Foi et politique : les pèlerinages français en Terre sainte (1850-1914)
p. 310-342
Texte intégral
1Hors des rangs de la congrégation des pères augustins de l’Assomption, les pèlerinages français du siècle dernier en Terre sainte n’ont guère retenu l’attention des historiens1. À peine si les ouvrages scientifiques sur le catholicisme français ou même sur les pèlerinages2 évoquent un phénomène qui constitue pourtant un bon terrain d’observation du sentiment et des pratiques religieuses à la fin du siècle, notamment dans les rangs du « catholicisme intransigeant ». Pratiquement ignorée, la surabondante littérature inspirée par ces périples offre aussi un matériel de premier ordre pour l’étude des représentations : que recouvre au juste la notion de Terre sainte pour les pèlerins ? Quelles images se forment-ils du système de gouvernement ottoman, des différentes composantes de la population, du rôle joué sur place par la France ? Placés au point de jonction du politique et du religieux, les pèlerinages ont enfin leur place dans le dispositif de l’action française à l’étranger, précisément en Palestine. C’est sous cet angle précisément qu’ils nous intéressent ici.
2À l’instar des missions, les pèlerinages sont en effet l’objet, tant du fait de l’Église que de l’État d’origine des fidèles, d’une instrumentalisation qui a fonctionné sans désemparer sous divers régimes, quelles qu’aient été par ailleurs leurs relations avec l’Église. Le schéma général de ce qui fut un système d’échange de services a bien été mis en lumière à propos des établissements religieux français, ou protégés par la France, en Orient : fort des capitulations, les gouvernements français soutiennent les œuvres missionnaires comme moyen d’inscrire la présence et d’étendre l’influence de la France ; à l’inverse, leur appui permet à l’Église de surmonter les obstacles placés devant son apostolat par l’État ottoman. Nul doute que ce schéma ne s’applique aussi, dans son principe général, aux pèlerinages. Mais comment fonctionne, réellement, concrètement, cette collaboration sur le terrain au fil des aléas de la vie politique française ? De quelle façon s’articule-t-elle dans le cas précis des pèlerinages organisés, alors même que les assomptionnistes, archétypes des « moines ligueurs » et leurs principaux promoteurs, sont, à l’intérieur, aux premières lignes de la lutte contre la République sans Dieu ? À travers une sorte d’exercice de micro-histoire, notre propos est donc de cerner certains des ressorts de cette « diplomatie religieuse » à laquelle la France, monarchique, impériale ou républicaine, n’a jamais renoncé.
La naissance des « pèlerinages modernes3 » en Terre sainte : une initiative du monde catholique
3Après des siècles où les visiteurs français s’étaient faits rares en Terre sainte, en particulier à l’époque des Lumières, un renouveau intervient au milieu du xixe siècle. Annoncés dans les décennies précédentes par des pèlerins isolés mais fameux, grands écrivains romantiques ou riches patriciens, de petits groupes recommencent au mi-siècle à prendre régulièrement le chemin de Terre sainte. Cette reprise s’inscrit dans le contexte de l’« ouverture » de la Palestine ottomane après la guerre de Crimée : l’Empire ottoman, sauvé des visées russes mais de plus en plus délabré, a envers la France, la Grande-Bretagne et l’Autriche coalisées pour défendre son intégrité, une dette et une dépendance trop lourdes désormais pour pouvoir résister sérieusement aux exigences européennes. Il doit consentir en particulier à l’implantation d’un important réseau consulaire, à Jérusalem notamment. Du coup, voyages et pèlerinages trouvent un encouragement dans la sécurité grandissante en Palestine, retombée de la pénétration européenne ainsi que de l’effort réformateur interne à l’État ottoman (les tanzimat), même si la mauvaise réputation du pays perdura plus longtemps que de raison. Enfin, les progrès contemporains des transports maritimes lèvent bien des obstacles matériels : de Marseille vers Alexandrie, Beyrouth et Jaffa, des lignes de navigation régulières sont établies, le prix de la traversée devient de plus en plus abordable.
4À l’instar de l’œuvre missionnaire, le regain des pèlerinages français a cependant pour ressort principal le renouveau religieux qui caractérise les élites françaises sous la monarchie de Juillet : culte marial, piété christique, dévotion pour le Sacré-Cœur, adoration du saint sacrement, toutes ces pratiques sont alors à l’honneur. Sensibles à l’humanité de Jésus, au décor et aux supports tangibles de la foi, nombre de fidèles aspirent à connaître la terre sacrée où il naquit et mourut, et retrouver aux Lieux saints l’émotion d’une prière rendue plus intense par les traces encore visibles de son séjour terrestre. L’Église a elle-même beaucoup fait pour promouvoir cette forme souvent naïve de dévotion : un peu partout en France, fleurissent des chemins de croix, substituts aux Lieux saints véritables pour la masse des fidèles, incapables de consacrer le temps et les moyens nécessaires à un lointain périple4 ; aux plus aisés seulement s’offre la possibilité vers le milieu du siècle de les visiter tout de bon, grâce à la mise sur pied de pèlerinages organisés.
5C’est de 1853 précisément, que date la création, rue Furstemberg à Paris, de l’Œuvre des pèlerinages en Terre sainte, sous le patronage de la société de Saint-Vincent de Paul, alors très dynamique dans la diffusion de la littérature de piété5. La publication d’un Bulletin mensuel constitue du reste l’une des activités du nouveau comité. Mais elle a surtout pour finalité de réunir chaque année – généralement à Pâques, parfois aussi l’été, après l’Assomption – des « caravanes » de 40 à 50 pèlerins – parfois moins6 – qui, sous la houlette d’un « président » et d’un aumônier, gagnent Marseille, puis la Palestine sur les toutes nouvelles lignes ouvertes par les messageries maritimes. L’inconfort et les fatigues du voyage, les dangers aussi auxquels l’on s’expose encore à cette époque réservent plutôt l’aventure aux hommes, surtout dans leur première décennie d’existence, Français semble-t-il pour la plupart, et plus qu’aisés à l’évidence. Une sélection sociale s’opère en effet par les prix pratiqués, très élevés, et par la durée du voyage. C’est exclusivement « l’élite de la société », et plus particulièrement l’aristocratie qui est représentée, ainsi que le « gratin » ecclésiastique, prélats, chanoines et autres abbés du meilleur monde7. En Palestine même, les franciscains, gardiens des Lieux saints, sont évidemment leurs mentors. Ils les accueillent, les guident et les abritent dans leurs monastères et leurs casa nova, les seules hôtelleries latines existant à cette époque en Terre sainte.
6Durant 25 à 30 ans, bon an, mal an, l’œuvre aurait ainsi convoyé quelque six cents pèlerins français, soit la moitié, dit-on, des pèlerins catholiques européens venus en Palestine durant cette période. C’est à la fois beaucoup, comparé au passé, et bien peu, face à la marée montante contemporaine des pèlerins « schismatiques », grecs et russes surtout, qu’une foi mystique activement encouragée par les autorités tsaristes jette par milliers, dès les années 1860, sur les rivages de Palestine8. Situation qui, au Patriarcat latin de Jérusalem, rétabli en 1847-1848 par le Vatican avec le soutien de la France, ne laisse pas d’inquiéter, d’autant que l’œuvre de la rue Furstemberg donne de son côté des signes nets de déclin9. Tandis que son Bulletin se trouve contraint vers le milieu des années 1870 de fusionner avec celui des Œuvres d’Orient, ses pèlerinages s’étiolent10. Manifestement il convenait de substituer à sa formule élitiste une formule plus populaire, capable de drainer par des prix plus bas et une publicité adéquate, un plus grand nombre de participants11.
7Il n’est guère surprenant dans ces conditions que les animateurs du comité de la rue Furstemberg, soutenus par le Patriarcat latin et le nouveau pape, Léon XIII12, se soient tournés vers les pères augustins de l’Assomption. Originaire d’une terre d’affrontement entre catholicisme et protestantisme, le Gard, cette petite congrégation de création récente est animée d’un vigoureux esprit de mission et d’apostolat13 ; elle est en outre à la pointe de l’ultramontanisme. Après 1870, à l’heure de l’Ordre moral, les assomptionnistes font passer au second plan leur vocation enseignante primitive pour une œuvre autrement ambitieuse de moralisation du peuple. Dès lors, ils n’hésitent pas à jeter les bases d’un empire de presse et lancent à partir de 1872, sous l’égide du Conseil national des pèlerinages, des pèlerinages nationaux de masse dans l’organisation desquels ils manifestent une efficacité et un savoir-faire remarquables. Experts dans l’art de rassembler et de déplacer des milliers de personnes vers les sites de Paray-le-Monial, La Salette, Lourdes, ou encore Rome, ils savent négocier des tarifs de groupe avantageux auprès des compagnies de chemins de fer, improviser d’immenses camps de toile, orchestrer de main de maître de grandes manifestations de ferveur populaire.
8Trois catastrophes cumulées, autour de 1870, expliquent cette mue soudaine des Bons pères : la « tourmente nationale » que représente la défaite devant la Prusse, le « désastre social » de la Commune, la fin du pouvoir temporel du pape. Convaincus qu’elles sont la sanction de son impiété depuis la Révolution, ils ne voient de salut pour la France que dans le repentir, l’expiation, la pénitence, sentiments que les assomptionnistes se font fort d’encourager dans la société. Leurs efforts dans l’ordre de l’édition, de la presse ou des pèlerinages, concourent tous à ce but : le rachat des âmes françaises et de la France elle-même, la reconstruction d’une société authentiquement chrétienne, seul gage d’un retour à la grandeur. Les pères incarnent par excellence ce « néo-catholicisme » dont René Rémond a proposé une analyse pénétrante ou encore ce « populisme chrétien » décrit par Michel Lagrée14, dont l’esprit imprègne totalement les pèlerinages assomptionnistes : « une sensibilité douloureuse, repentante et meurtrie » née de la conviction que la France impie doit redevenir la grande nation chrétienne qu’elle fut dans un passé plus glorieux ; la propension à concevoir les choses à une vaste échelle, à faire populaire, voire plébéien, trait qui n’est pas sans rappeler le style des missions de la Restauration ; enfin un ultramontanisme sans concession, une soumission totale à la volonté du pape infaillible et à la défense de ses intérêts temporels.
9Dans ces dispositions d’esprit, les assomptionnistes, bien que renâclant longtemps devant la tâche, ne peuvent finir que par acquiescer à la volonté de Léon XIII de les voir assumer l’organisation des pèlerinages en Terre sainte. Nul doute au demeurant que l’installation de la « République des Républicains » au tournant de 1880 et le déclenchement de sa première offensive laïque et anticléricale – mesures contre les congrégations et pour la sécularisation de la vie publique et les grands services de l’État, vote des premières lois scolaires15 – n’aient contribué à enlever leur décision en accentuant encore chez eux le sentiment de responsabilité et le sens du devoir. Inaugurés en 1882 donc, les « pèlerinages de pénitence » ne connaîtront dès lors plus d’interruption jusqu’à la guerre. Ils se déroulent une fois l’an – au printemps – jusqu’en 1893, puis deux fois l’an – au printemps et à Noël de 1893 à 1897, au printemps et en septembre en règle générale par la suite. Longtemps seuls organisateurs sur le marché, les assomptionnistes rencontrent à partir de 1898 la concurrence d’un autre pèlerinage dont nous aurons à reparler, lancé à l’instigation des franciscains. Invariablement, la visite de Jérusalem est le clou d’un périple qui, prenant la Galilée pour point de départ, suit peu ou prou l’itinéraire terrestre du Christ. À partir de 1890, des étapes complémentaires sont néanmoins proposées, et l’Égypte, le Liban et la Syrie, la Grèce, l’Anatolie et l’Italie viennent agrémenter d’étapes plus touristiques que pieuses le pèlerinage proprement dit. Le nombre des participants peut être estimé au total aux environs de 10 000 entre 1882 et 1914, mais avec une grande variabilité dans la taille des groupes selon les époques. À cet égard le pèlerinage inaugural et celui de 1893 font figure d’exceptions avec leur millier de membres respectif16. Les pèlerinages « ordinaires » tournent plutôt autour de 300-400 participants avant 1890, nettement moins après cette date, avec, au surplus, des irrégularités de fréquentation fort difficiles à gérer pour les organisateurs. Ils se proclament « populaires » ; le terme est certainement excessif, mais ils sont incontestablement plus démocratiques que les pèlerinages organisés antérieurement : si l’on relève toujours parmi les participants bon nombre de représentants de la noblesse, ils voisinent désormais avec des bourgeois aisés, beaucoup de clercs, le plus souvent d’humbles curés, et des femmes en une proportion non négligeable – dames de la meilleure société ou filles pieuses, parfois tentées par la vocation monastique17. On note aussi, avec le temps, un nombre croissant de « croisés » étrangers.
10Quels sont donc les rapports susceptibles de s’établir en Palestine, à la faveur des pèlerinages, entre les consuls, représentants de l’État français sur place, et ces représentants du catholicisme français, citoyens déjà meurtris par la politique italienne du second Empire, puis réduits, sous la Troisième République, à un exil intérieur amer ?
Une constante sous tous les régimes : le souci du bon déroulement des pèlerinages
11Qu’ils servent la monarchie de Juillet, l’Empire ou la République, l’attitude bienveillante des consuls de France à l’endroit des pèlerins reste guidée par l’impératif de donner corps de toutes les manières possibles au protectorat que la France détient sur les latins en vertu des capitulations. Celui-ci en effet est conçu comme la pierre angulaire des « droits historiques » de la France en Terre sainte et longtemps comme son principal atout dans la lutte d’influence qui l’oppose aux autres puissances. S’appliquant en principe à tous les latins, leur devoir de protection ne se borne pas aux seuls nationaux français, bénéficiaires de toute façon de l’assistance que doit tout représentant de l’État en poste à l’étranger à ses concitoyens, mais à l’ensemble des catholiques, résidents comme voyageurs et pèlerins de passage en Terre sainte, quelle que soit leur appartenance nationale.
12Dans le cadre de la rivalité avec la puissance russe qui prétend se charger de la protection des orthodoxes, le tout premier consul de France nommé à Jérusalem, Gabriel de Lantivy, semble même avoir tenté de faire prévaloir une conception plus large encore du Protectorat, en y englobant tous les chrétiens. On le voit ainsi plaider en 1843 pour se voir autorisé à secourir matériellement les pèlerins chrétiens en général qui, dit-il, « commencent à affluer à Jérusalem », et qui « pour beaucoup d’entre eux, sont dans un dénuement absolu et manquent des ressources indispensables pour retourner chez eux18 ». Dans un autre courrier où il se fait cette fois le porte-parole des franciscains, il réclame l’autorisation de procéder à une quête dont le produit devrait permettre l’achat « d’une maison assez vaste pour y loger les pèlerins et une partie des chrétiens résidant à Jérusalem », privés de toit tant par l’étroitesse de leurs ressources que par celle du parc immobilier dans la Jérusalem du temps19. Ces libéralités seraient en effet, plaide-t-il, tout à l’avantage de la France. « Un refus absolu et général [de venir en aide aux pèlerins nécessiteux] serait une mesure peu politique dans un pays où notre influence trouve surtout l’occasion de s’exercer par les bienfaits journaliers que la générosité du Roi, de la famille royale et de la Nation plaît à répandre sur les populations chrétiennes. Or l’époque des pèlerinages est solennelle et, je le répète, le refus du consul de France de faire des aumônes dans cette occasion publique, ne pourrait que produire une pénible et fâcheuse impression20. »
13Mais ce ne furent, semble-t-il, que des velléités contrariées par la volonté russe de défendre son pré carré, et aussi probablement par le gouffre financier que risquait de représenter l’opération. Quant aux pèlerins catholiques, encore rares, ils ne font pas encore figure aux yeux des premiers consuls de moyen d’influence, et, partant, ne retiennent pas vraiment leur intérêt. Il n’en est plus tout à fait de même sous le second Empire, avec les « caravanes », petites mais régulières, du comité de la rue Furstemberg. C’est l’époque où les consuls entreprennent d’entourer les pèlerins catholiques venus sous la bannière française de certaines prévenances, car, explique le consul en poste en 1869, la caravane, « devenue périodique depuis plusieurs années », a acquis « par sa périodicité et son organisation un certain caractère officiel ». Bien entendu, l’affirmation du Protectorat, tant vis-à-vis de la clientèle latine autochtone que vis-à-vis des nations concurrentes, surtout la Russie, est le moteur essentiel de cette attitude. « L’impression produite par cette caravane, souligne bien le consul Barrère en 1859, a été excellente au point de vue de la conviction qui en résulte de l’intérêt qui s’attache en France aux affaires de Jérusalem ». Dans cet ordre d’idées, la qualité sociale et intellectuelle des pèlerins leur paraît de nature à accroître encore le prestige de la France.
14Ce sentiment du reste, ajouté à la crainte des difficultés matérielles et politiques que risquaient de susciter l’arrivée de groupes plus nombreux, explique sans doute le manque total d’enthousiasme de ce consul à la nouvelle que le ministre songeait à doubler les caravanes françaises de grands pèlerinages maronites et grecs catholiques venus de Syrie. Velléités que Barrère décourage, sans peine apparemment, en soulignant les problèmes insurmontables du gîte à Jérusalem. Mais ses remarques sur les honneurs bien suffisants dont il entoure déjà ces pèlerins, notamment à Sainte-Anne, suggèrent qu’il juge ce « matériel » humain trop « oriental » et impropre à servir utilement la France21.
15On en reste donc aux traditionnelles caravanes françaises, qui ne sont pas sans laisser espérer d’ailleurs quelques dividendes politiques supplémentaires. Leur régularité contribue en effet à maintenir en Terre sainte l’image séculaire de la France « fille aînée de l’Église » que la « fête impériale », une certaine déchristianisation évidente dans les hautes sphères de la société et surtout la menace que la politique italienne de Napoléon III représente objectivement pour les intérêts temporels de la papauté risquent de ternir à terme. De plus, dans la mesure où le régime impérial trouve ses principaux appuis à droite de l’échiquier politique, il est pour lui fondamental de conserver les faveurs des catholiques – monarchistes de cœur, et pour l’heure bonapartistes seulement de raison. On voit sans peine l’intérêt de l’Empire à entourer d’égards les pèlerins de Terre sainte, qui, de retour en France, s’empresseront de chanter les louanges de sa politique religieuse au berceau même du christianisme.
16Animés donc du double souci d’exploiter en termes de prestige et d’influence ce renfort, modeste mais régulier, de nationaux sur la scène locale, et de renvoyer dans la mère patrie des concitoyens confortés dans leur soutien au régime par les égards reçus en Terre sainte, les consuls déploient une sollicitude croissante à leur égard, ce qui se traduit par l’instauration d’une sorte de rituel. Ainsi, dans les semaines qui précèdent l’arrivée de la caravane, le consul se dépense, en liaison avec le Patriarcat latin et la Custodie franciscaine, pour prévenir et aplanir, s’il y a lieu, les obstacles que la mauvaise volonté ou la proverbiale « incurie » des Ottomans pourraient vouloir opposer à la liberté de mouvement et de dévotion des pèlerins. Une fois ceux-ci sur place, il lui revient encore de veiller de très près à leur sécurité, tant à Jérusalem où l’on redoute toujours des heurts avec les autres communautés, que sur les pistes de Judée et de Galilée, encore peu sûres. Pour éviter toute mauvaise surprise, le consul se concerte activement avec ses autorités de tutelle dans la région, l’ambassadeur à Constantinople et le consul général de France à Damas, ainsi qu’avec les représentants locaux du pouvoir ottoman, le gouverneur et le commandant de la garde turque22.
17Le séjour des pèlerins dans la Ville sainte est l’occasion d’un assaut de courtoisies privées et officielles. Il est d’usage dorénavant que la caravane française entre en procession dans la Ville sainte, précédée des cawas du consulat en grande tenue23, de représentants de la Custodie et du Patriarcat. Puis, les Français les plus éminents de la caravane rendent, à leur arrivée et pendant leur séjour, plusieurs visites protocolaires au consul, lequel, à partir de 1856, les convie à son tour, entouré de tout son personnel, à une messe spéciale à l’église Sainte-Anne, offerte cette année-là par le sultan à Napoléon III. Souvent heureux de disposer d’une compagnie qui rompt agréablement le cours passablement routinier de son existence, le consul les reçoit aussi volontiers à sa table, quand il ne s’offre pas pour les guider personnellement dans leurs excursions24. Après tout, on se trouve entre gens du même monde. Il va de soi que le consul met à profit leur présence pour donner aux solennités liturgiques, notamment pendant la Semaine sainte, un lustre particulier.
18Partis, les pèlerins ne quittent pour un an l’agenda du consul qu’une fois ses rapports envoyés à la Direction politique à Paris et à l’ambassade de Constantinople, où l’on est visiblement intéressé à connaître la façon dont s’est déroulé le pèlerinage. C’est le moment de solliciter promotions et récompenses pour des membres de son personnel et certains officiers turcs particulièrement obligeants. Il y va de son intérêt, dans la mesure où obtenir les faveurs sollicitées ne peut qu’asseoir sa propre position et lui faciliter la tâche l’année suivante25.
19Cette attention portée aux pèlerinages marque le pas dans les années 187026 ; manifestation sans doute de ce « recueillement » consécutif à la défaite et aux troubles intérieurs des années 1870-1871 ; conséquence aussi très probablement du déclin prononcé qu’amorce alors le comité de la rue Furstemberg, organisateur des pèlerinages en Terre sainte. Paradoxalement, il faut attendre le début des années 1880 et, avec l’instauration de la « République des Républicains », celle d’un régime porteur d’un projet de laïcisation et de sécularisation de la société française, pour voir renaître l’intérêt des autorités nationales pour les pèlerinages en Palestine. C’est bien entendu au regard des appétits renaissants de l’impérialisme français au Levant que la décision des assomptionnistes d’en assumer désormais l’organisation paraît opportune.
20Après 1882 donc, les pèlerinages jouissent des égards dont leurs prédécesseurs bénéficiaient sous l’Empire, à ceci près qu’ils s’adressent désormais à des groupes sensiblement plus nombreux, et que la perception de plus en plus vive de la concurrence des autres puissances – les pèlerinages russes deviennent alors un souci obsédant – pousse à la surenchère. Dans cette attitude, jouent plus que jamais le souci de défendre, et si possible de promouvoir, le système du Protectorat en tant que source d’influence de la France, mais aussi, comme jadis, l’espoir d’amoindrir dans la mesure du possible le problème posé par l’opposition des catholiques au régime. En accueillant chaleureusement en Palestine les fidèles venus de France, en prouvant à ces monarchistes et ennemis farouches de la République combien, à l’étranger, et en particulier en Terre sainte, la République défend les intérêts de leur foi, le pouvoir estime pouvoir, sinon rallier, du moins amoindrir leurs préventions contre le régime. Une façon en quelque sorte pour la République de racheter par une sorte de politique de la « main tendue » sur les terrains extérieurs une politique intérieure résolument laïque et anticléricale.
21En Palestine donc, non contents de renouer avec les modes d’action et d’intervention de leurs prédécesseurs, les consuls de la République marquent un souci et même un dévouement plus prononcés encore aux pèlerins. Dans les semaines qui précèdent l’arrivée du pèlerinage, l’agent en poste à Jérusalem se livre à des préparatifs minutieux, secondé par son personnel. Il tient à connaître le nombre exact des participants, la date prévue pour leur arrivée et les itinéraires que suivront les différents groupes. Soucieux comme par le passé d’éviter les incidents, il s’attache à résoudre d’avance les problèmes matériels, et à obtenir l’aide et l’assistance des autorités, manifestant, dans les années 1880 en particulier, une évidente anxiété devant l’importance numérique inédite des pèlerinages, et celle d’une participation ecclésiastique parfois pléthorique qui rend malaisé de ménager à chacun des clercs présents, comme ils le désirent tous ardemment, la possibilité de célébrer des offices dans les grands sanctuaires.27
22L’accueil et le départ de la caravane mobilisent tout le personnel consulaire. Un drogman est toujours dépêché de Jérusalem à Jaffa pour aider le vice-consul, en poste dans le port, à veiller au débarquement des pèlerins, leur éviter la fouille des bagages et les formalités de passeport. Les toutes premières années, le médecin du gouvernement est également envoyé sur place, de crainte que des voyageurs distingués aient mal supporté la traversée. À Jérusalem même, il est d’usage désormais que le consul, flanqué de son personnel et des représentants des établissements français, aille au-devant de la caravane porte de Damas ou de Jaffa, ou encore, à partir de 1892, à la gare ferroviaire28. Lorsque les pèlerins partent excursionner en Palestine, le consulat ne manque pas d’envoyer aux étapes des drogmans chargés de leur faciliter la vie. La présence du consul donne enfin, chaque année, une solennité particulière à la cérémonie marquant le départ de la caravane de Jérusalem, son subordonné à Jaffa étant chargé de surveiller l’opération de réembarquement.
23Plus que jamais, le consul de France fréquente assidûment les pèlerins pendant leur séjour dans la Ville sainte. Ils se retrouvent naturellement aux cérémonies du Saint-Sépulcre pensant la Semaine sainte ou à l’office de Noël à la Basilique de la Nativité à Bethléem. Quant à la tenue des « offices nationaux » dans les sanctuaires français – Saint-Anne toujours, et désormais aussi Saint-Étienne et Ratisbonne –, elle va en s’amplifiant. Cependant les plus notables des pèlerins sont reçus à la table du consul qui, de son côté, partage certains de leur repas, en particulier le dîner d’adieu, la veille de leur départ.
24De ses faits et gestes, et surtout de leur résultat – absence d’incident sérieux, satisfaction des pèlerins –, le consul ne manque pas de donner des comptes rendus circonstanciés à ses supérieurs hiérarchiques de Constantinople et de Paris, profitant régulièrement de l’occasion pour solliciter, souvent avec succès, des faveurs et des promotions pour tous ceux qui secondèrent utilement ses efforts. Tout bien considéré, le temps des pèlerinages est devenu un temps fort du travail consulaire, l’occasion par excellence pour le détenteur du poste de Jérusalem de donner un coup de pouce à sa carrière, en montrant son savoir-faire et son doigté, en faisant ressortir son mérite, celui de ses subordonnés et des fonctionnaires ottomans, ces derniers devenus, grâce aux faveurs obtenues, ses obligés.
25Ce tableau de l’attitude consulaire en matière de pèlerinage vaut pour l’ensemble de la période, de 1882 à 1914. Pourtant, si l’investissement consulaire ne disparaît pas, loin de là – il n’est pas question de déroger à une « tradition » qui, pour être récente, doit être honorée au même titre que les anciennes –, on note cependant son tiédissement après 1898 où, sous l’influence de doutes grandissants sur la valeur de l’arme du Protectorat, l’action des consuls prend une tournure plus « mécanique ». Les rapports entre consuls et pèlerins ne sont plus empreints d’autant de chaleur et d’intensité que dans les années 1880-1890, en particulier sous le règne exceptionnellement long du consul Charles Ledoulx (1885-1898), fervent catholique lui-même et ardent avocat des pèlerinages comme instrument d’influence. Celui-ci multiplie les égards à l’endroit des pères assomptionnistes, avec lesquels il entretient des liens affectueux, et de leurs pèlerins auprès desquels il jouit d’une popularité réelle29. Mais l’engagement du consul va bien au delà, au nom, dit-il, des retombées bénéfiques que l’entreprise peut avoir la France en général, et pour tous les établissements français de Terre sainte en particulier. Dès 1886, il prend l’habitude de prononcer chaque année devant l’assemblée des pèlerins un discours vibrant, qui, plein des mérites et des besoins des œuvres françaises ou protégées par la France, constitue un appel direct à leur bourse, ou encore à celle de leurs proches en France30. Il encourage encore, s’il ne contribue pas à l’inspirer, le projet formé par les assomptionnistes en 1885 de construire à Jérusalem une immense hôtellerie de 400 « cellules », baptisée « Notre-Dame de France », à l’usage des pèlerins français. Là encore, Ledoulx paye de sa personne pour aider les religieux à réunir les fonds nécessaires, en plaidant leur cause soit directement auprès des pèlerins dans ces discours pleins de noble éloquence dont il a le secret31, soit auprès des pouvoirs publics pour décrocher des subventions32. C’est largement à Ledoulx encore qu’il convient d’imputer le percement dans l’enceinte de Soliman par les autorités ottomanes d’une nouvelle porte, appelée parfois « porte de France », dont la fonction est de relier le « quartier français » – constitué de l’hôpital Saint-Louis et de Notre-Dame de France –, immédiatement hors les murs, au quartier chrétien de la vieille ville33. On comprend qu’aux yeux des assomptionnistes l’ère Ledoulx fasse figure d’âge d’or. Il faut souligner toutefois que l’appui des consuls en Palestine ne leur fit jamais réellement défaut.
La conduite des pèlerins : une préoccupation constante des diplomates
26Entre les pèlerins et les autorités françaises en Palestine, le ciel n’est cependant pas pour autant toujours dépourvu de nuages. Un examen plus attentif révèle des heurts occasionnels et des poussées de défiance réciproques. Pourquoi le pacte tacite qui les unit n’en est-il jamais sérieusement ébranlé ? C’est ce qu’il nous reste à découvrir.
27Les autorités françaises ne pouvaient tirer tout le bénéfice politique attendu des pèlerinages qu’à condition que les pèlerins acceptent de respecter un certain code de bonne conduite. Dans les sanctuaires et les rues de Jérusalem et de Bethléem notamment, on attend des pèlerins dignité et retenue, surtout les premières années, lorsque le pouvoir turc peut encore se raidir contre les atteintes à sa souveraineté et trouver un prétexte à réagir devant d’éventuels troubles inter-confessionnels. Ces consignes de prudence et de discrétion, les consuls du second Empire n’eurent apparemment aucun mal à les faire respecter par les groupes restreints et distingués de l’époque. Il en va autrement avec les « pèlerinages de pénitence » postérieurs dont les membres, bien plus nombreux et animés d’une foi très démonstrative, mettent précisément un point d’honneur à ne pas se plier en Terre sainte à ce « respect humain » auquel ils se voient contraints en France même. Conscients qu’il est dans l’intérêt de leur entreprise d’éviter les incidents graves, les assomptionnistes partagent pleinement néanmoins la religiosité de leurs disciples, et désirent d’autant moins brider l’expression des sentiments de leurs ouailles qu’ils risquent fort, à ce jeu, d’ôter aux pèlerinages leur principal attrait.
28Dans la pratique, les religieux oscillent donc entre les deux exigences, politique et spirituelle. Ils collaborent sans état d’âme avec l’autorité consulaire lorsqu’il s’agit d’évacuer discrètement les déséquilibrés et autres victimes frappées du fameux syndrome de Jérusalem (ou de Bethléem) susceptibles par leur comportement de provoquer des troubles. Au demeurant, fortement encouragés par les représentants de la France, les religieux s’efforcent très vite de rejeter avant même le départ de France les candidats par trop « agités ». Il n’est pas question de renoncer en revanche en Palestine à certaines démonstrations publiques de piété ou de fidélité, qui ne sont pas sans embarrasser les diplomates français. Ainsi la propension des « croisés de la pénitence » à exhiber toutes sortes de signes et de bannières évoquant les croisades34. Les pèlerins tiennent absolument aussi à apporter avec eux une ou deux immenses croix autour desquelles s’organisent des processions sur la via Dolorosa à Jérusalem avant leur bénédiction au Saint-Sépulcre35. Or cette pratique sans laquelle le pèlerinage perdrait beaucoup de son sens contredit des règlements turcs qui prohibent les processions hors des sanctuaires et l’exhibition des signes de toutes les religions autres que ceux de la confession musulmane. À Paris, on s’inquiète de ce qui peut faire figure de provocation36, mais, sur place, les consuls, sympathisants ou résignés, s’entremettent pour obtenir que les autorités ottomanes ferment les yeux. Reste que cette manifestation représente, chaque année, un moment délicat dans l’exercice de leurs fonctions : l’interdiction, toujours possible, serait à la fois une sévère déception pour les pèlerins et un affront infligé à la France37.
29Cependant, plus que la piété quelque peu débordante des pèlerins, c’est en réalité la nature de leurs sentiments politiques qui préoccupe les consuls. Dans la dernière décennie de l’Empire, le début des années 1880 et celui des années 1900, les relations entre les pèlerins et les représentants de la France traversent trois passes particulièrement délicates. À partir de 1859, la politique italienne de Napoléon III et la réduction du pouvoir temporel du pape qui en résulte rejettent décidément dans l’opposition les forces catholiques en lesquelles le régime avait trouvé jusque-là un allié. Les deux autres périodes de difficultés (1879-1886, 1899-1906) correspondent, elles, aux deux principales poussées laïques et anticléricales de la IIIe République, que l’Église vit comme des temps de persécutions. Le catholicisme intransigeant, toujours ferme dans ses sentiments antirépublicains, développe en réaction une opposition farouche au régime « impie » que d’aucuns rêvent de renverser. Or dans ce combat, les assomptionnistes sont en première ligne ; appuyés sur leur puissant groupe de presse, ils cherchent à peser sur les élections, puis, vaincus, subissent de plein fouet la répression. Dissoute en mars 1900 et désormais interdite en France, la congrégation n’a d’autre ressource, après une période de flottement, que de replier ses membres sur les maisons qu’elle possède à l’étranger.
30Dans ces périodes, notamment les deux dernières, les consuls, serviteurs du régime honni, ont toutes les raisons de redouter, chez les pèlerins, l’expression de sentiments hostiles. Or, selon eux, rien ne serait plus catastrophique que le spectacle en Terre sainte d’un divorce patent entre les représentants officiels de la France et leurs concitoyens catholiques, à l’heure où la cause française rend éminemment désirable au contraire l’image d’une sorte d’« union sacrée » avant la lettre. C’est pourquoi d’ailleurs les consuls se sont toujours montrés attentifs à l’état d’esprit régnant chez les pèlerins. Dès les années 1850, ils n’oublient jamais de mentionner les prières prononcées par les pèlerins « pour la France et la famille impériale » à la fin des offices. De même, en septembre 1858, « l’excellent esprit [des douze pèlerins] du double point de vue du patriotisme et de l’esprit véritablement chrétien » est dûment signalé au Département. Dans les années 1860, si la dégradation des sentiments des pèlerins à l’égard du régime impérial n’échappe pas à leur attention, ils se hâtent de préciser que cela n’altère en rien leur attitude à leur égard.
31Dès les années 1860 en effet, la Terre sainte apparaît comme le lieu d’une trêve possible entre des Français divisés chez eux par la question religieuse, au nom des intérêts supérieurs de la Patrie et de l’Église, valeurs rassembleuses qui permettent aux serviteurs de l’État français et à leurs concitoyens catholiques de transcender les divergences régnant sur la scène intérieure. Les rapports consulaires sont éloquents à cet égard. En 1863 par exemple, le représentant de la France a pu « constater le bon et patriotique esprit dont nos pèlerins se sont montrés animés sans acception de leurs opinions personnelles à l’intérieur. Ici, à l’étranger, ils ont été chrétiens et français, et ont témoigné toute leur reconnaissance pour les bienfaits et la tutélaire protection de l’Empereur38 ». Il est vrai que les représentants de la France en Terre sainte sont presque tous visiblement animés, eux-mêmes, d’un zèle religieux bien fait pour faciliter les choses. Ce trait est-il simplement le reflet de leur milieu d’origine, foncièrement aristocratique et catholique ? La dévotion personnelle des candidats potentiels est-elle un critère de choix pour le poste de Jérusalem ? On en a le sentiment, sous l’Empire, et plus encore peut-être sous la République.
32À l’occasion pourtant, des difficultés affleurent, surtout lorsque s’en mêle le Patriarcat latin, fidèle soutien de l’institution papale, qui chercherait, dit-on, à « profiter de la caravane française pour propager en France les idées qu’il a intérêt à répandre39 ». « M. de Barrère, témoigne son successeur à Jérusalem, devait chaque année se donner une peine infinie pour redresser les opinions et les appréciations erronées de nos pèlerins. » Ceux-ci étant « remontés » par Mgr Poyet, le protonotaire apostolique et le chancelier du Patriarcat latin. Mais, tout compte fait, le modus vivendi fondé sur les valeurs patriotiques semble solide. « Cette année, pour la première fois peut-être, rapporte le consul en 1869, la situation a changé grâce au caractère particulièrement indépendant et français de notre caravane. L’attitude [ ?] ouvertement absolue de Mgr Poyet a vivement choqué nos pèlerins. » De fait les sondages effectués dans diverses relations de pèlerinage contemporaines ne laissent pas apparaître de critiques ou de regrets à l’endroit de la politique suivie par le gouvernement.
33Si l’Empire a pu tenir à l’occasion les pèlerins dans une certaine suspicion, que dire des inquiétudes du consul Langlais, lorsqu’on l’avise dans les premiers mois de 1882, en pleine offensive anticléricale en France, de l’arrivée prochaine de la première « croisade de pénitence » ? Sans doute admet-il, le pèlerinage « est une grande idée, et je souhaite de tout mon cœur de catholique et de Français que ce projet réussisse. Il est bon que les habitants de la Palestine qui assistent tous les ans au défilé de milliers et de milliers de pèlerins russes ou grecs et qui voyaient tout dernièrement entrer à Jérusalem une centaine d’Espagnols sous le drapeau de leur nation, il est bon, dis-je, qu’ils aient à contempler 400 ou 500 catholiques français visitant les Lieux saints que leurs ancêtres ont arrosés de leur sang, et que leurs gouvernements, quelles que fussent leurs origines ou la couleur de leur drapeau, ont tenu à honneur et à devoir de protéger et de défendre40. » Mais il prévient les organisateurs : « Ne permettez à aucun prix que des brouillons, ignorants des choses de la Terre sainte, dénaturent le caractère pieux de votre pèlerinage. Ils causeraient à la Religion, aux intérêts catholiques, un dommage immense. Que la Politique, sous quelque forme qu’elle se présente soit impitoyablement bannie de vos rangs pendant toute la durée de votre pèlerinage en Palestine. Sur ce terrain sacré, où nous combattons pied à pied, coude à coude, le combat de Dieu, au milieu des hérétiques et des Musulmans qui profitent de la division des chrétiens, sur ce terrain dis-je, tout désaccord apparent entre le Gouvernement protecteur et les Ministres du culte catholique ou les fidèles est immédiatement exploité par ses adversaires et se traduit par des empiétements souvent irrémédiables dans les sanctuaires dont nous avons la garde. C’est en Palestine surtout qu’il est vrai de dire que l’union fait la force. Cette vérité est bien comprise de part et d’autre. C’est pour cela que l’Église et l’État vivent en Palestine dans une union intime profonde que n’altèrent point les tempêtes d’ailleurs41 [...]. »
34Les pères assomptionnistes, par la plume autorisée du père Picard, leur supérieur général, se hâtent de le rassurer : « Ne craignez pas les questions irritantes, l’adjure-t-il. La politique est absolument exclue de tous nos pèlerinages, elle n’a plus le droit de se faire jour en France, elle sera bannie plus sévèrement encore à l’étranger. [...] Nous sommes des catholiques sans doute, nous n’oublierons pas que nous sommes français et nous prierons beaucoup pour la France dont les gloires sont inscrites à tous les pas en Palestine, mais nous tâcherons d’éviter tout ce qui pourrait blesser42. »
35Dire que toutes les appréhensions du consul s’en trouvent calmées serait exagéré. Néanmoins les promesses des organisateurs lui font envisager l’avenir avec plus de confiance43, d’autant qu’il table aussi sur les responsables des établissements français de Terre sainte pour exercer une influence positive sur les pèlerins. Ceux-ci, tributaires des subventions du gouvernement français et inquiets à l’idée d’être compromis dans « une manifestation hostile au Gouvernement de la République » sont dûment priés de les accueillir libéralement. « Il m’a paru, explique en effet le consul au ministre, que le Gouvernement de la République avait tout avantage à voir les Supérieurs des Missions à Jérusalem ouvrir largement à des compatriotes, si hostiles qu’on les supposât, la porte des établissements religieux, hospitaliers, scolaires, qui tous, à titre permanent ou accidentel, reçoivent des preuves de la munificence du Gouvernement, et témoignent de l’intérêt qu’ils portent aux œuvres de Terre sainte. Il m’a semblé dis-je, que la vue des établissements français, des progrès qu’ils réalisent ici sous l’égide du Gouvernement de la République, de l’entente cordiale qui existe entre les Représentants de la France en Palestine et les missions religieuses, que le spectacle de nos efforts communs, était de nature à exercer la plus salutaire influence sur l’esprit des pèlerins », voire à ramener « au sein de la patrie des Français convaincus de la protection efficace que le Gouvernement de la République accorde aux Œuvres religieuses de Terre sainte44 ».
36Le pèlerinage reparti, le bilan qu’il dresse de l’opération s’avère finalement très positif. Ayant bien conservé « un caractère religieux45 », il « a produit en Palestine un effet considérable ; il a servi dans une large mesure les intérêts de notre politique séculaire et de notre influence traditionnelle au sein de la population de Syrie, où les imaginations sont frappées avant tout par les démonstrations qui parlent aux yeux46 ». Il a su de surcroît revêtir l’aspect national souhaitable, grâce aux relations plus que convenables nouées entre sa personne, ses subordonnés et les directeurs du pèlerinage ; un règlement satisfaisant surtout est intervenu sur la délicate question du drapeau, sous les plis duquel, en Palestine, tout voyageur, a fortiori toute caravane, se doit de se déplacer. Langlais avait en effet beaucoup redouté que les pèlerins refusent de brandir les couleurs nationales, ou, pire, arborent le fameux drapeau blanc des légitimistes, celui-là même sur lequel le comte de Chambord, le prétendant au trône de France, refuse de transiger jusqu’à sa mort, en 1883. L’une et l’autre éventualité aurait joué « au détriment de l’accord qu’il importait de maintenir aux yeux des gens du pays, entre les Autorités françaises en Palestine et leurs administrés de passage47 ».
37Les assomptionnistes ne nourrissaient en fait nulle intention de ce genre. On peut qualifier en effet ces religieux, bien moins occupés de la forme du gouvernement que de croisade de défense religieuse, de « légitimistes tièdes ». Mais ils ne tiennent pas à se singulariser dans leur propre camp, non plus qu’à risquer de heurter la sensibilité de leurs pèlerins. Aussi proposent-ils d’abord à l’autorité consulaire un compromis : la caravane n’emporterait pas le drapeau tricolore dans ses fourgons, mais le recevrait des mains officielles en présent de bienvenue à son arrivée à Jaffa, ce qui l’obligerait à l’accepter de bonne grâce. Solution habile, mais qui n’emporte finalement pas l’adhésion du consul : « Toute réflexion faite, écrit-il au père Picard, il est plus convenable que le drapeau français que vous désirez ne paraisse pas offert par nous. Quelque esprit chagrin pourrait croire qu’il vous était imposé. Mieux vaut que tout cela vienne de l’initiative des pèlerins48. » C’est bien, semble-t-il, le scénario qui prévalut à la grande satisfaction de Langlais49.
38Hormis l’irruption intempestive du séditieux « Sauvez Rome et la France » au milieu des hymnes et cantiques, les pèlerins de 1882 ont su en somme faire preuve de « bon esprit » et de « tact » en s’abstenant de mettre le représentant de la France à Jérusalem « dans une situation fausse ou gênante50 ». L’attention prêtée à ses avis, croissante au fil des jours, laisse augurer plus de modération à l’avenir dans leur hostilité au régime. Car, explique le consul : « Plus ils vivent en Palestine, plus ils comprennent la nécessité de s’abstenir de paroles et d’actes hostiles au Gouvernement qui protège les Sanctuaires. S’ils ne retournent point en France convertis à la République, ce qu’il serait superflu d’espérer, ils y reviendront, je le crois, plus convaincus de la protection efficace que leur Gouvernement prodigue aux œuvres de Terre sainte51. » Ce ton de satisfaction raisonnable et prudente est à l’usage de son administration. Parce qu’en réalité, le consul Langlais et le père Picard qui a assuré en personne la direction du pèlerinage, sont enchantés l’un de l’autre, au point qu’une réelle connivence naît entre les deux hommes52.
39Le pèlerinage de 1882 est donc l’événement fondateur où sont établis les termes du pacte qui va régler à la satisfaction des deux partis les rapports entre l’autorité consulaire et les assomptionnistes durant une bonne quinzaine d’années. Les couleurs nationales claquent désormais sans autre discussion au mât de la nef qui emporte les pèlerins de Marseille vers la Terre sainte, sur les barques du débarquement à Jaffa, en tête du cortège à chacun de leur déplacement en Palestine. Au nom du patriotisme, il arrive au père Bailly de repousser la candidature de pèlerins allemands, ou d’accueillir des personnalités, comme l’évêque de Luxembourg, que l’on juge bon de soustraire à l’influence germanique53. Patriotes donc et se gardant, dès lors qu’ils posent le pied en Palestine, de manifester toute préférence politique, les pèlerins sont assurés de trouver la bienveillance des autorités françaises, car, comme il est spécifié par Langlais au vice-consul à Jaffa : « En Palestine, nous n’avons point à nous occuper de leurs opinions ou de leurs antipathies54. » Quant aux pèlerins, une brochure publicitaire insiste sur le fait que « [...] le sentiment patriotique doit nous porter vers les Lieux saints, car si nous venions à nous désintéresser dans [sic] cette grave question, nous manquerions à toutes nos traditions, à tous nos devoirs. Charlemagne, Saint Louis, François Ier, Louis XIV, les Napoléon, tous nos gouvernements ont affirmé le dévouement de la France pour ces lieux bénis, et ce ne´st vraiment pas lorsque la Russie, l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne multiplient leurs moyens d’action en Syrie, que nous devons diminuer les nôtres. [...] Favorisons le mouvement de nos pèlerinages [...], nous remplirons ainsi notre devoir envers Dieu, l’Église et la France55 ».
40De leur côté, les autorités consulaires veillent à ne pas trop agiter sous le nez des pèlerins le chiffon rouge de la République, préférant user dans leurs discours de formules iréniques comme « notre chère Patrie » ou encore « notre belle France56 ». Une solution astucieuse est trouvée pour le problème de la célébration du 14 juillet, lorsque s’instaure l’habitude des pèlerinages d’été : tous les Français de Palestine sont en liesse le jour de la fête nationale, mais il est convenu que les pèlerins commémorent en ce jour, non la chute de la Bastille et la Fête de la Fédération, mais la prise de la Ville sainte par Godefroy de Bouillon en 109957. Les consuls auront à cœur, en montrant « le Gouvernement de la République protecteur des catholiques et défenseurs zélés des Lieux saints », de suivre une tradition non seulement française, mais... républicaine : « Rappelons-nous, poursuit en effet Langlais, que la Première République envoyait à ses Agents dans le Levant les ordres les plus sévères relativement à la protection qu’ils devaient accorder aux Religieux et que jamais ils ne furent mieux défendus en Orient. Inspirons-nous de ce précédent58 ». Lors du séjour des pèlerins, les consuls poussent très loin leur devoir normal d’aide et d’assistance à des compatriotes. Ainsi Charles Ledoulx veille-t-il paternellement sur eux, allant, lui-même ou son épouse, rendre visite aux malades soignés à l’hôpital Saint-Louis de Jérusalem.
41L’échange réciproque de bons procédés ne s’arrête d’ailleurs pas aux seuls pèlerinages. Il est ainsi possible qu’en 1883, pour faire pièce aux franciscains, de tendance trop italienne à leur goût, le consul et son ministre se soient entremis auprès du Saint-Siège pour obtenir l’ouverture de la Palestine aux œuvres de toutes les congrégations, et donc aux assomptionnistes59. « Quelle étrange situation, s’exclame le père Picard, de celle de nos gouvernants, obligés de favoriser ailleurs ce qu’ils démolissent chez eux60 ! » Lorsqu’à la fin de 1890, le père Bailly a vent d’un nouveau train de mesures anticongréganistes en France, il demande au consul de s’entremettre en leur faveur pour la sauvegarde des pèlerinages, car, affirme-t-il avec quelque exagération, « nous avons été la tête du mouvement de la politique religieuse non hostile à la forme républicaine qui a fait tant de chemin61 ». À l’inverse, les assomptionnistes savent renvoyer l’ascenseur. Outre que le père Bailly ne perd pas une occasion de chanter les louanges des consuls, surtout de son cher Ledoulx, au Quai d’Orsay, il a également tenté, sans succès il est vrai, de dissuader le Saint-Siège de nommer Mgr Piavi, mal vu des Français, au Patriarcat latin62 ; il n’est probablement pas étranger non plus à la désignation de l’archevêque de Reims, le cardinal Langénieux, à la présidence du grand congrès eucharistique de 1893 à Jérusalem63.
42Plus que le lieu d’une trêve entre les cléricaux et la République, la Palestine est donc bien davantage celui d’un art de vivre ensemble impossible à ménager en France même. Le compromis, étonnamment solide, apparaît fondé tant sur une convergence d’intérêts que sur l’établissement de relations de confiance, et même d’affection64, entre les représentants de l’État, les religieux et les pèlerins de passage en Terre sainte. Ce « pacte » informel fonctionne d’autant mieux que, passé 1885-1886, la question religieuse marque sensiblement le pas en France, en même temps que mûrit le « ralliement » à la République d’une bonne partie des catholiques français, surtout effectif chez ceux qui, de tendance ultramontaine, professent une soumission entière à la volonté du pape. On l’a dit : les assomptionnistes ne furent jamais que des légitimistes « tièdes » ; ils se résolurent d’autant plus aisément à adhérer à la forme républicaine du gouvernement en 1892 que telle était la volonté désormais affichée du pape. Il est possible au demeurant que leur « expérience » heureuse de la République en Terre sainte leur ait facilité les voies du ralliement. Toujours est-il que de 1885 à 1895, avant le vote de la loi dite « d’abonnement » qui précisait les charges fiscales des congrégations, leur quotidien La Croix se montre étrangement amène à l’endroit du régime65.
43Il faut attendre les années 1899-1902, lorsque les assomptionnistes sont frappés de plein fouet par la politique anticléricale, pour voir s’amorcer le déclin de la collaboration nouée en Terre sainte. Non pas, on l’a vu, que les consuls négligent leurs devoirs formels envers les pèlerins. Mais l’investissement personnel, affectif mis par leurs prédécesseurs dans cette tâche décline sensiblement. La cause principale en revient sans doute au redéploiement contemporain du dispositif d’influence français au Levant, et au sein de celui-ci, à la première place accordée désormais à l’arme économique et financière. Vers 1905, tandis que l’on s’interroge de plus en plus au Quai sur le bénéfice politique réel des pèlerinages des assomptionnistes, ces derniers éprouvent d’ailleurs des difficultés croissantes à remplir leurs bateaux. La création en 1898, à l’instigation des franciscains, d’un pèlerinage français concurrent, n’arrange évidemment rien à cet égard, même si les deux pèlerinages annuels, dits « de Saint Louis », conduits en Terre sainte deux fois l’an par l’abbé Potard, représentent dans une certaine mesure un retour vers la formule élitiste de feu le comité de la rue Furstemberg66. Il est significatif au demeurant que les diplomates français, soucieux de conserver leur neutralité dans la querelle feutrée qui opposent, dans ce domaine, les franciscains aux assomptionnistes, fournissent des services équivalents à leurs œuvres de pèlerinages. Ajoutons enfin que, parallèlement à leurs efforts pour récupérer la protection sur leurs établissements en Terre sainte, les différentes nations européennes développent à leur tour des pèlerinages nationaux, ce qui restreint le rayonnement des pèlerinages français chez les catholiques étrangers67.
44Toutefois l’évolution de la scène politique française n’est probablement pas étrangère non plus à ce changement d’ambiance. L’anticléricalisme le plus virulent triomphe à Paris au tournant du siècle sous le règne d’Émile Combes, et les consuls doivent en tenir compte, bon gré mal gré. Certains d’ailleurs prennent ombrage de l’attitude, parfois délibérément peu courtoise, des pèlerins à leur égard et n’hésitent pas à le faire savoir en haut lieu. Ainsi en 1902. Alors que le consul est venu comme à l’accoutumée les accueillir à la gare pour les accompagner jusqu’à Notre-Dame de France, le père Bailly décline la place que le représentant de la France lui offre dans sa voiture ; le lendemain, nouvel affront : seuls quelques pèlerins viennent, « individuellement » précise le consul, outré, présenter leurs respects au consul ; ils seront les seuls, en représailles, à être convié à sa table68.
45Au printemps 1902, les pèlerins et leurs directeurs de conscience font donc rejaillir, une fois n’est pas coutume, leur amertume à l’endroit du régime français sur son représentant en Palestine. Mais cela demeure l’exception. Les années immédiatement précédentes, le père Bailly se borne dans sa correspondance avec les consuls à des allusions discrètes à la dureté des temps et à la « consolation » que représentent pour lui les voyages en Terre sainte69. Passé 1905-1906, le ton général retrouve le registre de la neutralité politique d’antan. À en croire le consul en poste en 1908 à Jérusalem : « Les allocutions prononcées au cours de ces cérémonies [à Sainte-Anne et Saint-Étienne] ont été, je me plais à le reconnaître, empreinte de la plus grande réserve et d’un véritable patriotisme70. » Plus que jamais en fait, l’essentiel pour les assomptionnistes et leurs ouailles, défaits à l’intérieur, est de pouvoir « demander aux Seigneur, là où il a sauvé le monde, de nous sauver et de sauver la France71 ».
46Ce relatif désenchantement respectif qui est la marque des années 1900 ne doit pas cacher l’essentiel, à savoir que les régimes qui se sont succédé en France dans la seconde moitié du xixe siècle ont tous considéré l’entreprise des pèlerinages français en Terre sainte comme un élément constitutif de l’exercice du Protectorat. Aucun d’entre eux toutefois n’est allé aussi loin dans ce sens que la République des années 1880-1890, en dépit de relations déjà tendues avec l’Église, cette attitude se perpétuant pour l’essentiel au cours des années 1900 alors que la tension entre cléricaux et anticléricaux atteignait son paroxysme. Pour résoudre le paradoxe, il faut évidemment en revenir au plan des intérêts respectifs qui ne relèvent pas seulement, comme on le dit généralement, d’une stratégie d’influence ou d’apostolat à l’extérieur, mais aussi, de la part de l’État impérial et républicain, de calculs de politique intérieure visant à modérer l’opposition des milieux catholiques.
47Mais on a surtout cherché à comprendre dans ces pages pourquoi les acteurs se sont prêtés au jeu. Du côté des représentants français, l’affaire paraît assez simple. Sans doute n’ont-ils fait qu’obéir, comme il se doit, aux consignes du gouvernement du moment. Mais le Quai veille aussi à nommer à Jérusalem de bons catholiques ; il n’hésite pas à prolonger très au-delà de la normale le mandat d’un consul comme Ledoulx, particulièrement apprécié des missionnaires et des pèlerins. Autrement dit, les titulaires du poste sont manifestement choisis pour leur capacité, leur propension même, à appliquer en Terre sainte cette politique d’« entente cordiale » entre le politique et le religieux qui n’est pas de mise en France.
48Du coup, pour les pèlerins et leurs guides, la Palestine revêt un air de cette France chrétienne d’antan, un goût de ce paradis perdu après lequel ils languissent de toute leur âme blessée. « Au milieu des troubles contemporains, confie le père Bailly au consul Ledoulx, la Terre sainte a été l’oasis de la France chrétienne72 ». Tous expriment des sentiments de bonheur, de soulagement, de libération même, à constater la liberté et le respect dont ils se trouvent entourés en Terre sainte en tant que chrétiens et Français, à l’ombre de la puissance tutélaire de la patrie. Non sans étonnement, mais avec un plaisir non dissimulé, l’abbé Landrieux, pèlerin de 1892, note que l’on y tient « un langage que nous ne sommes plus accoutumés d’entendre dans les régions officielles73 », tandis que le chanoine F. Béréziat se trouve après une réception consulaire « [reposé] des tristes défiances des relations officielles dont on est témoin sur le sol même de la Patrie74 ! » Pour les catholiques intransigeants de la fin du siècle, citoyens marginalisés, mal aimés et incompris75, la Palestine, terre de bienfaits spirituels, est aussi une terre de réconciliation avec l’idée qu’ils se font de la France et de retrouvailles avec elle, un lieu où ils peuvent être pleinement eux-mêmes : des chrétiens et néanmoins des patriotes ardents, soucieux de servir la cause de leur pays.
Notes de bas de page
1 Parmi les publications relevant plus ou moins du genre hagiographique, citons Lacoste, E., Le père François Picard, second supérieur général de la congrégation des augustins de l’Assomption, 1er octobre 1831-16 avril 1903, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1932 ; Monval, J., Les Assomptionnistes, Paris, Grasset, 1939 ; Guy, M., Vincent de Paul Bailly, fondateur de « La Croix ». Cinquante ans de luttes religieuses, Paris, La Colombe, Éditions du vieux colombier, 1955 ; Kokel, R., Vincent de Paul Bailly. Un pionnier de la presse catholique, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1957.
2 Rien par exemple à ce sujet in Latreille, A., Delaruelle, E., Palanque, J.-R., Rémond, R., Histoire du catholicisme en France, Paris, SPES, 1962, t. III, ou in Lebrun, F. (sous la dir. de), Histoire des catholiques en France du xve siècle à nos jours, Toulouse, Privat, 1980. À ma connaissance, le sujet n’est vraiment abordé que dans l’ouvrage de Chélini, J. et Branthomme, H., Les Chemins de Dieu. Histoire des pèlerinages chrétiens des origines à nos jours, Paris, Hachette, 1982, dans le chapitre « Au temps de la République 1875-1914. Les pèlerinages de pénitence en Terre sainte », p. 339 sq.
3 L’expression est empruntée à une brochure publiée en 1937, 69e pèlerinage national à Jérusalem sous le patronage de Saint-Louis organisé par le comité des pèlerinages nationaux en Palestine. Départ 4 août 1937-retour le 7 septembre, Archives diplomatiques de Nantes (désormais ADN), Jérusalem, Consulat général, Série B, 153.
4 Le calvaire de Megève fut ainsi érigé en 1840 à l’initiative d’un pieux curé savoyard pour permettre aux « petits » de pèleriner en un lieu évoquant la Passion. C’est également au xixe siècle que l’on aménage dans la cathédrale d’Amiens un labyrinthe où les pèlerins peuvent parcourir le chemin de croix d’une distance réputée identique à celui de la Ville sainte.
5 Le comité d’organisation loge à la même adresse que le secrétariat de la société de Saint-Vincent de Paul (Pages d’archives, novembre 1963, « Le père François Picard », chapitre V, p. 228 sq.).
6 La taille des groupes est sujette à de grandes variations. Selon la correspondance consulaire, la caravane de septembre 1858 ne compte que douze membres, et celle de Pâques 1866 huit seulement, presque tous ecclésiastiques dans les deux cas. En 1864, elle réunit en revanche trente-deux participants (dont six ecclésiastiques), si l’on se fie au décompte de J. G. D’Aquin in Pèlerinage en Terre sainte, Paris, Gaume Frères et Duprey éditeurs, 1866.
7 Le vicomte de Puységur préside par exemple la caravane du printemps 1854, le duc de Lorge celle du printemps 1859, le comte de Rohan-Chabot celle de 1863 et M. Beauchesne de la Morinière celle de 1864. Parmi les douze participants du pèlerinage de septembre 1858, onze sont des ecclésiastiques ; l’abbé Casse-Bigeon assure d’ailleurs sa présidence (ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettre du consul au Département du 22 septembre 1858).
8 En 1854, le Patriarcat latin estime à 10 000 ou 12 000 les pèlerins chrétiens non catholiques.
9 Le 6 février 1874, Mgr Poyet, vicaire général du patriarche, écrit, désabusé, au vice-président du comité de la rue Furstemberg et président de la conférence de Saint-Vincent de Paul de Paris, Adolphe Baudon : « Qu’est-ce que 600 pèlerins, qu’est-ce que 1 200 pèlerins en vingt ans en y joignant les pèlerins arrivés des autres parties de l’Europe, comparés aux 150 000 pèlerins schismatiques ? Je devrais dire 200 000. » (Pages d’archives, juin 1963, « Le père Vincent de Paul Bailly et les pèlerinages en Terre sainte »).
10 En 1873, la caravane ne réunit que dix-huit personnes (douze hommes et six femmes), et après plusieurs années d’interruption, vingt-cinq en 1879.
11 À la VIIe assemblée des catholiques de France qui se tient à Paris le 15 juin 1878, L. de Baudicour, secrétaire général de l’œuvre de Saint-Louis du Liban en faveur des maronites, émet des vœux dans ce sens. Cf. Chélini, J., Branthomme, H., op. cit. « Je viens d’apprendre, écrit par ailleurs Mgr Poyet à Gauthier de Caubry du comité de la rue Furstemberg, (...) que beaucoup de personnes laïques, beaucoup de prêtres, se sont adressés au comité général des pèlerinages rue François Ier, et lui ont demandé d’organiser sur une grande échelle des pèlerinages pour la Terre sainte et à des conditions plus avantageuses que celles obtenues par votre comité » (Pages d’archives, juin 1963, op. cit.).
12 Dès 1876, l’assemblée générale des catholiques du Nord et du Pasde-Calais avait souhaité que les assomptionnistes se chargent des pèlerinages en Terre sainte, vœu transmis dans une lettre en date du 31 janvier 1876 par M. Champeaux au père François Picard, le directeur du conseil général des pèlerinages. Parmi ceux qui pressent ce dernier d’accepter, l’abbé René Tardif de Moidrey, chanoine à Metz avant 1870 (il meurt en 1881), et son frère André. Avocat général à Caen en 1880, ce dernier donne sa démission lors de l’expulsion de France des congrégations non autorisées pour se consacrer à la direction du domaine familial d’Hannoncelles dans la Woëvre (Lorraine). C’est à l’invite de Mgr Poyet, vicaire général du Patriarcat latin, que A. Baudon (cf. note 9) contacte à nouveau les assomptionnistes. Quant à Léon XIII, élu en 1878, il pèse personnellement dans cette affaire : « Le père Picard, écrit-il à André Tardif de Moidrey, organise très bien les pèlerinages ; je serais très heureux qu’il se charge avec ses religieux de conduire les pèlerins de Terre sainte. » Recevant, le 13 décembre 1881, le pèlerinage français de Rome, le pape donne expressément sa bénédiction au projet, et le 6 mars 1882, adresse au père Picard, successeur depuis novembre 1880 de l’abbé Emmanuel d’Alzon, fondateur et premier supérieur général, un Bref accordant au pèlerinage de Jérusalem des indulgences et des facultés diverses (Pages d’archives, novembre 1963, op. cit.).
13 L’ordre compte en novembre 1880 43 profès dont 27 prêtres, une quinzaine de novices et quelques convers. En 1914, ses effectifs atteignent 675 prêtres, français pour la plupart. Sur l’ordre en général et en particulier sur son empire de presse, La Maison de la Bonne Presse, on se reportera à l’ouvrage classique de Sorlin, Pierre, La Croix et les Juifs (1880-1899). Contribution à l’histoire de l’antisémitisme contemporain, Paris, Grasset, 1967, Soetens, C., « Le père d’Alzon, les assomptionnistes et les pèlerinages », in Emmanuel d’Alzon dans la société et l’Église du xixe siècle, Paris, 1982, pp. 301-321, Lebrun, J., « Le père Vincent de Paul Bailly », in Cent ans d’histoire de La Croix 1883-1983, Paris, 1988, pp. 37-45, ainsi qu’aux ouvrages cités note 1.
14 Rémond, R., La Droite en France de la Première Restauration à la Ve République, t. I, 1815-1940, Paris, Aubier/Montaigne, 1971, édition revue, augmentée et mise à jour en 1982, pp. 141-144. Michel Lagrée cité in Lebrun, F. (sous la dir. de), op. cit., p. 365. Se référer également à Gadille, Jacques, Libéralisme, industrialisation, expansion européenne 1830-1914, t. XI de l’Histoire du christianisme des origines à nos jours, sous la direction de Jean-Marie Mayeur, Charles Pietri, André Vauchez, Marc Venard, Paris, Desclée de Brouwer, 1995.
15 Sur la loi de 1879 portant création des Écoles normales d’instituteurs, celle à la collation des grades (réservée aux Établissement supérieurs publics) et le décret de 1880 ordonnant la dissolution des jésuites et l’obligation faite aux autres congrégations de demander une autorisation, les lois de 1881 et 1882 sur la gratuité scolaire et la laïcisation des programmes et surtout leurs retombées politiques, se reporter à Mayeur, Jean-Marie, La Vie politique sous la IIIe République, 1870-1940, Paris, Éditions du Seuil, 1984.
16 Le pèlerinage inaugural de 1882 compte 1 013 membres exactement ; celui de 1893 revêt un caractère exceptionnel car il coïncide avec le grand congrès eucharistique de Jérusalem.
17 Observations faites selon les listes de membres publiées dans certains récits de pèlerinage et les indications éparses contenues dans cette littérature. La présence de nombreux curés s’explique par l’institution du système dit du « pèlerin du désir » : des personnes empêchées de faire elles-mêmes le pèlerinage pouvaient, en échange de certains bénéfices spirituels, financer le voyage d’un pèlerin impécunieux, un clerc généralement.
18 ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettre du consul au Département, Jérusalem, 1er septembre 1843.
19 Ibid., lettre du consul au Département, Jérusalem, 12 octobre 1843.
20 Ibid., lettre du consul en date du 1er septembre 1843, op. cit. Dans sa lettre en date du 12 octobre, op. cit., le consul ajoute que « les bienfaits du gouvernement en cette circonstance auraient pour effet inévitable d’appeler sur le Roi et la France les bénédictions des chrétiens de Palestine et d’accroître par là même notre influence politique ».
21 ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettres du consul Barrère à la Direction politique et à l’ambassadeur de France à Constantinople, toutes deux en date du 10 mai 1859.
22 Ainsi en 1857, le consul obtient, via l’ambassadeur à Constantinople et le consul Outrey à Damas, l’envoi de 800 gendarmes turcs à Jérusalem avant la Semaine sainte. Il ajoute : « Malgré le concours énorme de pèlerins des autres communions chrétiennes (10 000 à 12 000 environ) et malgré la coïncidence entre leurs offices du Dimanche des Rameaux et ceux de la Pâques des latins qui se célèbrent cette année le même jour, tout s’est passé avec ordre et avec dignité et sans la moindre collision. Ce résultat est dû à l’exécution parfaite des mesures prises de concert avec nous par le colonel Riza Bey et ses officiers, et aussi à l’esprit de conciliation et de charité chrétienne que j’ai eu le bonheur de voir régner entre le patriarche latin, Mgr Valerga (qui en avait d’ailleurs donné l’exemple), l’archevêque grec de Pétra et le patriarche arménien. » (ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettre du consul au ministre, Jérusalem, 14 avril 1857). L’année suivante, Edmond de Lesseps, consul à Damas, averti de troubles en Samarie et en Galilée, dissuade la caravane de rallier Beyrouth par voie terrestre, via Naplouse, comme d’ordinaire (ibid., lettre du consul au ministre, Jérusalem, 22 septembre 1858).
23 Gardes employés par les consuls et les dignitaires religieux.
24 C’est le cas par exemple d’Edmond de Barrère, lui-même archéologue distingué, selon le témoignage de J. G. D’Aquin, op. cit., chapitre IV.
25 Cf. ibid., lettre du consul au ministre, Jérusalem, 3 avril 1866 : le consul rend hommage au général commandant de la subdivision militaire de la province et du chef de bataillon Hussein Aga qui a été « en communication de tous les instants avec nous ». Il demande en récompense de ses services depuis des années à Bethléem et Jérusalem qu’on lui décerne « une arme d’honneur (...) en souvenir de l’empressement qu’il nous a montré en toutes circonstances ». Il signale en outre le zèle de M. Rougon, drogman chancelier intérimaire, et de M. Yohanna Carlo Gellat, vice-drogman auxiliaire du consulat. De même l’année suivante, il demande la promotion pour mérites de M. Lacan, vice-drogman, et souhaite vivement voir récompenser de la croix de la Légion d’Honneur le colonel Aly Bey, déjà décoré par les souverains d’Italie et d’Espagne, « qui, depuis dix ans, partage avec nous, le souci de maintenir l’ordre public, de la sécurité de notre clergé et de nos pèlerins » (ibid., lettre du consul au ministre, Jérusalem, 8 mai 1867).
26 À partir de 1869, la correspondance consulaire conservée n’aborde plus la question.
27 Langlais, par exemple, est littéralement pris de panique en 1882 à l’idée de voir arriver mille pèlerins, dont plusieurs centaines de clercs. ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettre du consul Langlais à la Direction politique, Jérusalem, 23 mars 1882. Il arrive que le ministère accorde au consul une rallonge de crédits pour lui permettre de mieux assurer la sécurité des pèlerins, comme en 1893 (ibid., du Département au consul général de France, Paris, 16 décembre 1893).
28 Point d’aboutissement de la ligne ferroviaire Jaffa-Jérusalem ouverte en 1892 par une société française.
29 Nombreux sont les souvenirs et récits de pèlerins qui en portent témoignage. Certains, très impressionnés par son éloquence, vont même jusqu’à reproduire in extenso le discours du consul, comme Mme J. Motais-Avril, Pèlerinage 1893-1894. Jérusalem et ses merveilles, Angers, Imprimerie Lactèse et Cie, 1895 (reproduction du discours prononcé par Charles Ledoulx en 1894 à Notre-Dame de France).
30 L’allocution prononcée par le consul de France de Jérusalem le 10 juin 1886 à la réunion des pèlerins (manuscrit, ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124) est caractéristique de cette éloquence intéressée : le consul rappelle explicitement l’exemple de M. Guimet de Lyon, membre de la première caravane et fondateur de l’hôpital Saint-Louis de Jaffa. On trouve également dans ce dossier le brouillon de son allocution de 1887 ainsi que le texte prononcé en 1888, imprimé cette fois par les soins du comité des pèlerinages de Bordeaux sous le titre : Discours de M. le consul général de France à Jérusalem, sous la tente, au pied de l’hôtellerie Notre-Dame de France, mai 1888.
31 Le discours de 1888 (ibid.) a été imprimé par les assomptionnistes dans l’intention de prolonger son effet en France même. Il ne semble pas que l’opération ait été renouvelée, sans doute parce que la diffusion de ce texte, dans le climat de l’époque, pouvait être embarrassante pour le consul et son administration. Comme le lui avait écrit le père Bailly en 1888, « nous imprimons [...], avec prudence, votre discours pour soutenir le bon mouvement organisé [mot difficile à déchiffrer] par le pèlerinage » (ibid., lettre du père Bailly au consul Ledoulx, Paris, 10 juin 1888. Les mots soulignés le sont par nous).
32 Dans sa lettre du 10 juin au consul (ibid.), le père Bailly l’informe qu’il va rencontrer le ministre des Affaires étrangères, Gabriel Charmes, vraisemblablement pour plaider la cause de Notre-Dame de France. Cette démarche a été visiblement concertée avec Ledoulx lors du dernier pèlerinage de printemps. Dans une lettre postérieure, le père Bailly le remercie « de la subvention annoncée » (ibid., lettre du père Bailly à Ledoulx, Paris, 7 novembre 1891) ; cette même lettre évoque des conversations, toujours au sujet de Notre-Dame de France, entre le père Picard et Paul Cambon, alors ambassadeur à Constantinople : « Je crois qu’il sera favorable. » Une autre lettre encore signale l’obtention d’une allocation de 2 000 francs (ibid., lettre du père Bailly à Ledoulx, Paris, 23 avril 1892). Ces efforts finirent par porter leurs fruits : dès 1888, des pèlerins peuvent trouver abri à Notre-Dame de France, même si l’ensemble du majestueux bâtiment – avec sa chapelle et son réfectoire – ne fut achevé qu’une dizaine d’années plus tard. Sur l’histoire de cet établissement, voir Trimbur, D., « Une présence française en Palestine : Notre-Dame de France », Bulletin du Centre de recherche français de Jérusalem, 3, automne 1998, pp. 33-58.
33 Ibid., lettre du père Bailly à Ledoulx, Paris, 11 août 1889.
34 Ainsi le consul Langlais signale-t-il au ministre, entre autres exemples, la bannière que s’acharne à vouloir brandir le comte de Belcastel, président du pèlerinage de 1882, portant d’un côté la devise « Servire Domino Christo », et de l’autre une grande croix rouge et « Dieu le veut » (ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettre du 17 mai 1882). « Le Sultan, écrit l’ambassadeur à Constantinople au consul de France à Jérusalem, se montre ému du pèlerinage organisé par les assomptionnistes et dont les membres arborent des vêtements ou des signes religieux extérieurs rappelant les Croisades. Veillez à ce qu’aucune manifestation ne se produise qui puisse éveiller la susceptibilité des Musulmans » (Id., 125-127, lettre de l’ambassadeur Constans au consul à Jérusalem, Péra, 6 mai 1899).
35 Pieusement ramenées en France, ces croix sont ensuite dressées dans différents lieux consacrés, au milieu de grands rassemblements populaires.
36 En 1890 par exemple, le ministère s’alarme du danger éventuel « pour la population chrétienne en Palestine à montrer à plusieurs reprises dans les quartiers les plus fanatiques de Jérusalem, des Croix de la dimension de celles que les pèlerins ont portées cette année sur la Via Dolorosa » (ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, lettre de la Direction politique (sous-direction du Midi) au consul Ledoulx, Paris, 12 juin 1890).
37 De fait les autorités turques rappellent à diverses reprises la prohibition légale des processions non musulmanes, histoire, sans doute, d’obtenir des gratifications supplémentaires.
38 ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124, « Extrait de la dépêche du consulat à la Direction politique sous le n° 116 », 9 avril 1863.
39 Ibid., lettre du consul à la Direction politique, Jérusalem, 22 avril 1869. Les citations suivantes proviennent de ce document.
40 Ibid., lettre du consul Langlais au révérend père Alexandre Chilier des augustins de l’Assomption à Philippipoli, Jérusalem, 8 février 1882. Le père Chilier devait se rendre dans la Ville sainte pour préparer le pèlerinage au nom du père Picard. La participation, alors estimée à quelques centaines d’individus, atteindra en réalité le millier.
41 Ibid. La phrase est soulignée dans le texte.
42 Ibid., lettre du père Picard au consul Langlais, Paris, 13 mars 1882. Le consul reçut les mêmes assurances des deux délégués dépêchés en Palestine en mars par le comité d’organisation du pèlerinage, M. de Moidrey et Bernard Bailly, frère du supérieur général des augustins de l’Assomption et ancien officier de marine (ibid., du consul Langlais à la Direction politique, Jérusalem, 23 mars 1882).
43 Ibid., lettre du consul Langlais au ministre, Jérusalem, 12 avril 1882.
44 Ibid., lettre du consul Langlais à la Direction politique, Jérusalem, 23 mars 1882.
45 Ibid., lettre du consul Langlais au Département, Jérusalem, 12 avril 1882.
46 Ibid., lettre du consul Langlais au Département, Jérusalem, 17 mai 1882.
47 Ibid.
48 Ibid., lettre du consul au père Picard, Jérusalem, 4 mai 1882.
49 Ibid., lettre du consul au ministre des Affaires étrangères, Jérusalem, 17 mai 1882. Langlais précise en effet dans ce courrier que « trois pèlerins de la caravane port[aient] les couleurs nationales en tête du cortège ».
50 Ibid., lettre du consul Langlais au ministre des Affaires étrangères, Jérusalem, 31 mai 1882.
51 Ibid., lettre du consul Langlais au ministre, Jérusalem, 17 mai 1882.
52 Ibid., lettre de M. de Moidrey à Langlais, Paris, 29 septembre 1882 : suite aux démarches du père Picard, le Vatican attribue des brevets de Saint Grégoire au consul, au drogman Bertrand, ainsi qu’au comte de Piellat, une grande figure de l’influence française en Palestine, mêlé de près notamment à l’édification de l’hôpital Saint-Louis de Jérusalem dans la décennie précédente.
53 Ibid., lettre du père Bailly au consul Ledoulx, Paris, 9 avril 1890 : « Nous n’avons pas cru pouvoir admettre dans notre Bateau la caravane allemande composée de 18 membres » ; lettres de la Légation de France à Luxembourg au consul général de France à Jérusalem, Luxembourg, 17 mars 1891, et du père Bailly à Ledoulx, Paris, 28 mai 1891.
54 Ibid., lettre du 11 mars 1883.
55 Ibid., Aux Amis de la Croix, brochure éditée par le comité des pèlerinages de Bordeaux, 1888.
56 Ibid., Allocution prononcée par le consul de France à Jérusalem, le 10 juin 1886, op. cit.
57 Ibid., lettre du père Bailly au consul Ledoulx, 9 avril 1890.
58 Ibid., lettre du consul au vice-consul à Jaffa, Jérusalem, 11 mars 1883.
59 Ibid., lettre du père Picard au consul Langlais, Paris, 8 mars 1883. Dans sa réponse du 19 avril 1883, le consul déclare avoir été « tout heureux d’apprendre par votre lettre du 8 mars que suivant tout espoir, les barrières allaient tomber et que la Palestine serait enfin ouverte à toutes les Congrégations. Là est le salut [...]. Quelques jours après la réception de votre lettre, un Rescrit adressé au père Mathieu Lecomte est venu confirmer cette espérance. Il a surpris bien des gens, qui ont fait comme on dit bonne mine à mauvais jeu. À quand votre entrée officielle en Palestine ? Tenez-moi, je vous prie, au courant, et si un coup d’épaule est nécessaire pour précipiter le dénouement, faites-moi un signe et je donnerai le coup d’épaule de toutes mes forces. »
60 Ibid., lettre du père Bailly au consul Ledoulx, Paris, 9 avril 1890.
61 Ibid., lettre du père Bailly au consul Ledoulx, Paris, 22 novembre 1890.
62 Ibid., lettres du père Bailly à Ledoulx, Paris, 11 août 1889 et 3 juin 1890. Comme l’explique le religieux dans la première de ces lettres, « nous nous souvenons que vous considérez Mgr Piavi comme un adversaire de la France » ; « sans doute, concède-t-il, nous n’avons pas la prétention de faire nommer un patriarche, mais le pape tiendra un certain compte d’un veto mis sur un nom ». Il n’en fut rien puisque Mgr Piavi devint bel et bien le nouveau patriarche.
63 Divers documents à ce propos in ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 122-124.
64 Parmi bien d’autres documents montrant l’intimité des rapports entre les dirigeants assomptionnistes et en particulier le consul Ledoulx, voir ibid., lettre du père Bailly au consul, Paris, 29 avril 1892.
65 Pierre Sorlin, op. cit.
66 On trouvera divers documents relatifs à ce pèlerinage dans ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 124-127, ainsi que Série B, 153.
67 Le phénomène s’amorce en 1898 et prend de l’ampleur dans la décennie suivante. Cf. Ibid., lettre du consul au Département, Jérusalem, 30 septembre 1898 ; ibid., « Mouvement des pèlerinages vers Jérusalem », note non signée, (septembre) 1905.
68 ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 125-127, compte rendu manuscrit des faits et gestes du consul lors du pèlerinage du 1-13 juin 1902 en date du 13 juin 1902. Le diplomate a tenu, semble-t-il, à disposer d’une trace pour justifier éventuellement son comportement devant son administration. Le terme « individuellement » est souligné par lui.
69 Ibid., lettres du père Bailly au consul, Paris, 9 août 1899 et 4 avril 1900.
70 Ibid., lettre du consul au directeur de la Direction du Levant, Jérusalem, 22 septembre 1908.
71 L’expression est empruntée à la brochure éditée par les assomptionnistes, 1901. Pèlerinage du Jubilé. XXIe pèlerinage populaire de Pénitence 26 avril-7 juin, in ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 125-127.
72 ADN, Jérusalem, Consulat général, Série A, 125-127.
73 Au pays du Christ. Études bibliques en Égypte et en Palestine, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1895, p. 249.
74 Le Voyage charmeur. Impressions. Épisodes. Récits de pèlerinage, Lyon, Paris, Librairie catholique Emmanuel Vitte, 1911.
75 Cf. Lagrée, Michel, « Exilés dans leur patrie », in Lebrun, F., op. cit., p. 369 sq.
Auteur
Ancienne élève de l’École normale supérieure (Ulm/Sèvres), est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Poitiers, actuellement accueillie en délégation au CNRS. Elle a notamment publié La France et le sionisme, 1897-1948 – Une rencontre manquée ? (Paris, 1992) et dirigé Jérusalem 1850-1948 – Des Ottomans aux Anglais : entre coexistence spirituelle et déchirure politique (Paris, 1999).
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