Introduction
p. 7-14
Texte intégral
1Au milieu des années 1980, dans les quartiers parisiens de la Goutte d’Or et de la Folie Méricourt, apparaissent de nouveaux commerces, les librairies islamiques : librairie el Houda (La bonne voie), librairie al Badr al Muqaddas (La lune sacrée), librairie el Hilal (Le croissant), librairie Essalam (La paix), leurs enseignes sont empruntées au registre religieux. Sur leur carte de visite, les gérants de ces commerces annoncent clairement « vente de livres islamiques »1. Interrogés, ils s’affirment comme spécialistes du livre religieux islamique et qualifient d’islamique leur librairie. La création de ces commerces révèle une nouvelle pratique culturelle, la référence et la lecture du livre religieux au sein de la population musulmane de Paris. Cette population, semble-t-il, a créé au contact de la société d’accueil des structures qui lui permettent de s’y insérer tout en développant un processus d’affirmation identitaire. La floraison de ces commerces, la lecture du livre religieux qu’ils supposent, seraient liés non à une situation d’anomie, mais à celle d’un exil qui se prolonge, d’une sédentarisation dans le pays d’accueil. Elles seraient, pour les lecteurs, un moyen de se réapproprier le monde, une manière de retrouver une dignité ébranlée par une situation sociale (économique et politique) encore instable. La difficulté de se situer dans l’espace français et son présent engendrerait chez eux un besoin de se rattacher à un passé et à son écriture sacrée, et de se réinscrire dans l’espace de l’Islam. Le livre islamique fournit une référence partagée dans une situation de dispersion. Bien que la lecture du livre religieux soit une pratique courante dans le monde musulman, aucun quartier des pays que nous connaissions, et à dominante musulmane, Maroc, Tunisie, Turquie ou Liban, ne pourrait se flatter de centraliser autant de librairies que certains îlots du quartier de la Folie Méricourt ou celui de la Goutte d’Or. Et de même dans la capitale belge où une même artère regroupe plusieurs librairies islamiques.
2La lecture du livre religieux à Paris relève d’une nouvelle pratique par la combinaison de plusieurs facteurs. D’une part, par la création d’un espace et d’un cadre approprié, la librairie interpelle le lecteur. D’autre part, les associations qui l’entourent encadrent le croyant par la mise en place d’un enseignement dans les lieux de culte, qui souvent leur appartiennent. Or cet enseignement invite à l’usage du livre et renforce la pratique de la lecture. Celle-ci s’institutionnalise enfin par la tenue de la foire annuelle du livre islamique dans la banlieue parisienne. En même temps, le livre, par le discours doxologique qu’il véhicule, renvoie non seulement à l’Islam comme religion mais aussi à l’espace où il s’est développé. Au-delà des pays d’où sont originaires les clients de la librairie islamique, il réfère à une géographie plus vaste : plus lointaine, en ce que les lecteurs ne se sont généralement jamais rendus dans d’autres régions de l’Islam que celle de leur naissance ; plus proche, en ce qu’elle traduit leur expérience actuelle, qui les met quotidiennement en contact avec des coreligionnaires de diverses parties du monde. Au-delà de la religion, c’est aussi l’espace d’une culture que le livre islamique dessine.
3A priori il peut sembler contradictoire d’utiliser le terme « nouvelle » pour une pratique qui s’appuie sur une littérature ancienne, née de l’oralité avant d’être fixée par l’écriture, inaugurée par le Coran au viie siècle et ayant pris son essor avec l’avènement et la diffusion de l’Islam. A bien considérer, cette pratique est nouvelle par les particularités de l’espace (différentes de celui d’où elle a émergé) où elle s’inscrit (dans le cas présent pays de tradition judéo-chrétienne où l’État est le garant de la laïcité). Elle l’est encore si on remarque qu’au moment où il a été produit, le livre était destiné à une élite, à des lecteurs spécialisés, alors qu’aujourd’hui sa facture prend indéniablement en considération de nouveaux lecteurs par une simplification de ses formes.
4Aussi vrai que cette pratique renvoie à l’apogée d’une civilisation, que revendique le lecteur dans une situation précaire à différents niveaux, la lecture d’un texte ancien ne peut être liée exclusivement à une attitude passéiste, nostalgique de sa part. Cette pratique ne se joue pas uniquement par rapport au passé: le présent qui la produit est aussi tourné vers l’avenir. Dire ou lire le passé, par une lecture à voix haute ou silencieuse de textes anciens, c’est le faire advenir, le convoquer dans l’espace du présent. Certains termes de la production islamique2 tel minhâj (guide), tarîq (chemin), sîra (ligne de conduite, voie), sont autant par leur définition que par les comportements qu’ils engendrent à la fin de la lecture, une projection vers l’avenir. Guider, conduire, suivre une voie ou un chemin, traduisent des mouvements de continuité vers ce qui est devant soi, vers l’avant, vers l’avenir. Ils permettent en outre, par la voie de la lecture et de ses prescriptions, de progresser dans sa propre foi et de s’élever vers le divin.
5Entreprendre cette recherche a conduit à deux types de problèmes : l’un relatif aux sources, l’autre inhérent au sujet même et au contexte dans lequel il sera traité. Les données relatives aux librairies islamiques relèvent pour une grande partie d’un travail de terrain conduit dans les années 1990-1997 à Paris surtout. Il ne pouvait alors y avoir d’études préalables, en raison du caractère récent de l’apparition et du développement des librairies islamiques dans l’espace parisien. Elles avaient surgi au début des années 1980 et se sont particulièrement développées à la fin de cette décennie. A l’évidence, on ne pouvait concevoir ces lieux comme un phénomène spontané et isolé. On devait les mettre en relation avec un ensemble de facteurs complexes. Les premiers contacts avec le terrain montraient que leur foisonnement se situait dans un type de quartier dit « ouvrier » qui présentait des traits récurrents : moins la concentration de travailleurs industriels que celle désormais d’immigrés de confession musulmane, et la présence d’associations, de lieux de culte et de commerces musulmans dans le même périmètre.
6Si aucune enquête n’avait encore été conduite sur les librairies mêmes, on devait les placer dans une perspective globale, nécessaire à leur intelligibilité. Or des études diverses répondaient à cette exigence. Tout d’abord, celles qui portaient sur l’immigration. Elles permettaient de situer le phénomène étudié dans un contexte social, et de le comparer avec des phénomènes antérieurs d’immigration et d’adaptation à la société d’accueil. En deuxième lieu, les études sur l’islam en France, œuvre de sociologues et de politologues, apportaient des données empiriques et des éléments d’interprétation. Enfin des travaux de plus en plus nourris portaient sur le fondamentalisme et sur ses développements en France : ils rattachaient l’objet de notre étude à des courants plus profonds et en élargissaient l’horizon.
7L’autre dimension de notre enquête est celle de la sociologie et de l’histoire du livre et de la lecture. Ce domaine on le sait, a connu de très amples développements pour l’Occident et présente de multiples aspects. Ce fut d’abord l’histoire d’une technique où est appréhendé le processus de fabrication du livre plutôt que le lecteur ou l’auteur. À cette approche matérielle, l’histoire du livre s’est assigné bientôt un autre programme, défini par Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, qui ont cherché à saisir l’action culturelle et l’influence du livre pendant les trois cents premières années de son existence mais aussi à mesurer les incidences sur la culture européenne d’un nouveau mode de transmission et de diffusion de la pensée. À partir de ce programme, trois directions de recherche ont été privilégiées : la constitution de séries longues de la production imprimée, l’histoire sociale des producteurs et distributeurs de l’imprimé et l’histoire de l’inégale distribution du livre. Depuis le début des années 1980, l’histoire du livre a connu de nouvelles mutations, associées principalement à deux historiens anglophones, Robert Darnton3 et Donald Francis McKenzie4, et à l’historien français Roger Chartier. Le premier a déplacé l’attention du dénombrement de la production des livres à la saisie de leur circulation. Le second privilégie l’approche du livre comme objet physique. Comme l’écrit Roger Chartier « cette attention à l’objet est l’une des voies permettant d’approcher ce qui apparaît aujourd’hui comme une dimension fondamentale de l’histoire du livre : l’histoire de la lecture, ou plutôt des lectures »5 ; cette approche qui est une ré-interrogation des objets imprimés permet de cerner les lectures qu’ils supposent, facilitent ou interdisent.
8En raison des périodes historiques choisies, ces recherches ne pouvaient prendre en compte le lecteur, et dans un premier temps la tendance a été de se focaliser sur le milieu producteur et l’édition. Or, comme le précise Hans Robert Jauss : « En centrant la recherche littéraire sur l’auteur et son œuvre, l’on a restreint indument le système relationnel. Celui-ci doit, de toute nécessité, prendre en considération le destinataire du message littéraire – le public, le lecteur. L’histoire de la littérature et de l’art plus généralement a été trop longtemps une histoire des auteurs. Elle a opprimé ou passé sous silence son “tiers-état”, le lecteur, l’auditeur ou le spectateur contemplatif6. » Les recherches actuelles sur les pratiques de la lecture tiennent compte de plus en plus des lecteurs (même absents) et essaient de les appréhender par une analyse des textes formant leurs bibliothèques et de déterminer les questions qui les intéressaient. Cette difficulté à laquelle sont confrontés les historiens du livre n’avait pas de raison d’être dans le cas de notre recherche : le lecteur est vivant, il suffisait de l’interroger. Mais était-ce possible et dans quelles conditions ? Parler de ses lectures n’est pas chose aisée, en parler à quelqu’un d’étranger, en l’occurrence ici l’enquêteur, l’est encore moins. L’acte même de parler est un acte d’échange qui implique une réciprocité. Pour que ce dernier soit possible une relation « intime », « personnelle » entre l’enquêté et l’enquêteur s’impose, ce qui n’est pas le cas lorsque nous abordons les clients d’une librairie ou des lecteurs dans une bibliothèque. Les propos tenus par les lecteurs, on le verra « désavouent » l’observation directe. Cette contradiction a du reste été relevée par Robert Escarpit : « Il suffit de comparer les résultats obtenus par l’observation directe et systématique du comportement culturel d’une personne à ceux que fournit son témoignage même de bonne foi pour comprendre l’extrême difficulté que présente l’exploitation de renseignements subjectifs7. » Comme le postule toujours cet auteur, « la méthode la plus évidente pour comprendre un phénomène à la fois psychologique et collectif est de poser des questions à un nombre suffisant de personnes8 ». Mais il précise encore que, si cette méthode porte ses fruits dans le cas de l’étude menée par le Dr Kinsey sur le comportement sexuel de ses compatriotes, elle reste très limitée dans le cas de la lecture :
Les chances d’une réponse à la fois lucide et sincère sont extrêmement réduites dès qu’on interroge quelqu’un sur ses lectures. Alors que confier à un enquêteur les particularités d’un comportement sexuel peut flatter un exhibitionniste latent, avouer des gouts littéraires (ou anti-littéraires) qui déclassent par rapport au social – qu’ils soient trop grossiers ou trop raffinés – n’a rien que de pénible : la plupart des intéressés ont déjà beaucoup de mal à s’avouer à eux-mêmes ces gouts9.
9Cette difficulté qu’éprouvent les lecteurs à répondre aux questions liées à la lecture est également notée par Pierre Bourdieu : « Dès qu’on demande à quelqu’un ce qu’il lit, il entend : qu’est ce que je lis qui mérite d’être déclaré ? C’est-à -dire, qu’est-ce que je lis en fait de littérature légitime10. »
10La lecture est la plus étudiée entre toutes les pratiques culturelles. Cette multitude de travaux trahit en fait la difficulté à l’aborder. En 1983, Nicole Robine dénombrait déjà 210 sondages publiés en vingt ans sur le sujet11. La plupart des études ayant pour objet la lecture, écrit Nicole Robine « portent plus sur les lecteurs que sur la lecture ; on sait qui lit quoi, où, pourquoi, etc., mais pas comment ; on connaît les circonstances, les objets, les auteurs, mais pas la relation. La lecture reste le point aveugle de la sociologie de la lecture12. » La lecture, phase charnière de cette pratique, échappe complètement à l’investigation en raison de l’absence de l’observateur. Enfin pour Alain Viala « l’acte même de lire se consume, pour une part essentielle, dans son accomplissement même13 ».
11Cette difficulté pour appréhender le lecteur s’amplifie quand il s’agit de la lecture de livres religieux, islamiques de surcroît. Aussi bien de la part des lecteurs que de celle des libraires, une constante réticence est manifeste, favorisée par un contexte politique qui met en ligne de mire les réseaux islamiques au moment où nous effectuons notre enquête14.
12Au printemps 1993, on apprend qu’un libraire du XIe arrondissement utilise son commerce pour un trafic de vêtements dont les bénéfices sont une source de subvention du FIS algérien15. Suite à cette affaire, cette librairie se transforme en un commerce d’import-export. Malgré cette conversion, l’un de ses responsables sera appréhendé lors de l’affaire de Folembray (aout 1994). Le 31 mai 1994 tombe une série d’arrêtés interdisant sur l’ensemble du territoire la circulation, la distribution et la mise en vente des publications d’Ahmed Deedat. Fondateur et directeur du Centre Islamique de Durban en Afrique du Sud, il est l’auteur prolifique d’ouvrages imprimés dans les capitales de l’édition arabe, à Beyrouth (par les Éditions Baker) et le Caire (par les Éditions al Mokhtar al Islami et Dar al-Fadila) et en France par les Éditions Ramou Crédif, par exemple : Comment Salman Rushdie a leurré l’Occident, La Bible est-elle la parole de Dieu, Mohamed ou le successeur naturel du Christ, Le Christ dans l’Islam, Quel est son nom ou Allah dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, Qui bouge la pierre, Le problème de la crucifixion du Christ, entre la vérité et le mensonge, Est-ce que le Christ est Dieu ?, Dialogue avec un missionnaire.
13Jugés susceptibles de causer des dangers pour l’ordre public en raison de leur tonalité violemment anti-occidentale, antisémite et de l’incitation à la haine qu’elles contiennent, ils sont interdits en France. Les autorités françaises, du reste, ont interdit l’entrée sur le territoire de cet auteur alors qu’il devait donner une conférence en banlieue parisienne à l’invitation d’une association islamique à l’automne 1993.
14En France, les ouvrages censurés sont rares. Parmi ceux qui subissent cette mesure, trois raisons justifient leur interdiction : il s’agit des publications à caractère pornographique, des publications à caractère raciste, antisémite-pronazi et enfin des publications islamistes qui depuis 1993 sont la cible de prédilection du ministère de l’Intérieur. En se référant aux arrêtés du ministère de l’Intérieur, on remarque que le créneau éditorial islamiste le plus touché par la censure française est la presse (journaux)16. La multiplication des arrêtés à l’égard de ce type de publication ne signifie pas une profusion de journaux considérés comme subversifs. Il arrive souvent qu’un journal interdit reparaisse sous un autre titre, sans que le fond et la forme subissent de réels changements. Du fait de cette censure, et afin qu’on ne lui reproche pas de faire du prosélytisme, un libraire a inséré dans son catalogue la phrase suivante : « Le fait qu’un titre figure dans la librairie, ne signifie en aucune manière, l’adhésion de la librairie à son contenu. Seuls les auteurs et les éditeurs assument l’entière responsabilité morale17. »
15Début août 1994, Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur fait procéder à l’arrestation de vingt-six militants islamistes qui seront internés à la caserne de Folembray. Parmi eux on trouve un imam, un libraire et un membre d’association pourvoyeur de fonds d’un éditeur de livres islamiques qui échappe de justesse à cette arrestation.
16Au printemps 1995, c’est le tour d’un éditeur installé à Paris spécialisé dans la traduction d’ouvrages religieux, d’être le point de mire du ministère de l’Intérieur. L’ouvrage incriminé est Le Licite et l’Illicite en Islam de Youssef al-Qardhawî, dont la traduction française date de 1990 et en vente depuis cette même année en France. Youssef al-Qardhawî est né en 1926 en Égypte, dans la province de Gharbiyyah. Après des études à l’institut religieux de Tanta il poursuit son cursus sur les fondements religieux, usûl al-fiqh, à l’université d’al-Azhar au Caire où il rejoignit l’association des Frères musulmans. Cette affiliation lui valut de nombreux emprisonnements sous le régime de Nasser (1949, 1954-1956, 1962). En 1962, al-Azhar le détacha au Qatar pour occuper le poste de président de l’Institut secondaire des études religieuses. En 1977, il dirigea la fondation de la Faculté de la Sharî’ah Islamique à l’université du Qatar dont il devint le doyen.
17La censure de son ouvrage Le Licite et l’Illicite en Islam, en France, semble être motivée dans une large mesure par des arrière-pensées électorales ; l’interdiction intervient à la veille des élections présidentielles. En effet il est intéressant à préciser que la date d’interdiction des livres « islamistes » n’est jamais fortuite. Dans tous les cas de figure, cette mesure est liée à un contexte politique qui à défaut de l’expliquer, la provoque, la suscite pour la légitimer : elle est précédée ou suivie d’un événement qui la légitime. Pour Le Licite et l’Illicite en Islam, la censure déguiserait « un règlement de compte » entre membres d’associations islamiques et membres du gouvernement. Selon la déclaration d’Abdallah ben Mansour, alors président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Charles Pasqua a voulu par cette censure lui faire payer son refus d’approuver l’organisation de « L’Islam à la française » tentée en décembre 1994 par le ministre de l’Intérieur : « C’est une vengeance contre nous, d’autant que nous avions invité Al-Qardhawî en octobre dernier à Paris où il s’en est pris à l’interdiction du voile islamique dans les écoles18. »
18En 1995, l’affaire Kelkal sera liée indirectement au milieu du livre islamique. Parmi les responsables du lieu de prière, Khaled Kelkal a connu Mohamed Mintat. L’homme est désigné comme « imam ». Il fréquente la librairie Tawhid, quartier général de l’Union des Jeunes Musulmans. Les militants qui se retrouvent là affichent leur programme de « réislamisation des banlieues19 ».
19Comme nous le soulignait un membre d’une organisation islamique, chaque fois qu’un musulman a un problème avec les autorités françaises, ces dernières l’associent à une association islamique qu’elles rendent responsable. « Elles nous ont bien rendu responsables de ce qu’est devenu Khaled Kelkal par le fait qu’il ait participé jeune enfant à nos colonies de vacances ». La médiatisation de ces affaires est telle qu’elle pousse le responsable de la Foire du livre islamique du Bourget à dire, concernant la polémique du voile, que « l’islam fait marcher les médias20 ». Cette idée, toujours d’actualité, relayée par les médias21 s’appuie aussi sur une pléthore d’écrits ayant pour sujet l’Islam et ses thèmes corollaires, voile, terrorisme, problèmes de banlieue et d’intégration.
20Les enquêtes conduites auprès des lecteurs et intermédiaires de livres islamiques, permettent d’appréhender ces commerces et leurs clientèles à partir de trois approches complémentaires qui correspondent à trois stratégies d’investigation. La première concerne les réseaux sociologiques du livre. Il s’agit de repérer les lieux de vente des livres islamiques mais encore les autres espaces de sociabilité qui provoquent la lecture religieuse et qui peuvent parfois être des espaces de lecture. La seconde partie aura pour objet la production de la librairie qui, grâce au recensement des livres, aide à repérer les textes et les lectures postulées qu’ils visent, manière détournée d’identifier les lecteurs et de connaitre les questions qui les intéressent. Enfin en dernière partie l’intérêt portera sur les lieux de production et sur les éditeurs qui mettent leur savoir-faire au service des lecteurs.
21Ces approches ont pour objectif de saisir les relations qui se tissent entre le lecteur et le livre, les outils conceptuels qui les rendent possibles et de déceler parallèlement les motivations latentes ou conscientes qui déterminent le choix du livre religieux. Les agents de distribution du livre islamique à Paris, leur clientèle forment le sujet de ce livre.
Notes de bas de page
1 En outre, leurs confrères des librairies arabo-musulmanes, chez qui la culture ne s’arrête pas à la religion, désignent ces lieux comme tels, maktabât islâmiya, librairies islamiques.
2 L’intitulé du livre possède au minimum un terme se référant à la terminologie islamique, il aide à cerner l’orientation de cette pratique, les tendances propres à cette production et illustre le contenu du livre.
3 R. Darnton, Gens de lettres, Gens du livre, Paris, 1992.
4 D. F. McKenzie, La Bibliographie et la sociologie des textes, Paris, 1991.
5 Cf. article « livre », p. 418-421 in Dictionnaire des sciences historiques, Paris, 1986.
6 H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, 1978, p. 11.
7 R. Escarpit, Sociologie de la littérature, Paris, 1986, p. 22.
8 Ibid. : 21.
9 Ibid.
10 Pierre Bourdieu et Roger Chartier, Pratiques de la lecture, Paris, Marseille, 1985, p. 223.
11 N. Robine, « La lecture des livres en France à travers les enquêtes nationales et locales », Les Cahiers de l’animation, n° 40, 1983, p. 59-73.
12 J.F. Barbier, « La fin et les moyens. Méthodologies des enquêtes sur la lecture », in Pour une sociologie de la lecture. Lecture et lecteurs dans la France contemporaine, M. Poulain (dir.), Paris, Éditions du cercle de la librairie, 1988.
13 A. Viala, La Lecture littéraire, Paris, 1987, p. 16.
14 Elle correspond en effet aux années de la guerre civile en Algérie.
15 À la Goutte d’Or d’autres commerces, proches des lieux de culte, feront l’objet de perquisition. « On soupçonne les membres du FIS installés en France d’organiser le trabando pour financer le mouvement. » Cf. article de F. Aïchoune, « Les contrebandiers d’Allah », p. 21-23, dans Le Nouvel Observateur du 12-18 novembre 1992.
16 Le Critère édité par la Fraternité algérienne en France, interdit le 27 mai 1993 ; L’Étendard édité par la Fraternité algérienne en France, interdit le 4 août 1993 ; at-Tabsira édité par le FIS à Londres, interdit le 21 octobre 1993 ; al-Forqan édité en Suède par le Comité Internationale de soutien au Jihad en Algérie, interdit le 9 novembre 1993 ; al-Moutawasset édité par Euro-Presse Édition, interdit au mois de janvier 1994 ; al-Ansar édité à Varsovie par les Partisans du Jihad en Algérie, interdit le 6 aout 1994, etc.
17 Dans le catalogue, les livres épuisés correspondent généralement aux livres censurés.
18 Cf. Libération du jeudi 4 mai 1995, p. 18.
19 Cf. Libération du 11 septembre 1995, p. 4.
20 Les propos de ce dernier rejoignent ceux tenus par A. Ben Mansour, ancien secrétaire général de l’UOIF en 1988 : « Je pratiquais mon islam beaucoup plus facilement... avant que les médias n’en fassent un sujet à la mode. En 1988, sur 52 numéros du Nouvel Observateur, 36 articles étaient consacrés à l’islam ».
21 Cf. Nouchine Yavari-D’Hellencourt, « Diabolisation et normalisation de l’islam. Une analyse du discours télévisuel en France », in Médias et Religions en miroir, Jean-Paul Willaime (dir.), Paris, PUF, 2000.
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