Religion et politique en Palestine : le cas de la France à Abou Gosh
p. 280-308
Texte intégral
1Il existe peu de reconstitutions fidèles des motivations précises qui préludent à la mise en place des multiples établissements religieux et nationaux de Jérusalem et de ses environs1. Dans ce domaine, il est un fait reconnu : c’est l’imbrication étroite de la religion et de la politique. Si l’on connaît à peu près la macro-histoire de ces implantations étrangères en Terre sainte, ce sont en particulier les études de cas précis qui permettent de soupeser la complémentarité, mais aussi les tensions qui existent entre religion et politique, les deux principaux éléments intervenant dans la mise en place de ces institutions. Dans le cas présent, Abou Gosh, on peut citer la présentation générale du site par Haïm Goren, avec description sommaire, relevant principalement de l’histoire géographique2.
2Pour aller plus loin dans ce domaine précis, on peut analyser la combinaison d’éléments qui a abouti à la création, au début de ce siècle, d’un prieuré bénédictin sur une terre nationale française, dans la périphérie de Jérusalem. Nous nous pencherons ainsi sur les éléments préalables à cette installation, mais aussi sur les différentes missions d’un tel établissement : pour cela on peut mettre en évidence une double perspective qui doit mettre en relief les intérêts en jeu :
- l’utilisation de la religion par la politique ;
- l’utilisation de la politique par la religion.
3Avant tout il s’agit de présenter ce que signifie un tel site au départ, et comment il a attiré l’attention de la France et des communautés religieuses. Cette étude doit permettre ensuite d’évaluer ce qui a pu primer dans la négociation relative à Abou Gosh.
Préalables
Le don de l’église d’Abou Gosh à la France
4Abou Gosh, sous l’une de ses multiples dénominations, fait intimement partie du paysage de la Terre sainte ou de la Palestine. Lieu polyvalent, il est entré dans l’histoire à de nombreux titres : lieu de dépôt de l’Arche d’Alliance, lieu supposé d’Emmaüs de l’Évangile, camp militaire romain, gîte d’étape arabe3. Pour les voyageurs et les pèlerins français du xixe siècle, c’est surtout sa mauvaise réputation qui prime. Chateaubriand parle ainsi de sa population, « la plus puissante des montagnes de Judée », comme de celle qui « ouvre et ferme à volonté le chemin de Jérusalem aux voyageurs4 ». Ces caractéristiques sont reprises presque mot pour mot par Lamartine et marquent encore les consciences à la fin du siècle.
5Derrière l’effroi feint ou réel décrit par ces personnages illustres, apparaît une église. Celle-ci, détournée de sa fonction originelle, témoigne d’une grandeur passée, celle du royaume latin de Jérusalem. À la fin du xixe siècle, cette église harmonieusement représentée par l’aquarelliste britannique David Roberts, est française. Elle l’est du fait d’une négociation commune à cette époque : dans l’Empire ottoman, éternel « homme malade de l’Europe », les puissances étrangères se disputent chaque pied de terre et exigent des compensations à chaque concession faite à l’une d’entre elles. En l’occurrence, le statu quo a fait que l’attribution aux Grecs orthodoxes de l’église de Lydda a été équilibrée par le don de l’église d’Abou Gosh à la France catholique, en 18735. Ce qui doit permettre à celle-ci d’être en mesure de « mieux supporter ce qui, sans aucun doute, doit se préparer du côté de la Russie6 ». Mais Paris souhaite alors éviter toute proclamation de victoire, afin de ne pas éveiller d’autres convoitises7.
Montée de l’intérêt pour la basilique
6La France paraît si peu soucieuse de se mettre en avant qu’elle semble oublieuse de la valeur de l’église dont elle est désormais la propriétaire. Ainsi, reconnue comme une représentation exemplaire de l’art croisé en Terre sainte8, la bâtisse ne bénéficie pas des soins apportés à une autre église croisée de la région, domaine français depuis 1856, Sainte-Anne de Jérusalem. Après une proposition de la confier aux franciscains, en gage de bonne volonté à l’égard de la Custodie de Terre sainte9, elle est plus ou moins laissée à l’abandon. À tel point que l’édifice éveille la pitié générale à la fin du siècle. Alertée par le consul de France à Jérusalem10, l’administration française étudie, au début des années 1890, la possibilité de travaux de restauration11. La signification du bâtiment n’est pas seulement artistique, puisque l’on en reconnaît alors l’importance « au point de vue de nos intérêts politiques12 ».
7L’intérêt de Paris ne semble toutefois pas encore excessif13, malgré les sollicitations d’un prêtre français, l’abbé Moreau (de Saint-Léger Vauban, Yonne, près de l’abbaye de la Pierre qui Vire), qui a fait le pèlerinage de Terre sainte14. À la fin du xixe siècle les témoignages insistent sur l’état pitoyable de l’église : le représentant français à Jérusalem parle de ruine prochaine et « irrémédiable », et en appelle à l’action pour « notre bon renom en Terre sainte15 ». Des échos similaires émanent de religieux français présents à Jérusalem16.
8Parmi ces derniers, certains déplorent l’abandon de ce monument d’une haute valeur archéologique. C’est le cas des assomptionnistes de Notre-Dame de France17. D’autres, comme les pères blancs de Sainte-Anne, se portent candidats à la reprise d’un édifice qui pourrait servir à étendre leur action. Après s’y être intéressés très tôt18, les disciples du cardinal Lavigerie s’attachent désormais à cette église pour en faire un lieu de villégiature destiné à accueillir leurs élèves du séminaire melkite19.
9On le voit, après vingt ans de négligence, il existe désormais une attention soutenue envers une propriété française en décrépitude, dont la garde est encore confiée aux descendants de la tribu qui a longtemps effrayé les voyageurs. Mais, rompant avec sa nonchalance antérieure, le gouvernement de la République française semble désormais se préoccuper sérieusement du sort de l’église d’Abou Gosh. Il faut dire que le contexte a changé. En particulier il ne semble plus possible de faire preuve de la même réserve qui avait prévalu après l’attribution à la France de la basilique, lorsque Paris avait tenu à ne pas s’en glorifier. La rivalité internationale et l’exacerbation des intérêts respectifs semblent à leur paroxysme et la Terre sainte paraît complètement sortie de l’assoupissement qui l’avait caractérisée au cours des siècles précédents.
10On remarque alors l’investissement grandissant de puissances traditionnellement rivales, mais surtout de la part de puissances présentes depuis relativement peu de temps en cette région. La France doit donc faire preuve de fermeté et apporter une réponse concrète aux audaces des autres nations.
Utilisation de la religion par la politique
La France à la recherche d’un second souffle en Palestine
11Dans la Palestine de la fin du xixe siècle, du fait de l’imbrication de la politique et de la religion, tout nouvel investissement étranger passe forcément par cette dernière. De ce point de vue, même pour répondre à des impératifs immédiats, un pays peut et doit utiliser un prétexte d’implantation de longue durée. C’est le cas d’une mission religieuse, qui illustre une certaine instrumentalisation de la religion par la politique. Le spirituel peut et doit se mettre au service du temporel, pour le plus grand bien du dernier20.
12C’est ce qui se passe dans le cas d’Abou Gosh. À ce moment, la France se trouve en période finale d’expansion en Terre sainte. Son potentiel atteint peu à peu ses limites : elle a multiplié ses établissements depuis la création de son consulat de Jérusalem, en 1843 ; elle a multiplié les attributions de ces institutions qui s’illustrent dans une grande variété de domaines ; elle s’est même imposée par des œuvres non chrétiennes, comme l’Alliance israélite universelle. Il s’agit alors pour elle de renforcer cette structure, de la compléter et de prouver à ses rivales qu’elle dispose encore d’atouts21. Par là, la France doit montrer qu’elle n’a pas fini d’être la puissance en Palestine, celle dont le protectorat séculaire exercé sur les catholiques est unique et indiscutable.
13Il est clair, dans ce contexte, que l’attribution à une communauté religieuse d’une propriété française, d’un « lieu de mémoire » français, ne peut se faire sans une réflexion profonde. Il en va de la responsabilité de la France, qui doit se montrer à la hauteur de la longue tradition que représente le symbole en question ; mais aussi de celle de la communauté religieuse, qui doit être digne de la mission hautement patriotique qui va lui être confiée par le pays d’origine.
14Dans le cas d’Abou Gosh, il y a évidemment la nécessité d’inscrire le nouvel établissement dans la continuité historique. Le symbole est d’autant plus important et fondamental pour l’image de la France en Palestine qu’il ne s’agit pas d’une création, mais de la reprise d’une tradition. D’autres institutions françaises contemporaines, comme Notre-Dame de France, sont tout aussi importantes pour la politique française, mais elles sont peu ou pas chargées historiquement : l’accueil réservé aux pèlerins et l’invention d’une tradition au travers de l’institution des assomptionnistes sont des données plus facilement gérables que la reprise d’un héritage. Comme le dit le marquis de Vogüé : « Dans l’immuable Orient, où rien ne change, les mêmes emplacements conservent les mêmes destinations, comme s’ils étaient consacrés par la tradition et par l’usage des siècles22. » Dans ce décalage on peut trouver certaines des raisons qui ont tant fait hésiter le gouvernement à confier la garde de l’église.
15Comme nous l’avons signalé plus haut, l’impulsion de départ est religieuse. Mais la mise en place du cadre dans lequel doit s’inscrire le nouvel établissement revient à la France officielle.
16Au cours des premières approches entre la France et les bénédictins de la Pierre qui vire, au début 1899, l’instrumentalisation de la religion par la politique apparaît clairement. C’est ainsi que les bénédictins deviennent, aux yeux des diplomates français, de « nouveaux collaborateurs à la tâche que nous avons entreprise23 ».
17Cet aspect de la relation entre autorités et moines s’impose au cours des négociations qui doivent aboutir à la fixation définitive de la mission des bénédictins français. Dans l’esprit des décideurs français, ce sont les moines qui sont les intermédiaires de la France, ils ne doivent pas avoir eux-mêmes un rôle directeur. La nécessité de bien répartir les tâches explique en partie la longueur des pourparlers entre la France et les religieux : des premiers contacts, au printemps 1899, entre le consul de Jérusalem et deux bénédictins, de passage en Palestine à l’occasion du pèlerinage de Palestine, du début officiel des négociations, en juillet 1899 à Paris, à la signature de la convention entre la France et les bénédictins, en août 1901.
18La perception officielle française du problème s’affine avec le temps, et le domaine en question entre dans la conception que l’on se fait alors des établissements religieux français de Terre sainte : ce sont les armes françaises dans la région24. Mais il s’agit de concrétiser alors les vœux exprimés dans des discours grandiloquents et de passer de la réflexion à l’action, de la théorie à la pratique.
La France à la recherche d’une communauté pour Abou Gosh
19Dans un premier temps est défini le cadre juridique de la collaboration entre la France et les religieux. S’il existe un précédent, celui de Sainte-Anne, le contexte politique interne à la France a évolué depuis cette époque. Il en va ainsi du statut des communautés religieuses qui sont passées sous le coup de la législation anticléricale. Puisque ces congrégations se sont « mises depuis lors dans une situation irrégulière à l’égard du gouvernement de la République, nous ne saurions traiter officiellement avec leurs représentants ». Pour parer à cet obstacle, une formule originale est trouvée : alors que des négociations officielles à Paris sont impossibles, des pourparlers à Jérusalem sont envisageables, « les Décrets de 1880 ne pouvant avoir effet en dehors de notre territoire25 ». Cette explication de texte juridique n’est qu’une autre manière d’indiquer ce que Gambetta avait déclaré quelques années plus tôt : l’anticléricalisme n’est pas une denrée d’exportation26.
20Par la suite, Paris doit trouver une communauté pour exécuter la mission de présence française à Abou Gosh. Or les religieux qui vont s’installer là doivent apporter toute garantie. Cela concerne tout d’abord l’état d’esprit de personnes destinées à être les porte-drapeaux de la France. Dans ce domaine, les écrits des bénédictins apportent le témoignage éloquent de ce que ces religieux s’inscrivent en plein dans la mentalité de l’époque, avec des prises de position d’un nationalisme qui peut aujourd’hui étonner. À cela s’ajoute, dans le contexte spécifique de la Terre sainte, l’inscription dans la filiation des croisés27.
21Mais l’état d’esprit seul ne suffit pas. La communauté qui doit se voir confier la garde d’Abou Gosh doit être française dans les faits. Le ministère des Affaires étrangères se montre de ce fait très méfiant face aux arcanes de l’ordre de Saint-Benoît. Contacté par des bénédictins français, ceux de la Pierre qui vire, acceptant la présence à Abou Gosh de bénédictins français, ceux de Notre-Dame de Belloc, la France veut garder un caractère exclusivement français à cette affaire. La convention envisagée pour l’église d’Abou Gosh doit consacrer ce principe : c’est une majorité de bénédictins français qui doit s’installer là, c’est avec eux qu’il faut conclure et non accorder des droits à la très italienne congrégation de la Primitive Observance28. Des conditions très strictes sont alors imposées aux moines : l’ambassadeur de France près le Saint-Siège indique ainsi que la basilique sera accordée à une congrégation française, composée de personnel français et l’église remise à des individus français29.
22Cette tendance exclusivement française s’impose dans la suite des pourparlers entre la France et les bénédictins. La convention définitive est signée entre le père Bernard Drouhin, représentant des bénédictins à Jérusalem, et le consul Auzépy le 12 août 1901. Le caractère français de l’établissement d’Abou Gosh est assuré, mais aussi celui de tous les bâtiments qui pourraient en dépendre.
Les préoccupations françaises dans l’attribution de la garde d’Abou Gosh
23Pourquoi la France prend-elle toutes ces précautions ?
24Le souci de Paris s’explique par le contexte local. Or celui-ci est fait plus que jamais de rivalités internationales. C’est pour cela que les considérations politiques l’emportent sur l’ouverture religieuse, et le souci de tolérance exprimé par les religieux ne peut s’accommoder des conditions de la Ville sainte30. Comme l’indique la Direction politique du ministère au début des négociations avec les bénédictins, cette affaire aurait un double avantage :
25« 1. – [...] assurer la restauration et l’entretien d’un édifice domanial intéressant, sans aucune charge pour l’État, en augmentant notre prestige national en Palestine.
262. – [...] faire rentrer dans notre sphère d’influence en Orient un ordre célèbre et important en prévenant les efforts tentés pour l’intéresser à une politique en opposition à celle de la France31. »
27Abou Gosh doit donc être un élément d’influence nationale, « catholique et française32 ». Par ailleurs, le nouvel établissement, qui peut apparaître comme le couronnement de la politique française en Palestine, répond parfaitement à l’idée du pèlerinage prônée par les assomptionnistes : le voyage dans les Lieux saints doit être l’occasion, pour les religieux intéressés, de parcourir le pays et de se rendre compte des potentialités d’une nouvelle implantation. La vocation est religieuse ; elle est aussi politique. C’est pour cela qu’elle est pleinement soutenue par les représentants de la France à Jérusalem et au Saint-Siège, comme par les fonctionnaires du Quai d’Orsay.
28Dans cette optique, selon le ministère, il s’agit tout d’abord d’éviter une tendance que l’on a pu observer dans d’autres établissements de la région. Comme on recourt de plus en plus au recrutement de moines parmi les éléments locaux33, il faut se garder de toute évolution qui pourrait amener à la mise en place d’établissements soi-disant français mais qui seraient en fait dirigés ou remplis de moines non-francophones. Comme l’écrit le consul Auzépy, « ce serait, je crois, une faute et une faute lourde, de livrer gratuitement un sanctuaire de la valeur de celui dont nous parlons pour l’instant, à une société étrangère, prête, sans nul doute, à profiter de pareille faveur, pour se parer, auprès de nos compatriotes, de son prétendu titre de “Française” et solliciter leur générosité, en vue de nouvelles fondations en Terre de Judée, toutes œuvres qui risqueraient fort, cela est évident, de ne s’inspirer que de très loin de notre esprit et de se transformer, à bref délai, en foyers ennemis, uniquement préoccupés de se soustraire à notre tutelle et de combattre notre influence34 ».
29Par ailleurs, la présence française ne peut être assurée en se cantonnant à une exclusive française à l’intérieur de l’établissement. Il s’agit de doter les moines de moyens de marquer leur présence dans leur environnement immédiat. Dans les descriptions anciennes du site, comme dans celles contemporaines à la création du prieuré bénédictin, on souligne que l’église est la seule entité chrétienne dans les environs. Comme ceux-ci sont habités par des « musulmans fanatiques », il faut pouvoir les amadouer d’une manière ou d’une autre.
30Cela passe par exemple par la création d’un dispensaire. Cette initiative, aux yeux de Paris, « facilitera à nos moines la mission de progrès qu’ils ambitionnent d’accomplir dans la région35 » et de « leur concilier le respect et la sympathie des Arabes du voisinage36 ». À cette fin, le Département accorde une indemnité qui sort du cadre prévu par la convention signée entre les deux parties, intitulée « indemnité de gardiennage37 ». Cette dénomination permet de rejoindre la tradition ancienne, celle qui avait été de donner aux villageois la garde des lieux. Comme cette mission n’existe plus, et pour calmer les ardeurs d’une population à la réputation farouche, la pratique du bakchich reste de vigueur : le dispensaire est résolument un moyen de s’attirer les suffrages de la populace. Quant aux cheiks locaux, ils recevront un beau fusil de chasse38.
31L’influence française passe aussi par la présence répétée des consuls successifs aux côtés des bénédictins, en toutes occasions39.
Un établissement dirigé contre les rivaux de la France en Palestine
32Mais contre qui est dirigée cette influence française ?
33L’implantation bénédictine peut apparaître comme une facette supplémentaire de la réaction française à la visite de Guillaume II à Jérusalem, quelques mois plus tôt. C’est un nouvel élément de la réponse « catholique et française » apportée à l’événement qui consacre définitivement l’entrée de l’Allemagne dans les affaires palestiniennes. L’idée de cette réponse existe depuis le passage même de l’empereur à Jérusalem40 ; elle se renforce l’année suivante au cours du pèlerinage français, moment auquel se concrétise l’option d’une réponse visible sur le terrain. C’est ainsi que la France décide d’utiliser exactement les mêmes armes que l’Allemagne.
34Par exemple, la visite de Guillaume a donné lieu à la remise en grande cérémonie de la parcelle dite de la Dormition aux catholiques allemands. À partir de ce moment, ceux-ci se mettent en quête d’une communauté à installer sur le terrain en question. Cette recherche aboutit à la désignation, en juillet 1899, de bénédictins allemands41. La future prise de possession par des disciples allemands de Saint-Benoît est un argument de poids en faveur de leurs homologues français, au moment de la prise de décision du ministère des Affaires étrangères, en ce qui concerne Abou Gosh : sur le théâtre d’opérations palestinien, le Département semble ainsi appliquer la loi du talion42.
35L’affaire ne concerne toutefois pas seulement la Palestine, et le Quai d’Orsay se soucie d’élargir le débat : au moment où la France s’engage dans les plus graves débats anticléricaux, il s’agit selon elle de franciser les ordres monastiques. On peut donc faire d’une pierre deux coups : obtenir une position supplémentaire en Palestine, mais aussi confirmer la prépondérance française au Vatican43.
36L’action anti-allemande se fait en deux temps, où la religion se met entièrement au service de la politique. Cela passe par un travail de fond au Vatican où il existe certaines oppositions à la place traditionnelle de la France en Orient, et à tout accroissement de son rôle dans les affaires de Terre sainte. Il en va ainsi lorsque certains dignitaires se refusent à suivre les indications du pape en faveur de la France. Le cardinal Ledochowski, ancien évêque de Posen44, dont dépend, pour l’Église catholique, l’attribution des missions à l’étranger, rechigne à l’établissement de bénédictins français à Jérusalem, pourtant demandé par le pape45. Pour faire face à ces oppositions incongrues, la France n’hésite pas à faire pression sur le Vatican et obtient du pape un motu proprio, acte pontifical qui permet de passer outre à toute réticence subordonnée46.
37Ces réticences, rapidement écartées, démontrent toutefois la réalité de difficultés qui s’imposent à la tâche de la France. Dans cette mesure il est possible de préciser contre qui doit jouer l’établissement qui doit être créé.
38Au Vatican, la France doit donc agir contre les cardinaux inféodés à l’Allemagne. À Jérusalem, c’est la même chose. Piavi, le patriarche latin, perçu comme un vieil adversaire de la France, est, semble-t-il, totalement sous influence allemande : cela ne s’est que trop manifesté lors de la visite de Guillaume II à Jérusalem, un an plus tôt.
39La prise de position du gouvernement français en faveur des bénédictins de la Pierre qui vire est aussi valable par la suite, lorsqu’est négociée la convention définitive qui consacre l’attribution du site d’Abou Gosh à ces moines. Ainsi, au moment où les négociations prennent du retard, le consul de France à Jérusalem utilise l’argument allemand pour favoriser une prompte solution47 : l’issue favorable à la France et aux bénédictins est d’autant plus urgente « que les bénédictins allemands, soutenus par leur gouvernement, annoncent à grand bruit, pour le mois de septembre, la pose solennelle de la première pierre du Sanctuaire de la Dormition48 ».
40Mais les événements de Palestine sont mouvants, et les initiatives des rivaux de la France, en particulier de l’Allemagne, sont multiples. Ce qui nécessite de nouvelles avancées françaises et des missions supplémentaires attribuées à la nouvelle communauté. Après la première victoire française, résidant dans les garanties apportées au caractère français de l’établissement d’Abou Gosh, la France voit poindre une autre menace. Car les bénédictins allemands, en charge de la Dormition, doivent aussi recevoir de nouvelles attributions pour justifier leur présence à Jérusalem : le gardiennage d’un lieu saint ne peut suffire à la renommée d’une congrégation et du pays qu’elle représente.
41La France essaie tout d’abord de contrecarrer ou de dédramatiser le projet d’une école biblique qui serait créée par les bénédictins allemands. Ainsi, selon le Département, on peut se rassurer de la relative innocence des disciples germaniques de Saint-Benoît, bien moins combatifs que d’autres religieux allemands49. Par ailleurs ce projet d’école biblique, consacrée principalement aux études savantes, ne ferait aucun mal à l’École biblique française qui pourrait même y trouver une source d’émulation50. De ce fait, l’exégèse à Jérusalem peut rester française.
Le séminaire syrien-catholique
42Après cette première alerte, qui ne concerne que peu les bénédictins français51, ceux-ci retrouvent directement leur rôle d’agents de la France. Car les bénédictins allemands s’intéressent de près à l’idée d’un séminaire syrien-catholique. Or la France connaît la force d’une telle institution pour en posséder elle-même une. La basilique nationale de Sainte-Anne est ainsi devenue en 1882 un séminaire grec-catholique, fonctionnant suivant un principe simple et efficace : la formation théologique, en français, de futurs prêtres locaux par les membres, français, d’un ordre, français, gardien du domaine, français, de Sainte-Anne. Les premiers résultats en sont probants et ne peuvent que susciter des jalousies.
43L’idée d’un séminaire syrien-catholique est ancienne. Elle est relancée au moment des négociations entre le ministère des Affaires étrangères et les bénédictins. La France est alors sollicitée par le patriarcat syrien-catholique, lui-même envieux des bienfaits français accordés aux melkites. Paris ne peut donc voir qu’avec satisfaction un client de la France réclamer encore plus d’attention, avec dès le départ des garanties de sa part d’un volontarisme pro-français, c’est-à-dire anti-allemand52. La demande syriaque est d’abord simplement enregistrée par le ministère. Elle est ensuite reprise activement lorsque les bénédictins allemands confirment leur attrait pour cette idée. La diplomatie française prend l’affaire en mains et suggère que, dans ce cas aussi, les bénédictins français se mettent au service de leur patrie. L’acquisition d’un terrain sur le mont du Scandale, sur les contreforts du mont des Oliviers, à la fin de 1900, constitue la première pierre du nouveau projet : les bénédictins s’inscrivent alors résolument dans la tradition suivie par les puissances et leurs établissements religieux de s’installer sur les hauteurs de Jérusalem pour s’imposer53. La signification de cette acquisition est encore plus nette dans la mesure où elle répond presque exactement à la pose de la première pierre par les bénédictins allemands de l’abbaye de la Dormition. L’instrumentalisation de la religion se poursuit donc : une initiative allemande est immédiatement suivie par une manœuvre française, et, dans les deux cas, ce sont les bénédictins qui servent d’agents.
44Paris met une fois de plus sa diplomatie en branle pour obtenir la concession de la part du Vatican. L’enjeu est d’importance, puisque au-delà de Jérusalem c’est toute la Syrie qui est concernée. Certes le bâtiment serait une nouvelle implantation française dans la Ville sainte, mais l’école en question enverrait les prêtres qu’elle aurait formés dans toute la Syrie, ce qui serait « dans l’avenir, un élément sérieux de développement pour notre influence ». L’idée en est d’autant plus attirante que le primat des bénédictins met tout son poids dans la balance pour imposer une solution allemande54, aidé qu’il est, une nouvelle fois, par le préfet de la Propagande, l’Allemand Ledochowski55. Alors que la décision finale du Vatican, favorable à la France, ne date que de la fin juillet 1901, Paris a d’ores et déjà pris ses précautions, en suivant le modèle de ce qu’elle a réussi à imposer pour Abou Gosh. Les bénédictins français sont décidément soumis à la volonté de Paris dans la mesure où la convention signée entre le ministère des Affaires étrangères et la congrégation de la Primitive Observance stipule une sorte de loi de pureté : la communauté installée à Abou Gosh doit être française, tout comme ses dépendances56. Le séminaire du mont du Scandale étant attribué à ces mêmes bénédictins, l’avenir français de cette nouvelle maison d’études est assuré.
45Élargissant la perspective, la France voit avec satisfaction dans cette solution la preuve que son influence au Vatican reste entière : si certains avaient voulu jouer la carte allemande, c’est le parti français qui l’emporte, après que Paris eut joué du même chantage qu’en novembre 1899. La France bénéficie de l’aide primordiale du pape Léon XIII57, mais surtout de la cheville ouvrière du Vatican, le cardinal et secrétaire d’État Rampolla.
46Cette opération est aussi synonyme d’un surcroît de prestige pour la France : son rôle de puissance protectrice des chrétiens d’Orient est plébiscité par les Syriens catholiques ; au même moment où il est renforcé sur la scène internationale par le diktat imposé à l’Empire ottoman, le traité de Mytilène du 12 novembre 1901. La France réussit d’ailleurs à faire inscrire la nouvelle fondation sur la liste des établissements français officiellement protégés58.
47Notons enfin que l’instrumentalisation de la religion par la politique ne s’embarrasse pas de l’anticléricalisme français. Alors qu’au même moment a lieu la relance de la législation anticongréganiste par le biais de la loi sur les associations, la France dépose auprès de la Sublime Porte la demande de firman, décret officiel qui permettra au séminaire syrien-catholique de fonctionner. Celui-ci est donc durablement perçu comme un élément d’influence française.
Les bénédictins comme auxiliaires zélés de la France
48Dans ces deux questions, attribution aux bénédictins de la garde de l’église d’Abou Gosh et de la gestion du séminaire syrien-catholique, quelle est l’attitude des bénédictins ?
49Dans l’ensemble, il apparaît que les bénédictins s’inscrivent dans l’air du temps. À l’instar d’autres communautés religieuses françaises de Jérusalem, le nom français l’emporte à leurs yeux sur toutes les réticences que peut inspirer la politique anticléricale de Paris59. Cette attitude est valable du début à la fin des négociations, avec en apparence une acceptation totale par la religion de son instrumentalisation par la politique : les bénédictins proclament que leur œuvre est éminemment française.
50Le père Drouhin, initiateur des contacts et acteur sur le terrain, fait ainsi preuve d’empressement patriotique dès les premiers temps60. Il s’exprime sur le modèle de toutes les déclarations catholiques et françaises de cette époque : les bénédictins sont au service de la France, qui est elle-même la fière héritière de la tradition croisée. Il vaut donc la peine de se soumettre « à un Ministre si préoccupé des intérêts français » et « de prévenir et de neutraliser au point de vue de l’influence catholique française, la fondation imminente d’œuvres bénédictines rivales61 ». Cette soumission des bénédictins ne peut en effet que servir à « travailler à étendre la noble influence de la France62 ». Dans les faits, assure-t-on, les bénédictins ne se contenteront pas de prier pour la France, puisqu’ils se veulent « le centre de l’œuvre française pour le rite syrien63 ».
51Cette ardeur pro-française prend de plus en plus d’ampleur avec le temps, en parallèle à la concrétisation de la menace allemande. Comme l’écrit Drouhin au moment où est négociée l’attribution aux bénédictins du séminaire du mont du Scandale, « la mission de la France et son ambition à l’étranger, sous le nom de Protectorat, doivent être d’attirer et de réunir sous une direction française forte, il est vrai, mais large et sûre, tous les concours. On a clairement vu à Paris que nos œuvres des Oliviers, conçues dans l’esprit que je viens de dire, étaient la meilleure manière de s’opposer aux œuvres de nos adversaires politiques64. » Le patriotisme des bénédictins est encore plus vif lorsque la concession du mont des Oliviers leur est acquise : c’est un succès « vraiment français » contre le primat des bénédictins, « personne inféodée aux intérêts allem[ands]65 ». Cette coopération entre la France et les disciples de Saint-Benoît est satisfaisante à l’échelle de la Palestine, puisqu’elle permet de s’imposer à la population locale par l’obtention d’une responsabilité prestigieuse66. Mais elle est aussi valable à l’échelle de la politique internationale : les bénédictins ne se satisfont pas d’une victoire locale, celle-ci n’a de sens que dans le renforcement de la position française dans l’Empire ottoman. C’est ainsi que Drouhin élargit la perspective et salue la « belle victoire que vient de remporter la Diplomatie française » avec le traité de Mytilène67.
52Mais cet enthousiasme des bénédictins français pour la cause nationale, qui n’est pas feint, ne recouvre qu’une partie de leur attitude dans l’affaire d’Abou Gosh. Il existe en effet des dissensions certaines entre les perspectives des deux parties à cette négociation, la politique et la religieuse.
Utilisation de la politique par la religion
53Dans les faits, il existe bien une instrumentalisation de la religion par la politique, comme nous venons de le voir. À l’inverse, il est possible de souligner que l’affaire d’Abou Gosh, avec son corollaire du mont des Oliviers, prouve aussi la volonté d’une instrumentalisation de la politique par la religion. Dans le cas des bénédictins, il existe alors une logique d’implantation à l’étranger, avec la création, peu auparavant, d’antennes en Amérique du Nord et du Sud : l’installation en Palestine doit donc permettre d’utiliser toutes les potentialités présentes, avec forcément une confrontation de points de vue entre les religieux et les responsables politiques.
Les bénédictins : des catholiques plus que des Français ? Des divergences ponctuelles
54Les divergences de vue apparaissent par exemple au moment des négociations. Depuis quelques années, il existe de manière générale un décalage entre les deux parties à la présence française en Palestine : représentants français et communautés religieuses. La nécessité de paraître solidaires efface le plus souvent les divergences, mais certaines crises les mettent en évidence. C’est ainsi qu’au moment et après la visite de Guillaume II, certaines voix religieuses françaises se sont élevées pour reprocher à la France de trop penser le protectorat en termes français et pas assez en termes catholiques68. Cette dichotomie réapparaît au moment où la France se fait pressante en ce qui concerne le statut exact de la communauté à laquelle doivent revenir Abou Gosh et ses dépendances : la « loi de pureté » exigée par Paris ne peut que rencontrer la suspicion des bénédictins. Si ceux-ci acceptent des exigences sévères pour la propriété nationale qu’est Abou Gosh ils ne peuvent admettre passivement l’application des mêmes critères au futur séminaire syrien-catholique du mont du Scandale69.
55Ces divergences sont dues à des difficultés ponctuelles, lorsque des religieux sortis de leur refuge des Pyrénées ou de Bourgogne ne peuvent que difficilement s’adapter à un milieu où jouent à plein les rivalités internationales. Un environnement où ils deviennent, nécessairement, les instruments de la politique des puissances70, et où ils sont soumis à la critique de l’État qui les commissionne71.
Des divergences fondamentales
56Mais ces divergences sont surtout dues à des perspectives fondamentalement différentes. La France et les bénédictins sont tous soucieux d’apporter une réponse « catholique et française » à l’offensive allemande. Mais cette réponse est un élément ponctuel qui s’inscrit dans une politique à court terme : le rétablissement du statu quo qu’il engendre ne peut durer que jusqu’à la prochaine acquisition de privilèges par l’Allemagne. Ainsi, l’attribution d’Abou Gosh aux bénédictins français, réglant en principe définitivement la question posée par celle de la Dormition à leurs homologues allemands, instaure un ordre immédiatement remis en cause par le souci d’attribuer aux bénédictins allemands la responsabilité d’une maison d’études bibliques ou la charge du séminaire syrien. Dans cet ensemble, les bénédictins français acceptent dans une certaine mesure de jouer le jeu, mais pour eux l’enjeu a aussi une dimension plus élevée.
57Il s’agit pour eux tout d’abord de recréer une tradition bénédictine en Palestine. Les bénédictins allemands et français sont en effet les dépositaires d’une lourde responsabilité. Leurs frêles épaules supportent un rude poids et tout leur rappelle l’héritage dont il leur faut se montrer dignes. Selon la coutume de cette époque, largement entretenue par les communautés et les représentants français, les congrégations sont les relais d’un passé prestigieux, franc et catholique. Dans les faits, si Abou Gosh n’a jamais connu de présence bénédictine, il n’en est pas de même du site du mont des Oliviers72. La mission des bénédictins dépasse donc le cadre de la politique très pragmatique voulue par la France, pour atteindre une dimension bien plus large. Cette conscience d’une tâche à partager permet d’ailleurs assez rapidement aux bénédictins français d’entrer en contact avec leurs homologues allemands73. Les négociations menées avec la France et la recherche par celle-ci d’une communauté à qui attribuer la garde du sanctuaire d’Abou Gosh fournissent une réelle occasion de passer à l’acte. En ce sens, on peut assister à un déplacement de l’initiative.
L’initiative des religieux et l’action de la France en leur faveur
58Quel est le but des religieux, et partant, les missions qu’ils donnent à la France ?
59Au-delà des discours patriotiques enflammés et adaptés à leur temps, le but des religieux porte sur le long terme. Il ne s’agit pas pour eux de s’installer temporairement en Palestine, mais bien de poser les fondements d’une implantation durable. Les acquisitions temporelles ne sont qu’un moyen de prendre le relais de traditions anciennes et glorieuses qui transcendent toute politique quotidienne74. C’est pour cela aussi qu’apparaît une certaine gêne de la part des bénédictins lorsque la France se fait insistante sur le statut de l’établissement à mettre en place : on sort peu à peu du domaine des affaires terrestres pour atteindre une dimension plus élevée, et la prise en compte de l’affaire par le Vatican illustre cette sublimation. Ce que les bénédictins désirent le plus, in fine, c’est une autonomisation par rapport au centre, c’est-à-dire par rapport à la politique de Paris75. De fait, la convention du 12 août 1901 doit assurer et rassurer la France, et les bénédictins s’occupent du reste : le caractère français de l’établissement d’Abou Gosh et de ses dépendances trouve sa confirmation dans les textes, dans la pratique il n’est toutefois pas question de se focaliser sur une exclusivité française.
60Autre mission religieuse : en optant pour une implantation à Jérusalem, les bénédictins semblent s’inscrire pleinement dans la « politique orientale » du pape Léon XIII, visant à promouvoir l’unité des chrétiens76. Leur mission à Jérusalem ne doit pas seulement être de garder une vieille église, aussi belle soit-elle77, et le site lui-même leur paraît bien exigu : perdus au milieu des musulmans, les bénédictins sentent que ce n’est pas là qu’ils pourront s’épanouir et réaliser leur vocation. Or très rapidement ils savent que l’affaire du séminaire syrien peut devenir leur. En conséquence, dès 1900, leur activité se concentre sur Jérusalem : acquisition du terrain, début des travaux de construction d’un couvent bénédictin, mise en place du séminaire syrien-catholique. Ce qui n’était au départ qu’un « complément utile à l’installation des religieux français à Abou Gosh78 » devient peu à peu leur principale préoccupation. Cette activité est envisagée par les diplomates français avec satisfaction d’abord, mais par la suite la France se sent dépossédée. Le gardiennage de la basilique médiévale est passé au deuxième plan, au grand dam de Paris79.
61Pour les officiels français toutefois, l’affaire est trop engagée et l’enjeu trop important pour s’embarrasser d’obstacles qui pourraient nuire à la réalisation du projet. Dès 1902 les capacités du supérieur des bénédictins de Jérusalem, le père Gariador, sont certes mises en cause par le consul Boppe80, mais cela ne l’empêche pas de demander à la même époque le firman pour l’établissement en question81. La France semble donc prise au piège de sa propre idée et de la nécessité d’assurer la réussite de l’institution nouvelle.
62Ce retournement de situation apparaît clairement par la mise à disposition des bénédictins français d’une partie de l’appareil diplomatique français. Par un mélange d’intérêts bien compris, la France s’investit très loin et réalise le vœu d’un simple curé de l’Yonne, l’abbé Moreau. La mobilisation a lieu à Paris, au Vatican, à Jérusalem et à Constantinople, lorsque des fonctionnaires, le plus souvent très catholiques, offrent leurs compétences aux religieux, pour leur plus grand bien et celui de la France. C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre la formule imaginée pour permettre des négociations officielles entre les religieux et les représentants de la France, en contravention aux lois de la République.
63Dans la même logique, le ministère met en place une procédure inhabituelle pour permettre l’extension des biens confiés aux bénédictins. En Palestine ottomane et musulmane, l’accroissement des implantations chrétiennes pose toujours problème. Pour permettre malgré tout la mise en place d’institutions, les puissances ont recours à des stratagèmes : c’est par exemple l’acquisition de terrains par des particuliers, qui les donnent ensuite aux communautés82. Dans le cas d’Abou Gosh, cette solution n’est pas exactement applicable puisque la base de l’implantation est une propriété nationale française. De ce fait, les consuls respectifs doivent s’engager personnellement et acquérir à titre non moins personnel les terrains nécessaires à l’agrandissement de la propriété. À chaque reprise, ce sont les bénédictins qui signalent au consul l’occasion d’achat, le consul en informe le Département, et le consul en question est mandaté par le ministère pour acheter.
64La procédure est la même en ce qui concerne les travaux nécessaires à l’installation des bénédictins. Un engagement financier français est requis pour faire face aux frais à engager : si le gouvernement doit parfois rappeler les bénédictins à leur engagement très français, les bénédictins eux-mêmes rappellent régulièrement leurs autorités de tutelle à leur promesse de verser l’allocation de gardiennage83. Les moines font à cette occasion preuve d’un grand bon sens puisqu’ils savent faire affecter en leur propre faveur des fonds restés inutilisés : allocation prévue dans la convention du 12 août 1901 et indemnité de gardiennage84 sont les deux moyens principaux de mener à bonne fin les travaux de construction du couvent d’Abou Gosh.
65Les religieux savent aussi jouer de l’intérêt artistique et archéologique que présente la basilique dont ils ont la garde. Celui-ci apparaît en effet comme un nouveau moyen de pousser la France à intervenir au profit de leur œuvre. Car alors que la convention les oblige à assurer la restauration de l’édifice, les religieux se concentrent d’abord sur deux opérations qui paraissent accessoires au concessionnaire français : le couvent d’Abou Gosh et le séminaire syrien-catholique, au détriment de l’église elle-même85.
66Cette négligence à l’égard de la basilique est due à la concentration des moines sur leur but purement religieux : l’église médiévale implantée en pleine terre musulmane ne peut pas avoir grande utilité de leur point de vue, leur vocation et la tâche comprise dans la convention signée avec la France excluant la mission parmi les non-chrétiens. Mais cet abandon est aussi dû tout simplement au manque cruel de fonds. Comme leurs ressources paraissent limitées, ils essaient d’impliquer la France de leur côté d’une autre manière. Paris ne cessant de proclamer l’intérêt de la basilique, le gouvernement ne doit-il pas prendre à sa charge cette superbe illustration du patrimoine national ? Le souci artistique du ministère des Affaires étrangères est présent depuis le départ, dès les premiers contacts entre le Département et les bénédictins86, et les religieux en sont conscients87. Ils savent aussi qu’il existe à ce moment en métropole une vague de restauration du patrimoine.
67Une fois sur place, les religieux se rendent compte de l’ampleur des travaux et de l’impossibilité d’y faire face seuls. C’est pourquoi ils font des efforts et parviennent à convaincre le consul, et le ministère avec lui, de la nécessité de financer intégralement la restauration. Pour cela une solution est envisagée : comme le monument fait partie du patrimoine architectural croisé, comme la France de cette époque se place dans la lignée du royaume franc de Jérusalem, on envisage le classement de l’église dans la liste des monuments historiques. Le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts s’entendent sur une combinaison possible88 ;à partir de là les religieux peuvent attendre patiemment que la politique honore plus avant la religion et trouvent là une justification à leur propre inaction en ce qui concerne l’église.
68L’affaire du classement comme monument historique de la basilique fait toutefois long feu. Les religieux se rappellent pourtant régulièrement au bon souvenir des autorités françaises89. Et pour faire avancer leur dossier, ils prônent la valeur archéologique et biblique du site. C’est ainsi qu’est réinventée la tradition qui place Emmaüs à Abou Gosh90. Cette activité attire l’attention des autorités françaises, qui se laissent convaincre de l’utilité de voir consacrer l’assimilation Abou Gosh-Emmaüs91.
69La consultation entre les administrations françaises est poussée très loin, avec effectivement soumission du cas d’Abou Gosh à la commission des monuments historiques. Mais malgré les avis favorables, l’église n’est pas classée92. À partir de ce moment, tout est fait pour trouver une alternative et intéresser la France au financement de la restauration : le bienfaiteur des communautés françaises, le comte de Piellat, fait le voyage de Paris pour promouvoir cette œuvre nouvelle et remarquable, commissionné par le consul de France à Jérusalem et le ministère93.
70Le classement est toutefois définitivement rejeté : l’église, certes splendide et de valeur, ne peut pas être prise en considération puisqu’elle n’est pas située sur le territoire français. Mais la République se montre tout de même favorable à aider les religieux : l’avis émis par la commission des monuments historiques doit pouvoir servir à recommander le site par la suite94. De plus, toute la réflexion suscitée par la demande des religieux français entraîne une modification des textes, avec prise en charge de manière systématique par la France des travaux affectant des propriétés nationales, où qu’elles soient95. Les bénédictins sont donc parvenus à faire avancer la conscience française de la valeur du patrimoine situé hors des frontières nationales. Et la France leur reconnaît cette valeur particulière96.
71En ce qui concerne le financement de la restauration de la basilique d’Abou Gosh, les circonstances aident les bénédictins et soumettent in fine le ministère à leur bon vouloir : au moment où l’édifice menace de s’écrouler définitivement, un SOS est lancé de Jérusalem97 et aboutit à l’octroi d’une aide d’urgence98.
72Ces travaux permettent la fin du processus engagé au printemps 1899 : la bénédiction abbatiale du père Gariador a lieu le 24 novembre 1907, l’ouverture au culte le 9 décembre de la même année, à la plus grande satisfaction des deux parties. La collaboration entre la France et les bénédictins est consacrée par l’apposition d’une plaque rappelant toutes les étapes de l’opération, au mois de mai 1908.
73D’après les recherches que nous venons de présenter, il semble possible d’affirmer que l’établissement d’Abou Gosh, avec ses dépendances, représente un exemple éloquent d’investissement français en Palestine au tournant du siècle. De par sa situation dans le temps et la multiplicité de ses dimensions, cet établissement correspond à un couronnement de l’action française en Terre sainte.
74Il échappe, certes, au pompeux de certaines institutions de Palestine ouvertes à peu près au même moment et dont le but était d’afficher résolument, par des édifices énormes, la puissance française. On pense ici à Notre-Dame de France. Mais en même temps, il s’inscrit dans une logique raisonnée d’encerclement de la vie religieuse, culturelle et politique de la Terre sainte. Au travers d’Abou Gosh, la France complète son réseau d’établissements en Palestine, avec des fonctions multiples attribuées à l’institution.
75Abou Gosh et ses dépendances résultent d’une convergence d’intérêts politiques et religieux dont on trouve encore des traces à l’heure actuelle (ne parlons que du drapeau français qui flotte certains jours sur l’église). Mais, on l’a vu, si des facteurs de deux natures agissent généralement dans une direction unique, l’entente n’est pas toujours parfaite entre la France et les bénédictins. Le politique affecte des airs d’éternité mais songe à la situation et aux nécessités concrètes. De leur côté, si les religieux dévoilent un patriotisme, voire un chauvinisme bruyant, cela semble surtout le fait du temps : la nécessité de marquer son territoire en Palestine intervient comme un écho lointain, mais un écho certain, du contexte européen de l’époque. Dans l’ensemble toutefois, ces religieux s’inscrivent dans le long terme et visent plutôt une emprise chrétienne sur ce qui pourrait redevenir un royaume latin, c’est-à-dire catholique.
76Quel est d’entre les deux le facteur qui l’emporte ici ?
77Il paraît difficile de trancher et on assiste plutôt à la mise en place d’un équilibre entre les diverses aspirations, au contentement de tous. La collaboration religion-politique ne fait pas long feu et s’exerce même plus tard dans des circonstances difficiles : pendant la Seconde Guerre mondiale, Abou Gosh peut recevoir des allocations pour des travaux de restauration, d’embellissement et de fouilles, au moment même où des religieux français de Palestine vivent une situation très précaire99. Et actuellement les bénédictins, installés en territoire israélien, peuvent encore compter sur l’intérêt bien compris des représentants français à Jérusalem.
Notes de bas de page
1 Dans le cas de l’École biblique (couvent Saint-Étienne des dominicains), se reporter à la remarquable étude de Montagnes, B., « Le rétablissement de l’ordre des prêcheurs à Jérusalem : du couvent Saint-Étienne à l’École biblique », Archivum Fratrum Praedicatorum, Rome, vol. LVIII, 1988, p. 361 sq. Dans son texte, le père Montagnes insiste sur l’aspect religieux de la création de l’institution.
2 Goren, H., « Les institutions chrétiennes d’Abou Gosh au début du xxe siècle », Cathedra, 62, décembre 1991, p. 80 sq. (en hébreu).
3 Abu Gosh – De l’Emmaüs des Croisés au Monastère de la Résurrection, préf. d’André Chouraqui, Paris, 1995.
4 In Berchet, J.-Cl. (éd.), Le Voyage en Orient, Anthologie des voyageurs français dans le Levant au xixe siècle, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 595.
5 Archives du ministère des Affaires étrangères, Nantes (par la suite MAE, Nantes), Correspondance de Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh I 1871-1899, 49, Télégramme de La Porte à Jérusalem, 14 février 1873, Vogüé et Document du 5 avril 1873.
6 Ibid., Lettre de Jérusalem (131) à Constantinople, 6 juin 1871, Sienkiewicz (brouillon).
7 Ibid., Lettre de La Porte (59) à Jérusalem, 26 février 1873, Vogüé.
8 De Vogüé, M., Les Églises de Terre sainte, Paris, 1860.
9 Archives de Sainte-Anne, Jérusalem, 1. Histoire du domaine de Sainte-Anne et de l’installation des PP. Blancs, Lettre de l’ambassade de Rome auprès du Saint-Siège au ministère des Affaires étrangères, 28 IV 1881.
10 Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris (par la suite MAE, Paris), Affaires diverses politiques Turquie, 26 Jérusalem 1882-1892, Note pour le ministre, basilique d’Abou Gosh, 13 avril 1891.
11 Ibid., Affaires diverses politiques – Secours religieux, 27 – 1891, Note pour le ministre, allocations aux établissements d’Orient, 28 juillet 1891.
12 Ibid., Affaires diverses politiques Turquie, 26 Jérusalem 1882-1892, Note pour le ministre, restauration de l’église d’Abou Gosh, décembre 1891.
13 En février 1892, le ministre des Affaires étrangères se pose même la question de l’utilité de cette église (ibid., Note pour le ministre, église d’Abou Gosh, février 1892).
14 Moreau, G., Mémoire sur les fouilles d’Abou-Gosh (Palestine), Sens, 1906, avec dans l’introduction le rappel de son intervention à partir de 1893.
15 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Lettre de Jérusalem (28) à MAE, 1er juillet 1899, Auzépy.
16 Échos de Notre-Dame de France, n° 39, mars 1896, p. 43 : « Ce monument délabré, dont les voûtes [...] ne tiennent que par habitude, tombera bientôt en ruine, si le gouvernement ne le répare. » (Ces Échos sont l’une des publications des assomptionnistes de Notre-Dame de France, v. texte de Catherine Nicault).
17 Ibid., n° 49, janvier 1897, p. 9.
18 Le cardinal Lavigerie songe, en 1875, à installer là son antenne de Jérusalem, avant de se voir confier, trois ans plus tard, la garde de Sainte-Anne, autre propriété française (Bouwen, F., « Le cardinal Lavigerie et l’union entre les Églises d’Orient et d’Occident », Proche-Orient chrétien, 1992, pp. 383-405).
19 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Lettre de Rome Saint-Siège (143) à MAE, 19 août 1899, Navenne.
20 Comme l’indique en son temps la convention signée entre les pères blancs et le gouvernement français, le 30 mars 1878, l’établissement à créer « sous la juridiction spirituelle du patriarche latin de Jérusalem, et sous la juridiction temporelle du Consulat de France à Jérusalem » (Établissement de Sainte-Anne de Jérusalem – Historique et conditions de la fondation de cet établissement sous la direction des pères de Notre-Dame des missions d’Afrique d’Alger, copie des textes de Lavigerie et des instructions données aux pères par le cardinal Lavigerie, Rome, s.d., 34 pages).
21 Ibid., Lettre de Jérusalem (28) à MAE, 1er juillet 1899, Auzépy.
22 Cité in Les Anciens Monastères bénédictins en Orient, Lille-Paris, 1912, p. 13.
23 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre de Jérusalem (373) à Subiaco, 28 juillet 1899, Auzépy (brouillon).
24 C’est ainsi que, lors de l’inauguration de la première partie de Notre-Dame de France, en 1888, le consul de France de l’époque avait filé la métaphore militaire pour placer les maisons françaises aux avant-postes de la lutte (Échos de Notre-Dame de France, n° 1, juillet 1888).
25 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre du MAE (Midi, 29) à Jérusalem, 5 octobre 1899, Delcassé.
26 Renault, F., Le Cardinal Lavigerie, Paris, 1992, pp. 452-453.
27 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre du P. Drouhin, osb, à Auzépy, 11 septembre 1899 : « Il y a pour nous, Monsieur le Consul, dans cet étonnant concours de circonstances, un encouragement bien précieux : Nous dirions volontiers avec nos généreux Croisés des onzième et douzième siècles : Dieu le veut, Dieu le veut ! d’autant plus que nos consciences et nos cœurs nous rendent ce témoignage, que, comme eux, nous ne recherchons que la grandeur de notre chère France et l’extension de ce règne de Dieu qui est pour les individus et pour les peuples, la vraie, l’unique source de civilisation et de félicité. »
28 Ibid., Lettre du MAE (Midi, 30) à Jérusalem, 28 mars 1901.
29 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Lettre de Rome Saint-Siège (73) à MAE, 31 mars 1901, Nisard.
30 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre de Jérusalem (24) au MAE, 15 août 1901.
31 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Note pour le ministre, 18 septembre 1899, Concession éventuelle aux bénédictins de la Garde du Sanctuaire d’Abou Gosh près de Jérusalem.
32 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre de Subiaco à Jérusalem, 28 juillet 1899, D. Bernard Drouhin.
33 Ibid., Lettre de Rome Saint-Siège au MAE, 8 juillet 1901, Nisard.
34 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Lettre de Jérusalem (4) à MAE, 2 février 1901, Auzépy.
35 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh III 1901-1912, 51, Lettre de Jérusalem (35) au MAE, 13 octobre 1901.
36 Ibid., Lettre de Jérusalem (5) au MAE, 22 février 1912.
37 Ibid., Lettre du MAE (30) à Jérusalem, 21 novembre 1901, Delcassé.
38 MAE, Paris, Lieux saints 87 Basilique d’Abou Gosh II 1902-1907, Note, 15 mars 1902.
39 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh III 1901-1912, 51, Lettre de Gariador à Boppe, 28 novembre 1902, et Lettre de Jérusalem (48) au MAE, 9 décembre 1907, au moment de la consécration de l’église, « afin de donner plus d’éclat à cette manifestation de notre action en Palestine ».
40 Sur l’attitude française dans cette affaire, cf. Trimbur, D., « Intrusion of the “Erbfeind” – French Views on Germans in Palestine 1898-1910 », in Hummel, Th., Hintlian, K., Carmesund, U., Patterns of the Past, Prospects for the Future, the Christian Heritage in the Holy Land, Londres, 1999, p. 238 sq.
41 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 28 Lieux saints, Cession de la Dormition, Lettre du MAE-Midi (23) à Jérusalem, 25 juillet 1899. Cf. Kohler, O., « Mehr als Anhängsel... Das Grundstück “Dormition” und die katholische Dimension des 31. Oktober 1898 », in Ronecker, K.-H., Nieper, J., Neubert-Preine, T. (éd.), Dem Erlöser der Welt zur Ehre – Festschrift zum hundertjährigen Jubiläum der Einweihung der evangelischen Erlöserkirche in Jerusalem, Leipzig, 1998, p. 136 sq.
42 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Lettre de Jérusalem (28) à MAE, 1° juillet 1899, Auzépy.
43 Ibid., Lettre de Rome Saint-Siège (143) à MAE, 19 août 1899, Navenne.
44 Ibid., Lettre de Rome Saint-Siège (187) à MAE, 16 novembre 1899, Navenne.
45 Un moine – Dom Théodore Andrieu, o.s.b. (1834-1923), Albi, s.d., pp. 20-21.
46 MAE, Paris, Nouvelle série, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Télégramme de Rome Saint-Siège (82) à MAE, 31 octobre 1899, Navenne.
47 Ibid., Lettre de Jérusalem (24) à MAE, 3 juillet 1900, Auzépy et Lettre de Drouhin au MAE, 19 juillet 1900.
48 Ibid., Lettre de Rome Saint-Siège (145) à MAE, 20 juillet 1900, Navenne.
49 Comme les lazaristes, qui se sont émancipés du protectorat français et auxquels l’Allemagne pensait d’abord remettre la garde de la Dormition, en en faisant « un corps indépendant sur lequel nous ne pourrons exercer même indirectement aucune action. » (MAE, Nantes, Jérusalem, A, 28 Lieux saints, Cession de la Dormition, Lettre de Rome-Saint-Siège au MAE, 30 mars 1899, Nisard).
50 Ibid., Lettre de la Porte (6) à Jérusalem, 9 avril 1899, Constans.
51 L’idée d’une maison d’études bénédictine à leur confier est rapidement oubliée.
52 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 129 Syriens catholiques, Lettre de Beyrouth au MAE, Sercey, 7 juin 1899. Pour les relations entre Paris et l’Église syrienne-catholique à cette époque, voir Hajjar, J., Le Vatican, la France et le catholicisme oriental (1878-1914), Paris, 1979, p. 167 sq. et p. 377 sq. (riche en informations, cet ouvrage est parfois à utiliser avec précaution).
53 C’est ce qui a prévalu lors de l’acquisition de Notre-Dame de France, dans les années 1880 ; c’est aussi ce qui a guidé Guillaume II, en 1898, avec le terrain de la Dormition, comme lors de l’acquisition de celui sur lequel sera installé le sanatorium allemand d’Auguste Victoria inauguré en 1910.
54 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 82 bénédictins séminaire syrien catholique, Lettre du MAE (9) à Jérusalem, 1er mai 1901.
55 Ibid., Lettre du MAE (16) à Jérusalem, 2 juillet 1901.
56 Afin de « prévenir toute confusion avec la branche allemande du même ordre installée en Palestine. » (MAE, Paris, PAAP 240 Doulcet, 4 Protectorat religieux 1890-1907, Congrégations religieuses fixées en Palestine par ordre d’ancienneté, et MAE, Nantes, Jérusalem, A, 82 bénédictins séminaire syrien catholique, Lettre du MAE (17) à Jérusalem, 18 juillet 1901).
57 MAE, Paris, NS, Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Télégramme de Rome Saint-Siège (51) au MAE, 24 août 1901, Navenne.
58 V. Collin, B., Le problème juridique des Lieux saints, Le Caire-Paris, 1956, p. 167, et MAE, Paris, NS-Protectorat catholique, 30, Dossier général, 1899-1903, Lettre de Rome Saint-Siège (233) à MAE, 1er décembre 1901, Nisard.
59 Après les expulsions de 1880, la fin du xixe siècle et les premières années du xxe siècle confirment très fortement cette tendance. L’une des communautés présentes à Jérusalem, les assomptionnistes, dans leur énorme bâtisse de Notre-Dame de France, souffre très concrètement des persécutions, aggravées en grande partie par l’attitude antisémite de ses responsables au cours de l’affaire Dreyfus.
60 MAE, Nantes, Jérusalem, Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre de Subiaco à Jérusalem, 28 juillet 1899, D. Bernard Drouhin.
61 Ibid., Relation présentée au ministère des Affaires étrangères au sujet du contrat d’Abou Gosh, Minute du Révérendissime abbé général, avril-juin 1901, Dom Bernard Drouhin.
62 MAE, Paris, NS-Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Lettre de Jérusalem (5) à MAE, 1er février 1900, Auzépy, avec son annexe « Rapport des bénédictins sur Abou Gosh, nécessitant l’intervention préalable des autorités françaises pour assurer sa restauration », 5 janvier 1900.
63 Ibid., Lettre du père Drouhin à Beaucaire, 1er avril 1900.
64 Ibid., Lettre de Jérusalem (20) au MAE, 20 juillet 1901, avec son annexe : Lettre du père Drouhin à Auzépy, 16 juillet 1901.
65 Ibid., Lettre de Drouhin à Beaucaire, 25 août 1901.
66 Ibid. : « Pour ces grands enfants que sont tous les Orientaux, le bienfait matériel est le premier moyen d’arriver au respect, à l’estime, à la confiance. »
67 Ibid., PAAP 012 Maurice Horric de Beaucaire, 1 Lettres particulières reçues et envoyées, 1898-1907, Lettre du père Bernard, Jérusalem, à M. Beaucaire, 8 décembre 1901.
68 Échos de Notre-Dame de France, n 99, 15 novembre 1901.
69 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre de Jérusalem (20) au MAE, 20 juillet 1901.
70 Un moine – Dom Théodore Andrieu, o.s.b. (1834-1923), op.cit., avec description de Jérusalem où « on ne s’appartient plus. Les relations nouvelles avec les autorités religieuse et politique, s’imposent dès la première heure aux nouveaux venus » (p. 21).
71 C’est ainsi que le consul annonce au Département que l’œuvre des bénédictins, après plusieurs années, ne peut être que « bien imparfaite » (MAE, Paris, NS-Turquie politique intérieure, 131 Palestine 1898-1907, Lettre de Jérusalem (96) à MAE, 17 août 1903, Boppe).
72 Les Anciens Monastères bénédictins en Orient, op. cit., p. 60. Cet ouvrage est d’ailleurs une compilation d’articles du bénédictin Benoît Gariador, parus en 1905-1906 dans la revue assomptionniste Jérusalem. Cet attrait pour leur propre histoire démontre l’intérêt des nouveaux venus pour le rétablissement d’une tradition bénédictine en Orient.
73 Abou Gosh, Église de la Résurrection, Chronique du monastère bénédictin de Saint-Jérémie d’Abou Gosh, Keriat el Enab, s.d.
74 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 82 bénédictins séminaire syrien catholique, Lettre de Drouhin à Auzépy, 6 décembre 1900.
75 Ibid., Relation présentée au ministère des Affaires étrangères au sujet du contrat d’Abou Gosh, Minute du Révérendissime abbé général, avril-juin 1901, Dom Bernard Drouhin.
76 Cf. Soetens, C., Le Congrès eucharistique international de Jérusalem (1893) dans le cadre de la politique orientale du pape Léon XIII, Louvain, 1977.
77 Un moine – Dom Théodore Andrieu, o.s.b. (1834-1923), op. cit., p. 20 : « Les bénédictins [...], peu satisfaits d’avoir seulement à garder une relique de l’Antiquité médiévale ou romaine... »
78 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 82 bénédictins séminaire syrien catholique, Lettre du MAE (9) à Jérusalem, 1er mai 1901, et Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre de Jérusalem (373) à Subiaco, 28 juillet 1899, Auzépy (brouillon).
79 Le consul Auzépy écrit le 17 juillet 1901 (ibid.) : « Ce que tout le monde sait ici, c’est que dans l’esprit de notre bénédictin, la fondation d’Abou-Gosh est reléguée désormais au second plan, qu’elle ne sera guère autre chose qu’un lieu de retraite, pour ne pas dire de repos et que c’est l’établissement du mont des Oliviers qui deviendra le siège véritable des œuvres à créer (École d’études bibliques, séminaire pour les Syriens, etc.), celui pour lequel on ne négligera aucun effort ni aucun sacrifice. »
80 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 82 bénédictins séminaire syrien catholique, Lettre de Jérusalem (44) au MAE, 9 décembre 1902, Boppe, et MAE, Paris, PAAP 240 Doulcet, 14. Correspondance, Lettre Boppe à Doulcet, 16 décembre 1902.
81 MAE, Nantes, Jérusalem, A, 82 bénédictins séminaire syrien catholique, Lettre de Jérusalem (70) à la Porte, 9 décembre 1902.
82 Le cas le plus éloquent est celui du comte Amédée de Piellat, le mécène des catholiques français en Palestine (cf. Shilony, Z., « L’action du Français comte de Piellat en Terre sainte, 1874-1925 », Cathedra, 72, juin 1994, p. 63 sq. (en hébreu), et la contribution du même auteur dans le présent volume.
83 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh III 1901-1912, 51, Lettre de Drouhin à Auzépy, 30 septembre 1901.
84 Ibid., Lettre du MAE (30) à Jérusalem, 21 novembre 1901, Delcassé.
85 Le consul Boppe est obligé d’annoncer, à l’automne 1903, que les travaux de restauration de la basilique n’ont pas encore commencé (MAE, Paris, NS-Lieux saints 87 Basilique d’Abou Gosh II 1902-1907, Lettre de Jérusalem (112) au MAE, 12 octobre 1903, Boppe).
86 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh II juillet 1899-1912, 50, Lettre du MAE (Midi, 29) à Jérusalem, 5 octobre 1899, Delcassé.
87 La valeur architecturale de l’édifice est même utilisée comme argument pour forcer le Vatican à accepter de confier la garde à la congrégation française (MAE, Paris, NS-Lieux saints 86 Basilique d’Abou Gosh I 1899-1901, Notice historique au sujet de l’église d’Abou Gosh, 26 octobre 1899).
88 Ibid., Lettre du MAE au ministère de l’Instruction publique, 27 mars 1900.
89 Ibid., Lettre de Drouhin à Beaucaire, 25 août 1901.
90 Ibid., Lieux saints 87 Basilique d’Abou Gosh II 1902-1907, Rapport de l’abbé Moreau au ministre des Affaires étrangères et aux bénédictins, 25 novembre 1901, et PAAP 012 Maurice Horric de Beaucaire, 1 Lettres particulières reçues et envoyées, 1898-1907, Lettre du père Bernard, Jérusalem, à M. Beaucaire, 8 décembre 1901.
91 Ibid., NS-Lieux saints 87 Basilique d’Abou Gosh II 1902-1907, Lettre de Watimouis ( ?) au MAE, 25 février 1902, « Nous avons intérêt à ce que cette opinion s’accrédite et que le lieu saint soit français. »
92 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh III 1901-1912, 51, Note du cabinet du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, fin 1902.
93 Ibid., Lettre du MAE (16) à Jérusalem, 26 mars 1903, Delcassé, et MAE, Paris, PAAP 012 Maurice Horric de Beaucaire, 1 Lettres particulières reçues et envoyées, 1898-1907, Lettre du père Bernard, Jérusalem, à Beaucaire, 30 mai 1903. Le ministère de l’Instruction publique faisant la sourde oreille, les bénédictins pressent la décision de l’administration et nomment eux-mêmes un architecte réputé pour ses travaux à Solesmes (MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh III 1901-1912, 51, Lettre Jérusalem (84) au MAE, 20 juillet 1903).
94 Ibid., Lettre du MAE (35) à Jérusalem, 3 août 1903.
95 Ibid., annexe : Lettre de Chaumié, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, à Delcassé, ministre des Affaires étrangères, 18 juillet 1903.
96 MAE, Paris, NS-Lieux saints 87 Basilique d’Abou Gosh II 1902-1907, Lettre du ministère de l’Instruction publique au MAE, 13 juin 1903, Bayet.
97 MAE, Nantes, Jérusalem – Domaines nationaux Abou Gosh III 1901-1912, 51, Lettre de Gariador à Wiet, 17 février 1905.
98 Ibid., Lettre du MAE (21) à Jérusalem, 18 décembre 1905, Rouvier.
99 Archives de Notre-Dame de France, Jérusalem (Saint-Pierre en Gallicante), 4 : rapports avec les autorités militaires, Liste des principales communautés, avec leurs buts et leurs besoins, mai 1944, bénédictins de la Pierre qui vire, Abougoche (sic) : « Personnellement je suis choqué de voir donner 400 livres pour les fouilles au père Alexandre quand des bénédictines meurent de faim et quand ces mêmes bénédictins dirigent un important séminaire qui utiliserait cette somme dans un intérêt bien supérieur. »
Auteur
Chercheur associé au Centre de recherche français de Jérusalem. Sa thèse de doctorat est parue en 2000 sous le titre De la Shoah à la réconciliation ? – La question des relations RFA/Israël (1949-1956) (CNRS Éditions, Paris, Collection « Hommes et Sociétés » du Centre de recherche français de Jérusalem). Il travaille actuellement sur les présences européennes, notamment française et allemande, en Palestine aux xixe et xxe siècles. Ses principaux domaines d’intérêt concernent les relations entre politique et religion (avec en préparation un ouvrage sur les réseaux français en Palestine au xixe siècle) et les liens entre politique et culture (en particulier dans la Palestine mandataire, avec intérêt particulier pour les interventions étrangères dans le cadre de l’Université hébraïque).
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