Complexité du rapport corps/prothèse : potentialités, limitations et face cachée
p. 171-186
Remerciements
Ce travail de recherche est mené en collaboration avec le Professeur Perennou et l’équipe du service vasculaire-appareillage de l’Institut de rééducation (CHU – Grenoble). Je remercie la société Chabloz orthopédie pour son concours à la mise en place de cette recherche.
Texte intégral
Toute pathologie est subjective au regard de demain
Georges Canguilhem1
1Les progrès exponentiels de la médecine et de la (bio)technologie dans les sociétés occidentales contemporaines conjugués à la prégnance d’une médicalisation de l’existence2 et d’une utopie de la santé parfaite3 engagent les sciences humaines et sociales à un renouvellement constant dans l’étude du rapport entre organique et technologique. Au cœur de ces réflexions, les recherches sur la prothèse constituent actuellement un des axes les plus emblématiques des enjeux anthropologiques vis-à-vis de l’hybridation corps/technique4. Depuis une dizaine d’années, la médiatisation d’individus amputés appareillés des membres inférieurs, réinterrogeant les limites et les frontières corps/prothèses que l’on pensait immuables, est un élément révélateur de cet intérêt croissant envers les dispositifs prothétiques. Ces figures5 hybrides les plus médiatiques, et qui renvoient à un entrelacement entre normes corporelles occidentales capitalistes dominantes centrées sur les cultes du corps et de la performance6 et évolutions thérapeutiques et anthropotechniques7 sont, par exemple, la mannequin australienne Aimee Mullins et le coureur sud-africain de 400 mètres Oscar Pistorius (également médiatisé pour avoir défié la chronique judiciaire avec l’homicide de sa petite amie). Au départ, objets de curiosité et d’originalité en sciences humaines et sociales et dans les médias, elles sont devenues en quelques années des références incontournables dans de nombreux articles, ouvrages, colloques universitaires, évoquant une certaine forme de fascination des sciences humaines et sociales vis-à-vis des promesses prothétiques et des possible(s) futur(s) de l’humain appareillé-cyborgisé auxquels elles font écho.
2De l’émergence et la médiatisation de ces figures se dégagent synthétiquement deux analyses socio-anthropologiques ambivalentes : une première note, entre personnes en situation de handicap et personnes valides, un réajustement et une redéfinition des frontières qui seraient vouées à s’estomper ; une seconde souligne l’évolution et le brouillage anthropologiques des limites entre corps amputé, appareillé, réparé et augmenté et génère, au sein des sciences humaines et sociales et dans d’autres disciplines scientifiques, analyses, débats et controverses. Dans son versant le plus positiviste et scientiste, certaines réflexions et postures construites autour de ces figures développent un discours en faveur d’une ultra prothetic attitude8, que nous qualifions « d’enchantement prothétique », qui rimerait nécessairement avec bien-être, émancipation, voire augmentation de l’humain et dont la finalité nous renverrait inéluctablement à une disparition programmée du handicap. Cette croyance absolue dans les promesses prothétiques de réparation-augmentation véhiculées par ces figures hybrides, dans laquelle le courant transhumaniste puise en partie son argumentaire9 mais également, dans un degré moindre et de manière plus modérée, la place prépondérante donnée à ces mêmes figures lorsque l’on aborde la thématique de la prothèse en sciences humaines et sociales, ne sont pas sans susciter un certain nombre de questionnements sur les enjeux épistémologiques vis-à-vis de la production de connaissances sur les dispositifs prothétiques. L’exposition omniprésente de ces figures véhiculant une vision du corps remplaçable et performatif revêt un aspect fallacieux qui ne renvoie qu’à la partie positive, acceptable et visible de l’iceberg, qu’est la prothèse. Elle nécessite d’être réinterrogée sur et par le terrain au travers d’une anthropologie du très proche10 (Gardou, 2009), centrée sur la singularité et la complexité11 des trajectoires thérapeutiques et sociales des personnes amputées-appareillées des membres inférieurs. C’est en se revendiquant de cette démarche que cette communication, synthèse d’une partie de recherche de doctorat en anthropologie, menée en collaboration avec le Pr Perennou et l’équipe du service vasculaire-appareillage de l’Institut de rééducation du CHU Grenoble, se propose d’analyser les multiples conséquences-retentissements du rapport corps/prothèse à partir d’une étude ethnographique longitudinale (observations et entretiens) menée auprès de personnes amputées des membres inférieurs au niveau tibial et/ou fémoral, débutée au sein du milieu hospitalier lors de la période de rééducation et poursuivie au travers d’un suivi prolongé en société de ces mêmes personnes après leur sortie du milieu hospitalier.
3L’analyse du rapport corps amputé/prothèse est construite en amont à partir de trois orientations fondamentales qu’il est essentiel de rappeler dès cette introduction. En premier lieu, nous considérons qu’il est indispensable de penser en priorité le corps, dans son vécu sensible, son expérience et sa singularité, avant de penser la prothèse et le rapport organique/technique qui en découle. Il est capital dans cette optique de (re)préciser la singularité inhérente à chaque vécu post amputation dont l’un des éléments clés se situe dans la prise en compte de la diversité des pathologies imposant l’acte chirurgical d’amputer et dont les principales causes en France sont l’artérite (90 %), les traumatismes (8 %), les tumeurs (0,9 %), les malformations congénitales (0,8 %)12. Ces données étiologiques nous amènent donc dès à présent à souligner que les vécus et trajectoires post-amputation des personnes amputées sont différents selon chaque pathologie et qu’au sein même de ces pathologies apparaît un vécu spécifique selon le type d’amputation subie (tibial, fémoral) et en lien avec les caractéristiques singulières bio-médico-psycho-sociale de chaque individu. Il nous semble aussi important de préciser que la moyenne d’âge des personnes amputées est de 69 ans et 7 mois13. L’amputation touche donc majoritairement des personnes âgées en raison de problèmes vasculaires, réalité bien éloignée des figures médiatiques évoquées précédemment.
4Dans le prolongement de cette nécessité de penser le corps avant la prothèse, il faut également considérer l’aspect primordial de l’altération corporelle suite à l’amputation et plus spécifiquement en rapport avec l’apparition du moignon comme nouvelle extrémité du corps. L’amputation d’un ou des deux membres inférieurs, traumatisme physique-psychologique-social quelles que soient les pathologies, provoque des modifications corporelles aux conséquences irréversibles. Elle impose inévitablement une dissymétrie au niveau du corps, un travail de deuil14 du membre perdu, une redéfinition de l’image du corps, des retentissements sur les propriétés du schéma corporel15, ainsi qu’un bouleversement et réaménagement identitaire16. Cependant, l’amputation du membre et la présence du moignon comme nouvelle limite du corps génèrent ce que nous nommons le « paradoxe du moignon17 » : les personnes perdent une partie de soi, sont atteintes dans leur propre chair et dans leur intégrité corporelle mais une partie du corps « devient autre », une nouvelle extrémité corporelle existe, aux caractéristiques spécifiques, dont la forme et le volume seront modelés pour l’emboîture de la prothèse. En ce sens, nous considérons que la prothèse ne peut se penser sans une place centrale accordée au moignon : la stabilité de son volume, sa nécessaire forme conique18, son hygiène correcte sont des paramètres essentiels à prendre en compte pour le port et l’utilisation la plus efficace et prolongée de la prothèse. Le moignon se doit d’être interprété comme le baromètre, le garde de fou19 du rapport corps/prothèse. Il se situe au carrefour des regards de la personne amputée, des soignants, des prothésistes et doit être immanquablement au centre du regard du chercheur en sciences humaines et sociales.
5Cette considération fondamentale de la singularité du corps, de son vécu sensible, de son altération nous amène à cheminer à présent vers l’objet prothèse et la dernière orientation sur laquelle se fonde notre analyse concernant la modularité et les spécificités de chaque appareil prothétique. La prothèse, appareil destiné à remplacer partiellement ou totalement un organe, un membre défectueux ou absent, souvent perçue à tort comme un objet standard, doit être appréhendée comme un dispositif singulier qui relève d’un assemblage et d’un travail sur mesure pour chaque individu. Elle est construite à partir de multiples possibilités d’assemblages des éléments (pied, genou, emboîture, manchon, tube, etc.) et est conçue dans un travail de concertation pluridisciplinaire (points de vue professionnels et spécialisés des médecins, kinésithérapeutes, orthoprothésistes et échanges avec l’individu amputé) au travers d’une prise en compte des caractéristiques médicales, anatomiques et fonctionnelles de la personne. La conception de l’emboîture est un exemple métonymique de la modularité prothétique et du rapport dialogique corps/prothèse de par sa particularité d’être modelée à partir du moignon et de par sa possibilité d’être élaborée selon de multiples choix de formes et types de manchon. Elle épouse les spécificités corporelles du moignon et porte la marque singulière du corps de la personne amputée, dont le moignon lui-même a été modelé et ajusté par l’utilisation de bandes et de bonnets de contention pour épouser le plus possible la forme de l’emboîture. Elle laisse entrevoir l’équilibre complexe qui se met en place tout au long de la trajectoire de vie de la personne amputée et les enjeux du rapport entre le corps qui s’adapte à la technique et technique qui s’adapte au corps.
6L’ensemble de ces éléments introductifs ouvre la voie à l’étude du rapport corps/prothèse dans ses potentialités/limitations ; rapport qui doit être également approfondi dans sa dimension dialectique20 au travers de la prise en compte et l’étude des liens ambivalents et des tensions qui se créent entre les deux entités organique et prothétique. Cette analyse, construite en trois parties et symbolisée au travers de la métaphore de la déesse grecque aux trois visages Hécate (déesse protectrice mais aussi déesse de l’ombre et des carrefours), tentera d’éclairer les trois visages du rapport corps amputé/prothèse que sont ses potentialités, ses limitations et sa face cachée.
Premier visage : potentialités
7Le port de la prothèse s’organise dans la perspective de pallier de la manière la plus adéquate possible la situation de handicap autour de trois critères de base, variables selon la situation et la potentialité corporelles21 de chaque personne amputée, que sont : une marche sécurisée, un confort optimal et la recherche d’une autonomie maximale. Les observations ethnographiques et l’analyse croisée des entretiens réalisés avec des personnes amputées révèlent l’aspect primordial de cette autonomie. Propos récurrent chez les personnes amputées interrogées : l’usage de la prothèse, source d’indépendance et d’accessibilité, permet de recouvrer une certaine autonomie par la possibilité de la station debout, la capacité retrouvée de pouvoir marcher et se déplacer. Ce retour à l’autonomie permet aux personnes amputées mouvements et déplacements allant de la capacité à réaliser les gestes élémentaires pour les personnes amputées âgées les moins autonomes (transferts, marcher dans son domicile, aller aux toilettes...) à des aptitudes plus conséquentes au niveau physique pour les personnes amputées jeunes et/ou dynamiques (marche active, rester debout sur une longue durée, monter-descendre des marches, porter, conduire, etc.).
8Le regain d’autonomie, lié à une maîtrise efficiente du rapport corps-prothèse dans les conduites motrices22, revêt également une signification socio-anthropologique au niveau des interactions sociales et dans la situation de handicap vécue. En plus des apports essentiels au niveau fonctionnel et des bénéfices en ce qui concerne l’état de santé, l’utilisation du dispositif prothétique et le retour à une station debout donnent lieu à l’effacement de certains stigmates23 de l’amputation auxquels la station assise (fauteuil roulant) et certains objets d’aides fonctionnelles (telles les béquilles) font référence au niveau visuel, symbolique et social. Ainsi, l’utilisation du fauteuil roulant crée une dichotomie entre les deux postures assise et debout où les personnes amputées se déplaçant en fauteuil ne se situent pas à hauteur du « monde valide » et se retrouvent à la marge des normes sociales24. Or, la possibilité de pouvoir quitter le fauteuil grâce au dispositif prothétique et de retrouver la station debout, avec ou sans cannes béquilles, donne lieu à la rupture de cette distance assis-debout, permet de retrouver une tenue et de préserver la face25 et voit la mise en place d’un processus de déstigmatisation26. La capacité de marcher sans béquilles, les bras et mains libérés de toute aide fonctionnelle, prolonge ce procès permettant d’effacer des marqueurs stigmatisants qui peuvent faire référence à l’amputation, au handicap et éviter un parasitage des interactions de la mise en scène sociale.
9Une autre potentialité du rapport corps-prothèse se retrouve dans la capacité à créer ce que nous nommerons le « cercle vertueux » qui se dessine entre la « stabilité-bon état-non-douleur » du moignon et le port de la prothèse. Ce cercle se construit au travers de quatre étapes : 1) la personne développe une attention et une hygiène correcte de son moignon ; 2) la prothèse peut être portée régulièrement et le moignon va rester modelé (ne grossit pas ou maigrit peu), stable et adapté à la forme de l’emboîture ; 3) La prothèse est bien supportée, non douloureuse et peut être portée de façon prolongée ; 4) Le gain d’autonomie et d’indépendance sera important, permettant une réduction de la situation de handicap au quotidien avec des répercussions positives au niveau de l’état de santé, fonctionnel, psychologique et social. Ce cercle vertueux représente le scénario positif « type » du port de la prothèse mais révèle également dans son rapport dialectique une certaine forme de dépendance. En effet, le port de la prothèse scelle un pacte informel entre l’individu et l’objet prothétique où l’objet doit être porté régulièrement si la personne souhaite l’utiliser pleinement et sans douleur. Cependant, cette interdépendance du rapport moignon/prothèse peut à l’inverse basculer dans un versant négatif lors d’un possible choix de la personne de ne pas utiliser la prothèse ou une impossibilité de la porter pour des raisons physiques (douleur, blessure) ou techniques (matériaux défaillants, cassure de l’emboîture), nous amenant à aborder un autre visage du rapport corps/prothèse à savoir celui des complications et limitations.
Second visage : limitations
10La mise en lumière de ces potentialités doit être contrebalancée par un autre versant à connotation plus désenchantée auquel renvoient les douleurs, difficultés, contraintes et aléas du rapport corps-prothèse. Dans la continuité de nos orientations introductives sur le moignon comme « garde-fou » et notre propos précédent sur de possibles aspects négatifs liés au non-port de la prothèse, des premières limitations dans le quotidien peuvent apparaître liées à de possibles irritations, douleurs et blessures au moignon lors des contacts avec l’emboîture. Les causes de ces complications sont multiples : fragilité et fluctuation du moignon, problèmes liés à la pathologie de la personne, port trop prolongé de la prothèse, problème du dispositif prothétique (forme et volume de l’emboîture inadéquats au moignon, fuite d’air de celle-ci, cassures de matériaux, etc.). Elles conduisent à la suspension du port de la prothèse qui peut avoir des répercussions plus ou moins négatives selon la durée de la suspension. Au cours de cette période peut naître un « cercle vicieux » présentant les mêmes étapes que celles indiquées précédemment, mais en processus inverse : 1) blessures et/ou non port de la prothèse ; 2) fluctuation du moignon et impossibilité de faire rentrer le moignon dans l’emboîture avec de possibles douleurs ; 3) nécessité d’attendre la cicatrisation du moignon ou l’atténuation des gênes (rougeurs, etc.) ; 4) prolongation du non-port de la prothèse et/ou obligation de procéder à un remoulage de l’emboîture repoussant la possibilité de marcher appareillé. Ce « cercle vicieux » a de multiples retentissements au niveau médico-psycho-social pour la personne amputée et sur sa situation de handicap.
11Particulièrement rencontré chez les personnes amputées âgées, un second type de limitation du rapport corps/prothèse concerne la non-utilisation quotidienne de la prothèse en lien avec des difficultés dans la mise en place de l’objet prothétique ou via une certaine réticence envers la marche appareillée. Cette incapacité à « chausser » et retirer l’objet prothétique (nécessitant une ritualisation et un respect de consignes) a des causes d’origines diverses : problèmes cognitifs liés au vieillissement, manque de dextérité, voire méconnaissance de la prothèse par l’entourage familial et/ou professionnel. Certaines personnes amputées âgées peuvent également montrer une réticence à utiliser la prothèse en raison de difficultés rencontrées au niveau fonctionnel, de l’effort que cela nécessite selon eux et de l’appréhension d’une possible chute. Ces éléments multifactoriels engendrent une relégation au second plan, voire une disparition de la prothèse et de la marche (la « prothèse placard », terme bien connu des professionnels de santé), avec des répercussions défavorables dans la vie quotidienne de la personne amputée comme par exemple une dégradation de son état de santé en raison de l’impossibilité de se lever et marcher, une augmentation de la situation de handicap...
12Les efforts physiques et la fatigabilité que provoque la marche appareillée avec des répercussions au niveau des déplacements quotidiens et des problèmes d’accessibilité à certains bâtiments constituent un autre type de limitation à répertorier. Les personnes amputées sont amenées à découvrir rapidement par leurs propres expériences que la marche appareillée est moins rapide que la marche « avant amputation » et qu’elle engendre une plus grande fatigabilité. Il s’opère chez les personnes amputées une mise en place de nouveaux repères spatiotemporels et un travail d’acceptation de certaines difficultés (qui n’existaient pas auparavant) qui nécessitent l’apprentissage et l’adaptation de nouvelles conduites motrices. Tout au long de leurs trajectoires de vie post-amputation en lien avec les conduites motrices développées, l’âge, l’état de santé, le type de prothèse portée, ces critères de fatigabilité et de capacité à accéder aux différents lieux sont voués à évoluer. L’obligation de prendre en compte la présence de marches et les difficultés à les monter/descendre, limitation qui touche majoritairement les personnes amputées âgées et/ou au niveau fémoral, en est un des exemples les plus représentatifs.
13Ces différents types de limitations invitent à prendre conscience de la vulnérabilité27 (Gardou, 2009) liée à l’amputation/appareillage, de la précarité du rapport corps/prothèse et de l’incertitude quotidienne qui l’entoure. Cette précarité singulière et fluctuante selon chaque personne amputée et la variabilité des situations de handicap font résonance aux processus de production du handicap28 constitués d’une combinaison complexe de facteurs bio-psycho-sociaux et contextuels générant de multiples situations de handicap. Dans le prolongement de ces processus, il nous paraît essentiel de réaffirmer le rôle central de la variable « temporalité » qui fait reposer l’atténuation de la situation de handicap sur cet équilibre précaire entre corps et prothèse qui, à n’importe quel moment du quotidien, peut voir le basculement du versant positif de ce rapport (qui rime avec bien-être, autonomie et indépendance) vers le versant négatif (correspondant à une perte d’autonomie, une situation de handicap accrue et de possibles complications au niveau de l’état de santé). Ces éléments d’analyse soulignent que l’utilisation de la prothèse, malgré l’apport conséquent amené dans la remédiation du handicap, reste malgré tout et de manière métaphorique une « épée de Damoclès », dépendante de cet équilibre chancelant et provisoire propre au rapport corps/prothèse qui peut amener la personne amputée à se retrouver dans une situation de handicap plus ou moins conséquente.
Troisième visage : la face cachée
14Ce jeu de balancier entre potentialités et limitations ne doit pas masquer un dernier visage du rapport corps/prothèse auquel correspond la « face cachée », c’est-à-dire « l’envers du décor », souvent éclipsé et peu étudié car correspondant à l’intime, au non perceptible, au non visible et au non-dit. De nombreux aspects et situations composent ce troisième visage, nous en analyserons ici les principaux. Tout d’abord, dans le cadre de l’intimité et dans la perspective du port régulier de la prothèse, la personne amputée est contrainte à développer une observation particulière de son propre corps au travers d’une recherche minutieuse et quotidienne de possibles rougeurs sur la peau ou infections du moignon. Cette attention se conjugue avec une palpation régulière du moignon par la personne pour vérifier l’existence ou non de douleurs ou pour en déduire sa température (en lien avec de possibles problèmes de vascularisation) ; ceci nous permet de réaffirmer l’importance prise par ce garde-fou dans l’optique du port de la prothèse.
15Les douleurs du membre fantôme29, singulières à chaque personne amputée30 sont un autre élément majeur de la face cachée du rapport corps/prothèse. Cette singularité se retrouve dans les descriptions faites par les personnes amputées lors des entretiens où le type de douleurs, leur intensité, leur fréquence sont différentes et variables. Ces douleurs ont pour spécificité d’être particulièrement déroutantes pour les personnes amputées et pour leur entourage dans le sens où le ressenti de la douleur se situe sur une partie du corps qui n’est plus, qu’il est impossible de situer visuellement, et de plus parfois difficilement descriptible31. Ces douleurs créent de possibles complications et gênes au quotidien chez certaines personnes amputées pouvant empêcher le port de la prothèse, générer des troubles du sommeil (en rapport avec l’intensité de la douleur) et provoquer, en raison de la prise de médicaments pour calmer la douleur et/ou en lien avec certains effets secondaires, des répercussions au niveau cognitif, psychologique et social tels qu’une somnolence, de la fatigue, des troubles de l’attention, voire un risque de dépendance médicamenteuse.
16Le rapport corps/moignon et les conduites motrices créent au surplus d’autres gênes, de différents ordres et souvent peu perceptibles en société. Ces gênes peuvent être de type auditif, provoquées par une fuite d’air dans l’emboîture ou un grincement d’un des matériaux de la prothèse. Outre les problèmes fonctionnels et la nuisance sonore redondante provoquée par ces types d’aléas, cette gêne auditive est aussi source de malaise32 dans les contacts mixtes personne amputée/valide, particulièrement lorsque des stratégies de dissimulation de l’amputation et de l’appareillage sont instaurées. D’autres gênes de type fonctionnel et/ou olfactif peuvent également survenir en rapport avec la sudation du moignon causée par son confinement et ses mouvements dans l’emboîture. Cette forte transpiration, souvent en raison de chaleurs estivales ou d’efforts intenses, peut causer une perte de la prothèse en lien avec l’humidité du manchon et provoquer des odeurs désagréables pour la personne, possiblement gênantes pour l’entourage et susceptibles de générer une situation stigmatisante. D’autres gênes renvoyant au cadre du non-dit, du non-visible peuvent aussi se manifester dans des positions spécifiques du quotidien telles certaines des douleurs en position assise en lien avec un bourrelet au niveau du moignon, créant un pincement avec l’emboîture.
17Le travail d’appropriation avec le dispositif prothétique correspond à une autre face cachée du rapport corps/prothèse. Il se construit par l’expérience singulière que fait la personne amputée au travers de conduites motrices acquises et développées avec la prothèse tout au long de sa trajectoire de vie (aussi bien dans son intimité qu’en société), mais également au travers d’un processus d’ajustement33 corps/prothèse qui se met en place avec les soignants et prothésistes. Souvent peu visible, car confiné aux consultations à l’hôpital ou aux essayages-réglages chez le prothésiste, le processus d’ajustement, construit à partir du choix des matériaux et la recherche de réglages adéquats du dispositif prothétique, est un élément essentiel dans la recherche d’un rapport optimum corps/prothèse. Il est un puissant révélateur de la singularité propre de l’objet prothétique ; singularité qui se prolonge également dans les liens tissés par la personne avec sa prothèse. Certains exemples d’observation de terrain symbolisant cet enjeu peuvent être cités : l’appréhension développée par certaines personnes amputées de confier aux professionnels « leur » prothèse pour des réparations-changements de matériaux, l’inquiétude qui s’instaure chez certaines personnes de ne pas retrouver les sensations et le bien-être actuels avec la prothèse lors d’un remoulage d’emboîture.
18Un dernier élément cristallisant différentes tensions de la face cachée du rapport corps/prothèse est la mise en place, chez de nombreux individus amputés, de stratégies sociales de dissimulation des stigmates de l’amputation et du dispositif prothétique. En sus d’une marche sécurisée, non douloureuse et la plus efficace possible au niveau fonctionnel, certaines personnes appareillées (plus spécifiquement les personnes jeunes et/ou dynamiques) apprennent, développent et peaufinent des conduites motrices recherchant une marche harmonieuse, basées sur le modèle du cycle fluide et fonctionnel de la marche valide qui fait référence à l’effacement ritualisé du corps34. Cette recherche de mimétisme, logiquement indécelable en société aux yeux des non-experts de l’appareillage car elle en est la finalité, est revendiquée et travaillée par la personne dès la période de rééducation post-amputation à l’institut ainsi que lors des contacts avec les soignants et les pairs ; puis elle se poursuit en société hors de l’institution hospitalière. Elle est à interpréter comme une démarche et un processus de normalisation de conduites motrices qui se structurent en premier lieu au niveau visuel par le port de vêtements qui masquent la prothèse (et par une esthétique couleur « chair » qui habille la prothèse). Elle se prolonge ensuite dans la recherche d’un basculement du gesticulatio (connoté de manière négative, dans le sens où il y a « trop » de gestes et non coordonnés) vers le gestus35 (la recherche d’une « finalité pratique et d’une efficacité du corps [...] et également, au service d’une attitude, d’une figuration, dont la dimension symbolique est liée à une dimension esthétique36 ») auquel renvoie la marche valide. Ces possibilités de camouflage, de maîtrise des conduites motrices et de mimétisme offrent l’opportunité aux personnes amputées de mettre en place un jeu de va-et-vient social vis-à-vis de la visibilité ou non du handicap. Ces stratégies sociales créent une porosité et une redéfinition des frontières sociales qui peuvent engendrer un possible basculement vers le « monde valide » à court ou moyen terme, réinterrogeant profondément la situation liminale37 à laquelle sont assignées d’habitude les personnes en situation de handicap. Cependant, malgré le caractère majoritaire de ce processus de normalisation chez de nombreuses personnes amputées, il nous semble important d’évoquer la mise en place chez quelques personnes, souvent jeunes et/ou dynamiques, d’une mise en scène de soi et d’un retournement du stigmate au travers de la visibilité, l’esthétisme et le design de la prothèse via des motifs artistiques s’écartant de la couleur « chair », une « customisation » faisant référence à l’univers du cyborg, port de prothèse type 3D... Cette monstration de soi, qui n’est pas sans lien avec la profusion d’images de figures hybrides, est à analyser comme une forme de revendication d’une certaine beauté de l’objet prothétique et d’une démarche de reconnaissance de l’altération identitaire provoquées par l’amputation et l’appareillage. Encore minoritaire mais cependant en développement, cette mise en scène esthétisée du rapport corps/prothèse et cette volonté de visibilité sociale de celui-ci nous invitent à suivre de près dans l’avenir cette évolution tant elle questionne profondément les normes corporelles et sociales offrant de nouvelles pistes réflexives socio-anthropologiques sur le(s) regard(s) porté(s) en société sur le corps amputé/appareillé, aux conséquences et retentissements incertains...
19L’analyse des trois visages du rapport dialectique corps/prothèse a permis de mettre en lumière la complexité des vécus composites post amputation et laisse entrevoir l’équilibre fragile entre organique et technologique. Le port de dispositif prothétique génère certes une source conséquente de potentialités qui néanmoins doit être contrebalancée, sans sentimentalisme ni apitoiement, par la prise en compte d’un versant désenchanté auquel renvoient certaines limitations, complications, douleurs psycho et/ou somatiques, non-dits des situations de handicap... La prothèse malgré les possibilités offertes reste un dispositif technique imparfait de compensation fonctionnelle qui laisse apparaître une profonde divergence avec les promesses prothétiques véhiculées par les figures hybrides médiatiques comme Aimee Mullins ou Oscar Pistorius. La mise à l’épreuve par l’enquête de terrain de cet enchantement prothétique et des figures idéalisant un faire-corps parfait avec la technologie invite à critiquer et à souligner le danger latent à occulter les aspects thérapeutiques-palliatifs de la prothèse. Le risque est de « dépathologiser » le dispositif prothétique au profit d’une vision et d’une revendication d’un corps indéfiniment réparable et modulable, nécessairement rationalisé et performant, voire possiblement augmenté ; jetant un voile pernicieux sur la fragilité-précarité du rapport corps/prothèse et la complexité des situations de handicap.
20Ces quelques apports et conclusions n’ont pas la prétention d’être exhaustifs et totalisants. Ils invitent au contraire à être nécessairement prolongés, complétés, réinterrogés tant l’objet d’étude socio-anthropologique que représentent les personnes amputées-appareillées en lien avec l’enquête de terrain cristallise un ensemble de questionnements à approfondir sur l’altération du corps, l’évolution prothétique, le rapport hybride corps/technique, les savoirs expérientiels38, la diversité du handicap, rejoignant ainsi les mots de Charles Gardou39 (2009, p. 8) pour qui « les chercheurs (travaillant sur le handicap) attentifs à dépasser la seule explication pour accéder à la compréhension ne progresseront guère, enclos dans leur laboratoire ou rivés à des enquêtes et théorisations implicitement normatives. Ils sont voués à l’errance heuristique face à un objet déconcertant, qui se diffracte en une multiplicité de figures, de situations d’intensité et requiert de fait une pluralité de point de vue ». Rien n’est figé dans l’étude des trajectoires des personnes amputées des membres inférieurs ; tout est singulier, multiple, toujours en évolution et c’est ce qui fait tout son intérêt anthropologique.
Notes de bas de page
1 Canguilhem, G., Le normal et le pathologique, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 142.
2 Gori, R. et Del Volgo, M.-J., La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Editions Denoël, 2005.
3 Sfez, L., La santé parfaite. Critique d’une nouvelle utopie, Paris, Seuil, 1995.
4 Andrieu, B., Devenir hybride, Presses universitaires de Nancy, 2008.
5 Korff-Sausse, S., Les figures du handicap. Mythes, arts, littérature, Paris, Petite Bibliothèque, 2010.
6 Brohm, J.-M., Le Corps analyseur, essais de sociologie critique, Paris, Economica, 2001.
7 Goffette, J., Naissance de l’anthropotechnie. De la médecine au modelage de l’humain, Paris, Libraire Philosophique J. Vrin, 2006.
8 Poizat, D., Le handicap dans le monde, Toulouse, Éditions Érès, 2009.
9 Besnier, J.-M., Demain les post humains, le futur a-t-il encore besoin de nous ?, Paris, Editions Littératures, 2009.
10 Gardou, C., Fragments sur le handicap et la vulnérabilité. Pour une révolution de la pensée et de l’action, Toulouse, Edition Eres. 2009.
11 Morin, E., Introduction à la pensée complexe, Paris, Editions du Seuil, 2005.
12 Berthel, M. et Ehrler, S., « Aspects épidémiologiques de l’amputation de membre inférieur en France », Revue Kinésithérapie scientifique, no 502, 2010, p. 5-8.
13 Ibid.
14 Kübler-Ross, E. et Kessler, D., On Grief and Grieving : Finding the Meaning of Grief Through the Five Stages of Loss, Simon & Schuster Ltd, 2005.
15 Haggard, P. et Wolpert, D., « Disorders of Body Schéma », in Freund, J., Jeannerod, M., Hallett, M., Leiguarda, R. (eds.), High-order motor disorders : front neuroanatomy andneurobiology to clinical neurology, Oxford University Press, 2005, p. 261-271.
16 Tessier, P., Le corps accidenté. Bouleversements identitaires et reconstruction de soi, Paris, Presses universitaires de France, 2015.
17 Le terme « paradoxe » est à considérer dans son sens étymologique premier : « opinion qui va à l’encontre de l’opinion communément admise » (Dictionnaire Le Petit Robert, 2015).
18 Dans le cadre du travail en commun entre chirurgie orthopédique et médecine rééducative au CHU de Grenoble, les chirurgiens amputent et modèlent le corps, avec en perspective, le bien-être dans la prothèse (pas de douleur) et l’autonomie du patient appareillé (supporter au quotidien la prothèse dans la durée). Plusieurs exemples peuvent être énumérés : garder une certaine longueur du moignon, couper les nerfs assez haut pour éviter des douleurs neuropathiques ; pour les amputés tibiaux, raccourcir plus légèrement le péroné que le tibia pour éviter des appuis frontaux de l’os du moignon avec la prothèse, garder de la chair-masse molle, etc.
19 Terme à considérer également dans son sens étymologique premier : « qui empêche de faire des imprudences » (Dictionnaire Le Petit Robert, 2015).
20 L’utilisation du terme rapport dialectique renvoie à la définition donnée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (TFLI ; <http://www.cnrtl.fr>): « Tout rapport reposant sur le principe de tension-opposition entre deux termes, deux situations, et dépassement de cette opposition ».
21 Gardien, E., L’apprentissage du corps après l’accident, Presses universitaire de Grenoble, 2008.
22 Warnier, J.-P., Construire la culture matérielle, Paris, Presses universitaires de France, 1999.
23 Goffman, E., Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de Minuit, 1975.
24 Vigarello, G., Le corps redressé, Paris, Armand Colin, 2004 ; Dufour, P., L’expérience handie, Presses universitaires de Grenoble, 2013.
25 Goffman, E., 1975, op. cit.
26 Marcellini, A., « Nouvelles figures du handicap ? Catégorisation sociales et dynamiques des processus de stigmatisation/déstigmatisation », in Boëtch, G., Hervé, C. et Rozenberg, J.-J. (dir.), Corps normalisé, corps stigmatisé, corps racialisé, Bruxelles, Éditions de Boeck Université, 2007, p. 201-220.
27 Gardou, C., Fragments sur le handicap et la vulnérabilité. Pour une révolution de la pensée et de l’action, Toulouse, Editions Eres, 2009.
28 Fougeyrollas, P., « Les processus de production du handicap : l’expérience québécoise », in De Riedmatten, R., (dir.), Une nouvelle approche de la différence : comment repenser « le handicap », Genève, Editions Médecine et Hygiène, 2007.
29 Cf. Crawford, C., Phantom Limb : Amputation, Embodiment, and Prosthetic Technology, New York University Press, 2016.
30 Nikolajsen, L. et Jensen, T. S., « Phantom limb pain », British Journal of Anaesthesia, vol. 87, no 1, 2001, p. 107-116.
31 Les médecins utilisent des échelles visuelles analogiques pour que le patient puisse quantifier son niveau de douleur. Ils le guident par des questions en proposant des exemples de types de douleur que les patients peuvent être amenés à rencontrer. Exemples : « avez-vous une sensation d’écrasement, de picotement, de fourmillement ? »
32 Goffman, E., 1975, op. cit.
33 Winance, M., « Du malaise au “faire-corps” : le processus d’ajustement », Communications, no 81 (« Corps et techniques »), 2007, p. 31-45.
34 Le Breton, D., Anthropologie du corps et modernité, Paris, Presses universitaires de France, 2005.
35 Anne Marcellini s’appuie sur Jacques le Goff (Une histoire du corps au Moyen Age, avec Nicolas Truong, Liana Lévi, 2003) pour le concept de gesticulatio et Jean-Claude Schmitt (« Gestus-Gesticulatio. Contibution à l’étude du vocabulaire latin médiéval des gestes », in La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du Moyen Age, Paris, CNRS Éditions, 1981, p. 377-390) pour celui de gestus.
36 Marcellini, A., op. cit., 2007, p. 215.
37 Murphy, R. F., Vivre à corps perdu, Paris, Plon, 1990.
38 Gardien, E., « De la liberté corporelle en situation : l’exemple de la résistance des personnes handicapées au validocentrisme », Corps : Revue interdisciplinaire, Dilecta, 2016, p. 105-114.
39 Gardou, C., Le Handicap par ceux qui le vivent, Toulouse, Éditions Éres, 2009, p. 8.
Auteur
Doctorant en anthropologie au Laboratoire d’anthropologie des enjeux contemporains (LADEC) – FRL 2002 – Université Lumière Lyon 2/ENS de Lyon, et il est également rattaché au laboratoire Sciences, Société, Historicité, Éducation et Pratiques (S2HEP) – EA 4148 – Université Claude Bernard Lyon 1. Il mène ses recherches en collaboration avec le Professeur Perennou et l’équipe du service vasculaire-appareillage de l’Institut de rééducation (CHU – Grenoble).
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