Le projet culturel du Centre Pompidou-Metz1
p. 195-201
Texte intégral
« Nous regardons le passé avec les yeux d’aujourd’hui et nous avons besoin de contempler les inventions de ce siècle pour comprendre le présent. »
Robert Bordaz, 1973
1Né de la rencontre de deux ambitions, celle du Centre Pompidou d’une part, et celle de la Ville de Metz et de la Communauté d’agglomération de Metz Métropole (CA2M) d’autre part, le Centre Pompidou-Metz était un saut dans l’inconnu dans l’histoire des institutions culturelles nationales. Construire un centre d’art et de culture est une entreprise qui nécessite de réinventer l’institution culturelle. À la différence d’un hôpital ou d’une école, un édifice de cette nature ne résulte pas de l’addition de fonctions prédéfinies. Le Centre Pompidou a bouleversé l’idée du musée. Dans le cas du Centre Pompidou-Metz, l’enjeu était d’autant plus fort que c’était un centre d’un nouveau type. Ni musée (il ne détient pas de collections en propre), ni redite en réduction du Centre originel, qu’il serait vain de vouloir copier, il a pourtant la lourde responsabilité d’en prolonger l’aventure et l’idéologie culturelle. Le Centre Pompidou-Metz a dû inventer son concept culturel, celui d’un musée en mouvement doté d’une architecture faisant date – à l’image de celle de Piano et Rogers il y a trente ans –, d’une situation urbaine impliquant la fidélisation d’un public et d’une culture contemporaine à faire découvrir. Le Centre Pompidou-Metz est une chimère, le croisement entre l’esprit d’un musée et celui d’un centre d’art. Les atouts étaient nombreux : au premier chef, l’extraordinaire collection du musée national d’Art moderne (première collection d’art moderne en Europe) qui, largement confortée par son installation au Centre Pompidou, s’est profondément transformée en trente ans. Elle représentait un potentiel majeur pour le nouveau Centre. Autre avantage, la position géographique de Metz, au cœur de l’Europe, à proximité du Fonds régional d’art contemporain de Lorraine et du musée d’Art moderne Grand-Duc Jean de Luxembourg (le Mudam, dont l’architecte est Ieoh Ming Pei), au programme ambitieux ; non loin également de régions d’Allemagne riches d’une exceptionnelle densité d’institutions d’art contemporain. Il s’agissait donc de doter le Centre Pompidou-Metz de moyens comparables à ceux de ses prestigieux voisins, auxquels il ne manquera pas d’être comparé, pour assurer son fonctionnement et son programme et lui permettre de développer une personnalité culturelle qui le situe dans la lignée des grandes institutions européennes.
Le « bel aujourd’hui »
2Le Centre Pompidou-Metz avait pour ambition d’être « un grand centre d’information, d’exposition, de recherche et d’initiative qui rassemble de nombreux domaines de la création contemporaine » pour reprendre les termes, toujours d’actualité, du programme originel du Centre parisien : une institution fière de l’être avec pour mission essentielle de montrer la création artistique sous toutes ses formes depuis 1905. Le succès de la programmation ne repose pas sur une capacité d’anticipation, souvent hypothétique, mais bien plutôt sur un esprit en phase avec l’époque pour créer une institution singulière qui ne soit ni un clone ni un jumeau pervers, mais une institution engagée dans un dialogue privilégié avec le Centre parisien. Il faut veiller à laisser possible une marge de liberté et à proposer des orientations plutôt que des sens uniques. Le Centre Pompidou-Metz est un lieu de découverte et d’émerveillement, un site qui tient compte de l’héritage des grands musées et des expériences actuelles de tourisme et d’accueil des publics. La conjonction en un même lieu de plusieurs disciplines permet au public de saisir les liens qui existent entre les divers domaines de la création. Témoigner de la diversité des cultures contemporaines, élargir la fréquentation à des publics nouveaux, notamment jeunes, faire découvrir de nouvelles manières de voir les œuvres d’art, créer un endroit de rassemblement et de convivialité, un lieu extraordinaire, telles sont les finalités essentielles du Centre Pompidou-Metz. Le Centre doit répondre aux besoins d’imaginaire, donner du plaisir et ensuite instruire, l’un n’allant pas sans l’autre. Il est inscrit dans la ville et est, en même temps, universel. À l’ère des nouvelles technologies d’information et de communication, le Centre Pompidou-Metz ne pouvait pas être une coquille refermée sur elle-même. Espace de réflexion, de débat sur les courants de pensée et d’expression artistique de notre époque, il devait avoir une capacité d’émission et de proposition tant directe qu’indirecte, en se liant avec les institutions proches géographiquement, tout en dialoguant avec l’autre bout de la planète.
L’œuvre originale et l’artiste avant tout
3Le Centre Pompidou-Metz revient à l’essence du musée et de l’exposition : établir un choix, l’expliquer et redonner la primauté aux sens, à tous les sens, pour émouvoir et inviter le visiteur à appréhender le monde par le biais artistique. Les artistes et leurs créations constituaient le fondement du projet. L’objectif essentiel de présenter des œuvres originales, qui peut paraître désuet à l’heure de la reproductibilité, est au contraire d’une grande actualité. L’époque montre tous les signes d’un retour à l’authentique et d’un souci permanent d’émotion. Les limites du simulacre semblent atteintes et le musée demeure une institution d’avenir. Là encore, l’enjeu est d’importance : revenir à l’œuvre, à l’objet, nécessite une acuité toute particulière.
Un lieu chaleureux et généreux
4Le Centre messin est tout autant au service des créateurs que de ses visiteurs. Lieu de référence et d’échanges, il doit dans toutes ses composantes montrer une grande cohérence. Loin du modèle d’un marché éclectique ou d’un grand magasin, il reflète une exigence tendue vers le service tout en offrant une Gemütlichkeit unique, pour reprendre ce terme germanique difficilement traduisible. Hospitalité, douceur, agrément, confort, générosité sont les maîtres mots de ses activités. Le Centre Pompidou-Metz n’accueille pas des flux, mais des hôtes, qui n’entrent pas dans un hall, un carrefour ou un pôle d’échanges, mais dans un domaine, une maison, où toutes les composantes ont été conçues pour passer un moment de culture et de plaisir mémorable. Il a été pensé pour que le visiteur de passage ait envie de prolonger sa découverte. La qualité gastronomique de la restauration est, par exemple, un des éléments importants de l’offre culturelle et du succès de la fréquentation du Centre Pompidou-Metz. C’est l’attention portée aux détails, à tous les détails, qui crée l’esprit du lieu.
Une effervescence quotidienne
5Outre une programmation dynamique d’expositions, le Centre Pompidou-Metz propose une offre plus quotidienne que lui permet la réunion unique en France dans un musée, d’un forum, d’un auditorium et d’un studio. Ces trois lieux rendent possibles des relations croisées avec le Centre parisien et peuvent être en phase avec son très dense programme : conférences, cinémas, performances, etc. Associé en amont à la circulation éventuelle de ces manifestations, le Centre Pompidou-Metz veille à préserver une identité et à développer son propre programme en phase avec l’offre culturelle régionale. Il s’agissait d’offrir un type d’événements nouveaux en Lorraine. Le Centre Pompidou-Metz joue d’une double identité, revêtant tour à tour un habit classique ou baroque. Alors que les espaces dédiés aux expositions adoptent des horaires et jours d’ouverture traditionnels, le Studio et l’Auditorium proposent des horaires plus libres, avec notamment une part importante de leur programmation en nocturne. Lieu de vie et pivot de ce rythme binaire, le Forum est le poumon du Centre Pompidou-Metz. Il propose une interaction entre les fonctions traditionnelles d’accueil et de services, et des rencontres diverses avec l’art sous toutes ses formes. L’accueil de publics spécifiques tout comme l’espace réservé aux enfants ont été spécialement étudiés. En mesure de recevoir un flux de public important, voire un événement visuel ou sonore, sans omettre une soirée privée, le Forum conduit aux espaces d’exposition dont il a amorcé la rencontre. Il est également relié à d’autres fonctions culturelles auxquelles il permet d’accéder. Parmi elles, l’Auditorium propose à la fois l’organisation de conférences et la projection de films sur tous supports. Une autre activité a également été envisagée : elle associe la projection d’images, la performance, le spectacle vivant. Il s’agit d’un grand espace à usages multiples que l’on désigne sous le nom de Studio, où les œuvres proposées ont une existence éphémère. En effet, un nouveau centre d’art moderne et contemporain se doit de donner lieu à des formes d’art aujourd’hui omniprésentes. Comme l’Auditorium, le Studio rythme la vie quotidienne du Centre Pompidou-Metz et contribue à élargir ses publics. Grâce à tous ces espaces permettant l’organisation de multiples événements, le Centre Pompidou-Metz se définit comme un lieu de convivialité et de surprises permanentes.
L’indispensable pédagogie
6Le Centre Pompidou-Metz offre un accompagnement de la visite aussi agréable que pédagogique. L’objectif primordial était de redonner sa juste place à l’œuvre et d’en expliquer le processus. Les agents d’accueil, plus médiateurs que surveillants, sont une clef de voûte de ce parti pris résolument pédagogique. Cet accueil est complété par une signalétique claire, des informations précises et l’accès à des ressources documentaires. En raison de sa position géographique, le Centre Pompidou-Metz propose un dispositif d’information trilingue. De plus, les outils informatiques et numériques actuels permettaient d’envisager un lieu réellement novateur sur le sujet. Le tout informatif a été intégré dans la constitution et la philosophie même de la programmation et dans la conception des expositions. Cette excellence technologique permet également d’affirmer l’identité du lieu et d’en assurer la mémoire. Dès le début, cet élément a été pris en compte et confirmé dans le fonctionnement de l’institution. L’absence de collections propres à Metz renforçait encore cette priorité.
Une politique d’expositions ambitieuse fondée d’abord sur les collections du Mnam-Cci
7Si le Centre Pompidou-Metz reflète le champ chronologique et la diversité des collections du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle (Mnam-Cci) et la démarche pluridisciplinaire du Centre parisien, l’éloignement géographique relatif entre Metz et Paris incitait à une indépendance claire de l’institution messine, qui ne pouvait ni ne devait être l’étape d’une itinérance de la globalité de la programmation parisienne ou, pire, un musée de second choix des œuvres et des expositions. Le Centre parisien et le Centre Pompidou-Metz peuvent avoir des programmations parallèles et en écho, mais il est indispensable que les expositions à Metz aient un rythme clair et lisible. Les expositions du Centre Pompidou-Metz dépassent la dialectique entre expositions temporaires et collections permanentes. Toute présentation du Centre Pompidou-Metz a vocation à être temporaire, selon des rythmes variés. Les expositions constituent le joyau du Centre messin, sa raison d’être. Elles se proposent d’offrir au public dans les meilleures conditions de clarté, de calme et d’agrément un panorama sélectif de l’évolution de l’art des cent dernières années avec un accent mis sur les créations contemporaines. Dans ce cadre peuvent alors être associées « les collections que l’on retrouve et les expositions que l’on découvre », pour reprendre les termes de Pontus Hulten. Le temps des parcours gigantesques et encyclopédiques avec des classifications par courants, écoles, mouvements ou media est révolu. À cette fin, le parcours global de 5 000 m ² semble d’une taille judicieuse, car humaine. Le Centre Pompidou-Metz n’a pas de politique d’acquisition propre ni de réserves. Il s’inscrit ainsi dans le courant et l’évolution des institutions culturelles de ces dernières années qui cherchent à privilégier les surfaces dévolues à la seule exposition. La répartition des espaces d’exposition sur plusieurs niveaux et la diversité des volumes dédiés permettent des jeux importants dans la programmation et des parcours variés. Le Centre Pompidou-Metz est l’un des très rares endroits en France, hors de Paris, à pouvoir accueillir des expositions de niveau international dans des conditions de présentation aux normes usuelles de conservation préventive. En ce qui concerne les sujets de ces grandes expositions, la programmation définitive tient compte de la circulation de grands projets. Il peut être intéressant pour le Centre Pompidou-Metz de s’inscrire dans une circulation internationale en coproduisant ces expositions. Il doit veiller à se situer très en amont de ces coproductions afin de ne pas se transformer en une sorte de hangar pour des expositions auxquelles il aurait été très peu associé. L’identité du Centre Pompidou-Metz est là en jeu. Les expositions montrées à Metz s’inscrivent dans l’esprit de celles, pluridisciplinaires, qui ont fait la réputation du Centre parisien, avec leur propre identité. Des manifestations fondées sur les collections du Mnam-Cci forment l’épine dorsale de la programmation qui offre également des expositions au sens classique du terme avec des œuvres de toutes provenances. Ces expositions peuvent être issues du programme du Centre parisien, en coproduction, ou encore à l’initiative propre du Centre Pompidou-Metz. La gestion des espaces doit rester souple : tantôt une exposition de grande ampleur, tantôt une plus forte densité d’œuvres de la collection, ou encore plusieurs petites expositions temporaires réparties au fil du parcours. D’où l’idée essentielle que tous les espaces servent à tous les usages. Cette souplesse est un investissement pour l’avenir. Fidèle à l’idée présidant à la conception du bâtiment, elle engendre, comme le proposait Francis Ponge au sujet du Centre parisien « moins donc un monument, que, s’il faut inventer ce mot : un moviment », offrant une vraie liberté d’exposition. Cette flexibilité doit permettre de fermer certaines zones sans remettre en cause la fluidité du parcours et l’accès du public tout au long de l’année. La succession de cubes blancs est passée de mode. L’architecte d’un musée ou le scénographe d’une exposition du xxie siècle doit penser un rythme spatial associant salles petites et grandes, parfois de grande hauteur, salles de repos et de lecture, vues sur l’extérieur donnant au visiteur d’utiles points de repère sur son environnement. Profitant de la diversité des espaces et des volumes, de la richesse des collections du Mnam et des nombreuses possibilités de reprises et coproductions d’expositions, le Centre Pompidou-Metz propose donc une programmation généreuse, variée et dynamique.
Un événement premier : « Chefs-d’œuvre ? »
8Symboliquement, le Centre Pompidou-Metz a consacré, pour son exposition inaugurale, la totalité de ses espaces d’exposition à la présentation d’un choix issu majoritairement des collections du musée national d’Art moderne. « Chefs-d’œuvre ? » était une exposition conçue comme une suite, une phrase musicale, un dialogue entre les œuvres, avec ses temps forts, ses silences, ses évocations du siècle passé et du début du nouveau. Le propos a permis de montrer un panorama de l’art en France couvrant tout le champ chronologique et tous les secteurs des collections du musée national d’Art moderne : peinture, sculpture, installations, arts graphiques, photographie, vidéo, œuvres sonores, cinéma, architecture, design, etc. L’exposition a créé une bande-image surprenante, un montage surréaliste, tel un collage, qu’une présentation traditionnelle de collection permanente ne peut offrir. Plusieurs rassemblements d’œuvres ont pu être constitués autour de noms essentiels de la création du xxe siècle, tels Georges Braque, Robert Delaunay, Henri Matisse, Fernand Léger, afin d’illustrer la richesse du fonds constitué de grands ensembles monographiques. Des artistes liés à la région Lorraine, comme Jean Prouvé, ont été mis au premier plan. Cette exposition a rendu possible la rencontre de la Compression « Ricard » de César avec le Magasin de Ben, des décorations de Delaunay pour l’exposition de 1937 avec des gouaches découpées de Matisse, du Voyage dans la lune de Méliès avec La Muse endormie de Brancusi et Noire et Blanche de Man Ray. Elle présentait également le bâtiment messin, un chef-d’œuvre. L’exposition n’était cependant pas un strict alignement d’œuvres majeures. Destinée au grand public comme au spécialiste, elle a fait se côtoyer des œuvres essentielles et en a révélé d’autres moins connues. L’exposition a surtout été une réflexion sur les notions de goût, de collection, de musée et de jugement artistique. Sa scénographie originale a permis de voir ou de revoir les œuvres dans un contexte nouveau et d’en raconter le processus, la vie, l’histoire. Ainsi, si le Centre Pompidou-Metz, à la suite du Centre voulu il y a plus de trente ans par Georges Pompidou, est parvenu à son tour à réinventer l’institution culturelle en faisant d’une « utopie » première une réalité, l’on peut raisonnablement penser que ce lieu devait exister entre Paris et Berlin2.
Notes de bas de page
1 Le texte proposé ici a été prononcé pendant le séminaire d’Agnès Callu en novembre 2011.
2 Depuis l’écriture de ce texte, le Centre Pompidou-Metz, désormais dirigé par Emma Lavigne, développe une politique autant qu’une programmation d’un genre nouveau qui a entendu les leçons des premières années d’ouverture du musée.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
The Asian side of the world
Editorials on Asia and the Pacific 2002-2011
Jean-François Sabouret (dir.)
2012
L'Asie-Monde - II
Chroniques sur l'Asie et le Pacifique 2011-2013
Jean-François Sabouret (dir.)
2015
The Asian side of the world - II
Chronicles of Asia and the Pacific 2011-2013
Jean-François Sabouret (dir.)
2015
Le Président de la Ve République et les libertés
Xavier Bioy, Alain Laquièze, Thierry Rambaud et al. (dir.)
2017
De la volatilité comme paradigme
La politique étrangère des États-Unis vis-à-vis de l'Inde et du Pakistan dans les années 1970
Thomas Cavanna
2017
L'impossible Présidence impériale
Le contrôle législatif aux États-Unis
François Vergniolle de Chantal
2016
Sous les images, la politique…
Presse, cinéma, télévision, nouveaux médias (xxe-xxie siècle)
Isabelle Veyrat-Masson, Sébastien Denis et Claire Secail (dir.)
2014
Pratiquer les frontières
Jeunes migrants et descendants de migrants dans l’espace franco-maghrébin
Françoise Lorcerie (dir.)
2010