Les législations sur l’espionnage en Grande Région (1886-1914)
p. 75-103
Texte intégral
1Un des aspects délaissés des Intelligence Studies concerne son aspect judiciaire. Non que la chasse aux espions soit minorée ; il suffit de relire les travaux d’Alain Dewerpe sur la conception de l’espion1 et de Bertrand Warusfel sur les développements du contre-espionnage en France2. Mais il s’agit d’exceptions suffisamment notables pour la citer en ouverture de notre propos. Au niveau de la Grande Région, qui nous occupe particulièrement, une telle étude des cadres juridiques organisant la lutte contre l’espionnage manque. Il est vrai que ce concept régional, constitué entre 1980 et 2005, est avant tout une réalité administrative de coopération transfrontalière. Dans l’avant 1914, il a plutôt une forme antagoniste, entre souverainetés rivales depuis 1870 et États neutres cherchant à se positionner entre France et Allemagne. Mais cette période est également celle du développement des services de renseignement et l’action de leurs agents fut très active dans l’espace grand-régional, tant en France et en Allemagne, qu’en Belgique et au Luxembourg.
2Dans ce contexte des rivalités secrètes de la fin du XIXe siècle, cette quête officieuse de renseignements connut une floraison législative particulière, permettant l’adaptation pénale de la punition du crime d’espionnage. Mais celles-ci s’inscrivent également dans une époque de « mutation du droit dit classique (XIXe siècle) vers le droit dit moderne (XXe siècle) »3 en Europe. Inévitablement, l’espionnage, ce « mot affreux »4, fut inclus par cette revue générale du droit, profitant d’abord de la réglementation de la conduite de la guerre, puis de la modernisation positiviste judiciaire. Si ce mouvement fut général, il ne concerna pas toutes les nations d’Europe dans les mêmes temps. En Grande Région, évidemment, les premiers à réviser leur législation contre l’espionnage furent les États qui disposaient de services de renseignement, la France en premier, l’Allemagne quelques années plus tard. À ces rythmes différents, il convient de prendre en compte des motivations diverses, entre les grands pays traversés de poussées nationalistes, engendrant des climats d’espionnite, et les petits pays neutres, sans prétentions irrédentes et cherchant seulement à protéger leur population des risques de l’espionnage. Toutefois, tous partirent du même corpus juridique, en l’occurrence le Code pénal napoléonien5, traduit dans les législations locales à mesure que Belgique, Luxembourg et Allemagne devinrent des États.
Des cadres juridiques originaux organisant la lutte contre l’espionnage
3La réflexion normative autour de la question de l’espionnage apparaît pourtant comme indépendante de l’avènement étatique. Au niveau international, au lendemain des guerres civiles américaine (1861-1865) et franco-allemande (1870-1871), elle fut menée autour de la question des lois et coutumes de la guerre. Mais, au niveau national, elle fut abordée autour de la réforme du vieux Code pénal de 1810 selon les normes du droit positif.
L’influence du Code pénal français de 1810
4On néglige usuellement l’importance que le Code pénal français de 1810 a eu dans la constitution des différents corpus juridiques en Grande Région. Pourtant, la Moselle (Metz), la Meurthe (Nancy), les Forêts (Luxembourg), la Sambre-et-Meuse (Namur), l’Ourt (Liège) et la Sarre (Trèves) furent des départements français jusqu’en 1814, comme la Confédération du Rhin disposât, entre 1806 et 1813, d’une législation calquée sur celle de l’Empire napoléonien. La disparition de cette première union européenne n’effaça pas les fondements juridiques qu’elle avait posés. Concernant l’espionnage, c’est-à-dire ce crime commis par des citoyens « qui entretiennent des intelligences avec l’ennemi, qui recèlent ses espions, ou qui lui livrent soit des plans, soit le secret d’une négociation »6, le Code pénal de 1810 (CP 1810) devint la base normative valable en France aussi bien qu’en Belgique, qui conquit son indépendance en 1839, au Luxembourg, qui l’obtint en 1867, et en Allemagne, qui proclama son unification dans la Galerie des Glaces de Versailles en 1870. Seulement, ce texte élaboré par le Conseil d’État de l’Empire français reflétait les positions d’une France en guerre depuis 1792.
5La rigueur des peines, généralement la mort et la confiscation des biens, ne se justifiait plus un demi-siècle plus tard. « L’efficacité des peines n’est point la même en tous les lieux ni dans tous les temps », écrivit François Guizot en 1822 dans un pamphlet estimant que « la peine de mort (…) a perdu son efficacité », du moins pour des faits politiques7. Cet historien libéral français s’exprimait à propos des complots et non de l’espionnage, mais il annonçait déjà les lois de révision des 8 octobre 1830 et 28 avril 1832. La première confia aux jurys de juger des délits politiques8. Pour cela, l’espionnage était requalifié en délit, défini dans les art. 76 à 85 du CP napoléonien. Cependant, le terme de cette loi ne fut pas exactement suivi lors de la révision de 1832. D’abord, l’espionnage resta un « crime contre la sûreté extérieure de l’État ». Ensuite, elle ne remit pas véritablement en question l’échelle des peines, maintenant la peine de mort, supprimant seulement la confiscation des biens. Seule « la correspondance avec les sujets d’une puissance ennemie, sans avoir pour objet » de nuire à la sécurité extérieure (art. 78 CP 1832) vit sa peine requalifiée de bannissement en détention9. Sinon les prescriptions de 1810 restèrent valables pour les soixante-dix années suivantes. Toutefois, le domaine du secret des plans d’enceintes militaires fut élargi des fortifications aux « arsenaux, ports ou rades » (art. 80 CP 1832).
6La contestation de la rigueur des dispositions du code de 1810 atteignit un autre niveau en Belgique lors de la discussion de révision qui occupa le Parlement de Bruxelles du 28 novembre 1858 au 11 mai 1867. L’inspirateur de la réforme, le professeur de droit criminel de l’université de Gand, Jean-Jacques Haus, regrettait que le nouveau Code pénal français n’ait réussi « à concilier (...) les exigences de l’ordre social avec les principes de la justice ». Il l’avait affirmé dès 1835, lorsqu’il avait trouvé que le précédent projet de révision du code de 1810 présenté le 9 octobre 183410 n’était pas « [entré] assez franchement dans la voie des réformes »11. Trente-trois ans plus tard, il « os[ait] l’espérer »12. De fait, contrairement à la loi française de 1832, qui n’était qu’une « œuvre incomplète et provisoire (…), se born[ant] à modérer la sévérité du Code » napoléonien13, et conformément à son vœu de 1835, il entendit en faire une « réforme définitive »14. Comme il travailla en une période pacifiée en tout point de vue, il put imposer une position plus mesurée à l’égard des « crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État » et le Parlement le suivit. Non seulement, la réforme belge transforma les peines de mort françaises en détention perpétuelle, comme les bannissements et les détentions se virent réduits à des incarcérations allant de trois mois à quinze ans. Mais la structure et la hiérarchie des articles furent refondues et modernisées. Les « manœuvres » et autres « intelligences avec les ennemis de l’État » du CP 1810 furent tout simplement abandonnées au profit d’une idée de « trahison envers le pays », comme le souligna, le 23 avril 1858, le rapport du député libéral Jules Vanderstichelen15. Comme Haus, cet avocat gantois trouvait ces mots « trop vagues » et surtout « élastiques »16. Ce faisant, les deux juristes préférèrent leur substituer celui d’un crime politique plus conforme à leur conception, à savoir le « complot », pourtant sans relation avec la nature des faits que cherchait à cerner le premier alinéa de l’art. 77 du CP 1810. En effet, les mots choisis en 1810 renvoyaient à des pratiques de renseignement qui, à l’époque, n’étaient envisageables que durant le temps d’un conflit militaire. Or, la neutralité proclamée par la Belgique excluait qu’elle participât, ou même qu’elle fût impliquée dans une guerre. Ainsi, depuis 1852, elle ne possédait qu’un Comité d’état-major qui ne se préoccupait aucunement des questions de renseignement. « Le conflit austro-prussien de 1866 [amena] cependant une réflexion en Belgique et la prise de conscience de l’utilité d’un état-major qui serait chargé de préparer, également en temps de paix, d’éventuelles opérations militaires »17, mais aucunement de se préoccuper de renseignement. Pareillement, le premier Code pénal belge, adopté le 11 mai 1867 par la Chambre des Députés et six jours plus tard par le Sénat, négligea de se retrancher contre le danger de l’espionnage.
7Le Luxembourg ne fit pas autrement. Certes, pour reprendre le jugement de Victor Berg, encore avocat de ce pays, « la législation pénale du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas le mérite de l’originalité »18. En effet, la révision du Code de 1810 se limita, « sauf quelques rares modifications, [à] la reproduction littérale du code belge de 1867 ». Mais, là encore, la tentation des législateurs fut d’alléger le texte des éléments impropres, tant linguistiquement, que conceptuellement. Les discussions prirent toutefois moins de temps à Luxembourg qu’à Bruxelles, s’échelonnant du 19 juillet 1875 au 4 novembre 1879. L’avocat liégeois Jean Nypels et le substitut dinantais Léonce Limelette19 apportèrent leurs compétences pour éclairer les lacunes et les défauts apparus depuis l’adoption du modèle belge. Mais aucune ne concerna les articles touchant aux « crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État ». Au contraire, le directeur-général de la Justice, Henri Vannérus, estima que le démantèlement de la forteresse de Luxembourg, après le départ des Allemands et l’entrée en vigueur de la neutralité du pays, le 11 mai 1867, suffisait pour protéger le pays des fuites de plans d’enceintes militaires. Aussi, les articles 119 et 120 du Code pénal belge furent purement et simplement abrogés dans la version luxembourgeoise20.
8Bien qu’il ne soit pas réputé d’essence française, mais plutôt romaine, le Strafgesetzbuch adopté par l’Empire allemand en 1871 n’en puisait pas moins ses origines dans le Code napoléonien21. Sa gestation intervint à Berlin dans les mois qui suivirent l’adoption du Code pénal belge. Le 21 novembre 1868, Heinrich von Friedberg22, présenta au Conseil fédéral de la Confédération d’Allemagne du Nord un projet de code pénal auquel il travaillait, comme le Belge Haus depuis vingt ans. Il introduisit notamment en droit allemand de nombreuses influences françaises, comme la division tripartite des infractions, la distinction entre tentative et complicité ou les circonstances atténuantes23. Comme pour ces prédécesseurs français et belges, il était influencé par le climat de paix et de constitution d’une société moderne dans lequel vivait l’Europe à cette époque. L’espionnage n’était pas sa préoccupation principale et cela se retrouvait dans la concision avec laquelle il enferma ce crime dans six articles de son projet, là où le Code napoléonien en consacrait dix. L’un d’eux (§ 84, RStGB) était même explicitement lié à la conception sécuritaire allemande, et non aux problématiques du renseignement. En visant
« ceux qui, pour préparer l’exécution d’un crime de haute trahison, auront entretenu des intelligences avec un gouvernement étranger, (…) ou qui auront enrôlé des troupes ou les auront exercées au maniement des armes24 ».
9Friedberg pointait plutôt l’Autriche, que la Prusse avait exclue d’Allemagne à Sadowa (1866), et les différentes « conspirations et diverses machinations criminelles » qui avaient été ourdies, en 1848 et 1868 contre le roi de Prusse Wilhelm Friedrich Ludwig von Hohenzollern et contre Otto von Bismarck25. Ces deux dangers pouvaient menacer directement la fraîche unité allemande que devait souligner le Strafgesetzbuch. Ce crime était qualifié de « haute trahison » (Hochverrath), au même titre que l’espionnage, mais il ne participait pas aux activités de renseignement. Au contraire, il s’agissait d’un crime politique, relevant plutôt du « complot », comme Haus l’avait fait intégrer dans le Code pénal belge.
10Sinon, le Strafgesetzbuch reprenait les mêmes prescriptions contre l’espionnage que le code de 1810, aussi bien « l’intelligence avec un gouvernement étranger » (§ 87, RStGB), le « recel d’espion » et la communication « des plans d’opérations, de forteresses et de positions fortifiées » (§ 90, RStGB), les « secrets d’État » et « de la négociation » (§ 92, RStGB). De la même façon, il apportait cette touche de doctrine pénale classique qui tempérait la rigueur du texte français. Ainsi, comme le texte belge, il privilégiait la détention perpétuelle dans la majorité des cas. Mais les peines de prison pour des faits d’espionnage n’entraînant pas de conflit militaire étaient réduites de moitié par rapport au Code pénal de 1867. Cette disparité montrait à quel point, pour les législateurs qui procédèrent pour fixer les condamnations, le renseignement était une pratique intimement liée au temps de guerre et, de fait, centrée sur les seuls champs de bataille.
L’influence de la Conférence de Bruxelles de 1874
11Cette conception, unanimement partagée en Europe, laissait entendre que le toilettage du Code pénal de 1810 n’était qu’une étape vers une définition commune de l’espionnage. En effet, les législateurs n’avaient fait qu’imposer le passage du prévenu devant un juge et énoncer les motifs ouvrant à des poursuites judiciaires. Certes, ils n’avaient pas insisté sur la nature des documents visés par le secret, mais la jurisprudence s’en chargerait le moment venu, au cas par cas. Restait à définir ce qui était cet « espion » que les codes pénaux avaient mentionné comme n’existant qu’en période de guerre. Quatre ans après la révision allemande, une initiative du tsar de Russie, Alexandre II, permit d’avancer également sur ce point. Après la convention de Genève (1864) et la déclaration de Saint-Pétersbourg (1868), qui avaient posé les principes d’immunité des non-combattants, de neutralité de l’aide humanitaire et de limitation des moyens, il convenait de se pencher sur les Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field, General Order No 100 (Instructions pour le comportement des armées des États-Unis en campagne) du 24 avril 1863, qui établissaient les principes de nécessité militaire, d’humanité et de distinction.
12Ce texte du juriste et philosophe Francis Lieber se distinguait des deux précédents par sa longueur (157 §), mais surtout son caractère général (10 sections). Sa cinquième section était consacrée aux espions, qui étaient assimilés aux « traîtres de guerre » (§ 88-102), comme les législateurs belge et allemand en avaient fait des « traîtres au pays ». Pour la première fois, l’espion était défini, perçu comme « une personne qui, en secret, déguisée ou sous une fausse identité, recherche des renseignements avec l’intention de les communiquer à l’ennemi » (§ 88). Ce faisant, Lieber posait trois conditions nécessaires : 1. l’action clandestine, qui distinguaient l’espion du militaire en uniforme menant une reconnaissance légitime ; 2. le but de recueillir de l’information ; 3. enfin, l’intention de divulgation. Pour cette conception en vigueur aux États-Unis au moment de la guerre civile, Lieber lui appliquait la traditionnelle « peine de mort par pendaison par le cou26. »
13Le baron Alexandre de Jomini, premier conseiller privé et rédacteur au ministère russe des Affaires étrangères, transposa les instructions américaines dans un Projet d’une Convention internationale concernant les lois et coutumes de la guerre, resserré autour de quatre sections (71 §) et animé par
« l’intérêt général bien entendu qui doit porter les Gouvernements à ne point perdre de vue la paix durant la guerre, de même qu’ils se tiennent préparés à la guerre durant la paix »27.
14Dans la première, le chapitre V est consacré à l’espionnage. À la différence de Lieber, il insista sur le caractère essentiellement militaire de l’action de se renseigner dans sa définition de l’espion (§ 18) :
« Est considéré comme espion l’individu qui, agissant en dehors de ses obligations militaires, recueille clandestinement des informations dans les localités occupées par l’ennemi, avec intention de les communiquer à la partie adverse ».
15Toutefois, il admettait comme espion « tout habitant du pays occupé par l’ennemi, qui communique des informations, à la partie adverse » (§ 20). Appliquant les avancées du libéralisme européen, qui s’étaient manifestées dans les révisions des codes pénaux notamment français, belge et allemand, il ne condamna plus l’espion directement à mort, mais stipula qu’il serait « livré à la justice » (§ 19-20)28.
16Le texte produit par Jomini fut ensuite adressé aux États européens, afin de les inviter à une conférence internationale que la Belgique, « nation neutre et essentiellement amie de la paix », selon les mots de son ministre des Affaires étrangères, le comte Guillaume d’Aspremont-Lynden, accueillit du 27 juillet au 27 août 1874. De la Grande Région, seules l’Allemagne, la France et la Belgique y participèrent, le premier pays fournissant même la plus importante délégation, avec cinq membres. Les 1er et 26 août, d’abord en commission, puis en plénière, la question de l’espionnage fut débattue. En tout, seize des vingt-sept délégués intervinrent sur ce sujet, dont onze militaires (trois lieutenants-colonels, deux colonels, six généraux de brigade). Le représentant allemand, le vieux général-major Konstantin Bernhardt von Voigts-Rhetz, ancien commandant de la forteresse confédérale de Luxembourg (1860-1864) ayant combattu contre la France quatre ans auparavant, fut le plus prolixe. Son confrère, le général de brigade Eugène-Jean Arnaudeau29 se contenta d’espérer
« qu’il sera possible un jour, sans changer les modes de répression en usage dans les différents pays, d’en établir le parallélisme et d’adopter ensuite une pénalité commune pour les contraventions, délits et crimes contre les devoirs de la guerre, pénalité que chaque nation s’engagerait à introduire dans son code30 ».
17Les délégations étant composées de militaires, de juristes et de diplomates, les discussions sur l’espionnage ne furent pas toutes empreintes de l’objectivité nécessaire pour s’élever au-delà des conceptions qui caractérisaient ce « mot infâme »31. À chaque réunion consacrée au chapitre V, des tentatives de distinguer celui qui agit par patriotisme de celui qui se livre à l’espionnage par lucre apparurent, tandis que le délégué des Pays-Bas, ministre de son pays à Bruxelles, Johann Wilhelm van Lansberge, estima que « la plupart [étaient] des coquins »32. La commission russe y répondit avec sagesse que « l’opinion publique prononcera toujours un jugement différent sur l’homme qui se dévoue et sur le misérable qui se vend33 ». Même Lansberge pensait qu’il pouvait « cependant se présenter des cas où des hommes honorables consentent à espionner pour servir leur pays ». Pour cela, il était nécessaire d’établir qu’ils ne seraient pas punis sans jugement. Mais le diplomate désirait éviter le semblant d’accorder à l’ennemi une espèce d’extradition anticipée ou de lui reconnaître le droit d’exercer sa juridiction sur le territoire occupé. Ces querelles de juridiction étaient pourtant réglées par les Codes pénaux nationaux, du moins en Grande Région, puisque les dispositions contre l’espionnage s’appliquaient aussi aux étrangers (art. 76 CP 1832 ; art. 114 CP belge ; § 4.2 et 91, RStGB). Voigts-Rhetz y répondit avec une réalité toute militaire que « loin donc de constituer une aggravation, c’[était] un adoucissement que de dire qu’il [devait] être jugé »34.
18Toutefois, en Grande Région, l’issue de ces procès était jouée d’avance puisque les différents textes concernant la justice militaire — rappelons que l’espionnage était d’abord un crime militaire, assimilé à de la trahison — adoptés depuis l’Empire prévoyaient tous la mort. Soit ils l’exprimaient explicitement dès leur premier article de la section dédiée (art. 6, 7, 13, Deuxième partie, chapitre cinquième du Règlement militaire provisoire du 26 juin 179935 et art. 15-18, Chapitre II du Code pénal militaire du 27 mai 187036 en Belgique ; art. 205-207, Titre II, chapitre premier du Code de justice militaire du 9 juin 185737 et art. 263-265, Section 2, § 1 du Code justice militaire pour l’armée de mer du 4 juin 185838 en France ; art. 14, Chapitre II du Code pénal militaire luxembourgeois du 1er novembre 189239), soit ils renvoyaient explicitement à un article précis du Code pénal (§ 90 du RStGB, Deuxième partie, titre premier, première section du Militär-Strafgesetzbuch für das Deutsche Reich du 20 juin 187240). Dans les deux cas, la latitude du juge était restreinte, puisqu’il n’avait comme alternative que les circonstances atténuantes. Et les États ne tenaient pas vraiment y changer quoi que ce soit, puisque ces codes de justice militaire restèrent valables jusqu’au milieu du XXe siècle. Seule la Belgique modifia, par la loi du 15 juin 1899, son code de procédure pénale militaire, mais sans abroger explicitement le Règlement militaire provisoire depuis un siècle41.
19Malgré tout, les délégués s’accordèrent sur une définition de ce que devait être un espion, différente de celle de Lieber autant que de celle de Jomini :
« Ne peut être considéré comme espion que l’individu qui, agissant clandestinement ou sous de faux prétextes, recueille ou cherche à recueillir des informations dans les localités occupées par l’ennemi, avec l’intention de les communiquer à la partie adverse42. »
20S’ils reprirent l’action clandestine, le but de recueillir de l’information et l’intention de divulgation, ils précisèrent le territoire sur lequel devait s’exercer l’action43. Dès lors était fixée une définition qui, à défaut d’être ratifiée, comme le reste de la Convention d’ailleurs, par les États représentés à Bruxelles, fut reprise par l’Institut de droit international, dans son manuel adopté à Oxford le 9 septembre 1884 (art. 23-26)44, puis par les conventions de La Haye du 29 juillet 1899 et du 18 octobre 1907 (art. 29-31), presque sans changement :
« Ne peut être considéré comme espion que l’individu qui, agissant clandestinement ou sous de faux prétextes, recueille ou cherche à recueillir des informations dans la zone d’opérations d’un belligérant, avec l’intention de les communiquer à la partie adverse45. »
L’adaptation des modèles législatifs français et allemand
21La révision des différents codes pénaux au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle participait de l’évolution libérale du droit. Le développement des services de renseignement, dont les activités étaient particulièrement notables en Grande Région depuis 1867, généra un climat qui imposa, pour la France et pour l’Allemagne, une modification notable des règles juridiques encadrant l’espionnage en recourant à une loi indépendante de leurs Codes pénaux.
Espionnage ou espionnite en Grande Région
22Tout comme l’espionnage présente une vision distordue du renseignement, l’espionnite n’est que le fruit de l’idéologie nationaliste dans laquelle baignaient les sociétés françaises et allemandes depuis 1870. Cet horizon culturel et moral dépasse les seules limites du renseignement, comme le démontra cruellement, en France, l’Affaire Dreyfus (1894-1906). Il se nourrit du développement d’une presse de masse, dans laquelle une permanente dénonciation symétrique franco-allemande associait conflit politique et espionnage. Le 14 mars 1886, le lieutenant-colonel Karl von Willaume, attaché militaire allemand à Paris, notait que les journaux parlaient « en moyenne d’une arrestation d’espions prussiens tous les quinze jours », trouvant le fait « assez comique » parce que la presse allemande faisait la même chose46. Figure universelle de dégoût, l’image de l’espion subit une translation de la figure de l’évolution d’un siècle policier vers la métaphore des rivalités militaires et diplomatiques internationales. De part et d’autre, le Juif espion en devient le stéréotype, parce que son cosmopolitisme, réel ou supposé, permet une interprétation conspirationniste du politique. De fait, l’espionnite devient le résultat d’une action consensuelle d’un groupe appartenant à une communauté donnée contre une personne, une institution publique ou un État. En Allemagne, il suffisait qu’un touriste francophone, à plus forte raison s’il était militaire, fût arrêté un carnet de notes ou une carte topographique à la main alors qu’il se promenait aux abords d’une zone militaire pour que, à la suite des autorités du Reichsland Elsaß-Lothringen (Terre d’Empire Alsace-Moselle) ou du Reich, la presse allemande criât à l’espion français ; quitte à corriger quelques jours après en précisant que le prévenu était belge, entraînant du même coup la presse française qui avait relayé cette information47 ! Cette attitude journalistique participait de théories du complot se référant souvent à des constellations plus complexes. De fait, par ce choix des deux adversaires, leur orientation et leurs questions sont restreintes thématiquement et fortement liées à l’époque qui les voit surgir48.
23Il n’était pas donc pas anodin que la première crise franco-allemande consécutive à la défaite de 1870-1871 fût une complexe affaire d’espionnage à compartiments entre les deux pays. Le premier compartiment était sa dimension politico-journalistique, sous la forme d’une violente campagne de presse de part et d’autre, orchestrée par les différents gouvernements. En France, elle était lancinante depuis 1875, mais connut une phase de mobilisation de la presse avec l’arrivée du général de division Georges Boulanger au ministère de la Guerre du gouvernement Goblet. Du 7 janvier 1886 au 17 mai 1887, il agitait le principe de la Revanche, en menant une politique de modernisation de l’armée, et fit de la reconquête des terres irrédentes d’Alsace et de Moselle son mot d’ordre. Son message était relayé par la presse nationaliste, comme Le Drapeau, organe de la Ligue des Patriotes, mais aussi un hebdomadaire dans lequel la Section de statistique, le service de renseignement du cabinet du ministre de la Guerre, avait été invitée à investir lors de sa fondation, L’Anti-Prussien 49 ; Boulanger en fit un journal, renommé La Défense nationale, destiné autant à la « recherche de tout ce qui se dit, se prépare, se trame contre » la France et ses intérêts commerciaux et industriels50 qu’à la lutte politique avec le Reich, notamment en Alsace-Moselle51. En Allemagne, le chancelier Otto von Bismarck entendait bien exploiter ces « progrès du chauvinisme en France »52, donnant corps à une menace française qui lui permettait de mieux préparer son opinion publique en vue des prochaines élections au Reichstag. Pour cela, les journaux gouvernementaux, comme les Gazettes de Cologne et d’Allemagne du Nord, mais également de la presse officieuse de Metz et Strasbourg, les Straßburger Post et Lothringen Zeitung.
24Le deuxième compartiment fut évidemment la justice. En France, faute d’aveu ou de constat d’un délit d’espionnage, l’art. 76 CP 1832 ne pouvait être mis en œuvre et la seule solution possible, en face d’un agent étranger, était l’expulsion préfectorale, comme prescrit dans la loi du 3 décembre 1849. Julius Laubé, employé à la direction du Génie de Metz, l’expérimenta plus d’une fois. Régulièrement surpris à tenter de pénétrer dans divers forts de Paris (1878) et, surtout, de Toul (1880, 1885), il fut tout aussi fréquemment renvoyé en Lorraine allemande53. Immanquablement, des voix s’élevaient tout aussi constamment parmi les autorités militaires françaises pour regretter que la justice fût aussi démunie54. En Allemagne, l’activation du § 91 RStGB était tout aussi problématique, mais le Strafgesetzbuch avait aussi prévu un § 4.2 permettant de juger un étranger pour haute trahison. Profitant du renforcement policier dans le Reich à la suite des attentats sociaux-démocrates contre l’Empereur Wilhelm Ier, de mai et juin 1878, mais également de fuites provenant de France, les réseaux français en Allemagne furent démantelés à partir de 1882, et leurs membres traduits devant le Reichsgericht (Cour suprême) de Leipzig, seule compétente pour les affaires de trahison depuis la Loi sur l’organisation judiciaire du 1er octobre 187955. Mais l’attention des autorités et du public était toute dévolue aux questions de trahison politique, autour de deux procès d’octobre 1881 et de décembre 1884 impliquant la social-démocratie56. Ce ne fut qu’à l’occasion du procès d’un capitaine danois en retraite, Christian Sarauw, en février 1886, que l’Allemagne, effarée, prit conscience de la menace que représentait l’espionnage. Pour l’Oberleutnant Karl Brose, qui rejoignit l’Abteilung IIIb en 1889 après une année de stage à l’état-major, le procès Sarauw fut assurément le plus important que connut l’Allemagne57. Un haut-fonctionnaire de l’Auswärtiges Amt, Friedrich von Holstein, estima quant à lui que
« presque tous nos plus importants secrets militaires — plans de mobilisation, plans pour “débusquer” les forts, nouvelles munitions pour détruire les fortifications — [avaient] été trahis aux Français58 ».
25Cette succession de procès en Allemagne, de 1882 à 1887, conduisit à ouvrir le troisième compartiment, celui de la stratégie du bord de l’abîme. Le 20 avril 1887, en attirant le commissaire spécial de la police de Pagny-sur-Moselle, Guillaume Schnaebelé, sur le territoire du Reich pour l’appréhender, Bismarck entendait faire œuvre de contre-espionnage, en obtenant que la France renonçât ses opérations de renseignement. Il n’en tint qu’à la chute du gouvernement Goblet pour que l’Europe échappât à un nouvel affrontement militaire entre la France et l’Allemagne, tant la tension était à son comble.
De l’adaptation de la législation française en Allemagne
26La France du général Boulanger préféra dans un premier temps aller dans le sens de l’opinion publique. Alors que les procès de Leipzig servaient à nourrir les discours nationalistes, tout en révélant à la Section de statistique la présence d’une taupe dans sa structure59, le ministre de la Guerre ressortit des cartons de son prédécesseur, le général Jean-Baptiste Campenon, un projet de loi initié en septembre 1885 et examiné par le Conseil d’État en décembre. Le rapport de l’instance chargée de préparer les projets de loi, opportunément rendu le 2 février 1886 au successeur de Campenon, pointait les défauts du Code pénal de 1832, notamment l’extrême sévérité des peines, qui allait contre l’esprit du temps, et l’absence de poursuite pour une fuite de document vers un tiers et non une puissance étrangère60. Dans le climat de « guerre froide » régnant avec l’Allemagne, Boulanger songea à l’utilité qu’il y aurait de reprendre à son compte le projet de son prédécesseur. Face à l’Allemagne, il pourrait envoyer un message de fermeté concernant son espionnage, avéré ou supposé, en temps de paix. Face à l’opinion publique française, il soulignait sa fermeté de tous les instants, œuvrant à sa popularité individuelle en contradiction avec toute solidarité gouvernementale. Autrement dit, le général-ministre présenta une loi de circonstance.
27Son parcours législatif en était la démonstration. Déposé par le ministre de la Guerre au bureau de la Chambre des députés le 11 mars 1886, trente-neuf jours après l’avis rendu par le Conseil d’État, le projet fut immédiatement envoyé en commission. Après une déclaration présentant les motifs de la loi le 27 mars, le projet vint à la discussion le 15 avril. Après avoir entendu le rapport de la commission, la déclaration d’urgence fut demandée par la commission de l’armée et le projet voté sans débat, les articles étant adoptés les uns après les autres61. La procédure fut encore plus rapide au Sénat, où le général Arnaudeau, représentant de la Vienne depuis le 2 décembre 1877, devint le secrétaire et rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet de loi. Boulanger l’avait déposé le 16 avril, au lendemain du vote de la Chambre, et Arnaudeau déposa et lut son rapport dans la foulée, puis demanda l’urgence et la discussion immédiate. Le Sénat vota ensuite le texte et le 18 avril62, le président de la République, Jules Grévy, le promulgua.
28La rapidité de la procédure et le climat politique cachèrent l’incohérence du traitement juridique de l’espionnage. En effet, le plus sage eût été de privilégier une loi modificatrice des articles des Codes pénaux et de justice militaire des deux armées (Terre et Mer), plutôt que de faire voter un nouveau texte « tendant à édicter des pénalités contre l’espionnage ». Ni le Conseil d’État, ni le ministre de la Guerre n’avaient voulu se rendre compte des possibilités offertes par l’art. 76 CP 1832, qui s’appliquait spécifiquement en temps de paix. Ils n’avaient pas plus vu que la loi de 1886 modifiait les peines des art. 80, 81, 82 CP 1832, les ramenant à de « deux ans à cinq ans et d’une amende de mille à cinq mille francs » (art. 1, 1886) en lieu et place de la peine de mort. Ni même que l’art. 9 reprenait la formulation de l’art. 83 CP 1832. Quant aux art. 5, 6, 7, 1886, ils se référaient aux art. 206 et 207, ainsi que 264 des codes de justice militaire des deux armées. Ainsi que le résuma un observateur, « il sembl[ait] bien que [régnait] là l’arbitraire, sinon l’opportunisme le plus complet »63.
29Les seuls nouveaux délits créés par la loi concernèrent la négligence (art. 4, 1886) et l’implication des étrangers (art. 5, 1886). En outre, les tribunaux correctionnels (art. 11, 1886) étaient seuls compétents pour les affaires d’espionnage. Enfin, l’espionnage était caractérisé avec plus de précision qu’auparavant, puisqu’il concernait « les plans, écrits ou documents secrets » (art. 1), ainsi que « des renseignements intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure de l’État » (art. 5). Seulement, il n’y avait toujours pas de définition pour « documents secrets » et « renseignements », qui semblaient se renvoyer les uns aux autres comme de véritables « pléonasmes »64. Comme dans le cadre du CP 1832, l’imprécision des termes était laissée à l’appréciation des juges.
30Cette loi fut étendue par décret à l’Algérie (18 juin 1886) et au domaine colonial (19 février 1894). Elle servit également de pierre angulaire au dispositif de contre-espionnage intérieur, confié à la gendarmerie, avec le concours de « la police dans les villes, celui des maires, des gardes champêtres et des agents des douanes et des forêts, dans les campagnes », ainsi que des « commissaires spéciaux de la police sur les chemins de fer ». Ce dispositif consistait, d’une part, en l’établissement d’un fichier de « bulletins individuels », centralisé en préfecture, des suspects d’espionnage65. Avant 1914, la majorité des fiches correspondait à des Français professant des idées anarchistes ou syndicalistes.
31Passée l’épopée boulangiste, le gouvernement (1889, vers 190066, 191167) et la représentation nationale rivalisèrent pour remettre en cause la clémence des peines proposées par la loi de 1886, quand il ne s’agissait pas simplement, comme en 1911, d’apporter un nouveau mot (« objets ») à la liste des pièces divulguées tombant sous le coup de l’espionnage. Pas moins de onze projets virent le jour avant la déclaration de guerre. Ils entendaient abroger la loi (189468, vers 1900, 1911), la modifier (1889-189069), et/ou en revenir aux Codes pénaux et de justice militaire (189570). Comme la loi de Boulanger, chacun des projets entendait répondre aux circonstances. La plupart répondaient à la volonté de perpétuer l’héritage boulangiste ou de profiter de la vague nationaliste (1890-mai 189471), puis s’inscrire dans la réaction antidreyfusarde, qui avait réactivé l’espionnite (décembre 1894-189872), enfin dans la peur de l’été 1911 (1911). Seuls cinq projets, d’essence gouvernementale (1889, 1894, 1895, 1911), furent débattus par l’une ou l’autre des assemblées, sans qu’ils ne fussent votés.
32Tout l’inverse de ce qui se passa en Allemagne à la suite de l’adoption en France de la loi du 18 avril 1886. Le texte français fut examiné pour ce qu’il était, à savoir la révision d’une « œuvre qui n’avait pas impunément subi l’épreuve des années »73. Trois ans après sa mise en application en France, un référendaire de Breslau, le Dr. Ernst Hancke, s’attela à l’étude de la loi boulangiste. Il trouva le texte français plus rigoureux que les articles équivalents du Strafgesetzbuch, à l’exception de la poursuite des actes d’espionnage commis à l’étranger qui restait une spécificité allemande (art. 4.2 RStGB). Pour cela, il estima que « beaucoup de points (…) pourrai[ent] servir de modèle aux futurs réformateurs du Code allemand »74. Il fut entendu par le gouvernement de Leopold von Caprivi, qui déposa un projet de loi le 20 février 1892, qui contenait dans ses annexes, entre autres, la loi de 1886 et le projet de loi de 1891. Le Reichstag ne le mit à l’ordre du jour que le 24 janvier 1893, condamnant Caprivi à redéposer son projet de loi le 12 décembre 1892. Il fut envoyé en commission le 28 janvier, qui l’étudia le 21 mars suivant. Le Parlement allemand en débattit et l’amenda les 18 et 27 avril 1893, puis le vota à l’issue75. Le 3 juillet 1893, la nouvelle loi contre la divulgation de secrets militaires (Gesetz gegen den Verrat militärischer Geheimnisse) était promulguée76.
33Comme son modèle français, qui prévoyait une gradation des emprisonnements d’« un mois » à « cinq ans », accompagnés d’amendes comprises entre 16 et 5 000 francs, le texte adopté établissait une échelle progressive des condamnations, allant « de trois mois au moins » (§ 5) « jusqu’à dix ans » (§ 3), couplées à des amendes allant de 150 à 15 000 Marks. De la même façon, la destitution des fonctionnaires (§ 6), la négligence (§ 7), la complicité (§ 5, 9) se retrouvaient dans le texte allemand. On y retrouvait également la même contradiction avec le Strafgesetzbuch, bien que la loi reprît le § 4.2 RStGB (§ 10) et complétât les § 89 et 90 RStGB (§ 11). L’apparente similitude des deux textes dévoilait que l’Allemagne entendait montrer la même détermination que la France et ne signifiait aucunement qu’il s’agissait d’un renforcement du dispositif de contre-espionnage. Il fallut attendre 1907 pour que la Prusse se dotât d’une Staats-Polizei-Central-Stelle, subordonnée à la police politique de Berlin puisqu’il n’existait pas de police nationale77. De même, contrairement à une croyance bien ancrée en France, surtout à l’époque, où il était établi que « l’Allemagne poss[édait] sur l’espionnage une législation bien supérieure à la française », la comparaison des condamnations pour espionnage ne permet pas d’établir une plus grande sévérité issue de la loi de 1893. Le taux de condamnation était ainsi plus faible (17,71 %) qu’en France, où il s’établissait à 31,46 %.
Les condamnations pour espionnage en Allemagne et en France (1893-1914)78
34Pourtant, comme en France, mais pour des raisons différentes, il monta des critiques contre les supposées limites de la loi de 1893. L’Europe s’approchait de la guerre, notamment après la « grande peur » qui suivit l’entrée de la canonnière Panther dans le port d’Agadir, le 1er juillet 1911, et le lobby militaire allemand entendait renforcer son emprise dans le domaine du contre-espionnage. La faiblesse des résultats judiciaires démontrait, aux yeux du Generalstab, les prétentions de l’armée à généraliser à tout le Reich les mesures de contre-espionnage valables à Berlin seulement depuis 1907. Mais ses discussions avec les autorités fédérales marquaient le pas. Deux questions se posaient, celle des coûts et celle de la subordination des Zentrapolizeistellen existant dans les différents États fédérés à l’autorité impériale79. Le 23 mai 1913, le temps sembla venu au chancelier Theobald von Bethmann Hollweg de déposer un nouveau projet de loi contre la divulgation de secrets militaires (Entwurf eines Gesetzes gegen den Verrat militärischer Geheimnisse) :
« La loi (…) du 3 juillet 1893 doit être renforcée. Les précieux services qu’elle a fournis aux intérêts de la Défense nationale ont mis en évidence ses carences et ses lacunes. Donc un certain nombre de questions importantes se posent et leur élimination est essentielle pour la sécurité de l’Empire80. »
35Contrairement à 1892, et malgré l’opposition des partis du Zentrum et de la Social-démocratie, la procédure fut plus rapide. Le Reichstag mit à son ordre du jour le projet gouvernemental le 26 novembre 1913. Le texte fut ensuite étudié en commission, au cours de seize réunions s’étalant du 3 décembre au 13 mai 1914. Il en ressortit suffisamment transformé pour qu’en seconde lecture, le 16 mai suivant, le député social-démocrate Arthur Stadthagen put en féliciter les membres pour avoir éliminé les définitions trop élastiques du projet gouvernemental et supprimer de la portée des poursuites les « nouvelles », c’est-à-dire les informations journalistiques. Pourtant, le Generalstab tenait à ces mesures empêchant la presse allemande de traiter des affaires d’espionnage dans ses colonnes. Il négociait d’ailleurs depuis 1908 dans ce sens avec les entrepreneurs de journaux sans succès. Avant que la commission du Reichstag tentât de limiter la censure administrative, le Preußisches Kriegsministerium s’était doté, en septembre 1913, d’un Kriegspressamt, chargé d’« éclairer le public et [d’]offrir à la presse des informations81 ».
36Au terme d’une troisième lecture des plus rapides le 19 mai, le texte fut voté, puis promulgué le 3 juin 191482. La nouvelle loi contre la divulgation de secrets militaires (Gesetz gegen den Verrat militärischer Geheimnisse) n’apporta pas de changement dans l’échelonnement des peines, ni les faits assimilés à de l’espionnage, se contentant de réévaluer les peines accessoires d’amende (§ 13)83. La nouveauté fut la création d’un délit de presse, initialement compris dans une loi de 1874, punissant la publication « intentionnellement, et contrairement à un interdit du chancelier de l’Empire, des nouvelles sur des mouvements » et de « renseignements sur une instruction officielle en cours, ouverte à raison d’un crime ou d’un délit commis contre la présente loi » (§ 10 et 11). Évidemment, cette mesure s’adressait directement aux journalistes et les journaux étrangers ne se privèrent pas de souligner cette flagrante violation de la liberté d’informer.
L’ajustement tardif des neutres
37Si l’Allemagne fut mue par un besoin de s’aligner sur la France, que penser des États neutres de la Grande Région qui, apparemment, ne se préoccupaient pas de réprimer l’espionnage ? En fait, la « grande peur » de l’été 1911 fut le signal d’une prise de conscience, mais il fallut attendre que les marques des services de renseignement, allemands ou anglais, se fissent trop visibles pour que la Belgique, puis le Luxembourg se décidassent à légiférer.
Un signe de la recrudescence des affaires d’espionnage en Grande Région
38En matière de contre-espionnage, la particularité des États neutres était que leur latitude est limitée. Aucune forme de répression ne devait aller en contradiction avec leur statut international, au risque d’être prise comme une allégeance à l’égard de l’une des parties se livrant à des activités de renseignement. D’autant qu’en règle générale, ces dernières concernaient rarement l’État neutre, celui-ci n’hébergeant des opérations qu’en raison de sa police peu regardante et des trous de sa législation. Dans l’avant-guerre, la Belgique appartenait à cette catégorie. Les services français et allemand, puis britannique au printemps 191484, se servirent de ce pays comme base de départ de leurs opérations de recrutement d’agents et pour recueillir du renseignement sur les uns et les autres, mais jamais sur la Belgique. De fait, ils n’enfreignaient aucune loi. Et quand bien même il arrivait que la duplicité belge envers le Reich fût révélée, aucun des services de renseignement opérant dans le pays ne se hasarda à le faire savoir publiquement, tant ce havre était nécessaire pour leur action clandestine85.
39L’audace allemande oublia quelque peu ces avantages des pays neutres après la « grande peur » de l’été 1911. Depuis deux ans, l’état-major testait les possibilités du Zeppelin sous l’œil intéressé de la presse internationale, après l’avoir été des services de renseignement, comme l’illustra l’affaire Lux (1910)86. Il fut tenté de l’utiliser comme moyen d’espionnage. Comme les journaux avaient suffisamment glosé sur les accidents à répétition de ces dirigeables rigides, l’état-major pensa que les violations de frontière, sous prétexte d’avarie ou de vents contraires, passeraient inaperçues. Et, si cette presse avait bien noté que tous les Zeppelins étaient équipés de moyens de communications radiotélégraphiques87, ces aérostats offraient des possibilités de reconnaissance encore insoupçonnées. Ainsi, « un peu partout, on signal[a] le passage de leurs zeppelins, à Liège, par toute la Belgique et jusqu’en Angleterre »88. Il fallut cet incident de Lunéville, le 3 avril 1913, lorsque le Z-IV atterrit sur le champ de manœuvre de la ville française, pour qu’apparaissent les preuves de l’espionnage allemand. Non seulement des appareils photographiques furent trouvés dans le Zeppelin, mais les journaux français rapportèrent bientôt que dans les jours précédant l’incident, « à Liège et à Namur, des feux plongeants de projecteurs [avaient] été dirigés pareillement sur les forts de Liège et de Namur »89. En septembre, la presse luxembourgeoise relatait le passage d’un dirigeable au-dessus de la ville frontalière de Grevenmacher, alors qu’il se rendait théoriquement de Metz à Trêves90.
40Le problème fut réglé en France par une convention diplomatique, négociée par l’ambassadeur à Berlin, Jules Cambon, et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Gottlieb von Jagow, le 26 juillet 1913. Dorénavant, les survols d’aérostats militaires des deux pays étaient interdits, sauf cas de force majeure, auquel cas il suffirait
« à l’officier commandant le personnel militaire de l’aéronef de donner sa parole d’honneur que ni lui-même, ni aucun autre membre de l’équipage n’a, dans les limites et au-dessus du territoire, français ou allemand, commis un acte de nature à intéresser la sécurité de l’État français ou allemand (prise de notes, clichés ou croquis, envoi de communications radiotélégraphiques, etc.). Puis l’aéronef sera autorisé à repartir pour son pays d’origine91. »
41La capacité d’action de la Belgique était plus limitée du fait de sa neutralité. A moins que la germanophilie ambiante de sa classe politique l’empêcha de s’offusquer de ces manœuvres aériennes de l’Allemagne. Outre-Quiévrain, la presse n’était pas moins prompte qu’en France à s’enflammer. Au printemps 1914, « des journaux se plaign[irent] de ce que depuis quelques mois trop de ballons allemands atterriss[aient] en Belgique ». Suite à un nouvel incident, à Boninne, « à peu de distance du fort de Marchovelette », un journal catholique de Namur estima pourtant « qu’une loi sur l’espionnage s’impose en Belgique »92.
42Rien de tel au Grand-Duché de Luxembourg. Certes, la mention par un quotidien de l’implication d’un Rosselet dans une affaire d’espionnage révélée en Suisse suffit pour que la Brigade criminelle fût chargée d’une enquête. Celle-ci révéla un homonyme, qui était aussi un agent du commissaire spécial de Longwy, Charles Simonin. Sur le rapport d’enquête, le ministre d’État, chef du gouvernement, Paul Eyschen, écrivit « Ad Acta », une expression officielle allemande signifiant « À classer »93. Si besoin était, elle démontrait l’impossibilité des États neutres d’agir contre la prolifération des activités de renseignement dans la Grande Région. Pourtant, le 27 janvier 1914, un nouveau rapport de la Brigade criminelle changea les choses. Était signalé un dénommé « Nelsen Max-Hubert-Martin », ingénieur de son état, marié et venant de Davos. Sur lui avaient été trouvés trois documents, chacun barré d’un « streng geheim » (très secret) et émanant du ministère prussien de la Guerre, provenant des dossiers de l’inspection des forteresses de Metz. Leurs dates extrêmes allaient du 15 avril 1913 au 13 janvier 1914. Alors que la Brigade criminelle pensait que cet individu était impliqué dans une affaire de traite des blanches, le gouvernement luxembourgeois réalisa qu’il faisait face à une affaire d’espionnage. D’Allemagne, le parquet luxembourgeois obtint le vrai nom de l’individu, Max Hubert Nellissen, et ses multiples condamnations pour vol (Metz, 25 novembre 1898), faux en écriture (Duisbourg, 14 mai 1903), tromperie et détournement (Duisbourg, 11 août 1903). Comme il était étranger et que les faits qui lui étaient reprochés ne correspondaient pas à un délit dans la législation luxembourgeoise, Nellissen ne pouvait qu’être expulsé, ce qui fut fait le 21 mars 191494. Mais que faire des documents dont il avait la possession mais qui visiblement avaient été volés ? Les rendre à Nellissen aurait signifié se faire complice du pays pour lequel il travaillait, à savoir selon toutes vraisemblances, la Grande-Bretagne ; les rendre aux autorités militaires de Metz revenait à se faire complice de l’Allemagne, en lui signalant une fuite majeure de sécurité. Dans les deux cas, cela revenait à agir contre la neutralité garantie par le traité de Londres. Pour Eyschen, il était évident qu’il fallait légiférer.
Un cafouillage législatif
43L’enjeu des Neutres à faire évoluer leur législation contre l’espionnage se présentait évidemment différemment que pour la France et l’Allemagne. Ces deux nations s’opposaient dans une guerre de moins en moins froide et la Belgique comme le Luxembourg voyaient leurs options politiques se réduire. Là où les grandes puissances abordaient l’espionnage comme une question de coûts et de bénéfices, ces petits États y voyaient une simple question d’existence95. Une note non datée, certainement rédigée au printemps 1914 par Eyschen, relate bien cet enjeu. S’interrogeant sur la nature de l’espionnage, le ministre d’État luxembourgeois, diplomate de formation, traçait sur le papier l’état de ses pensées : s’il était un « délit politique », comme on l’entendait partout en Europe, était-il une « déloyauté s’il y a abus de l’hospitalité ou s’il y a corruption, vente d’un secret surpris ? » ou bien était-il une « tolérance des autres États ? mais non puisque la Suisse expulse les espions étrangers. Que font les États qui ne sont pas neutres ? » Ces hésitations révélaient le problème pour le Luxembourg de prendre une décision. Certes,
« en rendant l’E[spionnage] plus difficile on rendait service à tous ( ?). En tout cas à la paix de l’Europe. Mais danger pour les neutres dont la législation leur fournirait cette arme, car il y aurait allégation de s’en servir et dès lors d’utiliser l’assurance de réclamer l’observation de cette loi. (…) Par contre comment empêcher les nationaux d’espionner et de compromettre leur pays96 ? »
44La Belgique était dans les mêmes dispositions lorsque le gouvernement de Charles de Broqueville dut faire évoluer sa législation contre l’espionnage. Dans ce cas, comme dans celui de la politique de Défense que le chef du Cabinet suivait depuis son élection, le 17 juin 1911, il entendait « ne pas se lier par une décision de principe (…). Il évitera[it] (…) de prendre une attitude le fixant irrémédiablement dès le début d’un côté plutôt que de l’autre97 ». Déjà, son état-major songeait à organiser un service de renseignement, tant aux frontières (échafaudé entre 1896 et 1909 dans un climat d’antimilitarisme intérieur)98, qu’au travers de sa Deuxième Section (1911)99. Cette évolution s’inscrivait dans la préparation d’une loi militaire qui fut votée en mai et juin 1913 et la prise de conscience de l’affirmation de la fragilité de la neutralité belge, comme en témoignait un brouillon de protestation rédigé par la direction politique des Affaires étrangères dès décembre 1912100.
45La réflexion sur une modernisation de la législation réprimant l’espionnage incombait naturellement au ministre de la Justice, Henry Carton de Wiart. Il se mit à la tâche à « une époque où le Gouvernement se refusait à croire qu’une violation brutale et déloyale de sa neutralité entraînerait la Belgique dans une conflagration européenne101 ». Ce moment intervint certainement au lendemain de la fin de la session parlementaire, le 22 mai 1914102. La législation belge, qui n’avait pas évoluée depuis la révision du Code pénal de 1867, était « sans application en temps de paix »103. Carton de Wiart104 s’inspira « dans une large mesure, de la loi française du 18 avril 1886, du projet voté au Sénat français le 22 décembre 1898105 et du projet déposé à la Chambre des Députés le 12 juillet 1911106 ». Peut-être disposa-t-il de comptes-rendus du débat allemand, communiqués par son collègue des Affaires étrangères Etienne Davignon ou simplement lus dans la presse. Dans la pratique, il était évident que le ministre de la Justice s’en inspira, puisque son projet se bornait à actualiser et à corriger les articles des vieux Codes pénaux (art. 114 et 116-120, CP 1867) et pénal militaire (art. 15-16, CPM 1870), contrairement à l’esprit des lois et aux projets français. D’ailleurs, avait-il d’autres solutions, dans la mesure où l’espionnage n’était pas une préoccupation de cet État neutre ? Cette question n’avait jamais intéressé le Parlement belge auparavant.
46Début juillet 1914, le texte était prêt et avait circulé au sein du ministère de la Guerre, qu’occupait le chef du Cabinet, et de celui des Affaires étrangères. Davignon put en adresser « confidentiel[lement] » un brouillon107 au ministre d’État luxembourgeois qui, le 30 juin, avait sondé la Belgique sur l’affaire Nellissen108. Pour autant, les mesures arrêtées par Carton de Wiart ne revêtirent pas d’urgence politique avant la fin du mois de juillet. Dès le 25 juillet, l’état-major commença à préparer la mobilisation. Le lendemain, il demanda l’activation du Service de surveillance et de renseignement aux frontières, en sommeil depuis sa création par l’arrêté royal du 25 mars 1896109. Le 1er août, il mit sur pied un service de Sûreté militaire, chargé du contre-espionnage au sein des forces armées110. Il ne manquait plus qu’adopter un cadre légal. Le 3 août 1914, le conseil de gouvernement adopta le texte de Carton de Wiart pour être soumis au vote des deux chambres, convoquées en séance extraordinaire pour le lendemain. Le projet fut imprimé par le Sénat, mais il ne fut pas soumis en commission, compte tenu de l’urgence111. Le 4 août, il fut le premier projet soumis au vote des sénateurs, article par article, mais sans débat, ni observation112. Dans un deuxième temps, il fut présenté à la Chambre des représentants qui l’entérina, après avoir voté chaque article, au cours du second appel nominal de la matinée, groupé à trois autres projets de loi présentés par Carton de Wiart113.
47L’invasion allemande du 2 août 1914 empêcha le Grand-Duché de Luxembourg de faire de même. Après la découverte des documents secrets de l’inspection allemande des forteresses de Metz, le ministre d’État Eyschen avait pris le temps de la réflexion. Il avait commencé par s’entretenir avec le représentant belge, le comte Frédéric van den Steen de Jehay, qui ne donna suite, la question n’ayant pas encore été abordée par le gouvernement belge. Le 14 mars, Eyschen avait écrit au président de la Confédération helvétique, Arthur Hoffmann, pour lui demander son avis, notamment « ce que le Gouvernement helvétique [avait] cru devoir faire vis-à-vis des Gouvernements étrangers » « dans des circonstances pareilles ». Pour cela, il lui envoyait un conseiller à la Cour supérieure de Justice, Mathias Glaesener. Ce dernier arriva à Berne, le 16 mars, où il fut reçu en entretien par le président de la Confédération. Ce denier évoqua l’idée d’une loi réprimant l’espionnage, impossible à prendre en Suisse du fait du nécessaire passage par la voie référendaire, obligation qu’Hoffmann entendait
« laisser dormir le plus longtemps possible surtout à raison de telles sympathies de tels partis politiques. Ce serait chose moins difficile pour le Grand-Duché où l’on pourrait discuter en commission et se borner à voter la loi sans autre débat. Mais encore faudrait-il que dans l’exécution de la loi aucune autre nation étrangère ne pût être froissée114. »
48Il semble qu’Eyschen ne souhaita pas s’y risquer, dans une Chambre encore bien divisée depuis la crise scolaire de 1912. Aussi souhaita-t-il poursuivre sur la voie diplomatique. D’autant qu’il attendait toujours la réponse belge. Ses démarches auprès de Steen de Jehay restaient sans suite. Avant d’entamer une démarche plus officielle, il demanda à Glaesener d’établir une note reprenant les questions luxembourgeoises. Elles étaient de cinq ordres, portant aussi bien sur des généralités (droits et obligations des États en la matière, différence entre temps de paix et temps de guerre) que de savoir si l’expulsion était toujours une « mesure suffisante » ou que faire si l’espion était un national ou si des objets étaient saisis. Le 30 juin, Eyschen retourna voir le ministre belge et lui demanda de faire passer sa note à Etienne Davignon. Bien conscient que cette question n’avait que trop duré, Steen de Jehay crut devoir préciser à son ministre « qu’il serait très-agréable au Ministre d’État d’avoir communication des réflexions que suggérait au Gouvernement du Roi la lecture de la note »115. En retour, Eyschen ne reçut en tout et pour tout que le brouillon du projet de Carton de Wiart. Ultérieurement, le ministre d’État reçut également un exemplaire du rapport imprimé par le Sénat belge le 3 août.
49Aussi Eyschen demanda-t-il aux missions diplomatiques non-permanentes luxembourgeoises de Paris et Berlin de lui adresser une documentation sur les lois prises dans ces pays. Le comte Hippolyte de Villers était à Berlin et put rapporter à Luxembourg le dossier qu’avait présenté, le 23 mai 1913, le chancelier von Bethmann Hollweg contenant le projet de loi contre la divulgation de secrets militaires (Entwurf eines Gesetzes gegen den Verrat militärischer Geheimnisse). Par contre, Henri Vannérus n’avait pas prévu de se rendre immédiatement à Paris, expliquant ainsi que les pièces françaises ne fussent pas antérieures à juillet 1914116. Des articles de journaux allemands, comme le Straßburger Post du 13 mars, ainsi que de ce journal et de la Kolnische Volkszeitung du 21 mars, furent recueillis par Tony Ginsbach, commis de la 1re division des Affaires étrangères et de la Justice, entre le 27 juillet et le 9 août 1914. Son chef de bureau, Alphonse Nickels, qui venait de prendre ce poste, en était encore à assembler cette documentation provenant d’Allemagne et de Belgique que les troupes allemandes étaient déjà arrivées, faisant basculer le Grand-Duché dans une guerre pour laquelle il n’était en rien concerné. Le 5 août, le ministre d’État Paul Eyschen prit l’initiative de rappeler à ses concitoyens la teneur de l’article 123 du CP 1879, pour bien leur faire comprendre qu’était prohibée « la publication de renseignements sur les concentrations et les mouvements des troupes ainsi que sur les mesures prises par l’autorité militaire de Puissances étrangères qui se rapportent à des opérations de guerre117. » En Grande Région, la législation contre l’espionnage répondait à un héritage commun, celui du Code pénal napoléonien de 1810. Ce socle commun fut modifié à des rythmes et pour des raisons différents dont il est possible de saisir les périodes.
50Concernant les rythmes, France, Belgique, Allemagne et Luxembourg procédèrent jusqu’en 1880 à une refonte de la législation pénale en général, les articles relatifs à l’espionnage restant intouchés en France (1832), actualisés en Belgique (1867) et toilettés au Luxembourg (1879), tandis que l’Allemagne les refonda dans la même perspective libérale qui anima les trois autres pays. Cette première étape correspondait à une époque de paix, où l’espionnage était encore considéré comme intimement cantonné aux périodes de guerre, qui épargnèrent la Grande Région jusqu’en 1870-1871. À partir de cette époque, deux pays se firent face et l’espionnage se muta en renseignement. La France était plus avancée que l’Allemagne et ce fut logiquement cette nation qui se dota d’un nouvel outil de contre-espionnage, pour lequel une loi (1886) prise dans l’urgence nationaliste du moment fut le pivot. Pour des raisons constitutionnelles, le Reich ne put établir un tel outil avant 1914, mais devait, en raison de sa « guerre froide » avec la France, se doter également d’une loi. Jusqu’en 1913, on assista ainsi à une juridicisation de l’espionnage, qui cessait d’être un crime parmi d’autres pour devenir un crime pouvant « compromettre l’existence de la Nation ou d’en modifier la structure constitutionnelle par la force »118. Cette évolution était concomitante de la juridicisation des relations internationales. En témoignaient les conventions de La Haye. La troisième étape fut la plus brève, puisqu’elle va jusqu’à la déclaration de guerre, et concernait les dernières velléités d’adapter les législations pour la Belgique et le Luxembourg, face à la généralisation des opérations de renseignement en Grande Région.
51Cette évolution laissait apparaître des motivations différentes entre pays. L’espionnage devenant un argument dans l’espace public, il était naturel qu’il devînt un outil légal dont l’établissement des lois répondait à des motivations particulières. Il y eut des lois et des projets de circonstance, liés à des menaces de guerre, comme en France en 1886, mais aussi en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg en 1914. La plupart du temps, ces circonstances furent toutefois liées au contexte intérieur de chaque pays, qu’il s’agisse de l’affaire Dreyfus en France, pour les projets de 1894 et 1898, ou de la peur de déclencher une crise politique en Belgique et au Grand-Duché en 1914. Les différents types de lois répondaient aussi à des critères différents, loi particulière en France en 1886, loi particulière et modernisatrice du Code pénal en Allemagne en 1893, ou simplement loi modernisant le Code pénal en Allemagne en 1913, en Belgique et au Luxembourg en 1914. Et il ne fallait pas négliger, entre France et Allemagne, une surenchère légale internationale.
52Concernant la pratique judiciaire, qui était l’autre version de l’action de légiférer, les juges d’instruction de France et d’Allemagne, qui eurent à s’occuper d’affaires d’espionnage, n’appliquèrent guère ces innovations légales. Ils préférèrent continuer à utiliser les dispositions de leur Code pénal respectif, notamment l’art. 76, CP 1832 et le § 92 RStGB. Ce fut le cas pour les affaires Dreyfus (1894)119 et Ullmo (1908)120 en France, mais aussi pour les procès Degouy et Delguey-Malavas (1893) et Lux (1911) en Allemagne121. En utilisant le Code pénal en lieu et place de la loi, surtout en France, les juges d’instruction se ménageaient la possibilité des circonstances atténuantes. Cette tempérance s’expliquait par le fait que l’espionnage appartenait au domaine des relations internationales de chacun des pays de la Grande Région. Le président de la Confédération helvétique, Arthur Hoffmann, ne disait pas autre chose le 14 mars 1914 au conseiller luxembourgeois Mathias Glaesener. Le traitement judiciaire des espions devait être perçu comme soumis à la réciprocité. La chose jugée dans un pays pouvait avoir des répercussions dans l’autre.
53Du point de vue du renseignement, cette législation cachait un autre objectif. D’abord, elle permettait de se mettre publiquement d’accord sur une définition commune de l’espionnage, entendu partout comme une activité clandestine, ayant pour but d’accaparer des informations secrètes, en raison de leur utilité à la Défense nationale, pour les divulguer à une partie adverse. Ensuite, elle parachevait l’architecture du contre-espionnage comme en France en 1886. Les lois allemande et belge de 1914 pouvaient aussi être vues comme donnant un cadre légal dans lequel les nouveaux services créés pourraient se mouvoir. Au fond, le crime d’espionnage n’était qu’un « crime théorique »122.
Notes de bas de page
1 Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie historique du secret d’État contemporain, Paris, Gallimard, 1994, p. 36-55.
2 Bertrand Warusfel, Contre-espionnage et protection du secret. Histoire, droit et organisation de la sécurité nationale en France, Paris, Lavauzelle, 2000, p. 143-150.
3 Robert Kolb, « Le domaine matériel du droit international », Marcelo Kohen, Robert Kolb, Djacoba Liva Tehindrazanarivelo, Perspectives of International Law in the 21st Century/Perspectives du droit international du 21e siècle. Liber Amicorum Professor Christian Dominicié in Honour of his 80th Birthday, Leiden, Martinus Nijhoff, 2012, p. 60.
4 Georges Duhamel, Le Jardin des bêtes sauvages, Paris, Mercure de France, 1934, p. 119.
5 Code pénal, précédé des exposés des motifs par les orateurs du conseil d’État sur chacune des lois qui composent ce code, avec une table alphabétique et raisonnée des matières, Paris, Garnery, 1810.
6 Ibid., p. 30.
7 De la peine de mort en matière politique, Paris, Béchet, 1822, p. 10.
8 Loi sur la connaissance par les jurys des délits de caractère politique, art. 7, in Victor Colonieu, L’espionnage au point de vue du droit international et du droit pénal français, Paris, Rousseau, 1888, p. 42.
9 Code pénal annoté, édition de 1832, contenant l’indication des lois analogues, des arrêts et décisions judiciaires ; les discussions sur la loi du 28 avril 1832 et les opinions des auteurs, par J. B. Duvergier, Paris, Guyot et Scribe, 1833, p. 20.
10 Fred Stevens, « La codification en Belgique, héritage français et débats néerlandais (1781-1867) », Xavier Rousseaux, René Lévy (dir.), Le pénal dans tous ses États. Justice, États et sociétés en Europe (XIIe-XXe siècles), Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1997, p. 300.
11 Jean-Jacques Haus, Observations sur le projet de révision du Code pénal, 1, Gand, de Busscher-Braeckman, 1835, p. 11.
12 Jean Servais Guillaume Nypels, Législation criminelle de la Belgique ou Commentaire et complément du Code pénal belge, 2, Bruxelles, Bruylant, 1872, p. 10.
13 Jean-Jacques Haus, op. cit., 1, p. 45.
14 Ibid., p. 46.
15 Jean Servais Guillaume Nypels, op. cit., p. 20.
16 Ibid., p. 15.
17 Pascal Pirot, Le service de surveillance et de renseignements aux frontières (S.S.R.F.), Master, Histoire, Liège, 2010, p. 7.
18 Victor Berg, « Grand-Duché de Luxembourg », Franz von Liszt (dir.), La législation pénale comparée, 1, Le droit criminel des États européens, Berlin/Paris/Rome/Lisbonne, Otto Liebmann/Pedone/Loescher/Ferin, 1894, p. 36.
19 Léonce Limelette, Le nouveau code pénal du grand-duché de Luxembourg : loi du 18 juin 1879, Liège, Grandmont-Donders, 1880.
20 Code pénal en vigueur dans le Grand-Duché de Luxembourg à partir du 15 octobre 1879, édition publiée par P. Ruppert (...), Luxembourg, Victor Bück, 1879, p. 52.
21 Albin Eser, « A Century of Penal Legislation in Germany : Development and Trends », Albin Eser, Jonatan Thormundsson (dir.), Old ways and new needs in criminal legislation : documentation of a German-Icelandic colloquium on the development of penal law in general and economic crime in particular, Fribourg-en-Brisgau, Max-Planck-Inst. für Ausländ. u. Internat. Strafrecht, 1989, p. 1-26.
22 Hans-Heinrich Jescheck, « L’évolution de la politique criminelle allemande et belge depuis cent ans », Commémoration du centenaire du Code pénal belge, Liège, Université de Liège, 1968, p. 39-57 ; Erich Döhring, « Friedberg, Heinrich von », Neue Deutsche Biographie, 5, Berlin, Duncker & Humblot, 1961, p. 444-445.
23 Hermann Seuffert, « L’Empire d’Allemagne », Franz von Liszt (dir.), op. cit., p. 265.
24 Das Strafgesetzbuch für das Deutsche Reich vom 15. Mai 1871 nach der novelle vom 26. Februar 1876 (...), beforgt von Professor Dr. Carl Lueder (cité ensuite RStGB), Erlangen, Deichert, 1876, p. 24.
25 BundesArchiv MilitärArchiv, Freiburg-im-Breisgau (BAMA), RW5/654, Generalmajor a. D. Gempp, Geheimer Nachrichtendienst und Spionageabwehr des Heeres. 1. Bd., 1928, annexe 7, mémoire Alfred von Waldersee, p. 272-273. Cf. Mathieu Deflem, « International Policing German States 1851-1866 », International Criminal Justice Review, no 6, 1996, p. 36-57.
26 Correspondence, Orders, Reports, and Returns of the Union Authorities from January 1 To December 31, 1863, Series III, Volume III, Washington, Govt. Print. Off, 1899, p. 158.
27 Actes de la conférence de Bruxelles de 1874 sur le projet d’une convention internationale concernant la guerre, Paris, Librairie des publications législatives, 1874, p. 4.
28 Ibid., p. 5.
29 Service historique de la Défense, département de l’armée de Terre, Vincennes (SHD/DAT), 7 YD 1566.
30 Actes de la conférence, op. cit., p. 10.
31 Stendhal, La Chartreuse de Parme, Paris, Dupont, 1839, p. 58.
32 Actes de la conférence, op. cit., p. 10 et 42.
33 Ibid., p. 10.
34 Ibid.
35 Pierre Auguste Florent Gérard, Corps de droit pénal militaire, Bruxelles, Van Dale, 1847, p. 33.
36 Recueil des lois et arrêtés royaux de la Belgique, 21, Bruxelles, Bruylant, 1870, p. 164-165.
37 Alphonse Champoudry, P. Daniel, Manuel de l’officier de police judiciaire militaire, Paris, Larose, 1881, p. 217-218.
38 Albert Wilhelm, Commentaire théorique et pratique des Codes de justice maritime et militaire à l’usage des membres des juridictions maritimes et militaires en France, à la mer et aux colonies, Paris, Larose, 1897, p. 83-84.
39 Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg, no 60, 2 novembre 1892, p. 628.
40 Reichs-Gesetzblatt 1872, p. 194.
41 Maurice Varbaet, « À propos de la législation pénale militaire », Charles Dejongh, Victor Yseux, Le droit et la guerre. Législation, doctrine et jurisprudence belges en matière de droit pénal militaire, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1917, p. 28-30.
42 Actes de la conférence, op. cit., p. 10.
43 Alain Dewerpe, op. cit., p. 44.
44 Institut de Droit international, Tableau général des résolutions (1873-1956), Bâle, Hans Wehberg, 1957, p. 190.
45 Ministère des affaires étrangères, Deuxième conférence internationale de la paix, 1907, Paris, Imprimerie nationale, 1908, p. 209.
46 Auswärtiges Amt, Berlin, R 7192.
47 La Presse (Paris), 28 avril 1882.
48 Alain Dewerpe, op. cit., p. 100. Cf. Cornel Zwierlein, Beatrice de Graaf, « Security and Conspiracy in History », Historical Social Research, vol. 38, no 1, 2013, p. 7-45 ; Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 156 ; Johannes Rogalla von Bieberstein, Die These von der Verschwörung 1776-1945. Philosophen, Freimaurer, Juden, Liberale und Sozialisten als Verschwörer gegen die Sozialordnung 1776-1945 (Thèse, Histoire moderne, Bochum, 1972), Francfort, Lang, 1976.
49 Archives nationales (AN), Paris, F7 12566, Flourens à Fallières, 2 juillet 1887 ; SHD/DAT, 5 Yf 73652, Saint-Germain, 4 octobre 1889.
50 « Notre programme », La Défense Nationale, 3 avril 1886.
51 La Défense Nationale, 30 novembre 1886 ; Archives départementales de Moselle, 1 AL 79/4.
52 Straßburger Post et Lothringen Zeitung, 9 et 12 mars 1886. Cf. Le Figaro, 12 mars 1886.
53 SHD/DAT, 2 I 323, Section de statistique, 5 avril 1888.
54 Ibid., 1 M 2197, Davout d’Auerstadt et Berger à Campenon, 8 septembre 1885.
55 Gérald Sawicki, Les services de renseignements à la frontière franco-allemande (1871-1914), Doctorat, Histoire, Nancy II, 2006, vol. III, p. 561-564.
56 Karl Brau, « Die beiden grossen Hochverraths-Prozesse vor dem Reichsgericht 1880-1884 », Das Tribunal. Zeitschrift für praktische Strafrechtspflege, no 2 et 3, février et mars 1885, p. 65-97, 157-197.
57 BAMA, op. cit., annexe 9, mémoire Karl Brose, p. 301.
58 Friedrich von Holstein, Die geheimen Papiere Friedrich von Holsteins. Tagebuchblätter, 2, Gottingen, Musterschmidt, 1957, p. 312.
59 Gérald Arboit, Des services secrets pour la France. Du dépôt de la Guerre à la DGSE (1856-2013), Paris, CNRS Éditions, 2014, p. 81.
60 SHD/DAT, 1 M 2197, Victor Chauffour, Rapport sur le projet de loi relatif à l’espionnage, Paris, Imprimerie nationale, 2 février 1886.
61 Journal officiel de la République française, Chambre des Députés, 12 mars, octobre, 15 avril 1886, p. 411, 796-797, 1285.
62 Journal officiel de la République française, Sénat, 17 avril, juin, 18 avril 1886, p. 184, 635, 651 et 662.
63 René Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, II, Paris, Larose, 1935, p. 535.
64 Victor Colonieu, op. cit., p. 106.
65 SHD/DAT, 7 N 674, Boulanger aux généraux commandants des corps d’armée, 14 août et 22 décembre 1886 ; 9 N 19, Boulanger aux généraux commandants des corps d’armée, 10 novembre, Instruction très confidentielle relative à la surveillance de la gendarmerie à l’égard des espions, 9 décembre 1886 ; 1 M 2197, Instruction très confidentielle, op. cit., et Goblet aux préfets, 9 février 1887.
66 AN, BB18 6080, Ministère de la Justice, Projet de loi remplaçant la loi du 18 avril 1886 sur l’espionnage, délibérée et adoptée en séance du Conseil d’État les 3 et 8 janvier 1889 ; Proposition de loi sur l’espionnage, sd. ; Roger Mennevée, L’espionnage international en temps de paix, II, Paris, chez l’auteur, 1929, p. 42.
67 Journal officiel de la République française, Chambre des Députés, 12 juillet 1911, p. 312.
68 Roger Mennevée, op. cit., p. 57-60.
69 Journal officiel de la République française, Chambre des Députés, 6, 18 et 19 novembre 1890, p. 62, 102 et 110.
70 Roger Mennevée, op. cit., p. 90-93.
71 Ibid., p. 49, 57-60 ; Journal officiel de la République française, Chambre des Députés, 24 février 1892, p. 2856-2857.
72 Ibid., p. 61-65, 115-162 ; Journal officiel de la République française, Sénat, 25 décembre 1894, 22 mai et 12 juillet 1898, p. 112-115, 798-799 et 1073-1074.
73 Jacques Trigant-Geneste, « La loi française sur l’espionnage envisagée au point de vue allemand », Journal de droit international privé, 1890, p. 439.
74 Ernst Hancke, « Das französische Spionagegesetz », Archiv für öffentliches Recht, IV, 1889, p. 462-463, 477, 491.
75 Stenographische Berichte über die Verhandlungen des Reichstag, 8. Legislaturperiode, I. Session 1890/92, Berlin, Julius Siltensfeld, 1892, p. 3814-3821 ; ibid., II. Session 1892/93, p. 403-412, 666-667, 733-734, 895-900, 1880-1905, 2030-2042.
76 Gesetz gegen den Verrath militärischer Geheimnisse vom 3. juli 1893, Giessen, Roth, 1893.
77 Florian Altenhöner, « German Military Intelligence on the home Front, 1914-1918 », The Journal of Intelligence History, vol. 5, no 2, hiver 2005, p. 56.
78 Verhandlungen des Reichstag, XIII. Legislaturperiode, I. Session, Anlagen zu dem Stenographischen Berichtes, Bd 305, Berlin, Julius Siltensfeld, 1913, p. 3664-3665 (présentation devant le juge 1893-1908 et condamnations 1893-1913) ; Walter Nicolai, Geheime Mächte. Internationale Spionage und ihre Bekämpfung im Weltkrieg und Heute, Leipzig, Köhler, 1923 (arrestations à/c 1908 et chiffres 1914), p. 150 ; AN, BB18 6080/6086, relevé systématique de l’auteur.
79 Florian Altenhöner, op. cit., p. 57.
80 Exposé du projet de loi, cité in Verhandlungen des Reichstag, op. cit., Bd 296, p. 1692.
81 BAMA, op. cit., p. 311-313.
82 Verhandlungen des Reichstag, op. cit., Bd 291, p. 5974-6003 ; Bd 295, p. 8999-9004, 9076 ; Bd. 305, p. 3612-3674, 3769.
83 Ibid., Bd 305, p. 3832.
84 Keith Jeffery, MI6. The History of the Secret Intelligence Service 1909-1949, Londres, Bloomsbury, 2010, p. 33-36.
85 Gérald Arboit, « Renseignement et diplomatie au XIXe siècle : aux origines du rapprochement franco-russe en 1887 », Revue d’histoire diplomatique, 2009/1, p. 4-20.
86 Gérald Arboit, Des services secrets…, op. cit., p. 129-132.
87 Le Temps (Paris), 13 juin 1912.
88 Le Temps, 6 avril 1913.
89 Le journal des Débats, 5 avril 1913.
90 Luxemburger Bürger-Zeitung, 25 septembre 1913.
91 Le Temps, 14 août 1913.
92 Ibid., 22 mai 1914.
93 Archives nationales du Luxembourg (ANLux), Luxembourg, AE-00568, Delleré et Van Dyck à Eyschen, 5 décembre 1913.
94 Ibid., AE-00436, passim.
95 Efraïm Karsh, Neutrality and Small States, New York, Routledge, 1989, p. 4.
96 ANLux, AE-00436.
97 Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris, Belgique, NS 14, Klobukowski à Viviani, 29 juillet 1914.
98 Pascal Pirot, op. cit., p. 15-24.
99 Laurent Mignon, Les services belges d’espionnage et de contre-espionnage (juin 1910-avril 1915), licence, Histoire, Liège, 2001.
100 Archives du Service public fédéral des Affaires étrangères, Bruxelles (ASPFAE), Neutralité, Indépendance, Défense militaire de la Belgique, XI.
101 « Rapport au Roi de l’arrêté-loi du 11 octobre 1916 », cité in Jean Wilmots, Code de législation pénale (1914-1919) et manuel de droit pénal ordinaire et militaire, Gand, Vanderpoorten, 1919, p. 38-39.
102 Cf. les notes optimistes de la direction politique des Affaires étrangères et les rapports de l’attaché militaire à Berlin, le chevalier Hubert de Mélotte de Lavaux de février à juin 1914 [ASPFAE, Ibid., XIV].
103 Exposé de Carton de Wiart, in Sénat de Belgique, Séance du 4 août 1914, Projet de loi sur les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État, Bruxelles, 1914, p. 2.
104 Exposé de Carton de Wiart, op. cit., p. 3.
105 Journal officiel de la République française, Sénat, 22 et 23 décembre 1898, p. 1036-1047, 1058-1060.
106 Journal officiel de la République française, Chambre des Députés, 12 juillet 1911, p. 312.
107 ANLux, AE-00436.
108 ASPFAE, B1, Steen de Jehay à Davignon.
109 Pascal Pirot, op. cit., p. 48-49.
110 Laurent Mignon, op. cit., p. 35-36, 44, 133-134.
111 Sénat de Belgique. Session extraordinaire de 1914, Table alphabétique des documents imprimés par ordre du Sénat, Bruxelles, 1914, p. 1.
112 Annales parlementaires de Belgique. Session extraordinaire de 1914. Sénat. Séance du 4 août 1914, p. 6-8.
113 Annales parlementaires de Belgique. Chambre des représentants. Session extraordinaire de 1914. Séance du 4 août 1914, p. 11-13.
114 ANLux, AE-00436, rapport manuscrit s.d. attribué à Glaesener.
115 ASPFAE, B1, Steen de Jehay à Davignon, 30 juin 1914.
116 ANLux, AE-00436, Chambre des députés, 11e législature, session de 1914, 289, rapport au nom de la commission de la réforme judiciaire et de la législation civile et criminelle, sur le projet de loi contre l’espionnage et la divulgation d’objet, de document et renseignement intéressant la sûreté extérieure de l’État, Paris, 1914 (il s’agit du projet de 1911).
117 Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg, 6 et 7 août 1914, no 54 et 56, p. 913, 921-922 ; Luxemburger Wort, 6 et 7 août 1914 ; Escher Tageblatt, 7 août 1914.
118 André Vitu, Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, I, Paris, Cujas, 1982, p. 37.
119 Joseph Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus, 1, Paris, Revue Blanche, 1901, p. 101, 118.
120 AN, BB18 6085 et F7 14709.
121 Charles Lux, L’évasion du capitaine Lux racontée par son Auteur, Paris, Les Œuvres représentatives, 1932, p. 84-86.
122 Louis Lambert, Traité de droit pénal spécial. Etude théorique et pratique des incriminations fondamentales, Paris, Police-Revue, 1968, p. 789.
Auteur
Docteur habilité en histoire contemporaine (Strasbourg, Arras), est directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement à Paris et auditeur de l’IHEDN (Nancy, 2000). Ses axes de recherche couvrent aussi bien l’histoire des services de renseignement (France, Luxembourg, Belgique, Italie, Serbie) que les relations internationales contemporaines, notamment à travers le rôle de l’information.
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François Vergniolle de Chantal
2016
Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010