La presse arabe en Palestine dans la période ottomane
p. 445-455
Texte intégral
1Jusqu’en 1917, la Palestine fait partie de l’Empire ottoman. Elle est du point de vue de la vie intellectuelle et culturelle dans un état d’isolement total vis-à-vis du reste du monde et de l’Occident. L’instabilité politique, la faiblesse de l’administration, le remplacement de l’arabe par le turc dans l’enseignement comme langue officielle et l’imitation du passé sont les caractéristiques principales de cette période. L’État ottoman féodal, rétrograde et répressif, est rejeté par la majorité de la population du fait de sa tentative de supprimer la culture arabe.
2Cependant, en dépit des conditions rétrogrades et répressives qui limitent la liberté intellectuelle, la révolution jeune-turque1 de 1908, qui porte les réformateurs au pouvoir à Constantinople, donne les plus grands espoirs aux Arabes de Palestine. Elle suscite un débat politique et des activités intellectuelles, dont on trouve des exemples dans la nouvelle presse palestinienne et à travers les partis politiques, éléments qui furent la base de la cristallisation d’un mouvement national. En effet, la Palestine connaît une évolution culturelle au début du xxe siècle grâce à l’imprimerie, à l’établissement d’écoles modernes, aux clubs politiques et à la presse. Cette évolution est connue sous le nom de an Nahdah (renaissance). La renaissance culturelle qui commence en Égypte au début du xixe siècle, est suivie avec un demi-siècle de retard par la Palestine. Cependant, les jeunes-turcs ne tardent pas à découvrir le Pan-Touranisme2, et loin de mettre en œuvre la décentralisation promise aux Arabes, ils introduisent des mesures de turquisation dans toutes les provinces.
3L’étude du développement de la presse arabe en Palestine nécessite avant tout une connaissance des changements sociaux, économiques, culturels et politiques intervenus dans la société palestinienne durant cette période. Plusieurs éléments provoquent un renouveau de l’ensemble de la vie en Palestine à la fin du xixe siècle et contribuent au développement de la presse.
L’éducation
4Elle est le point de départ de l’évolution culturelle. La majeure partie de l’activité dans ce domaine est le fruit d’initiatives privées : un grand nombre d’écoles missionnaires et privées sont fondées dans la deuxième moitié du xixe siècle. Elles manifestent l’intérêt que portent plusieurs pays européens à la Terre sainte, notamment la Russie, la France, l’Angleterre et l’Allemagne. L’enseignement dans ces écoles se fait en langue arabe et se concentre sur l’histoire des Arabes. De son côté, jusqu’en 1908, l’Empire ottoman néglige totalement l’éducation en Palestine. Les écoles n’existent ni dans les villes ni dans les campagnes. La première école secondaire du gouvernement turc à Jérusalem est fondée en 18893, et le nombre des écoles établies par le gouvernement turc augmente sensiblement après 1908, l’année de la Constitution. En effet, la langue turque est alors proclamée langue officielle de l’Empire et d’enseignement dans les écoles d’État. La langue arabe, considérée comme une deuxième langue, est enseignée en turc par des professeurs turcs. Seules les écoles des missionnaires et des minorités ont la liberté d’enseigner dans leur langue maternelle. Ce sont notamment les Palestiniens arabes chrétiens, considérés par les Turcs comme une minorité, qui ont le droit d’enseigner dans leur langue maternelle. Ceci permet aux intellectuels et diplômés de ces écoles, chrétiens et musulmans, d’être à l’avant-garde de la renaissance culturelle arabe et du mouvement national en Palestine.
L’imprimerie
5Un deuxième aspect du développement de la vie culturelle réside dans l’introduction de l’imprimerie, qui fait son apparition avec les presses apportées par les franciscains, en 1846 : c’est la première imprimerie introduite en Palestine, intitulée en arabe Matba’al’Aba’al francissiyeen (elle fonctionne encore de nos jours, sous le nom de Franciscan Printing Press). Une autre est établie trois ans plus tard par les Grecs orthodoxes (Matba’al Qabr al Mukados lil rum al orthodox). D’autres encore sont mises en place par la suite : Matba’at London, en 1848, l’imprimerie arménienne, en 1866, et l’imprimerie de l’Église missionnaire anglaise en 1879. Seulement vers la fin du siècle apparaissent des imprimeries privées appartenant à la population locale. Jurji Hanania établit son imprimerie à Jérusalem en 1892, Basila Jada établit L’Imprimerie nationale en 1908, Najib Nassar établit Matbat al Carmel en 1909, et enfin Elias Zaka Matbat an Nafeer en 1913. Les statistiques concernant l’imprimerie de Jurji Hanania montrent que le nombre de livres publiés par la maison entre 1892 et 1909 atteint le chiffre de 281 pour des publications dans diverses langues, dont 83 en arabe4.
Les associations littéraires
6Un troisième aspect de l’évolution littéraire réside dans l’établissement de clubs et associations littéraires. Les premiers sont formés avec l’aide des missionnaires. C’est le cas de l’Association palestinoallemande qui publie plusieurs livres sur la Palestine et établit plusieurs écoles, comme Thalita kumi en 1851. L’Association grecque-orthodoxe, fondée en 1898, publie des centaines de livres et crée vingt-cinq écoles. D’autres associations littéraires voient le jour, comme Jam’yat al adab al zahira, fondée en 1898 par Daoud Saydawi, ou encore Jam’yat ruqi al adab, établie à Jaffa en 1908 pour manifester le souci de l’importance de l’éducation des jeunes et la soutenir. Le mois de juillet 1914 voit l’apparition de femmes palestiniennes sur la scène politique, avec Jam’yat al ihsan al’iam (Société de charité publique) et Jam’yat yaqzat al fatat al arabyya (Société pour l’éveil de la jeune fille arabe). Ces deux sociétés sont nationalistes et prônent le soutien aux industries locales5. La formation des associations et clubs littéraires arabes, notamment à Jaffa et à Jérusalem, joue aussi un rôle important dans le développement de la presse et de la conscience nationale. Les clubs et assemblées littéraires groupent alors des élites de plus en plus conscientes politiquement, rêvant d’autonomie, voire d’indépendance.
La traduction
7Elle est également un élément important de l’évolution culturelle palestinienne. Les meilleures œuvres scientifiques de l’Occident sont traduites, spécialement des œuvres russes, françaises et anglaises. Ces traductions contribuent largement à la propagation des idées modernes en langue arabe. On peut dire que la traduction est l’une des principales formes de contacts entre l’Occident et la culture palestinienne. En effet, près de la moitié des livres publiés entre 1900 et 1917 sont des traductions ou des adaptations qui fournissent au lecteur palestinien des informations sur la vie intellectuelle en Occident6. À la traduction s’ajoute le facteur de l’émigration vers l’Ouest qui va influencer la Nahda et lui donner une teinte romantique et nostalgique, teinte caractéristique du groupe du Mahjar déraciné et jeté dans la civilisation des deux Amériques.
8Les premières années du xxe siècle sont riches en conséquences. Politiques d’abord : mécontentement progressif des Palestiniens à l’encontre du pouvoir ottoman qui débouche sur une révolte, et prise de conscience des visées sionistes, ayant pour objectif la création d’un foyer national juif en Palestine. Conséquences intellectuelles ensuite : renaissance et réveil de la pensée, concrétisés par la création d’associations diverses, par la multiplication des journaux et des revues, par le développement de visées politiques à caractère pan-national, et enfin par les manifestations culturelles multiples inspirées de l’Occident et ouvertes sur la civilisation, notamment dans le domaine culturel où se retrouvent et se côtoient de multiples influences. La Nahda et ses différents aspects constituent des facteurs qui contribuent à développer la presse palestinienne, à forger une mémoire historique collective et un sentiment d’identité propre, depuis la fin du xixe siècle.
La formation de la presse palestinienne
9Le processus de formation de la presse palestinienne est bien engagé parmi les intellectuels palestiniens au tournant du siècle. Pour montrer ce développement, nous allons examiner en premier lieu les courants idéologiques dans la période ottomane. En effet, la renaissance au cours de cette période est, dans ses grandes lignes, caractérisée à ses débuts par une attitude réformiste. Elle vise à redonner à la société palestinienne une authenticité et un dynamisme qui lui font défaut en cette fin de xixe siècle et en ce début de xxe siècle. L’élite palestinienne commence l’exploitation de l’héritage culturel arabe classique en même temps que se forme un groupe capable de créer des modes d’expression adaptés à la modernité, libéré des formes et des idées conventionnelles. Deux méthodes7 sont alors proposées pour arriver à la réforme de la société : une méthode conservatrice, qui a pour but le retour aux fondements de l’islam ; la deuxième méthode, moderniste, qui s’inspire du modèle que constitue la civilisation occidentale. Celle-ci met l’accent sur l’esprit scientifique, le rationalisme et le libéralisme politique.
10Les écrivains palestiniens cherchent à affirmer leur identité en s’exprimant en fonction de ces deux modes de pensée moins opposés que complémentaires et qui caractérisent la société dans son ensemble.
11D’un côté, la pensée traditionaliste, attachée aux valeurs anciennes, et la tradition religieuse et littéraire, mais néanmoins convaincue de la nécessité de réformes de l’enseignement religieux dans les écoles coraniques (Kuttab). Deux courants se manifestent parmi les traditionalistes. La première tendance est représentée par les écrivains qui mettent l’accent sur l’arabisme comme ciment de l’opposition aux dominateurs, ottomans ou autres. Leur projection de sentiments sur le passé vise à créer une nation à partir d’une charte nationale historique. Le deuxième courant est représenté par des écrivains qui mettent l’accent sur l’ottomanisme et soutiennent la continuation de l’occupation ottomane. La fraternité religieuse musulmane entre gouvernants et gouvernés paraît à ce dernier groupe une réalité beaucoup plus importante. L’Empire ottoman représente une patrie musulmane unifiée et éveille un nationalisme ottoman plus vaste que l’attachement à la communauté nationale palestinienne ou arabe. La tendance traditionnelle rassemble des auteurs tels que Is’af an Nachachibi, Abbas Khamach, Abu al Iqbal al Yagubi, Ali ar Rimawi et said al Karmi. Tous sont engagés dans le mouvement national et écrivent des textes politiques et littéraires, destinés à leurs collègues intellectuels. La résistance palestinienne des traditionalistes arabisés reprend les affirmations arabes habituelles, selon lesquelles la Palestine est caractérisée, pendant la période ottomane, par un régime féodal dans lequel quelques familles de propriétaires contrôlent des terres très étendues, dominant ainsi une paysannerie indifférente, appauvrie et arriérée. Leur pensée ainsi que leur style sont figés dans l’imitation des anciens, mais ils suscitent l’admiration par leur éloquence littéraire et leur prose rimée.
12D’autre part, les écrivains convaincus par les réussites scientifiques et techniques de l’Occident, tentent de familiariser le public avec les idéologies de la civilisation occidentale. Les modernistes sentent que le courant traditionnel ne peut plus exprimer les préoccupations du moment, et que ce courant est l’aboutissement du long processus de dégénérescence qui suit les brillantes périodes classiques arabes. Le nombre d’interventions publiques faites par les modernistes augmente en particulier sous la forme de journaux, de pamphlets et de mémoires. Un nombre considérable de publications de cette période traite des problèmes de la réforme (Islah). Les modernistes accusent l’État d’augmenter les impôts et critiquent notamment le code agraire de 1882 qui permet aux propriétés palestiniennes de passer aux mains d’étrangers. Cette protestation se fait notamment sentir au cours de la deuxième vague d’immigration juive, en provenance de la Russie.
13Il est à noter que la presse arabe en Palestine ne se développe pas pendant la deuxième moitié du xixe siècle, comme c’est le cas dans d’autres pays arabes. En effet, le développement de la presse est plus lent et plus tardif en Palestine. Cependant, les intellectuels palestiniens contribuent au développement de la presse arabe en général depuis le dernier quart du xixe siècle. Et dans l’ensemble, les intellectuels palestiniens sont dépendants de la presse arabe qui circule en Palestine et reflète les aspirations arabes communes.
14Al Quds as Sharif est le premier journal établi en Palestine par le gouvernement ottoman, en 1876. Il s’agit d’un journal officiel arabo-turc destiné à la publication des ordres et décrets gouvernementaux. D’autres publications non régulières de moindre importance suivent : c’est le cas de al Ghazal, publié par Ali ar Rimawi en 1876. Cependant, le premier journal indépendant ne paraît qu’en 1904 : il s’agit de an Nafir al Othmani, fondé à Alexandrie par Ibrahim Zaka, puis transféré en Palestine à cette date. Suivent enfin Bakurat Suhion, une revue mensuelle établie en 1906 et at Taraki en 1907 par Martin Alonzo et Adel Jaber.
15Le véritable développement de la presse arabe en Palestine est une forme de réaction à la Constitution de 1908. Les Palestiniens, comme les autres, saisissent cette occasion pour créer plusieurs journaux entre 1908 et 1914. En 1908, année du rétablissement de la Constitution ottomane, une quinzaine de journaux voient le jour à Jérusalem, Jaffa et Haïfa8. Ces tribunes deviennent rapidement la chasse gardée d’écrivains engagés dans la bataille directe contre la turquisation ou les prémices du mouvement sioniste9. C’est dans cette presse que l’identité palestinienne commence à se développer. La presse devient ainsi un important outil d’évolution culturelle, un moyen d’information sur les développements politiques et un instrument d’affirmation de l’identité palestinienne.
16Mais la nouvelle Constitution ottomane de 1908 est suspendue un an plus tard : en Palestine, plusieurs journaux sont alors interdits par les autorités turques pour ne reparaître qu’après la Première Guerre mondiale. En effet, la presse subit de plein fouet un contrôle très strict, et plusieurs journaux sont supprimés pour avoir critiqué le gouvernement ou la réforme. Le rôle joué par la presse pendant cette période ne doit pas, en conséquence, être sous-estimé. Elle encourage la lecture et améliore le style même de la langue arabe.
17La majorité des articles publiés durant la période ottomane ne sont pas écrits par de véritables journalistes, mais par des historiens, des avocats, des hommes politiques ou des enseignants, tous animés d’un engagement politique intense et une forte résistance au pouvoir ottoman. Parmi les traditionalistes, deux nous paraissent importants : Ali ar Rimawi (journaliste, essayiste et poète) et Is’af an Nachachibi (essayiste). Le premier est l’un des écrivains les plus célèbres de son époque. Il rédige la partie arabe du journal officiel arabo-turc al Quds as Sharif, ainsi que le journal al Ghazal, à partir de 1876, ou la revue à parution irrégulière an Najah, fondée en 190810. La pensée et le style de Ali ar Rimawi sont figés dans l’imitation des anciens. Dans ses articles, publiés dans les journaux arabes palestiniens al Manhal, an Nafa’is et al Munadi, il suscite l’admiration des lettrés par ses acrobaties verbales. L’appel à l’identification musulmane a plus d’importance pour lui que l’identification arabe. Dans ses articles, al Rimawi ne parvient pas à se faire à l’idée d’un divorce avec l’Empire ottoman qui est musulman. Les écrivains comme ar Rimawi, uniquement tournés vers le passé, n’ont alors plus grand-chose à dire, d’où la multiplication des synonymes, des jeux de mots, des assonances ou des citations dans leurs écrits.
18En 1908, année de l’établissement de la Constitution ottomane, une quinzaine de journaux voient le jour. Parmi eux, al Carmel, qui est l’un des plus importants, est fondé à Haïfa par Najib Nassar, généralement considéré comme le doyen de la presse arabe en Palestine. Il est parmi les premiers à avoir attiré l’attention sur la portée de l’immigration juive en Palestine et fait partie de ces journalistes écrivains et chefs politiques chez qui la plume est l’arme militante.
19La plupart des écrivains participent à l’entreprise de libération nationale par la voie de la presse. Beaucoup d’entre eux veulent faire de leur production littéraire elle-même le reflet et le moyen de l’action politique, sociale et éducative. Najib Nassar fonde son journal justement pour s’opposer à la stratégie et aux méthodes du mouvement sioniste et aux motivations de la politique ottomane qui l’appuient. Mais Najib Nassar, qui s’exile en Égypte pour avoir refusé de se plier à l’ordre du gouvernement de fermer son journal, est aussi parmi les premiers à avoir attiré l’attention sur l’art de la narration. Il est ainsi l’auteur de trois remarquables romans et d’étude panoramique de la Palestine publiée sous le titre Rasa’il sahib al Carmel, dans lesquels il présente des commentaires d’une grande valeur sur le contexte physique et culturel des centres urbains et de la vie quotidienne. Il parvient à cette description grâce aux observations directes recueillies au cours de ses visites dans différents villages et villes palestiniens. Il encourage les intellectuels à fonder al Muntada al Adabi (un club littéraire)11, qui doit servir de lieu de rencontres d’hommes de lettres et de centre de diffusion culturelle. Son objectif est évidemment le renouvellement de la vie culturelle nationale arabe.
20Les idées de Najib Nassar sont reprises et développées par le Syro-Palestinien Najib Azoury12 : celui qui fonde à Paris la Ligue de la patrie arabe et publie un livre, Le Réveil de la nation arabe et initie la revue L’Indépendance arabe en 1907-190813. Azoury éveille un énorme intérêt pour les questions arabes dans la capitale française. Mais le fait que sa littérature soit publiée en français nuit à son succès. Najib Azoury, qui sert dans l’administration ottomane jusqu’en 1904, met en garde clairement dans son ouvrage contre l’effort des Juifs pour reconstruire l’ancien royaume d’Israël : celui-ci ne peut que se heurter au réveil du peuple arabe palestinien.
21Khalil Baydas (1875-1948) est un autre de ces intellectuels militants. Originaire de Nazareth et ancien élève de l’école missionnaire russe dans cette ville, il est considéré comme le précurseur de la pensée occidentale en Palestine. Baydas fonde en 1908 le magazine an Nafa’s al Asryiah pour la diffusion de nouvelles et de romans. Il est journaliste, romancier et traducteur. Khalil Baydas traduit en arabe des textes russes de Tchekov, Tolstoï et Pouchkine. Ses traductions permettent la connaissance d’œuvres classiques parues dans d’autres littératures. Il met à la disposition de ses compatriotes quelques-uns des chefs-d’œuvre de l’Occident, mais aussi sa propre production. Cependant, les écrits de Baydas ne reflètent que peu la vie en Palestine. Aucune de ses œuvres de fiction ne traite des problèmes de la société palestinienne, en revanche, une multitude de ses poèmes et essais mettent en garde les Arabes contre ce qu’il appelle le danger sioniste et attirent l’attention sur la portée et les conséquences de l’immigration juive en Palestine.
22Parmi les journaux les plus importants de cette période figure Falastin (La Palestine, 1911-1967), fondé à Jaffa par Isa al Isa et Yusuf al Isa. La Palestine, qui paraît pendant cinquante-six ans, joue comme al Carmel un rôle important dans l’évolution de la vie politique. Falastin est un journal indépendant. Son objectif principal est de soutenir tout ce qui peut contribuer à la construction de la nation palestinienne. Yusuf al Isa, par exemple, est engagé dans le mouvement national et littéraire. Il écrit avec Nassar des textes politiques destinés aux intellectuels arabes désireux d’être informés sur la complexité du conflit qui se développe rapidement.
23Comme toute forme de production intellectuelle, la presse est intrinsèquement liée à l’environnement idéologique et au contexte historique. Notre brève étude de la presse palestinienne dans cette période a montré l’influence des événements sur les orientations des auteurs et la nature de la production des journaux. La presse palestinienne est ainsi marquée dans ses diverses formes par trois caractéristiques principales : des articles qui expriment l’immense espoir que les Arabes retrouvent un jour une place d’honneur ; des articles qui obéissent à une volonté moraliste et pédagogique ; et enfin des articles qui expriment les sentiments nationaux inspirés de la renaissance européenne, ouvrant à la diffusion des idées modernes.
24La presse palestinienne s’est développée pour exprimer les aspirations palestiniennes à l’unité arabe, à la fin de l’occupation turque et à l’indépendance. Les Palestiniens ont profité de la Constitution, promulguée après la révolution des jeunes-turcs, en 1908, pour augmenter le nombre des magazines littéraires. Ces périodiques jouent un rôle dans la découverte de la civilisation européenne. Des auteurs développent alors un style arabe adapté à l’expression des idées occidentales. Une partie considérable des écrits traite des questions de réformes sociales, connues sous le nom d’Islah. Parmi les sujets les plus importants figurent la réforme du système d’éducation, les taxes imposées par le gouvernement dans les villages arabes et la réforme agricole.
25Enfin, l’interaction avec l’Occident qui s’intensifie à la fin de la période ottomane et la multiplication des associations et publications littéraires permettent aux écrivains d’entrer en contact avec le monde extérieur et de constituer le noyau de la renaissance en Palestine. Cependant, c’est seulement après la Première Guerre mondiale qu’émerge véritablement le rôle de la presse dans la vie politique et culturelle palestinienne.
Notes de bas de page
1 Le mouvement Jeune-Turc, qui renverse le despote ottoman Abdul Hamid et aboutit par la révolution de 1908. Le nouveau régime des jeunes-turcs adopte le programme libéral du Comité union et progrès, fondé en 1904.
2 Le Pan-Touranisme (al Touraniyah) préconise un retour à l’authenticité turque d’avant l’islam. Cela se traduit aussi par une politique centralisatrice et la turquisation (at Tattrik) de l’appareil d’État.
3 Cf. Abdul Rahman Yaghi, Hayet el Adab al Filistini al Hadith, Beyrouth, 1969, pp. 62-77.
4 Ibid.
5 Cf. al Carmel, 7 juillet 1914.
6 Cf. al Khatib Hussam, Harakat al Tarjamah al Filistinniyah, Beyrouth, 1995, p. 161.
7 Ibid., p. 108.
8 Cf. Khuri, Yusuf, as Sahafa al Arabia fi Filastin, Beyrouth, 1976, pp. 30-141.
9 Cf. Doumani, Beshara, La Redécouverte de la Palestine ottomane, p. 108.
10 Né à Beit Rima, dans le nord de Jérusalem, il fait ses études à al Azhar en Égypte pendant douze ans. Après son retour en Palestine, il fonde les revues Byes al Maqdiss et an Najah. Il est aussi le rédacteur en chef de al Insaf, al Manhal et al Quds as Sharif. Il meurt en 1919.
11 Cf. al Carmel, 1914.
12 Mort en 1916.
13 Quinze numéros de cette revue (avril 1907-juin 1908) sont conservés à la Bibliothèque nationale, à Paris.
Auteur
Professeur associé à l’université de Bethléem, auteur de plusieurs ouvrages sur la presse palestinienne : La Presse arabe en Palestine : « Filastin » (1911-1967), Jérusalem, Arab Studies Society, 1990, V, 1-3 ; Les Courants littéraires et critiques dans la littérature palestinienne moderne, Jérusalem, Dar al-Awdah, 1990 ; La Presse arabe en Palestine : « Mir’at al-Sharque » (1919-1939), Jérusalem, Arab Studies Society, 1992 ; La Presse arabe en Palestine : « al-Akbar », Jérusalem, Arab Studies Society, 1996 ; La Presse arabe en Palestine : « al-Carmel », Jérusalem, al-Lika Center, 1996.
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