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La Balagne au xviiie siècle

p. 69-73


Texte intégral

1La région s’organise autour de deux pôles littoraux, Calvi et Algajola, qui dominent un vaste espace rural. L’agriculture constitue le cœur de l’économie balanine.

La structure administrative

2À l’époque moderne, la Balagne forme pour les contemporains une entité propre. Cependant, depuis la fin du xvie siècle, elle se divise en deux provinces distinctes1. Ainsi, la province « de Balagne » est administrée par un lieutenant génois qui réside à Algajola, la province de Calvi est gérée par un commissaire à partir du préside. Cette dernière regroupe environ la moitié de la superficie de la Balagne « géographique » pour un tiers de la population, une grande partie de cette zone est inhabitée. Lors de l’indépendance de la Corse2, entre 1755 et 1769, afin d’en rationaliser la gestion, Pascal Paoli3 unifie la Balagne en une seule province. Lorsque la Corse devient française, la région est une nouvelle fois divisée en deux provinces administratives.

3À l’époque moderne, chaque province est divisée en pieve. Au xviiie siècle, cette structure reste incontestablement une division majeure de l’espace religieux, mais aussi administratif. La Balagne compte sept pieve rurales dépendant de trois diocèses différents (Aleria, Mariana et Sagone)4.

4Chacune des pieve compte un nombre variable de paroisses, de communautés. Dans chacune d’elles, l’assemblée des chefs de feux désigne les titulaires des charges communautaires. Les fonctions sont variées. Le podestat, les procurateurs généraux et les pères du commun occupent les postes les plus importants. Dans le domaine de la police rurale, l’assemblée désigne des gardiens, chargés de la répression des délits ruraux, et des loseri, estimateurs publics. Peu à peu le rôle de l’assemblée décline.

De par ses fonctions administratives5, sa structure sociale6 et son poids démographique, Calvi est la seule entité pouvant être qualifiée d’urbaine7. Le préside souffre cependant de sa position excentrée au débouché de la Balagne déserte. En effet, l’arrière-pays calvais est composé de vastes étendues de terres dont la mise en valeur pose problème8. Une partie des flux de marchandises est captée par Algajola, située dans la partie la plus riche de la Balagne.

La répartition de la population

5La population balanine est majoritairement rurale. Au xviiie siècle, deux dénombrements, celui de 1729 et celui de 1770, permettent d’établir les grandes caractéristiques de l’évolution de la population. En 1729, la Balagne compte un peu plus de 13 000 habitants, en 1770 un peu plus de 15 000. Si le nombre d’habitants a augmenté, toutes les communautés ne connaissent pas une évolution similaire. Les deux capitales génoises ne bénéficient pas de cette croissance. Entre ces deux dates, Algajola passe d’un peu plus de 400 habitants à 207, Calvi reste assez stable en passant de 1 062 habitants à 1 042. L’impact des Révolutions corses qui débutent en 1729 et se terminent en 1769, peut expliquer le recul démographique des cités littorales. Pendant le généralat de Pascal Paoli (1755-1769), les Nazionali vont essayer d’interdire la circulation des hommes et des marchandises entre les espaces ruraux et les sièges de l’autorité génoise.

6Au xviiie siècle, l’essentiel de la population habitant sur le littoral réside à Calvi. Celle-ci regroupe 11 % de la population totale en 1729 et 8 % en 1770.

7Entre 1729 et 1770, l’augmentation de la population va engendrer la croissance du nombre de communautés de plus de 500 habitants. Les communautés de Calenzana, Corbara et Calvi puis les communautés de Santa Reparata, Calvi et Calenzana dépassent 1 000 habitants. Calenzana est avec 1 615 habitants en 1729 puis 1 436 en 1770 plus peuplée que Calvi (Carte 5).

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Carte 5 : Démographie de la Balagne en 1770.

8À la fin du xviiie siècle, la densité est d’environ 15 habitants au km², soit un peu moins que la moyenne insulaire de 16,9 avec cependant de fortes inégalités : si les cantons de L’Île-Rousse et de Muro sont peuplés, celui du Ghjunsani, les communes de Palasca ou de Novella, voire de Calenzana, et la Balagne dite « déserte » le sont peu, eu égard à l’étendue de leur territoire.

La structure économique

9La plupart des villages dominent une plaine rétrolittorale vouée à l’agriculture. Seules les communes du Ghjunsani sont localisées dans un bassin intérieur. L’agriculture constitue le cœur de l’économie balanine. Le territoire est largement cultivé.

10Partout, la localisation de chacune des cultures est liée à plusieurs facteurs. Bien entendu, la qualité de la terre et la morphologie du terrain sont des éléments primordiaux, mais l’organisation traditionnelle des terroirs joue un rôle essentiel. Il existe dans toutes les communautés rurales deux grandes zones distinctes. Comme au Moyen Âge, les terroirs des communautés rurales se divisent en circulu et presa. Le circulu, consacré aux plantations arbustives (vignes, oliviers), est généralement situé près du village et de ses hameaux, il est aussi occupé par les orti et les giardini. Celui-ci est particulièrement protégé des divagations animales. La seconde zone est occupée par les prese. Elles sont le domaine des céréales et elles doivent former un ensemble homogène pour éviter les dommages causés par les animaux. Les soles sont mises en culture la même année. Chaque presa peut être divisée en plusieurs zones pour permettre l’utilisation la plus rationnelle possible du terroir. D’autre part, toute terre non enclose est ouverte au bétail dans le cadre de la vaine pâture. En Balagne, de par leur taille réduite, quelques communes comme Lavatoggio, Cateri, Avapessa ou encore Cassano ne disposent que d’un circulu. En outre, dans certaines communautés du Ghjunsani, de la vallée du Reginu ou du bassin de Calvi, une partie du territoire, souvent montagneux, est inculte et sert de zone de pâturage. De plus, les communautés du Ghjunsani et Calenzana - Moncale disposent de superficies relativement importantes de communaux. Ces deux zones, ainsi que la communauté de Zilia, dans laquelle les communaux sont bien représentés, forment la Balagne dite « pastorale ». Si l’élevage tient un rôle central essentiellement dans ces communautés, il est tout de même présent partout. Les ovins dominent nettement dans la partie « agricole » de la région.

11Les trois cultures de la trilogie méditerranéenne constituent, hormis dans le Ghjunsani, la base de l’économie. Dans toutes les communautés, les terres destinées à la culture céréalière occupent une place prépondérante avec généralement plus de 50 % de la superficie totale des terroirs, plus de 90 % du « cultivé », selon les données du Terrier qu’il faut relativiser car les superficies plantées en oliviers sont nettement sous-évaluées9. En effet, l’olivier est déjà bien présent mais sa part réelle est difficile à établir. La vigne est la troisième culture représentée. À leurs côtés, il existe une grande variété de cultures arboricoles mais qui paraissent avoir une place marginale. Celles qui prendront un essor important au siècle suivant sont déjà attestées (cédratiers, mûriers, figuiers, amandiers et orangers).

12Bien que l’agriculture occupe la majorité des habitants, il existe d’autres activités. Cependant les éléments d’appréciation sont assez peu nombreux et imparfaits car la plupart du temps l’appartenance socioprofessionnelle des individus n’est pas précisée. Il est possible de trouver mentionné, des artisans, maestri (maîtres), sans que toutefois leur métier soit systématiquement indiqué. Sont cités des muratori (maçons), des stazzonari (forgerons), des sarti (tailleurs), des maestri d’ascia ou bancalari (menuisiers) et des scarpari (cordonniers). Il y a aussi des notaires, des médecins, des serve (domestiques) ou encore quelques mercanti (marchands).

13À Algajola et Calvi, les activités commerciales sont plus présentes. Dans cette ville, la structure sociale est dominée par un patriciat marchand généralement d’origine ligure. Ces notables gardent des attaches à Gênes et tissent des relations notamment par le biais d’alliances matrimoniales avec les représentants génois nommés dans le préside. Leur fortune est basée sur les activités marchandes mais ils ne dédaignent pas les revenus provenant de leurs biens fonciers. De plus, ils peuvent compter sur des revenus tirés de l’immobilier. Il existe ensuite une « bourgeoisie », une classe intermédiaire, formée de marchands et d’artisans, dont les contours sont flous. Au bas de la hiérarchie sociale, se situent les travailleurs de la terre, les bergers, les marins, les pêcheurs ou encore les domestiques. Il est possible de penser que la structure sociale d’Algajola est assez semblable bien qu’il faille tenir compte du fait que la cité soit beaucoup moins peuplée. La pratique d’activités liées à la mer est aussi une spécificité calvaise et algajolaise car bien que la plupart des territoires des communautés aient un littoral, la pêche et la navigation sont délaissées par les Balanins.

14L’existence d’activités marchandes doit être mise en relation avec la présence d’un port dans les deux cités. Celui de Calvi entretient des rapports étroits avec les ports de la Tyrrhénienne. C’est un point d’attache pour la navigation au long cours et un point de départ du cabotage en direction du Cap Corse ou du Nebbio. Il est évident qu’il permet l’exportation de produits locaux : du bois, des bêtes et des peaux, de céréales (notamment du blé), de l’huile ou du vin. Ce commerce est avantageux pour la cité, les produits sont taxés par les autorités calvaises10. La nécessité de passer par Calvi est renforcée par le fait que le négoce de certains produits est strictement réglementé ou contrôlé par Gênes. Ainsi, le préside est un des points de passage obligé pour les exportations de blé qui doivent se faire uniquement en direction de la Sérénissime, à partir de 1592. Ceci est une contrainte importante pour les Balanins même s’ils peuvent également utiliser le port d’Algajola qui fait lui aussi partie des quatre ports retenus pour les exportations de grains avec Bastia et Ajaccio. De plus, les Balanins viennent chercher des commandes et faire des achats. Par ces ports transitent divers produits manufacturés et de mercerie, du calcaire, des animaux de trait11 venant du continent italien, mais également du sel. Celui-ci est stocké à Calvi. Il s’agit d’un commerce lucratif pour les habitants du préside. Dans ce domaine, l’influence de Calvi dépasse le territoire balanin et s’étend aux espaces montagneux limitrophes du Niolo et de l’Asco dont les habitants ont un besoin impérieux de sel pour leur fromage et leurs salaisons.

15Le port de Calvi n’est pas le point de sortie naturel pour la majeure partie de la Balagne et une part du trafic transite par Algajola. D’ailleurs, celui-ci est, selon Pietro Morati qui a vécu à la fin du xviie siècle, le port principal pour le commerce de l’huile. Les activités portuaires à Calvi vont être freinées par les Révolutions corses. Outre la création de L’Île-Rousse, sous le gouvernement de Paoli, les Balanins essaient tout au long de la période, avec plus ou moins de succès, de gêner les relations de Calvi et d’Algajola, avec le reste de la région mais également avec l’extérieur. La cité subit durement ce conflit. Le commerce ralentit. Même si les actes notariés montrent que les relations avec la Balagne rurale se poursuivent, elles se tassent nettement12. Le port de Calvi change de fonction, sa mission principale est d’assurer l’approvisionnement des troupes qui servent à pacifier la Balagne et la Corse.

16Lorsque la Corse devient française, en 1769, les besoins de la nouvelle puissance changent de nature. Cependant, Calvi peut compter sur la continuité des circuits d’échanges traditionnels avec la Ligurie et son statut de chef-lieu qui lui permettent de maintenir un certain niveau d’activité.

Notes de bas de page

1 Au xviie siècle, il existe dix provinces en Corse. Elles sont dirigées par le Gouverneur qui réside à Bastia.

2 Les Génois gardent le contrôle des présides côtiers.

3 Pascal Paoli, général de la Nation, est à la tête du gouvernement de la Corse de 1755 à 1769, cf. Graziani A.-M., Pascal Paoli, Père de la patrie, Paris, Tallandier, 2002, 340 p. ou Vergé-Franceschi M., Paoli, un Corse des Lumières, Paris, Fayard, 2005, 637 p.

4 La pieve d’Aregno dépend du diocèse d’Aléria : les pieve de l’Ostriconi, du Ghjunsani, de Tuani et de Sant’Andrea dépendent du diocèse de Mariana. Elles forment la province de Balagne. Dans le bassin de Calvi, les pieve d’Olmia et Pinu appartiennent au diocèse de Sagone.

5 Calvi est à deux reprises la capitale de la Corse (de 1544 à 1548, puis de 1652 à 1659). Cette décision repose sur la nécessité d’assurer une meilleure protection au représentant de Gênes dans l’île. Les gouverneurs, arrivés de Gênes, sont souvent obligés d’accoster en Balagne et de poursuivre leur route à cheval jusqu’à Bastia. Cependant, les Bastiais désapprouvent ce choix. Banchero qui rédige ses Annales au milieu du xviie siècle insiste sur le fait que Bastia peut compter, à la différence de Calvi, sur la proximité de nombreux villages : « Bastia outre qu’elle est la ville la plus peuplée de l’île, est entourée de nombreux villages et elle est en mesure de mobiliser rapidement plus de dix-mille hommes […] », dans Mémorial des Corses, 1981, p. 140.

6 Cf. infra.

7 La ville à l’époque moderne se caractérise par une agglomération assez serrée d’habitants, entourée de murailles et qui jouit de certains privilèges. Même si pour les hommes de l’époque moderne, le nombre et la fonction n’apparaissent guère dans la définition de la ville avant le xviiie siècle, les villes ont une fonction de défense, elles sont des lieux de marché et d’échange, des centres administratifs et elles exercent également des fonctions culturelles, Goubert P. et Roche D., Les Français et l’Ancien Régime, Paris, A. Colin, 1984, p. 151-153.

8 Les communautés de la région montagneuse du Niolo revendiquent la jouissance d’une partie de cette zone. Les conflits existant sur le territoire de la commune de Calenzana sont anciens comme cela a été analysé dans la première partie.

9 Bien que très postérieures, les données du cadastre paraissent plus vraisemblables avec des terres céréalières représentant généralement plus de 70 % du « cultivé ».

10 Selon un décret de 1374, les Calvais jouissent du privilège de prélever un droit de 6 deniers par livre de marchandise exportée ou importée dans une grande partie de la côte occidentale.

11 Par exemple, si nous nous intéressons au livre de compte du couvent de Marcasso dans la vallée d’Aregno ou aux achats des religieux du couvent de Belgodere, les pâtes et le riz sont achetés à Calvi.

12 Le nombre d’actes par année décroît.

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