Chapitre 8. Vers les droits du citoyen : la défense des droits des propriétaires comme mouvement citoyen dans la Chine contemporaine
p. 299-326
Texte intégral
INTRODUCTION : DÉVELOPPEMENT DE LA CHINE NOUVELLE ET « PRODUCTION DE LA SOCIÉTÉ »
1Observé dans ses grandes lignes et sur la longue durée, le développement de la Chine nouvelle possède un rythme propre1. Pendant les trois premières décennies après la fondation de la République populaire de Chine, c’est-à-dire entre 1949 et 1979, a été élaboré avec succès un système totalitaire typique, dont la caractéristique fondamentale était l’appropriation de l’économie et de la société par l’État. En s’appuyant sur ce régime, la Chine nouvelle, dans un contexte de pénurie des ressources après la guerre, a pu établir, en peu de temps, les bases initiales de l’industrialisation et de la modernisation. De 1979 jusqu’à aujourd’hui, le développement de la Chine a traversé une seconde période qui se caractérise par la réforme du système économique, c’est-à-dire la tentative de dégager l’économie de l’emprise de l’État, et la réorganisation de cette économie selon le principe de la régulation par le système des prix. Depuis ces trente dernières années, les réformes ont permis d’édifier le cadre général du système de l’économie de marché et ont donné lieu à une augmentation sans précédent des richesses.
2Il est à noter que, depuis deux ou trois ans, l’État a commencé à émettre de nouveaux signaux sur la « société », à l’image des slogans sur « la société harmonieuse » (hexie shehui) et « la gestion de la société » (shehui guanli). On peut alors penser que le développement de la Chine nouvelle entre dans une nouvelle phase : la société s’émancipe par rapport à l’État, et se réorganise en s’appuyant sur son intention originale comme « mécanisme d’auto-organisation »… Autrement dit, une nouvelle phase s’est ouverte, qui va peut-être nécessiter à nouveau trois décennies, voire plus, pour accomplir la tâche considérable de construction de la société. C’est sur cette base que les relations entre la société, l’État et le marché seront reconstruites et coordonnées. La tâche essentielle de cette troisième phase peut se résumer en une « production de la société ». Il est clair qu’il s’agit d’une tâche complexe et de longue haleine : en plus de sa propre définition, la société est chargée de redéfinir ses relations avec l’État et le marché. Cette tâche historique est d’autant plus difficile à réaliser que le contexte international dans lequel la Chine est de plus en plus profondément impliquée connaît de grands bouleversements : Burawoy a parlé de la « troisième vague de “marchandisation” » qui remporte des victoires rapides et balaie le monde (Burawoy, 2007).
3L’histoire offre souvent de surprenantes coïncidences. Presque au début de la première phase du développement du pays, Polanyi avait déjà prédit, avec sa propre originalité, l’arrivée d’une « société de marché ». Selon lui, le marché était à l’origine un domaine de la vie économique intégré dans la société. Cependant, grâce aux efforts de l’État, le marché a débordé du champ économique pour entrer dans, puis dominer, l’ensemble de la vie sociale, transformant la société en une « société de marché » qui s’est caractérisée par l’apparition de trois « marchandises fictives » : la marchandisation de la main-d’œuvre, de la monnaie et de la terre, dont instinctivement on pense que ce ne sont pas des marchandises. Polanyi avait seulement discuté des deux premières « marchandises fictives », pressé de décrire les conséquences catastrophiques de la société de marché, ses tensions destructives entraînant inévitablement une guerre mondiale. Burawoy systématise la thèse de Polanyi en introduisant la dimension temporelle. Si l’on doit parler de la marchandisation, alors ce qui s’est produit au xixe siècle est bien la marchandisation de la main-d’œuvre, au xxe siècle celle de la monnaie et au xxie siècle, celle de la terre, de l’environnement, du corps voire encore des connaissances. La troisième vague se distingue des deux premières autour de l’idée que l’alliance entre le pouvoir politique et le capital économique la caractérise ; elle est dotée d’une force de destruction dévastatrice et capable de balayer toutes les digues construites depuis deux siècles au nom des « mouvements d’auto-protection de la société », tels que les droits des travailleurs et les droits sociaux (Burawoy, 2007).
4La troisième vague de marchandisation a provoqué un choc considérable sur le monde civilisé avec des conséquences différentes selon les pays. Là où les sociétés sont déjà mûres, la marchandisation se présente comme une pression exercée sur la société ; en revanche, dans les pays en développement comme la Chine, la marchandisation entrave sérieusement la « production de la société ».
5Le destin de la sociologie et celui de la société sont interdépendants, elles vivent et meurent ensemble. En tant qu’expression théorique de la société, la sociologie se doit d’assumer les tâches historiques de « défense de la société » et de « production de la société ». Dans le contexte de la Chine, la seconde tâche s’impose à l’évidence comme plus réaliste, mais également plus urgente, car il nous faut d’abord une société pour ensuite pouvoir la défendre. Pour réaliser cette tâche, la sociologie doit jouer, non seulement en théorie mais également en pratique, le rôle d’une « sage-femme », au sens où le pensait Socrate : résister à la double pression de l’État et du capital, envisager une voie réelle pour la production de la société, convertir la théorie en action quand cela est possible, et aider la société à sortir de son cocon et à se développer le plus rapidement possible.
SOCIÉTÉ CIVILE ET DROITS DU CITOYEN
1. Le concept de société civile
6Dans la sociologie actuelle, la « société » désigne d’abord la « société civile ». Bien qu’il existe d’autres concepts tels que celui de « société active » de Polanyi et de « société politique » de Chatterjee, l’importance du concept de « société civile » est incontestable (Shen Yuan, 2007). Bien entendu, cela ne signifie nullement que la sociologie ne peut pas étudier autre chose que la société civile, mais que cette discipline doit prendre comme point d’appui la société civile, l’étudier en profondeur et regarder l’État et le marché à travers ce point de vue (Burawoy, 2007).
7Mais qu’est-ce que la « société civile » ?
8En réalité, différentes approches définissent la « société civile » de manière différente. Dans la tradition marxiste, ce concept est également ambigu. Marx critiquait la philosophie du droit de Hegel, et avançait la thèse que la société des citoyens détermine l’État, thèse qui s’inscrit dans une logique identique à l’École écossaise qui définit le concept de société civil en opposition avec celui d’État (Marx, 1956 ; Swingewood, 1988). Cependant, il est évident que la « société des citoyens » s’appuie essentiellement pour Marx sur les activités économiques réelles et non pas sur la vie sociale proprement dite.
9Sous la plume de Gramsci, le concept de société civile connaît deux changements fondamentaux : premièrement, la société civile est en réalité la société elle-même et non plus l’incarnation de l’économie. Pour Gramsci, la société civile est constituée d’une série d’organisations communautaires et de mouvements intimement liés entre eux par des outils de communication modernes ; deuxièmement, d’abord antagoniste la société civile est devenue « un collaborateur » de l’État et établit des relations solides avec lui. Selon Gramsci une caractéristique importante du capitalisme développé est qu’il produit une « société civile » :
« l’État entretient un lien stable avec la société civile.… L’État n’est qu’un fossé de l’enceinte extérieure soutenu par de puissants bastions et travaux de défense » (Burawoy, 2003).
10Ces bastions seraient plus puissants que l’État et définiraient justement la « société civile » dont l’apparition oblige la classe ouvrière à changer sa tactique révolutionnaire : la « guerre de mouvements » fait place à la « guerre de positions ».
11Toutefois, dans le développement ultérieur du marxisme, la « société » n’a jamais occupé une place remarquable dans la théorie comme dans la pratique. Infrastructure et superstructure économique, classes et État, idéologie sociale sont les concepts les plus mobilisés par les marxistes pour décrire la vie réelle des individus. Ces concepts ont tous un lien avec la société et ne la définissent pas. Dans la pensée marxiste, ce sont l’économie et l’État qui bénéficient de la pleine lumière, la société perd de son éclat et pâlit, elle n’a pas de statut indépendant.
12Il faut attendre la fin du siècle dernier pour que le concept de « société civile » soit à nouveau revalorisé dans la tradition marxiste. Dans la transition de marché des sociétés socialistes, les marxistes contemporains se sont rendus compte de l’importance de ce concept pour comprendre la réalité. Le retour aux théories de la « société » ou de la « société civile » est devenu une tâche essentielle à laquelle les marxistes se sont confrontés. Le « marxisme sociologique » de Burawoy et de Wright Mills offre une illustration des tentatives en ce sens. Selon Burawoy, la renaissance du marxisme ne peut se faire qu’à l’aide de la sociologie, en prêtant suffisamment d’attention à la « société » comme catégorie qui ne se confond ni avec l’économie ni avec l’État ; selon lui, la « société » ou la « société civile » se présente comme suit :
« … je la définis comme… associations, mouvements et espaces publics en dehors de l’État et de l’économie – y compris partis, syndicats, éducation scolaire, communautés religieuses, presse et toutes sortes d’organisations bénévoles. »
13Cette définition ne contredit pas celle de Gramsci, pour qui la « société civile » désigne principalement ces communautés, mouvements et espaces publics. La différence est que Burawoy apparaît comme plus radical que ses précurseurs : pour lui, la « société civile » ne résiste pas seulement à l’État, elle résiste également au marché. La « société civile » se définit et se maintient dans la résistance contre la double invasion du pouvoir d’État et de l’économie de marché.
2. Deux manières de construire la société civile
14Dans le contexte de la transition, la tâche fondamentale de la sociologie est de faciliter la naissance de la société civile. Cette tâche peut être résumée comme la « production de la société » (Shen Yuan, 2007). Sans aucun doute, cette production de la société ne saurait être accomplie du jour au lendemain, elle doit passer par un processus à la fois long et complexe qui consiste en l’exploration des différentes voies possibles pour produire la société civile. Les individus interprètent la production de la société civile comme la construction d’organisations sociales. Dans la tradition marxiste, cette vision théoriquement légitime s’inscrit en continuité avec les idées de Gramsci, et peut être qualifiée de « voie classique ». D’innombrables études ont discuté de la situation des organisations non gouvernementales et des organisations à but non lucratif en Chine, aboutissant à une même conclusion : la formation et le développement de ces organisations sociales est le signe de l’essor de la société civile (Deng Zhenglai, 1997 ; Zhang Jing, 1998). À en juger par leur situation réelle, cela reflète un optimisme excessif, qui privilégie trop la forme aux dépens du fond. Certes, depuis les réformes, les ONG et les organisations à but non lucratif ont émergé en grand nombre. En un sens, la naissance de ces espaces entre le marché et l’État peut signifier le développement de la société. Mais comme nous l’avons souligné il y a longtemps, il est primordial d’accorder de l’importance au phénomène d’isomorphisme dans le domaine de la construction des organisations sociales (Shen Yuan, 2007). Depuis plusieurs années, nous pouvons voir un grand nombre d’organisations (et de groupes) qui prennent l’apparence d’organisations non gouvernementales et d’organisations à but non lucratif, mais dont l’essence est en réalité une sorte d’évolution et de déformation du système étatique, dont la fonction est de mobiliser des ressources sur le marché ou sur la scène internationale. Leur apparition en grand nombre exprime moins l’autonomie de la société que la dépendance d’un certain nombre de groupes parasites à l’égard de l’État. Il n’est par conséquent pas étonnant que leur apparition et leur développement n’aient pas profondément transformé la situation.
15Cependant, il existe encore une autre façon de développer la société civile. Au lieu de mettre l’accent sur les organisations, on peut se centrer sur l’individu lui-même – c’est-à-dire sur le citoyen et l’éducation aux droits du citoyen. Le citoyen possédant la citoyenneté peut seul être désigné comme tel, et la société civile repose sur des liens autonomes institués entre citoyens. Les droits du citoyen, leur formation et leur production prennent sans doute plusieurs formes. Ils peuvent naître du système, des organisations et de divers mouvements. Cependant, le point de départ de leur production est l’individu, le citoyen comme individu réel. Dans le contexte de la transition sociale chinoise, il s’agit peut-être de modalités plus réalistes et plus importantes pour la croissance de la société civile.
16Toutefois, il en découle des difficultés. Les « droits du citoyen » n’ont jamais occupé de place significative dans la tradition théorique marxiste. À ses débuts, Marx avait effleuré cette problématique dans son livre sur La question juive en Europe (Marx, 1956). À la fin de sa vie, il avait défini de façon précise les caractéristiques fondamentales des « droits de la bourgeoisie », et la thèse de l’égalité sur la forme et inégalité au fond (Marx, 1963). À part cela, Marx n’a pas fait véritablement de propositions sur les droits des citoyens. Par conséquent, les marxistes ont dû rechercher d’autres ressources théoriques pour pouvoir discuter de cette question. En général, ils se servent de la théorie du sociologue libéral Marshall.
17Le très célèbre discours de Marshall à propos des droits du citoyen et des classes sociales est considéré comme la base fondatrice des recherches sur les droits du citoyen en sociologie. Marshall divise ces droits en trois catégories de base : droits civils, droits politiques et droits sociaux. Il établit une correspondance entre ces catégories et les différentes phases du développement de la société moderne, et les considère comme un mécanisme qui traverse toute la structure de classes. Bien que récemment cette perspective ait souvent été remise en cause car trop mécanique, elle fournit malgré tout une piste pour étudier le développement des droits du citoyen (Marshall, 1950). À vrai dire, quand nous introduisons cette vision dans la Chine en transition pour réfléchir à la question de la naissance de la société civile, elle peut nous servir d’appui pour avancer quelques critiques. Tout d’abord, comme la société civile elle-même, les « droits du citoyen » représente une catégorie qui a été absente de l’histoire chinoise. La naissance de ces droits est étroitement liée au mouvement de la Chine vers la société moderne. Ensuite, après la fondation de la Chine nouvelle, ont d’abord été établis des droits sociaux qui ne visaient qu’une partie des citadins et des ruraux, alors que les droits civils et politiques n’étaient pas complètement élaborés (Shafir, 1998). Enfin, après les réformes, la catégorie de droits du citoyen a connu de profonds changements qui se sont manifestés principalement par la montée des droits civils, l’affaiblissement des droits sociaux et une légère extension des droits politiques. Ces évolutions ont eu une portée considérable sur le développement des droits du citoyen et celui de la société civile.
18En résumé, deux pistes s’ouvrent à nous pour discuter de la société civile à partir de la tradition marxiste. La première est ce qu’on peut appeler « la voie classique » : ouverte par Gramsci, elle met l’accent sur la portée de la construction des organisations sociales pour la société civile. La seconde peut être appelée la « voie des droits du citoyen » ; elle déborde la tradition marxiste, et tire la leçon de la théorie sociologique des droits des citoyens pour réfléchir sur ces questions, et porte son attention sur l’action individuelle des citoyens et leur alliance. Le propos de cet article est de suivre cette seconde voie, pour discuter de la lutte des habitants pour les droits des citoyens dans la période de transition et du processus de mise en pratique de la construction de la société civile.
3. Trois voies d’accès aux droits du citoyen
19Depuis les années 1990, le processus d’urbanisation de la Chine est entré dans une phase d’accélération. Main dans la main, le capital et le pouvoir montent à la tribune pour stimuler l’urbanisation. D’un côté, cela entraîne une accélération du développement des villes, mais d’un autre côté, cela engendre un grand nombre de problèmes économiques et sociaux qui conduisent à des résistances de la part des habitants, urbains comme ruraux. Divers mouvements protestataires se succèdent et composent le paysage de la Chine actuelle. Après observation, ces mouvements de protestation peuvent aisément être divisés en trois catégories selon les acteurs : les résistances menées par les paysans, les travailleurs et la classe moyenne urbaine. Plusieurs analyses sur le contenu de ces luttes révèlent le processus de la construction des droits du citoyen. Dans cette période de transition, les voies qui font accéder aux droits du citoyen peuvent être divisées en trois catégories : les paysans à travers la défense du droit de propriété foncière, les travailleurs à travers la défense du droit du travail et la classe moyenne à travers la défense du droit de propriété (Shen Yuan, 2007). Chaque classe sociale lutte pour ses propres droits du citoyen. En ce sens, nous avançons vers une « ère des droits ».
20Ainsi, les classes sociales ou les groupes de base de la Chine, c’est-à-dire les paysans, les travailleurs et la classe moyenne, luttent tous pour des intérêts différents et suivent des voies diverses pour accéder aux droits du citoyen. Une société civile bâtie de cette manière ne peut être unie. Au contraire, elle est faite de fragments très différents. Cette apparence de désordre, et ce manque d’esthétique, sont en fin de compte la réalité même. C’est peut-être ainsi que notre société civile se constitue, par morceaux disjoints.
21Le problème est maintenant d’analyser concrètement et séparément ces trois voies. Dans cet article, nous nous penchons sur l’une des trois, à savoir le mouvement de défense du droit de propriété, et décrivons et analysons son sens. Ce mouvement est bien entendu très complexe, et il va sans doute durer longtemps. Mais c’est dans ce processus que les droits du citoyen de la classe moyenne émergent, de même que la société civile à laquelle elle aspire.
LA CLASSE DES PROPRIÉTAIRES : ÉMERGENCE, DIFFICULTÉS ET LUTTES
1. L’émergence de la « classe des propriétaires »
22Depuis les années 1990, une des réussites des réformes urbaines est la « réforme du logement ». Les conséquences directes de cette réforme se manifestent dans l’espace urbain par le développement rapide des résidences en dehors des ensembles de logements construits par les unités de travail (danwei). À Pékin par exemple, une estimation conservatrice est que jusqu’à maintenant, à l’intérieur du quatrième périphérique, presque 3 200 de ces résidences ont été construites, représentant une superficie totale de 320 millions de m2 et abritant plus de 20 millions d’habitants (http://www.sina.com, le 9 octobre 2006 ; Guo Yushan, 2006).
23Les habitants de ces résidences ont acheté leur logement avec leurs propres ressources économiques, alors qu’avant les réformes, les logements étaient obtenus par l’unité de travail. Ils peuvent par conséquent être appelés des « propriétaires ». Du point de vue de la stratification sociale, cette classe de « propriétaires », qui semble avoir émergé du jour au lendemain, appartient à la classe moyenne.
24Dans le domaine de la stratification sociale, la définition de la classe moyenne est une question difficile. La sociologie tente souvent de s’appuyer sur différentes catégories comme l’emploi, le revenu, le prestige, etc., pour déterminer la position dans la structure sociale des membres de la société, distinguer différentes classes et catégories, mais également pour enquêter sur les conditions et les chances de mobilité sociale. La classe moyenne n’est rien d’autre que cette couche ou niveau intermédiaire entre les classes supérieures et les classes inférieures (Wright, 2004 ; Grunsky, 2005). Dans la société moderne, l’importance de la classe moyenne s’impose comme une évidence. Or, comment définir cette classe moyenne dans la Chine en transition ? Voire même existe-t-il déjà une classe moyenne ? Ces questions restent largement ouvertes. On s’accorde à dire que le seul critère du revenu moyen n’est pas suffisant pour définir la classe moyenne, et qu’au statut économique doit s’ajouter encore l’attitude politique, l’habitus culturel et l’identité sociale (Zhou Xiaohong, 2007). Mais comment mobiliser ces variables et décrire de façon convaincante les traits fondamentaux de cette classe ? Ce travail est loin d’être achevé avec succès.
25Il n’est pas dans notre intention de nous attarder sur la définition de la classe moyenne. Nous nous intéressons à la catégorie liée à la « défense des droit des propriétaires », c’est-à-dire « la catégorie des propriétaires », qui n’est sans doute qu’une partie de cette classe moyenne. Pour simplifier, nous empruntons à Szelenyi le terme, qu’il a forgé il y a déjà longtemps, de « classe des propriétaires » (housing class) (Szelenyi, 1983). Cependant, la classe des propriétaires de Szelenyi est issue du pouvoir d’un système de redistribution alors que la classe des propriétaires à laquelle nous faisons allusion naît du marché. Pour nous, la conséquence sociale directe de la réforme du logement urbain est l’apparition d’une immense classe de propriétaires. Le mouvement de défense de leurs droits exerce une influence considérable sur la production de la société et plus particulièrement sur la construction de la société civile par la classe moyenne.
2. « La classe moyenne en colère » : les propriétaires étouffés par l’alliance entre l’État et le marché
26Dans la tradition culturelle chinoise, l’achat d’un bien immobilier est un événement heureux. La possession de son propre logement est un idéal confucéen. De plus, pour Mencius, celui qui possède un bien pérenne est persévérant. En langage moderne, cela signifie que seuls les habitants possédant des biens immobiliers assurent des bases solides à la société.
27Cependant, au moins à Pékin, la « classe des propriétaires » est en train de vivre de profondes souffrances. Dès l’achat ou l’entrée dans le nouvel appartement, les ennuis sans fin commencent. Pendant que les prix de l’immobilier flambent à Pékin, se rapprochant de ceux des grandes métropoles internationales, les propriétaires, qui ont investi les économies de toute une vie, font face à l’oppression de l’alliance entre les promoteurs, les syndics et les autorités locales, et sombrent jusqu’à devenir une « population précaire ». Toutefois, « là où il y a répression, il y a résistance. » On constate que les propriétaires ont finalement dû se lever et lutter pour défendre leurs droits. Face à l’oppression qu’ils subissent, ils sont devenus une « classe moyenne en colère ».
28En général, la lutte des propriétaires pour défendre leurs droits naît des conflits contre les promoteurs, les syndics – et en particulier les premiers syndics mis en place à l’ouverture de la résidence – et enfin les organes administratifs locaux. Ces trois types de conflits conduisent la classe des propriétaires à lancer ses propres mouvements de défense de leurs droits, produisant un processus original qui passe par les droits de propriété pour aller vers les droits du citoyen.
29Les conflits avec les promoteurs se concentrent principalement dans quatre domaines. Premièrement, les conflits provoqués par les ventes sur plan. Les promoteurs vendent les appartements avant même l’achèvement de la construction, afin d’utiliser les sommes versées par les nouveaux propriétaires pour réaliser l’opération. Souvent cette chaîne de financement se brise et les promoteurs ne peuvent ou ne veulent délivrer les appartements à la date prévue, voire même se déclarent en faillite ; et les acheteurs ne peuvent emménager dans les temps, ou pire, ils perdent tout l’argent investi. Un cas récent concerne l’immeuble XS de la résidence HD ; comme le promoteur s’est aperçu que le prix de la vente sur plan pratiqué il y a deux ans était plus bas que le prix de 2007, il a ostensiblement déchiré les contrats et a voulu rendre les sommes déjà versées par 22 acheteurs afin de pouvoir fixer un nouveau prix pour la vente. Cet acte a bien entendu provoqué la colère et la révolte des propriétaires. Deuxièmement, ont eu lieu des conflits autour de la qualité de la construction et de la superficie des appartements ; les logements délivrés par les promoteurs présentent souvent de nombreux problèmes. Les plus récurrents concernent la mauvaise qualité des travaux de construction, comme des fissures dans les murs, un affaissement du sol ou un béton de mauvaise qualité. Le promoteur du « GD Garden » du district HD avait promis sur la plaquette de vente que les matériaux utilisés pour les fenêtres et les portes seraient tous des matériaux haut de gamme importés d’Australie. Mais les propriétaires ont découvert en emménageant que non seulement les matériaux provenaient d’une usine située dans la banlieue de Pékin, mais que leur qualité était médiocre. Le problème des superficies inférieures à ce qui était prévu est encore plus fréquent. Troisièmement, les équipements collectifs que les promoteurs s’étaient engagés à réaliser sont souvent absents. Ces équipements comprennent en général : un garage, un club, un jardin d’enfant, des espaces plantés et gazonnés. Dans certaines résidences, les promoteurs s’en vont dès que les nouveaux propriétaires ont emménagé, sans se soucier de débarrasser les déchets de la construction, et encore moins de l’aménagement des jardins et des espaces communs. Quatrièmement, les promoteurs tentent souvent de modifier les plans afin d’y construire de nouveaux immeubles dans tous les espaces disponibles. Beaucoup de propriétaires découvrent, peu après leur installation, que les espaces sur lesquels devaient être aménagés des jardins, des garages ou des équipements collectifs, sont à nouveau creusés afin d’y ériger de nouveaux immeubles. En réponse aux interpellations des propriétaires, le moyen le plus utilisé par les promoteurs n’est autre que l’accord du comité de planification pour ces nouvelles constructions. Ces nouvelles opérations accroissent la densité du parc, affectent l’éclairage des appartements et provoquent bien entendu insatisfaction et révolte des propriétaires.
30Les syndics sont un produit de la marchandisation des logements. Fin 2006, 2 841 syndics étaient enregistrés à Pékin, employant 200 000 personnes dans ce secteur et réalisant un chiffre d’affaires de 6 milliards de yuans. Les conflits entre les propriétaires et les syndics, en particulier les syndics mis en place à l’ouverture des résidences, prolongent pour partie les différends avec les promoteurs. Les problèmes décrits précédemment apparaissent souvent au cours des conflits avec ces syndics de premier mandat. Ceux-ci sont, sauf rares exceptions, des filiales créées par les promoteurs et commencent à offrir ce type de services dès le premier jour de la vente. Plus de 90 % des propriétaires signent un contrat de service avec le syndic de premier mandat. Lorsque, après avoir emménagé, les propriétaires découvrent des problèmes de qualité, ils n’ont en réalité aucun moyen pour traiter avec le promoteur et ne peuvent se retourner que vers le syndic. Les syndics sont parfois eux-mêmes responsables des conflits, et cela dans quatre domaines. Premièrement, les charges du syndic sont trop élevées. Étant donné que ce sont souvent des sociétés filiales des promoteurs, les charges des syndics sont fixées par les promoteurs eux-mêmes, et généralement à un niveau très élevé.
31À cela s’ajoutent encore les déclarations mensongères sur les services fournis. Dans la résidence MLY de l’arrondissement HD, des propriétaires ont réalisé un examen méticuleux des services rendus par le syndic, et ont découvert que celui-ci avait déclaré le fonctionnement de 17 pompes à eau, alors qu’il n’en existait qu’une seule. Deuxièmement, des conflits sont provoqués par la mauvaise qualité du service. Les propriétaires se plaignent souvent d’un contrôle peu strict des entrées, du piètre niveau de la propreté, des dysfonctionnements des ascenseurs, etc. Il arrive même dans certaines résidences que des vols à répétition dans les appartements, voire même des meurtres, soient commis par les gardiens employés par le syndic. Troisièmement, les différends les plus importants concernent les droits de propriété, d’usage et de gestion des espaces et équipements collectifs. Dans une résidence, on se demande à qui appartiennent et comment utiliser les locaux du syndic, les parkings, les routes, les espaces verts, les clubs, caves, halls d’entrée, paliers et locaux de tuyauterie, qui sont utilisés à la fois par les propriétaires et par des non-propriétaires ? Cette question devient de plus en plus brûlante alors que, au moins à Pékin, aucune réponse claire n’a été trouvée. Ce manque de clarté profite aux syndics qui s’emparent des espaces et équipements communs à l’insu des propriétaires. Les tentatives de ces derniers pour reprendre les droits de propriété et d’usage finissent la plupart du temps par échouer. Récemment, dans la résidence MLY les propriétaires, afin de récupérer la propriété sur le local utilisé par le syndic, ont intenté un procès jusqu’au tribunal intermédiaire, procès qu’ils ont perdu. Enfin, quatrièmement, à qui reviennent les bénéfices générés par la location des enseignes et les publicités ? En réalité, si les syndics viennent s’installer dans ces résidences, ce n’est généralement pas seulement pour s’occuper des charges de la résidence qui sont bien trop dérisoires. Ce qui leur rapporte de vrais bénéfices, ce sont les profits réalisés sur la location des locaux commerciaux et des panneaux publicitaires, ainsi que la gestion des équipements collectifs. Gagner de l’argent grâce aux biens des propriétaires est l’objectif essentiel qui explique l’installation d’un grand nombre de ces syndics dans les résidences.
32Les conflits entre syndics et propriétaires sont fréquents dans la vie quotidienne. Cependant, le plus grave n’est pas tant l’existence de ces conflits proprement dits mais le recours fréquent à la violence de la part des syndics en réponse aux revendications et protestations des propriétaires. Si bien que l’expression de « violence des syndics » figure aujourd’hui parmi le vocabulaire récurrent des médias. Par exemple, depuis l’emménagement dans la résidence TP, 60 propriétaires ont été victimes de violence physique en quatre ans (Guo Yushan, Li Yuanyuan, 2006). Dans l’affaire de la « cour BST8 » de mai 2007, le syndic a mobilisé une centaine de personnels de sécurité qui se sont rendus coupables de violence contre six propriétaires, dont deux ont été gravement blessés (Xinjingbao, le 28 mai 2007). Il n’existe pas encore de statistiques complètes sur cette « violence des syndics », mais si l’on en juge par les scandales dénoncés continuellement par la presse, ils doivent être nombreux. Les syndics ont également couramment recours à d’autres procédés contre les propriétaires, comme par exemple : injecter de la colle dans la serrure de ceux « qui ne veulent rien entendre » ou boucher les tuyauteries d’eaux usées. Les propriétaires qualifient ces syndics aux comportements agressifs de « cruels intendants ».
33Parmi les organes administratifs dont les activités sont en lien avec les résidences, on compte les bureaux, les comités de quartier et les organisations autonomes de résidents qui, en réalité, sont des extensions des pouvoirs locaux – c’est-à-dire des comités de quartier. Les conflits avec ces organismes administratifs locaux ont lieu principalement dans trois domaines. Il s’agit d’abord des problèmes liés à la création des comités de propriétaires. Conformément aux règlements sur la gestion de propriété publiés par le Conseil des affaires d’État, après avoir convoqué une assemblée générale à laquelle participe une proportion limitée de propriétaires, ces derniers ont le droit de constituer un comité de propriétaires et de le faire enregistrer auprès du comité de quartier. Pourtant, si l’on en croit les propriétaires, les comités de quartier ne font pas qu’examiner ces demandes d’enregistrement et trouvent toujours toutes sortes de raisons pour entraver la création de ces comités de propriétaires. L’inaction ou les obstacles de la part de ces organes administratifs est l’une des raisons principales du faible nombre de comités de propriétaires dans les résidences de Pékin. Les chiffres dont nous disposons sont discordants. Selon un centre d’étude gouvernemental, il n’existerait qu’un peu plus de 400 comités parmi les 4 200 parcs résidentiels situés à l’intérieur du sixième périphérique (Lu Shijie, 2007) ; selon un avocat, le chiffre s’élève à 465 (Qin Bing, 2007). Quelle que soit la réalité, ce nombre reste dérisoire par rapport à la quantité des résidences. Le second problème vient du fait que ces organes administratifs locaux se rangent toujours du côté des promoteurs et des syndics lors des conflits, et contre les propriétaires. Une telle configuration n’a rien d’étonnant. Tout le monde le sait, depuis l’essor des résidences à Pékin à partir des années 1990, les gouvernements locaux et les promoteurs ont construit une alliance indestructible. Les promoteurs obtiennent les terrains par le gouvernement local, souhaitant qu’ils construisent de nouvelles résidences comme signe de la réussite de leur gestion. Dans cette relation extrêmement étroite, chacun trouve ce dont il a besoin. Ces agences immobilières ont souvent pour origine une branche du gouvernement local qui s’en est séparée. En outre, une partie des fonctionnaires locaux entretient des relations privées très solides avec les syndics des parcs derrière leur autorité, relations que les syndics tentent de nouer par tous les moyens pour servir divers objectifs. Par conséquent, dès qu’il y a conflit avec un promoteur ou un syndic, ces fonctionnaires savent que c’est le moment pour eux d’agir avec efficacité. De plus, les tribunaux eux-mêmes penchent en faveur des syndics. À titre d’exemple, le tribunal de l’arrondissement CY, à Pékin, a rendu un verdict en octobre 2005, permettant d’utiliser la force, avec envoi de la police judiciaire, pour forcer la porte d’une dizaine de propriétaires de 13 résidences, qui refusaient de payer les charges à leur syndic, car ils étaient insatisfaits des services, et leur avaient intenté un procès. Cette affaire a eu un retentissement considérable dans toute la ville. Les autorités supérieures ont été obligées d’intervenir et de suspendre cette affaire (http://www.sina.com le 9 novembre 2005). Enfin, les organes administratifs tentent souvent de s’immiscer dans le travail des comités de propriétaires. Par exemple, un comité de quartier de l’arrondissement CY a publié récemment une déclaration déclarant illégal le comité de propriétaires de la résidence « SD Garden » ; il voulait organiser l’élection d’un nouveau comité de propriétaires sous sa direction. Ils négligent totalement le fait que le comité de propriétaires est une organisation autonome légale selon les « règlements de gestion de propriété » et la toute récente « loi relative à la propriété ».
34En résumé, la « classe des propriétaires », en raison de l’alliance des promoteurs, syndics et administrations locales pour l’étouffer, s’enlise dans des situations qui portent atteinte à ses droits de propriété, ou, plus grave encore, la privation de ces droits. Quand les propriétaires se sentent poussés à bout, ils se soulèvent et résistent, provoquant des vagues de mouvements de défense des droits.
3. Formes de la défense des droits de propriétaire
35Bien que le nombre des résidences soit élevé à Pékin, les mouvements de défense des droits se déroulent tous selon un processus à peu près similaire. Dans une première phase, dès leur installation dans leur appartement, les nouveaux propriétaires sont confrontés à toutes sortes de mauvaises surprises : par exemple la superficie est incorrecte, la construction est de piètre qualité, les services médiocres, etc. Ils réalisent très vite que ces questions sont difficiles à résoudre s’ils agissent seuls. Ils commencent donc à préparer la création d’un comité de propriétaires. Mais quelques incidents changent les mécanismes de leur mobilisation, et les poussent à sortir de chez eux et à s’unir. C’est le cas par exemple de la résidence JX. Un été, une coupure de courant occasionnelle a arrêté l’ensemble des climatisations, conduisant les propriétaires qui ne pouvaient plus supporter la chaleur à sortir de chez eux. À cette occasion, ils ont fait connaissance, ont discuté, ce qui les a conduits à convoquer une assemblée générale des propriétaires et à proposer la création d’un comité de propriétaires.
36Les membres élus aux comités de propriétaires sont souvent des propriétaires préoccupés par l’intérêt général et ils possèdent généralement les caractéristiques suivantes : ils sont jeunes, possèdent un haut niveau d’éducation, ils ont un revenu élevé et stable ou ont créé leur propre entreprise, ils possèdent une connaissance générale en droit et maîtrisent Internet. Ils font partie de l’élite de la société. La création d’un comité de propriétaires marque souvent le début de la deuxième phase de la lutte. Ce comité à peine constitué, ses membres discutent des problèmes concernant la construction avec le promoteur, mais surtout, leur première action majeure consiste souvent à tenter de changer de syndic. Un moyen encore plus radical est de chercher à récupérer les « frais de démarrage du syndic », somme que le promoteur a laissée au syndic pour démarrer la gestion mais qui théoriquement doit être gérée par le comité de propriétaires. En règle générale, à partir du moment où le comité de propriétaires émet le souhait de changer de syndic, il entre dans un « état de guerre » avec ce dernier. Le comité souhaite, à travers ce changement, recouvrer les droits qui appartiennent aux propriétaires, baisser les charges, surveiller l’utilisation des fonds par le syndic, contrôler le droit de gestion des équipements collectifs, mais également partager les bénéfices générés par la location des espaces commerciaux et des panneaux publicitaires. Mais le syndic de premier mandat cherche par tous les moyens à empêcher la réalisation de ces objectifs : depuis l’injection de colle dans les serrures des appartements des propriétaires qui sont les plus actifs dans le mouvement jusqu’au recours à la violence pour les « passer à tabac ».
37Cependant, il existe une condition préalable au changement de syndic. Au moins en théorie, il faut que le contrat arrive à son terme. Avant cela, quel que soit le mécontentement des propriétaires, il n’est pas possible de changer de syndic. Les propriétaires n’ont donc d’autre solution, comme la plupart des membres de cette société faisant face à une injustice, que de lancer ces formes de résistance : ne plus payer les charges, organiser des actions collectives éphémères, se plaindre auprès des autorités supérieures ou encore intenter un procès. Le refus du paiement des charges est le premier moyen utilisé par les propriétaires dans leur lutte, mais souvent cela conduit les syndics à les traîner devant les tribunaux. Les propriétaires ont des raisons suffisantes et peuvent prouver que les services rendus par le syndic sont décevants, que les charges ne sont pas raisonnables, et que les profits réalisés sur les espaces collectifs ne sont pas moraux. Mais ce sont toujours les propriétaires qui perdent les procès, et doivent payer pour les frais occasionnés par la procédure. Les actions collectives de courte durée apparaissent comme un mode efficace de mobilisation souvent utilisé par la population précaire. Pour attirer l’attention du gouvernement et pour qu’il résolve le problème, cette population précaire est toujours amenée à commettre des actes extrêmes afin de montrer qu’elle fait face à des problèmes qui doivent réellement être résolus le plus vite possible. Après « le passage à tabac » des résidents de la « cour BST8 », les résidents de trois immeubles se sont unis spontanément et ont bloqué à l’extérieur de leur résidence une route menant à Yayuncun pendant deux heures afin de forcer les autorités locales concernées à intervenir dans cette affaire de violence contre des propriétaires. La méthode du dépôt de plaintes auprès des autorités supérieures peut revêtir différentes formes. Après l’éclatement d’un conflit avec le syndic ou l’administration locale, le comité de propriétaires, ou bien les propriétaires radicaux qui soutiennent la lutte, commencent par accrocher des bannières et des slogans dans la résidence, prononcent des discours publics, distribuent des tracts dans le but d’obtenir plus de soutien de la part des autres propriétaires. Ils rédigent ensuite leur lettre de plainte et se rendent à l’administration concernée. Très souvent, les propriétaires s’y rendent en groupe, et portent des t-shirts spécialement confectionnés et imprimés pour la circonstance. Des dizaines de voitures, dont certaines portent des slogans, déferlent et paradent dans la ville. Si ces actions ne durent pas longtemps, elles permettent d’informer la société au moment même de déposer leur plainte de manière officielle.
38Le dernier canal de la lutte est le procès. Le comité des propriétaires engage un avocat, ou, parfois, des membres du comité sont eux-mêmes avocats. Ils rédigent leur plainte et poursuivent le syndic devant les tribunaux. Mais, au moins dans l’arrondissement HD, tous les procès menés par des propriétaires contre des syndics, soit ne sont pas traités, soit sont perdus par les plaignants. Les propriétaires n’ont ainsi d’autre choix que de poursuivre leur démarche en déposant une plainte auprès des autorités supérieures. Sur plus de 7000 affaires traitées par les tribunaux des districts urbains de Pékin ces dernières années, 90 % ont été perdues par les propriétaires (http://www.house.sohu.com, le 9 octobre 2006). Des exceptions existent malgré la tendance générale, à l’instar de l’affaire ML. En août 2006, après avoir perdu un procès contre le syndic au niveau du tribunal de l’arrondissement HD, le nouveau comité de propriétaires de la résidence ML a fait appel auprès du premier tribunal intermédiaire et l’a emporté. Le fruit de cette victoire est la réduction des charges du syndic de 2,72 yuans par m2 par an à 1,58 yuans. Ce procès a vivement encouragé les propriétaires en lutte de toute la ville de Pékin, mais a provoqué un mécontentement chez les syndics. Après avoir reçu le verdict, le syndic de HM, à la grande surprise de tous, a brusquement quitté la résidence le 1er août, provoquant des coupures d’eau et d’électricité, le dysfonctionnement des ascenseurs, la non-surveillance des entrées, en provoquant un grand désordre (http://www.house.sohu.com, le 18 octobre 2006).
39En tout état de cause, la défense des droits des propriétaires est un parcours du combattant. Les violations des droits par les promoteurs et les syndics forcent les propriétaires à s’unir pour défendre leurs propres intérêts. L’élection des comités de propriétaires offre à ceux-ci une instance de résistance et une direction. Les conflits pour changer les syndics de premier mandat, donnent presque tous lieu à la constitution d’un comité de propriétaires. Pour se révolter contre les promoteurs et les syndics qui violent leurs droits, mais également les autorités qui prennent parti contre eux, les propriétaires peuvent adopter différents moyens tels que refuser de payer les charges ou intenter un procès devant les tribunaux. Cependant, les plaintes collectives et les procès sont les deux voies de lutte de base. Bien que les échecs se succèdent, les procès continuent et sont de plus en plus visibles. La tendance actuelle voit le nombre des plaintes collectives baisser alors que le nombre de procès a tendance à augmenter (http://www.house.sohu.com, octobre 2006).
DU DROIT DE PROPRIÉTÉ AUX DROITS DU CITOYEN : LA DÉFENSE DES DROITS DES PROPRIÉTAIRES COMME MOUVEMENT CITOYEN
1. Forme pratique de la définition du droit de propriété
40Le cœur de la défense des droits est le droit de propriété des biens immobiliers. Les moyens employés sont le dépôt de plaintes auprès des différents niveaux de l’administration et le procès. Les mouvements de propriétaires se caractérisent par le fait qu’ils s’appuient sur la loi sur les Règlements de la gestion de propriété publiés par le Conseil des affaires d’État et sur la loi relative à la propriété qui toutes deux défendent le droit de propriété.
41Discuter de la propriété ne peut se faire qu’en référence à l’économie. Depuis le développement de la nouvelle économie institutionnelle, les droits de propriété sont devenus une catégorie majeure des recherches en économie. Les grands noms dans ce domaine, comme Alchian, Demsetz, North et Barzel, ont tous participé à la discussion de différents points de vue (Pejovich, 1999). En général, les économistes définissent le droit de propriété comme « un droit de choisir l’usage d’un bien économique qui est mis en œuvre par la société de manière coercitive » (Alchian, 1990). Plus concrètement, chez les économistes, le cœur du droit de propriété est constitué des droits de propriété, d’usage et d’usufruit. En ce sens, le droit de propriété peut être interprété comme un ensemble de droits fondés sur la possession.
42Depuis les années 1980, le débat est également posé en sociologie. Nee, en s’appuyant sur la logique de fonctionnement réel des entreprises de bourg et de village en Chine, est le premier à avoir proposé de distinguer des formes formelles et non formelles du droit de propriété, mais également à avoir soulevé la question du « savoir social du droit de propriété » (Nee, Su, 1990). Poursuivant cette voie, Liu Shiding a approfondi ces analyses et étudié les trois dimensions du régime de possession et son processus de reconnaissance sociale (Liu Shiding, 2006). Zhou Xueguang ouvre une autre piste. Selon lui, la sociologie se différencie de l’économie du fait qu’elle comprend le droit de propriété non pas comme un ensemble de droits mais comme tissu de relations ; à partir de là il propose le concept de « droit de propriété relationnel » (Zhou Xueguang, 2005). She Xiaoye et Chen Yingying suivent également pour l’essentiel cette perspective. Selon ces chercheurs, le droit de propriété est ainsi un « contrat social » (She Xiaoye, Chen Yingying, 2005).
43La défense des droits conduite par les propriétaires offre un nouveau point de vue sur la définition des droits de propriété : le droit de propriété est une pratique. La forme pratique du droit de propriété signifie que le droit de propriété n’est pas seulement le symbole d’un rapport de possession. Dans différentes circonstances concrètes, au cours de multiples activités individuelles se construisent le rapport de propriété et d’autres relations sociales. Par conséquent, le droit de propriété est une pratique, une forme dynamique et un processus de définition circulaire. En ce sens, la forme pratique du droit de propriété renvoie à la théorie du droit de propriété de Barzel, désigne ce droit comme un processus pratique qui implique des relations entre les individus concernés dans divers domaines et nécessite des définitions et redéfinitions constantes (Barzel, 1997). Mais le droit de propriété ne devient pas une fois pour toutes une relation statique dès qu’il est symbolisé par le droit.
44Les propriétaires qui participent à la protection de leurs droits se trouvent sur les lieux de la lutte. La « forme pratique du droit de propriété » naît de leur action et non pas de leur réflexion abstraite, ouvrant de nouvelles possibilités pour comprendre la possession réelle des biens ainsi que son fonctionnement. Cependant, pour discuter de cette problématique, il ne suffit pas de se fonder sur l’économie ou sur la sociologie. La « forme pratique du droit de propriété » combine et articule ces deux disciplines : elle contient le concept du droit de propriété au sens économique qui le présente comme un ensemble de droits ; elle s’inscrit aussi dans la sociologie au sujet de l’organisation des propriétaires défendant la propriété en conformité avec la loi. Elle crée ainsi un mécanisme démocratique pour la gouvernance des communautés et établit les fondements de la société civile.
2. Les dimensions spatiale et sociale de la propriété en pratique
45La « forme pratique du droit de propriété » montre que, dans la vie réelle, la réalisation de ce droit, c’est-à-dire la possession effective d’un bien, passe obligatoirement par de multiples actions pratiques. La possession, ainsi que les autres droits qui lui sont liés, constituent en réalité un processus de définition et de redéfinition dans la pratique. L’expérience de la défense des droits des propriétaires donne à voir les dimensions spatiale et sociale de ce processus.
46La dimension spatiale de la pratique du droit de propriété par les propriétaires se traduit essentiellement par la « territorialisation »2. Pour le dire simplement, les propriétaires mettent en scène une série d’actions caractéristiques (en l’occurrence des actions de protestation), construisent et obtiennent le droit de propriété et les autres droits qui y sont liés – droits qui sont uniquement définis en un sens juridique – en marquant leur résidence comme leur territoire. Ceci implique la définition du logement individuel et la définition des équipements collectifs.
47L’immobilier est un bien physique dont la possession passe par un dispositif spatial concret. D’un côté, les propriétaires qui accèdent à ces résidences s’engagent dans des différends et une lutte contre les promoteurs et les syndics, au sujet de la superficie, de la qualité et de la vue, ainsi que des divers services. Par ces luttes, ils déterminent et réaffirment leurs droits de propriété sur leur logement avec une patience remarquable, affirment le caractère exclusif et inviolable de leur propriété individuelle et obligent aussi bien les promoteurs que les syndics et les autres propriétaires à admettre cette réalité. D’un autre côté, les propriétaires se battent pour l’accès aux droits de propriété et d’usage des équipements collectifs pour se débarrasser des promoteurs et des syndics et reprendre leurs droits. Ils déclarent publiquement continuellement leur possession et leur droit de contrôle sur ces équipements collectifs, et obtiennent une large reconnaissance de la part de la société. Il s’ensuit que la pratique de cette lutte est un processus de définition et de redéfinition des droits de propriété, au cours duquel les propriétaires exposent progressivement dans l’espace la possession de leur propre logement et de ces équipements collectifs – montrant qu’il s’agit bien de leur territoire et pas d’autre chose.
48S’il faut malgré tout reconnaître une différence entre le logement privé et les équipements communs, celle-ci réside sans doute dans le fait que les droits sur ces derniers ne sont pas individuellement détenus par les propriétaires, mais par le biais de l’organisation des propriétaires, c’est-à-dire par l’assemblée des propriétaires. Ce qui nous amène à examiner la seconde dimension sociale de la forme pratique du droit de propriété.
49Si la dimension spatiale de la pratique du droit de propriété se manifeste essentiellement par la « territorialisation », alors sa dimension sociale se manifeste principalement dans l’ » organisation », c’est-à-dire dans les organisations sociales créées conformément à la loi par des groupes de propriétaires. Ici, cela ne concerne déjà plus les relations entre l’homme (le propriétaire) et l’objet, mais les relations interindividuelles entre propriétaires, rapports sociaux complexes. Les actions des propriétaires doivent se conformer aux Règlements de la gestion de propriété promulgués en 2003 par le Conseil des affaires d’État remplacés récemment par la loi relative à la propriété. Celle-ci consacre l’article 6 sur les droits de propriété des propriétaires sur les immeubles à la description précise des droits dont jouissent les propriétaires, droits qui incluent non seulement les droits de propriété, d’usage et d’usufruit sur le logement privé ainsi que le droit de gestion sur les parties communes c’est-à-dire les équipements collectifs, mais aussi le droit de constituer une assemblée de propriétaires. Les propriétaires élisent à travers cette assemblée un comité de propriétaires, par lequel les propriétaires mettent en œuvre la gestion de la résidence.
50L’assemblée des propriétaires et les droits d’organisation sont donc des droits obtenus dans l’exercice du droit de propriété, ou dit autrement, sont l’incarnation du droit de propriété dans la relation humaine. Lorsqu’un nombre légal de propriétaires est atteint, ils peuvent élire une assemblée des propriétaires qui est l’organisation autonome des propriétaires. Elle assure plusieurs responsabilités dont celle d’élire le comité des propriétaires ou d’en renouveler les membres. Elle rédige une convention de gestion sur les constructions de la résidence et les équipements qui en dépendent, et s’appuie sur le comité des propriétaires élu pour la mettre en œuvre.
51La procédure de l’élection est extrêmement complexe. D’abord, conformément aux règlements sur la gestion de propriété, l’assemblée générale ne peut être convoquée qu’avec l’accord des deux tiers des propriétaires. C’est loin d’être un travail facile. À peine installés dans la résidence, les propriétaires ne se connaissent pas. De plus, nombre d’entre eux n’y résident pas en permanence. Il est donc particulièrement difficile de trouver les deux tiers des propriétaires pour participer à l’assemblée. Dans la résidence DXY, les organisateurs ont dû déployer tous les moyens possibles et faire de gros efforts pour trouver les propriétaires, y compris en utilisant l’internet pour trouver la trace de certains propriétaires en Chine (mais également à l’étranger), et satisfaire l’exigence de la loi, tenir l’assemblée générale et élire un comité des propriétaires. La nouvelle loi relative à la propriété fait baisser le seuil : l’assemblée générale peut être convoquée à condition d’avoir la participation d’au moins la moitié des propriétaires. La complexité provient ensuite de l’élection proprement dite. Une série de démarches est nécessaire pour se porter candidat. Chaque participant dispose d’un bulletin de vote et l’élection se déroule selon le principe : un électeur, une voix. Les candidats remportant le plus de voix gagnent l’élection. Il s’agit d’une expérimentation au niveau de la communauté de l’élection démocratique ; elle permet aux propriétaires d’entrer en contact et de se familiariser progressivement avec les règles de base de la politique démocratique.
52Les descriptions précédentes montrent que le droit de propriété ne cesse d’être défini dans le processus pratique de la vie quotidienne dans la résidence. Cette pratique des droits de propriété comprend deux dimensions : une dimension spatiale qui s’exprime par la territorialisation, une dimension sociale qui se manifeste par l’organisation. Ces deux dimensions mettent en relief le droit de propriété et forcent sa reconnaissance par les autres acteurs.
3. Du droit de propriété aux droits du citoyen
53En définissant leurs droit de propriété à partir de ces deux dimensions, les propriétaires construisent les droits du citoyen dans deux perspectives : la première renvoie aux droits civils ; selon les règlements il s’agit du droit qu’a un citoyen « de posséder des biens et de conclure des contrats valides » ainsi que du droit de « protéger et prôner l’égalité de droit entre un individu et autrui, protéger ce droit en s’appuyant sur les processus légaux ». La seconde perspective est référée aux droits politiques, à savoir le droit de participer à l’exercice du pouvoir politique. Autrement dit, le droit d’élire et celui d’être élu (Marshall, 1950). Bien entendu, en l’occurrence, il s’agit seulement de discuter du droit politique au niveau de la communauté ; quand sont élus les membres d’un comité de propriétaires, il ne s’agit pas encore de l’élection des députés de l’Assemblée nationale populaire. Cependant, ils n’en sont pas moins les deux éléments fondamentaux constitutifs des droits du citoyen présentés par le sociologue Marshall. Et c’est précisément la raison pour laquelle les mouvements de défense des droits des propriétaires sont dans leur nature des mouvements qui construisent les droits du citoyen dans la classe moyenne.
54Néanmoins, ces mouvements de défense des droits des propriétaires ne se déploient pas entièrement de la même manière que le présente Marshall. La première différence est que, ces droits civils et ces droits politiques, contrairement à ce que Marshall avait décrit, ne sont pas les produits de deux phases historiques distinctes. Pour Marshall, les droits civils sont nés au xixe siècle alors que les droits politiques sont des produits du xxe siècle. Alors que dans les mouvements de défense décrits dans notre chapitre, ces deux droits se présentent comme deux faces du droit de propriété forgées dans un même processus. Il y a donc simultanéité entre eux. La seconde différence est que ces droits du citoyen n’ont pas été octroyés par l’État mais sont construits de façon indépendante dans la lutte des propriétaires via la forme pratique des droits de propriété. Par ailleurs, cette lutte se poursuit toujours aujourd’hui et est loin d’être achevée.
Discussion : Alliance inter-résidentielle des propriétaires : vers une société civile de classe moyenne ?
55En 2006, 33 comités de propriétaires déposent une demande formelle de création de l’Association des comités de propriétaires de Pékin auprès des autorités compétentes de la municipalité. Cette demande a sans surprise été rejetée, car, avec la politique en vigueur de contrôle strict des organisations non-gouvernementales et des organisations à but non lucratif, il est très difficile d’obtenir l’approbation pour la création de n’importe quelle nouvelle organisation sociale. Cependant, cette demande a eu des résultats importants avec la constitution d’un Comité de demande, c’est-à-dire un comité chargé par les comités de propriétaires de prendre en charge la demande de reconnaissance légale de l’association. Cette organisation se compose des présidents des comités de propriétaires de quatre résidences : GD, JX, XJY et XTD. Ses membres y participent de façon volontaire et bénévole, pendant leur temps libre. N’ayant pas de locaux fixes, les membres de ce comité travaillent dans le bureau du comité de propriétaires de la résidence XJY. L’apparition de cette organisation marque la formation de nouvelles formes d’organisation par les propriétaires à Pékin. Ils traversent les frontières de leur résidence et commencent à s’unir.
56En l’espace d’un peu plus d’un an, le Comité de demande a organisé plusieurs actions de grande envergure. Trois méritent d’être mentionnés : en été 2006, plus de 70 comités de propriétaires se sont unis pour soutenir le comité de propriétaires de ML lors du procès intenté pour renvoyer le syndic HM. La victoire du comité de propriétaires à ce procès ne peut bien entendu pas être attribué uniquement au soutien du Comité de demande. Cette unique victoire pour un tel procès à Pékin est le résultat complexe de nombreux facteurs. Mais à cette occasion le Comité de demande a commencé à se faire connaître auprès du public. Deuxièmement, à l’automne 2006, un mouvement de signature citoyenne a été organisé autour du projet de loi relative à la propriété : 160 000 propriétaires ont signé pour soutenir les propositions faites concernant l’article 6. Ce qui mérite une attention particulière est que ce mouvement a attiré la participation de propriétaires d’autres grandes villes comme Canton et Shanghai. Troisièmement, deux séminaires annuels ont eu lieu, organisés au nom du Comité de demande, afin de discuter des problèmes intéressant le plus les propriétaires. Chaque séminaire a attiré des membres des comités de propriétaires d’une centaine de parcs résidentiels. Des scènes de vives discussions ont été particulièrement spectaculaires.
57Ces trois actions ont forgé la réputation du Comité de demande, et lui ont permis de bénéficier d’un certain appui de la part des propriétaires pékinois. Le Comité de demande apparaît toujours là où des propriétaires ont besoin d’assistance pour résoudre des problèmes. À titre d’exemple, au début de l’été 2007, peu après l’affaire de violence dans la cour BST8, le directeur C du Comité de demande s’est rapidement rendu sur place pour y réconforter les propriétaires, rendre visite aux blessés et discuter avec les propriétaires des solutions possibles. Autre exemple, en juillet 2007, le comité de propriétaires nouvellement élu de la résidence SD est réprimé par l’alliance entre le gouvernement du district LGY et leur syndic. Les membres du Comité de demande se sont rendus à la résidence. Ils ont aidé le comité de propriétaires à changer le syndic, et ont organisé des réunions avec la participation de membres des milieux académique et des médias.
58La plupart des comités de propriétaires des résidences sont impliqués dans les activités organisées par le Comité de demande. Aujourd’hui, la prochaine étape de leur travail se divise en trois parties : promouvoir dans les résidences l’étude de la loi relative à la propriété pour que celle-ci devienne une réelle arme juridique en faveur de la défense des droits des propriétaires ; transformer les séminaires annuels en un Forum des propriétaires, fixer les rendez-vous du forum le dernier dimanche de chaque mois à partir du mois d’août 2007. Les comités doivent participer à ces forums sur une base volontaire et y discuter des affaires liées à la défense des droits des propriétaires. Le forum d’août 2007 a eu pour objet de comparer les règlements de gestion des résidences dans différentes villes comme Pékin, Shanghai, Jinan, et de formuler des amendements pour Pékin ; enfin, troisième tâche future, préparer le terrain pour une enquête par échantillons auprès de toutes les résidences de Pékin afin de clarifier les enjeux et les différends les plus importants auxquels ils sont confrontés, et de préparer des solutions.
59À nos yeux, l’union inter-résidentielle des propriétaires marquée par la création du Comité de demande possède une portée considérable. Elle symbolise l’essor rapide de la dimension sociale de la forme pratique des droits de propriété, la croissance rapide de l’espace commun basé sur le droit de propriété privée au sens d’Habermas, et la naissance récente de la société civile de la classe moyenne. Certes, il ne faut pas oublier que la demande d’enregistrement de l’Association des comités de propriétaires de Pékin attend d’être ratifiée et que cela ne se réalisera pas dans un avenir proche. La longue expérience de vie de chaque propriétaire sous ce régime lui apprend qu’une telle ratification sera plus difficile que « la mer à boire ». Cependant, les propriétaires ont fait le premier pas vers leur alliance. Une telle alliance nous permet de voir plus clairement la production de la société civile, la genèse d’une société civile de la classe moyenne qui pousse progressivement à une reconstruction des relations entre l’État, le marché et la société.
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Notes de bas de page
1 Je sais que lorsqu’on parle du développement de la Chine en termes de « rythme » on peut se voir accuser de développer une approche « téléologique ». Le cours de l’histoire est rempli d’aléas. Mais avec le recul, le développement et les changements qu’a connus la Chine sur la longue durée, une configuration sociétale se laisse saisir malgré les détails aléatoires.
2 Nous devons cette notion à l’inspiration du professeur Xing Youtian du département de géographie de l’Université de Californie, Berkeley. Dans de nombreuses discussions avec ce professeur, nous avons découvert que tout homme connaît un processus de territorialisation de son propre logement. Il marque sa propriété à travers une série d’actions. L’humanité hautement civilisée ne se distingue pas foncièrement du monde animal.
Auteur
Professeur de sociologie, Vice-Directeur du Département de sociologie de l’Université de Tsinghua (Pékin).
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2007