Les mathématiques et le recours à la pratique : une finalité ou une démarche d’enseignement ?
p. 175-196
Texte intégral
1En 1882, le mot « mathématiques » figure pour la première fois dans une loi concernant l’enseignement primaire. Il apparaît, utilisé comme adjectif dans la liste des contenus obligatoires, dans l’expression « les éléments des sciences naturelles, physiques et mathématiques ». Auparavant les intitulés se référaient aux « éléments du calcul », au système légal des poids et mesures et, pour le primaire supérieur, aux « éléments de géométrie et ses applications usuelles spécialement le dessin linéaire et l’arpentage » (loi Guizot), puis à « l’arithmétique appliquée aux opérations pratiques », « l’arpentage, le nivellement et le dessin linéaire » (loi Falloux en ce qui concerne les enseignements facultatifs1).
2Ces intitulés, leur évolution, leur apparition et leur disparition sont des témoins, tout au long du xixe siècle, de certains des enjeux liés aux finalités de l’ordre de l’enseignement primaire. Il en est de même des programmes, commentaires ou instructions officiels concernant le primaire, le primaire supérieur ou la formation des instituteurs et institutrices, dont les contenus mathématiques renvoient de façon appuyée à la spécificité de l’enseignement primaire, enseignement à vocation d’abord pratique, écartant toute prétention théorique et généralisatrice réservée à l’ordre du secondaire.
3Entre la fin des années 1870 et la première décennie du xxe siècle, l’œuvre réformatrice des républicains ne touche pas uniquement l’enseignement primaire. Avec la création de l’enseignement secondaire moderne, la transformation de l’enseignement secondaire spécial de Victor Duruy, puis la réforme des lycées de 1902, l’enseignement scientifique, et en particulier l’enseignement des mathématiques, dans le secondaire, est profondément transformé (Belhoste, 1995). Dans une période où sont ainsi discutés les finalités, les méthodes, les contenus des enseignements relevant à la fois du primaire et du secondaire, l’étude et la comparaison du statut des connaissances mathématiques dans les deux éditions du Dictionnaire nous semblent particulièrement opportunes.
LE DOMAINE MATHÉMATIQUE
4Le choix méthodologique commun, l’entrée disciplinaire, s’est révélé complexe et a nécessité l’établissement d’une véritable cartographie des mathématiques dans chacune des deux éditions. Dès le premier regard, une différence s’impose. Si, dans la seconde édition, une entrée « Mathématiques » gouverne l’ensemble du domaine, il n’en est pas de même pour la première qui multiplie au contraire de nombreuses entrées en fonction des différents contenus mathématiques. Cela impose de déterminer dans quelle mesure un objet appartient ou non au domaine mathématique du Dictionnaire.
5Une recherche parallèle sur l’enseignement mathématique dans le primaire à travers ses textes officiels au xixe siècle2 nous a permis d’opérer une sélection avertie dans l’ensemble des entrées de cette première édition. Les entrées explicites que nous avons retenues sont ainsi celles qui sont liées à des contenus mathématiques dans les différentes lois, instructions (ou arrêtés) successives de Guizot (1833), Falloux (1850), Duruy (1865-1866) et Ferry (1881-1882)3, et les programmes d’enseignement qui y sont attachés tant pour le primaire élémentaire, le primaire supérieur, que la formation des maîtres. Ainsi, par exemple, à côté d’entrées comme « Calcul », « Arithmétique », « Système métrique », notions qui figurent seules dans les premiers programmes ou les premiers manuels du primaire au xixe siècle, trouvons-nous à partir de la création du primaire supérieur en 1833 des références à la géométrie, à l’arpentage, au toisé, puis au dessin linéaire et géométrique. Supprimé avec la loi Falloux, le mot « géométrie » est réintroduit par Victor Duruy dans l’énoncé des matières de l’enseignement facultatif dans les écoles primaires avec, dans le domaine de la comptabilité, la tenue des livres. Cette mesure, qui fut prise à la suite de la création de l’enseignement secondaire spécial et aboutit, nous y reviendrons, à l’élévation du niveau de la formation des instituteurs (entre autres en mathématiques), entraîna dans un même mouvement l’apparition de l’algèbre comme matière d’études dans certaines écoles normales même si ce mot ne figure officiellement qu’avec les lois Ferry dans les programmes de primaire supérieur et d’écoles normales4.
La première édition : un territoire fractionné
6Le corpus mathématique du DP1 est caractérisé par différents types d’entrées. Certaines renvoient à d’autres, également situées dans la première partie (par exemple « Abaque » renvoie à « Boulier » qui renvoie à « Calcul mental »). D’autres renvoient à des articles de même nom de la deuxième partie, comme « Arithmétique » ou « Algèbre ». Enfin, des entrées ne suscitent pas de renvois, comme « Géométrie », « Problèmes », « Comptabilité », bien que l’entrée « Géométrie », existe en tant que telle dans la deuxième partie.
7Dans le DP1, les entrées sont dans l’ensemble autonomes les unes par rapport aux autres, en particulier celles qui sont le plus développées et qui renvoient essentiellement à la deuxième partie. Les buts assignés au DP1 sont présents dans la structure même des articles. Ainsi les articles « Arithmétique » et « Arpentage » sont-ils divisés en deux parties, la première consacrée à la législation en France et à l’étranger, et la deuxième aux programmes. Après avoir abordé eux aussi la législation, l’article « Algèbre » traite des « directives pédagogiques » et « Calcul » se consacre à un historique. Dans l’article « Géométrie », les paragraphes concernant la législation précisent que le programme de l’école primaire n’est pas encore publié au moment où l’article a été écrit. Il n’en pose pas moins la question de sa place et de sa pertinence dans l’ordre primaire : « Dans quelle mesure et de quelle manière la géométrie doit-elle être enseignée à l’école primaire et à l’école normale ? »
8La structure de l’article « Problèmes », contrairement aux précédents, ne suit pas le même modèle : après une introduction, la première partie est consacrée aux problèmes d’arithmétique, et la deuxième aux problèmes « d’algèbre, de géométrie, de trigonométrie, de physique, etc. ». Cet article est le plus long du corpus mathématique du DP15. Son importance, notamment celle accordée aux problèmes arithmétiques, est renforcée par les thèmes des sujets proposés aux certificats et aux brevets tels qu’ils apparaissent dans le DP2.
9Au début du DP2, une liste présente les articles dits généraux (en fait les rubriques) qui renvoient soit à des programmes soit à des articles (dits spéciaux) non développés dans les programmes. Parmi les trente-cinq articles généraux du DP2, quatre concernent directement les mathématiques : « Algèbre », « Arithmétique », « Arpentage », « Géométrie ». Pour les trois derniers d’entre eux un programme d’études est proposé sous la forme de leçons. Ce n’est pas le cas pour l’article « Algèbre ». Cette spécificité structurelle est d’importance dans la mesure où elle traduit un statut particulier de ce domaine qui n’est pas alors, au moment du DP2, officiellement une matière de l’enseignement primaire.
10L’ensemble de ce dictionnaire de leçons constitue plus de quatre-vingts entrées permettant de baliser l’étendue du domaine mathématique. Nous avons consulté deux autres articles généraux, l’article « Dessin » – car s’y rattache le dessin linéaire, partie intégrante de l’enseignement mathématique dans les différents textes officiels – et l’article « Mécanique » dont l’enseignement est apparu dans les programmes de certaines écoles normales6, en partie comme une application de la géométrie. Cependant, dans le DP2, aucun renvoi n’est fait à ces deux articles dans l’ensemble du réseau constitué par les entrées mathématiques7.
11Les auteurs des articles du corpus mathématique du DP1 sont au nombre de huit. Ils appartiennent tous au monde de l’enseignement primaire et/ou secondaire. Ainsi, Henri Sonnet, inspecteur d’académie honoraire, est l’auteur de la partie « méthodes et programmes » des articles « Arithmétique » et « Arpentage », et de l’article « Algèbre » ; la partie « législation » de ces articles est écrite, pour l’arithmétique par le comte de Fontaine de Resbecq, ancien sous-directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’Instruction publique et, pour l’arpentage, par Armagnac, chef de bureau dans la même administration. Paul Leyssenne, un des auteurs clés du corpus mathématique du DP1, inspecteur général de l’enseignement primaire, a écrit la partie initiale de l’article « Géométrie » et de l’article « Problèmes ». L’auteur de l’article « Calcul mental » est Bovier-Lapierre, ancien professeur à l’école normale de Cluny ; Pillet, inspecteur de l’enseignement du dessin, est celui de l’article « Dessin géométrique ». Les auteurs des articles « Comptabilité » et « Comptabilité (cours) » sont respectivement B. Berger, inspecteur général de l’enseignement primaire et directeur du Musée pédagogique, et Madame Malmanche, la seule femme de ce groupe, inspectrice des cours de comptabilité de la ville de Paris.
12Par rapport au DP1, de nouveaux auteurs apparaissent dans le DP2, entre autres Bos, Rebière, Dalsème, Bougueret et Robin. Toutefois, deux auteurs du DP1 déjà cités, Sonnet et Bovier-Lapierre, rédigent à eux seuls plus de la moitié de la soixantaine des articles, autant en arithmétique qu’en géométrie.
13L’article « Arithmétique » présente un programme de cinquante-six leçons écrit par Sonnet, « un spécimen du cours qui pourra servir de point de départ ». Ce programme est suivi par « un choix de programmes français et étrangers, les uns absolument officiels, les autres représentant la tradition et les usages consacrés par la pratique des examens ».
14Les entrées de l’arithmétique font apparaître un certain nombre d’objets mathématiques, comme l’addition, les nombres décimaux, le carré, la racine carrée, etc., ainsi que d’autres objets qui sont alors dans un rapport d’application avec les mathématiques comme, par exemple, les objets « actions », « banque », « amortissement », etc. La cartographie de l’arithmétique révèle plusieurs régions – les nombres et les opérations, les rapports et proportions – et un immense territoire constitué du système métrique et des applications des mathématiques à des usages de la vie courante ou des besoins du commerce ou de l’industrie : banques, caisses d’épargne, actions, rentes, annuités, crédit foncier, etc. Ce réseau explicite ainsi les domaines d’applications souvent regroupés sous le vocable « applications usuelles » ou « arithmétique pratique » dans les programmes officiels. Il semble donner une importance primordiale aux mathématiques de la vie sociale qui prennent en compte « les faits de l’économie domestique, rurale ou industrielle » et faire de « l’arithmétique une sorte de cours de logique populaire appliquée aux besoins aux relations de chaque jour », pour reprendre une expression du ministre Rouland en 18578.
15L’article « Géométrie » comporte un programme d’études, composé de trente leçons, signé également par Sonnet, puis les programmes officiels français des écoles primaires (1882) et des écoles normales d’instituteurs (1881) et institutrices (1881), les programmes de Prusse et Suisse. Le réseau associé fait apparaître, là encore, des régions distinctes. D’une part, une géométrie plane est organisée autour des polygones (carré, rectangle, etc.) ou autres courbes usuelles, et une géométrie dans l’espace autour des polyèdres (cube, parallélépipède) et autres corps ronds. D’autre part, les aires, volumes et système métrique, l’arpentage et la géométrie descriptive constituent le domaine d’une géométrie pratique.
16On constate ainsi la prégnance d’objets géométriques qui peuvent, d’une part, se représenter ou représenter des réalités (d’où l’importance des polygones, des courbes usuelles, des polyèdres, de la géométrie descriptive) et, d’autre part, se mesurer (aires, volumes, jaugeage, cubage, arpentage, système métrique). Ainsi s’affirme, avec la place accordée aux applications, une géométrie pratique dont l’utilité est de représenter et de mesurer, utilité affirmée et privilégiée par ailleurs dans les manuels et dans les programmes du primaire9.
17L’existence d’un îlot « Trigonométrie » dans la carte de la géométrie pourrait a priori surprendre dans la mesure où elle indique la présence de contenus géométriques non élémentaires. Elle ne fait que témoigner pourtant de l’existence d’éléments de trigonométrie dans les programmes de certaines écoles normales et d’écoles primaires supérieures à plusieurs moments depuis 183310, même s’ils ne sont pas inscrits dans la loi. Si le recours à ces éléments de trigonométrie permet dans les écoles normales de simplifier certaines démonstrations de géométrie, l’intitulé des rubriques dans les écoles primaires supérieures montre que nous sommes toujours dans une logique d’application et de mesure. Cet enseignement, réduit à ses éléments, est en effet lié à des questions de levée de plans ou de calculs de hauteurs, par exemple dans les écoles supérieures maritimes.
18Nous avons déjà mentionné la singularité du corpus algèbre. Au contraire des articles précédents, l’article « Algèbre » comporte six leçons effectives (et non un programme) signées par Sonnet et une partie intitulée « Préparation aux examens – Usage de l’algèbre pour certains problèmes » signée par Bovier-Lapierre. Le réseau correspondant est très peu développé : il n’a que quatre entrées et l’une d’entre elles, « Brevet », est singulière par rapport à tous les autres renvois. Il n’y a pas de renvois à des articles spéciaux. La taille et la structure de ce réseau traduisent le fait que l’algèbre ne fait pas partie, au moment où l’article est écrit, des matières « officielles » de l’enseignement primaire même si, comme la trigonométrie, elle est déjà enseignée dans certaines écoles primaires supérieures ou écoles normales11. Ce n’est que par la suite que l’algèbre sera intégrée officiellement dans leur programme d’étude. Les intitulés des alinéas des programmes d’enseignement ou de concours (pour les boursiers EPS par exemple) qui y sont consacrés indiquent la nature de certaines des fonctions assignées à l’algèbre. Il s’agit d’en connaître les procédés élémentaires pour la solution des problèmes usuels, objectif dont le renvoi au mot « brevet » nous donne un indice : l’algèbre peut être utile pour résoudre certains des problèmes posés aux brevets.
La seconde édition : un territoire unifié ?
19Présenté comme « un ouvrage nouveau répondant à des besoins nouveaux », selon les termes de Ferdinand Buisson dans sa préface, le NDP semble effectivement tenir cette promesse dans le domaine des mathématiques. L’apparition d’une entrée unique « Mathématiques » dans cette édition provoque une situation radicalement différente et l’organisation du domaine en est singulièrement simplifiée.
20Le signataire de l’article « Mathématiques » du NDP est le mathématicien Carlo Bourlet. Normalien, docteur en mathématiques, il est en 1911 professeur de mécanique au Conservatoire des arts et métiers, après avoir été professeur de mathématiques en classes préparatoires aux lycées Lakanal, Henri-IV puis Saint-Louis. Quoiqu’il soit pleinement inséré dans le milieu mathématique académique, ses domaines de recherche liés aux applications des mathématiques12 (géométrie descriptive, statique graphique) ne sont pas les domaines d’avant-garde de la période. Auteur de nombreux manuels pour les classes de mathématiques élémentaires, il est, avec le mathématicien Émile Borel, un des promoteurs de la réforme des lycées de 1902 pour l’enseignement des mathématiques. Il publie en particulier, dans le cadre de la Commission internationale de l’enseignement mathématique (CIEM), une conférence sur « la pénétration réciproque des mathématiques pures et des mathématiques appliquées dans l’enseignement secondaire » (Bourlet, 1908, p. 372-38713).
21Le mot « mathématiques » est devenu le centre de ce nouveau réseau vers lequel convergent la plupart des autres entrées. Si l’usage de ce mot pour l’enseignement primaire apparaît plusieurs fois dans les textes officiels à partir de 1882 (il est même déjà présent dans le rapport à la Chambre présenté par Paul Bert en décembre 1879), il reste instable : par exemple, il ne figure ni dans les programmes de 1882, ni dans la loi Goblet de 1887. Il faut donc bien attendre l’édition de 1911 pour voir cette entrée fonctionner comme noyau unificateur du corpus mathématique enseigné. Dans l’article « Mathématiques » qui fait alors trente-trois colonnes ce corpus est divisé en trois parties identifiées à l’aide de sous-titres : calcul et arithmétique (vingt et une colonnes), algèbre (deux colonnes), géométrie et dessin géométrique (cinq colonnes). L’entrée « Arpentage » est devenue autonome, à la fois par rapport à certaines entrées auxquelles elle était liée, et par rapport à l’entrée centrale « Mathématiques ». Cela signifie-t-il qu’est survenue une nette séparation entre l’arpentage et la géométrie ? « Arpentage », en revanche, renvoie aux articles « Cartes » et « Topographie », ce dernier article étant, malgré cette annonce de renvoi, absent du NDP. D’une manière analogue, l’entrée « Dessin » est devenue complètement autonome par rapport aux réseaux mathématiques, tandis que le dessin géométrique fait partie intégrante de l’entrée « Mathématiques ». Il est accolé au mot géométrie dans la troisième partie de l’article « Mathématiques14 ».
22Fait capital, cette nouvelle organisation du corpus provoque la disparition des références explicites qui renvoyaient aux applications dans la première édition. Mais les conséquences qu’elle induit dans la cartographie du savoir scolaire dans le NDP sont-elles l’emblème d’une évolution significative de points de vue entre les deux éditions ? Cette question doit être envisagée sur deux plans.
23Une première évolution aurait trait au savoir lui-même. Le mot « mathématiques » serait devenu un point de convergence de tous les contenus censés appartenir aux mathématiques dans un ordre d’enseignement donné (ici le primaire). Il permettrait, de plus, de montrer l’unité du savoir malgré sa diversité selon les ordres d’enseignement. De ce point de vue, affirmé dans le NDP, le savoir « mathématique » ne serait qu’un, provoquant ainsi un rapprochement, au moins rhétorique, entre les deux ordres. Car il importe de souligner que le corps du texte de cet article « Mathématiques » est loin d’être complètement nouveau par rapport au contenu de la première édition. On voit réapparaître dans le NDP des passages entiers d’articles qui sont, mot à mot, les mêmes que dans le DP1 et le DP2. La partie « arithmétique » et « calcul » du NDP reprend ainsi l’historique de l’article « Calcul » du DP1, à quelques exceptions près, et intègre les passages de l’article « Problèmes » du DP1 consacrés à l’arithmétique. En ce qui concerne les développements relatifs aux méthodes et programmes de l’arithmétique pour les différents cours, Carlo Bourlet signe – là encore à quelques exceptions près15 – un texte du DP1.
24Pour ce qui est du chapitre « Algèbre », on y trouve, ce qui est nouveau, les programmes des écoles primaires supérieures et des écoles normales absents auparavant puisque l’enseignement de l’algèbre ne faisait pas officiellement partie de l’enseignement primaire. Les relations que nous avons mises à jour à partir des articles « Arithmétique » et « Algèbre » du DP2 ne se retrouvent pas dans le NDP. Les parties correspondantes de l’article « Mathématiques » n’ont pas de renvois. Pourtant, certaines de ces mathématiques de la vie sociale continuent à être présentes dans le NDP dans le contenu même des rubriques des programmes et des problèmes d’arithmétique. C’est surtout dans la partie géométrie, profondément remaniée, que nous constatons des différences significatives entre les deux éditions. Elles renvoient à nouveau à des différences importantes dans les contenus. Enfin, une introduction générale à l’article « Mathématiques » n’a évidemment pas de correspondant dans la première édition.
25Plaçons-nous, à présent, sur le plan non du savoir mathématique mais des buts respectifs des deux éditions du Dictionnaire. Le lecteur du NDP ne peut plus, s’il le veut, y apprendre des mathématiques. Il ne peut que se mettre au courant des principes pédagogiques et politiques qui guident l’enseignement pour comprendre l’œuvre à laquelle contribue l’instituteur ainsi que l’évolution de son métier. La disparition des différents réseaux présents dans la première édition aboutit à la perte d’un savoir encyclopédique, perte qui pourrait être le signe d’un changement significatif de la fonction du Dictionnaire entre les deux éditions : cessant d’être un instrument d’apprentissage pour les mathématiques il n’est plus qu’un guide pour le métier, restreignant ainsi sa fonction.
LÉGITIMITÉS DES SAVOIRS MATHÉMATIQUES DANS LES DEUX ÉDITIONS DU DICTIONNAIRE
26La présentation du corpus mathématique du DP2 a mis en évidence l’ampleur des renvois explicites aux applications quotidiennes dans la vie sociale, professionnelle, économique, financière. Les contenus de certains articles de la première partie de cette première édition confirment une telle orientation qui semblerait induire des réponses simples aux questions : les mathématiques du primaire, pour quoi faire ? Pour qui ? Il s’agit en premier lieu de l’article « Problèmes » qui précise la fonction des problèmes d’arithmétique à l’école primaire : non pas « forcer l’enfant à réfléchir, à chercher, à comparer, à déduire, à juger », mais lui apprendre à « calculer sûrement et rapidement et résoudre toutes les questions pratiques qu’il peut être appelé à rencontrer sur sa route pendant sa vie ». En second lieu, l’article « Géométrie », qui est consacré à la fois à l’élémentaire, au supérieur et aux écoles normales, insiste tout du long sur la distinction fondamentale de nature et de fonction entre l’enseignement de la géométrie dans le secondaire et dans le primaire où elle est « limitée aux domaines des applications pratiques directes et immédiates ».
27Qu’en est-il alors, pour cette première édition, dans le domaine des mathématiques, des positions du Dictionnaire quant à la dualité scolaire et à l’unité du savoir ? Comment y présente-t-on la légitimité des savoirs d’ordre mathématique, leur participation à la nouvelle mission d’éducation et de culture de l’esprit qui figure dans la loi de 1882 ?
28La cartographie mathématique établie pour la deuxième édition, radicalement différente de celle de la première édition, fait rebondir ces questions. La présence de la nouvelle entrée « Mathématiques », nom relevant du registre de l’enseignement secondaire et universitaire, l’abandon simultané de la plupart des entrées « appliquées », semblent indiquer un changement d’orientation. D’autant que l’auteur de l’article est ici un mathématicien qui, à la différence des auteurs de la première édition, n’appartient qu’à la sphère de l’enseignement supérieur et est impliqué très étroitement aux réformes de l’enseignement des mathématiques dans le secondaire au tout début du siècle.
29Cependant, le caractère de certains articles de la première édition, comme l’article « Algèbre » qui expose des positions militantes pour la promotion de méthodes algébriques dans l’enseignement primaire, paraît anticiper la constitution d’un corpus d’enseignement plus théorique, au moins pour le primaire supérieur et la formation des maîtres. Les arguments développés dans cet article du Dictionnaire renvoient également à des considérations pédagogiques, par exemple sur l’opposition raison/ mémoire. Qu’en est-il alors dans le Dictionnaire et ses deux éditions des échos des rénovations pédagogiques et des débats qu’elles suscitèrent dans la sphère de l’enseignement mathématique ?
30C’est à partir de l’étude des contenus des articles que nous avons identifiés comme génériques dans la première édition, et de leur comparaison avec l’article « Mathématiques » de la seconde, que nous allons chercher à répondre à ces diverses questions.
L’entrée « Arithmétique »
31« Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’importance de cette étude : indispensable à tous par ses applications usuelles, l’arithmétique est de plus une discipline incomparable pour l’intelligence. Ainsi à ce double titre est-elle inscrite partout aujourd’hui et à tous degrés dans les programmes de l’enseignement primaire. » C’est ainsi que débute l’article « Arithmétique » du DP1, présentant d’emblée la double finalité de cet enseignement. Les premiers paragraphes sont consacrés à la législation dans les pays étrangers et en France, les développements consacrés à la France ne se référant qu’aux lois de 1850 et, pour la formation des maîtres, de 1866. L’article a donc été écrit avant 1882, comme le laisse supposer l’ordre alphabétique. L’article se poursuit par sept colonnes consacrées aux « méthodes et programmes » où l’auteur insiste, dès le début, sur la visée de formation intellectuelle de l’enseignement de l’arithmétique, quels que soient les divers degrés de l’instruction primaire : « Tous ces programmes [ceux des divers degrés de l’instruction primaire] différents dans la forme, convergent vers un but commun, qui est de donner aux élèves une connaissance raisonnée de la science du calcul. »
32Voyons les contenus précis de ces programmes tels qu’ils sont exposés dans le DP1. À la lecture du programme détaillé en vingt points, du cours élémentaire aux écoles normales, c’est la visée utilitaire et pratique de cet enseignement qui domine. Après la numération, les quatre opérations, le système métrique pour le cours élémentaire, apparaissent, au cours moyen, « les règles, d’intérêt, d’escompte, d’alliage comme application des proportions et des suites de rapports égaux ». S’y ajoutent au cours supérieur, « des notions d’arithmétique appliquée, telles que les rentes, les actions industrielles, la caisse d’épargne »…
33Des consignes pédagogiques accompagnent l’énoncé des programmes. Elles font écho à des débats qui dépassent le seul cadre de l’enseignement de l’arithmétique et dans lesquels l’auteur affirme des positions dans le fil des idées pédagogiques des réformateurs républicains. Au cours élémentaire, il faut privilégier l’intuition et faire construire, éviter l’abstraction ; au cours moyen, le recours à l’intuition est moindre, l’accent est mis sur les exemples qui doivent tous relever des applications usuelles. Au cours supérieur, l’insistance est plus que jamais mise sur les applications, d’autant qu’il est indiqué de borner l’étude des nombres premiers.
34Un premier accent est mis sur l’intuition tant au cours élémentaire que moyen. Les mathématiques – ici l’arithmétique, mais bien plus encore la géométrie, nous le verrons – n’échappent pas à une orientation qui avait déjà été recommandée à la fin des années 1850 par le ministre Rouland et qui est devenue un credo de la pédagogie républicaine. Mais nous insisterons ici sur un deuxième accent porté essentiellement sur les applications, la vie usuelle, les restrictions explicites de développements théoriques. Invalide-t-il toute prétention éducative de cet enseignement ? Le Dictionnaire apporte, dans différents articles de chacune des deux éditions, une palette de réponses qui ne sont pas toutes du même registre et témoignent de différentes tensions.
35L’édition de 1911 du Dictionnaire présente une première réponse intéressante qui ne figure pas, sous cette forme, dans l’édition précédente. Elle se trouve dans le chapeau introductif de l’article « Mathématiques » qui, en l’absence d’un article « Arithmétique » autonome, réunit les développements correspondants aux articles « Arithmétique » des deux parties de la première édition. L’auteur y expose la double finalité de cet enseignement expliquée dans des termes identiques à ceux de la première édition, mais ajoute un élément supplémentaire : « Cet enseignement a un double but : 1) faire acquérir aux élèves des notions utiles, parfois indispensables dans la vie ; 2) développer en eux les facultés du raisonnement, l’esprit de logique, d’analyse et de méthode. En d’autres termes, cet enseignement doit être à la fois utilitaire et éducatif. On a trop souvent le tort de croire que ces deux tendances sont contradictoires et de n’accorder de valeur éducative qu’aux études abstraites ne donnant lieu à aucune application pratique réelle. C’est une grave erreur. »
36Un long extrait des instructions officielles des programmes des années 1880 appuie cette affirmation. La méthode pédagogique recommandée doit en effet conduire l’enfant mis en présence de réalités concrètes à en dégager peu à peu l’idée abstraite, à comparer, à généraliser, à raisonner sans le secours d’exemples matériels.
37S’agit-il ici, pour Carlo Bourlet, d’un discours de circonstances destiné au seul public de l’enseignement primaire du Dictionnaire ? Le discours qu’il tient dans les mêmes années à propos de l’enseignement secondaire montre qu’il n’en est rien. Ainsi, par exemple, dans sa conférence de 1908 sur la pénétration réciproque des mathématiques pures et des mathématiques appliquées dans l’enseignement secondaire, écrit-il :
Dans nos classes secondaires, le professeur de mathématiques, soucieux non pas d’orner les esprits de ses élèves, […] doit résolument écarter de son enseignement tout ce qui n’aura pas une utilité plus ou moins directe dans les applications. Ceci définit un programme et limite ses matières. « Je sais bien que quelques esprits chagrins ou routiniers déplorent la disparition de certaines questions de luxe, sans utilité pratique, et auxquelles ils attribuent une valeur éducative exagérée. Dès qu’on fait un tableau des connaissances mathématiques strictement indispensables à un ingénieur ordinaire, on s’aperçoit que le champ ainsi borné est encore immense (Bourlet, 1908, p. 376-377).
38Carlo Bourlet défend ici des positions qui ne sont pas que personnelles. Il s’inscrit, certes avec une radicalité marquée, dans un mouvement de réflexion de grande ampleur qui a conduit à la réforme des lycées de 1902, réforme tant des structures que des contenus. En témoignent les propos d’un autre mathématicien éminent de cette période, Émile Borel, directeur des études scientifiques à l’École normale supérieure, chargé de faire en 1904 au Musée pédagogique une des conférences destinées aux professeurs de mathématiques dans le cadre de la présentation des nouveaux programmes (Borel, 1904). Partisan du développement dans l’enseignement secondaire d’exercices pratiques de mathématiques dont il donne de nombreux exemples – jusques et y compris la création d’atelier de menuiserie –, il discute la valeur éducative d’un tel enseignement :
N’allez-vous pas, me dira-t-on, transformer nos lycées et collèges en autant d’Écoles d’Arts et Métiers. L’enseignement secondaire doit-il faire double emploi avec l’enseignement primaire supérieur ?
Tout d’abord je ne ferai aucune difficulté pour reconnaître que sur plusieurs points, l’enseignement secondaire ne pourrait que gagner de ressembler davantage à l’enseignement primaire. On constate trop souvent aux examens du baccalauréat des ignorances scandaleuses, notamment sur le système métrique, qui ne seraient pas tolérables au moindre examen primaire.
L’enseignement primaire forme d’excellents élèves, et le jour où une législation plus démocratique leur ouvrirait toutes grands les portes de l’université, ils y feraient une concurrence redoutable aux élèves de l’enseignement secondaire. […] Il existe en France un enseignement secondaire qui, malgré certaines imperfections, a incontestablement une grande valeur éducative. Ne risque-t-on pas de diminuer cette valeur éducative en y rendant plus pratique et moins théorique l’enseignement des Mathématiques ? […]
Cela étant bien entendu, il semble que la valeur éducative de l’enseignement ne pourra qu’être augmentée si la théorie y est, le plus souvent possible, mêlée à la pratique (Borel, 1904, p. 438).
39La lecture de plusieurs articles de la première édition apporte une autre coloration à la prétention éducative de l’enseignement de l’arithmétique. Il s’agit, par exemple, des articles « Comptabilité », « Épargne (caisse de) », dans lesquels des objectifs de formation morale et civique du futur citoyen et du futur travailleur s’ajoutent en effet aux objectifs intellectuels. On retrouve ainsi affirmée, à l’occasion de ces applications pratiques auxquelles renvoient les programmes détaillés d’arithmétique, la fonction de reproduction sociale de classe de l’école primaire : « Dans son bienfait économique et moral, la Caisse d’Épargne stimule l’ouvrier à faire des économies c’est à dire à retenir ses dépenses au-dessous de ses recettes ; à vivre laborieux sobre, rangé, dans une pensée de sage prévoyance » (« Épargne [Caisse d’] ») ; « Outre son utilité pratique résultant des besoins du commerce et de l’industrie, la comptabilité est encore dans l’éducation une excellente discipline par les qualités qu’elle tend à développer. Ce sont surtout l’ordre, la concision, la clarté, l’esprit de suite, toutes choses fort importantes dans la vie » (« Comptabilité »).
40La disparition, dans la seconde édition, de tout le réseau des applications que nous avons mis en évidence dans la première édition, atténue de fait l’intrusion de la morale dans le champ de l’arithmétique. Est-ce une évolution délibérée de la part de l’auteur ? N’est-ce que l’effet de la restructuration globale du Dictionnaire ? Il est certain, ceci dit, que les énoncés des problèmes d’arithmétique posés aux élèves de l’école primaire demeurent pétris de morale bien au-delà de la première décennie du xxe siècle (Harlé, 1984).
41Un dernier élément de réponse, présent dans les deux éditions, traduit les tensions permanentes qui existent dans le Dictionnaire, mais plus globalement aussi dans le champ éducatif primaire, entre les deux visées d’enseignement pratique et d’enseignement formateur d’esprit. Considérons l’article « Problèmes » du DP1, rédigé par Leyssenne, essentiellement consacré aux problèmes d’arithmétique. Il est entièrement repris et incorporé dans l’article « Mathématiques » de Bourlet qui l’intègre à ses propres développements sans en changer un seul mot :
L’arithmétique devant contribuer, même à l’école primaire, à l’éducation générale de l’esprit, tout exercice qui force l’enfant à réfléchir, à chercher, à comparer, à déduire, à juger, semble à ce titre être du domaine de l’enseignement primaire. C’est là, il nous semble une grave illusion. Il ne faut pas perdre de vue que l’enseignement donné dans nos écoles primaires s’adresse aux masses profondes […]. Il faut donc tirer le meilleur parti de ces quelques années de l’enfance dont nous disposons, et nos programmes doivent avoir en vue l’acquisition la plus prompte et la plus solide des éléments indispensables de chaque science. L’arithmétique ne peut pas faire exception. Avant tout l’enfant doit savoir calculer sûrement et rapidement et résoudre toutes les questions pratiques qu’il peut être appelé à rencontrer sur sa route pendant sa vie. Tel est le caractère que doivent avoir les problèmes à l’école primaire.
42Qu’en est-il ici de « l’exercice incomparable de l’intelligence » promu dans la première édition ? Qu’en est-il du développement des facultés de raisonnement, d’esprit logique, but de l’apprentissage des mathématiques selon l’introduction de l’article « Mathématiques » du NDP ? L’arithmétique semble ici disqualifiée pour jouer un tel rôle, les priorités de son apprentissage se pliant aux exigences de la réalité de la population scolaire primaire. Pourtant, les développements sur le « Mode de résolution des problèmes » regrettent que « le mécanisme et la formule remplacent quelquefois le raisonnement réfléchi » et souhaitent « débarrasser la résolution des problèmes de ces marches lentes, pénibles et antirationnelles ».
L’entrée « Géométrie »
43Est-ce la géométrie, branche des mathématiques aux résonances plus savantes, qui est plus spécifiquement chargée de cet exercice de l’intelligence ? On peut, à ce propos, renvoyer au débat organisé à la Chambre des députés en avril 1833, lors de la discussion du titre premier de la loi Guizot sur l’objet de l’instruction primaire, à propos de l’introduction d’une référence explicite à la géométrie. L’introduction du mot même, dans le passage consacré à l’enseignement de l’arpentage et du dessin linéaire pour les EPS, posa question. S’il a finalement figuré dans le texte de la loi, accolé de « ses applications usuelles », il a disparu en 1850 avec la loi Falloux dont un des buts était de réduire les ambitions du primaire.
44Avec la cartographie établie pour le DP2, nous avons constaté la présence, tout à la fois, d’un réseau d’applications très concrètes et pratiques et de quelques articles plus savants dont l’article générique « Géométrie ». On trouve dans ce dernier des développements articulés autour d’axiomes, de théorèmes, de propriétés et de leurs démonstrations, dénommés explicitement ainsi dans le cours de l’article. Nous sommes ici dans le registre de vocabulaire de la géométrie déductive, théorique et abstraite qui est à cette époque l’apanage de l’enseignement secondaire. L’étude de l’article « Géométrie » du DP1 permet d’examiner plus avant ce qu’il en est dans les années 1880, pour ce champ de connaissances, des rapports complexes entre une éventuelle unité du savoir dans les différents ordres de l’École de la République et la dualité des publics scolaires du primaire et du secondaire.
45Une première particularité tient à la structure même de l’article qui, à la différence de celui consacré à l’arithmétique, n’est pas construit autour des programmes. En effet, depuis Fortoul et jusqu’à 1882, la géométrie ne fait pas partie de l’enseignement obligatoire dans le primaire comme le signale une remarque à la fin de l’article écrit en 1882, juste avant que le nouveau programme d’études des écoles primaires n’ait été publié. L’article commence ainsi par un questionnement sur l’intérêt de la présence d’un enseignement de géométrie dans le primaire.
46Au niveau très élémentaire, l’auteur, Leyssenne, y répond en apportant des éléments de réflexion pédagogique qui s’inscrivent totalement dans les idées de rénovation pédagogique affichées dans cette période mais défendues déjà auparavant, entre autres par Marie Pape-Carpantier16 : dans les classes très élémentaires, l’enseignement de la géométrie doit être intuitif et se résumer à des leçons de choses appliquées à des objets concrets ; il doit exclure le par cœur et s’appuyer sur la langue usuelle. Pour le niveau élémentaire et moyen, Leyssenne en présente les premières ambitions formatrices : « Les connaissances doivent avoir des avantages immédiats » ; elles doivent faciliter l’intelligence du système métrique, permettre d’évaluer les surfaces et volumes dans les usages de la vie, « un des besoins les plus impérieux de la vie usuelle des champs, des ateliers, du commerce de l’industrie », être un guide pour l’étude de sciences essentiellement pratiques tels l’arpentage, la levée des plans et le dessin linéaire. La géométrie ne doit en aucune façon faire l’objet de cours réguliers. On ne trouve ici que la géométrie pratique, ou plutôt les applications pratiques de la géométrie auxquelles correspondent les différentes entrées du réseau de cette première édition. Il semble, comme c’est indiqué dans l’article « Problèmes » du DP1 dont la fin est consacrée aux problèmes de géométrie, que même après 1882, « la géométrie [ne] se rattache à l’enseignement des écoles primaires [que] par le système métrique et la mesure des surfaces et des volumes. […]. Il suffit alors qu’ils [les élèves] sachent calculer et qu’ils aient dans leur mémoire les règles, les formules qu’ils doivent appliquer ».
47Les prétentions sont ici réduites. Il faudrait sans cela étudier la géométrie tout entière, « géométrie proprement dite [qui] doit être abandonnée aux écoles normales et aux écoles primaires supérieures ».
48Dans l’enseignement primaire supérieur et les écoles normales, les choses doivent changer. Là, la géométrie « doit reprendre tous ses droits », elle doit être totalement rigoureuse et non plus seulement pratique et empirique : « toutes les propositions doivent être démontrées rigoureusement et méthodiquement ». Elle doit être avant tout une école de logique et de bon sens, être exclusivement déductive. Il faut, dit Leyssenne, « proscrire toute intuition sensible, à l’inverse de ce que nous avions fait avec les petits enfants ». Mais, si l’auteur fait remarquer que « cette condition absolue » est partagée avec l’enseignement secondaire de la géométrie, c’est pour mieux insister sur une seconde condition tout aussi absolue et cette fois discriminatoire et spécifique du seul primaire : il faut exclure toutes les questions théoriques pures et n’admettre que les propositions qui peuvent donner lieu à des applications pratiques directes et immédiates ou celles indispensables à leur démonstration rigoureuse. L’unité du savoir est ici nettement remise en cause par la mise en avant des limites propres de l’enseignement primaire dont le corpus ne peut être identique à celui du secondaire.
49Il y a cependant, malgré ces restrictions explicites, une affirmation forte de la différence de savoir entre le primaire élémentaire d’une part, et le primaire supérieur et les écoles normales d’autre part. Elle est marquée ici, dans le domaine de la géométrie, par l’abandon de l’intuition sensible et le recours à un enseignement déductif et abstrait. Cela peut correspondre, tout à la fois, à une nouvelle ambition pour le primaire supérieur et à une nouvelle conception de la formation des maîtres qui, avec la IIIe République, devient alors autre chose qu’une éducation primaire un peu plus poussée.
50La dernière partie de l’article est consacrée à un aspect particulier de l’enseignement de la géométrie dans les écoles normales. L’auteur, prenant un ton militant, regrette l’absence d’enseignement de géométrie dans les écoles normales d’institutrices sous le prétexte que « la nature de la femme ne se prête pas aux études mathématiques ». Dans un paragraphe très intéressant, il réclame une instruction et une éducation communes pour la femme et pour l’homme, pour l’institutrice et l’instituteur. Cela sera en partie réalisé avec les nouveaux programmes de 1881, mais en partie seulement17.
51Y a-t-il eu des évolutions concernant l’enseignement de la géométrie dans l’édition de 1911 ? Dans cette seconde édition, la géométrie est intégrée à l’article « Mathématiques ». Le premier paragraphe qui y est consacré prend note des changements législatifs : la géométrie fait maintenant partie de l’enseignement obligatoire. Elle est ensuite caractérisée, y compris pour les écoles normales, comme « essentiellement pratique » et, de ce fait, inséparable de son application privilégiée, le dessin géométrique. Ainsi, et cela est une différence par rapport à la première édition, le titre de la partie consacrée à l’enseignement de la géométrie est devenu « géométrie et dessin géométrique ». On a donc ici une insistance sur le lien aux applications qui est nouvelle par rapport à l’édition précédente ; sur le lien à l’application, devrions-nous dire, dans la mesure où le Dictionnaire n’en mentionne plus qu’une, le dessin géométrique. Il n’est question en effet ni de l’arpentage, ni de la levée des plans, ni même du dessin linéaire, bien qu’il puisse s’agir, dans ce dernier cas, d’une simple évolution de vocabulaire. Nous sommes à nouveau, dans les développements correspondants de l’article, dans le registre du « pratique formateur ». Et cela d’autant plus que ce lien au dessin géométrique est complexe, voire ambigu, celui-ci faisant fonction tout autant d’application que d’initiation à l’enseignement de la géométrie.
52Dans cette édition de 1911, la référence à un enseignement pratique de la géométrie a en effet une signification nouvelle qui dépasse le seul cadre du primaire, ou même le seul cadre de l’enseignement qu’il soit de l’ordre du primaire ou du secondaire. À des conceptions générales sur la valeur formatrice du concret, s’ajoutent les effets d’une évolution du domaine mathématique lui-même. Les mathématiciens portent depuis la fin du siècle un nouveau regard sur la géométrie que Carlo Bourlet explicite dans son article du NDP : « On oublie beaucoup trop souvent que la géométrie pure est une science à base expérimentale. […] Toute la géométrie repose sur deux notions primordiales indéfinissables : celle d’une figure géométrique invariable et celle du mouvement. […] La possibilité du déplacement des figures invariables étant la raison d’être même de la géométrie, c’est le déplacement qui doit être naturellement l’instrument fondamental de démonstration dans cette science. »
53Dans sa conférence de 1908 consacrée à l’enseignement secondaire où il s’exprime à peu près dans les mêmes termes à propos de la géométrie, Bourlet ajoute l’idée, qu’il juge peut-être déplacée car trop savante pour les lecteurs du NDP, que « ce qui caractérise la géométrie dite euclidienne c’est le fait que les translations y forment un sous-groupe invariant » (Bourlet, 1908, p. 386), rattachant ainsi la géométrie « à la plus vaste des théories modernes », la théorie des groupes au sens de Galois et Sophus Lie.
54Tirant les conséquences de cette nouvelle conception de la géométrie, Bourlet continue son article du NDP en indiquant qu’un enseignement rationnel de la géométrie doit donc abandonner la géométrie d’Euclide pour lui substituer une géométrie tout aussi rigoureuse, mais plus réelle et franchement expérimentale. Pour ce qui est des écoles primaires supérieures et des écoles normales, il insiste sur le fait que l’emploi constant des déplacements élémentaires, sans cesse soutenu par la pratique du dessin, permet de ne jamais perdre contact avec la réalité, de rendre la géométrie plus intuitive, car l’application ne se sépare jamais de la théorie. Bourlet prescrit ainsi dans le NDP l’appel à l’expérience, à l’intuition sensible constitutive de la géométrie telle qu’il la conçoit alors que Leyssenne, dans l’article du DP1, la proscrivait au nom de la géométrie d’Euclide.
55Bourlet tient un discours identique en 1908 s’appuyant alors, entre autres, sur des positions de Henri Poincaré exposées dans une des conférences de 1904 tenues au Musée pédagogique pour les enseignants du secondaire (Poincaré, 1904). Tous deux ayant été, à des degrés différents, impliqués dans la réforme de l’enseignement de la géométrie lors de la grande réforme du secondaire de 1902-1905, il est particulièrement intéressant ici de réexaminer les rapports entre les enseignements primaire et secondaire de la géométrie.
56Bien qu’à plusieurs reprises dans le NDP Carlo Bourlet insiste sur les « tendances essentiellement utilitaires » de l’enseignement primaire qui « vise une utilisation pratique » tant dans les écoles primaires que dans les écoles primaires supérieures et écoles normales, les arguments qu’il avance à l’appui du programme et des méthodes qu’il préconise ne sont pas spécifiques à cet ordre d’enseignement. Ce sont les mêmes positions qui sont avancées dans la réforme de l’enseignement de la géométrie dans les premiers cycles des lycées en 1905, réforme inspirée et défendue par les mathématiciens mais fortement contestée par les enseignants. En rupture avec des instructions antérieures, ces nouvelles instructions qui s’inspirent beaucoup de l’expérience du monde primaire18, précisent :
L’enseignement de la géométrie doit être essentiellement concret ; il a pour but de classer et de préciser les notions acquises par l’expérience journalière, d’en déduire d’autres plus cachées et de montrer leurs applications aux problèmes qui se posent dans la pratique. Toute définition purement verbale étant exclue, on ne devra parler d’un événement nouveau qu’en donnant sa représentation concrète et en indiquant sa construction. […]
Au point de vue de l’explication des faits, le professeur devra faire appel à l’expérience et admettre résolument comme vérité expérimentale tout ce qui semble évident aux enfants […]. Ce qu’il importera de faire ressortir, c’est l’importance du raisonnement logique pour réduire au minimum les faits expérimentaux.
57La nouveauté des paragraphes que Bourlet consacre aux problèmes de géométrie dans la partie « géométrie et dessin géométrique » de son article est ainsi, également, une marque des conceptions de ce temps. À la différence de ce qui est écrit dans les paragraphes de l’article « Problèmes » du DP1, Bourlet y défend l’idée qu’il faut, dans les écoles primaires supérieures et les écoles normales, faire des problèmes de géométrie, et notamment des problèmes de lieux géométriques : « L’élève doit s’habituer à rechercher d’abord expérimentalement, la nature du lieu et ses caractéristiques. Il sait ainsi ce qu’il doit démontrer. » L’expérimental prépare – et non remplace, c’est essentiel – la démonstration qui est exigée. Remarquons qu’à nouveau, les ambitions pour l’école normale sont d’un tout autre registre que celles affichées pour l’école primaire.
L’entrée « Algèbre »
58L’algèbre, écrit Carlo Bourlet dans son article « Mathématiques » du NDP, « a toujours passé pour être du domaine de l’enseignement secondaire et la plupart des instituteurs, surtout ceux qui ont déjà un certain âge, n’ont pas été élevés avec la pensée qu’ils auraient un jour à [l’] enseigner ».
59Ce bilan dressé en 1911 montre le statut particulier de cette discipline qui ne fait son entrée officielle, en France, dans l’enseignement primaire supérieur et les écoles normales, qu’avec les nouveaux programmes des années 1880. L’étude du traitement qui lui est réservé dans le Dictionnaire permet d’apporter quelques éléments de réflexion supplémentaires sur les spécificités – et les oppositions – des enseignement primaire et secondaire ainsi que sur les fonctions des deux éditions du Dictionnaire.
60Un même esprit militant se retrouve dans les articles des deux éditions, même si la longueur et la nature des articles du modeste réseau algèbre de la première édition tranchent avec les développements beaucoup plus réduits de la seconde édition. Il s’agit en effet, dans les années 1880 comme trente ans plus tard, d’affirmer l’importance de la démarche algébrique et des calculs algébriques dans la résolution des problèmes qui peuvent se présenter y compris à l’école primaire. L’algèbre, présentée dans le DP1 comme une « véritable langue, admirable de concision et de clarté […], méthode à la fois excitatrice et directrice de l’intelligence », a du mal à s’imposer et à remplacer les longs calculs arithmétiques de beaucoup de problèmes. Certains, écrit Bourlet, craindraient même pour l’enfant la facilité que l’algèbre apporterait dans la résolution des problèmes.
61La stratégie avancée pour l’introduire dès avant le primaire supérieur est cependant légèrement différente dans les deux éditions. Dans l’article « Calcul algébrique, appliqué aux problèmes d’arithmétique et de géométrie de l’enseignement primaire » de la première édition, on indique les procédés pratiques qui permettront de faire résoudre aux élèves des problèmes par des équations « sans leur laisser soupçonner qu’ils font autre chose que de l’arithmétique ». Dans l’article « Mathématiques » du NDP, en revanche, Bourlet justifie plus ouvertement l’introduction de ces procédés dans l’arithmétique en faisant remarquer : « Y a-t-il aujourd’hui un ouvrier qui quelque jour n’ait pas l’occasion d’appliquer une formule ? » L’édition de 1911 expose cependant une différence de fond entre l’introduction de l’algèbre à l’école primaire (et même à l’école primaire supérieure) et dans les écoles normales. Dans la mesure où il s’agit à l’école normale de formation des maîtres, il ne sera pas inutile – écrit l’auteur – d’insister un peu plus sur le côté théorique du calcul algébrique. On retrouve à nouveau affirmée, comme dans les entrées précédentes, une nouvelle dimension de la formation des maîtres.
62La disparition, dans le NDP, des longs développements théoriques consacrés à la théorie élémentaire de l’algèbre des articles « Algèbre » et « Équations » du DP2 est d’autant plus intéressante. Elle témoigne de changements tout autant dans le paysage mathématique de l’instruction primaire que dans la fonction du Dictionnaire. L’introduction de l’algèbre dans les programmes des écoles normales, son développement parallèle dans l’enseignement secondaire, ont provoqué l’apparition de cours et de traités d’algèbre élémentaire sur le marché de l’édition qui rendent superflu le « cours d’algèbre élémentaire à l’usage des écoles normales et supérieures » que contenait l’édition des années 1880. Cette évolution n’est pas réservée à l’algèbre, la restructuration du Dictionnaire ayant, par exemple, provoqué l’élimination des longs développements théoriques des articles « Trigonométrie » et « Perspective ». La fonction du Dictionnaire semble s’être resserrée par rapport aux ambitions énoncées dans la préface du DP2. La finalité encyclopédique a été en grande partie abandonnée, probablement couverte à présent par d’autres entreprises éditoriales et par les enseignements mêmes des écoles normales qui forment une part de plus en plus importante d’instituteurs et d’institutrices.
63La comparaison de la vie des mathématiques dans les deux éditions du Dictionnaire a montré l’existence d’un certain nombre de tensions entre pratique/théorie, utilitaire/éducatif ou primaire/secondaire. Ces oppositions prouvent la complexité des enjeux et des finalités de l’enseignement des mathématiques dans l’ordre primaire. Le statut des applications des mathématiques, leur évolution d’une édition à l’autre, apparaissent au cœur de cette complexité. Présentes à travers des réseaux assez importants d’applications usuelles et sociales qui marquent les finalités du primaire dans la première édition, elles sont présentes essentiellement, dans l’article « Mathématiques » du NDP qui unifie alors le corpus, comme relevant d’une démarche pédagogique mathématique nouvelle. Ce nouveau point de vue de 1911, et l’exemple de la géométrie le prouve, n’est pas spécifiquement réservé au monde primaire ; il témoigne, il affirme même, une unité pédagogique entre le monde primaire et le premier cycle du secondaire qui s’appuie sur une unité explicite du savoir mathématique.
64Cette évolution du point de vue du Dictionnaire sur la nature et le rôle de l’enseignement des mathématiques au primaire se double d’une seconde évolution quant à la fonction même du Dictionnaire. La perte d’un savoir encyclopédique est un élément qui marque fortement la différence entre les deux éditions. Le Dictionnaire devient, dans sa seconde édition, moins un instrument d’apprentissage des mathématiques qu’un guide pour le métier. Il nous semble y voir un indice de la place de plus en plus grande de la formation des maîtres dans les écoles normales et, au-delà, une nouvelle conception de la formation.
Bibliographie
Références bibliographiques
SOURCES
Borel E., 1904, « Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire », Revue générale des sciences, n° 10, p. 431-440.
Bourlet C., 1908, « La pénétration réciproque des mathématiques pures et des mathématiques appliquées dans l’enseignement secondaire », L’Enseignement mathématique, n° 10, p. 372-387.
Poincaré, H., 1904, « Les définitions en mathématiques », L’Enseignement mathématique, n° 6, p. 257-283.
COMMENTAIRES
Belhoste B., 1995, Les Sciences dans l’enseignement secondaire français. Textes officiels, 1789-1914, INRP/Economica.
D’Enfert R., 2003, L’Enseignement mathématique à l’école primaire. Textes officiels (1794-1914), INRP.
Gispert H. et al, 2000, « Contenus mathématiques dans l’enseignement primaire, textes et contextes », Ressources, n° 1, CRDP de Versailles, p. 18-26.
Harle A., 1984, L’Arithmétique des manuels de l’enseignement élémentaire français du xxe siècle, Thèse de didactique de l’Université Paris-VII.
Helayel J., 1998, La Géométrie à l’école primaire : textes et contextes de son enseignement dans la société française de 1800 à 1938, Mémoire de DEA d’histoire des sciences de l’Université Paris V/IUFM Antony Val-de-Bièvre.
Notes de bas de page
1 Sur les textes officiels de l’enseignement mathématique dans le primaire, voir Gispert et al, 2000, p. 18-26 et d’Enfert, 2003.
2 Cette recherche soutenue par l’IUFM de Versailles et l’INRP, menée par Renaud d’Enfert, Hélène Gispert et Josiane Helayel, a abouti à la publication annotée d’une centaine de textes officiels (d’Enfert, 2003).
3 Loi sur l’instruction primaire du 8 juin 1833, Bulletin universitaire, t. III, p. 231-243 ; loi relative à l’enseignement du 15 mars 1850, Bulletin administratif, t. I, p. 57-80 ; article 9 de la loi portant organisation de l’enseignement secondaire spécial du 21 juin 1865, Bulletin administratif, t. IV, p. 82-83, et décret du 2 juillet 1866.
4 Outre les entrées et les renvois explicites, nous avons consulté d’autres articles, comme « Brevets » ou « Certificats » qui permettent d’aborder la question de la validation des connaissances d’ordre mathématique à travers les exigences requises pour ces différents examens destinés tant aux élèves qu’aux futurs maîtres.
5 Il fait environ treize colonnes et demie, tandis que l’article « arithmétique » fait environ six colonnes et demie, l’article « Géométrie » environ huit colonnes et l’article « Algèbre » environ deux colonnes et demie.
6 C’est le cas, par exemple, dans les années 1850 pour les programmes de l’école normale de Strasbourg.
7 L’article « Mécanique » renvoie à l’article « Travail des forces » et vice versa. Pour l’article « Dessin », auquel l’article « Géométrie » ne renvoie donc pas, se reporter à Renaud d’Enfert, « “Manuel (travail)” : préparer au métier ou éduquer », p. 199-222.
8 Circulaire du ministre relative à la direction pédagogique des écoles primaires du 20 août 1857.
9 On peut se référer, par exemple, aux programmes du cours supérieur des écoles primaires de la Seine en 1868, dans lesquels les notions élémentaires de géométrie plane et dans l’espace (définition des angles, de parallèles, de polygones, de perpendiculaire à un plan, etc.) figurent sous la rubrique « système métrique », « applications du système métrique à la mesure des surfaces et des volumes ».
10 En 1843, par exemple, les programmes de l’école primaire supérieure d’Avranches contiennent un enseignement de trigonométrie – comme d’algèbre d’ailleurs. Différents projets de loi de la décennie 1870 envisagent d’inscrire l’enseignement de la trigonométrie (et de l’algèbre) aux programmes des écoles normales et des EPS.
11 Nous citerons un rapport de 1847 sur l’enseignement dans les écoles normales où, témoignant du fait que l’algèbre y est enseigné, il est déclaré que « la commission est d’avis que l’algèbre ne doit point faire partie du cours normal ». La position officielle change, nous l’avons dit, après la création de l’enseignement secondaire spécial et l’enseignement de l’algèbre se généralise, différents projets des années 1870 proposant que l’algèbre puisse également être enseignée en primaire.
12 Un des thèmes d’étude de Carlo Bourlet est le mouvement de la bicyclette à propos duquel il a publié plusieurs articles et ouvrages dont un édité par le Touring Club de France dont il était adhérent.
13 Il nous a semblé intéressant d’attirer l’attention sur cette conférence de Bourlet que nous étudierons dans notre deuxième partie. Consacrée à l’enseignement secondaire des mathématiques, elle est en effet contemporaine de la parution de l’article du NDP. Elle est publiée dans la revue officielle de la CIEM, L’Enseignement mathématique, commission créée en 1908 par le 4e Congrès international des mathématiciens et dont Carlo Bourlet fut un des fondateurs.
14 Voir à ce propos Jocelyne Beguery, « Le dessin : vers une problématique de l’enseignement artistique », p. 223-254 et Renaud d’Enfert, « “Manuel (Travail)” : préparer au métier ou éduquer », p. 199-222.
15 Nous n’étudierons pas ici dans leur détail les différences précises de contenus, certains paragraphes étant soit repris d’autres articles des réseaux du DP1 et DP2, soit rajoutés, soit supprimés. Signalons, par exemple, deux ajouts, un paragraphe spécifique sur les classes enfantines et cinq lignes sur les EPS qui s’expliquent dans la mesure où les articles arithmétiques du DP1 et DP2 ont été écrits très tôt. Signalons aussi la disparition de paragraphes consacrés à la méthode du pédagogue allemand Grube sur le calcul mental.
16 Dans un manuel pour les maîtres de 1869, Marie Pape-Carpantier, développant les idées de Frœbel et Pestalozzi, défend l’alliance nécessaire, à l’école, du dessin et de la géométrie. Voir Hélayel, 1998.
17 Les programmes des EPS comme des écoles normales ont continué à être discriminants entre filles et garçons en ce qui concerne la géométrie. En école normale, par exemple, cet enseignement n’apparaît pour les filles qu’en troisième année alors que les normaliens en bénéficient durant les trois années de leur scolarité. Dans le programme des EPS de 1885 les garçons seuls ont un enseignement des lignes trigonométriques. Cette discrimination s’étend d’ailleurs à d’autres branches mathématiques comme l’algèbre où seuls les garçons ont accès au second degré. Il se peut d’ailleurs que cette limitation de l’enseignement de la géométrie pour les filles ait été liée à l’absence de certaines de ses applications pratiques dans les programmes tels l’arpentage ou le nivellement.
18 Citons les conceptions de l’enseignement de la géométrie de Charles Méray qui ont inspiré les programmes de l’école primaire supérieure de Lyon et de l’école normale de Dijon.
Auteurs
Maître de conférences en mathématiques à l’IUFM d’Aix-Marseille. Membre du DIDIREM, Université Paris 7.
Professeur d’histoire des sciences. Membre du Groupe d’histoire et de diffusion des sciences d’Orsay, Université Paris-Sud Orsay.
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