour du travail bien fait. L’article « Économie domestique » du DP1 renforce le propos. Ce nouvel enseignement, introduit en 1882 dans les écoles élémentaires via le travail manuel (en 1881 dans les écoles normales de filles), doit apprendre aux jeunes filles à faire régner dans leur foyer l’ordre, la propreté, l’hygiène, à éviter les dépenses inutiles, à se satisfaire des ressources dont elles disposent et savoir en tirer parti. De la bonne – et raisonnable – tenue du foyer domestique, dont la femme est le pivot, dépend en effet l’harmonie de la cellule familiale.
19« Si le travail à l’aiguille se place au premier rang des occupations manuelles de la femme, c’est pour des raisons positives, d’utilité immédiate ou future29. » De prime abord, l’article « Aiguille (Travaux à l’) » du NDP semble aller dans le même sens que l’article « Couture » du DP1 auquel il est substitué. En réalité, on observe une certaine évolution d’une édition à l’autre. Le propos, entièrement renouvelé, s’inscrit davantage dans une logique émancipatrice. D’une part, il s’agit de mettre en valeur le rôle social de la femme dans le milieu familial au sein duquel elle est destinée à évoluer. Pour ce faire, la rédactrice applique à l’enseignement féminin certains arguments développés par James Guillaume dès 1884 dans l’article « Manuel (Travail) » : noblesse du travail manuel, nécessité démocratique, etc. D’autre part, les travaux d’aiguille, et plus généralement l’éducation ménagère30, peuvent désormais être envisagés comme une préparation à la vie professionnelle, ce qui n’était pas le cas au début des années 1880 : le NDP se fait ainsi l’écho des évolutions d’une société où, malgré les discours convenus, le recours à la main d’œuvre féminine s’amplifie. Toutefois, l’article « Économie domestique » du NDP tempère le propos en proscrivant le travail hors du foyer familial. En faisant comprendre aux jeunes filles la valeur des tâches ménagères, celles-ci seront moins tentées d’aller travailler à l’atelier et préféreront concilier le travail à domicile avec les soins du ménage : « du coup, voilà l’atelier écarté, le foyer consolidé, la famille maintenue31 ».
20Nuancée, l’approche qu’offre le NDP des finalités du travail manuel féminin n’en contraste pas moins avec celle exprimée dans le DP1. Corrélativement, l’approche éducative, à peine évoquée dans le DP1, compense désormais les aspects utilitaires. Il est vrai que les directions pédagogiques de 189832, largement reproduites, incitaient à marcher dans cette voie en prônant un travail manuel éducatif associant « l’intelligence à l’action des doigts33 ». Désormais, la couture « concourt au développement de l’activité, de l’initiative et de l’adresse physique34 » : loin de la conception de l’ouvroir, l’école primaire doit privilégier l’éducation générale, nécessaire condition du progrès social, et ne pas accorder une place trop importante aux travaux d’aiguille. Ces derniers doivent d’ailleurs conserver un caractère ménager, et non professionnel. Contrairement à la première édition du Dictionnaire, l’enseignement féminin semble désormais faire cause commune avec son homologue masculin sur la voie du travail manuel éducatif. Il reste à examiner, en portant l’attention sur le cas de l’enseignement masculin, quels sont les moyens de sa mise en œuvre.
VERS UN TRAVAIL MANUEL ÉDUCATIF : LA MATURATION
21La lecture des articles « Manuel (Travail) » du DP1 et du NDP permet de suivre la lente et difficile mise en place de l’enseignement du travail manuel masculin dans les écoles primaires au lendemain de la loi du 28 mars 1882. Les programmes du 27 juillet pour les écoles primaires élémentaires et du 28 juillet pour les écoles maternelles sont reproduits presque intégralement dans les deux éditions. Le travail manuel y est associé à l’éducation physique, au même titre que la gymnastique : il s’agit de favoriser le développement physique de l’enfant, mais aussi d’exercer l’œil et la main afin de lui donner adresse, dextérité, sûreté du geste, autant de qualités jugées indispensables pour l’exercice d’un métier manuel.
22L’introduction du travail manuel à l’école primaire pose le problème de la scolarisation des pratiques et des savoir-faire qui régissent les métiers manuels. La question était déjà posée dès les années 1860 par la Revue de l’enseignement professionnel de Guémied et Gaumont. À l’instar d’Octave Gréard dans son mémoire sur les écoles d’apprentis (Gréard, 1872), Guillaume reprend la question de l’universalité de l’enseignement du travail manuel en citant largement Guémied35 : peut-on réduire le travail manuel en principes élémentaires, qui synthétisent la diversité des métiers et qui soient susceptibles d’un enseignement collectif ? Dans la mesure où « le travail industriel peut être rapporté à quelques opérations fondamentales », où les matériaux peuvent être classés par grandes catégories et où les outils ramenés à quelques types fondamentaux, il semble possible d’offrir un enseignement manuel ayant un caractère général, donnant à tous les élèves des connaissances théoriques et une habileté pratique qui leur permettront, après un court apprentissage, d’appréhender un métier particulier.
23Le programme de 1882 tente d’établir une progression graduée, selon le type de matériau et les outils employés, entre d’une part les exercices frœbeliens tels que pliage, tissage ou tressage pratiqués à l’école maternelle, et d’autre part l’apprentissage réel du métier. Par exemple, alors que les garçons du cours élémentaire effectuent des petits travaux de vannerie en assemblant des brins de couleur, leurs camarades du cours moyen réalisent des objets en fil de fer, tandis que ceux du cours supérieur sont initiés au travail du bois et du fer à l’aide des outils fondamentaux tels que le rabot, la scie ou la lime. Toutefois, le programme de 1882 témoigne de la difficulté d’élaborer un enseignement véritablement gradué du travail manuel. Ainsi, les élèves du cours élémentaire abordent directement le découpage des solides géométriques dans du carton, et il faudra attendre l’arrêté du 18 janvier 1887 pour que soit introduit, au niveau de la section enfantine, le découpage de figures géométriques planes dans du papier36.
24Toutefois, le Dictionnaire, tout comme les textes officiels publiés au cours de la période, n’apporte guère d’indications aux instituteurs (ou aux institutrices) pour qu’ils puissent mettre en place un tel programme dans leurs classes. L’article « Apprentissage scolaire » fournit une description succincte de l’enseignement dispensé à l’école de la rue Tournefort, tandis que l’article « Manuel (Travail) », livré en 1884 rappelons-le, se contente de rapporter quelques expériences après avoir rappelé que le programme du 27 juillet 1882 ne pouvait évidemment pas être exécuté « d’une manière générale et immédiate » dans toutes les écoles primaires du pays37. Il en ressort une grande diversité dans les tentatives : ici les élèves ont fait du cartonnage, là ils ont effectué des tressages avec de la paille ou du jonc, ailleurs encore ils ont construit des instruments aratoires ou fabriqué des solides géométriques38. En fait, on peut s’étonner du peu d’engagement pédagogique du Dictionnaire alors que dès 1885, soit quelques mois après la livraison de l’article « Manuel (Travail) », Gustave Salicis, fort de l’expérience de la rue Tournefort, rédige une Instruction spéciale pour le compte du ministère et publie, sous les auspices de la Ligue de l’enseignement, une Instruction pour l’enseignement du travail manuel dans les écoles primaires. Dans cette dernière, Salicis précise le matériel nécessaire à l’organisation de l’enseignement et donne une progression pédagogique possible et des conseils pour chaque branche de la discipline : dessin géométrique, modelage, travail du bois, travail du fer (Salicis, 1885). L’Instruction spéciale est encore plus détaillée, donnant même des modèles de leçons (Salicis, 1886). Pourquoi, alors que le programme des « cours normaux de travail manuel » dirigés par Salicis est énuméré de façon relativement exhaustive, le Dictionnaire ne détaille-t-il pas davantage ce que pourrait être un enseignement méthodique du travail manuel ? Il est vrai que le « vide » semble général : avant 1885, date à laquelle le ministre Goblet décide de se saisir du problème39, on ne décèle ni manuels scolaires, ni articles pédagogiques dans les principales revues, ni instructions officielles explicitant une possible mise en œuvre des programmes40. On peut néanmoins imaginer la perplexité des instituteurs, guère préparés à enseigner le travail manuel, après la lecture d’un article qui fait la promotion d’une discipline nouvelle sans véritablement livrer à ses lecteurs les clefs de sa mise en œuvre.
25Bien que les éditeurs scolaires et la presse spécialisée, comme la Revue pédagogique, se saisissent du problème dès la seconde moitié de la décennie 1880, le programme dessiné par l’arrêté du 27 juillet 1882 tarde à être appliqué dans son intégralité. Pour l’enseignement masculin, la principale difficulté réside dans l’absence de généralisation dans les écoles d’ateliers permettant le travail du bois et du fer. Si, en 1889, Salicis dénombre environ douze mille écoles primaires offrant un travail manuel sans atelier, preuve à ses yeux de la bonne volonté des instituteurs, moins de sept cents établissements primaires, écoles normales et primaires supérieures incluses, sont pourvus d’ateliers (Salicis, 1889, p. 453). La formation des maîtres constitue le principal moyen employé par le ministère pour généraliser le travail manuel dans les écoles. Dès la publication des programmes en juillet 1882, Salicis est chargé par le ministère d’organiser des « cours normaux préparatoires à l’enseignement du travail manuel dans les écoles primaires supérieures41 ». Dans le NDP, René Leblanc, qui fut un collaborateur de Salicis au cours de la décennie 1880, livre la chronologie des événements : ouverts en décembre 1882, ces cours normaux sont transformés en 1884 en une école normale spéciale de travail manuel42, mais celle-ci est intégrée avant la fin de l’année à l’École normale supérieure d’instituteurs de Saint-Cloud. Dans l’intervalle, un certificat d’aptitude à l’enseignement du travail manuel dans les écoles normales et les écoles primaires supérieures a été créé (20 juillet 1883), qui offre des avantages matériels (un supplément de traitement de trois cents francs) aux instituteurs et professeurs d’écoles normales qui en sont titulaires. Mais pour Leblanc, qui souligne les efforts de Salicis pour organiser l’enseignement et établir des ateliers dans les écoles normales d’instituteurs, le transfert à Saint-Cloud a arrêté net l’impulsion donnée en 1882 : l’enseignement du travail manuel « ne constituait guère qu’un accessoire43 ». En revanche, il passe sous silence l’échec des cours spéciaux de travail manuel, organisés à partir de 1887 par le ministère dans les écoles normales pendant les vacances scolaires mais supprimés deux ans plus tard, et dans lesquels il fut impliqué (Rougier-Pintiaux, 1988, p. 279-280 ; Caplat*, 1986, p. 449).
26Le programme des cours normaux organisés par Salicis d’une part, et la composition des épreuves du certificat d’aptitude à l’enseignement du travail manuel d’autre part, insérés tous deux dans l’article « Manuel (Travail) » du DP1, livrent une image du travail manuel qui diffère notablement de celle donnée par la législation de 1882. En effet, outre un travail du bois et du fer relativement complet et des exercices de dessin, modelage et sculpture, le programme des cours normaux comprend également « l’application et la mise en pratique des sciences diverses étudiées à l’école normale ou à l’école primaire supérieure ou professionnelle : géométrie, mécanique, physique, chimie, histoire naturelle44 ». En particulier, les cours de chimie et de physique reposent sur de nombreuses manipulations, parfois à partir d’un matériel très simple, telles que la « détermination de l’acide et de la base d’un sel usuel », la préparation d’« essences hydrocarburées » ou des expériences sur la pression atmosphérique, l’acoustique, la chaleur, l’électricité, etc.45 De même, les épreuves auxquelles sont soumis les aspirants au certificat d’aptitude comprennent non seulement « l’exécution d’une pièce en fer ou en bois » et plusieurs compositions de dessin mais aussi une manipulation de physique ou de chimie ou une épreuve pratique d’histoire naturelle. René Leblanc, qui a enseigné la physique et la chimie aux cours normaux de travail manuel, signe précisément l’article « Manipulations » du DP1, repris dans le NDP : « On désigne, sous ce nom, des travaux manuels qui consistent dans la réalisation, par des élèves, d’expériences de chimie, quelquefois de physique, exécutées ou seulement décrites par le professeur pendant ses leçons46. » Introduites initialement dans l’enseignement secondaire spécial, les manipulations de physique et de chimie sont au programme des écoles normales depuis 1881 pour les élèves de deuxième et troisième années. Dans l’esprit de Leblanc, partisan des expériences scientifiques à l’école primaire car elles développent l’esprit d’initiative (surtout si le matériel est rudimentaire) et apprennent à observer et à raisonner, il s’agit d’apprendre aux futurs instituteurs à réaliser par eux-mêmes des expériences qui peuvent être effectuées à peu de frais, afin de pallier le manque de matériel scientifique dans les écoles. Le travail manuel, tel que semble le concevoir Leblanc dans les années 1880, mais aussi tel que le traduit encore le programme des écoles normales de 1905, apparaît donc aussi comme une activité manuelle au service des différentes sciences enseignées (géométrie, physique, chimie, sciences naturelles) : il s’agit davantage de former des professeurs de sciences appliquées que des chefs d’atelier. Le travail manuel éducatif, au sens où il enrichit l’étude des matières générales, pèse au moins autant, sinon plus, que la préparation au métier. En 1909, les rédacteurs des nouveaux programmes de l’enseignement primaire supérieur (celui de travail manuel est reproduit dans le NDP) iront exactement dans le même sens47.
L’emprise de la géométrie
27Si l’orientation donnée par René Leblanc dans le cadre des cours normaux semble faire pencher la balance en faveur d’un travail manuel éducatif, le mouvement s’amplifie à partir de la dernière décennie du siècle. Le fait que ce dernier ait complété l’article « Manuel (Travail ») de James Guillaume n’est pas anodin. En effet, Leblanc est l’un des principaux artisans de la réévaluation de l’enseignement du travail manuel à l’école primaire, moins de dix ans après son instauration. Entamée dès les années 1890 à Paris qui fait à cet égard figure de ville pilote, cette réévaluation vise à conforter la position du travail manuel vis-à-vis des autres disciplines. Érigé en auxiliaire pédagogique des disciplines scientifiques, lié plus particulièrement aux mathématiques et au dessin, le travail manuel va ainsi acquérir une légitimité qu’il sera ensuite difficile de lui dénier.
28Une bonne partie du texte de Leblanc dans l’article « Manuel (Travail) » du NDP consiste précisément en un plaidoyer en faveur d’un travail manuel « sans atelier ». Pour ce faire, Leblanc cite longuement le rapport d’une commission parisienne chargée d’élaborer, au début des années 1890, un programme de travail manuel, et dont il est, selon toute vraisemblance, l’auteur48. Pour Leblanc, l’enseignement du travail manuel au degré primaire doit être « éducatif avant tout » : « Il ne saurait donc prétendre, même de loin, à préparer de futurs ouvriers pour le bois ou le fer. » Il s’agit d’exercer l’attention, l’intelligence, le goût, l’adresse, sans solliciter plus que nécessaire les capacités physiques des enfants. Cette attention au développement physique de l’enfant est un des points forts de l’argumentaire. Leblanc s’avoue relativement hostile aux exercices d’atelier, qui ne doivent commencer qu’à partir de la deuxième année du cours moyen : l’emploi des outils usuels risque, faute d’une ergonomie adéquate, d’« altérer un organisme en voie de formation49 ». Et parce qu’« un travail bien tracé est à moitié fait », le dessin géométrique et la représentation des objets deviennent au moins aussi importants que leur réalisation, minorant d’autant la dimension préprofessionnelle du travail manuel.
29Éducatif, le travail manuel doit contribuer autant à l’éducation intellectuelle qu’à l’éducation physique : « […] il faut aussi qu’il prête son concours à l’éducation intellectuelle en apportant à la partie scientifique (dessin, formes géométriques, calcul) le concret qui lui fait si souvent défaut dans l’enseignement ordinaire50 ». Pour Leblanc, le travail manuel doit jouer vis-à-vis des mathématiques un rôle comparable à celui des expériences dans l’enseignement des sciences physiques et naturelles. Il s’agit donc d’une sorte de leçon de choses mathématiques, avec des exercices « qui se rattachent intimement au dessin, qui obligent l’élève à analyser une forme géométrique, et qui peuvent être l’objet d’une mesure, d’un calcul, d’une évaluation de surface ou de volume51 ». De cette façon, il est possible de mettre en adéquation l’enseignement manuel avec les principes pédagogiques de l’école républicaine, qui prône un enseignement fondé sur l’observation et/ou la manipulation d’objets sensibles et évoluant du concret vers l’abstrait. Outre l’intérêt proprement éducatif, au sens où l’éducation générale doit primer sur la préparation au métier, Leblanc voit dans cette nouvelle approche une façon de résoudre la question de l’installation des ateliers dans les écoles et de faire accepter la discipline par des instituteurs qui n’ont pas forcément compris son intérêt pédagogique : à l’heure où le surmenage scolaire est dénoncé, le travail manuel ne pourra pas être accusé de surcharger les programmes.
30Mais de quelle façon les exercices manuels peuvent-il prêter leur concours à l’enseignement des mathématiques ? Servent-ils de base de départ à la leçon de géométrie, à l’instar des manipulations de physique et de chimie52, ou au contraire d’application pratique des notions théoriques étudiées auparavant ? Mettant en parallèle les programmes des deux matières, la commission parisienne de 1891 semble avoir penché pour la seconde solution, qui transparaît dans le programme des écoles communales de la capitale, couronné à l’exposition universelle de 1900 et reproduit par Leblanc : à chaque notion géométrique étudiée correspond un exercice manuel déterminé. Du coup, il est possible d’organiser le cours de travail manuel de façon véritablement graduée puisque sa structure est directement dépendante de celle, classique, du corpus des connaissances géométriques enseignées : géométrie plane au cours élémentaire, conduisant à des pliages ; géométrie dans l’espace au cours moyen débouchant sur la réalisation de solides géométriques ; étude et réalisation de figures plus complexes telles que solides tronqués au cours supérieur et au cours complémentaire. L’exercice comprend également un croquis à main levée, un dessin coté à la règle et un « dessin d’application », probablement un lavis. Pour les petites classes, Leblanc recommande l’emploi d’un cahier dans lequel l’enfant pourra coller son pliage, écrire son nom, en faire le dessin, noter ses propriétés géométriques « constatées expérimentalement » : l’enseignement manuel apparaît ainsi comme une suite d’exercices scolaires complets. Selon le cas, le dessin peut précéder ou suivre l’exercice manuel proprement dit, mais pour les grands élèves du cours supérieur et du cours complémentaire, les tracés comportent « des recherches graphiques qui sont autant de petits problèmes très simples de géométrie pratique53 ». En outre, des « constatations tachymétriques », c’est-à-dire des observations expérimentales de propriétés ou de formules géométriques, sont également au programme54. Enfin, le travail du bois et du fer à l’atelier, qui commence en deuxième année du cours moyen, reste également lié aux mathématiques et au dessin puisque les objets réalisés doivent figurer des formes géométriques en rapport avec le cours de dessin.
Un rendez-vous manqué ?
31À bien des égards, le programme de travail manuel mis en œuvre à Paris à la fin du xixe siècle et présenté par Leblanc en 1911 dans le NDP renvoie au concept de géométrie expérimentale développé au sein d’une trilogie géométrie-dessin-travail manuel qui marque les programmes de l’enseignement primaire à partir des années 1900. En effet, si la grande réforme de l’enseignement secondaire de 1902 renouvelle considérablement l’enseignement de la géométrie au niveau du premier cycle (de la sixième à la troisième) en faisant largement appel aux activités de dessin, le nouveau programme de géométrie de l’enseignement primaire supérieur de 1909 recommande explicitement de relier entre eux les enseignements de géométrie, de dessin et de travail manuel :
Le dessin est appelé à jouer un rôle important dans l’étude de la géométrie. De nombreux exercices pratiques seront proposés aux élèves ; les uns trouveront place dans les exercices écrits, les autres dans les travaux manuels. Ces derniers permettront d’exécuter des mesures et des tracés précis ; quelques-uns seront une introduction à la géométrie de l’espace qu’on ne peut reporter en seconde année puisque de nombreux croquis cotés d’objets à trois dimensions sont demandés en dessin, dès la première année. Une étude élémentaire des projections devient donc nécessaire dès le début : elle ne saurait être qu’expérimentale.
Bien des vérités géométriques essentielles peuvent être mises en évidence au moyen d’exercices de « géométrie expérimentale » figurant au programme de travaux manuels : on ne manquera pas de les faire constater par les élèves ; la démonstration rigoureuse des théorèmes qui les traduisent se trouvera ensuite fort simplifiée55.
32Cette référence à une « géométrie expérimentale » conduit à une double interrogation. D’une part, comment expliquer que Leblanc, qui reproduit le programme de travail manuel des écoles primaires supérieures de 1909 faisant explicitement référence aux « exercices de géométrie expérimentale », semble ignorer l’avancée effectuée en faveur d’une collaboration entre les mathématiques et le travail manuel ? Non seulement le programme de 1909 amplifie les intentions du programme parisien pour les écoles élémentaires, mais il semble mettre en œuvre la notion de géométrie expérimentale que Leblanc avait développée, succinctement il est vrai, quelques années auparavant. Pour ce dernier, des exercices manuels bien choisis devaient permettre de révéler intuitivement des vérités géométriques et favoriser ainsi la compréhension des notions théoriques : « Les procédés de la géométrie expérimentale applicables aux principales démonstrations sont ignorés ou méconnus ; il serait désirable qu’on sût mieux utiliser les ressources offertes par toute l’école, surtout quand elle est pourvue d’un atelier de travail manuel » (Leblanc, 1907, p. 18).
33D’autre part, comment interpréter l’absence de toute référence au travail manuel dans l’article « Mathématiques » du NDP dont le mathématicien Carlo Bourlet est le rédacteur ? Fervent partisan de la méthode expérimentale en géométrie, ce dernier s’appuie exclusivement sur les potentialités pédagogiques du dessin géométrique et ignore toute contribution possible du travail manuel. Une telle idée n’était pas pourtant étrangère au monde scientifique puisqu’en 1904, le mathématicien Émile Borel préconisait déjà la création au niveau secondaire d’« un véritable enseignement du travail manuel », à l’instar du primaire, comprenant notamment l’ouverture d’un « laboratoire de mathématiques » où les élèves pourraient confectionner des solides géométriques ou des appareils simples (Borel, 1904, p. 437-439). On peut se demander si l’omission n’est pas volontaire, alors que Bourlet esquisse une culture mathématique commune aux deux ordres d’enseignement, primaire et secondaire56 : le recours au travail manuel, qui constitue la « signature » du seul enseignement primaire, risquerait en effet de briser l’unité pédagogique ainsi énoncée.
34Enfin, l’attention portée dans cette dernière partie sur l’enseignement masculin ne doit pas éclipser totalement le cas des écoles de filles. En effet, d’une édition à l’autre, on assiste également à une « disciplinarisation », moins flagrante peut-être, du travail manuel féminin. Alors que l’article « Couture » du DP1 ne donnait aucune indication d’ordre didactique, confortant un enseignement individuel de type familial principalement fondé sur le raccommodage, le nouvel article « Aiguille (Travaux à l’) » du NDP se fait l’écho des conceptions plus « pédagogiques » qui s’ébauchent à partir des années 1890 (Thomas, 1892). Il s’agit désormais d’offrir, autant que possible, un enseignement méthodique, sous forme de « leçons » faisant chacune l’objet d’une « démonstration collective ». Reproduits de façon exhaustive, les nouveaux programmes de 189857 témoignent d’une nette évolution par rapport à l’arrêté de 1882, la gradation des apprentissages apparaissant davantage. Ce qui frappe également, rapprochant en cela le travail manuel féminin de son homologue masculin, c’est la place désormais attribuée à l’étude des formes géométrique et au dessin : « L’étude des formes, le souci des proportions n’ont pas une valeur moindre que la perfection des points ou des mailles58. » Ainsi, les enfants du cours élémentaire étudient le point de marque selon une progression toute mathématique avec les lignes droite, oblique, puis brisée, avant d’en faire l’application aux lettres de l’alphabet, tandis qu’au cours moyen, la réalisation de petits vêtements doit être précédée d’un tracé, préparant de la sorte à la coupe des habits au cours supérieur. Pour autant, l’emprise de la géométrie sur l’enseignement manuel féminin, une géométrie permettant de théoriser les pratiques, n’apparaît pas dans le NDP de façon aussi manifeste que le suggère Joël Lebeaume (Lebeaume, 1995, p. 178). En particulier, une interaction entre les enseignements manuel et mathématique n’est pas envisagée. À bien des égards, le travail manuel féminin reste encore une discipline largement fermée sur elle-même, contrairement à son homologue masculin.
35En définitive, l’analyse et la comparaison des articles du Dictionnaire montre que la scolarisation de pratiques ouvrières et/ou sociales ne va pas sans contrepartie. La « disciplinarisation » du travail manuel, désormais placé sous l’égide de la rationalité mathématique, conduit à détacher celui-ci de la matérialité des métiers pour le replacer dans un cadre purement scolaire. D’une édition à l’autre, l’enseignement du travail manuel apparaît moins comme une préparation à l’apprentissage que comme une contribution efficace à la formation générale s’appuyant sur les dispositifs déjà rôdés de l’école. Faut-il pour autant conclure à un détournement des objectifs initiaux ? Malgré les antagonismes, le projet éducatif et l’approche « économique » (ou utilitaire) coexistent dès l’origine. L’évolution proprement disciplinaire constatée, au profit des potentialités éducatives du travail manuel, n’est peut-être finalement que la traduction de la propension de l’école à se démarquer de la formation professionnelle et à privilégier la formation de l’homme et du citoyen plutôt que celle du producteur.
Bibliographie
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Références bibliographiques
SOURCES
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Notes de bas de page
1 Arrêté pris en exécution du décret du 15 janvier 1881 relatif à l’enseignement primaire supérieur, 15 janvier 1881, Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique (BA), t. XXIV, p. 111-117 ; arrêté fixant l’emploi du temps, la répartition des matières d’enseignement et les programmes d’études dans les écoles normales primaires d’instituteurs, 3 août 1881, ibid., p. 1181-1216.
2 Arrêté réglant l’organisation pédagogique et le plan d’études des écoles primaires publiques, 27 juillet 1882, ibid., t. XXVII, p. 220.
3 On relève en réalité toute une gamme d’expressions : travail manuel, travaux manuels, enseignement manuel, exercices manuels.
4 Ordonnance du roi portant règlement pour les écoles primaires de filles, 23 juin 1836, Bulletin universitaire, t. V, p. 143-148.
5 Il s’agit de Mme E. W. Mitchell, inspectrice des pensionnats libres de jeunes filles du département de la Seine (Dubois*, 1994, p. 695).
6 Point de départ de ce processus, la loi de finances du 26 janvier 1892 transfère au ministère du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, la tutelle des écoles primaires supérieures professionnelles « dont l’enseignement est principalement industriel ou commercial ». Celles-ci, dont le but est de former des employés ou des ouvriers « aptes à être immédiatement utilisés » prennent le nom d’écoles pratiques de commerce et d’industrie (Charmasson et al., 1987, p. 45-56 et p. 346-358).
7 Marie Rauber et Lucie Saffroy sont inspectrices de l’enseignement primaire à Paris. Mlle Bergevin est directrice d’une école primaire parisienne et Mme Schéfer est inspectrice de l’enseignement professionnel des jeunes filles, à Paris également.
8 Notons que l’auteur (anonyme) de l’article « Apprentissage scolaire » relate également, de façon plus succincte, différentes tentatives d’introduction du travail manuel. Mais « les essais qu’on pourrait signaler n’eurent point d’action sur l’opinion publique » (DP1, p. 97). Aussi l’auteur pose-t-il les travaux d’aiguille en précurseurs du travail manuel scolaire dans les écoles primaires françaises. Dans la première partie de l’article « Manuel (Travail) » du NDP, légèrement refondue par rapport à la première édition, James Guillaume rejoindra cette position (NDP, p. 1207).
9 DP1, p. 1816.
10 Ibid., p. 1817.
11 Ibid.
12 Ibid., p. 1818.
13 Ibid., p. 1817.
14 Ibid., p. 2643.
15 Ibid., p. 1819-1820.
16 Ibid., p. 1818.
17 Ibid., p. 98.
18 Ibid., p. 1824.
19 Ibid., p. 1829.
20 Ibid., p. 2644.
21 Ibid., p. 97.
22 Ibid., p. 98.
23 De façon significative, Salicis range « les ateliers d’apprentissage annexés à l’école communale de la rue Tournefort » parmi les écoles d’apprentissage parisiennes (DP1, p. 96).
24 Ibid.
25 NDP, p. 1215.
26 Ibid., p. 1960.
27 Ibid., p. 90. On peut du reste se demander si l’auteur de l’article « Apprentissage » du NDP n’est pas Buisson lui-même. Dans une conférence de 1887, ce dernier déclare en effet : « Si l’on veut bien respecter le temps de l’enfant, il peut parfaitement acquérir toutes les aptitudes pratiques qui font l’ouvrier, sans perdre, faute d’exercice, les capacités intellectuelles qui font l’homme » (Buisson*, 1888, p. 151).
28 DP1, p. 608.
29 NDP, p. 19.
30 Ibid., p. 1220.
31 Ibid., p. 517.
32 Arrêté modifiant les arrêtés des 18 janvier 1887 et 10 janvier 1889 en ce qui concerne les programmes de l’enseignement du travail manuel dans les écoles primaires élémentaires et dans les écoles normales primaires, 17 septembre 1898, BA, t. LXIV, p. 761-765.
33 NDP, p. 21.
34 Ibid., p. 19.
35 DP1, p. 1824-1825.
36 Cette modification (Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, 1887) n’est pas mentionnée dans le NDP qui s’en tient au texte de 1882.
37 DP1, p. 1826.
38 Notons que la construction de solides géométriques dans les écoles primaires n’est pas réellement une nouveauté. Dans les années 1840, les élèves de l’école mutuelle de Dieuze, dans la Meurthe, taillaient dans du grès tendre les corps géométriques qu’ils avaient dessinés auparavant (MGIP, t. XIV, 1840, p. 345).
39 Circulaire relative à l’enseignement du travail manuel dans les écoles normales primaires, 28 octobre 1885, BA, t. XXXVIII, p. 876-880. L’initiative de Goblet intervient moins de deux mois après le congrès pédagogique du Havre où la question du travail manuel figure à l’ordre du jour. Dans l’intervalle, Charles Defodon écrit dans le Manuel général de l’instruction primaire : « Il appartient aux maîtres de la pédagogie d’étudier patiemment, de construire et de fixer cette méthode pratique d’enseignement manuel, qui pourra, ensuite, dans ses grandes lignes et sauf dans les détails, être reportée dans toutes les écoles » (Defodon, 1885).
40 Ont été consultés respectivement : le catalogue BN-Opale Plus de la Bibliothèque nationale de France ; le MGIP et la Revue pédagogique ; le Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique.
41 Avis relatif aux cours normaux de travail manuel, 7 octobre 1882, BA, t. XXVIII, p. 65-67, p. 66.
42 René Leblanc en est nommé directeur par arrêté du 31 mai 1884, BA, t. XXXIV, p. 334.
43 (NDP, p. 1214). Au contraire, pour le ministre de l’Instruction publique René Goblet, ce transfert à Saint-Cloud devait éviter que les professeurs de travail manuel ne forment un personnel « à part, investi d’une fonction accessoire », voir la circulaire relative à l’enseignement du travail manuel dans les écoles normales primaires, 28 octobre 1885, BA, t. XXXVIII, p. 877.
44 DP1, p. 1827.
45 Près de la moitié de l’Instruction spéciale de Salicis est consacrée aux manipulations, confirmant ainsi le rôle que celui-ci leur attribue.
46 DP1, p. 1808.
47 Arrêté relatif aux écoles normales primaires, 4 août 1905, B.A., t. LXXVIII, p. 522-655. Programmes dans Écoles primaires supérieures, 26 juillet 1909, BA, t. LXXX VI p. 515-661.
48 Pour s’en convaincre, on peut comparer le texte du NDP avec le « Commentaire » de Leblanc sur les programmes des écoles normales d’instituteurs (Leblanc, 1891b). Pour la citation suivante, voir NDP, p. 1215.
49 Ibid. Leblanc rejoint ici l’inspecteur général Félix Martel qui, comparant les exercices d’atelier aux bataillons scolaires, refuse de laisser les enfants « jouer à l’ouvrier » comme auparavant ils ont joué au soldat (Martel, 1891, p. 147).
50 NDP, p. 1215.
51 Ibid.
52 DP1, p. 1810.
53 NDP, p. 1217.
54 Ibid. Voir l’article « Tachymétrie » dans le DP1 ou le NDP.
55 Programme des écoles primaires supérieures de garçons, 26 juillet 1909, BA, t. LXXXVI, p. 532.
56 Voir sur ce point Teresa Assude et Hélène Gispert, « Les mathématiques et le recours à la pratique », supra.
57 Voir la note 32.
58 NDP, p. 21.
Auteur
Maître de conférences en histoire des sciences. Chercheur associé au service d’histoire de l’éducation de l’INRP. Membre du Groupe d’histoire et de diffusion des sciences d’Orsay, Université Paris-Sud Orsay.
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