Le paysage derrière la roue. Le tour de France à la télévision
p. 269-291
Texte intégral
1Il n’a échappé à aucun des auteurs qui se sont intéressés au Tour de France que, depuis les temps héroïques des années 1900, les récits consacrés à la grande boucle avaient diffusé au sein de la population française une connaissance nouvelle des paysages de la France, constitutive de l’identité nationale. Roland Barthes dans Mythologies1 fait du territoire à la fois le décor et le protagoniste d’une épopée. Georges Vigarello, dans Les lieux de mémoire2, énumère les dimensions d’un événement entré dans la mémoire collective. Soulignant que la mythologie du Tour de France se construit essentiellement par le récit, il montre en particulier comment les montagnes que côtoient les coureurs lors du franchissement des cols sont assimilées à des remparts défendant le territoire. La course par ailleurs se déroule de ville en ville dans des lieux saturés d’histoire que les commentaires de la presse sportive ne manquent pas d’identifier, proposant à un public populaire, dans un cadre nouveau, les récits consacrés de l’histoire nationale. On peut sans doute à cet égard transposer au Tour de France une remarque faite par Daniele Marchesini, citant Antonio Gramsci, à propos du Tour d’Italie : c’est dans les pages des journaux sportifs que les lecteurs populaires apprennent la géographie de la patrie3.
2On peut donc faire l’hypothèse que la télévision, lorsqu’elle commence à s’intéresser au Tour de France à partir de 1952, contribue à sa manière à la construction de ce monument de la mémoire partagée, en particulier lorsqu’elle montre à des centaines de milliers, puis à des millions de téléspectateurs, des images des hauts lieux de la course : Iseran, Tourmalet, Puy-de-Dôme ou Mont Ventoux. Les images du Tour, telles que Pierre Sabbagh, en tant que réalisateur, les propose en 1959 ou telles que Léon Zitrone les commente en 1969, s’inscriraient en ce cas parfaitement dans l’économie symbolique de la télévision d’alors, éducatrice et nationale. Mieux, à partir du moment où la télévision française se montre capable d’apporter en direct des images spectaculaires des grands cols et propose des images nombreuses et variées des interstices du territoire, elle contribue d’une façon spécifique, plus efficacement encore que la presse et la radiodiffusion avant elle, à l’inscription des téléspectateurs dans une communauté nationale. Reprenant des récits associés à des lieux, elle joue un rôle important dans la transmission de représentations communes. Permettant à de nombreux auditeurs de partager au même moment la même émotion, les images télévisées du Tour seraient par ailleurs un instrument puissant d’intégration et de construction d’une communauté symbolique.
3Ces hypothèses cependant méritent d’être examinées.
4Deux dimensions doivent être identifiées de façon séparée. On peut s’interroger en premier lieu sur le fait que le direct télévisé apporte des images neuves, que ni la presse, ni la radio, ni même les actualités filmées, n’avaient proposées auparavant. Quel est l’impact réel, dans l’économie symbolique du Tour, des innovations technologiques que représentent le direct et les vues d’hélicoptère ? L’examen attentif des archives disponibles pour la période antérieure à 1975 invite, à cet égard, à ne pas projeter sur la période héroïque des années 1950-1975 les souvenirs de reportages somptueux qui sont ceux des téléspectateurs des années 1980, voire 1990. Avant 1975, en effet, les images du Tour de France à la télévision sont relativement traditionnelles. Le temps consacré aux reportages est mesuré et les moyens mis en œuvre se situent à la limite des possibilités de la technique du temps. Cependant, malgré la relative rareté des images, l’utilisation, à partir de 1959, d’une caméra embarquée à bord d’un hélicoptère, et, à partir de 1969, de caméras HF retransmettant en direct des images depuis les motos suivant la course, représentent des ruptures significatives. Bien que limitées en nombre (et en temps d’antenne), ces séquences introduisent une dimension nouvelle et spectaculaire dans le récit de la course, contribuant à la transformer en spectacle autant qu’en récit.
5Le « récit du tour », en revanche, ne semble pas transformé profondément. Le contenu des reportages et des commentaires, considéré dans son ensemble, s’inscrit dans une continuité. Confrontée au Tour de France, la télévision des années 1950-1975 n’est pas un média révolutionnaire : elle reprend les éléments constitutifs du « discours sur le Tour » élaboré au cours des décennies précédentes par la presse sportive, la radiodiffusion et même les actualités cinématographiques4, faisant émerger avec une certaine lenteur seulement une économie de l’image et du son qui lui serait propre. La place des paysages dans ce discours demeure longtemps marginale. Les résumés d’étape, par exemple, font peu de place à des images qui ne sont pas consacrées aux coureurs eux-mêmes et les paysages que l’on aperçoit, pour la plupart, saisis en second plan, sont fortement dépendants dans leur perception et leur commentaire de l’économie de la course. Cette écriture traditionnelle se montre cependant perméable, par certains côtés, à l’air du temps. Les reportages télévisés consacrés au Tour de France, dans les années 1950-1960, entrent ainsi par bien des aspects en résonance avec les conceptions de la France gaullienne : les images étudiées ici célèbrent par exemple les réussites techniques de la RTF (puis de l’ORTF) de même qu’ils intègrent d’emblée les grandes réalisations techniques des Trente Glorieuses (le pont de Tancarville) dans la géographie symbolique de la France
6Quatre extraits de reportages sortis des archives de l’INA permettent d’illustrer les étapes par lesquelles la télévision élabore sur le Tour de France un discours qui lui est propre et, grâce en particulier aux hélicoptères, commence à s’imposer comme un média capable de donner un point de vue neuf sur le territoire5. Le premier extrait n’appartient pas à l’histoire proprement dite de la télévision : c’est un sujet des Actualités françaises consacré aux premières étapes du Tour de 1947, qui conduisent les coureurs de Paris à Strasbourg en passant par Lille et Bruxelles6. Ce sujet, au montage serré, permet d’analyser quel est l’héritage auquel se trouve confrontée la RTF en 1952 : la presse, la radio et la télévision couvrent en effet depuis des décennies la course et il existe des conventions d’écriture, des codes du récit, des façons de mettre en image la course, déjà solidement institués.
7Les séquences suivantes illustrent à la fois l’importance de l’innovation technique dans la couverture du Tour de France par la télévision et la façon dont le récit télévisé de la course, loin de représenter une innovation radicale continue à s’inscrire dans les codes anciennement institués.
8Lors du passage du col de l’Iseran en 19597, le commentaire est assuré par le journaliste Georges de Caunes. Pour la première fois, un système associant un relais fixe et un hélicoptère permet de diffuser en direct des images télévisées filmées au sommet du col. Les longs plans panoramiques qui montrent la montagne marquent un véritable tournant dans la mise en scène du territoire. Pourtant, et paradoxalement, c’est parce que le dispositif est peu efficace pour permettre de suivre la course en elle-même, que le paysage occupe une si grande place au sein de ces séquences. On attend, en effet, les coureurs durant de longues minutes que le commentateur consacre à la description des dispositifs techniques mis en place, dans ce qui donne l’impression d’être avant tout une célébration de la télévision par elle-même.
9Le dispositif organisé pour filmer le passage des coureurs au col de Tourmalet, dix ans plus tard, le 15 juillet 19698, est mieux maîtrisé, même s’il ne permet pas de retransmettre entièrement les images des coureurs lors de leur descente dans la vallée. Les longs plans sur les montagnes valorisent l’effort des hommes et la teneur du commentaire témoigne de l’assimilation par ce nouveau média qu’est la télévision des codes traditionnels du « récit de Tour de France ». Les innovations techniques sont exploitées afin de permettre à la télévision de faire « en direct » ce que font séparément radio et cinéma depuis des décennies.
10La dernière séquence choisie, l’arrivée à Mourenx, lors cette même étape de juillet 1969, commentée par Léon Zitrone9, témoigne à la fois de la puissance du modèle narratif propre au Tour de France, qui organise autour de lui les innovations techniques, et d’une perception moderniste du territoire. Les images des caméras embarquées sur les motos sont à la fois nouvelles et traditionnelles, puisqu’elles reprennent certains schémas des images des Actualités cinématographiques. De même, le commentaire de Léon Zitrone s’inscrit dans la tradition du reportage radiophonique. La télévision, par ailleurs, tend encore à mettre en scène ses propres exploits techniques, tandis que le choix de la ville nouvelle de Mourenx (créée pour l’exploitation du gaz de Lacq) comme ville d’arrivée inscrit la couverture télévisée du Tour dans une certaine célébration des réalisations de la France gaullienne.
RACONTER LE TOUR : L’HÉRITAGE
Le Tour et les médias d’avant-guerre
11Quelle est l’économie technique de la couverture par le texte, l’image et le récit du Tour de France ? Notons en premier lieu qu’avant la fin des années 1950 le « direct » n’existe pas pour l’image. On ne « voit » pas le Tour, sauf lorsque l’on se rend sur son passage, ce qui donne souvent lieu à des expériences décevantes, les coureurs passant en trombe dans un nuage de poussière. Même les étapes des grands cols ne commencent à compter des spectateurs en nombre important qu’à la fin des années 1930, faute de moyens de transport.
12Le Tour de France est donc avant tout un récit, ou plutôt un ensemble de récits dont la structure est déterminée à la fois par la course et par les médias qui permettent d’en rendre compte. L’organisation de l’épreuve elle-même a été structurée en fonction du média fondateur : elle doit apporter chaque jour des récits propres à alimenter le quotidien sportif (L’Auto, devenu par la suite L’Équipe) qui l’a fondée. Les organisateurs de l’épreuve, hommes de presse, tendent à limiter les informations disponibles pour les médias qui pourraient leur faire concurrence et nuire aux ventes de leur quotidien sportif. Ils n’acceptent dans un premier temps qu’avec réticence les directs radiophoniques et s’assurent que les résumés filmés sont diffusés après la sortie des premières éditions de la presse spécialisée.
13Les journalistes de la presse écrite sportive ont construit autour du Tour un discours codifié, celui-là même dont le contenu et la tonalité ont attiré l’attention de Roland Barthes et de ses successeurs. Des figures rhétoriques variées ont contribué à la construction des coureurs comme héros10. Les journalistes spécialisés dessinent les figures du paysan courageux, de l’ouvrier appliqué à la tâche ou du dandy élégant. Ils édifient des figures emblématiques, aux connotations nationales, régionales, religieuses11 et identifient des lieux privilégiés où se construisent les affrontements entre les hommes et les combats entre l’homme et la nature. Depuis l’origine (1903), les cols des Pyrénées et des Alpes, alors non goudronnés et peu fréquentés, sont des espaces privilégiés par la course. Ces étapes permettent de creuser les écarts et de mettre à l’épreuve le courage des coureurs. Elles donnent à voir la grandeur de la montagne et le courage de ceux qui l’affrontent. La presse sportive illustrée (en particulier Miroir Sprint et Miroir des Sports) commence, dans le courant des années 1930, à substituer aux descriptions littéraires des images photographiques. C’est à cette époque que circulent des représentations destinées à devenir des icônes : figures de coureurs solitaires affrontés à l’immensité montagneuse et caillouteuse des grands cols12, mais aussi images de cyclistes au coude à coude dans le peloton, portraits en contre-plongée de vainqueurs potentiels, images de coureurs blessés ou au bord de l’abandon, portraits de groupe de spectateurs en bord de route. Certaines de ces images sont destinées à être collées dans des recueils pré-imprimés. Elles construisent une culture visuelle, commune, en particulier, aux jeunes garçons.
14On notera qu’en raison des contraintes techniques évoquées ci-dessus, le récit de la course s’organise dès l’origine autour de comptes rendus d’étape diffusés a posteriori. La presse sportive et la presse sportive illustrée quotidienne livrent à leurs lecteurs des récits d’étapes élaborés après l’arrivée. À partir des années 1930, les stations de radiodiffusion offrent des comptes rendus du Tour lorsque les liaisons téléphoniques permettent aux reporters de délivrer un compte rendu de l’étape depuis la ville d’arrivée, mais jusqu’à la guerre on ne peut pas commenter « en direct » la totalité de la course à la radio : dans les grands cols dépourvus d’installations téléphoniques les reportages sont enregistrés sur des disques et descendus dans la vallée par des motards lancés à pleine allure. Les directs depuis des lieux isolés ne sont possibles que lorsque les PTT installent une liaison téléphonique provisoire. Ces dispositifs coûteux sont réservés aux lignes d’arrivée ou à quelques passages de grands cols. Avant la guerre, les stations des PTT qui peuvent compter sur la mobilisation des techniciens du réseau téléphonique se font une spécialité de ces reportages en direct. Ce n’est qu’à partir des années 1950 que des émetteurs radio miniaturisés permettent à des reporters radio embarqués sur des motos de transmettre à des relais fixes des informations depuis la course elle-même. Les reportages radiophoniques ont cependant institué un mode de commentaire spécifique, lui-même inspiré des textes écrits. Le reporter doit maîtriser un savoir professionnel afin d’identifier les coureurs, donner les temps de passage, les écarts, les classements. Son débit précipité est caractéristique : il signifie l’urgence dans la relation exacte des péripéties qui se succèdent mais construit aussi artificiellement une dramatisation du récit.
15Depuis les années 1930 les actualités cinématographiques diffusent elles aussi des images filmées de la course prises en bord de route ou même, à partir des années 1940, depuis une caméra embarquée sur une moto. Des montages d’images filmées lors des différentes étapes de la semaine sont intégrés aux Actualités proposées de façon hebdomadaire par diverses firmes françaises ou américaines (Pathé, Gaumont, Fox) dans des salles spécialisées ou en première partie des séances. Au lendemain de la guerre, Pathé et Gaumont, intéressées à 25 % dans France Actualités ont reçu l’autorisation de reprendre sous un autre nom les Actualités filmées. Le Journal télévisé de la toute jeune RTF va souvent utiliser pendant ses premières années, faute de moyens propres, les images des Actualités françaises. Elles disposent d’un excellent matériel et leur façon de mettre en image la course s’inscrit dans la tradition élaborée avant la guerre tant pour les images que pour le commentaire.
Le Tour aux Actualités françaises : juillet 1947
16L’analyse du sujet diffusé par les Actualités françaises lors du Tour de France en 194713 permet d’identifier certains éléments de cet héritage visuel et sonore. Les images, souvent d’une grande qualité en ce qui concerne l’éclairage, la netteté, le cadrage, sont filmées de façon convenue afin de ne pas dérouter le spectateur. Elles sont découpées en plans brefs, montées en fonction du déroulement de la course et inscrites dans des cadrages qui, sauf cas exceptionnel, privilégient obstinément ce qui se passe sur la route. La question du paysage est secondaire : le résumé de l’étape tient dans un temps limité et les images retenues ne sont pas, en général, celles où la caméra musarde. Cependant un certain nombre d’images sont construites d’une façon identique. Leur répétition contribue à la lisibilité du sujet. Faisant référence à des données familières sur les monuments, les sites ou même les cultures caractérisant une région, elles actualisent et utilisent un discours convenu et stéréotypé sur la France – voire sur les pays voisins –, inscrivant la course, au sens propre, dans un paysage familier.
Cartes postales
17On notera par exemple la fréquence des plans de type « carte postale » où les coureurs passent devant un site identifié grâce à un monument ou un point de vue caractéristique de l’endroit. Ainsi dans le résumé hebdomadaire filmé des premières étapes du Tour de 1947, lorsque le commentaire dit : « ... le Hollandais Vourhen inaugure les échappées peu avant Amiens... », on voit quelques coureurs entrer dans la ville que la silhouette de la cathédrale en arrière plan permet d’identifier. L’image correspond ici exactement au commentaire dont elle redouble le sens. Les cadrages sont sobres : pas de recherche d’effets particuliers (contre-plongée, flou ou point de vue surprenant). Il s’agit de permettre au spectateur de se repérer « au vol » dans une géographique familière véhiculée moins par l’école que par la culture touristique.
Le point de vue du spectateur
18Les Actualités françaises proposent d’autres images du Tour qui s’inscrivent dans un « savoir regarder » ancien, élaboré pour l’essentiel dans les pages des journaux sportifs illustrés. En témoignent les vues prises depuis le bas-côté qui épousent le point de vue du spectateur. Tous les endroits du bord de route n’ont pas en effet la même valeur pour ce dernier : les talus au débouché d’une ligne droite, surtout s’ils sont proches d’un virage qui oblige la course à ralentir, sont des points d’observation privilégiés qui permettent de voir arriver les coureurs et de lire leur numéro de dossard au passage. La caméra, ici, filme ce que voient les spectateurs depuis le bord de la route et propose au spectateur une expérience qui est celle de la foule rassemblée au bord de la course.
Le point de vue du photographe
19De nombreux autres plans mettent en œuvre un savoir faire de photographe d’art ou d’amateur chevronné. C’est le cas d’une séquence filmée entre Lille et Bruxelles. La caméra est posée loin de la route, de l’autre côté d’un champ de céréales et capte l’image du peloton passant au loin sur la route, traversant l’image sur toute la largeur de gauche à droite. L’image est construite en plans étagés de façon très lisible : au premier plan deux spectateurs et un photographe – photographe dans la photographie – au second un champ, au troisième les coureurs, au quatrième une ligne d’arbres qui matérialise la route. Le plan suivant est filmé au travers d’une œuvre d’art installée sans doute sur une place. Ce point de vue original dirige le regard du spectateur vers les coureurs qui passent entre deux rangées de maisons puis s’échappent vers un point de fuite situé à peu près au centre de l’image.
Dans la course
20D’autres séquences permettent au spectateur des Actualités françaises de rentrer dans la course proprement dite et de se mêler aux coureurs. Parfois le caméraman, juché à l’arrière d’une moto, remonte et redescend le long des coureurs. Le paysage est alors réduit à une toile de fond fuyant au second plan. D’autres plans adoptent un point de vue qui pourrait être celui du coureur : la caméra est alors dirigée dans l’axe de la route. Elle découvre les entrées de village comme les voient les coureurs, tandis que le commentaire identifie les lieux et les situe par rapport au déroulement de l’étape.
21La géographie est alors entièrement subordonnée à la logique de la course : les distances en particulier sont identifiées par rapport au point de départ et d’arrivée de l’étape, et la topographie commentée en fonction des difficultés qu’elle présente pour un cycliste. Un dernier type de plan, enfin, épouse le regard du coureur et propose un champ de vision réduit au sol qui défile sous la roue, aux bas-côtés, voire aux jambes des spectateurs. Le paysage proprement dit a disparu.
22Cette succession d’images construites selon des schémas précis offre donc une façon de saisir les paysages de France à la fois originale et marginale. Marginale parce que, dans l’économie globale des résumés filmés journaliers et hebdomadaires, les plans centrés sur les coureurs sont les plus nombreux. L’approche du paysage est entièrement subordonnée au récit du déroulement de l’étape qui doit tenir dans dix minutes à peine. Les points de vue sur les villes, les villages et la campagne sont donc fugitifs, les aperçus furtifs. Le paysage, la plupart du temps, est vu « derrière la roue ».
23Ces images, cependant, sont originales, en ce qu’elles proposent des points de vue nouveaux (celui du spectateur, du coureur, du suiveur). Elles font surgir du néant des lieux qui ne possédaient aucune aura dans l’économie traditionnelle des lieux symboliques. Tel village n’est filmé que parce qu’il est situé « à 11,5 km de l’arrivée » ; telle longue ligne droite entre deux champs picards paraît aux Actualités françaises parce qu’elle permet de donner à voir l’ensemble du peloton. C’est l’une des caractéristiques du Tour, en effet, que d’être dans l’obligation de montrer des lieux anodins que rien ne distingue. Elle offre alors le kaléidoscope d’une France ordinaire, ordonnée autour d’un élément trivial, la route.
24Certains points du territoire, bénéficient, en outre, d’une représentation privilégiée. Le Tour de France, en effet, construit sa propre hiérarchie des lieux importants. La course bien sûr découvre et érige en haut lieux des passages tels le col du Galibier ou l’Isoar qui n’avaient pas une grande importance avant qu’il n’y passe. Elle emprunte à des lieux déjà emblématiques, tels le Mont Ventoux, une partie de leur force dramatique. Le Tour, par ailleurs, co-produit des lieux forts, lorsque, par exemple, le peloton emprunte le nouveau pont de Tancarville (inauguré en 1958 par le général De Gaulle).
DU RÉSUMÉ D’ÉTAPE AU DIRECT : UN SAUT TECHNOLOGIQUE
25Lorsque la télévision française à son tour, s’intéresse à la course, elle doit s’inscrire, volens nolens, dans la tradition des récits et des images construites par ses prédécesseurs, presse illustrée, cinéma et radio. Comme eux, elle va « donner à voir », en obéissant à des codes visuels établis, à la fois les lieux anodins des étapes de plaine et les hauts lieux des affrontements ritualisés que sont les grands cols de montagne. Dans ces derniers, à la fin des années 1950, l’utilisation d’un hélicoptère puis des relais hertziens mobiles va renouveler les images disponibles et donner une puissance dramatique sans précédent au décor de la course.
Des résumés d’étape acrobatiques et classiques
26Les premières images du Tour de France à la télévision prennent la forme des résumés d’étape. Ces derniers sont diffusés à partir de 1952 pendant ou juste après le journal télévisé du soir ou vers 22 h 45 lorsque les images n’ont pas pu être montées avant14. En 1960 les images montrées, lorsque c’est possible, à 20 h 30, sont transmises en Eurovision. Elles sont tournées en 16 mm, montées le jour même dans le laps de temps qui sépare l’arrivée de l’étape de la diffusion du journal. La correspondance de Pierre Sabbagh, conservée aux Archives nationales,15 montre qu’une grande partie de l’énergie des équipes est mobilisée par la transmission par moto, auto et avion des bobines de film. Le commentaire est assuré, depuis les studios de province ou, pour les journalistes étrangers, depuis les studios de Paris, par des journalistes qui, parfois, ont à peine eu le temps de visionner le montage qu’ils doivent commenter.
27Dans ces conditions, et puisque le temps imparti pour montrer la course est bref, on comprendra que le montage privilégie les péripéties de l’affrontement entre les coureurs. Cependant, dès 1955, un débat sur l’opportunité d’inclure des séquences « touristiques » dans ces séquences se fait jour, dont les papiers de Pierre Sabbagh gardent la trace. La RTF envisage un moment de mettre en place une nouvelle formule qui comprendrait « 1. une séquence touristique réalisée sur le parcours de chaque étape 2. le compte rendu traditionnel de la course 3. une séquence documentaire sur les à-côtés de l’épreuve (vie de coureurs) ». Une note signée Pierre Sabbagh du 11 mai 1956 pour Jean D’Arcy indique cependant que l’idée du « film touristique » est abandonnée : la direction de la course ne semble guère favorable à l’idée de voir la télévision empiéter sur son terrain en diversifiant ses types de récit. Quant à la RTF elle cherche à garder le contrôle de ce qui passe sur son antenne : lorsqu’une « société privée » – sans autre précision – se montre désireuse de produire ces images, sa proposition est rapidement écartée.
28De toute façon, disposer chaque jour à l’heure dite des résumés d’étape montés et prêts à être commentés, demande des prodiges d’organisation, ce qui n’est guère favorable à la recherche d’innovations formelles. Les images sont fournies par les équipes techniques des Actualités sous la direction de Jacques Anjubault. Elles reprennent les formes canoniques déjà identifiées dans les Actualités françaises. Le récit est monté de façon chronologique et comprend quelques images du départ, le récit illustré des principales péripéties de l’étape et un ou des interviews faits à l’arrivée. Les images doivent être lisibles et le commentaire doit en expliquer la signification. Les décalages entre l’image et le son – le commentaire est ajouté ensuite – représentent les erreurs les plus redoutées de l’équipe. Dans ces résumés d’étape des années 1950 et du début des années 1960, la télévision montre donc des images du territoire proches de celles que proposaient les Actualités françaises.
1958-1959 : des « directs » révolutionnaires
29En 1958 et 1959 deux séries de directs en provenance de la montagne changent les choses. Les premières émissions réalisées « en direct » du Tour, ont eu lieu en 1956 depuis la ville de Reims, l’une la veille du départ, et l’autre le matin même. Elles ne semblent pas avoir eu un impact particulier. Les caméras sont lourdes, encore reliées à des câbles, difficiles à alimenter et nécessitent un fort éclairage. Il s’agit, à Reims en 1956, d’une sorte de délocalisation du studio qui ne modifie pas en profondeur l’économie de l’image.
30En 1958 en revanche sont organisés les premiers directs pour les étapes pyrénéennes. Cette année-là le Tour passe le 8 juillet par l’Aubisque (1 704 m) avant l’arrivée à Pau. Le lendemain, dans l’étape Pau-Luchon, les coureurs grimpent le col d’Aspin (1 489 m) et Peyresourde (1 563 m). Le 8 juillet le brouillard a gêné les prises de vue. Ce sont les images prises le 9 juillet qui ont, semble-t-il, un fort impact. D’emblée ces images sont jugées d’un double point de vue : elles sont célébrées à la fois parce qu’elles produisent, à côté de la course, des images conformes au code du beau touristique développé depuis le début du siècle dans les revues consacrées au tourisme (en particulier la revue du Touring Club de France) et parce qu’elles témoignent des capacités techniques de la RTF. Les rapports d’écoute du service du « Contrôle artistique des émissions » approuvent ainsi des prises de vue qu’ils qualifient de « document touristique » (8 et 9 juillet - Aspin et Peyresourde). Par ailleurs, les archives de Pierre Sabbagh conservent une lettre de félicitation d’un spectateur de Montluçon écrite le jour même qui témoigne à la fois de l’intérêt porté à la performance technique et du point de vue adopté par le téléspectateur : celui de la compétence en matière photographique. « [...] Les caméras [écrit ce spectateur] étaient toutes bien placées ; elles ont donné le maximum, en particulier dans la descente de Peyresourde16. »
31Cette réussite entraîne un surcroît d’investissements techniques pour l’édition de 1959. Quatre émissions en direct sont prévues : le 5 juillet pour l’étape du Tourmalet et l’arrivée à Bagnères-de-Bigorre, le 10 juillet depuis le Puy-de-Dôme, le 14 juillet au passage de l’Iseran et au Petit-Saint Bernard, le 18 juillet à l’arrivée à Paris. La télévision, comme les organisateurs de la course, associe la fête nationale aux hauts lieux de la montagne, menaçante et protectrice à la fois. Cette couverture des étapes des grands cols et du Puy-de-Dôme (le Tour ne passe pas par le Ventoux cette année-là) nécessite un investissement important en matériel17.
32Fabien Wille a, dans sa thèse, identifié les matériels qui apparaissent à cette occasion. En 1957-1958 on utilise pour la première fois une caméra vidéo haute fréquence qui n’a plus besoin d’être reliée à la régie par un câble. Le tube est de petite dimension et le poids de la caméra passe peu à peu de 30 kg à 12 kg puis 6 kg18. On peut envisager de la placer sur un support mobile, même s’il est délicat d’installer du matériel de ce type qui résiste mal aux chocs sur une moto ou une voiture. Un travelling routier avec une caméra haute fréquence est ainsi réalisé sur le Tour en 1958. En 1959 une caméra autonome filme le col de l’Iseran depuis l’hélicoptère. L’essentiel des images du Tour est cependant encore enregistré sur film et l’hélicoptère est utilisé plutôt pour les opérations de transport que comme support d’une caméra.
33La retransmission des images depuis les Pyrénées en 1959 est une réussite19 et les directs depuis la montagne deviennent désormais systématiques dans la couverture du Tour. Il faut noter que la télévision ne paye pas de redevance à la Société du Tour de France pour les résumés d’étape, mais qu’elle doit le faire pour les directs (10 000 F). À partir de 1962 la télévision propose, en outre, une retransmission des 30 dernières minutes de course, réalisée avec des caméras HF placées sur une moto et un hélicoptère. Les plans vus du ciel deviennent habituels tout comme devient familière la figure de la moto portant à la fois un cameraman et son aide orientant l’antenne de liaison. En 1965 apparaît le magnétoscope léger. Le réalisateur – dans les années 1960, Gilbert Larriaga – dispose donc de sources d’images plus diversifiées. Il construit un spectacle renvoyé sur l’écran de contrôle du commentateur – placé à un point de passage stratégique ou à l’arrivée – en alternant les plans et les séquences selon les disponibilités et les contraintes, afin de « reconstruire » la course d’une façon nouvelle, différente en tout cas des « résumés d’étape » qui représentaient jusqu’alors l’essentiel des récits en image du Tour de France. En 1969, le spectacle est assez au point. Léon Zitrone, commentant l’arrivée à Mourenx, évoque avec gourmandise « les images de l’hélicoptère ». La caméra de ce dernier, cependant, doit lâcher les coureurs dans la descente du dernier col. Il recommence à surveiller « de haut » la progression du vainqueur dans la vallée lors de sa longue échappée, mais Léon Zitrone n’aura pas d’images venues du peloton avant les derniers kilomètres : le commentateur doit encore savoir meubler de longs vides tout comme le réalisateur doit utiliser les images de la caméra braquée à l’arrivée sur... les commentateurs eux-mêmes pour occuper les longues minutes où il ne reçoit d’images ni des motos ni de l’hélicoptère.
1959-1969. DÉCOUVRIR LA MONTAGNE ?
34Ces directs changent-ils en profondeur la perception du territoire ? On aurait mauvaise grâce à diminuer leur impact, les lettres enthousiastes des téléspectateurs le prouvent. Cependant les images du 14 juillet 1959 au passage de l’Iseran montrent que, dans un premier temps, ce sont paradoxalement les insuffisances techniques du direct qui donnent aux images toute leur puissance.
14 juillet 1959 : en direct depuis l’Iseran
35En 1959, Georges de Caunes est installé au sommet du col, en contre-haut de la route, presque sous la banderole qui matérialise le passage du sommet. Un hélicoptère tourne dans le ciel. On attend les coureurs. En fait, on va les attendre pendant plusieurs dizaines de minutes, ce qui représente un temps très long à l’écran. La caméra fixe installée dans l’approche de l’arrivée du col ne couvre en effet qu’une partie des derniers lacets. Quant à l’hélicoptère, il ne transmet que des plans très généraux des pics, versants et vallées, mais ne peut s’éloigner du réémetteur installé près du col.
36Cette séquence rompt cependant complètement avec le mode de récit véhiculé auparavant par les résumés d’étape. Alors que ces derniers étaient réduits à des images très signifiantes montées de façon très serrée, dans le direct le temps s’étire, la caméra s’attarde longuement sur les flancs de la montagne, détaille les pics qui se succèdent à l’horizon, montre la profondeur de la vallée. Le preneur de vues considère aussi la course du point de vue des spectateurs massés sur le bord du col et le reportage restitue l’expérience de la course, en particulier les longues minutes passées à attendre les coureurs. Les images offrent au téléspectateur la possibilité de s’identifier à la petite foule massée près du sommet du col. La caméra s’attarde d’ailleurs sur les figures installées au bord de la route ainsi que sur les autocars qui ont amené les spectateurs au sommet.
37Le direct depuis le grand col offre aussi une image renouvelée de l’effort des coureurs. Comme le faisait avant elle la photographie de presse, la caméra de télévision montre, dans les derniers mètres avant le passage du col, les cyclistes arc-boutés sur leurs machines, le regard rivé au sol. Dans les minutes précédentes, il a fallu se contenter de plans panoramiques enregistrant la lente progression des coureurs dans les lacets, petites silhouettes à peine identifiables. L’imperfection même de l’image, offerte par des caméras trop rares et trop peu mobiles, permet de mesurer la lenteur de leur progression, l’effort qu’il faut à chaque coup de pédale pour gagner quelques mètres, progrès dérisoire dont la mesure est donnée d’emblée par les plans larges sur la montagne. On discerne mal les coureurs, perdus dans l’immensité du paysage et cela même restitue à la course son caractère d’affrontement entre des hommes réduits à leurs seules forces et la montagne, énorme et indifférente. Ce que les journalistes écrivains de 1930 exprimaient par des mots, la caméra en 1959 le donne à voir.
38Les reportages depuis les cols des Alpes sont aussi l’occasion pour la RTF de se célébrer elle-même, non sans une certaine naïveté joyeuse, caractéristique du rapport de la France gaullienne au progrès technique. Le long temps mort qui précède l’arrivée des coureurs donne l’occasion à Georges de Caunes de remplir le silence. Il communique au téléspectateur les détails de l’installation technique mise en place, la construction d’une cabane provisoire grâce au matériel amené par l’hélicoptère, communique le nom du technicien qui manipule la caméra embarquée, précise le poids du car régie qui a rejoint le haut du col en dépit de son gabarit et de l’étroitesse des tunnels. La télévision se met elle-même en scène comme protagoniste de la modernisation de la France.
39Ce n’est que dans les dernières images de cette longue retransmission que les coureurs surgissent enfin dans le champ de la caméra installée au passage du col. Mais à peine aperçus il faut les quitter : la caméra ne peut les suivre que dans les premiers mètres de la descente... L’image télévisée ne nous offre pas encore la possibilité de vivre en direct la descente échevelée vers la vallée en épousant le point de vue des coureurs qui voient la route défiler sous leurs roues. Il faudra attendre pour cela qu’apparaissent les caméras embarquées sur les motos.
14 juillet 1969 : le Tourmalet ou la splendeur des Pyrénées
40Dix ans plus tard, le reportage en direct depuis le col du Tourmalet permet de mesurer combien les images des grands cols appartiennent déjà à une culture visuelle. Gilbert Larriaga, chargé de la réalisation, peut travailler avec les images de plusieurs caméras. Il alterne plans panoramiques sur la montagne et vues d’hélicoptères, multiplie les plans fixes sur les lacets de la route par lesquels vont apparaître les coureurs, passe en revue les spectateurs, plus nombreux qu’en 1959, ainsi que leurs voitures et laisse la caméra installée au sommet du col errer sur le paysage désolé des pentes supérieures. L’image du passage du Tour de France en 1969, est faite de ces différents éléments, le paysage et les spectateurs, les coureurs et la route. Ces images acquièrent tout leur sens par leur juxtaposition même. Ce que nous montre Gilbert Larriaga, c’est d’abord un moment stratégique de la course (qui va se saisir du maillot jaune ?) Pour cela il braque ses caméras sur les coureurs, suit leur progression, tandis que le commentaire identifie les hommes et précise les temps.
41Mais le réalisateur donne aussi à voir, par de grands panoramiques réalisés depuis les caméras fixes et l’hélicoptère, plus mobile qu’auparavant, la montagne immuable et éternelle qui attend les hommes décidés à la conquérir. La caméra enfin détaille aussi les spectateurs, montre leurs voitures, cadre les banderoles et s’attarde sur la fête populaire qui, à l’occasion du passage du Tour, prend possession d’espaces nouveaux. 1969, c’est aussi le début du « plan neige » qui préside à la construction des stations de sports d’hiver et à la mise en valeur systématique de la montagne française par les sports d’hiver. Les plans somptueux des sommets pris depuis l’hélicoptère de l’ORTF signent une prise de possession.
15 juillet 1969 : Mourenx, « dans toute sa splendeur boisée »20
42La retransmission de l’arrivée le lendemain à Mourenx présente des images nouvelles inscrites dans une construction ancienne du récit. Léon Zitrone est chargé du commentaire : il est installé à l’arrivée, au milieu de nombreux confrères qui comme lui regardent non pas la course – elle se déroule loin de là sur les routes de la vallée –, mais un écran de contrôle sur lequel le réalisateur, Gilbert Larriaga envoie des images. Ces dernières sont variées et proviennent de sources diverses : dans les vingt derniers kilomètres, le reportage peut être retransmis depuis l’hélicoptère, qui suit de haut les coureurs – ici il accompagne l’échappée d’Eddy Merckx – ou bien depuis les motos qui se trouvent à divers endroits de la course. La caméra sur la moto peut remonter le long d’un groupe de coureurs, les filmer en gros plan, filmer la route, le paysage. La moto peut même s’arrêter pour adopter le point de vue du spectateur. De nombreuses possibilités sont ouvertes, même si, de temps en temps, des ruptures dans la liaison hertzienne obligent le réalisateur à se rabattre sur les images de la ligne d’arrivée et des gros plans sur les commentateurs qui attendent les coureurs.
43Ces possibilités techniques nouvelles sont mises au service d’un récit relativement traditionnel. Les plans sur les coureurs, la route et le paysage obéissent, pour l’essentiel, à la grammaire déjà élaborée lors des reportages filmés pour le cinéma. Les coureurs sont le point d’intérêt principal et le reportage est organisé d’abord comme le récit de la course. Léon Zitrone lui-même adopte ici le ton précipité du reporter sportif et les figures de style des reporters du Tour. Le paysage toujours secondaire, est cependant beaucoup plus présent que dans les résumés filmés d’étape parce que la prise d’antenne s’étire sur plusieurs dizaines de minutes au lieu du bref résumé qui prévalait autrefois. On voit donc beaucoup plus d’images consacrées à la France profonde que traverse la course. Elles sont cependant toujours furtives et secondaires par rapport au récit principal. Elles sont en outre identiques aux cadrages des Actualités françaises. Un seul type de plan véritablement nouveau apparaît : il est offert par l’hélicoptère qui cadre la route en surplomb, découpant dans le territoire une bande de quelques mètres de part et d’autre de la route. Même la présentation de la ville d’arrivée est encore fort sobre. Mourenx n’a droit ici qu’à quelques images qui s’inscrivent dans la tradition de l’imagerie touristique. La ville est réduite à son église et à sa rue principale, parcourue par une petite foule estivale. Seules les images du générique de final sonnent comme une promesse : l’hélicoptère qui s’envole nous montre vue de haut une France encore inconnue que, lors d’une autre étape, plus loin, demain peut-être, les caméras nous montreront...
Notes de bas de page
1 Roland Barthes, « Le Tour de France », Mythologies, Paris, Seuil, 1957 : « Les éléments et les terrains sont personnifiés, car c’est avec eux que l’homme se mesure et comme dans toute épopée, il importe que la lutte oppose des mesures égales : l’homme est donc naturalisé, la Nature humanisée. Les côtes sont “malignes”, réduites à des pourcentages revêches ou mortels... »
2 Georges Vigarello, « Le Tour de France : une passion nationale », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1989, tome iv, p. 3801-3833.
3 Daniele Marchesini, L’Italia del Giro d’Italia, Bologna, Il Mulino, 1996, 268 p. Dans une lettre de prison, Antonio Gramsci, fait remarquer à ses camarades militants que les seuls journaux que désirent réellement lire les hommes du peuple qu’il côtoie sont ceux de la presse sportive.
4 Le Journal Pathé naît en 1907, suivi des Actualités Gaumont, de L’Éclair Journal et de L’Éclipse Journal.
5 Voir la thèse de Fabien Wille, « Le sport, un opérateur de changement dans la production médiatique », sous la direction de Jean Mouchon, 1999, 2 tomes.
6 INA. Les Actualités françaises. « Les cinq premières étapes du 34e Tour de France », diffusé le 3 juillet 1947.
7 INA. « Tour de France cycliste 1959, 18e étape : passage du col de l’Iseran ». En direct. Retransmission du 14 juillet 1959.
8 INA. « Le Tour de France cycliste 1969. 17e étape : passage du Col du Tourmalet ». En direct. Retransmission du 15 juillet 1969. Réalisation Gilbert Larriaga. Journaliste Richard Diot. Commentaire Jean-Michel Leuilliot.
9 INA. « Tour de France cycliste 1969, 17e étape : Luchon-Mourenx ». Retransmission du 15 juillet 1969. Commentaire, Léon Zitrone, Richard Diot, Jean-Michel Leuilliot.
10 Voir par exemple la déconstruction-reconstruction de la figure du coureur dans Albert Londres, « Les forçats de la route », Le Petit Parisien, juillet 1924, réédition : Arléa, 1996, 61 p. et aussi Antoine Blondin, « Sur le Tour de France », 1977, réédition : La Table ronde, 1996, 160 p.
11 Face à Fausto Copi, Gino Bartali se fait ainsi le champion d’une certaine idée du catholicisme en Italie.
12 Sandrine Viollet, « Le Temps des masses : le Tour de France cycliste, 1903-2003 », thèse de doctorat sous la direction de Jean-Yves Mollier, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2004, 4 tomes.
13 INA. Les Actualités françaises. « Les cinq premières étapes du 34e Tour de France ».
14 Archives nationales (AN). Centre des archives contemporaines, Fontainebleau (CAC). Fonds Pierre Sabbagh. En 1956 il est prévu que le résumé de chaque étape du tour soit diffusé deux fois : le jour même à 22 h 15 et le lendemain après le journal de 13 h. Deux directs sont prévus tous deux de Reims les 4 et 5 juillet, la veille et le matin du départ. Le premier (un « plateau ») doit durer de 20 h 40 à 21 h 10.
15 Ibid. « Rapport sur le Tour de France 1955 ».
16 AN, CAC. Archives de l’ORTF. Versement 1995256 art. 5. Rapports d’écoute : « Si l’on en croit ces deux émissions, les reportages que la télévision a offerts à ses téléspectateurs se sont révélés de premier plan. Le choix des lieux et des images était tel qu’il présentait, en effet, un double intérêt : être attachant pour le sportif et constituer en même temps un remarquable document touristique ». Le 13 juillet un autre téléspectateur félicite Pierre Sabbagh pour « les belles images [...] en direct du Mont Ventoux ». Je remercie Évelyne Cohen qui m’a signalé ces documents.
17 Ibid. Une note de service détaille, l’année suivante, le matériel nécessaire au moment où de tels reportages deviennent la norme. L’essentiel est encore le matériel cinéma et les moyens de développement, montage, transport du film vers les studios, mais apparaissent les équipements du direct : « une caméra légère de type Amflex ( ?) ou Éclair, 1 magnétophone EP6A bande lisse pour les enregistrements mobiles image et son ; d’autres magnétophones ».
18 Fabien Wille, « Le sport, un opérateur de changement... », op. cit., p. 74.
19 À tel point qu’elle suscite des appétits chez les notables locaux qui demandent une retransmission par les mêmes moyens du concours hippique local.
20 INA. Tour de France cycliste 1969, 17e étape : Luchon-Mourenx. Retransmission du 15 juillet 1969. Commentaire, Léon Zitrone, Richard Diot, Jean-Michel Leuilliot. Commentaire de Léon Zitrone : « Merckx, dans ce paysage admirable qui domine cette belle vallée qui nous mène à Mourenx et que l’hélicoptère de Gilbert Larriaga nous montre dans toute sa splendeur boisée... »
Auteur
Professeur d’Histoire contemporaine à l’UFR Médiation culturelle de l’université Sorbonne nouvelle-Paris III. Elle a publié notamment La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes chez Odile Jacob en 1999 et, avec Frédéric Barbier, Histoire des médias, Colin, 3e édition, 2003. Elle a dirigé l’ouvrage collectif « La bicyclette », Cahiers de médiologie, no 5, mai 1998, Gallimard. Titulaire de la chaire « France contemporaine » de l’université de Montréal en 2006-2007, elle prépare un ouvrage sur Médias, culture et mondialisation.
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