Chapitre I. Techniques de construction
p. 45-115
Texte intégral
1La conservation des vestiges archéologiques permet rarement de reconstituer les techniques inventées ou mobilisées pour réaliser les architectures. Jerf el Ahmar est, à ce titre, un site assez exceptionnel. L’observation des techniques a constitué un des objectifs prioritaires dès le terrain. Les méthodes ont été adaptées à cette recherche, alliant la fouille en extension et une grande minutie pour révéler et enregistrer les moindres détails d’exécution. Un corpus détaillé d’observations et de mesures a ainsi été constitué, que l’on peut considérer comme d’autant plus précieux qu’il concerne les phases initiales de l’histoire de l’architecture.
2Dans ce chapitre, nous suivrons, si possible dans l’ordre, les étapes qui jalonnent la construction d’une maison ou d’un bâtiment. André Leroi-Gourhan1 a peu travaillé sur l’architecture, mais les phases qu’il a distinguées à propos d’autres domaines techniques s’adaptent à ce domaine sans aucune difficulté. La chaîne opératoire qu’il a établie est tellement inspirée par le bon sens qu’elle est évidente. Pour construire, il faut d’abord quérir les matières premières nécessaires. La première étape est donc celle de « l’acquisition des matériaux ». Mais ceux-ci sont rarement utilisés sous leur forme brute. La deuxième étape est alors la « préparation des matériaux ». Vient ensuite la « construction ». À ce stade, il vaut mieux dissocier, comme peut-être l’ont fait les bâtisseurs, les trois grands moments qui se suivent sur un chantier. On doit d’abord construire les murs. Puis poser le toit. Enfin traiter le sol. Nous suivrons cet ordre, en abordant la « mise en œuvre » des matériaux séparément, pour chacune de ces opérations. Bien évidemment, chacun sait que ces phases ne se succèdent pas de façon stricte et immuable dans le temps. Au cours d’une construction, on peut manquer de matière première et aller en chercher. Et, souvent, les éléments de construction sont préparés à mesure. Reste qu’avant de prendre place dans un mur, un toit ou un sol, tout élément doit être acquis et préparé. D’où l’utilité de fixer la chaîne opératoire.
3Mais a-t-on oublié qu’il fallait préparer le sol avant d’implanter la construction ? Étape préalable indispensable, nous aurions dû nous en préoccuper en premier. C’est là que se brouille un peu la structure très simple que nous venons de défendre. L’implantation des maisons, à Jerf, n’est pas guidée par une simple décision individuelle. C’est donc au moment de traiter l’espace villageois qu'il faut s'en préoccuper (Chapitre IV). Ce qui n'empêchera pas, ici, de se demander comment les constructeurs ont exploité ce qu’ils avaient sous les pieds pour alimenter leur propre chantier.
4Voyons à présent quels matériaux ont été utilisés pour les constructions de Jerf el Ahmar et, si possible, l’endroit où ils ont été prélevés.
MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION. ACQUISITION
5Dans les architectures de Jerf el Ahmar, les matériaux minéraux et végétaux se combinent et se mêlent. La pierre occupe la première place. Elle est disponible en abondance dans l’environnement immédiat du site, sous des formes variées. Deux types [Fig. 2 ; Fig. 6 ; Fig 10 : 1, 2] de calcaire y sont facilement accessibles, ils ont tous les deux été exploités par les bâtisseurs. Des galets appartenant aux roches les plus diverses s’accumulent dans [Fig. 10 : 3] les terrasses de l’Euphrate et sur ses rives, eux aussi ont été utilisés. Mais la terre occupe aussi une place importante dans les constructions. On ne l’utilise presque jamais pure, elle est la plupart du temps mêlée à du dégraissant minéral (graviers, [Fig. 11 ; Fig. 12] colluvions) ou végétal (balle de céréales). Enfin, du bois et des roseaux ont été prélevés dans la forêt-couloir qui court le long du fleuve, tout près de l’établissement.
6Nous n’avons pas été surpris de voir, dans le hameau actuel de Jerf el Ahmar, comme d’ailleurs dans les villages environnants, que ces matériaux étaient toujours utilisés, [Fig. 9 ; Fig. 13] et selon les mêmes procédés, à quelques détails près.
La pierre
7L’environnement immédiat offrait des ressources variées en matériaux de bonne qualité. Le mérite des bâtisseurs est d’avoir su les trouver, et surtout d’avoir reconnu en chacun des qualités particulières qu’ils n’ont pas manqué d’exploiter.
Calcaire dur
8Un seul type de pierres : le calcaire dur a été mis en œuvre dans toutes les fondations de murs du site. Il s’agit de blocs bruts, prélevés dans des éboulis [Fig. 2 : 2 ; Fig. 10 : 2] tombés de la falaise qui couronne les collines surplombant Jerf el Ahmar vers le Sud. Ces éboulis se trouvent à moins de 300 m du site, 200 m plus haut environ. La falaise, de couleur gris-rouge, est faite de calcaire dur herzégovien. Elle a donné son nom au petit hameau qui était établi à côté du site avant la construction du barrage : « Jerf el Ahmar » se traduit par « Falaise rouge ».
Calcaire tendre
9Le calcaire tendre, dans lequel tous les éléments [Fig. 11 : 4] utilisés dans l’élévation des murs ont été produits, est disponible encore plus près de l’établissement. Il constitue le substrat des collines qui le supportent et qui l’entourent. Recouverte d’un manteau [Fig. 10 : 1] de colluvions calcaires d’épaisseur variable, cette roche est directement accessible dans les fonds et les bords des wadis qui entaillent les pentes. Avant l’inondation provoquée par le barrage actuel, on la trouvait également dans les falaises qui longeaient les rives de l’Euphrate.
Galets
10Les anciennes terrasses qui bordent l’Euphrate sont principalement constituées de galets. Ils sont facilement accessibles, mais il ne faut pas oublier qu’on disposait également [Fig. 10 : 3] de grosses masses de galets dans le lit de l’Euphrate dont la rive était peut-être proche à l’époque de Jerf. Il est actuellement impossible de préciser la distance qu’il fallait parcourir pour les ramasser, vu les divagations bien connues de ce fleuve. Les galets, appartenant à des roches diverses (basalte, calcaire, roches volcaniques variées) ont surtout été utilisés pour la préparation des sols.
Cailloutis calcaires
11De grandes épaisseurs de colluvions calcaires consolidés, superposés au socle calcaire, constituent le substrat naturel sur lequel s’ancrent les premières constructions du site. Ce matériau a sans doute été exploité. Mais la plupart des petits cailloutis utilisés dans l’architecture proviennent de la surface. De grandes coulées, constituées de fines lamelles de calcaire blanc à jaunâtre, ruissellent depuis le haut de la pente lorsque de fortes pluies les entraînent. La fouille a montré qu’elles pénétraient parfois jusqu’à l’intérieur de la zone construite. Ces cailloutis ont été exploités, notamment dans la construction des murs (mortiers) et la préparation de certains sols.
Matériaux recyclés
12Si la pierre prélevée dans le milieu naturel est le matériau le plus utilisé dans l’architecture, on y trouve également un nombre non négligeable de matériaux recyclés, qu’il s’agisse d’outils, de récipients ou tout simplement de pierres de construction récupérées dans des ruines. De très nombreuses meules, entières ou fragmentaires, usées à différents stades, sont ainsi recyclées dans les fondations des murs, où elles côtoient des moellons. Il faut d’ailleurs noter qu’elles sont presque toujours faites de la même matière que ces derniers. Selon le même principe d’homogénéité dans le choix des roches, les fragments de vaisselle lourde (bassins, plats) sont recyclés dans la partie en élévation des murs. Comme les pierres qui constituent systématiquement ces derniers, les gros récipients sont taillés dans du calcaire tendre.
La terre
13La terre utilisée dans l’architecture du site est rarement pure. Au limon alluvial prélevé dans le lit de l’Euphrate sont mélangés systématiquement d’autres éléments, minéraux ou végétaux. Quand les éléments sont minéraux, il s’agit de petits galets ou, le plus souvent, de fins cailloutis calcaires. Mais la terre est surtout mêlée à du [Fig. 11-13] dégraissant végétal issu de céréales. Les constructeurs utilisent donc de la vraie « terre à bâtir », ou « torchis »2. Jerf el Ahmar est, avec Mureybet3, actuellement le site le plus ancien où cette utilisation des céréales a été attestée. En effet, si la terre est couramment utilisée dans les architectures natoufiennes et, plus tard, khiamiennes, on n’y a pas trouvé pour le moment de restes végétaux. Or, il s’agit d’une réelle amélioration technique. La présence du dégraissant végétal limite la contraction de la terre durant le séchage et rend le matériau de construction plus solide. Le mélange reste d’usage aujourd’hui dans tout l’Ancien Monde, partout où sont bâties des architectures de terre. Un regain d’intérêt en a même récemment relancé l’usage, grâce à la reconnaissance des qualités thermiques de ce matériau par des architectes attachés à des exigences d’ordre écologique4.
14Des observations microscopiques effectuées sur de nombreux échantillons de Jerf ont montré que seule la « balle légère » était utilisée et qu’elle provenait de seigle et d’orge5. Qu’entend-on par balle légère ? Par opposition à la paille, qui correspond à la tige des céréales, et constitue la « balle lourde », la balle légère est faite d’un ensemble d’éléments très ténus, qui tous proviennent de l’épi. Terminé par les barbes, celui-ci se compose de plusieurs épillets qui se fixent le long d’une tige composite : le rachis. Chacun des épillets est enveloppé par des glumes et les grains sont [Fig. 11 : 3 ; Fig. 12] eux-mêmes recouverts par des glumelles. La balle légère est faite de ce qui est rejeté quand on nettoie le grain de tout ce qui n’est pas comestible. On trouve donc, dans le torchis de Jerf el Ahmar, des fragments de barbes, des tronçons de rachis, des bases d’épillets (avec le départ des glumes), et des bribes de glumelles.
15Pour comprendre comment a été acquise cette balle légère, il faut connaître les spécificités des céréales de morphologie sauvage, celles justement dont disposaient les habitants du site. Avant la transformation des céréales avec la domestication, les blés étaient vêtus. C’est-à-dire que les épillets se détachaient du rachis à maturité, mais qu’ils enserraient fermement les grains, eux-mêmes revêtus de leurs glumelles. Il fallait donc désolidariser ces enveloppes de leur contenu, autrement dit débarrasser les grains de la balle pour pouvoir les consommer. Le décorticage, pratiqué par percussion au pilon, permet de briser les épillets et de libérer les grains. Tous les éléments végétaux retrouvés dans la terre à bâtir de Jerf sont fragmentés, ce qui permet d’identifier directement l’utilisation de ce traitement, qui est réalisé à grande échelle. Il suffit d’observer la densité des fragments dans la terre à bâtir, pour en déduire [Fig. 12 : 1, 2] qu’il fallait avoir réuni beaucoup de balle légère, avant d’entreprendre (ou de réparer) une construction. Ainsi donc, même si ceux qui décortiquaient les grains le faisaient d’abord dans un but alimentaire, une autre préoccupation, d’ordre technique celle-ci, les conduisait à ne pas rejeter les résidus de cette opération. Il leur fallait garder la balle pour l’utiliser dans leurs architectures.
16Mais pourquoi n’a-t-on pas utilisé la paille, qui est disponible dès la récolte ? Un [Fig. 11 : 1, 2] détour par les habitudes locales actuelles peut nous guider vers un début d’explication. Aujourd’hui, le dégraissant végétal du torchis se compose d’un mélange de balle légère et de paille hachée. La paille domine très largement dans le mélange. D’après G. Willcox6, son absence quasi totale dans la terre à bâtir de Jerf el Ahmar tient surtout à la séquence des opérations de traitement des céréales. Elles ne se succèdent [Fig. 11] pas de la même façon selon qu’on a affaire à des céréales de morphologie sauvage ou domestique. Aujourd’hui les blés sont nus, c’est-à-dire que les enveloppes qui entourent les épillets se détachent très facilement des grains. Le battage (au tribulum par exemple) permet à la fois de séparer la balle du grain et de hacher la paille. Il suffit de vanner ensuite pour obtenir un grain pur. Tout ce qui reste, paille et [Fig. 13 : 4] balle, forme un tas unique qui est utilisé en vrac pour la préparation du torchis. Mais nous avons vu qu’il devait en aller tout autrement au Xe millénaire, quand [Fig. 12] les céréales étaient vêtues. La paille était facile à dissocier de l’épi, la séparation pouvait se faire dès la récolte. Mais quand on rassemblait les épis, morcelés en plusieurs segments du fait de la fragilité du rachis, les grains restaient protégés par leurs enveloppes. L’acquisition de la paille et l’acquisition de la balle légère étaient donc séparées dans le temps.
17Cela, évidemment, n’explique pas pourquoi les habitants de Jerf n’ont pas tout simplement utilisé la paille, si simple à obtenir7, au lieu de s’évertuer à conserver la balle légère. Au temps des premières céréales cultivées, tout ce qui venait de ce produit nouveau était-il considéré comme précieux ? La paille était-elle réservée à d’autres usages ? C’est vraisemblable. Dans l’architecture elle-même, il y a de fortes chances pour qu’on l’ait utilisée au niveau des couvertures. Il est d’usage en effet d’intercaler, comme on le voit encore aujourd’hui, un lit de végétaux entre la charpente et la couverture de terre. Ce lit intermédiaire est parfois fait de paille, parfois de roseaux ou de menus branchages. Mais l’observation des fragments de toiture n’a rien révélé, seule une empreinte de poutre montre encore des traces de paille. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la paille est très utile dans bien d’autres domaines de la vie quotidienne. Elle sert à la fabrication des litières et à celle de la vannerie. [Chap. V, Fig. 95 : 6] Or il a été trouvé dans le site plusieurs empreintes de paniers spiralés, dont la réalisation implique l’utilisation de faisceaux de paille. Nous retiendrons donc toutes ces possibilités, sans en privilégier aucune.
18Bien que cette fois aucun indice, même indirect, ne soit là pour l’attester, il ne faut pas oublier un matériau indispensable dans la composition de la terre à bâtir : l’eau8. Il en faut de grandes quantités pour que le mélange terre/végétaux soit malléable [Fig. 13 : 4] et plastique. Le malaxage devait se faire à proximité de la construction en cours. On ignore si l’eau était apportée à mesure des besoins et par petites quantités (sans doute depuis l’Euphrate) ou si elle était entreposée. Aucune trace de grande fosse n’a été trouvée au cours des fouilles.
Le bois
19Le bois9 est largement utilisé dans les architectures de Jerf el Ahmar. De nombreux fragments carbonisés ont été identifiés, permettant de repérer les arbres les plus sollicités. Dans les maisons, le bois intervient pour la construction (poutres et solives) et le soutien (poteaux) de la toiture. Le diamètre de ces supports est connu grâce aux incendies qui ont provoqué la chute et la conservation de morceaux de toits en terre, durcis par le feu. Ils portent encore l’empreinte des poutres, dont le diamètre est de l’ordre de 20 cm en général. Quant aux poteaux, leur emplacement est parfois signalé par des trous ou des calages, à l’intérieur desquels subsistent parfois quelques traces charbonneuses. Dans les maisons, où ils ont parfois été insérés au fond de meules percées par l’usage, le diamètre des poteaux ne dépasse pas 25 cm. En revanche, dans les bâtiments communautaires10, de très gros trous de poteaux signalent des fûts de 30 cm à 40 cm de diamètre. Des restes charbonneux de chêne, frêne et peuplier ont été identifiés. Mais des charbons provenant de cèdres sont aussi présents11. Or ce bois ne pousse pas dans l’environnement du site, il provient sans doute du Taurus. La question est de savoir s’il s’agit de bois flotté, dérivant sur l’Euphrate, ou de bois transporté par voie de terre. Il nous semble peu probable qu’un tronc de taille suffisante soit parvenu à Jerf par voie fluviale et que le hasard l’ait poussé sur les rives du site. Plutôt que d’invoquer le hasard, il faut s’interroger sur la volonté d’utiliser le bois d’un arbre tel que le cèdre, dans un contexte très éloigné de ses racines.
20Dans les bâtiments communautaires, outre la charpente et les poteaux, on trouve une troisième utilisation du bois. De nombreux poteaux rentrent dans la composition de leurs murs. Ils ont entre 20 et 25 cm de diamètre, ce qui correspond au tronc de n’importe quel arbre poussant dans l’environnement direct du site, et notamment au peuplier, arbre le plus souvent identifié12.
MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION. PRÉPARATION
21Les matériaux une fois acquis, parfois stockés, il faut les préparer avant de les mettre en œuvre dans les différentes parties de la construction. Il n’existe en effet presque aucune matière première prête à l’emploi, telle qu’elle a été ramassée, cueillie ou extraite. Comment prépare-t-on les pierres pour construire les murs, la terre à bâtir pour recouvrir murs, toits et sols, et le bois des charpentes et des poteaux ? C’est ce que nous allons découvrir à présent en définissant au passage certains termes, dont l’usage n’est pas courant.
Préparation des pierres
Les moellons
22Le moellon est une « pierre de construction non taillée ou sommairement dégrossie13 ». À Jerf, les moellons apparaissent comme des blocs bruts, dont le volume globuleux s’inscrit dans des sphères, des ellipsoïdes, ou des parallélépipèdes. Sans la moindre préparation, ils sont utilisés tels qu’ils ont été trouvés. Mais leur prélèvement, au pied des falaises, n’est pas aléatoire. Ils sont soigneusement choisis pour leur forme et leurs dimensions, et dans un mur donné ils s’alignent de façon régulière. Leur diamètre peut atteindre 40 cm. Dans les maisons de plain-pied, les moellons sont utilisés presque exclusivement dans les fondations. Réciproquement, à part quelques éléments recyclés comme les meules que nous avons déjà évoquées, les fondations ne comprennent que des moellons. En revanche, les murs de soutènement des bâtiments enterrés sont construits avec toutes sortes de pierres, y compris des moellons.
Les pierres en cigare
23Ce terme a été inventé par Mauritz Van Loon14 à propos des pierres taillées de Mureybet15. Nous l’avons conservé, non seulement pour perpétuer une tradition, mais parce qu’il est connu et imagé. Ces pierres, taillées de façon précise et standardisée, caractérisent un nombre limité de sites du PPNA et du PPNB ancien du [Fig. 14] Moyen Euphrate. Elles ont fait l’objet d’une étude technologique détaillée16. En résumé, ce sont des pierres taillées oblongues dont le volume s’inscrit dans un parallélépipède. [Fig. 15] Leur technique de fabrication est celle d’un biface.
24Les murs en élévation sont systématiquement bâtis avec des pierres en cigare, à part l’assise de fondation. C’est une règle absolue, sauf exceptions très ponctuelles. En revanche, dans les murs de soutènement des bâtiments enterrés, si l’on trouve aussi de nombreuses pierres en cigare, elles sont la plupart du temps récupérées, et parfois tronquées. Il s’y mêle, assez souvent, divers autres types de pierres.
25C’est exclusivement en calcaire tendre, proche de la craie, que sont taillées les pierres en cigare. Ce matériau présente des qualités techniques remarquables. Il peut aussi bien être fracturé en percussion directe comme les roches siliceuses, qu’entaillé par percussion tangentielle avec un outil coupant, comme peuvent l’être des matières végétales (bois) ou animales (os) de dureté proche. Il se délite naturellement en plaques assez volumineuses pour que puissent s’y inscrire les pierres les plus longues (plus d’un mètre), les plus larges (40 cm) et les plus épaisses (30 cm).
26Pour comprendre la fabrication de ces pierres, un programme d’expérimentations [Fig. 14] a été mené sur le terrain même, où la matière première abondait17. Des répliques de pierres ont été réalisées à l’aide de divers outils. Des galets de silex utilisés comme percuteurs se sont avérés parfaitement fonctionnels pour préparer les ébauches (préformes) ou pour façonner entièrement des éléments peu élaborés de section quadrangulaire. Des herminettes en silex, taillées et emmanchées sur le modèle des outils trouvés sur le site, ont été performantes pour façonner des pièces plus élaborées. On constate que la méthode de taille est toujours la même : la pierre est façonnée par percussion directe opérée de façon bifaciale ou multi-faciale. Lors des expériences, le temps de façonnage moyen n’a pas dépassé cinq minutes pour chaque pierre de taille. Ce temps est court, il devait l’être encore plus à l’époque, sachant que les expérimentateurs du xxe siècle après J.-C. n’avaient pas la pratique de ceux du Xe millénaire avant.
27Plusieurs types de formes ont été distingués. Chacun a nécessité une gestion spécifique du bloc travaillé. Les pierres en cigare les moins élaborées sont de forme « parallélipédique » ou « biplane ». Elles sont façonnées sommairement, souvent à partir de plaques de calcaire présentant déjà l’épaisseur recherchée. Leurs faces sont parallèles, planes et souvent naturelles, leurs bords verticaux. Quant aux pierres en cigare [Fig. 15 : 1] de section « plano-convexe », elles ne sont travaillées que pour obtenir une face convexe, l’autre étant laissée dans sa forme naturelle, plate. Les bords peuvent être coupés, mais souvent ils ne font que prolonger sans rupture la courbe de la face convexe. Les pierres en cigare de section « biconvexe » présentent deux faces bombées [Fig. 15 : 5][Fig. 15 : 2, 4] qui se rencontrent le long d’une crête. Ce sont elles qui rappellent le plus les bifaces en silex aussi bien pour la morphologie que pour la technique de taille. Une version facettée de cette même forme a reçu le nom de « polyédrique ». Enfin, les pierres en cigare « ellipsoïdales » possèdent un volume régulier arrondi et légèrement aplati. Leur fabrication est particulièrement fine et soignée. Elles présentent [Fig. 15 : 3] peu de négatifs d’enlèvements en percussion directe et beaucoup de traces d’entaillage parallèles, souvent dans l’axe d’allongement.
28La production de volumes simples, proches du parallélépipède, n’implique qu’un faible investissement technique et ne nécessite qu’un minimum de gestes. Le tailleur profite de la morphologie en plaque du matériau extrait. La plaque est choisie pour son épaisseur, on la taille dans le seul but d’obtenir des pierres calibrées permettant une insertion régulière dans une assise de mur donnée. Pour ce faire, l’utilisation [Fig. 14 : 3][Fig. 14 : 4] de l’herminette complète l’action au percuteur de pierre au fur et à mesure de l’avancée du travail. Il en va autrement pour les pierres dont le volume est plus bombé, tendant vers l’ellipsoïde. Ces éléments relèvent d’un haut niveau de savoir-faire et nécessitent un temps de fabrication plus long. Les modules de calcaire sélectionnés sont d’abord réduits de manière conséquente en travaillant toutes les surfaces, dans les trois dimensions. Par la suite, régulariser les volumes de ces pièces et parfaire leurs courbes exige un usage particulier des herminettes, alternant les impacts perpendiculaires modérés et les coups tangentiels.
29Même si la fabrication de ces pierres est rapide, on peut se demander pourquoi l’exécution en est si minutieuse. On a vu que le calcaire tendre de Jerf se délite naturellement en plaques parallélipédiques, d’épaisseur tout à fait convenable pour une pierre de construction. Il aurait suffi de débiter ces plaques aux dimensions recherchées, par simple percussion. Or, même pour les types les moins élaborés, la transformation va plus loin. Au minimum on a effectué un épannelage des deux extrémités de la matrice pour obtenir des pans coupés réguliers, les deux faces restant brutes puisqu’elles sont déjà parallèles. Mais, le plus souvent, la taille s’applique à toute la masse pour créer une section polygonale. Chacune de ces pierres est un vrai biface, parfois très élaboré. Les formes obtenues atteignent parfois un tel niveau de régularité et de symétrie qu’on peut évoquer une certaine perfection géométrique. Leur production s’explique-t-elle par une réelle amélioration technique ou sommes-nous dans un autre registre, de l’ordre de l’exigence esthétique par exemple ? Nous tenterons de répondre à cette question en abordant la construction des murs. En attendant, rappelons que plusieurs sites contemporains de Jerf [Fig. 13 : 3] el Ahmar18, tout comme les maisons actuelles de la région, utilisent des pierres grossièrement taillées, beaucoup moins régulières que les pierres en cigare. Or leurs murs tiennent très bien quand même.
Divers autres types de pierres
30Très rarement, des petits blocs ou des plaquettes de calcaire tendre, ainsi que des galets, entrent dans la construction des murs. De dimensions et de formes variées, leur utilisation est souvent liée à un besoin ponctuel de calage ou de comblement d’un espace vide, pour lesquels on recherche un élément de forme et de dimensions adaptées, sans penser au matériau.
Préparation de la terre : le torchis et les mortiers
31Deux préparations à base de terre se distinguent. Les parements des murs, la couverture des toits et celle des sols sont tous faits dans un torchis dont la composition varie peu. Le mélange est par contre tout à fait différent quand il s’agit de préparer le mortier qui sert à lier les pierres dans les murs.
Préparation de la terre à bâtir, ou torchis
32Qu’il s’agisse des architectures traditionnelles locales ou de celles de notre site néolithique, [Fig. 13 : 4] la terre limoneuse prélevée dans l’Euphrate est malaxée avec de l’eau et du dégraissant végétal pour préparer le torchis. Nous avons vu que, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, le dégraissant ancien est composé de balle légère de céréales et non de paille. Que sait-on de sa préparation ? [Fig. 12]
33Les céréales étant vêtues et leur enveloppe adhérant fortement au grain, il fallait d’abord les décortiquer. Le plus simple aurait été de les griller, mais ce traitement aurait provoqué la perte de presque toute la balle. Le décorticage a donc été probablement réalisé par percussion à l’aide, par exemple, de pilons. Des pilons en pierre ont été trouvés à Jerf, mais aucun mortier. Ceux-ci étaient peut-être en bois, à moins que les meules les plus creuses aient servi de mortier.
34Une fois les grains débarrassés de leur enveloppe, ils étaient comestibles. Mais, dans la perspective d’une construction à venir, il fallait penser à recueillir ce qui, jusqu’au PPNA, était considéré comme un résidu. Or, selon les observations ethnographiques, le décorticage des céréales vêtues se fait le plus souvent à mesure des besoins alimentaires. Si c’était le cas à Jerf, à chaque épisode de décorticage, le peu de balle recueilli était conservé. Un geste qui aurait pu ne correspondre qu’à une activité immédiate (se nourrir), s’accompagnait ainsi d’une préoccupation plus lointaine et totalement différente. Comment étaient stockés ces fragments végétaux très ténus dont il fallait réunir, progressivement, des quantités volumineuses ? Plusieurs petites constructions s’y prêtent, mais aucun reste n’y a été trouvé. En revanche, une assez grosse quantité de balle d’orge s’est conservée sur le sol de la « maison aux bucranes », [Chap. II, Fig. 47] elle était peut-être stockée dans un contenant en matière périssable (bois, cuir ou tissu).
35Toute une chaîne de comportements découle donc de la préparation du torchis. L’utilisation massive de la balle impliquait qu’on s’en préoccupe longtemps à l’avance, et constamment. Les prévisions et les gestes qu’elle nécessitait, montrent que les céréales prenaient déjà une place importante dans l’organisation quotidienne des habitants de Jerf el Ahmar au PPNA. Nous avons interprété ces gestes comme révélateurs d’un comportement né du rapport nouveau qui s’établissait entre les « gens de l’Euphrate » et les plantes qu’ils cultivaient19.
Préparation des mortiers
36Les éléments végétaux n’interviennent qu’en petites quantités dans les mortiers. Ils se composent le plus souvent de limon fluviatile, de cailloutis calcaire et d’un peu de balle légère de céréales20. Une réaction chimique entre les cailloutis et le limon produit une sorte de cimentation extrêmement dure21. De ce fait, les murs acquièrent une cohésion qui persiste, même lorsqu'ils s’abattent.
Préparation du bois
37L’étude tracéologique de quelques objets atteste que le bois était taillé avec des herminettes22. Il en va de même pour le site contemporain de Mureybet, où une étude fonctionnelle des herminettes a montré qu’elles étaient souvent utilisées pour tailler le bois23. Dans ce site, un morceau de bois brûlé montre avec clarté les traces d’un tranchant, indiquant l’utilisation d’une herminette pour l’entailler.
La construction, trois regards pour étudier les murs, les toits et les sols
38Les matériaux ont été acquis et préparés. On peut à présent bâtir. Mais il y a tellement de différence entre la construction d’un mur, d’un toit et d’un sol que nous les aborderons séparément.
MISE EN ŒUVRE. LES MURS
39Les murs des quatre-vingts constructions dégagées, partiellement ou totalement, sont souvent bien conservés. Quand il s’agit de maisons individuelles, aux murs de plain-pied, ceux-ci sont parfois restés debout sur une hauteur d’un mètre. La conservation est encore meilleure pour les bâtiments communautaires, tous enterrés, dont les murs de soutènement aussi bien que les murs porteurs et les murets de subdivisions sont presque toujours intacts. Grâce à cette préservation, beaucoup d’observations techniques ont été réunies. Elles sont révélatrices des habitudes et de la mentalité des bâtisseurs, c’est pourquoi elles sont présentées ici en détail. Nous aborderons d’abord les différents modes d’agencement des pierres dans les murs. Ensuite, comme les principes de construction en sont différents, on décrira séparément les murs en élévation et les murs de soutènement.
L’agencement des pierres dans les murs
40L’agencement des pierres est déterminé par leur position dans le mur. Pour l’assise [Fig. 16 ; Fig. 17] de moellons, la disposition est simple. On les pose de façon à ce qu’il y ait le moins de vide possible entre eux, que leurs faces s’alignent dans le même plan, et que le haut de l’assise soit continu. Tout dépend donc du choix des pierres. Plus leurs modules sont semblables, plus l’assise de fondation est régulière.
41Cela devient plus compliqué quand on aborde le mur lui-même. Il existe deux options de base pour que la cohésion et la stabilité d’un mur soient assurées. Dans les « murs en pierres sèches », les pierres sont assemblées de façon aussi jointive que possible, sans mortier intermédiaire. Au contraire, dans les « murs en pierres à mortier », chaque assise de pierres est séparée de la suivante par un lit de terre. C’est exclusivement cette option qui a été choisie à Jerf el Ahmar. Avant d’aborder les principes [Fig. 16 : 3 ; Fig. 17 : 2, 3] de construction des murs, il nous paraît important de définir les termes que nous avons choisis pour les décrire. Nous commencerons par la position des pierres24.
Position des pierres
42Une pierre est posée en « panneresse » quand sa plus grande dimension est parallèle [Fig. 16] à la face du mur et parallèle au sol. Au contraire, une pierre est posée en « boutisse » quand sa plus grande dimension est perpendiculaire à la face du mur et parallèle au sol. À Jerf, l’agencement en boutisse est constitué de cigares entiers ou [Fig. 17 : 2, 3] de tronçons de cigares. Parfois des cigares sont cassés en deux volontairement, les deux parties étant placées côte à côte, l’extrémité sectionnée orientée vers l’extérieur, pour privilégier un bon alignement en façade.
Joints et mortiers
43Le « joint » est un « intervalle laissé entre deux éléments de construction lors de leur mise en place dans l’appareil »25. Dans les murs de Jerf, tous les joints sont des « joints garnis », car ils sont remplis de « mortier », qui joue le rôle de liant entre les pierres et entre les assises. Ainsi les pierres des murs ne se touchent jamais. Chaque assise de pierres repose sur un « joint de lit », d’une épaisseur qui varie de 3 à 8 cm. Chaque pierre, à l’intérieur d’une assise, est séparée de la suivante par un « joint montant ». Mais les joints montants ne sont pas posés volontairement. Simplement, l’espace vacant entre deux pierres se comble à la fois par le bas (remontées de terre lors de la pose des pierres) et par le haut (infiltrations depuis le lit de l’assise suivante), à mesure que le mur se construit.
Parements de terre
44On nomme couramment « enduit » la terre qui recouvre les pierres d’un mur. Mais un enduit n’est jamais très épais. Or, dès la première assise de cigares et jusqu’au toit, les murs de Jerf el Ahmar sont constitués de trois couches d’égale épaisseur. Au centre, la construction en pierre qui tient par elle-même. De part et d’autre, [Fig. 16 : 3 ; Fig. 18] deux couches de terre à bâtir. On pourrait parler de « murs de terre à armature de pierres », mais cela privilégierait le rôle de la terre, ce qui ne correspond pas à la réalité. Il faut donc trouver un terme plus adapté. C’est le mot « parement » que nous avons retenu. Les murs, à Jerf, sont des « murs de pierre à double parement de terre ». Quant à la constitution de ces parements, elle ne varie pas. Quel que soit le niveau archéologique, tous sont en terre à bâtir et contiennent une grande quantité de balle légère.
Les principes de construction des murs
45[Fig. 16-21] Les principes de construction des murs en élévation sont d’une étonnante stabilité. Il y a très peu de variations, mais le choix des pierres et leur agencement s’adaptent au type de mur qui est construit. Ainsi un mur porteur est traité différemment [Fig. 19] d’une simple cloison, ce qui paraît évident. Mis à part ces cas particuliers, les modes d’exécution sont presque invariables. L’on constate une certaine amélioration au cours de l’occupation, tant pour les matériaux choisis que pour leur préparation et leur mise en œuvre. Enfin, le soin apporté à la construction dépend du type de maison.
Première assise : fondation
46La première attestation d’un mur fondé est donnée par la construction EA46 qui appartient au niveau VII/E, le plus ancien connu du site. Ensuite, le procédé, dans ses moindres détails, est retenu définitivement. Tous les murs extérieurs des maisons ont ainsi une fondation constituée d’une assise unique de moellons, qui sont enterrés sur toute leur hauteur. Presque tous les murs intérieurs (dits aussi murs de refend ou de subdivision) sont également fondés. L’enfouissement des maisons se réduit donc à cette assise qui ne dépasse pas une vingtaine de centimètres. S’agit-il des premières maisons construites de plain-pied ? Comme nous le constaterons dans plusieurs autres circonstances, l’innovation revient aux Khiamiens. Car au Natoufien, les maisons sont plus ou moins profondément enterrées. C’est seulement à partir du Khiamien moyen, comme on a pu le voir à Mureybet, qu’elles « sortent de terre »26.
47Dans les fondations se côtoient une majorité de moellons auxquels se mêlent des meules recyclées, issues du même calcaire dur. L’assise de fondation est presque toujours exécutée soigneusement, avec des éléments jointifs, qui se suivent sans rupture et sans dépassement. L’empâtement des moellons (et de la tranchée qui les contient étroitement) correspond à l’épaisseur du mur qui va s’élever sur eux. Les [Fig. 16 : 3] deux faces du mur, une fois les parements en terre étalés sur l’ossature en pierre, s’élèvent exactement en prolongement de celles du moellon. C’est donc l’épaisseur des moellons qui détermine celle du mur, d’où l’importance, au moment de les choisir, de les calibrer précisément.
Assises en élévation
Le choix des pierres
48Les assises en élévation sont toujours constituées de pierres en cigare. Ce matériau [Fig. 16-21] est déjà en usage au premier niveau de la phase ancienne. Si cet épisode correspond vraiment à la fondation de l’établissement, cela signifie que le groupe qui s’installe à Jerf el Ahmar est porteur de cette tradition technique et du savoir-faire bien particulier qu’elle implique.
49On s'est déjà demandé, en étudiant la fabrication des pierres, si la recherche d’une forme précise, au prix d’un fort investissement technique, pouvait s’expliquer par des contraintes d’ordre architectural. Pour aborder le problème de façon concrète, l’étude comparative de deux maisons contemporaines et voisines, EA10 et EA15 (niveau II/W), toutes deux construites de façon très soignée, a été menée. Que nous apprend cette étude ?
50Les pierres en cigare de EA10 sont plus élaborées que celles de EA15. Ainsi les [Fig. 15 : 3] formes ellipsoïdales, les plus travaillées, ne sont utilisées que par les bâtisseurs de EA10, et uniquement dans les assises les plus basses. Dans les autres assises, les [Fig. 15 : 2, 4] pierres de section biconvexe dominent, suivies par les éléments parallélipédique et plan-convexes. Dans la construction de EA15 on trouve, malgré tout, une majorité de pierres en cigare de facture assez soignée, de section polyédrique et plan-convexe, plus rarement des pierres parallélipédiques et biconvexes. Les dimensions des pierres ne diffèrent nettement que pour les longueurs27. Celles-ci ont entre 20 cm et 50 cm dans EA15, alors qu’elles varient de 40 cm à 70 cm dans EA10.
51Ces différences pourraient s’expliquer en partie par la surface et le plan des deux maisons. EA15 est plus petite (11,5 m2) que EA10 (18 m2). Elle comprend quatre [Fig. 26] pièces, toutes plus petites que les deux pièces de EA10. Il n’était sans doute pas nécessaire d’attribuer à EA15 des murs aussi robustes que ceux de la très grande maison EA10. Cela dit, il ne faut pas oublier que EA10 se distingue de toutes les autres maisons de cet épisode villageois. Elle est la plus grande, la plus soignée dans son exécution, et la plus proche du bâtiment communautaire. Le perfectionnisme technique qui caractérise sa construction répond peut-être, comme nous l’envisagerons plus tard, à des motivations d’ordre sociologique.
52De façon générale, les dimensions des pierres, dans un mur et à une assise donnée, sont régulières. En même temps, on rencontre des pierres de forme et de degré d’élaboration très différents dans un même mur, voire sur une même assise. Seules les pierres de forme ellipsoïdale ont des positions spécifiques dans le mur. Ces pierres ne sont utilisées que dans les deux premières assises. De toute façon, et partout, les assises les plus basses sont garnies avec les éléments les plus grands et les plus élaborés. On leur consacre presque toujours de gros cigares, dont la largeur se rapproche de celle des moellons. La stabilité du mur y gagne. À mesure que le mur monte, on utilise des pierres de plus en plus petites. Le mur s’amincit de la base au sommet, ce qui lui donne un léger fruit. Il s’en trouve allégé sans rien perdre en solidité. On voit ainsi que la construction d’un mur est un projet programmé et précis. Que les pierres soient taillées à l’avance et classées, ou qu’elles soient préparées à mesure de la mise en œuvre, elles sont posées en fonction de règles, assez systématiquement suivies.
53Outre les dimensions, la forme des pierres a son importance. Si on classe les pierres par degré d’élaboration, on constate que les moins élaborées sont proches du parallélépipède simple, alors que les plus finement transformées sont ellipsoïdales. C’est-à-dire que plus la pierre est reprise, plus son centre est renflé et ses extrémités amincies. Or, cette forme en obus, vers laquelle on tend, offre de grands avantages sur le plan technique. Elle permet de mieux retenir la terre des mortiers et des parements, d’autant que les retouches créent des aspérités de surface qui contribuent à l’adhésion. Cette forme entraîne aussi une meilleure dispersion des forces, en améliorant la résistance du mur à la pression verticale exercée par le toit.
54Cette recherche de formes renflées régulières, symétriques, qui se fait au prix d’un travail minutieux, s’explique-t-elle par une réelle amélioration technique ? Les avantages qui en résultent ne semblent pas suffisants pour que de tels choix s’imposent. Nous avons vu, d’ailleurs, que les constructeurs de la plupart des sites contemporains les ignorent, et que ceux d’aujourd’hui négligent toute recherche de forme quand ils préparent leurs pierres. Cette recherche correspondrait plutôt, à notre sens, à une tradition locale. Quant à sa signification, nous y reviendrons lorsque nous considérerons le rapport des habitants de Jerf avec l’univers des formes. Tout, en effet, se tient dans un même esprit, depuis la taille de chaque pierre jusqu’à la conception des maisons. Mais il faut se garder d’expliquer simplement cette tendance par une recherche d’ordre esthétique. Lorsque les maisons de Jerf étaient habitées, toutes les pierres étaient dissimulées par les parements. Les soins qu’elles recevaient ne contribuaient donc nullement à la beauté de l’ouvrage.
55On aurait aimé reconstituer la mise en œuvre des parements de terre des murs. Malheureusement, lorsqu’ils ne sont pas durcis par le feu, ils sont lessivés. On ne les retrouve donc que lorsque l’architecture a été incendiée. Quelques observations ont été faites pour la maison EA8 (niveau III/E). Le sol, brûlé, s’arrête à 10 cm des pierres du mur. Ce vide est le fantôme du parement intérieur. On en trouve des fragments durcis par le feu, juste à l’aplomb des murs. Ils ont tous, effectivement, une épaisseur de 10 cm. Ces fragments semblent « barbotinés », ce qui voudrait dire que les murs intérieurs de la maison ont été lissés en les mouillant. Dans la maison EA10 (niveau II/W), des morceaux de parement intérieur sont tombés en lambeaux. Ils ont, là aussi, 8 à 10 cm d’épaisseur.
L’agencement des pierres
56Presque tous les murs sont montés avec des pierres en panneresses. Dans une seule [Fig. 16] maison : EA15, et dans une seule assise, des pierres en boutisse ont été alignées, alors [Fig. 17] que le mur avait déjà quatre assises en panneresses. On ne sait pas pourquoi cette « fantaisie » s’est exprimée là, mais on note avec amusement que de jolis cigares entiers et neufs ont été cassés en deux, et les deux moitiés disposées côte à côte.
57L’idéal, pour qu’un mur soit solide, est de disposer les pierres de chaque assise de façon à ce que les joints montants ne se superposent pas. Grâce à ce « croisement des joints », le mur n’a pas tendance à se cliver le long d’une zone de faiblesse verticale. Dans les constructions actuelles, où le décalage est au maximum, les joints de chaque assise se placent au milieu des pierres de l’assise précédente. À Jerf le [Fig. 16 ; Fig. 17] décalage est peu marqué, même dans les constructions les plus récentes du site. Les pierres sont souvent posées presque à l’aplomb les unes des autres. Il faut admettre que les constructeurs de l’époque n’avaient pas encore eu l’idée de décaler leurs pierres, ce progrès technique restait donc à faire.
58En revanche, le « chaînage d’angle » a été respecté, dès que la construction des maisons quadrangulaires l’a rendu indispensable. Il est en effet presque impossible de rendre solidaires deux murs perpendiculaires sans utiliser ce procédé, dit aussi « en besace »28. Il consiste, au point d’intersection ou de rencontre entre deux [Fig. 21] murs, à faire pénétrer alternativement les pierres de l’un dans l’autre. Mais il faut noter que cette innovation technique de première importance a été conçue et appliquée [Fig. 21 : 1] bien avant que ne soient construites les premières maisons rectangulaires. On la rencontre dès le niveau II/E dans des maisons arrondies où des murs intérieurs rectilignes partagent l’espace. Grâce au chaînage, les murs intérieurs s’accrochent [Fig. 20 : 4-6] solidement au mur extérieur. De même, lorsque deux murs intérieurs se croisent, ou se rencontrent pour former un T, le chaînage assure l’efficacité de leur articulation. [Fig. 20 : 7-9] C’est donc à l’intérieur de maisons encore arrondies que ce procédé est testé pour la première fois. Son usage, pour faire tenir les angles des murs extérieurs de [Fig. 20 : 1-3 ; Fig. 21 : 2] maisons quadrangulaires, n’est qu’une judicieuse application d’un principe éprouvé.
Deux cas particuliers : les murs porteurs et les cloisons de cellules dans les bâtiments communautaires
59Quand les bâtiments communautaires enterrés sont subdivisés, on y trouve deux [Fig. 19] types de murs construits en élévation depuis le fond de la fosse qui les contient. Les « murs porteurs » doivent être d’une très grande solidité, car la toiture qu’ils contribuent à soutenir est d’un poids énorme. Dans le bâtiment EA30, par exemple, les murs porteurs sont édifiés avec les pierres en cigare les plus volumineuses qui [Fig. 19 : 1-3] aient été utilisées à Jerf. Leur longueur est au minimum de 40 cm et les quatre éléments qui composent l’assise de fondation dépassent le mètre. Leur largeur peut atteindre 50 cm et elles pèsent jusqu’à 100 kg. En volume, leur forme polyédrique très aplatie, tout à fait particulière, ne se retrouve dans aucune autre construction. Un mortier de terre élaboré, mélange de limon fin et de balle de céréales, est utilisé pour les joints de lits et pour les parements. L’épaisseur des murs finis atteint 70 cm au niveau du sol et 55 cm au sommet.
60À l’opposé, les « cloisons » qui limitent les cellules dans le même bâtiment sont des modèles de délicatesse. Elles ne sont pas fondées, et aucune n’atteint le plafond. [Fig. 19 : 4-5] Leur appareil est fait de très petites pierres en cigare, façonnées et calibrées en fonction de leur position. Elles sont plus longues et plus larges à la base (50/18 cm), bien plus courtes et étroites au sommet (15/8 cm), mais leur hauteur varie peu. Les éléments des assises inférieures sont fixés au sol par une semelle de mortier. Puis chaque assise est montée en respectant un chaînage d’angle rigoureux. Les murets, revêtus de leurs deux parements, soigneusement lissés, ne dépassent pas 20 cm d’épaisseur, ce qui est très peu.
Principes de construction des murs de soutènement
61Les bâtiments communautaires sont tous enterrés. Une fois que la fosse destinée à contenir le bâtiment a été creusée, il est indispensable d’en consolider les parois. Plusieurs procédés existent pour contenir les terres qui, surtout à cause du poids de la toiture qui fait pression sur la périphérie, ont tendance à s’écrouler vers l’intérieur. Le renforcement des parois est déjà attesté dans les bâtiments enterrés du Natoufien29, soit deux mille ans avant ceux de Jerf el Ahmar. Mais, à cette époque, c’est seulement un empilement de pierres qui tapisse les parois, sans joints. C’est quelques mille cinq cents ans plus tard, au Khiamien, que sont mis au point des procédés [Fig. 22] plus rigoureux dont bénéficieront, cinq cents ans plus tard encore, les constructions du PPNA comme celles de Jerf el Ahmar.
62Dès le début, deux méthodes se distinguent. La première caractérise la région du Bal’as, située en Syrie centrale, à mi-chemin entre Homs et Palmyre30. De grandes [Fig. 1] dalles verticales, aussi jointives que possible, sont dressées contre la fosse pour contenir les terres. Dans le site de Wadi Tumbaq 3, la méthode est tout à fait au point dès [Fig. 22 : 2-3] le Khiamien. Dans ce site on s’y tient, sans modification, dans tous les bâtiments construits par la suite, au PPNA. Cette option technique ainsi consolidée se retrouve à ce moment-là dans plusieurs sites anatoliens31 où elle se perpétue, même au-delà de cette époque.
63Mais ce n’est pas ainsi que l’on procède à Jerf el Ahmar. Les habitants du moyen Euphrate développent une autre approche technique, dont les premières manifestations, khiamiennes elles aussi, ont été identifiées à Mureybet32, à 60 km de Jerf el Ahmar. Au début, comme on l’a découvert dans une grande construction enterrée, [Fig. 1] la paroi est étayée par une rangée continue de poteaux en bois. Cette « palissade », [Fig. 22 : 1] qui s’appuie sur la paroi, est elle-même noyée dans un épais parement de terre. Cette technique évolue par la suite, au PPNA. On voit, dans le bâtiment communautaire le mieux conservé de ce site (dit « maison 47 »), que les poteaux s’espacent. Les intervalles qui les séparent sont comblés avec de la terre et quelques pierres. C’est le principe du « colombage », technique encore en usage, dont on peut rappeler les bases. Le colombage implique la combinaison de deux éléments. Dans un premier temps on monte une structure en bois qui sert d’ossature à la construction du mur. Cette ossature, constituée de poteaux verticaux est plus ou moins dense33. Pour combler l’espace vide entre deux poteaux, on construit ensuite un « hourdis » dont la composition varie.
64C’est là que Jerf el Ahmar se distingue de Mureybet, et de l’application habituelle de ce procédé de construction. En effet les hourdis de tous les murs de soutènement du site ne comportent que des pierres34. Celles-ci sont montées en assises régulières, séparées par des joints de lit.
65Les murs de soutènement des bâtiments communautaires ont fait l’objet d’observations très précises et de démontages, en particulier deux édifices : EA30, bâtiment communautaire à divisions radiales et EA53, bâtiment spécialisé à banquette.
Exemple du mur de soutènement de EA30 (niveau II/W)
66[Fig. 23] EA30, bâtiment communautaire enterré, de forme elliptique, est emboîté dans la fosse d’un ancien bâtiment identique, mais un peu plus grand : EA29 (niveau III/W). Le mur de soutènement qui maintenait les parois de la cavité occupée par EA29 est construit selon le principe du colombage. Il est conservé tel quel, avec son épais enduit de terre. Mais l’enduit est arraché devant la plupart des logettes ayant contenu les poteaux en bois du colombage. Elles ont donc été dénudées, vraisemblablement pour récupérer les poteaux. Ceux-ci ont sans doute été recyclés dans le nouveau mur de soutènement en colombage que les bâtisseurs de EA30 superposent à l’ancien, dans la volonté probable d’armer encore plus solidement les parois de la fosse. Au préalable, les anciennes logettes sont remplies avec un mélange de terre et de petites pierres, et c’est ce même matériau qui sert à combler les creux, quand l’adhésion entre les deux murs est imparfaite.
67Le mur de EA30 est préservé sur la totalité de sa partie enterrée, soit sur 2 m de [Fig. 23 : 1] hauteur. Mais, à l’origine, il se prolongeait encore à l’air libre de 60 cm environ, et cette partie s’est effondrée vers l’extérieur. L’éboulis, révélateur de ses dimensions, est resté en place sur presque toute la périphérie du bâtiment.
68L’ossature en bois du colombage est constituée de 15 à 1835 poteaux de bois, installés à intervalles variables. Ils sont fichés dans le sol contre l'ancien mur et sont en [Fig. 23 : 2] général bien droits. Leur diamètre varie de 6 cm à 30 cm, les plus nombreux se situant entre 10 cm et 15 cm. Deux poteaux successifs sont bien plus puissants, avec des diamètres de 25 cm et 30 cm. Leur position, en face des deux murs porteurs du bâtiment, est révélatrice. Nous verrons qu’ils jouent un rôle dans le soutien du toit.
69Le nouveau mur de soutènement paraît beaucoup plus puissant dans le quart Sud de la fosse. Cela est dû à une réparation de grande ampleur à la suite d’un éboulement [Fig. 23 : 1, à gauche] localisé, qui s’est produit alors que le bâtiment était en usage. La destruction affecte toute sa hauteur. Toute son épaisseur également, car elle concerne localement les deux murs de soutènement successifs. Lors de la réparation, la partie abîmée est renforcée. Epaissie, elle empiète désormais sur l’espace intérieur. Elle comprend quatre nouveaux poteaux. Le principe de construction d’origine est donc respecté.
70La largeur des hourdis varie de 50 cm à 130 cm, mais les espacements entre les poteaux suivent un rythme assez régulier : trois petits espaces (50-70 cm), deux grands (110-130 cm), deux petits (50-70 cm), trois grands (110-130 cm). À l’intérieur de chaque hourdis, les pierres sont disposées en assises stables, séparées par des joints de lits épais. Mais l’appareillage n’est pas très rigoureux et le choix des pierres [Fig. 23 : 3] n’est pas systématique. On trouve dans ces assises aussi bien de grands cigares placés en panneresses que des moellons ou des blocs. Les plus gros modules sont placés plutôt vers le bas et les plus petits vers le sommet du mur. Enfin certaines assises ne sont même pas tout à fait horizontales.
71Cet aspect irrégulier contraste avec la construction des murs intérieurs, qui sont d’une rare perfection. Il est évident que ce mur de soutènement ne pouvait en aucun [Fig. 19] cas tenir par lui-même et qu’il s’agissait seulement ici de stabiliser une paroi de terre. Il n’est pas impossible que les défauts de l’agencement aient été une des causes de son éboulement partiel. On verra que les bâtisseurs du soutènement de EA53, plus tardif, ont réalisé un montage bien plus précis et régulier. La communauté se souvenait-elle [Fig. 24 ; Fig. 25] de l’accident ?
72On ignore tout des techniques de construction de la partie en élévation du mur, car il est intégralement écroulé. On note seulement qu’il est construit avec des pierres de grand appareil, notamment de très grandes pierres en cigare.
Exemple du mur de soutènement de EA53 (niveau – II/E)
73Comme EA30 succédant à EA29, le bâtiment communautaire EA53, rond et enterré, est emboîté dans la fosse d’un ancien bâtiment de même modèle (EA101, niveau – I/E), et bâti selon les mêmes techniques. Cette fois encore, il y a de fortes chances pour que les anciens poteaux du colombage aient été récupérés. Pour le démontrer, l’argument est le même, les enduits sont partout bien conservés, sauf à l’emplacement de la plupart des logettes de poteaux, devant lesquelles ils ont été arrachés. Le vide créé par ce prélèvement ayant été comblé par du sédiment fin et des pierres. La structure de pierre des anciens hourdis reste intouchée ce qui, une fois de plus, a l’énorme avantage de doubler la protection des parois de la fosse et donc d’améliorer sa stabilité. Un nouveau mur de soutènement est alors construit [Fig. 24 ; Fig. 25] selon les mêmes méthodes que l’ancien, et contre lui. En hauteur, il atteint 2 m, s’arrêtant au ras du sol. La partie en élévation de l’ancien mur est arasée. Dans sa nouvelle version, cette partie du mur, intégralement rebâtie, se base à la fois sur le [Fig. 24 : 1] nouveau mur de soutènement et sur l’ancien, il est donc très puissant.
74Le bâtiment est enterré sur 2 m de profondeur. Pour créer l’ossature en bois du colombage, vingt-six à trente poteaux sont plantés36, appuyés contre l’ancien parement de terre, jamais contre une ancienne logette. Ils ne sont pas toujours droits. Quand un poteau est penché, ou courbé, le poteau suivant est placé avec un certain souci de symétrie : un poteau penché à droite est suivi d’un poteau penché à [Fig. 24 : 1] gauche. Leurs diamètres vont de 6 cm à 18 cm, ce qui veut dire qu’ils sont en général assez menus. Entre deux poteaux consécutifs, la largeur des hourdis varie de 30 cm à 80 cm. Mais les espaces sont presque tous plutôt étroits, c’est-à-dire compris entre 30 cm et 60 cm. Il n’y a que quatre espaces de 80 cm de large, l’un situé au milieu des hourdis étroits, les trois autres se suivant pour former un ensemble.
75Différents types de pierres sont utilisés : des moellons, des cigares de toutes tailles et souvent recyclés, des petits blocs. Ces éléments sont posés par assises successives, séparées par des joints de lit. Même si la construction est bien plus stable que pour EA30, ce mur ne peut en aucun cas tenir debout. Les pierres en cigare, calibrées, sont de grandeur décroissante de la base au sommet. Certains panneaux comportent des moellons de gros appareil, mais ils sont placés plutôt vers la base ou alors ils [Fig. 25 : 1, 2] remplissent entièrement un hourdis donné. Exceptionnellement, on peut trouver des lignes entières de petits cailloux, ou des espaces remplis seulement de terre.
76Les assises supérieures sont parfois construites en boutisse. Le montage en boutisse, par rapport à celui en panneresses, apporte une solidité accrue à un mur de soutènement puisque, proportionnellement à son diamètre, chaque pierre s’enfonce plus profondément dans la paroi, tel un clou. C’est surtout le montage des trois assises les plus élevées qui est particulier. Il concerne une partie fragile de la construction : [Fig. 24 : 2 ; Fig. 25 : 4] le passage de la partie enfouie à la partie en élévation. Chacune de ces trois assises présente un alignement régulier de petits cigares en boutisse, disposés en oblique (en « demi-arête »), qui semblent avoir été posés d’une seule traite tant ils se suivent sur un mode unique. Ces assises de transition sont rarement interrompues par un poteau. On a noté en effet que les poteaux du colombage n’atteignent pas toujours le niveau du sol extérieur.
77De façon générale, la facture du mur de soutènement est d’une grande régularité, le montage est de toute évidence effectué avec soin. Si l’agencement varie d’un panneau à l’autre, il est systématique dans chacun. On arrive à reconnaître des groupes [Fig. 25] de hourdis construits dans le même style. Ils ne sont pas forcément consécutifs. On serait tenté de voir dans ces variations l’intervention de plusieurs personnes, chacune ayant sa façon de faire, sans qu’une méthode unique ait été imposée pour l’ensemble.
78Dans un hourdis donné, on constate que les pierres ne s’alignent pas de la même façon contre chacun des deux poteaux qui les contiennent. Une des limites est plus rectiligne que l’autre. Le côté le plus régulier est le plus souvent à droite (en regardant le mur). Cela signifie que l’on remplit le plus souvent l’espace compris entre deux poteaux en partant de sa droite et en allant de droite à gauche. La première pierre est facile à caler contre le poteau. C’est lorsque l’on arrive à l’autre extrémité de l’assise que l’alignement pose problème. À Jerf il est résolu, soit en cassant une pierre à la longueur voulue, soit en calant l’assise avec des petits blocs hétéroclites. La portée d’une telle remarque est tout à fait anecdotique. Mais elle contribue, avec toutes les notations de détail qui ont été recueillies, à accéder, au moins par petites touches, au « chantier vivant ». Si, par chance, certaines façons de faire se répètent, nous en tirerons profit pour réfléchir sur les attitudes, les comportements récurrents, qui pourraient caractériser ce groupe.
79Quelques assises de la partie en élévation du mur sont restées intactes. La construction s’élève sur deux rangs de pierres, chacun correspondant à l’un des murs de soutènement sous-jacents. Son épaisseur atteint 60 cm. Les matériaux et leur mise en [Fig. 24] œuvre diffèrent pour chaque rang. Celui qui se pose sur la plus haute assise du nouveau soutènement, vers l’intérieur du bâtiment, est composé d’au moins trois assises de longues et lourdes pierres en cigare disposées en panneresses. Dans celui qui se superpose à l’ancien soutènement, et qui constitue donc la paroi extérieure du mur, sont assemblés de grosses pierres plates et des moellons de gros appareil. La cohésion de l’ensemble est assurée par un mortier composite comprenant de la terre argileuse jaune et du gravier. On a vu que ce mélange durcissait à l’air et formait un véritable ciment. La partie en élévation du mur de ce bâtiment enterré se présentait donc, tant par son appareil que par ses joints, comme une construction puissante, très solide.
80À partir du niveau du sol, les assises sont continues. Tous les poteaux en effet s’arrêtent, au maximum, au ras du sol, ce qui montre bien qu’ils n’ont pas été plantés pour assurer la fonction de porteurs, mais uniquement pour structurer le colombage.
81Une double couche de terre recouvre l’ensemble du mur de soutènement, c’est-à-dire aussi bien les poteaux que les hourdis de pierre. La première couche est très épaisse, il s’agit d’un véritable parement qui descend jusqu’au sol du bâtiment. Ce parement a été posé avant de construire la banquette périphérique qui masquera, par la suite, la base du mur. Au contraire, un enduit plus fin, lissé, est appliqué après sa construction. On ignore s’il atteignait le plafond, car il n’est conservé que sur les parties basses, et se prolonge en recouvrant la banquette. Cet enduit de finition était peut-être peint, comme le laissent supposer quelques traces rouges qu’il a été impossible de conserver assez longtemps pour les photographier.
Bilan sur les murs
82On sait donc assez précisément comment sont faits les murs à Jerf el Ahmar, ce qui permet de constater une très grande stabilité dans les matériaux et les méthodes d’exécution. Certes, il y a des améliorations qui s’imposent avec le temps, mais, globalement, c’est surtout une forte unité qui caractérise le site tout au long de ses huit cents ans d’occupation. Que sait-on des toits, à présent ?
MISE EN ŒUVRE. LES TOITS
83Il est toujours difficile de reconstituer la construction, le type ou la structure des couvertures. Pour y parvenir, les indices les plus directs proviennent des constructions incendiées37. Celles-ci s’écroulent, et la destruction affecte en premier le toit. Quand la maison ou la pièce qui brûle est petite, c’est la couverture tout entière qu’on retrouve sur le sol, tombée à l’aplomb d’elle-même. Les murs s’effondrent ensuite, par pans, sur le tas formé par la couverture. Dans l’amas ainsi formé, on [Fig. 26 : 1, 2] trouve des morceaux de poutres carbonisées et des fragments de toits en terre rubéfiée, assez durcie pour avoir gardé l’empreinte de ces pièces de bois. Mais le plus souvent, [Fig. 26 : 3, 4] la terre à bâtir brûlée s’écrase et les empreintes sont à peine visibles.
84La chute du toit étant souvent verticale, on retrouve dans ces vestiges une projection au sol de la charpente. Mais pour que l’image qu’ils dessinent soit interprétable, poutres brûlées et empreintes doivent être nombreuses, largement réparties dans l’espace et longues. C’est rarement le cas. Il faut avoir recours alors à d’autres indicateurs, par exemple les emplacements des trous de poteaux et les orientations des murs porteurs. Enfin, on peut évaluer les portées, s’interroger sur les difficultés [Fig. 27-32] qu’elles posent et sur les réponses techniques qu’elles ont suscitées, en combinant l’ensemble des observations. Car il ne faut pas oublier que les couvertures en terre sont très lourdes. Épaisses de 10 cm à 20 cm, elles pèsent en moyenne un kilo par 1 000 cm3 (ou 1 dm3.). Ce qui donne, pour une maison moyenne de Jerf (10 m2) un toit d’une tonne. Pour un bâtiment communautaire (entre 50 et 60 m2), dont les toits sont plus épais, pas moins de six tonnes de terre sont à soutenir.
Les maisons individuelles
85L’examen des morceaux de toits durcis de Jerf montre que les couvertures étaient plates. C’était aussi le cas à Mureybet, à la même époque38. On ignore, en revanche, si elles étaient horizontales ou légèrement en pente, comme on le voit encore dans des maisons traditionnelles de Syrie.
86La charpente est principalement portée par les murs extérieurs. Dans les maisons monocellulaires, il est parfois nécessaire d’y ajouter un relais vers le centre. C’est pourquoi l'on interprète la présence de certaines grosses meules posées à l’envers comme des supports de poteau. La plupart d’entre elles avaient été usées au point d’avoir un fond percé. Le trou, trop petit pour y insérer un poteau, est élargi par percussion, en faisant partir les coups à partir de la base. Un tel dispositif a été trouvé dans la grande construction monocellulaire EA37 (niveau V/E). La meule support n’est pas au centre de ce bâtiment, mais décalée, situation inattendue, mais [Chap. II, Fig. 48] qui se répète souvent.
87Quand la maison est subdivisée, les murs de refend jouent, eux aussi, le rôle de porteurs39. C’est sans doute pour cela qu’ils sont construits exactement comme les murs extérieurs, avec une fondation, et qu’ils sont de même épaisseur. Grâce à ces murs intermédiaires, les portées ne dépassent jamais deux mètres.
88Des couvertures en matières périssables sont également attestées, mais uniquement de façon indirecte. Elles ont été utilisées pour couvrir partiellement des cours à l'aide d'un auvent. Celui-ci reposait sur des antes latérales, prolongeant les murs de la maison, supports renforcés parfois par un relais médian (ante supplémentaire, mur isolé ou poteau). Dans la cour des maisons incendiées, l'absence totale de fragments de toit en terre et la présence de cendres et de charbons, confirment l'existence de ces couvertures végétales.
Les bâtiments communautaires
89Dans les bâtiments communautaires, le problème de la couverture doit être abordé différemment selon que l’édifice est subdivisé, notamment par des murs porteurs, [Fig. 28-33] ou qu’il ne comporte qu’un seul grand espace. Bien entendu, le mur de soutènement et son prolongement en élévation jouent un rôle primordial dans le soutien de la charpente et ceci est vrai pour tous les bâtiments. Mais, pour supporter le poids d’une couverture intégrale, qui peut atteindre six tonnes, il faut absolument que soit créé un relais vers le centre, les diamètres intérieurs pouvant atteindre sept mètres. Nous verrons que les solutions évoluent avec le temps. Mais une question fondamentale se pose : tous les édifices étaient-ils couverts ? C’est ce que nous allons découvrir maintenant, en examinant la structure des porteurs.
Les bâtiments communautaires à divisions radiales
L’exemple du Bal’as : du Khiamien au PPNA
90Les plus anciens bâtiments communautaires à divisions radiales de Jerf el Ahmar datent de la phase moyenne (niveau II/E) et on ne les trouve pas au-delà de la phase récente (niveau II/W). Mais il ne faut pas oublier que tous sont précédés par des bâtiments Khiamiens construits dans le Bal’as40 et à Mureybet41. [Chap. II : Fig. 49]
91La question du port de la toiture, dans les bâtiments à divisions radiales du Bal’as, pose problème. Selon leur inventeur42, ceux de Wadi Tumbaq 1 ne comportent que des murs de subdivision très fins et fragiles, davantage destinés à compartimenter l’espace qu’à porter un toit. Plus tard, au PPNA, toujours dans le Bal’as, mais dans [Chap. II : Fig. 49] le site de Wadi Tumbaq 3, les murs qui subdivisent l’espace intérieur s’épaississent. Bien que non fondés, ils pourraient jouer le rôle de porteurs, d’autant qu’ils ne sont jamais associés à des poteaux. [Chap. II : Fig. 50 : 1]
Le moyen Euphrate au PPNA : des poteaux aux murs porteurs
92Il est possible de suivre, à partir de Jerf el Ahmar et de Mureybet, l’évolution des options de soutien du toit dans les bâtiments communautaires à divisions radiales du moyen Euphrate. Grâce aux datations et à la stratigraphie, on peut s’appuyer sur quatre bâtiments qui se succèdent dans le temps.
93Concernant la phase ancienne de Jerf el Ahmar, les attestations sont faibles. La structure intérieure de EA37, probable bâtiment communautaire n’est pas assez [Chap. II : Fig. 48] nette pour y lire des indices de portage du toit. Seul un poteau indique qu’un relais était assuré à l’intérieur du bâtiment. Il faut attendre la phase suivante pour trouver des exemples plus clairs de ce type d’option.
94Avant de les aborder on peut examiner la « maison 47 »43 de Mureybet. En effet, ce bâtiment se place chronologiquement lors de la phase moyenne de Jerf el Ahmar. [Tableau 2] Il ne s’agit pas d’une maison, mais d’un bâtiment enterré elliptique (6,25 m/5,60 m). L’intérieur est subdivisé en petites cellules, mais les murets qui les limitent sont très bas, et construits en terre. Ils ne jouent donc aucun rôle dans le soutien de la toiture. [Chap. II : Fig. 50 : 3, 4] En revanche, deux doubles poteaux de peuplier et de chêne sont englobés dans l’extrémité épaissie des deux murets les plus puissants. Ce sont eux qui supportent [Chap. II : Fig. 50 : 3,] la couverture au centre du bâtiment. Une reconstitution44, basée sur les nombreux fragments de poutres et de poteaux qui sont tombés sur le sol de ce bâtiment incendié, propose pour ce toit une structure radiale. Nous sommes ici, comme dans le [Chap. II : Fig. 50 : 4] bâtiment le plus ancien de Jerf el Ahmar, dans la conception d’un relais central assuré uniquement par des poteaux, même si l’intérieur de l’espace est subdivisé. C’est à la phase moyenne qu’est attribué le plus ancien « bâtiment communautaire à division radiale typique » de Jerf el Ahmar : EA7 (niveau II/E puis niveau I/E45), probablement un peu plus récent que la « maison 47 » de Mureybet.
95Il a été incendié et, dans l’espace central, des morceaux de toit tombés à plat – face [Fig. 28] plate vers le haut, face concave vers le bas – suggèrent la direction des poutres. Celles-ci suivent deux orientations perpendiculaires : NO-SE et NE-SO. Comment était soutenu ce toit ?
96Ici s’opère une réelle transition entre la conception du portage à Mureybet et celle qui, débutant à la phase moyenne de Jerf, sera en usage jusqu’à la fin de la phase récente. Si l’existence de poteaux intérieurs est avérée dans ce bâtiment, celle de murs porteurs l’est aussi. Mais ces murs mêmes montrent que l’usage des poteaux de bois reste vivant. En effet, les deux murs porteurs de EA7b sont différents l’un de l’autre, et l’un d’eux est une construction composite où le bois joue un rôle de [Fig. 28 : 1, 3] première importance. Trois gros poteaux alignés sont insérés en enfilade entre deux parois étroites en pierre, et calés avec un mélange de pierres et de terre jusqu’à une hauteur d’environ 50 cm. À partir de là, ils ne sont plus qu’englobés dans un double [Fig. 28 : 4] parement de terre à bâtir. Lors de l’incendie, la rangée de poteaux s’est rompue au niveau du contact entre parois de pierre et parements de terre, puis elle s’est éboulée en dominos. Des fragments des parements de terre qui recouvraient la série de [Fig. 28 : 4] poteaux sont restés debout, appuyés les uns sur les autres. On distingue bien sur plusieurs de ces fragments, durcis et rougis par le feu, une face concave qui porte encore l’empreinte du poteau et une face plate qui correspond à l’extérieur du parement. Ce « mur de bois » fait face à un puissant mur de pierre dont la base comporte d’énormes blocs (ou petits rochers) et un seul gros poteau. Le tout est englobé [Fig. 28 : 3] dans une masse de terre à bâtir.
97[Fig. 28 : 1] Un grand nombre de poteaux s’ajoutent à ces murs porteurs. Leurs emplacements ne sont pas toujours réguliers, et certains sont doublés. Tout ceci suggère des réparations et des consolidations successives. Il semble que la toiture de EA7b ait donné des signes de faiblesse.
98C’est peut-être pourquoi on a changé de système à la phase récente. Des options allant dans le sens d’une nouvelle conception du portage s’expriment clairement [Fig. 29 ; Fig. 30] dans le bâtiment EA30 (Niveau II/W). Cette fois on ne fait plus appel au bois. Les deux murs porteurs sont des constructions de pierre d’une puissance inégalée dans [Fig. 19 ; Fig. 29 : 1] tout le site. Longs de 2,50 m, ils partent des parois à 1,70 m l’un de l’autre et ne sont plus séparés que de 1,20 m à leur extrémité. Ils se prolongent en élévation, au-dessus de la fosse, sur au moins trois assises. Les pierres en cigare qui les constituent sont particulièrement lourdes (jusqu’à 100 kg) et leur largeur atteint 70 cm au niveau du sol et 55 cm au sommet. Nous avons vu que, dans le mur de soutènement, le hourdis du colombage qui fait face à ces deux murs porteurs est encadré par deux poteaux beaucoup plus gros que les autres. Ces deux poteaux assurent une double fonction. Outre leur participation à l’ouvrage d’ensemble du colombage, ils soutiennent des poutres maîtresses. [Fig. 30]
99Comme en témoigne l’analyse des couches de destruction, le bois le plus utilisé dans la toiture est le peuplier46. La reconstitution de la structure de la charpente est ici possible, à partir des emplacements des murs porteurs et des poutres carbonisées tombées au sol qui sont souvent conservées sur de grandes longueurs47. Les poutres [Fig. 29] maîtresses partent de l’extrémité des deux murs porteurs et rejoignent le mur de soutènement en reposant sur les deux gros poteaux qui leur font face. Prenant appui [Fig. 30] sur ces supports principaux, les solives sont disposées de façon à peu près parallèles dans trois espaces, dont le plus étroit est central. La longueur des solives reste ainsi limitée, elle ne dépasse pas trois mètres dans les parties Nord et Sud, deux mètres dans la bande centrale. La structure de la charpente, si cette proposition est exacte, n’est donc nullement le reflet des divisions intérieures. La disposition est radiale au sol, elle est parallèle au plafond. On s’éloigne ici complètement du modèle de Mureybet, à la fois par la disparition des poteaux intérieurs et par la géométrie de la toiture.
Les bâtiments communautaires circulaires non subdivisés
Les bâtiments PPNA de la région du Bal’as
100Nous avons déjà rencontré les grands bâtiments à divisions radiales du site de Wadi Tumbaq 348. Certains d’entre eux, plusieurs fois repris et transformés, sont tantôt subdivisés par une structure rayonnante de murs, tantôt vides. Dans ce dernier cas, [Chap. II : Fig. 50 : 1, 2] un poteau central soutient la toiture. D’autres poteaux, parfois des piliers de pierre, placés contre les parois, relaient ce porteur central. Aucun exemple de ce type n’est attesté au PPNA dans la région du moyen Euphrate. Mais, tout à fait à la fin de la période, lors de la phase de transition vers le PPNB49, l’on assiste au retour de l’usage des poteaux, sous une forme nouvelle et particulière.
Le moyen Euphrate : un retour des poteaux
101EA53 (niveau-II/E, phase de transition PPNA-PPNB), bâtiment circulaire, caractérise la fin de l’occupation du site. L’espace intérieur ne comporte aucun mur et le diamètre est grand (7 m). Pour porter la couverture, la solution adoptée montre un retour à l’utilisation du bois. Six gros poteaux (diamètre 25 cm à 35 cm) sont [Fig. 31] profondément fichés dans le sol à un mètre environ du mur de soutènement. Équidistants, ils ponctuent de façon régulière un cercle virtuel, concentrique de [Fig. 31 : 3, 4] celui du pourtour. Ces poteaux ont été enduits de terre et décorés. Grâce à l’incendie du bâtiment, de grands fragments d’enduits ont cuit. La chute d’un des poteaux est ainsi directement lisible à travers un empilement de fragments d’enduits durcis [Fig. 31 : 5] par la combustion, qui ont gardé l’empreinte précise du poteau qu’ils enserraient. L’empilement a plus d’un mètre de longueur, ces poteaux étaient donc enduits sur au moins la moitié de leur hauteur (celle du bâtiment est de 2,40 m environ).
102Mais l’incendie qui a détruit le bâtiment n’a pas été assez violent pour que de gros morceaux de poutre se soient conservés et guident les reconstitutions. Quelques rares fragments se concentrent près des parois, et cette répartition fait réfléchir. La réflexion est d’autant plus nécessaire que l’on ne trouve pas de poteau au milieu de l’espace intérieur (à part une dépression légère, plutôt douteuse) pour relayer les poteaux périphériques dans le port du toit. Ainsi il a semblé difficile de retenir une proposition de charpente rayonnante intégrale.
103Après avoir essayé un certain nombre de montages possibles, il a fallu admettre que la solution la plus probable était celle d’une structure rayonnante, certes, mais destinée [Fig. 32 ; Fig. 33] à ne couvrir que très partiellement ce bâtiment. En effet, selon l’architecte Y. Ubelmann50, une couverture totale, sans relais central, nécessitait des superpositions sur plusieurs plans et des assemblages compliqués, difficiles à imaginer pour l’époque. Il paraît raisonnable de se ranger à l’idée que ce bâtiment, tel qu’une [Fig. 32 : 2, 3 ; Fig. 33] arène, n’était couvert qu’à sa périphérie. Autrement dit, seule la banquette était abritée par une sorte d’auvent. Selon cette proposition, six grandes poutres reposaient sur le sommet des six poteaux enduits. Elles formaient ainsi un hexagone équilatéral parfait. Les solives, suivant une structure rayonnante, étaient posées sur elles et sur le pourtour du bâtiment.
104Cette hypothèse suscite des questions et des développements. Les questions seront posées tout de suite, quant aux développements, nous les réservons pour la synthèse finale (Chapitre VI), car ils ne prennent de l’intérêt qu’en regard de l’ensemble des observations et des interprétations que suscitent ces bâtiments.
105La question essentielle concerne l’évacuation de l’eau. Des pluies torrentielles pouvaient inonder le fond de ce bâtiment profondément enterré, naturellement bétonné par le substrat de cailloutis, qui est imperméable. L’eau s’y emprisonnait forcément. Comment résistaient les enduits de terre crue qui recouvraient les poteaux de bois depuis le niveau du sol ? Même si l’on admet que le groupe pouvait fort bien vider l’eau manuellement, les enduits étaient soumis à rude épreuve. Or, justement, on observe que la base des enduits est très abîmée, profondément ravinée. On voit donc [Fig. 31 : 3, 4] bien qu’ils ont souffert. Mais si le problème de l’eau est amplifié ici par l’absence, plus que probable, de toiture, il affectait tous les bâtiments enterrés. Lors des fortes pluies l’eau y pénétrait forcément. Dans les bâtiments communautaires à division radiale, l’ouverture pratiquée sur le toit n’était pas étanche. Et l’eau devait aussi ruisseler le long des parois. Le retour aux observations de fouille et aux photographies permet de noter partout des traces de dégradation à la base des murets et des murs, preuve que le problème était général51.
Bilan sur les toitures
106Que peut-on dire de l’ensemble des toits, maisons et bâtiments communautaires confondus ? Tous les toits sont plats, en terrasse. Une épaisse couverture de terre à bâtir recouvre un ensemble de solives jointives ou très proches les unes des autres, reposant sur des poutres.
107La structure des charpentes des maisons individuelles n’a pas pu être reconstituée, mais il y a peu d’options techniques possibles. Pour une maison arrondie à toit plat, il n’y a que deux possibilités. Soit les poutres sont disposées parallèlement les unes aux autres, soit elles rayonnent à partir du centre. On ignore celle qui a été choisie. Pour une maison quadrangulaire, l’organisation des poutres ne peut être que parallèle. Ces constatations relativisent beaucoup la portée des reconstitutions de toitures à partir de la direction des empreintes.
108Il a été possible d’aller plus loin pour les bâtiments communautaires, dans lesquels on trouve davantage d’indices. Dans les bâtiments à divisions radiales, le rôle des poteaux de bois pour soutenir le toit est d’abord important, il diminue par la suite, pour disparaître dans le bâtiment le plus récent de Jerf el Ahmar, au profit de constructions en pierre. La structure de la charpente semble liée à la nature et à l’emplacement de ces porteurs. Elle est vraisemblablement rayonnante à Mureybet, où des poteaux centraux soutiennent la toiture. Elle devient parallèle à Jerf el Ahmar, quand les murs porteurs en pierre s’avancent assez vers le centre pour partager la charpente en trois zones, que couvrent des solives parallèles.
109Plus tard, dans les bâtiments communautaires non subdivisés, on assiste au retour des porteurs en bois. Nous n’avons trouvé qu’un seul bâtiment complet de ce type à Jerf el Ahmar. Il y a de fortes chances pour qu’il n’ait jamais été totalement couvert, mais que seule la banquette périphérique qui longe la paroi ait été abritée par un auvent en terre à bâtir soutenu par des poutres et des solives. Cette couverture limitée reposait, en les dépassant à peine vers l’intérieur, sur les six poteaux équidistants qui ponctuent le devant de cette banquette.
110Après les murs, qui nous sont bien connus, après les toits, qu’on reconstitue plus difficilement, il nous reste à découvrir le sol des constructions de Jerf el Ahmar. Ces sols sont-ils soigneusement aménagés ? Sont-ils posés sur des lits préparés ? Dans quelle mesure les techniques adoptées sont-elles héritées, comme on l’a vu souvent, des habitudes Khiamiennes ? C’est ce que nous allons découvrir à présent.
MISE EN ŒUVRE. LES SOLS ET LEUR PRÉPARATION : LES RADIERS
111Toutes les maisons de Jerf el Ahmar, à de rares exceptions près, présentent des sols de terre. Ceux-ci n’ont pas résisté au temps, sauf quand ils ont brûlé. En revanche, il est rare que les sols aient été aménagés directement. La plupart du temps, un radier parfaitement conservé les isole de l’humidité.
Les préparations avant installation d’un radier
112On rencontre fréquemment à Jerf el Ahmar des couches de cailloutis de très petits modules. Actuellement encore, lors de fortes pluies, des nappes entières de ces petits éléments blanc-jaunâtre, de forme lamellaire, dévalent depuis les amas de craie tendre délitée, accumulés sur les pentes qui surplombent le site. Comme, dans le contexte archéologique, ces couches sont presque toujours stériles, nous les avons d’abord interprétées comme des signes d’épisodes d’abandon, localisé ou global, de l’habitat. Mais les concentrations de cailloutis sont loin de s’expliquer par un scénario unique. Elles ne sont pas toujours naturelles, même quand elles sont stériles, car elles ont été largement exploitées comme matériau de construction. Nous avons vu qu’elles faisaient partie de la composition des mortiers dans les murs, on les retrouve dans l’aménagement des sols, sous plusieurs formes. Notamment pour préparer l’installation d’un radier de pierre qui, à son tour, sera recouvert par un sol de terre.
113Ce procédé a été observé dans trois maisons de la phase moyenne (EA25 et EA48, niveau III/E ; EA81 niveau II/E). On note que les plus anciennes ont des radiers en galets, ce qui est rare, et que la plus récente a un radier très régulier, qui peut être considéré comme un dallage. Ce raffinement technique ne semble donc pas concerner les radiers de type courant.
Les radiers
114O. Aurenche52 définit le « radier » comme un lit de pierres couvrant l’ensemble d’une surface à bâtir et jouant le rôle d’isolant ou de drain. Ce procédé est toujours vivant en Syrie, dans l’architecture vernaculaire. Il est déjà connu au Khiamien, notamment à Mureybet, où l’on trouve des radiers soigneusement construits53. À Jerf el Ahmar, quand le radier est fait de pierres plates, disposées régulièrement et jointives, nous lui avons attribué le terme de « dallage ». Enfin, lorsque le sol repose sur des pierres volumineuses enfouies et jointives, on parle de « pavage ». Toutefois le pavage n’est en général pas un radier, mais un aménagement direct de la surface de piétinement. C’est la raison pour laquelle nous aborderons ce dispositif, qui équipe essentiellement les cours et certains espaces extérieurs séparément.
115Les radiers de Jerf sont majoritairement construits avec des pierres calcaires, plus rarement avec des galets. Enfin, des épandages de cailloutis remplacent parfois les radiers. Lorsqu’il s’agit de radiers en calcaire, plusieurs procédés ont été expérimentés. Pour les décrire, nous irons des plus simples aux plus élaborés.
Les radiers calcaires
116Les constructions se fixent souvent sur les décombres de maisons démolies. L’observation des ruines conduit presque toujours à la même conclusion. Les destructions « naturelles » sont rares, les maisons détruites le sont presque toujours volontairement54. Dans tous les cas les ruines sont manipulées, partiellement évacuées, et le plus souvent exploitées. Or justement, pour monter un radier, l’option la plus fréquente consiste à exploiter les ruines de la maison sous-jacente.
Utilisation brute d’une ruine sous-jacente : le radier opportuniste
117Le radier qui requiert le minimum de manipulations est constitué des ruines d’une [Fig. 34 : 1] construction qu’on laisse sur place, sans les ordonner véritablement. En fait, il s’agit d’une partie seulement de ces ruines. Car une maison totalement détruite devient un très gros tas de pierres où se mêlent de la terre et des cailloux provenant des murs et des toits effondrés. Jamais un tel amoncellement n’a été vu à Jerf. L’épaisseur des débris conservés ne dépasse pas l’affleurement des murs anciens, tels qu’on les a arasés. Comme on ne peut pas poser un sol sur un chaos, quelques pierres sont bougées, et la surface est grossièrement régularisée. Ces radiers minimalistes ne sont identifiés que dans les phases moyenne (niveau IIE) et récente (niveau II/W). Mais il ne faut surtout pas les négliger, car ils témoignent d’un pragmatisme parfaitement adapté à la situation. Pourtant le recours à cette solution simple reste exceptionnel ce qui n’est sans doute pas étonnant, compte tenu des tendances au perfectionnisme des bâtisseurs. Nous en avons déjà remarqué plusieurs fois les manifestations, notamment à propos de la fabrication des pierres en cigare.
Utilisation remaniée d’une ruine sous-jacente
118Dans la plupart des cas, des premiers niveaux d’occupation à l’abandon du site, les radiers sont montés à partir de ruines remaniées. Reste à savoir où se fait l’approvisionnement. La source la plus proche se trouve sous la maison qui se bâtit. On peut y prélever les pierres en cigare tombées des anciens murs. Mais nous allons voir que le prélèvement n’est pas toujours aussi direct.
119La structure de ces radiers est, la plupart du temps, en « toile d’araignée ». Les [Fig. 34 : 2] pierres s’organisent en lignes concentriques, parallèles aux murs. On remarque que ces lignes sont plus régulières à proximité des murs, et que la structure se relâche à mesure qu’on approche du centre. À quoi tient cette configuration ? Correspond-elle à un souci de régularité ? Ou tient-elle d’un geste technique précis ? Ces causes peuvent se combiner, commençons par rechercher l’origine de l’organisation concentrique des radiers dans un geste technique.
120L’exploitation directe d’une ruine est évidente dans le cas des radiers construits à partir de pierres qui n’ont pas bougé de leur point de chute. On y trouve des pans de murs qui n’ont pas perdu leur cohésion en tombant. Basculés à partir de la base des anciens murs, ces pans sont courts et composés de moins de trois assises. Ce procédé, quand la maison ruinée est arrondie, donne au futur radier un aspect ordonné, de structure concentrique. Comme il ne suffit pas à couvrir la surface, il se combine avec une utilisation différée des ruines.
121Nous avons vu que la majorité des pierres de destruction était rejetée à l’extérieur de l’emprise de l’ancienne maison. C’est là qu’est sans doute prélevée la plus grande partie du matériau nécessaire pour construire les radiers. L’ordre des gestes est perceptible dans certains cas. La tranchée de fondation de la maison en construction est creusée, les moellons déposés, on commence à construire le radier. Les premières pierres sont posées contre les moellons, dans le sens de la longueur, régulièrement. À mesure qu’on s’approche du centre, les modules sont de plus en plus petits et l’agencement de moins en moins régulier. [Fig. 34 : 2]
122Ainsi, qu’elle ait été guidée ou non par des pans de murs tombés, la structure de tous les radiers faits avec soin est concentrique. Dès le début de la phase ancienne (niveau VI/E : maison EA45) on constate que la technique est au point. Epais d’une dizaine de centimètres, ce qui restera la règle tout au long de l’occupation du site, ce radier est composé de pierres en cigare entières ou cassées, auxquelles s’ajoutent quelques petits moellons et au moins six fragments de meules, le tout formant un assemblage jointif et régulier.
123Enfin pour illustrer le prélèvement du matériau à partir d’architectures ruinées proches, le meilleur exemple est donné par les maisons du niveau II/E, qui sont édifiées sur des ruines brûlées, toutes les maisons du niveau III/E sous-jacent ayant été détruites par le feu (Chapitre V). Les stigmates de ces incendies s’observent directement dans les radiers, où les pierres en cigare entières ou cassées, parfois rougies et éclatées par l’élévation de température, se mêlent à des plaques rouges de terre à bâtir cuite.
Les dallages. Une fabrication spécifique de pierres destinées au radier
124Historiquement, les attestations de dallages remontent au Natoufien. Par exemple, à Mallaha (Natoufien ancien), des dalles sont posées au sol, mais ne couvrent pas toute la surface intérieure. On trouve aussi, à Hayonim-grotte, une structure de 2 m de diamètre qui est dallée55.
125À Jerf el Ahmar, les maisons équipées de dallages sont très rares. L’esprit dans lequel ils sont conçus est tout à fait opposé à celui qui guide toutes les autres constructions de radiers. Pas question ici de récupération de pierres provenant de ruines. [Fig. 35] Les dallages sont composés de grands éléments calcaires plats et jointifs, taillés spécialement pour eux. Quelques pierres en cigare récupérées servent parfois à combler des interstices. Nous avons vu qu’il était facile de prélever des plaques régulières dans les rochers environnants, et tout aussi facile de les retailler aux dimensions voulues56. Le choix du dallage n’implique donc pas de difficultés techniques. Il est guidé par un but précis : réaliser une surface régulière, un assemblage plat et jointif. Au point qu’on peut se demander si un sol de terre y a été superposé. Les lambeaux de terre collés aux pierres, qui apparaissent de place en place, pourraient n’avoir été déposés que par le piétinement.
126La mise en œuvre, dans le cas des dallages, est soumise à un degré d’exigence élevé. C’est pourquoi il importe de savoir quand cette option technique est retenue. La [Fig. 35] maison EA23 (niveau I/E) illustre au mieux cette option. Or cette maison est une des plus parfaites du site. Elle est très grande, son plan est symétrique, ses murs sont construits avec des pierres en cigare longues et régulières. C’est donc dans un cadre où toute la construction est placée au plus haut niveau d’exigence que prend place le dallage. Nous verrons que la situation de cette maison, à proximité du bâtiment communautaire, est aussi à prendre en considération pour interpréter cette cohérence (Chapitre IV).
Bilan sur les radiers calcaires
127Si l’on fait le compte de toutes les constructions qui font appel à la source immédiate que constituent des ruines sous-jacentes ou très proches, on constate que c’est l’option qui caractérise au mieux les radiers à Jerf el Ahmar. Toutes les phases et tous les niveaux sont concernés, sans exception. Bien évidemment, on trouve aussi dans ces radiers des pierres rapportées : outils et récipients cassés, cailloux divers.
128Les galets y figurent presque toujours, en quantité variable. Mais il existe aussi des radiers principalement composés de galets, comme nous allons le voir.
Les radiers de galets
129Les radiers de galets de Jerf el Ahmar sont rares. Cette technique pourrait dériver de pratiques très anciennes. Dans les niveaux du Natoufien final de Mallaha, il existe des petits pavages qui incluent des galets, mais ils ne couvrent pas l’ensemble du sol57. En revanche, à partir du Khiamien, il n’y a plus de doute. Les radiers de galets de Mureybet couvrent toute la surface des maisons, et leur agencement est dense, jointif, régulier58. C’est peut-être dans ce site qu’il faut rechercher l’origine des radiers de galets de Jerf, d’autant que ces derniers équipent presque exclusivement les maisons de la phase ancienne du site, jusqu’au premier niveau de la phase moyenne (III/E). On les retrouve plus tard, à la phase récente, mais uniquement dans des bâtiments communautaires.
130Par rapport aux radiers calcaires, la construction de radiers en galets représente un surcroît de travail. Les galets proviennent de l’Euphrate, qui n’était peut-être pas tout près du site, ou des terrasses environnantes. Ils n’y ont pas toujours été prélevés [Fig. 10] directement. On constate, en effet, qu’ils sont souvent fragmentés par la chaleur, brûlés, vraisemblablement récupérés dans des foyers désaffectés (caractérisés par leur remplissage de galets). Il peut se mêler à des radiers de galets quelques éléments calcaires divers. Quand la proportion entre les deux types d’éléments est équilibrée on parle de « radiers mixtes ».
Les maisons
131Deux radiers se superposent dans EA37 (niveau V/E)59. Le plus ancien est un radier calcaire. Un radier de galets lui est superposé. Il est très régulier, fait avec des galets [Fig. 36] multicolores de plusieurs modules (de 5 cm à 20 cm), les plus gros étant placés près des murs. Au milieu de ce radier, des galets de couleur ont été sélectionnés pour dessiner une sorte de personnage schématique féminin, comme l’indiquent deux galets [Fig. 36 : 3] coniques noirs posés à la place des seins60. Deux maisons sur trois ont des radiers en galets au niveau IV/E, la tradition continue donc. Elle ne s’interrompt pas au niveau III/E, tout au contraire. Tous les radiers y sont en galets, tout au plus y trouve-t-on des radiers mixtes (EA9b et EA48). Certains sont très denses, presque purs, comme dans la grande maison EA25. [Fig. 37 : 1, 2]
Les bâtiments communautaires
132Après l’abandon des radiers de galets dans les maisons, à la phase moyenne, on les retrouve dans les bâtiments communautaires de la phase récente. Dans EA29 (III/W), deux cellules sont tapissées de galets, le radier de la troisième est mixte. Dans EA30 [Fig. 37 : 3, 4] (II/W) sept cellules ont des radiers de galets et deux des radiers mixtes. Dans ces deux bâtiments successifs, la cellule qui sert de silo principal est tapissée de galets.
Des épandages de cailloutis à la place des radiers ?
133Des radiers ont donc été aménagés dans la très grande majorité des constructions du site. On a pourtant relevé une dizaine de constructions qui n’en comportent pas. Or le sol de toutes ces constructions est posé sur une couche formée de cailloutis. Ces couches peuvent-elles faire office d’isolant ? Les habitants de Jerf ont-ils étendu leurs sols sur une accumulation naturelle de cailloutis, ou ont-ils rapporté ce matériau volontairement, au même titre qu’ils rapportaient des pierres pour construire leurs radiers ? L’exemple de Mureybet est éclairant. Une des maisons khiamiennes de ce site était posée sur une « nappe circulaire et bien délimitée de gravier de rivière »61. Il ne s’agit pas ici exactement de cailloutis, mais le calibre des deux matériaux est le même. Nous avons, à plusieurs occasions, repéré l’origine de techniques de construction dans la phase khiamienne de ce site voisin. Ici, le lien paraît plus lâche, mais on peut tout au moins utiliser cette attestation, très claire, pour valider l’épandage volontaire de cailloutis à Jerf.
134L’utilisation des cailloutis à la place d’un radier est attestée dès la phase moyenne (niveau II/E), mais elle est très rare. L’option est claire dans une maison (EA36), dont tout l’intérieur est recouvert par une couche uniforme de cailloutis, qui ne déborde pas vers l’extérieur. Sur tout son pourtour, les moellons de fondation s’y enfoncent légèrement, comme si elle avait été disposée avant le creusement de la tranchée de fondation. Sous cette couche affleurent les ruines d’une maison plus ancienne. Elles n’ont pas été exploitées. Ailleurs (EA5, même niveau), c’est une seule pièce qui est traitée de cette façon, les deux autres ont des radiers calcaires.
135Dans les deux cas, il est certain que les cailloutis ont été rapportés dans le but de préparer le sol. Il en va autrement à la phase récente. En effet, les deux maisons du niveau 0/E (EA17 et EA20) dont le sol, sans radier, repose sur du cailloutis, sont élevées sur des terrasses aménagées. Or ces terrasses sont chargées avec des matériaux rapportés, des cailloutis justement. Ici donc, on a simplement tiré parti de la présence de ce matériau pour économiser la pose d’un radier.
136C’est du côté de l’Éminence Ouest que se concentrent presque toutes les maisons dont les sols reposent seulement sur un épandage de cailloutis. Pas moins de neuf maisons sur douze, appartenant à la phase récente (niveau II/W) et à la phase de transition (niveau I/W), ne comportent pas de radiers. Le sol de EA10, par exemple, est posé sur un mélange de cailloutis et de pierres, la couche de cailloutis purs se trouvant sous ce lit. Les autres maisons sont directement posées sur les cailloutis. Ici se pose un problème. Il n’est pas certain que ces couches aient été manipulées. Mais si elles sont venues là naturellement, à la faveur d’un ruissellement, il reste que leur présence a décidé les constructeurs à faire l’économie du radier.
137Mais y a-t-il, dans ces mêmes contextes, des maisons avec radier ? On pourrait répondre à la fois oui et non, car, dans les trois maisons qui en comportent, les radiers identifiés sont de type opportuniste, donc à peine travaillés. Une seule maison (EA56, niveau I/W) a, non seulement des radiers de pierres calcaires bien construits, mais représente un des rares exemples où les pierres qui les composent ont été placées sur une couche de préparation soigneusement étendue, justement une couche faite de cailloutis. L’exception en quelque sorte.
138Il faut voir les choses sous un autre éclairage lorsque l’on considère les bâtiments communautaires. Du fait de leur enfouissement, ils atteignent tous le substratum naturel. Or celui-ci est fait d’un agglomérat très compact et très dur de cailloutis calcaires. Il ne faut donc pas s’étonner si leurs sols se posent directement sur des cailloutis. C’est bien ce qui se passe dans la pièce centrale de tous les bâtiments communautaires à divisions radiales. Il n’y a jamais de radier dans un espace central, peut-être même n’y a-t-on jamais étalé de terre à bâtir pour y aménager un sol. En revanche, il faut se souvenir que les cellules de ces bâtiments sont toutes aménagées avec des radiers. Ce qui signifie qu’il était considéré comme nécessaire d’isoler le sol des emplacements destinés, notamment, au stockage (Chapitre III).
139L’espace central est traité différemment dans les bâtiments communautaires non subdivisés, comme EA53 (niveau –II/E). Un sol de belle qualité tapisse l’espace central. Il n’est pas fait de terre pure, mais d’un mélange très riche en cailloutis, qui est posé sur un substratum de cailloutis extrêmement dur.
140Il nous semble qu’on peut déduire de l’examen de tous ces cas que l’attitude des bâtisseurs des phases les plus récentes de Jerf el Ahmar est très pragmatique. S’il n’y a pas d’exigence particulière (comme pour les cellules dédiées au stockage), lorsqu’une couche de cailloutis se trouve au bon endroit, on considère qu’elle peut faire office de radier et l’on se dispense d’en construire un.
Les pavages
141Les pavages sont constitués de gros éléments volumineux, tels que des moellons, des meules recyclées, de gros cigares, assez jointifs. On ne trouve ce type d’aménagement que dans les cours ou dans certains espaces extérieurs. Ils ne sont pas là pour soutenir le sol, mais pour le remplacer. L’attestation la plus ancienne remonte au début de la phase moyenne (niveau III/E). Il s’agit d’une aire extérieure pavée de moellons et de grandes pierres plates, qui est utilisée par les habitants de [Chap. IV : Fig. 88 : 3] plusieurs maisons. Certaines cours sont pavées, comme celle de la maison EA2 (niveau II/E). Son pavage, dont la limite est linéaire, est constitué de moellons, de [Chap. III : Fig. 70] gros cigares, de gros galets.
Les Sols
142Les sols sont rarement identifiés à Jerf. Parfois, le problème de leur existence même se pose. Lorsque le sol de terre battue comporte du dégraissant végétal, on est certain qu'il a été construit à partir d’un matériau préparé. Mais le plus souvent, ce n’est qu’une couche de terre, aménagée avec peu de soin, qui se distingue mal de la terre accumulée par le piétinement62.
143Un vestige de sol limoneux a été identifié dans la maison la plus ancienne, EA46 (VII/E) qui a probablement brûlé. Un peu plus tard, la maison EA45 (VI/E) montre les mêmes types de traces. Mais il faut attendre l’épisode du niveau III/E, lors duquel toutes les maisons ont été incendiées, pour trouver des sols vraiment bien conservés. C’est le cas dans la maison EA8 (III/E). Le sol est nettement aménagé, avec de la terre à bâtir contenant de la balle légère de céréales, mais il n’a pas été lissé. D’autres attestations, toujours partielles, ne font que confirmer ces quelques informations. L’épaisseur des sols varie de 5 cm à 10 cm. Si certains atteignent 20 cm, c’est au terme de plusieurs réfections. Ils rejoignent le plus souvent le mur au ras des moellons de fondation. Exceptionnellement, on les voit remonter sur l’enduit des murs, preuve qu’ils sont faits en dernier.
PRINCIPES DE CONSTRUCTION. LE SAVOIR-FAIRE À LA MODE DE JERF
144Nous n’avons pas encore dévoilé pour quels types de constructions des matériaux, prélevés à plus ou moins grande distance du site, ont été préparés avec soin et mis en œuvre, seuls ou combinés. L'illustration a déjà laissé entrevoir à quoi ressemblaient les maisons et les bâtiments que les constructeurs de Jerf el Ahmar ont élevés ou, parfois, enfouis sous terre. C’est dans le chapitre à venir que nous les découvrirons vraiment. Avant de nous y consacrer, établissons un rapide bilan des techniques de construction pratiquées par les habitants de Jerf el Ahmar. Existe-t-il un « savoir-faire à la mode de Jerf » ? Parler de savoir-faire signifie qu’il existe, dans une communauté donnée, un certain nombre de principes qui sont appris, appliqués et transmis. Or, non seulement ce savoir-faire existe, mais il est d’une étonnante cohérence et d’une rare stabilité. Voyons ce qui nous fait énoncer ce constat avec une telle assurance.
145Du début de l’installation à son abandon, les matériaux de construction restent les mêmes. Deux sortes de pierres calcaires, des graviers et des galets, du bois, de la terre mêlée de dégraissant végétal, sont prélevés sur le site et dans son sous-sol, sur les rives du fleuve, sur les collines proches. Par rapport aux périodes plus anciennes, il faut remarquer une innovation notable. Pour la première fois, de la vraie terre à bâtir, faite de terre et de balle légère, est mise en œuvre dans l’architecture. Nous y avons vu une sorte de signature des cultivateurs de céréales.
146On ne note aucune évolution dans la préparation de ces matériaux. Les habitants de Jerf sont d’habiles tailleurs de pierres. Et si certaines maisons de la phase moyenne ou de la phase récente révèlent un haut niveau de technicité dans la réalisation de pierres de taille, ce n’est pas dû à un progrès qui s’affirme avec le temps, mais plutôt à l’attention portée à une construction donnée, qui semble polariser plus d’efforts qu’une autre. Les bâtisseurs savent sculpter, selon leurs besoins, de toutes petites pierres régulières de quelques centaines de grammes, aussi bien que d’énormes modules de près de cent kilos. Ils savent aussi ne pas tailler du tout, quand ce n’est pas nécessaire et qu’il suffit de bien choisir une forme naturelle ou une vieille meule cassée pour atteindre son but. C’est cette option qui se révèle dans la totalité des assises de fondation. En revanche, sur cette première assise, s’élèvent des murs aux pierres taillées une à une selon un modèle strict et des mesures précises.
147Voit-on des évolutions dans la mise en œuvre de ces matériaux préparés ? Pas pour les murs, en tout cas. Dès le début, tous les murs des maisons ont des fondations, réduites à une assise de moellons. Ce sont tous des murs de pierre à mortiers, où les assises de pierres en cigare sont séparées par des joints de lits en terre et cailloutis extrêmement solides. Les murs ont systématiquement une triple épaisseur, la construction de pierres étant prise entre deux parements de terre à bâtir. Quand il s’agit, non pas de construire un mur en élévation, mais un mur de soutènement pour consolider une fosse, on utilise toujours le même procédé. Dès la phase moyenne, avec les premiers bâtiments communautaires enfouis, la structure des murs de soutènement est celle du colombage. Certes la maîtrise de ce procédé s’améliore avec le temps, mais le principe est toujours le même : des hourdis de pierres disposées en assises, séparés et contenus par des poteaux en bois. La seule innovation technique importante qui interrompt cette continuité est celle du chaînage d’angle, qui conditionne la réalisation de maisons quadrangulaires. Et encore, cette invention n’arrive pas brusquement, et elle n’arrive pas au moment où on en a le plus besoin. Le chaînage avait longtemps été pratiqué à Jerf el Ahmar pour articuler murs intérieurs et murs extérieurs, avant que ne soient montés les premiers murs en angle droit.
148Et pour les toits ? La technique évolue-t-elle ? Tous les toits sont plats, tous reposent sur une charpente en bois aux poutres et aux solives plutôt jointives, que recouvre une bonne épaisseur de terre à bâtir. On ne peut pas dire grand-chose de la structure de ces charpentes en ce qui concerne les maisons. Mais, dans les bâtiments communautaires, il semble qu’il y ait de grands changements (auxquels correspondent, on le verra, des changements d’ordre typologique). Si la charpente est d’abord de conception parallèle, aux phases moyenne et récente, elle est radiale à la phase de transition. Il y a de fortes chances, en plus, que les charpentes radiales des derniers bâtiments communautaires aient été très partielles, n’abritant qu’une couronne périphérique de l’espace intérieur. Quant au port de ces charpentes, il implique d’abord beaucoup de bois (sous forme de poteaux et de murs porteurs en bois), puis de la pierre (sous forme de murs porteurs) et de nouveau du bois (sous forme de poteaux). L’évolution, ici, n’est rien moins que linéaire.
149Enfin, les sols. Ici, on note quelques changements. Presque toutes les constructions édifiées à Jerf el Ahmar sont équipées de radiers de pierres sur lesquelles on étale un sol en terre. Le plus souvent, ce radier est construit en pierres calcaires, qui sont presque toujours des pierres en cigare provenant de murs détruits. On trouve aussi des radiers faits en galets. Ils sont majoritaires dans les épisodes villageois les plus anciens et disparaissent au début de la phase moyenne. Mais s’ils disparaissent des maisons, on les retrouve encore, bien plus tard, dans les bâtiments communautaires. Curieusement, c’est à la phase récente que les radiers de pierres sont les plus rares. Des épandages de cailloutis les remplacent. Enfin, le soin apporté à la stabilisation de sols ouverts sur l’extérieur, comme ceux des cours, ou de sols extérieurs fréquentés par les habitants de plusieurs maisons, n’est observé qu’à la phase moyenne.
150En résumé, le savoir-faire à la mode de Jerf est à la fois très caractéristique, d’un haut niveau de technicité, et parfaitement stable. Du début à la fin de l’occupation, les matériaux utilisés ne changent pas, leur mise en œuvre est normée une fois pour toutes, qu’il s’agisse des murs, des toits ou des sols. Au cours du temps, certaines innovations se mettent en place, et le bagage technique s’améliore. Mais l’impression qui domine est celle d’une tradition technique parfaitement maîtrisée, mais que l’on applique de façon plus ou moins méticuleuse selon le contexte. Selon le type de maison ou de bâtiment à construire, notamment. Ce qui nous conduit naturellement à nous tourner à présent vers les maisons terminées, prêtes à l’emploi, ainsi que vers les bâtiments communautaires.
151Sont-elles toutes pareilles, comme on le voit dans de nombreux sites plus anciens ou plus récents que Jerf el Ahmar ? Ou sont-elles de forme et de structure variées ? Et, surtout, obéissent-elles à des normes et peut-on en classer les types dans des grilles organisées ? Et les bâtiments communautaires ? Sont-ils standardisés ? De forme variée ? C’est ce que nous allons découvrir maintenant.
Notes de bas de page
1 Leroi-Gourhan 1945.
2 Nous utiliserons indifféremment ces deux termes. Nous n’avons pas retenu celui de pisé proposé par O. Aurenche (Aurenche 1977). Pour nous, il doit être réservé à une technique de construction plutôt qu’à un matériau.
3 Willcox 2008.
4 L’Association CRAterre « Cultures constructives et développement durable », s’intéresse depuis de nombreuses années à ce matériau. En tête de sa page d’accueil sur Internet on lit la phrase suivante : « La terre crue, utilisée depuis onze millénaires, reste aujourd’hui le matériau de construction le plus répandu à travers le monde ».
5 Willcox, Fornite 1999 ; Stordeur, Willcox 2009 ; Willcox, Stordeur 2012.
6 Willcox, Fornite, 1999. Dans la balle légère de Jerf el Ahmar les bases d’épillets d’orge dominent.
7 Sauf, comme le fait remarquer G. Willcox (que nous remercions ici, cette discussion ayant largement bénéficié de ses conseils) qu’il fallait la hacher, ce qui n’est pas évident.
8 Comme nous le faisait remarquer M. Brenet, membre de l’équipe de fouilles de Jerf el Ahmar.
9 On ne parlera pas ici des roseaux. Seule une empreinte dans de la terre à bâtir signale l’utilisation de ce matériau dans l’architecture.
10 Nous définirons au Chapitre II ce qui correspond au terme de « bâtiment communautaire ».
11 Pessin 2004.
12 D’après V. Roitel et G. Willcox.
13 Aurenche 1977, p. 117.
14 Van Loon 1968. L’auteur les appelle « bricks of loaves » ou « cigar shape stones ».
15 Stordeur, Ibañez 2008, p. 70. Les premières pierres en cigare sont attestées au niveau 14a dans la maison 22. Parallèlement, M. Van Loon les signale pour la première fois dans le niveau X.
16 Nous avons bénéficié, pour rédiger cette rubrique, du travail de M. Brenet grâce auquel nous pouvons accéder au détail des gestes et à une image palethnographique vivante de la taille des pierres. De même, le travail de J. Sanchez-Priego sur la percussion et sur l’utilisation des herminettes nous a été d’une grande utilité. Brenet, Sanchez-Priego, Ibañez 2001 ; Sanchez-Priego 2002 ; Sanchez-Priego, Brenet 2007.
17 Quatorze bâtiments ont été démontés et mille quatre cents éléments taillés ont été enregistrés.
18 Les pierres en cigare ont été utilisées à Mureybet, Cheikh Hassan, Tell‘Abr 3 et Jerf el Ahmar à partir du PPNA et jusqu’au PPNB ancien. Dans tous ces sites, le calcaire tendre est disponible. On ne les trouve pas à Dja’de el Mughara (PPNB ancien) ce que E. Coqueugniot explique par le fait que le calcaire tendre n’existe pas à proximité.
19 Stordeur, Willcox 2009 ; Willcox, Stordeur 2012.
20 Willcox, Fornite 1999.
21 Ce mélange est celui qui constitue la masse du barrage de terre Tichrine, construit entre 1989 et 1999, à 1 km du site. Les observations sur ces constituants ont été faites par T. Margueron.
22 Ibañez in Brenet et al. 2001.
23 Coqueugniot 1981.
24 Les termes ont été explicités par O. Aurenche (Aurenche 1977, p. 132), nous en avons simplifié la définition.
25 Aurenche 1977, p. 104 et 107.
26 Au Natoufien, tous les murs en élévation sont en matériaux légers, jamais en pierres. L’innovation, ici, tient au matériau. J. Cauvin (1977) a insisté sur l’importance de l’apparition des maisons de plain-pied, révélatrice d’une maîtrise technique nouvelle, qui permet de faire tenir un mur en pierre sans l’appuyer contre les parois d’une fosse. On parle, pour les maisons de Mureybet, de « soubassements en moellons », mais peut-être s’agit-il plutôt, comme à Jerf, de fondations.
27 La largeur et la hauteur des pierres varient peu. La largeur est de 17 cm en moyenne pour EA10, 12,5 cm pour EA15. La hauteur varie encore moins : 5 à 10 cm dans les deux maisons. Brenet et al. 2001.
28 Lavenu, Mataouchek 1999, p. 23 et p. 29 ; Aurenche 1977, p. 36 ; O. Aurenche utilise aussi le terme « liaisonné » p. 110.
29 Valla 2008, p. 48.
30 F. Abbès y a fouillé plusieurs sites où se succèdent le Khiamien et le PPNA (Abbès 2010 ; 2011 ; 2014).
31 À Gusir Tepe (Karul 2011) et à Hallan Cemi (Rosenberg 1999) par exemple.
32 Cauvin J. 1977. Stordeur, Ibañez 2008. Cette construction date du Khiamien ancien.
33 Dans les architectures plus récentes, voire actuelles, les poteaux se combinent avec des traverses horizontales et obliques, parfois visibles comme dans les maisons traditionnelles normandes par exemple.
34 Aurenche (1977, p. 100) définit le hourdis. Il n’envisage pas le remplissage avec des pierres. Dans les descriptions du colombage, la pierre n’est jamais signalée à notre connaissance, seuls sont cités la terre, le torchis (avec ou sans chaux) et la brique.
35 Il nous manque un pan de mur. Il faut ajouter aux quinze poteaux retrouvés un maximum de trois poteaux.
36 On en a retrouvé vingt-six la construction ayant été amputée par une tranchée d’exploration (celle même qui a permis la découverte du bâtiment), et il ne pouvait pas y en avoir plus de trente.
37 Le nombre assez élevé de constructions incendiées à Jerf el Ahmar et la participation d’une spécialiste sur le terrain auraient pu conduire à des reconstitutions exceptionnelles. Sylvia Martinez avait ainsi mis au point une méthode d’enregistrement très précise. Malheureusement, du fait de l’interruption de ses activités de recherche, cette documentation ne nous est pas accessible pour le moment.
38 Aurenche 1980.
39 C’est d’ailleurs, pour O. Aurenche (1977), dans la définition même du terme. Il distingue les « murs de refend », porteurs, des « cloisons », qui ne jouent pas ce rôle.
40 Abbès 2014.
41 Stordeur, Ibañez 2008. Ceux de Mureybet n’ont été que partiellement fouillés, on ne peut donc rien dire du soutien de leurs couvertures.
42 F. Abbès communication personnelle et Abbès 2014.
43 Cauvin J. 1978, p. 38 ; Aurenche 1980 ; Stordeur, Ibañez 2008.
44 Aurenche 1980 : Fig. 2-4. La reconstitution a été conçue par A. Der Aprahamian.
45 EA7a (II/E) plus ancien, a été détruit par les bâtisseurs de EA7b (I/E). C’est ce dernier qui sera décrit ici.
46 Détermination V. Roitel.
47 Ce travail a été préparé sur le terrain par S. Fornite. Une proposition de charpente radiale avait été présentée par M. Brenet et G. Deraprahamian (Stordeur et al. 2000). Elle a été abandonnée après réexamen des documents.
48 Abbès 2014.
49 Stordeur, Abbès 2002.
50 Cet architecte (chargé des reconstitutions en 3D) s’est intéressé aux architectures du site, sur le plan technique comme sur celui des formes. Frappé par le pragmatisme des bâtisseurs de Jerf et par leur capacité à trouver des solutions techniques simples, il a estimé que des solutions trop compliquées étaient incompatibles avec leurs attitudes et leurs possibilités.
51 Jean-Claude Margueron s’est posé le premier cette question en visitant le site de Jerf el Ahmar, question souvent évoquée par la suite, mais sans pour autant que nous lui trouvions de réponse.
52 Aurenche 1977, p. 149.
53 Van Loon 1968, p. 267-268 et Fig. 2 ; Cauvin J. 1977, p. 26.
54 Nous pensons qu’il y a très peu de ruines accidentelles, non seulement à Jerf, mais dans beaucoup de sites archéologiques. La plupart du temps, une maison qui menace ruine, ou peut-être simplement une maison que l’on souhaite reconstruire, est démolie volontairement. Beaucoup d’archéologues, aujourd’hui, partagent cet avis.
55 Bar Yosef 1991, p. 87.
56 Brenet, Sanchez-Priego, Ibañez 2001.
57 Valla et al. 2004.
58 Stordeur, Ibañez 2008.
59 Qui pourrait être un des premiers bâtiments communautaires à divisions radiales.
60 Ce genre de « montage » a été observé dans le site Natoufien de Mallaha. Sur le sol d’une grande maison (no 26), une concentration de vingt pilons a été trouvée près d’un foyer. Sept d’entre eux étaient assemblés pour former une figure humaine (Perrot 1960 Pl 2-C et p. 15).
61 Cauvin J. 1977, p. 26.
62 Le problème s’est posé de la même façon à Mureybet (Stordeur, Ibañez 2008, p. 44) où, pourtant, les sols sont parfois lissés. On y a compté parfois un grand nombre de « réfections », qui se détectaient par un feuilletage très fin et des lits de couleur différente. Il ne s’agit, en fait, que de fins litages de poussière et de terre tassés et accumulés.
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