L’examen détaillé de cinq nouvelles
p. 71-100
Texte intégral
1Nous quittons donc ici la relative simplicité des comptages pour aborder une analyse plus qualitative de ces extraits de journaux télévisés. Il s’agit de dégager de ces textes (image incluse, j’entends) les stratégies discursives adoptées par chaque chaîne. Cela ne peut se faire que de manière comparative, à l’intérieur d’un univers discursif donné, ici celui des journaux télévisés français, de début de soirée, diffusés à la fin de l’année 1994. Il ne faudra cependant jamais perdre de vue le fait qu’on ne peut pas préjuger de la manière dont un récepteur donné recevra les textes qui lui sont proposés, mais cette analyse sémiologique permettra de dégager les dimensions susceptibles d’être mises en jeu lors de la réception.
2Par stratégie discursive, j’entends un ensemble de choix, de contenu certes, mais surtout de modes d’énonciation, effectués par le média. Comment se présente-t-il, bâtit-il sa légitimité ? Comment dessine-t-il son destinataire ? À quel collectif d’appartenance se réfère-t-il ? Quels savoirs, quelles attitudes suppose-t-il partagés par ses lecteurs ou spectateurs ?
3Pour pouvoir effectuer ce travail de comparaison des stratégies discursives, il est préférable d’observer la manière dont sont traités des sujets identiques. Si j’essayais de comparer, par exemple, un reportage sur une inondation réalisé par TF1 à un reportage sur une initiative du ministre de l’Environnement sur Arte, je ne pourrais pas distinguer, parmi les différences observées, celles qui tiennent à la nature de l’événement (sa gravité, son degré d’actualité, la manière dont il met en jeu les institutions, etc.) et ce qui tient à de réelles différences de stratégie d’énonciation entre les deux chaînes. J’ai donc retenu pour une analyse plus serrée les nouvelles traitées par l’ensemble des quatre chaînes étudiées. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, il n’y en a eu, à ma surprise, que trois, sur la cinquantaine d’événements qui ont donné lieu à plus de 90 présentations : les inondations dans le midi de la France et en Italie, le passage du cyclone Gordon en Haïti et l’annulation d’un permis de construire délivré en zone verte. J’y ai donc ajouté un accident rapporté par trois chaînes parmi les quatre : le déraillement d’un wagon rempli d’un produit toxique, le chlorure de vinyle, en gare d’Avignon, ainsi qu’une nouvelle traitée seulement par TF1 et France 2 : une fuite de pétrole d’un oléoduc au nord de la Russie. Je m’attends à ce que la stratégie discursive d’un journal télévisé soit relativement stable d’un événement à un autre car il en va de la relation proposée à son spectateur – c’est le fondement même du contrat de lecture. Encore faut-il se donner les conditions de confirmer – ou d’infirmer – cette hypothèse. En examinant en détail ces cinq nouvelles, en dégageant progressivement les éléments constitutifs des stratégies discursives, en m’assurant que les constatations faites pour une nouvelle valent pour les autres, je m’assure de la régularité, de la constance des pratiques de chaque journal.
4D’abord l’événement principal de ce mois entre novembre et décembre de 1994, de graves inondations dans le sud-est de la France et en Italie, va permettre de différencier le rôle du médiateur dans les deux principaux journaux télévisés, ceux de TF1 et de France 2, mais aussi de voir quelle vision du monde s’y dessine. La fuite de pétrole provenant de la rupture d’un oléoduc en Russie, traitée par ces deux chaînes seulement, permettra de confirmer et de préciser ces éléments. Le conflit juridique autour du retrait du permis de construire d’un magasin de matériel de bricolage construit en zone protégée mettra en jeu les visions du monde social des quatre chaînes, le passage du cyclone Gordon en Haïti et en Floride permettra d’examiner de plus près l’utilisation de l’image. Enfin, avec le déraillement d’un wagon de chlorure de vinyle en gare d’Avignon, on racontera des histoires !
Les inondations en France et en Italie
5Les « faits »1. Lorsque nous avons commencé le recueil de ce corpus, des inondations catastrophiques étaient déjà en cours dans le sud-est de la France et le nord de l’Italie. Toutes les chaînes les ont couvertes, et cela à plusieurs reprises.
6Dans le journal télévisé, « on » nous raconte des événements du monde. « On », c’est l’institution télévision. Le premier choix stratégique de chaque chaîne concerne la construction du médiateur, cet « être discursif » esquissé par les traces dans le texte de ceux qui nous parlent. J’ai relevé ici deux constructions opposées, deux figures extrêmes. D’un côté celle de ce que j’appellerai un médiateur fort, très présent, de l’autre un médiateur effacé. Le médiateur fort se place en quelque sorte entre le téléspectateur et le monde, il fait écran, l’information passe par lui. On le reconnaît à un certain nombre de traits caractéristiques :
- il met en scène son activité de médiation, voire son intervention dans le cours de l’événement, nous rappelant ainsi sa présence ;
- il informe et explique les événements en son nom propre, il est donc source de savoir. Il énonce des vérités générales, sans marque de prise en charge explicite (telle que « je pense que… ») ;
- il les interprète, toujours en son nom propre, source de sens ;
- il juge et accuse, souvent violemment, il est donc détenteur de valeurs supposées partagées.
7Quand au médiateur effacé, il se construit comme donnant au destinataire une vue directe sur le monde, le laissant libre de se faire sa propre opinion :
- il met moins en scène son travail de médiation ;
- il cite davantage les sources des informations qu’il transmet : au lieu de parler en son nom propre, il rapporte la parole d’autrui ;
- il marque une certaine distance dans ce qu’il rapporte, par l’humour par exemple ;
- ses dénonciations sont moins violentes et plus souvent attribuées aux acteurs de l’histoire.
8Il faut bien remarquer que cette seconde position, celle du médiateur effacé, est tout autant une construction que la première. La chaîne qui construit un tel médiateur a tout de même choisi les nouvelles qu’elle nous présente, a déterminé l’angle des prises de vue, a sélectionné les témoins interviewés, etc. Mais tout ce travail n’est pas mis en avant par le médiateur effacé, contrairement à ce que fait le médiateur fort.
9En même temps qu’un journal construit un certain type de médiateur, il dessine son destinataire. Au médiateur fort correspond un destinataire qui souhaite que l’on s’interpose entre lui et un monde qu’il a du mal a déchiffrer et qu’il peut percevoir comme menaçant. Le destinataire du médiateur effacé, au contraire, se sent à même d’interpréter les « faits » qui lui sont rapportés, et sur lesquels il souhaite une vue directe. Reste au récepteur réel d’accepter l’une au l’autre de ces positions qui lui sont proposées, de choisir le journal télévisé qui s’adresse à lui d’une façon qui lui convient. Je reviendrai longuement en conclusion sur la relation qui se noue ainsi entre la télévision et ses téléspectateurs. Pour le moment, voyons concrètement comment se construisent ces énonciateurs, médiateur fort – ce sera le cas de TF1 – ou effacé – comme à France 2.
10Tout d’abord, TF1 met en scène son propre travail en en soulignant la difficulté : dans les extraits qui suivent, on nous affirme que les images fournies permettent d’apprécier la situation, que son hélicoptère est le premier lien des villageois avec l’extérieur – le journaliste a dû lui aussi, comme les secours, avoir « énormément de mal à arriver sur place ».
11TF 1 / 7 nov. / lancement P. Poivre d’Arvor2 :
Bilan très lourd pour le nord de l’Italie, déjà 45 victimes, la presse évoque même le chiffre de 100 morts, et les sauveteurs parlent de situation apocalyptique, il n’est qu’à voir ces images que viennent de nous envoyer Christine Chapel et Henri Heiderscheid.
12TF 1/7 nov. / sujet :
Les secours ont eu énormément de mal à arriver sur place. Dans ce petit village, près de Ceva, notre hélicoptère est le premier signe extérieur que voient les habitants.
13Autre exemple de la mise en scène du travail des journalistes :
14TF 1 / 14 nov. / sujet :
Seul moyen de communication avec l’extérieur : cette tyrolienne de fortune empruntée uniquement par les pompiers. Après avoir passé la tyrolienne, nous atteignons le hameau, 2 km plus loin.
15Le lendemain, la voix off du journaliste commente les « plans » d’un reportage :
16TF 1/8 nov. / sujet :
Autre gros plan sur ces piles de pont encombrées de branchages […].
Gros plan encore sur ces centaines de chaussées construites le long des berges […].
17On ne regarde donc pas directement le pont ou les chaussées, on en regarde les « gros plans » fournis par la télévision. Évidence, à première vue ! Pourtant, un choix de stratégie énonciative se fait ici : souligner le rôle de médiation de la télévision qui fournit ces gros plans, ou au contraire le gommer, laisser l’illusion d’une vue directe sur le monde. Là où TF1 adopte la première stratégie, France 2 opte pour la seconde, s’effaçant davantage devant l’événement, choisi apparemment au hasard :
18France 2/18 nov. / lancement Bilalian :
Dans cette région du Piémont que nous venons de voir à l’instant, de survoler, arrêtons-nous dans la ville d’Alessandria, à 100 km environ de Turin. Nos reporters, C. Tortora et A. Poirier ont visité l’hôpital, ce qui fut l’hôpital de la ville. Regardez […]
19TF1 se donne une fonction supplémentaire : celle de dénoncer les insuffisance des autorités. Ce peut être en rapportant les protestations des victimes des inondations italiennes :
20TF 1 / 7 nov. / sujet :
Comme souvent, un début de polémique s’installe déjà. Les gens protestent contre les autorités locales qui n’auraient pas entretenu les digues, contre les secours qui n’arrivent pas assez vite.
21La même protestation est atténuée, et mise en perspective sur France 2 :
22France 2/7 nov. / sujet :
Aussitôt, comme le veut la tradition en Italie, la polémique a éclaté sur la lenteur des secours et l’imprévision de la météo. Mais en fait, c’est surtout l’ampleur des précipitations, inégalées depuis 1913, et des difficultés de circulation qui sont en cause.
23Cependant, le plus souvent, le médiateur de TF1 formule l’accusation – violente ici – en son nom propre, sans l’attribuer à l’un des acteurs de l’événement. Il interprète et juge lui-même :
24TF 1/8 nov. / sujet :
Depuis trois ans les mêmes causes produisent les mêmes effets, avec le rythme d’un métronome. Cinq morts, 12 morts, puis 60 morts. « C’est la faute à personne », que l’on pourrait traduire par « c’est la faute à tout le monde », a bon dos. Mais la seule analyse détaillée de ces images catastrophe suffit à dissiper la fatalité, et à dénicher quelques responsabilités. Prenez cette voiture balayée, puis transformée en aquarium avec trois cadavres à son bord. Avec une alerte générale efficace, cette famille se serait-elle aventurée dans cette balade mortelle ? Au quartier général de la protection civile à Rome, où on ne sait plus si l’on regarde « Goofy »3 de préférence aux cartes météo, on affiche une conscience tranquille.
25Mise en scène de nouveau, ici, de l’activité de la télévision, dont on nous dit que les images permettent de comprendre la situation, mais surtout dénonciation violente des manquements des autorités. Il s’agit d’un rôle que se donnent souvent les médias populaires – les anglophones parlent de championing, le fait de se poser en champion, en défenseur des victimes. J’y reviendrai plus loin. Pour l’heure, deux stratégies d’énonciation commencent déjà à se dessiner : à TF1, un médiateur très présent qui met en scène sa propre activité, interprète et dénonce en son nom propre, alors qu’à France 2, le médiateur est construit comme étant plus en retrait, s’effaçant davantage devant l’actualité. Nous aurons l’occasion d’illustrer encore ces deux positions avec les nouvelles qui suivent. Mais auparavant, j’aimerais aborder une autre composante essentielle de ces discours : la vision du monde qui s’y dessine.
26Par « vision du monde », j’entends un ensemble d’opérations de classification, de hiérarchisation, de choix d’éléments pertinents qui constituent un portrait du monde qui nous entoure, qui dit « comment ça marche », qui dit ce qui compte et ce qui ne compte pas. La notion est souvent utilisée par les anthropologues. Elle est a rapprocher de celle de worldmaking, de fabrications de mondes de Nelson Goodman4 ou encore de celle de frame, de cadre de référence, telle que l’utilise Erving Goffman5 en parlant des principes d’organisation qui gouvernent les événements sociaux et notre engagement dans ces événements, ou Jérôme Bruner6 qui la voit de manière analogue comme ce qui nous permet de découper, d’organiser les événements du monde.
27En effet, avec ces inondations, on pourrait dire que nous nous trouvons en présence de l’éternel combat de l’Homme contre les forces déchaînées de la Nature, à condition de se rappeler, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, à quel point ce dualisme est culturellement ancré dans le temps et l’espace. Mais l’issue du combat n’est pas la même pour les deux chaînes, TF1 et France 2. Le 7 novembre, elles ont toutes deux décrit la situation dans un même village isolé dans les montagnes au-dessus de Nice, à Saint-Étienne-de-Tinée. L’inondation est décrite par TF1 comme un événement violent qui isole les individus, qui les coupe du monde, devant lequel ils sont désarmés. On remarque au passage une construction assez fréquente, surtout à TF1, médiateur fort oblige, où l’interviewé confirme ce que vient d’affirmer le journaliste. Voici le départ du sujet de TF1 :
28TF 1 / 7 nov. / sujet :
L’arrière pays niçois panse quelques fois des plaies béantes, comme par exemple à Aurons ou à St-Étienne-de-Tinée. Ici, les villages sont isolés, les seules routes qui y conduisent sont coupées, et surtout, 3 500 personnes ont été privées de téléphone, coupées du monde.
29Interview d’une femme du village :
C’est vrai qu’on est coupés du monde, on peut communiquer avec personne, ça, c’est sûr.
30France 2, tout en décrivant elle aussi les graves conséquences matérielles, fait au contraire ressortir la réaction sociale, l’intervention des secours, l’entraide entre voisins, le tout avec une pointe d’humour :
31France 2/7 nov. /sujet :
Le terrain de football transformé en héliport provisoire, un lieutenant de l’armée de l’air en guise d’hôtesse. Pour leur baptême de l’air, cent quatre-vingt personnes âgées ont eu droit à une évacuation forcée de la petite ville de St-Étienne-de-Tinée, à bord de deux hélicoptères Puma de l’armée de l’air, réquisitionnés. En fait, seuls vont rester désormais les 1 200 habitants réguliers de la commune complètement isolée, les deux routes d’accès coupées. La petite ville est en quelque sorte en état de siège, les habitants ne paniquent pas pour autant, les vivres ne manquent pas pour le moment, mais il ne faudrait pas que la situation s’éternise. Deux ou trois jours d’autonomie, la course contre la montre a commencé, les travaux de la remise en état de la voirie avancent à grands pas, mais les dégâts sont très importants.
32Les images des deux reportages ressemblent aux discours : le reportage de TF1 démarre sur les voies de communication coupées, celui de France 2 sur les hélicoptères évacuant les personnes âgées et il se poursuit en montrant un magasin encore approvisionné. Il est important de noter que les mêmes informations factuelles sont données : TF1 mentionne, par exemple, le pont aérien et France 2 dit bien que les routes sont coupées. Les différences ne sont pas de l’ordre du contenu. L’insistance sur un aspect où l’autre change toute la tonalité du reportage : nous sommes bien ici au niveau de la manière de dire, de l’énonciation autant que de l’énoncé.
33Ce thème de la rupture de communication causée par l’inondation est central pour TF1 qui souligne l’isolement des individus ; le thème revient sans cesse dans les paroles des interviewés. Voici quelques extraits des interviews de victimes réalisées par TF1 en ces jours d’inondation :
J’ai vu des hélicoptères qui sont passés, mais des secours, pas vu. (un habitant, 7 nov.)
C’est vrai qu’on est coupés du monde, on peut communiquer avec personne, (une habitante, 7 nov.)
Il n’y a plus rien, je suis seul, seul, face à une montagne qui s’est écroulée, c’est tout ! (un maire, 7 nov.)
On savait pas si ma mère était en vie, si mon frère était encore en vie. On savait plus rien ! (une habitante, 8 nov.)
Je suis obligée d’arrêter de travailler, oui, on est tous malheureux dans ce pays. On est coupés du monde, et personne s’intéresse à nous. (une habitante, 14 nov.)
34Ce thème de la rupture de communication qui entraîne l’exclusion de la société est renforcé par des images de routes ou de rails emportés, souvent dans les premiers plans des reportage. L’isolement peut aussi être dans le temps et l’Histoire : c’est la destruction du cimetière dans le village de Colmar-les-Alpes, perte du passé, perte de la mémoire. Ou encore une chapelle qui menace de s’effondrer :
35TF1 / 9 nov./ sujet :
36Interview d’une femme du village
J’ai 83 ans, mais j’avais jamais vu une chose pareille. En 1916, ça avait été comme ça, mais pas... y avait moins de dégâts tout de même.
37Voix du reporter : Ça vous fait mal de voir votre village comme ça ?
38La femme : Ah, et le cimetière, et tout...
39TF1 / 19 nov. / sujet :
Elle veille sur La Garde, un joli village de banlieue toulonnaise, depuis l’an 1180. Ses habitants croyaient leur chapelle romane éternelle.
40C’est également la perte de l’avenir, puisque la destruction des routes accédant aux stations de ski risque d’entraîner la mort d’une vallée :
41TF1 / 9 nov. / sujet :
42Interview d’un habitant :
Si les moyens ne sont pas mis en œuvre très rapidement, eh bien, c’est la fin de toute la vallée.
43La rupture de communication que provoquent les inondations est évidement bien réelle, mais sur France 2, elle est traitée de manière plus technique, moins émotive. Surtout, France 2 parle de réparation et de reconstruction, montre des hommes et des femmes en train de travailler ensemble, de reconstruire, d’organiser, de secourir. L’extrait suivant, qui clôt un sujet, l’illustre bien. On y voit que France 2 ne passe pas du tout sous silence les dégâts provoqués par les inondations, mais la réaction sociale intervient toujours, comme espoir d’une solution.
44France 2/7 nov. / sujet
Et puis, il y a les routes effondrées, ces routes comme la nationale 202 entre Nice et Digne, coupée en 8 endroits différents. Les services de la direction de l’équipement ont repéré tous les points critiques. Mais impossible de dire exactement quand ces voies de communication seront à nouveau praticables. Il ne s’agit plus de réparations, mais de reconstructions. Le conseil régional va débloquer 15 millions de francs, ainsi que le conseil général, des sommes qui vont servir en priorité à la remise en état des routes. Quant au train des Pignes, son avenir est menacé, la voie ferrée entre Nice et Digne est dévastée, elle risque de le rester longtemps.
45L’armée de l’air, l’épicier du village, la direction départementale de l’équipement, le conseil régional : à tous les niveaux, France 2 met en scène la réaction du corps social face aux coups portés par la Nature, dresse une image de cohésion sociale, là où TF1 souligne le désarroi des populations :
46TF 1 / 14 nov. / sujet :
Le moral des trente-deux habitants n’est pas très bon, on dit que le pont ne sera rétabli que dans 15 jours.
47Ce sont deux visions du monde et de la vie sociale radicalement différentes que nous présentent les deux journaux télévisés. Les événements affectent-ils une société capable de réactions collectives, que ce soit de l’entraide entre voisins ou l’envoi de secours ? Ou s’acharnent-ils sur des individus isolés, abandonnés en particulier des pouvoirs publics ? Nous retrouverons ces deux thèmes dans d’autres nouvelles et j’y reviendrai longuement en conclusion.
48Et l’environnement dans tout cela ? Est-il dessiné comme un concept global, un objet de savoir possible ? On aurait pu espérer que soient expliqués les causes physiques de ces inondations ou leurs conséquences écologiques à long terme. Voici la totalité des éléments d’explication que nous ont fourni TF1 et France 2 :
49TF1 / 7 nov. / sujet :
Plus de 60 cm d’eau en 60 heures, c’est ce qui est tombé sur cette région du nord de l’Italie. Les gens protestent contre les autorités locales qui n’auraient pas entretenu les digues.
50TF 1/7 nov. / sujet :
51Interview de Gilbert Stellardo (Pdt. De la Chambre de commerce et d’industrie de Nice, Pdt. des Aéroports de France) :
Il faut absolument réaménager les digues du Var, et faire en sorte que ce fleuve soit totalement canalisé dans de bonnes conditions et proprement fait.
52TF1 / 8 nov. / sujet :
Autre gros plan sur ces piles de pont encombrées de branchages. Non pas des troncs bien droits et bien robustes, vendus depuis longtemps, mais de ces détritus abandonnés sur les pentes des deux millions d’hectares de forêt abattues depuis 10 ans. Gros plan encore sur ces centaines de chaussées construites le long des berges […]
53Interview de Giuseppe Onufrio (Greenpeace Italie) :
Il y a une mauvaise gestion de la forêt et de la montagne en général, il n’y a pas d’autorité unique en matière de gestion de l’eau et des sols.
54France 2/7 nov. / sujet :
Aussitôt, comme le veut la tradition en Italie, la polémique a éclaté sur la lenteur des secours et l’imprévision de la météo. Mais en fait, c’est surtout l’ampleur des précipitations inégalée depuis 1913, et des difficultés de circulation qui sont en cause.
55France 2/8 nov. / lancement Bilalian
En fait, les précipitations importantes n’ont pas été si exceptionnelles que ça7. En revanche, à force de vouloir, bétonner, construire, goudronner, trop construire, on s’aperçoit que la nature est un peu à l’étroit dans ses nouveaux habits.
56France 2/8 nov./sujet :
57Interview de Patrice Miran (conseiller régional écologiste) :
À Nice, qu’est-ce que nous faisons depuis des années ? Nous comblons les vallons. C’est à dire que l’eau du Var qui s’épandait à travers plusieurs sorties vers la mer est concentrée de plus en plus sur un seul chenal, ce qui fait qu’évidemment, chaque fois que nous avons des pluies torrentielles très importantes comme c’est fréquent sous nos climats, le débit de nos fleuves méditerranéens atteint des proportions tout à fait considérables.
58Voix off du reporter :
En fait, les géologues expliquent que le Var a tout simplement repris son lit naturel.
59Il peut être intéressant de comparer ces explications à celles d’Arte, qui occupent plus de la moitié de l’unique sujet consacré aux inondations dans notre période d’étude. Elles ne sont guère plus détaillées mais la place relative qui leur a été accordée est bien entendu plus grande :
60Arte / 7 nov. / sujet :
[…] une catastrophe qui ne vient pas uniquement du ciel, mais aussi de la destruction systématique de l’environnement.
[…]
61Voix off du reporter :
Six millions d’hectares de forêt et de pâturages ont été bétonnés depuis 1945, la plupart des cours d’eau canalisés. La presse italienne est unanime aujourd’hui : les crues catastrophiques de ces derniers jours peuvent se reproduire à tout moment.
62Mauvaise exploitation des forêts, urbanisation, canalisation excessive des rivières – et précipitations importantes sont invoquées. Éléments importants certes, mais pour les relier il faut que le téléspectateur sache qu’un terrain boisé retient mieux l’eau de ruissellement qu’un terrain dénudé, et pourquoi. Qu’il ait une idée de la proportion de la surface au sol d’une ville qui est bétonnée ou goudronnée donc devenue quasi imperméable. Qu’il sache que les digues de la plaine du Pô avaient été régulièrement entretenues depuis des millénaires. Les explications ne remontent que rarement en amont de l’événement, n’abordent pas l’évolution des techniques agricoles, par exemple. Elles sont peu importantes en volume et enfin elles ne contribuent guère a donner l’impression qu’il y aurait peut-être eu moyen de prévoir la catastrophe, ou même de l’éviter, que la société aurait pu avoir prise dessus.
63Cette première nouvelle a permis de mettre en évidence des différences nettes entre la stratégie d’énonciation de TF1 et de celle de France 2. Médiateur fort, face à un monde en décomposition pour la première, médiateur effacé devant un monde éprouvé, certes, mais capable de réaction sociale pour la seconde. La nouvelle suivante va les confirmer.
L’Oléoduc Russe
64Les « faits ». Des fuites dans un oléoduc dans l’extrême nord de la Russie ont été révélées par l’association écologiste Greenpeace, et ce depuis plus d’un mois déjà puisqu’il y avait eu des reportages à TF1 et à France 2 en octobre. Ce n’est donc pas un sujet qui s’impose par son actualité immédiate. Seules les deux chaînes principales en parlent durant la période étudiée ici, en des jours différents, et à deux reprises pour TF1 :
- le 7 novembre, TF1 commente des images de Greenpeace avec un plateau de situation à Moscou du correspondant permanent, Patrick Bourrât.
- le 14 novembre, le correspondant de TF1 est sur place, dans la petite ville d’Oulinsk.
- le correspondant à Moscou de France 2, Dominique Derda, accompagné de Jean François Bernigaud, tourne un reportage sur place dans le village de Kolva, le 23 novembre.
65Nous avons donc trois reportages, dont deux, ceux du 14 et du 23 novembre, sont tournés dans des conditions assez semblables, sur place et par les équipes des chaînes. Ils ne sont pas diffusés le même jour, mais ils décrivent une même situation qui dure depuis longtemps. Il s’agit de nouveau d’une catastrophe, mais qui cette fois n’a rien de naturelle. Plus encore plus que dans le cas des inondations, TF1 dénonce, avec force, les manquements des autorités locales. Dans le premier sujet, durant le commentaire des images de Greenpeace, les opinions des écologistes ou des experts sont reprises – la dénonciation n’est donc pas faite en nom propre par le journaliste.
66TF1 / 7 nov. / sujet :
À partir de combien de centaines de milliers de tonnes de pétrole la compagnie Kominieft considérera qu’il faut arrêter le pompage, se demandent aujourd’hui les écologistes consternés. La crainte des experts, c’est que la marée noire figée par le gel – il fait moins 25 dans cette région – ne se déplace au printemps vers l’océan Arctique.
67En revanche, la dénonciation est directe dans le lancement du même sujet et encore plus à la fin dans le plateau de situation à Moscou, où le journaliste est mis en scène à l’écran, son micro à la main :
68TF1 / 7 nov. / lancement P. Poivre d’Arvor :
Autre catastrophe, mais celle-là n’est pas naturelle […] Les autorités russes démentent et continuent de pomper, en dépit de tous les risques encourus. […]
69TF1 / 7 nov. / plateau de situation P. Bourrat :
Le laxisme des autorité russes en matière de protection de l’environnement, ce n’est pas nouveau. Des catastrophes écologiques en Sibérie, il y en a déjà eu, il y en aura malheureusement encore. Deux explications : l’irresponsabilité héritée de l’époque communiste, et à cela s’ajoute aujourd’hui l’obsession du profit.
70Dans le reportage réalisé sur place quelques jours plus tard par TF1, cette dénonciation devient plus violente encore, toujours en style direct. Un plateau de situation met de nouveau en scène le journaliste, cette fois au début du sujet :
71TF1 / 14 nov. / plateau de situation P. Bourrat :
De telles fuites, de tels incendies sont fréquents ici, tout au long de l’oléoduc de la République des Comices dans le Grand Nord. Parce qu’il n’y a pas d’entretien, le personnel n’est pas du tout payé, et enfin, l’oléoduc n’est pas remplacé aussi souvent qu’il le faudrait. Voilà les raisons de cette catastrophe écologique qui est aussi une catastrophe économique.
72TF1 / 14 nov. / sujet :
Il n’y a pas d’opinion publique à Ousinsk, tête de réseau de l’oléoduc, pas d’écologiste indépendant non plus, ceux de la mairie ont peur de parler. Toute la ville est sous la coupe de la compagnie de pétrole Kominieft qui verse de maigres salaires avec trois mois de retard. Comment vérifier si les dirigeants actionnaires de Kominieft, hier fonctionnaires d’État, n’ont pas de comptes en dollars à Chypre ou aux îles Caïman ?
73La référence, ici, à l’opinion publique est intéressante, car elle parle en fait du rôle du journaliste : celui-ci avait pour rôle traditionnel de la représenter, avant qu’il ne soit assez largement supplanté par les sondages d’opinion8. En appeler à l’opinion publique – ou sa prétendue absence – est un élément de la construction du médiateur fort, « champion », défenseur des faibles.
74Pour France 2, la gravité de la situation provoquée par cette fuite de pétrole n’est nullement occultée :
75France 2/ 23 nov. / lancement B. Mazure :
Une catastrophe écologique majeure qui désespère, vous allez le voir, les habitants de cette région qui se sentent totalement abandonnés.
76« Totalement abandonnés », et pourtant... Nous allons voir que France 2 va tout de même décrire une réaction du corps social devant une situation qu’elle dépeint pourtant comme étant grave. La communauté n’a pas perdu toute cohésion :
77France 2/23 nov. / sujet :
Le petit village de Kolva semble vivre comme si rien ne s’était passé.
78On nous montre un magasin où sont encore exposés des produits alimentaires (tout comme dans le village isolé par les inondations dans le sud de la France !), la réaction des agriculteurs face à la pénurie de foin, ou encore celle de femmes réunies dans une pièce pour écrire des lettres de protestation :
79France 2/23 nov. / sujet :
La sonnerie annonce l’ouverture de l’unique magasin, on y trouve de tout, c’est à dire pas grand chose, l’essentiel, et encore. […]
A la ferme collective, on a déjà divisé par deux les rations de fourrage. […] Certains ont bien écrit de timides lettres de protestation, rédigé de modestes demandes de dédommagement, mais comme toujours, ils se sont heurtés à l’indifférence de la toute puissante compagnie pétrolière.
80Il ne s’agit pas du tout d’un optimisme béat : il y a peu de produits, pas assez de fourrage, les lettres n’aboutissent pas. Et pourtant, le corps social lutte encore. On remarque que la dénonciation de « l’indifférence » des autorités ou de la compagnie pétrolière est à la fois moins violente et relève moins de l’accusation nominative que sur TF1. Pour cette dernière, la situation est plus désespérée et elle ne nous montre pas de réaction sociale :
81TF1 / 7 nov. / sujet :
La faune et la flore qui ont échappé à la marée visqueuse de ces dernières semaines sont irrémédiablement brûlées par les résidus. […]
Les marécages sont très difficiles d’accès, pompages et nettoyages sont pratiquement impossibles.
82TF1 / 14 nov. / sujet :
Les dégâts irréparables se révéleront au printemps, à la fonte des neiges.
83Nous pourrions évoquer ici « l’actualité tragique » dont parlent François Jost et Gérard Leblanc9. Tragique, c’est à dire, selon le dictionnaire, « qui est propre à la tragédie, évoque une situation où l’homme prend douloureusement conscience d’un destin ou d’une fatalité qui pèse sur sa vie, sa nature ou sa condition même » ou de façon plus banale « qui inspire une émotion intense, par son caractère effrayant ou funeste »10. L’adjectif caractérise donc la réception de cette actualité. Or, nous ne savons pas ce qu’évoquent ou inspirent ces nouvelles chez le téléspectateur. Certes, en dépeignant ces dégâts comme irréparables, TF1 propose au téléspectateur une vision du monde qu’il pourra en effet trouver tragique. Mais il pourrait tout aussi bien la trouver exagérément dramatisée, noircie, laissant trop peu de place aux capacités de résistance des hommes et des paysages. Alors ce téléspectateur-là préférera peut-être regarder le journal de France 2.
84Cependant le mode de présentation que Jost et Leblanc qualifient de « tragique » n’est qu’une des stratégies discursives possibles. Elle correspond à cette construction de la vision d’un monde désagrégé : c’est celle qu’a adoptée TF1, ce n’est pas celle de France 2. Il ne s’agit donc pas d’une caractéristique générale du journal télévisé. En effet, France 2 n’a pas évoqué ainsi l’irréversibilité des dommages, et a terminé son reportage en instaurant de nouveau une certaine distance, ainsi :
85France 2/ sujet / 23 novembre :
La nuit tombe tôt dans le Grand Nord, et l’hiver dure si longtemps qu’il semble avoir façonné le caractère des hommes, fait de fatalisme et de résignation.
86Cette distance prise, ce lyrisme, cette façon de relativiser les événements est propre à France 2, nous les retrouverons souvent. Comme l’humour, elles font partie de la construction du médiateur effacé, une manière pour lui de se mettre en retrait.
87J’ai cherché, comme pour les inondations, les explications d’ordre écologique. La fuite de pétrole, on l’a vu, est attribuée au mauvais état d’entretien des oléoduc, lui même conséquence de la situation politique russe. Les aspects socio-économiques, certes gravissimes, de l’événement sont donc assez bien couverts, que ce soit au niveau des causes ou des conséquences. Mais, les effets sur l’environnement sont relativement peu analysés, au-delà des affirmations de leur caractère irrémédiable que nous venons de voir. Que nous explique-t-on de la toxicité du pétrole, des effets mécaniques de l’engluement, des capacités de récupération des marécages, etc.?
88TF1 / sujet / 7 novembre :
Du pétrole qui bout avant de s’enflammer, il est très chargé en souffre et produit des nuages toxiques depuis trois jours.
89TF1 / sujet /14 novembre :
Le pétrole de la Cariaga corrode rapidement des tubes qui n’ont pas été changés depuis 10 ans, faute d’investissement.
90FR2 / sujet / 23 novembre
91Interview d’un homme :
Bien sûr que ça m’inquiète, parce que le bétail va mourir. […] Parce que dans les pâturages, partout il y a du pétrole.
92Voilà tout ce que nous apprendrons. Une fuite de pétrole, c’est clairement mauvais, mais on ne nous dit pas précisément pourquoi !
93Le travail de l’image est intéressant dans les deux reportages faits sur place par les journalistes des deux chaînes. Le sujet de TF1 débute et finit sur des flammes et des panaches de fumées noires. Le cameraman utilise à plusieurs reprises des plans très rapprochés, sur les mains du responsable de la société pétrolière, sur les fils électriques dénudés d’un taudis, sur les visages de ses habitants, un effet de style cinématographique souvent employé pour tenter de dramatiser une situation et renforcer l’idée de danger. À l’inverse, France 2 commence son reportage sur une barque sur une rivière gelée et finit sur les fenêtres éclairées des maisons, de nuit, « poétisant » ainsi la situation, – et marquant toujours une certaine distance par rapport à l’événement. Contrairement à TF1, elle ne fait pas de plateau de situation, autre élément d’une rhétorique de l’urgence et du drame.
94Nous retrouvons ainsi, avec une autre nouvelle, les mêmes caractéristiques que nous avions rencontrées dans le traitement des inondations : un médiateur plus présent à TF1, volontiers dénonciateur, et une vision d’un monde sans cohésion sociale ; un médiateur plus distancé à France 2 qui évoque sans cesse les réactions de la communauté. Il s’agit d’une distinction extrêmement importante, car elle concerne la façon dont est dessiné le maintien du lien social, dans l’entraide et les secours, ou sa perte, matérialisée, dans le cas des inondations, par l’insistance sur la rupture des voies de communication. La nouvelle suivante va confirmer cette différence dans un tout autre domaine.
Le retrait du permis de construire
95Les « faits ». Un grand distributeur de matériel de bricolage, la société Leroy-Merlin, avait obtenu un permis de construire sur un terrain de la commune de Balma, dans la banlieue de Toulouse. Il y avait construit un magasin et embauché un certain nombre de personnes. Mais le terrain sur lequel était bâti le magasin était en « zone verte », donc protégée. Sur plainte des écologistes, le tribunal a annulé le permis de construire et la société a licencié ses nouveaux employés. Le 25 novembre, les écologistes d’un côté, les employés licenciés de l’autre, manifestent à la mairie de Balma.
96Que voilà un bel exemple de conflit entre les préoccupations écologiques et les activités des Hommes, arbitré par la loi ! Peut-être est-ce pour cette raison que la nouvelle, qui aurait pu n’intéresser que les Toulousains, se trouve être l’une des trois seules traitées par l’ensemble des quatre chaînes pendant le mois. Cet événement est déclenché par une décision juridique. Or le droit est une des manifestations fondamentales de la cohésion sociale, liant entre eux les membres de la communauté et régissant leur vie commune.
97Pour TF1, nous assistons à une bataille juridique à l’issue incertaine :
98TF1 / 25 nov. / sujet :
Au centre de la bataille juridique qui les oppose, un magasin Leroy-Merlin de 14 000 m2 [...]
La bataille juridique s’est maintenant déplacée sur le terrain de l’emploi […] La société de bricolage a fait appel de la décision du tribunal administratif. Dans l’immédiat, le magasin qui a coûté 50 millions de francs ne sera pas démoli, il pourrait bien ouvrir un jour. (fin du sujet)
99À France 2, par contre, le droit est présenté comme une référence intangible face aux enjeux socio-économiques :
100France 2 / 25 nov. / sujet :
Ils [les employés] brandissent leur emploi menacé, lui [un militant écologiste] défend la zone verte, et cette fois, il a le droit pour lui [...]
Mais les juges ont fait abstraction du contexte économique et social pour s’en tenir au droit [...]
Dans la balance de la justice, un énorme enjeu financier, mais aussi la crédibilité des schémas d’urbanisme de nombreuses communes, (fin du sujet)
101Le droit est une référence aussi pour France 3, mais un peu moins intangible – on obtient des décisions – et les personnes concernées sont très présentes dans le texte :
102France 3 / 25 nov. / lancement :
Les écologistes ont obtenu du tribunal administratif l’annulation du permis de construire d’une grande surface érigée en pleine campagne. […]
[Les employés] s’y attendaient, mais la décision du tribunal d’annuler le permis de construire de la grande surface les a laissés désespérés et révoltés. […] Pour les employés déjà embauchés, une seule certitude, le magasin ne sera pas rasé tout de suite, Leroy Merlin a décidé de faire appel de la décision du tribunal. (fin du sujet)
103Arte dépersonnalise au contraire l’affaire, avec une remarquable absence d’acteurs humains – c’est « le magasin » qui « voit » son permis annulé, puis « la grande surface » qui a dû débaucher et qui fait appel :
104Arte / 25 nov. / sujet :
À peine construit et déjà menacé de destruction. Le tout nouveau magasin Leroy Merlin, dans la banlieue de Toulouse voit son permis de construire annulé par le tribunal de commerce de la ville. En cause, son implantation dans une zone censée rester verte. La grande surface qui a dû débaucher la centaine d’employés qu’elle venait de recruter a décidé de faire appel du jugement. (texte du sujet en entier)
105Les employés menacés de licenciement ont manifesté devant la mairie de Balma en brandissant des pancartes, mais on ne les verra que dans les reportages de France 2 et France 3 : ni banderoles, ni employés à TF 1, ou sur Arte ! On ne peut que spéculer sur les raisons de cette omission, à partir du seul corpus. TF1 et Arte ont pourtant diffusé d’autres images tournées sur place, du magasin, du maire, d’écologistes. TF1 utilise apparemment certaines images de France 3, en particulier les entretiens du directeur du magasin et de l’écologiste. Cela n’est pas indiqué, mais les angles de prise de vue et les textes sont identiques. Pourtant le sujet est signé de cinq noms, ce qui tend à indiquer qu’il y a eu une équipe sur place. Qu’ils aient « manqué » la manifestation ou qu’il s’agisse d’un choix délibéré, ce sont des images de la cohésion du petit groupe des employés qui ne seront pas montrées. Les images de TF1 sont d’ailleurs étonnamment vides de personnes : magasin vide, parking vide, balançoires vides, terrain envahi par les herbes folles...
106Dans ce conflit qui oppose des impératifs sociaux aux arguments écologiques, les deux aspects ne sont pas également présents dans les commentaires des reportages, pas plus qu’au niveau des images. Pour France 2, les enjeux sont sociaux et économiques, les « victimes » parlent au pluriel :
107France 2 / 25 nov. / sujet
108Interview de Christine Fastrez (employée de Leroy-Merlin) :
Je ne comprends vraiment pas la décision de ce jugement parce qu’elle est vraiment très douloureuse pour nous. Cent cinquante emplois ! Nous sommes de retour dans notre pays. Nous sommes 150 et pour un petit bout de gazon, on se retrouve sans rien, sans rien.
109Pour TF1 comme pour Arte, il n’est pas plus question de la réaction collective des employés dans le texte que sur l’image. Arte n’évoque aucune solution à leur problème d’emploi, et pour TF1 l’issue est individuelle, « pour chaque cas » :
110TF1 / 25 nov. / sujet :
Leroy Merlin avait préalablement embauché une centaine de personnes, la moitié d’entre elles se trouve ce soir sans travail.
111Interview de Jean François Ferrier (directeur de Leroy-Merlin) :
On va s’occuper de chaque personne, je vais les rencontrer, je vais étudier chaque cas pour faire des reclassements. Ça ne sera pas facile, il faut trouver des solutions pour chaque cas.
112Et qu’en est-il de l’environnement ? France 3 emploie sans hésiter le mot en lançant le reportage :
113France 3/25 nov. / lancement E. Cachart :
Nous ouvrons maintenant une grande page consacrée à l’environnement.
114Pourtant l’enjeu environnemental est peu présent dans son reportage. Le social et ses conflits, l’emportent nettement sur la Nature. Le reportage commence du côté des employés licenciés et du patron, unis dans un même combat. De très nombreux plans-images sont consacrés à la manifestation. À la fin seulement du reportage, on fait intervenir un membre de l’association écologiste « Aspect » mais les arguments qu’il avance portent aussi sur les aspects sociaux de la question :
115France 3/25 nov. / interview de Alain Pécastaing (association Aspect) :
Ils ont sciemment embauché du personnel pour créer la possibilité de faire un chantage à l’emploi, et pour faire pression sur le tribunal et sur tout le monde. Donc ça, c’est inacceptable, et c’est même indigne. Je crois qu’on ne peut pas accepter un raisonnement qui conduit à dire : « parce que je vais créer des emplois, je suis au dessus des lois, je peux faire n’importe quoi, construire n’importe où et n’importe comment ». C’est intolérable, ce serait la loi de la jungle dans notre société.
116Ainsi, pour toutes les chaînes, nous sommes à côté du problème écologique. L’enjeu environnemental n’est ni expliqué (qu’est-ce qu’une coulée verte, pourquoi y en a-t-il une en cet endroit...?) ni surtout légitimé. Voici les arguments avancés, qui sont souvent agrémentés d’une petite prise de distance :
117TF1 / 25 nov. / lancement C. Chazal :
Les écologistes qui avaient porté plainte avaient estimé que le bâtiment n’était pas conforme au projet d’urbanisme, prévoyant notamment l’installation d’une coulée verte à cet endroit.
118TF1 / 25 nov. / sujet :
D’un côté l’association Aspect qui a pour credo le respect de l’environnement […] Le magasin a été construit sur une zone verte, donc protégée.
119France 2/25 nov. / lancement B. Mazure :
[…] une grande surface qui a été construite sur une coulée verte, d’où une plainte déposée par les écologistes locaux,
120France 3/25 nov. / lancement E. Cachart :
[…] l’annulation du permis de construire d’une grande surface érigée en pleine campagne.
121France 3 / 25 nov. / sujet :
Pour sa part, l’association de protection de l’environnement qui a révélé toutes les irrégularités du dossier réfute l’argumentation sur l’emploi.
122Arte / 25 nov. / sujet :
En cause, son implantation dans une zone censée rester verte.
123Ce léger scepticisme peut se comprendre lorsqu’on visite le site – une exception à la règle générale, car le plus souvent on ne connaît de la nouvelle que ce qu’en disent les médias. Or, il se trouve que je connais moi-même les lieux, que je peux donc opposer une vision personnelle de l’événement à celle des médias. Le magasin, dont l’enseigne drapée de bâches se reconnaît facilement, est situé à environ 300 mètres de la rocade est de Toulouse, dont il est séparé par les pistes de l’Aéro-club de la ville ! Peut-être la zone au-delà du magasin est-elle protégée pour conserver un minimum d’espaces verts, toujours est-il que l’enjeu environnemental ne saute pas aux yeux ! Mais ces éléments ne sont pas explicitement mentionnés par les journaux télévisés examinés ici. Et c’est la description faite par les médias qui construit socialement l’événement pour tous les téléspectateurs qui ne connaissent pas personnellement la banlieue de Toulouse.
124Du combat entre emploi et environnement, le premier sort donc nettement gagnant puisque ses impératifs sont légitimés dans tous ces reportages. Reste, qu’encore une fois, la cohésion du groupe et l’action collective sont mises en scène à France 2 et France 3, alors qu’elles sont quasiment absentes des journaux de TF1 et d’Arte. De plus, les impératifs juridiques, autre aspect du lien social, sont questionnés par TF1 – toujours la même vision d’un monde à faible cohésion sociale. C’est ainsi que nous voyons peu à peu se mettre en place et se confirmer les positions d’énonciation des différents journaux.
Le cyclone Gordon
125Les « faits ». De nouveau une catastrophe naturelle : le cyclone Gordon a balayé Haïti d’abord, puis la Floride. Il s’agit cependant d’un événement différent des inondations par certains aspects : il est bien mieux localisé dans le temps – et dans l’espace, vu de loin – et les débordements de la Nature sont tels qu’on ne saurait reprocher aux Hommes leurs insuffisances ! Aucune des chaînes ne semble avoir réalisé de reportage sur place. Elles ont puisé le plus souvent dans les mêmes images internationales, les « EVN » (fournies par l’Eurovision News Exchange), montées avec un commentaire fait à Paris. On voit bien ici que mot « sujet » n’est pas forcément synonyme d’un reportage fait par un journaliste envoyé sur place. C’est la troisième – et dernière – nouvelle qui a été abordée par l’ensemble des quatre chaînes, choisie peut-être pour ses images spectaculaires. Elle a été traitée en quatre temps :
- l’annonce, sans images, le 14 novembre (TF1),
- le passage du cyclone en Haïti puis en Floride, avec des images EVN, le 15 novembre (TF1, France 2, Arte),
- un bilan de ce passage, sur d’autres images, le 16 novembre (France 3),
- le passage du cyclone en Caroline du Nord, avec des images EVN, le 18 novembre (TF1, France 2, France 3).
126Face à cette catastrophe naturelle, comme lors de la fuite de pétrole en Russie, France 2 adopte le ton plutôt lyrique qui participe de sa stratégie générale de construction d’un médiateur effacé. Celui-ci garde en effet une certaine distance par rapport aux nouvelles qu’il annonce, que ce soit par la plaisanterie – celles du présentateur Bruno Mazure, écarté depuis, sont célèbres – ou par l’adoption d’un style très personnel des journalistes. Les différences de style disent au téléspectateur qu’il n’y a pas une manière unique de raconter une information ou de l’interpréter – à l’opposé de la stratégie d’énonciation du médiateur fort. Le médiateur effacé laisse ainsi place à l’interprétation du destinataire, et le construit donc comme étant à même de l’élaborer lui-même. Reste à savoir si le téléspectateur réel appréciera ou non cette position qui peut être perçue comme valorisante, mais qui peut aussi lui sembler trop exposée aux aléas et à la complexité du monde.
127Le lyrisme dont je parlais plus haut est une spécialité de l’auteur des sujets de France 2 du 15 et du 18 novembre, Patrice Romedenne. On le retrouve dans différents sujets diffusés par la chaîne, par exemple à l’occasion d’une invasion de la ville de Nancy par des grenouilles :
128France 2 / 11 nov. / sujet :
Marcel Pagnol vous en aurait parlé mieux que nous, lui qui avec un filet d’eau et une pointe d’accent, nous enivra des aventures de Jean de Florette.
129Style d’un individu, certes, mais le fait qu’un reporter puisse apposer ainsi sa marque personnelle sur les nouvelles fait partie de l’ensemble du dispositif d’énonciation de France 2, tel que nous le voyons se mettre en place peu à peu. Dominique Derda n’avait d’ailleurs pas adopté un ton très différent dans son reportage sur la fuite de pétrole en Sibérie. Les différences que nous constatons ne se situent pas au niveau des individus mais d’une stratégie d’énonciation propre à chaque chaîne, justement ce qu’on a pu appeler son « style », ou son « ton ». Nous sommes au niveau de la proposition de « contrat de lecture » entre chaque journal télévisé et ses téléspectateurs, comme nous le discuterons dans le prochain chapitre. Mais, pour revenir au cyclone Gordon, voici quelques exemples de ce ton lyrique :
130France 2 / 15 nov. / sujet :
Pour la Nature, cruauté rime avec pauvreté dans ce quartier déshérité.
131France 2 / 18 nov. / sujet :
Mais dans l’océan de malheur, émerge toujours un îlot de bonheur.
132S’y ajoute une pointe d’humour qui sert à terminer chacun des sujets sur une note optimiste, et humaine, que ce soit avec un homme en train de surfer sur les vagues déchaînées ou avec un bébé sauvé des eaux :
133France 2 / 15 nov. / sujet :
Mais l’Américain est optimiste, pendant que l’océan lèche ces premières maisons, il sort son surf. Il est vrai que l’œil du cyclone n’est encore qu’à 200 km de là. (fin du sujet)
134France 2 / 18 nov. / sujet :
Mais dans l’océan de malheur, émerge toujours un îlot de bonheur. À bord de ce bateau qui fait cap sur la Colombie, trois adultes surpris par Gordon, le père, la mère, la fille héli-treuillés un à un. Trois adultes, disions-nous, et un enfant. Il est né à bord, il n’est pas sûr que ses parents le baptisent Gordon. (fin du sujet)
135Les images du surfeur, à peine visible au milieu des embruns, sont diffusées aussi par TF1 mais sans commentaire ce qui fait qu’on a peu de chances de l’apercevoir. Là où France 2 a terminé dans l’optimisme, TF1 maintient la figure de la menace naturelle :
136TF1 / 15 nov. / sujet :
Selon le directeur du Centre national des ouragans, la tempête devrait se renforcer dans les heures qui viennent, Gordon est loin d’avoir fini sa route. (fin du sujet)
137TF1 a également présenté le sauvetage du bébé « âgé de quelques mois », mais sans plaisanteries et a fait suivre cette séquence – la même qui avait permis à France 2 de finir sur une note optimiste – d’images de maisons effondrées. L’angoisse subsiste :
138TF1 / 18 nov. / sujet :
L’œil de l’ouragan, autrement dit son centre nerveux, est toujours en ce moment sous très haute surveillance. Une alerte rouge a été déclenchée sur 200 km de côte. (fin du sujet)
139Une stratégie énonciative de distanciation lyrique et humoristique, donc, à France 2, totalement absente à TF1. Les deux autres chaînes ont un commentaire plus sobre. Sur Arte, le ton est factuel au possible et le commentaire regorge de chiffres :
140Arte / 15 nov.
Des dégâts considérables après le passage du cyclone Gordon dans les Caraïbes. Rien qu’en Haïti, on dénombre plus de 100 victimes, et des milliers de sans-abri. Des dizaines de victimes également à la Jamaïque et à Cuba. En Floride, le cyclone a privé d’électricité plus de 200 000 foyers.
141France 3 est factuel aussi, mais la réaction sociale – une cellule d’urgence et l’envoi de matériel – apparaît :
142France 3/16 nov. / présentateur en voix-off
Le bilan de la tempête tropicale Gordon : il atteint ce soir près de 450 morts et 50 disparus. C’est en Haïti que la totalité des victimes a été dénombrée. Une cellule d’urgence a été installée au ministère des Affaires étrangères en France, et du matériel devrait être envoyé sur place dans les heures à venir. La tempête touche maintenant la Floride, mais beaucoup moins violemment.
143Pour illustrer cette nouvelle, les chaînes ont à plusieurs reprises utilisé les mêmes images EVN qu’elles ont montées différemment, ce qui permet de comparer les stratégies d’énonciation visuelle, et d’examiner la façon dont texte et images peuvent être reliés. Parmi les images du 15 novembre à Haïti, France 2 a gardé de nombreuses scènes de foules, en particulier massées autour d’un autobus bariolé, embourbé jusqu’aux essieux. TF1 n’a pas repris ces plans, pas plus que ceux des manifestants dans l’affaire Leroy-Merlin. À France 2, plutôt le collectif, à TF1, l’individuel. Les deux chaînes montrent l’intervention de l’armée, mais à TF1 on voit un soldat repousser la foule avec son fusil tenu à deux mains, à l’horizontal devant lui. La séquence qui illustre la même information sur France 2 est extraite de la même prise de vue panoramique, mais montre des soldats qui discutent avec les habitants. L’un des soldats a posé une main sur l’épaule d’un habitant. France 2 montrera également des morts, dont des enfants11.
144Les images sont de même origine le 15 novembre, sur TF1, France 2 et Arte, mais elles sont montées différemment et évidemment avec des commentaires différents. Pour essayer de rendre compte du lien fait entre l’image et le commentaire – on arrive ici aux limites d’une description statique d’une séquence en mouvement ! – je décris certains plans entre parenthèses, en soulignant ceux dont le commentaire coïncide d’assez près avec le contenu de l’image.
145TF1 / 15 nov. / sujet :
(Haïti : des individus déblaient) Gordon a finalement quitté Haïti, laissant derrière lui au moins une centaine de morts. Cette terrible dépression tropicale est toujours accompagnée de pluies et de vent soufflant à plus de 100 km/h. Alors, depuis lundi soir, l’état d’urgence est décrété à Port-au-Prince, et l’armée a été (on voit des soldats) appelée pour venir en aide aux sinistrés. Ce sont malheureusement les quartiers les plus pauvres de la capitale qui sont principalement touchés (gens qui déblaient). La tempête se déplace donc depuis plusieurs jours à plus de 20 km/h.
(Images de tempête dans une ville) Les dégâts sont considérables dans les îles Caraïbes, et après avoir balayé la Jamaïque et Cuba, (arbres penchés par le vent) Gordon frappe désormais le sud de la Floride (un feu tricolore ballotté par la tempête). Ses effets commencent déjà à se faire sentir, plus de 180 000 foyers sont privés ce soir d’électricité. Aux alentours de Miami, les écoles et les universités ont été fermées, et ce, à la demande expresse des autorités (le surfeur). Selon le directeur du Centre national des ouragans, la tempête devrait se renforcer dans les heures qui viennent, Gordon est loin d’avoir fini sa route.
146France 2 / 15 nov. / sujet :
(Haïti) Il n’a pas fallu 24 heures pour transformer Port-au-Prince (gens dans la boue) en un champ de boue, et pourtant, Gordon n’a fait que passer. Le gouvernement déclare l’état d’urgence, il en appelle aux bons services aux ONG pour qu’elles prêtent main forte aux soldats américains présents dans la capitale (soldats) haïtienne. Pour la nature, cruauté rime avec pauvreté dans ce quartier déshérité, (on voit porter un cadavre) des maisonnettes se sont écroulées sur leurs occupants, (femmes qui pleurent puis enfants morts) Trois enfants, trois morts sur les 200 que la tempête laisse dans son sillage, poursuivant sa route, comme étrangère au désastre. Après la Jamaïque, après Cuba, après Haïti, elle menace les côtes américaines.
En Floride, 60 000 foyers sont privés d’électricité, et la seule victime pour l’heure s’appelle Atlantis, (des arbres penchés). La navette devait atterrir à Cap Canaveral, (le feu tricolore) la NASA l’a détournée sur la Californie. Mais l’Américain est optimiste, pendant que l’océan lèche ses premières maisons, il sort son (le surfeur) surf, il est vrai que l’œil du cyclone n’est encore qu’à 200 km de là.
147Arte / 15 nov. :
Des dégâts considérables (un homme déblaie) après le passage du cyclone Gordon dans les Caraïbes. Rien qu’en Haïti, on dénombre (enfant mort) plus de 100 victimes, et des milliers de sans-abri. Des dizaines de victimes également à la Jamaïque et à Cuba. En Floride, (on voit encore une scène à Haïti) le cyclone a privé d’électricité plus de 200 000 foyers. (Floride)
148TF1 ancre moins son commentaire sur l’image que ne le fait France 2, et dans une moindre mesure Arte. De façon générale, le détail des images n’est que rarement expliqué et commenté. On n’a pas dit par exemple quelle était la ville américaine battue par le vent. Bien plus important, on laisse au téléspectateur le soin d’interpréter des images de gens dans la boue, de cadavres emportés, de scènes de foule. Ce ne sont certes pas des images prétextes, découplées de l’événement au même titre que les billets de banque dans un sujet sur l’économie. Mais les dégâts du cyclone sont illustrés par des images de victimes anonymes et de cadavres nus dont on ne saura jamais l’histoire.
149Les images du 18 novembre sont elles aussi impressionnantes : on y voit des maisons en train de s’écrouler les unes après les autres, sous l’effet du vent et des vagues. Que faire de ces images exceptionnellement fortes ? Les deux principales chaînes les montrent en silence pendant quelques secondes, au début du reportage pour TF1, en cours de sujet en suspendant le commentaire sur France 2. Mais TF1 les montre une seconde fois, comme fond d’une carte animée de la région qui montre la trajectoire du cyclone. La chaîne surimpose ainsi sa propre écriture sur ces images terribles, s’interposant littéralement entre les maisons qui s’effondrent et le téléspectateur. On ne saurait mieux illustrer la stratégie d’énonciation du médiateur fort !
150France 3 a également diffusé ces images, non pas à l’intérieur d’un sujet mais comme « brève imagée », accompagnées d’un commentaire du présentateur en voix off. Ce commentaire prend une certaine distance avec « ces images impressionnantes » tout en ne parlant pas de leur contenu, alors que les deux autres chaînes nous avaient précisé que les maisons sont en train de s’effondrer, assurant ainsi une redondance entre commentaire et images. Voici les commentaires prononcés sur ces images par les trois chaînes – images qu’elles ont montées chacune dans un ordre différent, une sorte de permutation circulaire de maisons qui s’écroulent :
151TF1 / 18 nov. / sujet :
(silence) En une poignée de secondes, le cyclone baptisé Gordon a tout détruit sur son passage éclair, le long des plages de la Caroline du Nord. Des dizaines de maisons se sont effondrées comme des châteaux de cartes sous la pression d’un vent d’une violence rare, soufflant à plus de 150 km/h.
152France 2 / 18 nov. / sujet :
Et pourtant l’œil de l’ouragan se trouve à 150 km au large (silence pendant qu’une maison s’écroule). Mais déjà le long des côtes de la Caroline du Nord, ces maisons que gifle l’océan titubent, s’affaissent, disparaissent, ivres de rafales, ivres d’un vent qui souffle à 140 km/h.
153France 3/18 nov. / off présentateur Gilles Leclerc (visible à l’écran lors qu’il prononce les parties du texte en italiques)
Avant de retrouver la météo de Michel Touret, regardez encore ces images impressionnantes. Elles viennent des États-Unis, de la côte Est très exactement. Le cyclone Gordon fait encore des ravages. Le bilan de son passage sur les Caraïbes avait déjà fait 750 morts et cette fois, après avoir traversé le sud de la Floride, il frappe la Caroline du Nord. Un véritable ouragan, vous le voyez. L’alerte a été déclenchée sur plus de 200 km, jusqu’à l’état de Virginie. Des dizaines d’habitations et des milliers d’hectares de cultures maraîchères sont endommagées dans le sud de la Floride.
154Quelle référence à la science météorologique dans ces reportages sur un cyclone ? Aucun ne nous fournit d’explication sur ses mécanismes d’apparition et de circulation. Au contraire, on nous dit que les spécialistes eux-mêmes ont été « surpris » par le comportement de Gordon. Cette fois, les coups de la Nature sont à la fois imprévisibles et imparables :
155TF1 /18 nov. / lancement C. Chazal :
Tous les spécialistes ont été surpris par sa soudaine montée en puissance.
156TF1/ 18 nov. / sujet :
Gordon est né il y a une semaine au Nicaragua sous la forme d’un cyclone, il a ensuite zigzagué entre Cuba et Haïti, où le dernier bilan faisait état de 750 morts. Il s’est enfin métamorphosé en ouragan dans la côte est des États-Unis.
157France 2/ 18 nov. / sujet :
Car nul ne connaît les intentions de Gordon. Par ses facéties, l’ouragan surprend les spécialistes, il change de direction, revient en arrière, il redouble de violence sans crier gare.
158Une vieille tradition veut que l’on personnifie les cyclones en leur attribuant un prénom (uniquement féminin jusqu’à il y a peu, maintenant on alterne prénoms de garçons et de filles). TF1 et France 2 iront plus loin. Les deux journaux télévisés commencent leur commentaire des images EVN du 15 novembre de façon très semblable, en personnifiant « Gordon » :
159TF1 / 15 nov. /sujet :
Gordon a finalement quitté Haïti, laissant derrière lui au moins une centaine de morts […]
160France 2/15 nov. /sujet :
Il n’a pas fallu 24 heures pour transformer Port-au-Prince en un champ de boue, et pourtant, Gordon n’a fait que passer.
161Cette personnification continue au cours de leurs sujets :
162TF1 /18 nov. /sujet :
En une poignée de secondes, le cyclone baptisé Gordon a tout détruit sur son passage éclair. […]
Gordon est né il y a une semaine au Nicaragua sous la forme d’un cyclone […]
L’œil de l’ouragan, autrement dit son centre nerveux, est toujours en ce moment sous très haute surveillance.
163France 2/15 nov. /sujet :
Trois enfants, trois morts sur les 200 que la tempête laisse dans son sillage, poursuivant sa route, comme étrangère au désastre.
164France 2/18 nov. / lancement E. Leenhardt :
Les terribles caprices de la tempête Gordon : elle a fait plus de 500 morts en Haïti, on pensait qu’elle s’était affaiblie en entrant aux USA, mais Gordon a repris du souffle et menace maintenant l’État de Caroline du Nord.
165France 2/18 nov. /sujet :
Car nul ne connaît les intentions de Gordon. Par ses facéties, l’ouragan surprend les spécialistes, il change de direction, revient en arrière, il redouble de violence sans crier gare.
166À l’inverse, France 3 et Arte ouvrent sur un bilan factuel de la situation, sans personnifier – il s’agit bien d’un cyclone ou d’une tempête et non d’un certain « Gordon » :
167France 3/16 nov. / off E. Lucet :
Le bilan de la tempête tropicale Gordon : il atteint ce soir près de 450 morts et 50 disparus.
168Arte / 15 nov. :
Des dégâts considérables après le passage du cyclone Gordon dans les Caraïbes.
169France 3 en trébuche, même, peut-être à vouloir éviter la personnification :
170France 3/18 nov. / off G. Leclerc :
Le cyclone Gordon fait encore des ravages. Le bilan de son passage sur les Caraïbes avait déjà fait 750 morts et cette fois, après avoir traversé le sud de la Floride, il frappe la Caroline du Nord.
171Les positions d’énonciation de France 3 et Arte se précisent. Ces deux chaînes sont plus sobres, plus factuelles et plus institutionnelles que TF1 ou France 2. Il n’y a ni personnification du cyclone, ni lyrisme. En revanche, on fournit beaucoup de chiffres. Le médiateur du journal de France 3 est plutôt effacé, proche en cela de celui de France 2, et dans sa description du monde les signes de cohésion sociale sont nombreux.
172Avec cette nouvelle spectaculaire, chaque chaîne poursuit sa stratégie, mais elle semble se dessiner plus clairement chez les deux grandes. Ce sont en effet les chaînes les plus anciennes, celles qui ont eu de nombreuses années pour créer une tradition d’écriture audiovisuelle, un « style maison », celles aussi qui disposent de plus de moyens. C’est une situation qui peut évoluer, car France 2 a semblé un temps vouloir prendre sa concurrente directe pour modèle – sans encore y être totalement parvenue au moment du recueil de ce corpus. C’est, me semble-t-il, heureux pour elle, car perdre sa propre identité pour copier TF1 – avec moins de moyens – serait une erreur. Ce serait une rupture du contrat de lecture qui le lie à ses téléspectateurs et dont je dégage les éléments ici.
Le wagon de chlorure de vinyle
173Les « faits ». Le vendredi 2 décembre 1994, un wagon contenant du chlorure de vinyle déraille en gare d’Avignon. Les quartiers environnants sont évacués le dimanche suivant, pendant que les pompiers vident et redressent le wagon. Le 3 au soir – c’est le dixième anniversaire de l’accident chimique de Bhopal – TF1, France 2 et France 3 rendent brièvement compte de l’accident, et annoncent l’opération de relevage du wagon pour le lendemain. Ce n’est que le dimanche 4 au soir, alors que tout est (bien) fini, qu’ils la racontent.
174Un certain flou entoure les origines de l’accident, qui date pourtant déjà de la veille, mais il n’est perceptible qu’en comparant les trois journaux. Ce n’est que dans la position de l’observateur que j’adopte dans cette étude, position qui permet de rapprocher les trois reportages après les avoir transcrits avec précision, que l’on peut remarquer de tels flottements.
175TF1 / 3 déc. / off C. Chazal :
Un wagon contenant 60 tonnes de chlorure de vinyle a basculé sur la voie ferrée […]
176France 2/3 déc. / lancement E. Leenhardt :
Un wagon de produits toxiques qui s’est renversé dans la gare […]
France 2/3 déc. / sujet :
L’accident s’est produit hier lors d’une manœuvre de changement de voie. L’engin de levage qui déplaçait le wagon s’est brisé, l’entraînant dans sa chute.
177France 3/3 déc. / sujet :
L’accident est arrivé au moment où la SNCF le soulevait pour changer un essieu défectueux, l’engin de levage s’est cassé, le wagon est retombé.
178Cette imprécision rappelle ce que décrit Eliséo Véron à propos de l’accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island en 197912. Autour d’un événement, certes plus grave que le déraillement de ce wagon de chlorure de vinyle et qui a duré plusieurs jours, Véron a suivi dans différents médias (radio, télévision et presse écrite) l’élaboration d’une description technique de l’incident, à partir des informations fragmentaires et contradictoires que recevaient les journalistes. Ceux-ci se devaient de tenter d’expliquer le déroulement des événement aux téléspectateurs, sans en avoir réellement les moyens. Un des principaux enseignements que Véron a tiré de l’étude s’applique à la gestion de crises : il est indispensable de fournir rapidement un ensemble d’informations précises et cohérentes aux médias – sinon ils sont obligés, de par leur fonction, de construire au mieux une description des événements.
179Ici aussi, ce sont les journalistes qui expliquent le risque chimique : aucun expert, médecin ou chimiste, n’est cité. Le seul « expert » qui interviendra durant ces deux jours sera le capitaine des pompiers, le 4 décembre, pour décrire l’opération de pompage du produit. Voici donc ce que l’on apprend du danger encouru :
180TF1 / 3 déc. / présentateur en voix off :
60 tonnes de chlorure de vinyle (…) ce produit inflammable.
181TF1 / 4 déc. / sujet :
Le risque majeur, c’est bien sûr la fuite suivie d’une explosion et d’un incendie avec des émanations très toxiques.
182France 2/3 déc. / lancement E. Leenhardt :
Les pompiers vont essayer de dégager un wagon de produits toxiques qui s’est renversé dans la gare, hier soir.
183France 2/3 déc. / sujet :
Un mélange explosif dangereux. À l’intérieur de ce wagon, 59 tonnes de chlorure de vinyle, inflammable au contact de l’air […] Des techniciens doivent transvaser le produit toxique.
184France 2/4 déc. / sujet :
59 tonnes de chlorure de vinyle, gaz dangereux qu’il faut transvaser dans d’autres wagons.
185France 3/3 déc. / sujet :
Toute la crise part de ce wagon à l’intérieur duquel il y a 60 tonnes de chlorure de vinyle. C’est un gaz qui peut s’enflammer au contact de l’air en dégageant des fumées très toxiques.
186France 3/4 déc. / sujet :
Une mesure de sécurité imposée par la toxicité du chlorure de vinyle, un gaz excessivement inflammable. Experts et sapeurs pompiers redoutaient une explosion.
187Il n’est question que du danger immédiat. Le téléspectateur ne saura jamais à quoi peut bien servir en temps normal le chlorure de vinyle, d’où il venait et où il allait, on ne lui parlera pas du couloir rhodanien de la chimie. Ce manque de mise en perspective, d’explications, contribue à présenter ces événements comme « tombés du ciel », imprévisibles et inévitables. Comment, dans ces conditions construire une image d’un environnement contrôlable ?
188Mais revenons à notre histoire. Le dimanche, on devra procéder au relevage du wagon en évacuant les quartiers alentour. Nouvelle parfaite que voilà : un événement dramatique, bien circonscrit dans le temps et l’espace, et annoncé depuis la veille, ce qui permet de dépêcher sur les lieux les équipes nécessaires pour le couvrir. C’est rarement le cas des accidents qui ont une fâcheuse tendance à se produire à l’improviste. Seul problème : tout est fini à l’heure du journal, il n’y a plus de suspense. C’est d’ailleurs bien ce qui est précisé dans les lancements des sujets :
189TF1 / 4 déc. / Lancement Claire Chazal :
En France, les pompiers et les spécialistes des matières dangereuses se sont activés hier et aujourd’hui autour de la gare de triage d’Avignon. Un wagon contenant 50 tonnes de chlorure de vinyle qui s’était renversé a pu être relevé dans la journée. Les sauveteurs avaient pris d’infinies précautions, ils avaient évacué plusieurs milliers de personnes. Ce soir, tous les habitants ont pu rentrer chez eux. Sur place, Alex Panzani.
190France 2/4 déc. / Lancement Étienne Leenhardt :
La frayeur dominicale des habitants d’Avignon touche donc à sa fin grâce aux énormes moyens mis en oeuvre. Le wagon citerne bourré de chlorure de vinyle qui s’était renversé dans la gare a été vidé, puis relevé, un travail dangereux et très minutieux. Reportage sur place de Yves Arousi.
191France 3/4 déc. / Lancement Catherine Mataush :
C’était une opération à haut risque, toutes les mesures de sécurité avaient donc été prises, nécessitant l’évacuation de 4 000 personnes à Avignon. Tout danger est désormais écarté, le wagon citerne a été remis sur les rails. D. Boudaout.
192Le danger étant passé, l’événement ayant perdu tout suspense, les différents journaux vont raconter l’histoire. Pourtant, ce seront des histoires bien différentes qui seront produites, ne serait-ce par leur temps grammatical. TF1 conjugue son récit au présent, et dramatise. Le début du reportage a la forme d’une véritable fiction littéraire :
193TF1 / 4 déc. / sujet :
(début du sujet) Un décors de guerre chimique, ce matin à l’aube en gare de triage d’Avignon. C’est l’heure « H » pour la cellule d’intervention spécialisée, équipée de combinaisons étanches pour intervenir sur le wagon-bombe accidenté, contenant toujours ses 59 tonnes de chlorure de vinyle. Après 48 heures de réflexion, les conditions de sécurité maximum sont enfin réunies, mais la tension est grande. Lorsque commence la première phase de l’opération, une opération très délicate, le risque majeur, c’est bien sûr la fuite, suivie d’une explosion et d’un incendie avec des émanations très toxiques. [...] Le levage puis la fin du dépotage du wagon s’achevaient à 18 h 30 sans incident. Certains habitants étaient autorisés alors à regagner leur domicile. Le périmètre de sécurité se réduisait considérablement, la menace la plus grave était écartée au terme d’une opération exemplaire menée avec succès, mais on a quand même frôlé le pire, en gare de triage d’Avignon.
194France 2 est plus distanciée comme toujours : la dramatisation est moins explicite et l’heureux dénouement est raconté en premier. Le récit n’est plus au présent, on a construit des phrases nominales, sans verbe ou avec un verbe à l’infinitif. Peut-être cela traduit-il l’inconfort du narrateur qui sait que le présent ne se justifie plus, puisque l’événement est terminé, mais qui trouve bien dommage de tout mettre au passé ?
195France 2/4 déc. / sujet :
(début du sujet) Ils peuvent enfin rentrer chez eux, 18 h 30, quartier Champfleuri à Avignon, les 4 000 habitants sont de retour, il n’y a plus de danger. […]
Cette journée a commencé à 6 h du matin avec le début de l’évacuation. Réveil en fanfare, patrouille dans les immeubles pour s’assurer que personne ne reste. […]
Après le réveil, autobus ou voiture pour des destinations diverses. […]
Opération en trois phases. D’abord, vider la moitié de la citerne. Ensuite la partie la plus risquée, relever le wagon, le remettre sur ses roues, pour pouvoir extraire le gaz restant. (…)
D’ici une heure ou deux, le wagon devrait être complètement vidé de son contenu. Avignon retrouvera alors une vie normale, les circulations fluviales, aériennes et bien sûr ferroviaires ont été interdites tout au long de la journée.
196Pour France 3, l’histoire est bien terminée, sa conclusion est présentée en premier comme à France 2, et elle est narrée au passé :
197France 3/4 déc. / sujet :
(début du sujet) L’opération la plus délicate, la plus risquée selon les spécialistes s’est parfaitement déroulée. Ce soir, le wagon citerne accidenté est sur les rails. Reste donc à transvaser environ 30 tonnes de chlorure de vinyle dans une autre cuve. Tout s’est déroulé comme prévu. À l’heure qu’il est, les habitants évacués ont pu rejoindre leur domicile. Peu avant 6 h ce matin, 250 habitants des quartiers nord d’Avignon ont été tirés de leur lit. […]
Experts et sapeurs pompiers redoutaient une explosion. Ce soir, tout risque semble désormais écarté.
198Trois types de narration qui, on le voit, ne confèrent pas le même statut à la nouvelle : pour TF1 on assiste au récit dramatique d’un sauvetage comme s’il se déroulait en direct. À l’inverse, France 3 fait un exposé factuel des résultats d’une action terminée, France 2 adoptant une sorte de stratégie intermédiaire. Cette information, le déraillement d’un wagon puis son relevage, se prêtait bien à la construction d’un récit.
199Une tendance actuelle, en particulier dans la recherche anglo-saxonne, est de voir des récits, de la narration partout. Or, bien que la notion d’actualité puisse souvent impliquer la relation du déroulement d’un événement passé, toutes les informations ne prennent pas la forme d’une narration. On rencontre aussi bien de la description que de l’argumentation. Si l’on maintient une définition stricte du terme de récit, comme relation d’événements inscrits dans un déroulement temporel, on voit qu’il s’agit d’un mode possible, mais qui n’est pas le seul. Et même une nouvelle comme celle que nous venons d’examiner suscite des récits différents, fait raconter des histoires sur un mode ou un autre selon la stratégie d’énonciation de la chaîne.
200Au sortir de cet examen de cinq nouvelles vues par différents journaux télévisés, on ne peut qu’être saisi par les différences de traitement – comme des différences dans les choix des nouvelles apparues dans le chapitre précédent. La prétendue similitude des différents journaux, souvent affirmée, ne résiste pas à un examen approfondi. De plus, ces différences sont systématiques, chaque journal maintient ses caractères propres, stables dans le temps, comme l’attendent ses spectateurs. Nous avons vu que ces caractéristiques s’organisent autour de deux axes que je souhaite examiner de plus près : le type de médiation qu’offre le journal, la vision du monde qu’il propose.
Notes de bas de page
1 Je mets ce mot entre guillemets, car, comme le public, je ne connais de ces événements que ce qu’en ont dit les journaux, télévisés ou de presse écrite. Ces « faits » que je rapporte ici sont en quelque sorte le noyau commun de l’événement tel qu’il a été décrit par les médias.
2 Je transcris en italique certaines expressions pour attirer l’attention du lecteur, non pour indiquer une emphase dans le texte prononcé. Les transcriptions complètes des séquences analysées sont en annexe.
3 On voit en effet sur l’image qu’un dessin animé de « Goofy » passe sur l’un des écrans de contrôle d’une salle de commande.
4 Nelson Goodman, Ways of Worldmaking, Hackett, Indianapolis, 1978.
5 Erving Goffman, Frame Analysis : An essay on the Organisation of Expérience, Northeastern University Press, Boston, 1986, p. 10 (première publication 1974, publié en France sous le titre Les Cadres de l’expérience, Paris, Editions de Minuit, 1991). Goffman précise qu’il a repris ce terme de Gregory Bateson.
6 Jérôme Bruner, Acts of meaning, Harvard, University Press Cambridge, Mass., 1990, p. 56.
7 Il s’agit dans ce sujet des précipitations autour de Nice. Il n’y a donc pas de contradiction flagrante avec l’extrait précédent.
8 Dominique Wolton, « La communication politique : construction d’un modèle », Hermès 4, CNRS Éditions, p. 27-42, 1991. Loïc Blondiaux, « Ce que les sondages font à l’opinion publique », Politix, 37, 1997, p. 117-136.
9 François Jost et Gérard Leblanc, La Télévision française au jour le jour, Anthropos/INA, Paris, 1994, p. 69.
10 Dictionnaire Le Nouveau Petit Robert, 1996.
11 Arte, dans un sujet bien plus bref, montre l’autobus et un cadavre mais ni le surfeur, ni les soldats.
12 Eliséo Véron, Construire l’événement, Éditions de Minuit, Paris, 1981, p. 37.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L’environnement dans les journaux télévisés
Médiateurs et visions du monde
Suzanne de Cheveigné
2000
Naturaliser la phénoménologie
Essais sur la phénoménologie contemporaine et les sciences cognitives
Jean Petitot, Jean-Michel Roy, Bernard Pachoud et al. (dir.)
2002