L’urbanisation du littoral balanin au bas Moyen Âge : Calvi et Algajola
p. 37-62
Texte intégral
Calvi : naissance et développement d’une ville
Du castrum au préside génois : une fondation géostratégique
1D’après les chroniques corses27, la fondation de Calvi trouverait son origine première dans l’affrontement entre les deux plus puissants feudataires de l’île au xiiie siècle : le comte Giudice di Cinarca28, installé dans la forteresse d’Avortica (Monticello), et le seigneur du Nebbio, Giovanninello de Pietralarata29. Ce serait en effet pour résister aux assauts du comte qui cherchait à étendre sa domination sur l’ensemble de la Corse, que Giovanninello, allié à la commune de Gênes, aurait édifié une nouvelle forteresse sur le littoral balanin dans les années 1270. Situé sur un mamelon rocheux dominant une baie abritée utilisée depuis l’Antiquité30, ce nouveau château offrait à la fois une protection naturelle contre l’arrière-pays et la possibilité d’échanges maritimes avec la Terre ferme. Cette position stratégique a donc très rapidement suscité l’intérêt de la commune de Gênes qui, depuis la conquête de Bonifacio en 1195, n’avait cessé d’étendre son influence dans l’île31. C’est ainsi que, dès 1278, les deux capitaines de la commune et du peuple de Gênes, Oberto Spinola et Oberto Doria accordent aux habitants présents et futurs du castrum de Montisregalis de Sancta Maria Calvi, les mêmes privilèges que ceux de la ville de Bonifacio. Moins d’une dizaine d’années après l’érection d’une nouvelle forteresse par Giovanninello de Pietralarata, cet acte marque donc la naissance de Calvi en tant que ville génoise.
2Cependant, en raison d’un manque cruel de sources, il est difficile d’étudier les premières années d’existence de Calvi. Les premiers notaires recensés ne remontant pas au-delà de la fin du xive siècle32. À cette époque, la fondation d’un couvent franciscain, le deuxième de Corse, suggère la croissance démographique de la ville. Les actes du notaire Giovanni Bozzolo (1370) livrent par ailleurs quelques informations sur l’origine de ses habitants : outre les descendants des premiers colons ligures et lombards, d’autres Italiens (Pisans, Siciliens) et même des Corses originaires de Balagne, du Niolu et du Celavu. Comme l’a souligné Alain Venturini (2013), au sein de cet échantillon de population, les familles d’artisans et de marchands dominent, ce qui témoigne de la fonction essentiellement commerciale de la ville. Il semble donc que la première croissance commerciale de Calvi soit une conséquence des révoltes populaires du milieu du xive siècle qui ont placé le nord de la Corse sous la domination directe de la commune de Gênes33. L’unification politique du nord de l’île par la commune de Gênes a ainsi bénéficié à Calvi qui, forte de ses privilèges commerciaux, a pu développer ses échanges avec l’arrière-pays. Toutefois, à la différence des villes d’Italie à la même époque, ces relations commerciales ne se traduisent pas par une domination politique et territoriale de la ville sur son arrière-pays : entre Calvi et la Balagne au Moyen Âge, on n’observe ni conquête du contado, ni domestication des seigneurs34 ! Au contraire, ce qui semble faire la spécificité de cette ville paraît bien être son absence d’hinterland due à la pression constante qu’exercent sur elle ses turbulents voisins : les seigneurs cinarchesi qui luttent contre Gênes et ses alliés dans l’île avec l’aide de la Couronne d’Aragon35. Jusqu’à la fin du Moyen Âge, la ville est donc le plus souvent coupée de son arrière-pays du fait des guerres incessantes. Toutefois, cette instabilité politique ne semble pas avoir été un véritable frein pour le commerce calvais qui se révèle au contraire très florissant à la fin du xve siècle.
Calvi : une ville portuaire active à l’échelle de l’île
3En 1489, la victoire définitive de l’Office génois de Saint-Georges sur le seigneur Giampaolo di Leca, dont la seigneurie s’étendait des environs d’Ajaccio jusqu’à la Balagne, marque un tournant décisif : désormais, la Corse entière passe sous l’autorité de San Giorgio qui donne naissance à la première forme d’État dans l’île36. Cette autorité publique se traduit par la naissance d’une administration « centralisée » dirigée par les huit Protecteurs de l’Office à Gênes. Sur l’île, le pouvoir des Protecteurs est incarné par un gouverneur qui réside à Bastia et qui est assisté par deux lieutenants : un lieutenant de Balagne à Algajola ; un lieutenant du Delà-des-Monts qui s’installe, à partir de 1492, dans la nouvelle ville d’Ajaccio37. La naissance d’un État territorial génois en Corse entraîne ainsi une véritable explosion de la documentation écrite qui faisait jusque-là défaut aux historiens. À Calvi, les très nombreuses lettres envoyées par les podestats aux Protecteurs de Saint-Georges renseignent sur la situation de la ville à la fin du Moyen Âge38. Si à cette époque Calvi a perdu son indépendance politique, comme en témoigne le fait que le podestat soit désormais soumis aux ordres des Protecteurs, elle préserve néanmoins ses privilèges commerciaux : l’exemption de gabelles sur les marchandises exportées à Gênes notamment. Grâce à ces privilèges, Calvi est devenu au xve siècle le premier port de Corse pour les échanges avec Gênes et la Ligurie, et l’un des principaux centres de redistribution de l’île. Dès les années 1450, au moment du premier gouvernement de l’Office de Saint-Georges en Corse, la correspondance des podestats témoigne de cette densité du trafic portuaire à destination de Gênes. Dans les années 1490, les liaisons maritimes avec la Ligurie y demeurent bien supérieures à celles de Bastia et d’Ajaccio, en dépit de leur statut de capitales administratives. De sorte que la ville joue également un rôle central dans le système de communication génois et que le podestat sert bien souvent de relais entre les Protecteurs et les officiers locaux.
4Essentiellement destinées à la Ligurie, les exportations du port de Calvi pendant tout le Moyen Âge sont constituées principalement de céréales39, mais nous verrons que la part du vin tend à augmenter dans le premier tiers du xvie siècle. Les besoins d’approvisionnement en céréales de Gênes (qui compte à l’époque environ 100 000 habitants) ont souvent été mis en avant par les historiens comme étant la principale cause de la « colonisation » génoise de l’île. À la fin du xve siècle, les privilèges accordés aux Calvais semblent encore directement liés à la volonté d’assurer cet approvisionnement : Calvi est le seul port de Corse à être autorisé à exporter des céréales. Cependant, le développement du port d’Ajaccio dans le premier tiers du xvie siècle engendre une concurrence nouvelle. Les céréales produites dans le sud de l’île, qui jusqu’alors ont vraisemblablement transité par Calvi, sont désormais expédiées depuis le port d’Ajaccio40. Ainsi semble s’amorcer au xvie siècle une spécialisation nouvelle des ports de l’île : Ajaccio pour les céréales, Calvi pour le vin et l’huile. Cette spécialisation pourrait par conséquent renvoyer à l’organisation des terroirs de l’arrière-pays avec une céréaliculture dominante dans le Delà-des-Monts et une extension de la vigne et de l’olivier en Balagne. Les importations quant à elles, étaient constituées des produits de l’artisanat italien : céramiques et draps essentiellement. Cette production péninsulaire était en grande partie destinée aux notables calvais et balanins qui souhaitaient, par cette consommation de luxe, se démarquer du monde paysan (Illustration 4).
Calvi : une ville attractive pour les Balanins ?
5La puissance commerciale de Calvi en fait un pôle d’attraction démographique à la fin du Moyen Âge. Alors qu’à cette époque Bonifacio entame son déclin, Calvi atteint en effet son maximum démographique avec une population que l’on peut estimer entre 4 000 et 5 000 habitants41. À la fin du xve siècle, les habitants de Calvi représentent donc environ le tiers de la population de la Balagne42. Cette croissance démographique de Calvi a été favorisée en partie par l’installation en son sein de Corses des environs. D’après la correspondance des podestats, la Balagne est l’un des principaux foyers d’émigration vers la ville. Parmi les Balanins installés à Calvi, nous trouvons des notables issus des gros villages de la région dans lesquels ils possèdent toujours des biens, mais également des hommes plus modestes attirés par les perspectives d’ascension sociale offertes par la ville. Les documents d’archives témoignent par ailleurs qu’entre les années 1490 et les années 1520, 200 familles corses environ se sont installées à Calvi. Cette immigration des Corses à Calvi est d’abord une conséquence de la répression génoise qui a suivi la victoire contre le seigneur de Leca. À cette occasion, en effet, les Protecteurs de Saint-Georges ont totalement dépeuplé la pieve de Sia, voisine de Calvi. Or de nombreux Siesi43 se sont réfugiés en Balagne et à Calvi. En 1494, une lettre du lieutenant de Balagne révèle que 150 familles siesi résident à Calvi tandis que 70 autres sont en Balagne44. Dans les années 1520, les descendants de ces réfugiés du Sia, qui sont nés et se sont mariés à Calvi, demandent le statut de « bourgeois » de la ville. Vers cette période la ville semble donc s’ouvrir plus largement aux Corses, ce qui marque un tournant. Les statuts de la ville ne prévoyaient pas l’intégration des « étrangers »45 et les Protecteurs doivent remédier à ce vide juridique. Ils proclament alors un nouvel article qui nous renseigne sur l’intégration des « immigrés » à Calvi :
Item, ils statuent et ordonnent que quiconque paie ses impôts à Calvi, même s’il n’y tient pas famille, bénéficie de tous les avantages des bourgeois de la ville, sauf pour les gabelles où il doit être considéré comme un étranger. Celui qui habite véritablement à Calvi doit être traité comme les autres bourgeois de la ville, aussi bien dans le domaine des gabelles que dans les autres domaines. Exception faite de celui qui n’habiterait à Calvi que pour un temps limité lié à ses affaires46.
6Cet article distingue trois types d’« immigrés » à Calvi. Le premier cas envisagé est celui d’une personne qui résiderait durablement dans la ville et y paierait les mêmes impôts que les bourgeois, mais dont la famille habiterait ailleurs. Ce cas pourrait correspondre aux notables balanins que nous avons évoqués. Pour les besoins de leurs affaires, ces derniers possèdent une maison à Calvi où ils se rendent souvent, comme l’attestent leurs lettres, mais leur résidence principale demeure leur village d’origine. Ils ont donc les mêmes droits que les Calvais, notamment en matière judiciaire, mais ne sont pas exemptés de gabelle. Le second cas envisagé est celui d’une personne qui résiderait à Calvi avec sa famille et qui n’aurait plus aucun lien avec son village d’origine. C’est donc le cas des Siesi évoqué plus haut. Ces derniers obtiennent la pleine citoyenneté calvaise et bénéficient des mêmes franchises de gabelles que les autres bourgeois de la ville. Enfin, cet article envisage le cas des « étrangers de passage », c’est-à-dire ceux qui sont amenés à séjourner ponctuellement dans la ville pour leurs affaires, on pense notamment aux marchands. Ces derniers restent donc des « étrangers » dans la ville.
7En ne réservant plus la citoyenneté calvaise aux descendants des premiers habitants génois, cet article marque un véritable tournant dans l’histoire de Calvi et atteste de son intégration définitive au territoire corse. Cependant cette ouverture de la ville n’a pas permis d’enrayer son déclin démographique qui s’amorce dans les années 1530 en raison de l’action conjuguée des épidémies de peste et des pirates barbaresques. En 1528, une épidémie de peste ravage la Balagne et, selon Agostino Giustiniani, les deux tiers de la population calvaise auraient alors été emportés47.
8Le dynamisme démographique de Calvi au xve siècle conduit à s’interroger sur les conséquences du développement urbain sur l’organisation des habitats de l’arrière-pays. Dans l’ensemble, les registres de tailles suggèrent une certaine stabilité du réseau des habitats puisque les villages les plus peuplés sont pour la plupart issus des anciens castra des xiie-xiiie siècles, comme Speloncato et Belgodere, ou du regroupement des habitats au sein des anciennes pieve. Quant aux habitats désertés relevés par Évelyne Gabrielli (1980), ils sont en très grande majorité la conséquence du regroupement villageois, et seuls ceux qui sont situés dans la proximité immédiate de la ville pourraient avoir été abandonnés en raison de l’attractivité de cette dernière48. Le développement de Calvi au xve siècle est donc contemporain de la naissance des villages de Balagne mais la ville ne semble pas avoir eu de véritable incidence sur la trame de l’habitat villageois. Le fait suggère que même si les notables balanins possédaient des biens à Calvi et s’y rendaient souvent pour leurs affaires, ils n’ont pas abandonné pour autant leur village d’origine pour s’installer durablement en ville. Nous ne pouvons donc pas parler d’une véritable polarisation du territoire par la ville, mais plutôt d’une répartition équilibrée des habitants entre la ville et la campagne (Carte 3).
La fonction défensive et l’urbanisme de Calvi
9À la fin du Moyen Âge, la croissance démographique de la ville se traduit sur le plan urbanistique par la construction de nouvelles maisons et l’extension de l’habitat en direction du faubourg. Dans la citadelle, toutes les constructions étaient soumises à l’autorisation des Protecteurs. Ces derniers veillaient surtout à la sécurité de la ville en empêchant la construction de maisons à trop grande proximité de la forteresse et en limitant leur hauteur afin de préserver la vue depuis le château49. La fonction défensive de la ville est en effet primordiale pour les Protecteurs de San Giorgio et tous les travaux publics engagés à Calvi concernent la rénovation de l’ancien château. Des maisons sont détruites, les fortifications sont renforcées, les citernes réparées de sorte que la ville puisse se défendre en cas d’attaque. Dans le même temps, le podestat doit veiller à approvisionner le château en vivres et en armes afin de pouvoir soutenir un siège éventuel. Cette fonction militaire de Calvi s’inscrit dans le système de fortification génois du littoral corse. Selon Agostino Giustiniani50, l’Office de Saint-Georges aurait consacré 60 000 lires à la rénovation de la forteresse, ce qui témoigne de l’importance que la fonction militaire de Calvi revêtait à leurs yeux. Cette fonction défensive était d’ailleurs favorisée par l’aspérité naturelle du site, comme nous l’avons vu.
10L’urbanisme de Calvi à la fin du Moyen Âge, proche de celui de Bonifacio, est donc déterminé par la fonction militaire de la ville qui laisse peu de place à l’extension de l’habitat. D’après Évelyne Gabrielli, la surface habitable à l’intérieur des remparts ne dépassait pas 2,5 hectares51. Comme à Bonifacio et à Gênes, les ruelles étaient très étroites à l’intérieur de la citadelle et permettaient seulement le passage d’un âne ou d’un mulet. Les maisons y étaient donc hautes, étroites et collées les unes aux autres. En raison de la vocation commerciale de la ville, les rez-de-chaussée étaient le plus souvent utilisés comme boutiques. La correspondance des podestats de Calvi permet de se faire une idée de la physionomie de ces maisons. En effet, la construction de la nouvelle citadelle à la fin du xve siècle a engendré la destruction de maisons situées trop près du château. Pour dédommager les propriétaires, les Protecteurs les ont alors fait estimer, ce qui a donné lieu à des descriptions très précises de ces dernières, comme on peut le voir dans cet extrait :
La maison de Francesco de feu Luchino de Guastoruccio, de Vincente de Georgio, de Vincente de Angelo, et de Mariotto de Simone est longue de 40 palmes et large de 16 palmes [40 mètres carrés], elle a trois étages, y compris la terrasse. Au rez-de-chaussée, il y a un magasin qui s’ouvre sur la rue […]. Sur les autres côtés, il y a trois entresols avec une voûte en briques. Elle a deux pièces et une cuisine. Du sol au sommet, sa hauteur est de quarante-quatre palmes [11 mètres]52.
11À la fin du Moyen Âge, les documents, donnent de Calvi une image de prospérité : le commerce y apparaît florissant, l’urbanisme semble dynamisé par les travaux engagés par l’autorité génoise pour améliorer les qualités défensives du site, la démographie y est en pleine croissance. Cette image positive est cependant nuancée par quelques zones d’ombre qui suggèrent qu’à la charnière du Moyen Âge et de l’époque moderne, cette prospérité calvaise était menacée. La fondation d’Ajaccio, qui constitue à la fois un nouveau centre politique et un nouveau port de commerce, engendre en effet pour les Calvais une concurrence nouvelle53. De sorte qu’au début du xvie siècle, la domination du territoire balanin devient essentielle à la ville pour conserver sa place dans les échanges avec la Ligurie. Or cette domination est elle-même remise en cause par la croissance d’Algajola qui, de simple marine, est devenue la capitale administrative de la Balagne, et qui tend à s’imposer comme un nouvel intermédiaire obligé entre Calvi et son arrière-pays.
Algajola : un nouvel acteur dans les relations entre Calvi et la Balagne à la fin du Moyen Âge
D’une simple marine à la capitale de la Balagne
12La fondation d’Algajola est évoquée dans le cadre d’un procès qui oppose les Calvais et les habitants d’Algajola pour la collecte des gabelles sur le littoral de Balagne à la fin du xve siècle :
Par le passé, feu Paolo Lomellini avait fait construire une tour ou forteresse, à ses propres frais, dans l’île de Corse, dans la région de Balagne, afin que le lieu de San Giorgio ou d’Algajola puisse être habité en toute sécurité. Ce dernier voulant légitimement posséder ledit lieu, il se le fit concéder en fief par l’illustre Doge et le conseil des Anciens de l’excellente Commune de Gênes l’année mil quatre cent trente-huit […], pour lui et ses successeurs avec le droit de percevoir les entrées, les droits et les gabelles. […]. Cette concession a ensuite été confirmée et approuvée par les Magnifiques Protecteurs de San Giorgio en 1453, comme cela apparaît dans la dite concession, puis en 1470 par le très illustre Duc de Milan qui était alors seigneur de Gênes […]54.
13D’après ce document, la fondation d’Algajola relèverait donc d’une initiative privée, celle de Paolo Lomellini qui en aurait dans un second temps demandé confirmation à l’autorité génoise, sous la forme d’une concession en fief. Paolo Lomellini se serait ainsi fait concéder la terre d’Algajola avec tous les droits afférents, y compris les gabelles prélevées sur le littoral. La fondation d’Algajola répondait donc avant tout à des motifs commerciaux. Nous pouvons en déduire qu’avant l’intervention de Paolo Lomellini, Algajola abritait déjà des échanges commerciaux. En édifiant une tour, Paolo Lomellini voulait à la fois sécuriser ce commerce et en tirer de plus grands profits. De son côté, l’autorité génoise voyait dans l’initiative de Paolo Lomellini l’occasion d’accroître son influence dans la région. La fondation d’Algajola s’inscrit ainsi dans la politique de « colonisation » génoise et vise à renforcer le contrôle du littoral de l’île selon un double objectif : sécuriser les côtes, développer le commerce. L’on ne trouve pas en revanche dans cette fondation, la trace de motivations agraires comme ce sera le cas avec la fondation de Porto Vecchio au xvie siècle.
14D’après Antoine Franzini55, la concession faite à Paolo Lomellini aurait permis l’installation d’une soixantaine d’habitants, dont certains seraient venus des villages voisins. Dès sa fondation, Algajola aurait donc eu vocation à être une ville « balanine » à la différence de Calvi. Cependant, dans les années 1490, la correspondance du lieutenant de Balagne, Franco de Oliva, témoigne qu’Algajola demeurait très peu peuplée. Dans une de ses lettres aux Protecteurs de San Giorgio, Franco de Oliva suggère en effet de sécuriser le lieu en y installant une quinzaine de soldats et en reconstruisant la forteresse afin qu’elle puisse abriter une centaine de famille car : « Une fois habitée, elle inspirera la crainte à tout ce pays ». Selon ce dernier, Algajola aurait pu aisément être peuplée en servant de refuge aux paysans balanins « persécutés » par les caporaux56.
15Dans les années 1530, voici comment Agostino Giustiniani décrit Algajola :
[…] Algajola, ou selon quelques-uns Gabiola, où habite le Lieutenant. Son habitation, que le Magnifique Office a fait construire récemment, est très convenable. C’est à la fois une maison ou un palais, et une forteresse. Elle est placée en bord de mer comme nous le dirons plus loin. Le village est tout petit, qui ne fait pas plus de vingt-cinq ou trente feux. Il est vrai qu’il est très commodément situé pour tout le pays et que chacun, venant d’une quelconque pieve de Balagne, pour traiter quelque affaire à l’Algajola peut rentrer chez lui coucher dans sa maison, et c’est pour cette situation favorable que le Magnifique Office a désigné là, comme je le pense, la résidence du Lieutenant de préférence à d’autres lieux plus peuplés et peut-être plus sains57.
16Cette description montre que dans les années 1530, Algajola n’est toujours pas suffisamment peuplée pour être une véritable ville. En dépit de sa fonction de capitale administrative de la Balagne, sa population demeure bien inférieure à celle des principaux villages de Balagne qui, à la même époque, comptaient entre 100 et 300 feux : Calenzana, Monte Maggiore, Lumio, Zilia, Speloncato, Occhiatana, Belgodere, Monticello, La Corbaia58. Agostino Giustiniani attribue ces difficultés de peuplement au caractère impaludé du lieu et justifie le choix d’en faire la résidence du lieutenant de Balagne par les qualités topographiques du site. C’est cette situation, au carrefour des routes terrestres en direction de la Balagne et des routes maritimes en direction des autres régions de la Corse et de la Terre ferme, qui explique également le choix de Paolo Lomellini en 1438. Algajola était en effet le débouché portuaire naturel de la riche pieve d’Aregnu. Avec l’installation du lieutenant, elle allait devenir la capitale administrative de toute la Balagne (Illustration 5).
17D’après les documents des archives génoises, c’est en 1483 que le lieutenant de Balagne s’installe à Algajola59. La charge de lieutenant impliquait l’administration de la justice civile et criminelle, et le tribunal d’Algajola avait compétence sur l’ensemble de la Balagne. Cette nouvelle circonscription judiciaire qui distinguait la Balagne du reste du Deçà-des-Monts, soumis au tribunal du gouverneur, avait pour but de désengorger le tribunal de Bastia mais également de rapprocher la justice des justiciables. Comme le souligne Agostino Giustiniani, tous les Balanins pouvaient faire l’aller-retour dans la journée, ce qui limitait les frais de justice. La mise en place d’un lieutenant en Balagne témoigne ainsi du poids démographique et économique de la région et de la volonté des Protecteurs de satisfaire les Balanins en les dotant d’une institution particulière. La mesure n’empêcha pas cependant une grande partie des Balanins de suivre Giampaolo di Leca, puis Rinuccio della Rocca dans leur lutte contre Gênes60. En faisant d’Algajola le nouveau centre politique et administratif de la Balagne, les Protecteurs limitaient par ailleurs l’influence de Calvi dans la région. La fin du Moyen Âge se caractérise ainsi par une concurrence accrue entre les deux ports pour la domination du littoral balanin.
La concurrence entre Calvi et Algajola pour le contrôle du littoral balanin
18Le site de Calvi qui comme nous l’avons vu, avait été choisi au xiiie siècle pour ses qualités défensives et portuaires, était d’un point de vue topographique isolé du reste de la Balagne, comme le souligne Agostino Giustiniani :
Calvi n’a sous sa dépendance aucun village, si l’on excepte la piève d’Armito qui est inhabitée et la piève de Chiomi, inhabitée elle aussi à l’exclusion du petit village de Luzipeo, où il est peu de bonnes choses61.
19La géographie rattachait donc plutôt Calvi aux zones désertées de l’ancienne seigneurie de Leca qu’à la Balagne proprement dite. La carte des évêchés de l’île traduit également cette réalité géographique puisque la région de Calvi relevait de l’évêché de Sagone alors que la plupart des pieve de Balagne relevaient de l’évêché de Mariana.
20Au xive siècle, les relations économiques entre Calvi et la « riche Balagne » se faisaient donc plutôt par voie maritime. Il semble que les Calvais se procuraient les productions agricoles balanines dans les cales et marines du littoral : Sant’Ambroggio, Algajola, Isola Rossa, Lozari. Jusqu’au début du xve siècle, la ville compensait ainsi son absence d’arrière-pays par le contrôle de tout le littoral balanin. De sorte que la fondation d’Algajola a dû marquer une première rupture. L’action de Paolo Lomellini impliquait en effet une concurrence commerciale nouvelle pour les Calvais. Cependant, il semble que ce soit l’installation du lieutenant qui ait donné véritablement corps à ce projet, en faisant d’Algajola un nouveau centre de douanes. À la fin du xve siècle, la perception des gabelles sur le littoral de Balagne devient ainsi l’enjeu d’un conflit entre Calvais et Balanins. Or dans cette affaire, le soutien du lieutenant de Balagne semble avoir été crucial pour les Balanins62.
21Le conflit apparaît dans la documentation au lendemain de la victoire définitive de San Giorgio contre les Leca. À cette époque, il semble que les Calvais aient cherché à profiter de la « paix génoise » pour affirmer leur domination sur la Balagne. Les documents témoignent que les Calvais exigeaient de percevoir des gabelles dans les cales et marines de la région jusqu’à la Punta di l’Acciolu. D’après le lieutenant, il s’agissait pour les Calvais d’exercer un monopole commercial, afin de pouvoir vendre leurs marchandises à un coût supérieur au marché et, à l’inverse, de pouvoir acheter les productions de Balagne à un coût inférieur :
[Les Calvais] veulent venir prélever les gabelles dans les ports et les cales de Balagne, ce qui, si cela arrivait, se ferait au grand détriment des Balanins, parce que les Calvais, pour vendre leurs marchandises, ne laisseront rien venir dans les cales de Balagne, et ce qui vaut un sou, ils le vendront deux sous, et pour acheter les céréales [de Balagne], ils feront le contraire63.
22Au moment de la réorganisation du territoire insulaire par l’Office de Saint-Georges, les Calvais, au nom de leur fidélité à Gênes, ont donc cherché à obtenir des Protecteurs, un monopole commercial sur le littoral balanin. En raison de liens séculaires avec les seigneurs de Leca, une grande partie des Balanins avait suivi Giampaolo dans sa révolte et les Calvais ont voulu profiter de la victoire génoise pour imposer définitivement leur domination sur la région. Mais l’Office de Saint-Georges, au lieu de favoriser Calvi, semble avoir au contraire tout fait pour protéger les intérêts des Balanins. C’est ainsi qu’en 1488, suite à un conflit qui oppose les Calvais et les Balanins pour la détermination de la frontière littorale, le commissaire Ambrogio di Negro64 rend une sentence favorable aux Balanins. De la même manière, l’installation du lieutenant à Algajola témoigne que les Protecteurs n’ont pas voulu que Calvi puisse étendre son emprise sur le territoire de Balagne. Si les aspects topographiques ont pu jouer un rôle dans ce choix, comme le suggérait Agostino Giustiniani, les aspects politiques sont sans doute tout aussi importants. En faisant d’Algajola le lieu de résidence du lieutenant, les Protecteurs permettaient aux Balanins de résister à l’affirmation de Calvi, ce qui suggère qu’ils souhaitaient limiter la puissance d’une ville dont l’attitude avait été ambiguë à leur égard65.
23La décision de faire d’Algajola la capitale administrative de la Balagne a donc permis à cette marine de se renforcer au détriment de Calvi, en dépit de sa faiblesse démographique. La construction d’une forteresse par l’Office de Saint-Georges à partir des années 1490, a semble-t-il, aidé les activités commerciales à prospérer et les Balanins à se soustraire à l’emprise de leurs voisins. Les documents suggèrent en effet qu’avant l’arrivée de San Giorgio, les Calvais étaient parvenus à limiter la croissance commerciale d’Algajola. Or à la fin du xve siècle, non seulement les Calvais perdent le contrôle du littoral balanin et sont soumis à la concurrence nouvelle des autres marchands, mais encore doivent-ils s’acquitter des gabelles prélevées par le lieutenant.
24Les pièces du procès entre Calvi et la Balagne au sujet des gabelles permettent de mieux cerner les enjeux du conflit. Selon les Balanins, la Punta di Spano marquait la frontière entre Calvi et la Balagne. Au-delà de la Punta di Spano, les gabelles relevaient donc d’Algajola et cela jusqu’à Lozari. Les Calvais estimaient au contraire être exemptés de gabelles sur tout le littoral allant du golfe de Sagone jusqu’à la Punta di l’Acciolu :
Nous avisons Vos Seigneuries que domino Leonardo Salvaigo, lieutenant de Balagne […] prélève des gabelles sur les marchandises vendues par des Calvais ou d’autres personnes dans les marines de Balagne. Et cela contre toute forme de justice car cela fait deux cents ans environ que les gabelles prélevées dans lesdites limites ont été concédées aux Calvais par la commune de Gênes. Et ils les ont toujours détenues tant que la Corse était gouvernée selon la justice. Et quand messer Leonello Lomellini66 tenait le gouvernement de la Corse, il y a environ cent ans, il a essayé d’empêcher les Calvais de prélever ces gabelles. Et dans cette cité [Gênes] ils [les Calvais] ont obtenu une sentence en leur faveur et contre ledit messer Leonello. Et au temps du très illustre duc de Milan, afin d’affirmer cette coutume contre Vincentello de Canari, qui tenait alors la tour de l’Agajola, l’affaire fut portée devant le vicaire ducal. Lequel trancha en faveur des Calvais et condamna ledit Vincentello comme cela apparaît dans des écritures publiques. C’est pourquoi nous prions Vos Seigneuries qu’elles ordonnent que ni le lieutenant ni personne d’autre ne puisse prélever lesdites gabelles à l’intérieur desdites limites sans autorisation du gabelou de Calvi67.
25Cette requête suggère donc que ni la commune de Gênes, ni le gouvernement milanais n’avait soutenu les différents seigneurs d’Algajola dans leur tentative d’imposer leur contrôle sur le commerce balanin. Les choses changent avec San Giorgio car il ne s’agit plus de défendre les intérêts de seigneurs particuliers mais bien ceux du nouvel État génois. L’installation du lieutenant à Algajola permettait ainsi aux Protecteurs de prélever des taxes sur le commerce balanin sans remettre officiellement en cause les privilèges des Calvais. Au même titre que Bonifacio, Calvi conservait ses franchises mais sur un territoire de plus en plus restreint. Au nord, les Calvais subissaient la concurrence nouvelle d’Algajola tandis qu’au sud s’affirmerait bientôt celle d’Ajaccio.
26En laissant se développer Algajola au détriment de Calvi, les Protecteurs affaiblissaient une ville dont la tradition d’autonomie politique représentait un danger pour le nouveau Stato. Cette attitude à l’égard des Calvais s’inscrit ainsi dans la politique globale de San Giorgio en Corse : le nouvel État se superpose aux anciennes structures – communes urbaines, seigneuries, Terra di Comune – qui, si elles sont maintenues, sont privées de la réalité de leur pouvoir et considérablement affaiblies sur le plan économique.
27À Calvi cependant, la perte du contrôle direct du littoral de Balagne semble avoir été compensée par la multiplication des prêts à intérêt qui ont permis aux marchands de drainer les productions de l’arrière-pays, selon une stratégie qui, à terme, s’est avérée redoutable pour les paysans balanins (Carte 4).
Le prêt usuraire : une nouvelle forme de domination de Calvi sur la Balagne à la fin du Moyen Âge
28Dès la fin du Moyen Âge, la question de l’endettement paysan auprès des marchands des villes surgit dans la documentation génoise68. Cet endettement semble même être une caractéristique du rapport ville-campagne dans la Corse de San Giorgio. En Balagne, le phénomène apparaît aussi bien dans les requêtes des Calvais, où est exprimée la vision des créanciers, que dans celles des Balanins, qui révèlent la vision des débiteurs69. Toutefois, ces documents sont très elliptiques et ne permettent que d’entrapercevoir le phénomène. Dans les années 1540, les archives des premiers notaires balanins étudiées par Évelyne Gabrielli (1980) témoignent quant à eux que l’ensemble des villages du littoral balanin sont alors endettés auprès des marchands calvais70. Gagés sur les terres, les prêts ont même pu engendrer, à cette époque, un important transfert de la propriété foncière en Balagne : ne pouvant plus rembourser leurs créanciers, certains paysans balanins se sont retrouvés contraints de céder leurs terres et de devenir les ouvriers agricoles des marchands calvais. Or cette situation n’est que l’aboutissement d’un phénomène qui semble prendre sa source dans la seconde moitié du xve siècle, dans le triple contexte de la croissance commerciale de Calvi, de la naissance des villages de Balagne et de l’affirmation d’une autorité publique dans l’île.
29Comme en Italie, la généralisation des prêts à intérêt dans les campagnes semble être d’abord une conséquence de la croissance économique de l’île à la fin du Moyen Âge. L’ouverture de la Corse aux échanges engendre en effet de nouvelles pratiques de consommation que la faiblesse du numéraire circulant dans l’île ne parvient pas à couvrir. L’écart entre la circulation monétaire et le volume des échanges rend nécessaire le recours au crédit pour des dépenses usuelles. Ainsi, l’une des premières causes de l’endettement en Balagne semble être le crédit à la consommation. Le recours au crédit n’est d’ailleurs pas propre au monde paysan mais caractérise l’ensemble de l’économie insulaire : l’État génois lui-même est contraint de s’endetter auprès des marchands pour se procurer le numéraire nécessaire à l’entretien des troupes, au financement des travaux de fortification, au versement des salaires des officiers… Par ailleurs, la mise en place de la fiscalité génoise dans cette économie faiblement monétarisée accroît encore la nécessité de l’emprunt : pour payer les 20 livres de tailles exigées par l’administration génoise, certains paysans s’endettent auprès des marchands des villes qui augmentent ainsi leurs profits grâce à cette activité de prêt.
30Outre les besoins en numéraire, le recours au crédit permet aux paysans balanins de faire face aux aléas climatiques dans un système agraire particulièrement fragile. En cas de mauvaise récolte, les Balanins achètent à crédit aux Calvais les céréales nécessaires à leur subsistance mais également au réensemencement de leurs terres71. L’endettement est donc généralisé car il est nécessaire à la vie économique de l’île, cependant que l’augmentation constante des intérêts engendre des conséquences désastreuses pour les campagnes balanines. Les difficultés des paysans à sortir de la spirale de l’endettement tiennent à plusieurs facteurs : d’une part les intérêts n’étaient pas fixes, ce qui permettait aux marchands de jouer sur la variation du cours des denrées pour augmenter leurs profits ; d’autre part, les marchands renouvelaient sans cesse les prêts, ce qui permettait aux paysans de prolonger les délais de paiement mais avec des intérêts qui ne cessaient de croître, si bien qu’à terme, il leur était impossible de rembourser leurs dettes. Comme l’a démontré Damien Broc (2008), les contrats de prêts finissaient par se substituer aux contrats de ventes, ce qui empêchait les paysans de bénéficier de l’accroissement de la demande en blés et les condamnaient au contraire à laisser leur production à un prix toujours inférieur au prix du marché. Dès 1485, une requête des Calvais atteste que ces derniers jouaient sur la variation des cours afin de prélever des intérêts cachés :
Item parce que les Calvais, ces dernières années, ont vendu à crédit beaucoup de marchandises aux Balanins et ces derniers ont décidé de ne payer leurs débiteurs qu’en blés et à un prix qui est plus cher de la moitié que le prix auquel il se vend sur le marché. Aussi ils prient vos seigneuries qu’elles veuillent bien ordonner au Magnifique gouverneur et au lieutenant de Balagne qu’ils contraignent lesdits Balanins à payer les Calvais en numéraire, et que celui qui ne peut pas donner de numéraire donne l’équivalent en blés de la valeur en numéraire des marchandises72.
31D’après cet extrait, nous pouvons estimer que les Calvais se faisaient rembourser au moment où la demande en blés était la plus faible afin d’augmenter leurs profits, tandis que les Balanins voulaient rembourser les marchandises en blés à un prix fixe, afin de ne pas avoir à pâtir de la variation des cours. Dans le premier tiers du xvie siècle, les marchands calvais joueront sur le prix fixé par la composta pour exiger toujours plus de blés de leurs débiteurs jusqu’à les déposséder définitivement de leurs terres.
32L’endettement paysan en Balagne est donc l’une des conséquences les plus visibles de l’urbanisation de la région. Mais la croissance de Calvi au bas Moyen Âge semble avoir également perturbé l’occupation des sols, comme en témoigne un conflit pour l’usage des terres situées à la frontière entre la ville et son arrière-pays.
Conséquences de l’urbanisation littorale sur les campagnes de l’arrière-pays : le conflit entre Calvi et Calenzana pour l’usage des terres maraninche
33À la fin du xve siècle, les terres dites maraninche situées dans les plaines de la Paratella qui marquaient la frontière entre le territoire de Calvi et la pieve d’Olmia, font l’objet d’un conflit d’usage entre les habitants de la pieve d’Olmia (Calenzana et Moncale) et les Calvais. Les archives de Gênes contiennent un corpus de documents émanant aussi bien des Calvais que des Balanins, qui permet à travers l’analyse de ce conflit particulier, d’étudier les conséquences de la croissance portuaire de Calvi sur l’occupation des sols dans les campagnes balanines (Illustration 6).
Les plaines de la Paratella : presa comune de la pieve d’Olmia
34Les plaines de la Paratella, situées à proximité du territoire de Calvi, constituaient la presa comune sur laquelle les habitants de la pieve d’Olmia faisaient paître leur bétail et cultivaient leurs céréales. Il s’agissait donc d’un espace collectif soumis à une rotation triennale qui permettait d’associer céréaliculture et élevage73. Comme l’a rappelé Jean-André Cancellieri74, les chartes de San Venerio del Tino attestent que ce système des prese existait déjà au xiiie siècle. À la fin du xve siècle, le regroupement villageois, s’il s’était accompagné en Balagne d’un fort développement de la propriété privée, n’avait pas mis un terme à cet usage collectif des terres de plaine, qui se faisait toujours dans l’ancien cadre de la pieve. À la fin du Moyen Âge, les habitants de Moncale et de Calenzana continuaient donc de jouir en commun des plaines de la Paratella, mais cet usage collectif était de plus en plus menacé. Dans un premier temps, il semble que la remise en cause de l’usage collectif des terres ait été le fait d’une famille de notables de Moncale, descendante des anciens seigneurs de la région : les Maraninchi75. La documentation atteste en effet que dans la seconde moitié du xve siècle, les Maraninchi avaient revendiqué la propriété d’une partie des terres des plaines de la Paratella, ce qui explique qu’elles apparaissent dans la documentation sous leur propre nom. Bien que cette revendication de propriété ait été contestée par les habitants de la pieve d’Olmia, les « gentilshommes Maraninchi et Bracagese76 » avaient vendu ces terres aux Calvais. Cette vente équivalait en fait à une extension du territoire de Calvi au détriment des Balanins, comme l’indique les instructions données par les Balanins à leurs représentants à Gênes en 1488 :
Et dans quelle mesure la juridiction de Calvi s’est étendue au détriment de la nôtre, vous le savez aussi bien que nous. Mais nous en écrivons une partie dans cet article afin que vous ayez les faits en mémoire. Et premièrement, vous savez que selon les anciennes conventions entre nous et les Calvais régulièrement confirmées par nous et par eux, dont vous portez avec vous la copie, les limites [entre nos deux territoires] étaient à [Li Mogany] et à l’Arena Bianca, et cela a toujours été ainsi et nul n’a en mémoire que cela fut autrement. Et si on vous oppose que certains terrains ont été vendus par les gentilshommes Bracaiesi et Maraninchi, vous répondrez que ces derniers peuvent bien vendre leurs territoires mais pas la juridiction de Balagne, d’autant plus qu’il n’y avait pas tous les participants à cette vente et que beaucoup ont été mécontents et ont protesté auprès des Calvais lesquels ont, comme vous le savez, ignoré leurs droits. Item, vous savez que les Maraninchi ne pouvaient pas vendre ces terres car elles avaient fait l’objet d’un procès entre eux et les communautés de Balagne et il avait été jugé que lesdites terres devaient rester communes jusqu’au [Mogany]. Vous avez copie de toutes les écritures et des pièces de ce procès […].
35La correspondance des podestats de Calvi témoigne que les terres maraninche avaient d’abord été utilisées par les Calvais comme communaux. Ces derniers, dans leurs requêtes, expliquent d’ailleurs que l’achat desdites terres avaient été rendu nécessaire par la croissance démographique de la ville :
[…] Les anciens habitants de Calvi ont acheté certains terrains aux Balanins pour y cultiver leur blé et y planter quelques vignes aux lieux-dits maranincho et brachagese et toujours depuis cette époque leurs descendants les ont possédés et les possèdent encore. Il se trouve que les Balanins voisins de ces terres les « persécutent » avec leur bétail et leur causent de nombreux dommages. Et c’est pour cela qu’il est nécessaire, selon la coutume corse, que les Calvais, lorsqu’ils trouvent du bétail sur leurs terrains les exécutent comme c’est l’usage. Et les Balanins pour causer encore plus d’ennuis aux Calvais les citent à comparaître devant le lieutenant de Balagne ou ses officiers, et avec leur superbe, ils les menacent et vont parfois jusqu’à les battre. Il convient que Vos Seigneuries y remédient, et pour cela nous vous prions qu’elles ordonnent que dorénavant lorsque du bétail balanin se fait tuer sur un terrain appartenant à un Calvais, que l’affaire soit jugée par le podestat de Calvi et que les Calvais ne puissent être cités devant un autre juge. Et que ledit podestat ait licence de condamner ceux qui créent des dommages sur ces terres. De sorte que les Balanins s’abstiennent de causer des dommages aux Calvais77.
36L’examen des requêtes des Calvais et des Balanins témoigne donc que dès 1488, les terres maraninche et bracagese font l’objet d’un conflit d’usage. Fort de leur titre de propriété, né de la vente de ces terres par les notables Maraninchi et Bracagesi, les Calvais souhaitent interdire l’accès de ce territoire aux troupeaux des habitants de Calenzana et de Moncale. De leur côté, ces derniers considèrent que ces terres font toujours partie de leur presa comune. Or selon la coutume corse, dans les terres de presa, celui qui souhaitait protéger sa parcelle de la dent du bétail devait s’assurer d’avoir de bonnes clôtures. Si en dépit des clôtures le bétail parvenait à pénétrer sur des terres cultivées, le propriétaire des terres était jugé responsable et ne pouvait pas tuer les bêtes. Par ailleurs, en plus des clôtures, les terres mises en culture au sein de la presa était gardées par un gardien élu par la communauté. Ce dernier empêchait donc le bétail de pénétrer au sein de l’espace cultivé de la presa. Le conflit entre les Calvais et les Balanins porte donc en partie sur la nature des terres : pour les Balanins, il s’agit de terres de presa ; pour les Calvais il s’agit du circulu de la ville, c’est-àdire la ceinture de vergers et de jardins qui entourait les habitats, et au sein duquel le bétail était totalement exclu. D’abord utilisées comme communaux, les terres maraninche avaient en effet rapidement été appropriées par des notables calvais qui y avaient planté de nouvelles vignes destinées à alimenter les exportations de la ville.
Le développement de la vigne en Balagne : naissance d’une agriculture spéculative
37La multiplication des vignes sur les terres maraninche s’inscrit dans un contexte plus général d’extension de la viticulture en Balagne, qui semble être la conséquence directe de la croissance commerciale de Calvi. La documentation étudiée suggère ainsi qu’à la fin du Moyen Âge, une part croissante du vin exporté à Gênes et en Ligurie depuis le port de Calvi, est désormais produite en Balagne. Cette irruption des vins de Balagne sur le marché calvais suscite l’inquiétude du conseil des Anciens et du podestat de la ville qui proclament en 1445 un nouvel article visant à limiter la vente des vins balanins :
Cela fait plusieurs années maintenant que, à l’époque où il y avait peu de vignes [à Calvi] et où l’on y récoltait peu de vin, fut donnée l’autorisation à certains Calvais qui possédaient des vignes en Balagne de pouvoir vendre le vin produit dans lesdites vignes à Calvi comme cela apparaît dans d’anciens statuts. Or cela se fait au grand préjudice dudit lieu pour plusieurs raisons : en premier lieu, depuis cette époque les vignes des Calvais se sont beaucoup développées, à tel point que ce sont ces vignes qui font vivre la ville, et sous le nom de vins de Calvi, on vend en fait de nombreux vins étrangers, ce qui à terme causera la chute dudit lieu […] Tous ensemble, ils ont délibéré, statué et décrété que nul ne pourra conduire et vendre à Calvi d’autres vins que ceux produits sur le territoire de la ville78.
38Cet article témoigne que dès la seconde moitié du xve siècle, le vin tendait à devenir prépondérant dans le commerce calvais. La vigne s’était développée non seulement sur le territoire de la ville mais également dans les campagnes à l’entour. Cette extension de la culture de la vigne en Balagne répondait donc à une logique spéculative : le vin était destiné à alimenter le marché génois et italien via le port de Calvi, ce qui permettait aux propriétaires calvais et balanins de réaliser d’importants profits. Au début du xvie siècle, la correspondance du podestat Giovanni Parrisola nous renseigne sur cette évolution viticole des campagnes proches de la ville. Selon ce dernier en effet, en 1514, le vin produit en Balagne et vendu à Calvi aurait atteint la somme de 1 250 mezzarole (environ 2 000 hectolitres) dont près de la moitié aurait été destinée à l’exportation79. Or il semble que la très grande majorité de ces vins était produite sur les terres maraninche où les anciennes prese céréalières avaient peu à peu laissé place à de petites propriétés viticoles. Une autre lettre de Giovanni Parrisola décrit en effet comment ces terres communes avaient peu à peu été appropriées :
Item, j’avise Vos Seigneuries, que m’étant mis à lire le livre des délibérations de cette ville, j’en ai trouvé une datée d’août 1508, au moment où Geronimo de Piacenza était podestat, dans laquelle le syndic raconte et expose que quelques années auparavant, des personnes privées s’étaient appropriées certains morceaux de terrains en y élevant des clôtures et y avaient planté des vignes […] or ces terrains, situés sur les terres maraninche, étaient communs et appartenaient aux communaux de la ville […]80.
39Dans la suite de la lettre, Giovanni Parrisola raconte comment le podestat avait alors rendu une sentence exigeant des propriétaires des vignes situées sur les terres maraninche qu’ils restituent ces terres à la communauté. Comme il le précise lui-même, cette sentence n’avait jamais été appliquée et les propriétaires avaient continué de jouir de leurs vignes. Si bien que selon Giovanni Parrisola, chaque année le vin produit sur les terres maraninche et vendu à Calvi aurait atteint, au minimum, la somme de 800 mezzarole, soit près des deux tiers de la production viticole balanine annuelle estimée par le même Giovanni. Si cette affaire intéresse tant le podestat de Calvi, c’est en fait parce que les terres maraninche ne faisant pas partie du territoire de la ville, l’autorité génoise pouvait prélever de nouvelles gabelles sur ce commerce florissant et alimenter ainsi les caisses de l’État. L’enjeu pour le podestat n’est donc pas d’interdire la culture de la vigne sur les terres maraninche afin de préserver les intérêts de la communauté, mais bien de faire bénéficier le Stato d’un commerce en plein expansion, qui lui avait jusqu’alors échappé en raison des franchises calvaises.
40L’extension de la culture de la vigne en Balagne, elle-même liée à la croissance commerciale de Calvi, bénéficiait donc aussi bien aux marchands qu’aux propriétaires de vignes calvais et balanins, et à l’autorité génoise qui avait tout intérêt à laisser croître un commerce sur lequel elle pourrait prélever de nouvelles taxes. Cependant, dans les campagnes, la naissance de cette agriculture spéculative représentait une menace réelle pour les intérêts des communautés villageoises, comme en témoigne l’exemple du conflit entre Calvi et Calenzana qui nous semble traduire l’affrontement de deux systèmes économiques concurrents (Illustration 7).
Le conflit d’usage entre Calvais et Balanins : l’affrontement de deux systèmes économiques
41Le conflit qui oppose au début du xvie siècle les Calvais et les Balanins au sujet des terres maraninche, témoigne en fait de l’affrontement de deux systèmes agraires : d’un côté, le système corse traditionnel, fondé sur la complémentarité de l’élevage et de la céréaliculture, dans une perspective fortement autarcique. De l’autre, le système liguro-génois fondé sur une agriculture spéculative à visée commerciale (Figure 3). Dans le système corse traditionnel, la gestion commune des terres permettait de concilier les besoins en céréales et le libre parcours du bétail, grâce à un assolement triennal lié à des contraintes collectives. L’introduction de la culture de la vigne marquait donc une rupture puisqu’elle était incompatible avec la rotation des cultures et qu’elle impliquait la naissance de la propriété privée. Ainsi le problème ne venait pas du partage des terres qui étaient en nombre suffisant pour permettre la coexistence des Calvais et des Balanins – ce qui semble avoir été le cas tant que les terres maraninche constituaient les communaux de Calvi –, mais de leur usage : la culture de la vigne étant incompatible avec la pratique d’un élevage en libre parcours. Le conflit entre Calvi et Calenzana traduit ainsi deux organisations du territoire différentes : l’organisation sur le modèle italien, centré sur la ville, dans lequel les campagnes n’ont qu’un rôle d’approvisionnement et doivent être mises en culture de manière intensive afin de nourrir les échanges ; le système corse, étranger au fait urbain, fondé sur une culture extensive liée à un élevage en libre parcours dans une perspective, sinon totalement autarcique, du moins limitée aux échanges régionaux. À ces deux systèmes correspondaient deux types de paysage littoral : un paysage ligure fortement urbanisé dans lequel les campagnes semblent être entièrement contrôlées et exploitées par la ville ; un paysage corse caractérisé par un habitat villageois de coteaux dominant des plaines où les terres céréalières ne forment que quelques îlots au milieu de vastes friches laissées au bétail.
Notes de bas de page
27 Letteron L.-A. (éd.), Histoire de la Corse, Imprimerie Veuve E. Ollagnier (Bastia), 1888. Sur la fondation de Calvi, voir Venturini A., « Calvi », dans Graziani A.-M. (dir.), Histoire de Corse, vol. 1, Ajaccio, Ed. Piazzola, 2013, p. 397.
28 Sur ce personnage central du Moyen Âge corse, voir Cancellieri J.-A., « Sinucello della Rocca », Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, 1989.
29 Sur cette seigneurie, voir Istria D., Pouvoirs et fortifications dans le nord de la Corse (xe-xive siècle), Ajaccio, Piazzola, 2005, p. 216-220.
30 Voir Allegrini Simonetti F., La Balagne et la mer, des origines à la fin du Moyen Âge. Thèse, Université de Corse, 2001.
31 Voir Cancellieri J.-A., « Formes rurales de la colonisation génoise en Corse au xiiie siècle : un essai de typologie », dans Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge – Temps modernes, 1981, 93-1, p. 89-146.
32 Origone S. (éd.), Notai genovesi in Corsica : Calvi, 1370 – Bonifacio 1385-86. Gênes, Istituto di Paleografia e Storia Medievale, 1979.
33 Voir Emmanuelli R., « Le pacte de 1358 et la Commune de Corse », Études corses, 4, 1975, p. 5-50. Franzini A., « Les révoltes de 1357 en Corse : visite d’un événement politique », Études corses, no 56, 2003, p. 29-38.
34 Sur la conquête du contado voir Crouzet-Pavan É., Enfers et paradis : l’Italie de Dante et Giotto, Paris, Albin-Michel, 2004, p. 271-290 ; Maire-Vigueur J.-Cl., « Guerres, conquête du contado et transformation de l’habitat en Italie centrale au xiiie siècle », dans Castrum 3 : Guerre, fortification et habitat dans le monde méditerranéen au Moyen Âge, colloque organisé par la Casa de Velázquez et l’École française de Rome (Madrid, 24-27 novembre 1989), Rome, 1988, p. 271-277.
35 Parmi les épisodes significatifs de cette histoire, on retiendra le siège de la ville par Alphonse V d’Aragon en 1420.
36 Voir Marchi Van Cauvelaert V., La Corse génoise. Saint Georges, vainqueur des « tyrans » (milieu xve-début xvie siècle), Paris, Classiques Garnier, Bibliothèque d’histoire médiévale 4, 2011, 507 p.
37 Sur la fondation d’Ajaccio, voir Cancellieri J.-A., Pinzuti N. (dir.), Ajaccio, 1492. Naissance d’une ville génoise en Corse, catalogue de l’exposition, Ajaccio, 1992, 16 p. ; Graziani A.-M., « Les temps obscurs du Moyen Âge ». Pomponi F. (dir.), Histoire d’Ajaccio, Ajaccio, La Marge, 1992, p. 35-51.
38 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 29.
39 D’après les travaux de Damien Broc, dans les années 1530, la production de céréales en Balagne représentait environ 20 % des capacités de production du Deçà-des-Monts, voir Broc D., « Production céréalière, économie du blé et condition paysanne en Corse entre Moyen Âge tardif et début de l’ère moderne (1530-1541) », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, no 724-725, 2008, p. 1-35.
40 Id., « « Aspects des relations commerciales entre la Corse et Gênes au temps du second gouvernement de Saint-Georges en Corse (c. 1483-c. 1540) », dans Cancellieri J.-A. (dir.), Tribune des chercheurs : histoire et archéologie médiévales avec les docteurs et doctorants de l’Université de Corse, Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, Collection Corse d’hier et de demain, no 4, 2013.
41 Il n’existe pas de document recensant la population calvaise car les habitants de la ville, contrairement à ceux des villages de Balagne, n’étaient pas soumis aux tailles génoises. Cependant, l’ensemble de la documentation étudiée suggère une forte croissance démographique à la fin du xve siècle, en partie liée à l’émigration des habitants des pieve dépeuplées de l’ancienne seigneurie de Leca. D’après les archives milanaises, au cœur du xve siècle, la population de Calvi aurait été d’environ 2 000 habitants, voir Franzini A., La Corse du xve siècle. Politique et société (1433-1483), Ajaccio, Piazzola, 2005, p. 492, qui s’appuie sur Musso R., « La Corsica sforzesca. Tre documenti dell’Archivio di Stato di Milano », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, no 672-673, 1995, p. 31-50. De son côté, Évelyne Gabrielli cite une lettre du podestat de Calvi de 1520 selon laquelle la ville aurait alors compté 6 000 habitants, voir Gabrielli É., « Calvi et la Balagne à l’aube des temps modernes », dans Pomponi F. (dir.), Le Mémorial des Corses, I, Ajaccio, 1980, p. 464-493.
42 D’après les registres de tailles étudiés par Franzini A., dans la seconde moitié du xve siècle, la population des villages de Balagne s’élèverait à environ 9 000 habitants.
43 Habitants de la pieve de Sia.
44 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 6, f. 116.
45 En réalité, il n’existait pas de règle générale mais les individus souhaitant obtenir le statut de bourgeois de la ville pouvaient en faire la demande au podestat. Une lettre du marchand Lodovico de Petruccio, datée de 1513, livre quelques détails sur les modalités de cette intégration : « Aux temps de nos ancêtres, lorsque quelqu’un voulait devenir bourgeois de Calvi, il devait en faire la demande au podestat, au syndic et au conseil [de la ville] et s’ils acceptaient, il devait prêter serment de fidélité à nos Magnifiques seigneurs et à la communauté de Calvi et payer 10 livres à ladite commune. Et à cette condition, on lui délivrait le statut de bourgeois [de la ville] », Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 143.
46 « Item e statuto e ordinato chi ogni persona ha pagato le avarie in Calvi, como fano li burghesi di Calvi, ben che non habia la sua famiglia in Calvi, sia tractato in ogni comoditate como li borghesi salvo in le cabelle, in lequale sia tractato como forestero. Quello vero chi habitasse in Calvi, sia tractato como li altri burghesi così in le cabelle como in le altre comoditate. Tunc non se intende questo par alchune persona [...] che habitasse in Calvi per certa sue necessitate alchuno poco tempo”, ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 33, f. 646.
47 Giustiniani A., Description de la Corse, préface, notes et traduction Graziani A.-M., Ajaccio, Piazzola, 1993, p. 93.
48 Art. cit., p. 472-473.
49 La documentation montre en revanche que les Protecteurs étaient moins vigilants pour les particuliers. La correspondance de Martino de Petruccio de Calvi témoigne ainsi que les Protecteurs avaient autorisé une construction à côté de sa maison alors même que cela conduisait à obturer une de ses fenêtres et à le priver de lumière, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 119.
50 Sur cet humaniste génois qui fut évêque de Nebbio, voir Giustiniani A., « Annalista genovese ed i suoi tempi », Actes du colloque tenu à Gênes du 28 au 31 mai 1982, Gênes, 1984.
51 Art. cit., p. 478-481.
52 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 31, f. 268.
53 Les Calvais s’approvisionnaient essentiellement dans le Delà-des-Monts comme l’atteste une requête de 1488 : « Attendu que ladite terre de Calvi ne dispose pas suffisamment de terres de labours pour sa subsistance, et que toute l’activité commerciale des Calvais est située dans le Delà-des-Monts, territoire sans lequel ils ne pourraient vivre, ni secourir vos navires, que Vos Seigneuries ordonnent que les marchands du Cap Corse ne puissent venir commercer entre Calvi et Bonifacio, et cela d’autant plus que lesdits Cap Corsins sont proches de la Maremma, de la Balagne, de la Marana, d’Aleria, de Campoloro, de Nebbio autant de lieux où ni les Calvais, ni les Bonifaciens ne commercent et dont les Cap Corsins devraient se contenter ». ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 583-585.
54 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 33, f. 562-606.
55 Op. cit., p. 551-552.
56 La Balagne était dominée par un groupe de familles aristocratiques que les sources désignent sous le terme de « caporaux ». Sur ces derniers, voir Franzini A., « Les caporaux de Balagne, I. De la seigneurie au caporalat (xie-xve siècle) », Études corses, no 73, 2012, p. 163-194 ; Id., « Rivalités et stratégies des caporaux pour la domination de la Balagne (xve-xvie siècles), Études corses, no 76, 2013, p. 39-82.
57 Op. cit., p. 85.
58 Voir supra la carte des principaux habitats.
59 La correspondance des lieutenants de Balagne est conservée dans ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 6.
60 Sur Rinuccio della Rocca, voir Marchi Van Cauvelaert V., Rinuccio della Rocca (vers 1450-1511). Vie et mort d’un seigneur corse à l’époque de la construction de l’État moderne, Ajaccio, Colonna édition, 2005, 263 p.
61 Op. cit., p. 95.
62 Une requête de 1459 témoigne qu’à cette époque les Calvais avaient demandé aux Protecteurs de San Giorgio qu’ils leur confirment le droit de vendre leurs marchandises sur tout le littoral corse sans avoir à payer de gabelles. ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 489.
63 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 6.
64 Sur ce personnage central dans la pacification de la Corse à la fin du xve siècle, voir Cavanna Ciappina M., « Ambrogio di Negro ». Dizionario biografico degli Italiani, vol. 40, Rome, 1991.
65 La documentation témoigne que les Calvais étaient hostiles à la cession de la Corse à l’Office de Saint-Georges car ils y voyaient une menace pour leurs intérêts politiques et économiques.
66 Leonello Lomellini dirigeait l’organisme financier privé (Mahone) à laquelle la commune de Gênes avait rétrocédé la Corse à la fin du xive siècle, voir Petti Balbi G., « I Maonesi e la maona di Corsica (1378-1407) : un esempio di aggregazione economica e sociale », dans Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge-Temps modernes, 93-1, 1981, p. 147-170.
67 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 599-600 (1488).
68 Pour un cadre général sur l’endettement paysan dans l’Italie médiévale, voir Gaulin J.-L., Menant F., « Crédit rural et endettement paysan dans l’Italie communale », Endettement et crédit rural dans l’Europe médiévale et moderne, Actes des XVIIe Journées internationales de l’Abbaye de Flaran (1995), Toulouse, 1998, p. 35-68.
69 L’endettement des Balanins auprès des marchands calvais peut même engendrer des actes de violence. Voir par exemple, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 689-692 : mention de deux Calvais qui ont été assassinés en Balagne où ils se rendaient pour se faire payer de leurs débiteurs.
70 Art. cit., p. 491.
71 Pour le xviie siècle, les contrats notariés attestent que la plupart des prêts sont contractés au moment de la soudure, voir Castellani L., Balagne rurale : économie et société de l’époque moderne à la fin du xixe siècle, Ajaccio, Éditions Albiana, 2014, p. 204.
72 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 551.
73 Sur ce système d’assolement voir Lamotte P., « Le système des prese et les assolements collectifs ». Études corses, no 9, 1956, p. 54-58.
74 Voir supra.
75 Les Maraninchi possédaient le château de Cuntee situé au-dessus du village de Moncale, voir Istria D., op. cit., p. 232.
76 Du nom de l’ancien château de Bracaggio situé au-dessus de Lumio. Un seigneur de Bracaggio apparaît au côté de Luchetto Doria en 1289, ibid., p. 233. Les Bracagiesi sont encore mentionnés en 1325 dans le rapport de Castruccio Castraccani, voir Meloni M. G., « La corona d’Aragona e la Corsica attraverso una relazione di Castruccio Castracani signore di Lucca », dans La Corona d’Aragona in Italia, XIV Congresso di Storia della Corona d’Aragona (Sassari-Alghero 1990), Sassari, 1995, T. II, p. 595-628.
77 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 32, f. 602 (1488).
78 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 30, f. 548.
79 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 30, f. 518. D’après les estimations de Damien Broc, au début du xvie siècle Calvi exportait environ 3 400 mezzarole de vin par an à Gênes, la part de vins balanins représenterait donc environ 20 %, voir Broc D., « Aspects des relations… », op. cit., p. 44.
80 ASG, Primi Cancellieri di San Giorgio, busta 30, f. 585.
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