Chapitre 4. L’art de la diplomatie en temps de crise
Débats sur le développement durable au Brésil
p. 117-136
Texte intégral
1La conférence de Rio+20 s’est tenue sous la pression du président Lula qui avait d’abord voulu marquer l’anniversaire du Sommet de Rio de 1992 sous son mandat. La préparation et le déroulement de Rio+20 ont fortement été marqués par l’influence du pays hôte. L’objectif politique du Brésil était de promouvoir son propre modèle de développement, un modèle présenté comme durable, car combinant une forte croissance économique, des politiques sociales ambitieuses donnant des résultats réels en termes de réduction de la pauvreté et un certain volontarisme environnemental. Rio+20 a ainsi servi de vitrine internationale au Brésil et d’affirmation de sa puissance économique et géopolitique. Cependant, cette posture était difficilement tenable et les premières failles du développement à la brésilienne, déjà en germes au moment du Sommet, se sont plus clairement manifestées par la suite. La tenue de la conférence (juin 2012) a en effet coïncidé avec le basculement d’une période faste vers une crise économique et politique. Un an plus tard, l’image conquérante et sociale du Brésil sera mise à mal avec de grandes mobilisations de rue et l’exacerbation de conflits entre le gouvernement et le Congrès1.
2Nous analysons ici comment le Brésil, par sa diplomatie, son gouvernement, ses débats au Congrès ou encore par sa société civile, a joué un rôle déterminant sur le destin de la conférence. Pour cela nous défendons l’hypothèse suivante : les tensions qui traversent la société brésilienne ont nourri les tensions observées lors de la conférence, c’est-à-dire les repositionnements des rapports de force entre Nord et Sud d’une part, et l’arbitrage entre les « piliers » du développement durable d’autre part.
3Nous retracerons la position du Brésil comme chef de file des pays émergents, en fonction de son modèle de développement prônant une économie inclusive fondée sur la croissance et la redistribution qui semble avoir atteint ses limites. Nous montrerons comment les jeux d’alliances pour la répartition des postes ministériels et les négociations entre pouvoirs exécutif et législatif expliquent les décalages entre les prises de position en faveur de l’environnement à l’international et le blocage de ses actions en politique intérieure. Nous pourrons ainsi éclairer le rôle du Brésil lors de Rio+20. Il se doit de trouver une voie innovante entre les positions conflictuelles des pays développés, représentés par l’Union européenne, et les pays en voie de développement, représentés par le G77. À l’ouverture de la conférence, le Brésil tend à présenter son modèle de développement pour repenser le développement mondial, révélant les contradictions portées par la notion d’économie verte et la défense du multilatéralisme. Nous nous attarderons sur le mode de résolution de ces contradictions : l’arbitrage autoritaire de la diplomatie brésilienne qui permettra de boucler le document final de la conférence et la multiplication d’initiatives de la part des universitaires et industriels. Enfin, nous reviendrons sur les tensions qui s’inscrivent dans la continuité de la conférence.
Le Brésil, un modèle de développement durable ?
La croissance inclusive : capitalisme et lutte contre la pauvreté
4La conférence de Rio+20 s’est ouverte à un moment favorable pour le Brésil. La crise financière de 2008 qui touche encore durement l’Union européenne (UE) et les États-Unis semble dépassée. Le PIB atteint 2 500 milliards US $ en 2011, propulsant le Brésil à la sixième place des pays riches, juste derrière le Royaume-Uni.
5Le principal moteur de la croissance repose sur l’agrobusiness et les exportations de matières premières (maïs, soja, coton-tous trois majoritairement transgéniques-viande, sucre, produits forestiers, café…) qui atteignent des chiffres record en 2012. Le solde des exportations est de 79,4 milliards US $ alors que le solde commercial du pays est de 19,4 milliards US $. 30 % des emplois formels du pays en dépendent. Sur le plan politique, ces évolutions se traduisent par l’affirmation d’un fort lobby, celui des Ruralistas, coalition des grands producteurs et propriétaires terriens. Au-delà de ses résultats spectaculaires, cette primarisation de l’économie présente des éléments de fragilité tant elle dépend des prix volatils des matières premières et des taux de change, bousculés en période de crise. Avec l’exportation de matières premières agricoles, ce sont aussi des ressources en eau, en sols, en forêts, en carbone qui sont exportées. Le secteur industriel, protégé par des barrières douanières, est quant à lui peu compétitif. Le grand plan d’accélération de la croissance (PAC) peine à doter le pays des infrastructures nécessaires à son économie.
6L’autre moteur de l’économie réside dans le développement du marché intérieur brésilien, grâce à une politique de redistribution conséquente et au soutien à la consommation des ménages avec des baisses de taxes et un accès facilité au crédit. Le résultat le plus impressionnant de la croissance brésilienne réside dans l’émergence d’une classe moyenne. Entre 30 et 40 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté, dont 20 millions de la pauvreté « extrême », grâce à des programmes de transferts sociaux comme la Bourse famille inscrite dans la politique de la Faim zéro lancée par le président Lula en 2003 et poursuivi par la présidente Dilma Rousseff avec le programme Brésil sans misère en 2011, la retraite agricole, l’augmentation continue du salaire minimum réévalué de 13,6 % en janvier 2012. Entre 2002 et 2012, le salaire minimum a augmenté de 172,5 % et l’inflation de 76,6 %. Ces transferts financiers ont permis une ascension sociale rapide de toute une partie de la population.
7En tirant les gens de la misère (fixée à un revenu mensuel par personne inférieur à 70 réais R $2), la présidente Dilma Rousseff affirme marcher à contre-courant des pays riches en garantissant des droits sociaux que la crise économique remet en cause dans les pays développés. Parallèlement, jamais le chômage n’a été aussi bas : 5,5 % en 2012 d’après l’IBGE. Cette politique a légitimé la place du Brésil sur la scène internationale, comme lors des réunions du G20, et promu la notion d’économie inclusive défendue lors de Rio+20.
8Aujourd’hui, la reprise de l’inflation et un endettement important des ménages remettent en cause cette embellie. L’inflation a été de 6,5 % de mai 2012 à mai 2013. La Banque centrale a publié en avril 2013 un indice d’endettement des ménages de 44,3 %. Le pouvoir d’achat diminue sans qu’il soit possible de recourir à de nouveaux crédits, mettant fin à de nombreuses expectatives.
9Cette politique a par ailleurs un coût important. La présidence de la République se félicite d’un investissement en politique sociale qui a doublé en valeur absolue sur les 10 dernières années pour atteindre 656 milliards R $, soit presque 17 % du PIB (SECOM, 2012). Les paiements directs aux familles représentent plus de la moitié (50,4 %) des dépenses du gouvernement fédéral, hors charge de la dette publique, en 2012. Le poids de la Bourse famille est passé en prix courants de 14,6 milliards à la fin des années Lula (2010) à 20,8 milliards R $ en 2012 (CGU, 2013).
10Surtout, cette politique, fondée sur l’assistanat, ne s’est pas attaquée aux causes structurelles de la pauvreté et n’a que peu investi en matière de santé, d’éducation, de transports publics. Le pays reste très inégalitaire, entre ses régions et vis-à-vis des femmes et des populations noires et indiennes. Les emplois informels sont estimés à 40 % du total des emplois. 20 % des ménages les plus riches se partagent 60 % du revenu national quand 20 % des plus pauvres s’en partagent 3 %. La concentration foncière dans l’agriculture reste une source de conflits. Les producteurs ruraux possédant moins de 10 ha représentent 47 % des exploitations, mais n’occupent que 2,7 % de la surface agricole, alors que les propriétaires de plus de 1 000 ha, représentant 1 % des exploitations, concentrent 43 % de la surface agricole (IBGE, 2006).
11À ces difficultés sociales correspondent des difficultés macroéconomiques. Fin 2012, le pays perd son rang de 6e puissance. Son taux de croissance, comme ceux des grands pays émergents, est en régression (2,7 %) nettement en retrait par rapport à l’année précédente (7,5 % en 2010). Il est de 0,9 % en 2012, avec un PIB par habitant qui n’augmente que de 0,1 %. Le Brésil partage les difficultés que rencontrent les BRICS3, parmi lesquels il se situe en dernière position pour sa croissance (Economist Intelligence Unit, 2013). Comme pour ceux-ci sa monnaie se dévalue fortement (15 % entre avril et septembre 2013).
12Le modèle de croissance inclusive qui vise à maintenir une croissance économique la plus forte possible tout en mettant en œuvre des politiques de redistribution des richesses de grande envergure est à la base du modèle de développement du Brésil de Lula et de Dilma Rousseff. En soulignant le fait que le développement ne se résume pas aux questions de croissance économique et en insistant très fortement sur le pilier social du développement durable, le Brésil arrive à Rio+20 avec un modèle d’autant plus crédible que les résultats présentés dans les domaines économique et social semblent convaincants. Le pragmatisme brésilien qui vise à combiner un capitalisme assumé avec des politiques sociales ambitieuses séduit de nombreux pays, notamment au Sud, et explique en partie l’importance des questions sociales dans l’agenda des négociations à Rio+20. On a vu cependant que ce modèle, en essayant de tenir des objectifs parfois contradictoires est ambigu, voire fragile, les troubles sociaux de l’année 2013 et le ralentissement de la croissance en étant l’illustration. La solution brésilienne à l’équation du développement durable apparaît encore plus complexe quand on examine le troisième pilier du développement durable, l’environnement.
Une diplomatie internationale en contradiction avec la politique nationale d’environnement
1320 ans après Rio 92, le Brésil n’est plus montré du doigt pour la dévastation de l’Amazonie. Il apparaît sur la scène internationale comme le champion de l’environnement des pays du Sud. Il a été le seul pays non soumis au protocole de Kyoto à prendre des engagements volontaires de réduction d’émission de ses gaz à effet de serre (GES) à Copenhague (2009). Il représente le groupe des Mégadivers, les pays du Sud les plus riches en biodiversité, à la convention sur la diversité biologique (CDB).
14La politique internationale est du ressort de la présidence de la République. Pour le gouvernement, il est plus facile de s’affirmer au dehors de ses frontières que d’affronter une opinion publique hétérogène et le soutien incertain des parlementaires. Si sa politique environnementale est appréciée à l’international, elle rencontre de grandes résistances internes. Les engagements internationaux du Brésil ont du mal à passer le processus du législatif, souvent pour des raisons de politique partisane, mais également du fait du caractère fédéral du pays où chaque État et commune peuvent édicter leur propre législation.
15La base politique du gouvernement dépend d’alliances fragiles, voire contre nature. Le lobby de l’agrobusiness, sous la bannière des Ruralistas, illustre la puissance des grands fazendeiros au Congrès national, formé par les parlementaires élus de la Chambre des députés et du Sénat, et la persistance des conflits fonciers qui caractérise la vie politique au Brésil. Sur la question environnementale, le pays est divisé entre les partisans du développement (les Ruralistas, le ministère de l’Agriculture, de la Science et de la Technologie) et de l’environnement (les défenseurs des populations traditionnelles, des petits paysans et des Indiens ; les ministères du Développement agraire, du Développement social, de l’Environnement…).
16Ainsi, les succès de la diplomatie brésilienne lors des réunions des conférences sur le Climat et la Diversité biologique occultent des blocages, voire des reculs de la politique environnementale sur le sol national. Sur le dossier climatique, si exécutif et législatif ont bien œuvré ensemble et s’ils ont obtenu une nette réussite sur le front de la déforestation de l’Amazonie, les épisodes de la réforme du code forestier témoignent de déchirements internes et confirment un recul des normes de conservation. Les débats autour de la question de l’accès et du partage des avantages portée par la CDB et par le protocole de Nagoya, les nouvelles législations menaçant les unités de conservation et les terres indigènes illustrent les oppositions entre le gouvernement et les parlementaires ruralistas.
Politique climatique et forestière
17Les émissions de gaz à effet de serre du Brésil provenaient en 2005 à 65 % du CO 2 dégagés par les feux liés à la déforestation (MCT, 2010). Aussi le changement d’usage des terres4 est-il central dans sa politique climatique, sous la forme de deux régimes différents : celui de la lutte contre la déforestation et celui du code forestier (Barros-Platiau et al., 2012).
18À la conférence sur le Climat de Copenhague, le Brésil s’est fixé un objectif de réduction de 36,1 % et 38,9 % de ses émissions en tonnes équivalentes CO 2 à l’horizon 2020. Il a placé sa lutte contre la déforestation au centre de sa stratégie de lutte contre le changement climatique. Ses engagements portent en effet sur une réduction de 80 % du rythme de déforestation de l’Amazonie en 2020 par rapport à la période 1996-2005, une réduction de 40 % pour le biome Cerrado par rapport à la période 1999-2005, un doublement des plantations forestières de 5,5 à 11 millions d’hectares en 2015, la récupération de 15 millions d’hectares de pâturages dégradés, etc. Ces engagements ont pris la forme d’une loi rapidement votée qui institue la politique nationale sur le changement climatique du 29 décembre 2009 et d’un décret d’application du 9 décembre 2010 précisant les calculs et les divers plans d’action : prévention et contrôle de la déforestation en Amazonie légale (PPCDAm, promulgué en 2004) ; prévention et contrôle de la déforestation et des feux dans le Cerrado (PPCerrado, promulgué en 2009) ; plan décennal d’expansion de l’énergie, actualisé tous les ans par le ministère des Mines et de l’Énergie ; agriculture de basse émission de carbone (ABC) et réduction des émissions de la sidérurgie (Presidência da Republica, 2010).
19Pour l’Amazonie, les engagements volontaires reposent sur des estimations business as usual (19 535 km2 en 2020) avec des lignes de base complaisamment choisies à partir des plus fortes années de déforestation enregistrées, dont la calamiteuse année 2004, année de grande sécheresse qui a favorisé de nombreux incendies. Depuis 2004, la tendance est à la baisse régulière et en 2009, le taux observé était déjà tombé à 7 000 km2. La déforestation ne comptait plus que pour 42 % dans l’émission totale des GES, ce qui relativise l’objectif 2020, fixé à 3 900 km2 (IBGE, 2010)5.
20Le Brésil était responsable de 3,8 % des émissions mondiales de GES en 1990, et jusqu’à 6 % lors des pics de déforestation de 1995 et 2004. Aujourd’hui, il n’en émet que 2,5 %, ce qui atteste d’un remarquable découplage entre croissance et émissions de carbone. Ces résultats constituent un succès dont le Brésil a pu s’enorgueillir lors des négociations internationales. Pourtant les dirigeants brésiliens savent qu’ils ont déjà mangé leur pain blanc. La lutte contre la déforestation, largement entamée dès 2004, a porté ses fruits en Amazonie ; il sera beaucoup plus difficile de lutter contre la déforestation du Cerrado et surtout de baisser les émissions des autres secteurs.
21Moins médiatisé que l’Amazonie, le Cerrado, ensemble de savanes du centre du Brésil, est aussi plus menacé. Hot spot de biodiversité, il occupe une superficie de 2 millions de km2, soit la moitié de celle de l’Amazonie. En 2008, près d’un million de km2 de sa couverture originelle avait déjà été défriché, contre 18 % pour l’Amazonie (IBGE, 2010). Le territoire du Cerrado est composé dans sa majeure partie des propriétés de l’agrobusiness sur lesquelles l’État n’a pas le même pouvoir qu’en Amazonie où 75 % des terres sont publiques.
22Par ailleurs, la majorité des émissions de gaz à effet de serre provient aujourd’hui des secteurs comme l’énergie (consommation de combustibles fossiles, dont les transports) et l’agriculture. Ces deux secteurs représentent en 2011, 56 % des émissions (Azevedo, 2012). Ce ne serait pas inquiétant si cela ne cachait le retard des plans sectoriels et la croissance des secteurs hors changement d’usage des sols en termes de GES : 18 %, soit deux fois le taux de l’augmentation mondiale qui tourne autour de 9 %.
23La préparation de Rio+20 a été empoisonnée par les péripéties du vote du code forestier qui ont déchiré le pays. Ce Code, modifié de nombreuses fois, impose de conserver une partie de toute propriété rurale en Réserve légale, c’est-à-dire en végétation naturelle. Les pourcentages sont importants : 80 % en forêt amazonienne, 35 % dans les surfaces de Cerrado situées en Amazonie légale et 20 % partout ailleurs. Il oblige de plus à conserver en Aires de préservation permanente, les surfaces écologiquement sensibles.
24Le code forestier a été approuvé par le Congrès peu avant l’ouverture de la conférence de Rio+20, le 25 mai 2012, avec 12 points de vetos de la Présidente de la République. La réforme vise à remettre dans la légalité la grande majorité des producteurs ruraux - la ministre de l’Environnement elle-même cite le chiffre de 90 % —, qui n’ont pas observé les règles de conservation avant la promulgation du décret présidentiel de 2008 réglementant les crimes environnementaux. Les propriétaires pourraient être amnistiés à condition de restaurer les surfaces indûment défrichées, soit sur leur terrain, soit par acquisition de surfaces dans le même biome, soit par des dons en faveur des unités de conservation, ou encore par l’achat de « quotas de réserve environnementale » sur un marché à venir. Selon les interprétations, on estime que 20 à 130 millions d’hectares pourraient être ainsi restaurés, les nouvelles normes de protection des Aires de protection permanente (distances à protéger de chaque côté des rivières, autour des sources, définition des pentes et des sommets, etc.) étant par ailleurs singulièrement abaissées.
25La discussion du Code a porté sur des considérations locales et économiques, bien plus qu’environnementales. L’importance du secteur de l’agrobusiness, dont nous avons vu qu’il est le principal moteur de l’économie, est aussi le reflet des alliances politiciennes indispensables dans le contexte politique brésilien. Il convient d’évoquer par exemple la figure de la sénatrice Katia Abreu, présidente de la puissante confédération nationale de l’agriculture et de l’élevage (CNA), qui a quitté le parti d’opposition de la sociale démocratie brésilienne (PSDB) pour fonder le parti socialiste démocrate (PSD) et rejoindre la coalition présidentielle autour du Parti des Travailleurs (PT). On peut évoquer également le sénateur Blairo Maggi, ex-gouverneur du Mato Grosso et un des plus gros producteurs de soja du monde qui a reçu le prix de la Tronçonneuse d’or décerné par Greenpeace pour ses exploits de défricheur. Blairo Maggi a été élu début 2013 à la présidence de la Commission de l’Environnement du Sénat. Il appartient au Parti de la République (PR) membre de la majorité parlementaire. Les Ruralistas n’ont de cesse de répéter qu’« on [les] accuse d’être des prédateurs de l’environnement » alors que « le Brésil ne préserve rien de moins que 61 % de son territoire en végétation naturelle et en utilise moins d’un tiers (27,7 %) pour la production d’aliments » (Folha de São Paulo, 16/02/2013).
26Le nouveau code forestier renvoie aux ambiguïtés du gouvernement de Dilma Roussef qui cherche à satisfaire à la fois les intérêts du secteur de l’agrobusiness et à maintenir une politique environnementale ambitieuse. Lors du Sommet des peuples, le débat sur le code forestier était omniprésent et les défenseurs brésiliens de la forêt se sont employés à démonter le mythe d’un Brésil environnementalement responsable.
Les politiques de biodiversité et d’aires protégées
27Sur le front de la CDB, la situation reste tendue. La Mesure provisoire de 2001 qui règle l’accès aux ressources génétiques et le partage des bénéfices tirés de leur exploitation est toujours en débat au Congrès. Cette Mesure provisoire crée une incertitude juridique et des interprétations controversées. Son application par le Conseil du patrimoine génétique (CGEN) rend extrêmement compliquée l’obtention des autorisations de recherche dès qu’une substance naturelle (végétale et animale) ou un savoir dit « traditionnel » est concerné. La recherche nationale et internationale sur la biodiversité en est singulièrement affectée, tout comme les intérêts des firmes pharmaceutiques et cosmétiques. Trente-cinq d’entre elles, dont des multinationales comme Merck et L’Oréal, ont été condamnées en juillet 2012, un mois après Rio+20, à payer 88 millions R $ d’amendes pour biopiraterie. Les firmes font valoir que les accusations portent pour la plupart sur des produits commerciaux, comme le cacao ou le cupuaçu, ne provenant pas de bioprospection, et sur des procédés qui ne concernent pas l’accès aux ressources génétiques ou aux savoirs locaux.
28La ministre de l’Environnement doit également se battre pour la ratification du protocole de Nagoya dont le dossier a été transmis par la Présidente au Congrès dès mai 2012. Pour que le Brésil puisse participer à la prochaine conférence sur la diversité biologique, en 2014 en Corée, il faut qu’il ait auparavant ratifié le Protocole. Le temps presse, d’autant plus que le secrétaire général de la CDB, Bráulio Dias, est un Brésilien qui a tout intérêt pour le prestige de son pays à faire entrer en vigueur le Protocole.
29Les Ruralistas, aux côtés des ministères de la Science et de la Technologie, et de l’Agriculture étaient réticents devant les restrictions à l’accès aux ressources génétiques. Ils ont maintenant une nouvelle raison de s’opposer à la ratification du Protocole. Ils craignent en effet que celui-ci ne s’applique aux variétés agricoles non couvertes par le traité de la FAO6. Il y aurait ainsi danger de devoir payer des royalties pour la mise au point de nouvelles variétés concernant les principales productions du Brésil, notamment à la Chine pour le soja (la Chine n’ayant pas adhéré au traité). Il est probable que cette mobilisation soit une manœuvre pour remettre en cause les royalties que le Brésil doit verser, en particulier à des firmes de semences transgéniques comme Monsanto, et pour permettre la mise au point de nouvelles variétés par l’Entreprise brésilienne de recherche sur l’agriculture et l’élevage, Embrapa.
30Ainsi une convention, connue pour servir de tribune à la défense des pays du Sud et aux droits des populations autochtones et locales sur leurs ressources et savoirs, est actuellement remise en cause au Brésil au nom de la défense de l’agrobusiness.
31Sur le terrain des aires protégées, la situation est inquiétante. La création d’aires protégées marque le pas. Pendant le premier mandat de Lula, 20 millions d’hectares d’unités de conservation ont été créés, 30 terres indigènes délimitées et 66 homologuées. En deux ans et demi de mandat de Dilma, seules deux unités de conservation ont été créées sur 43 000 ha, 5 terres indigènes délimitées et 10 homologuées (ISA, 2013).
32Surtout, les droits des Amérindiens garantis par la Constitution sont attaqués de front. L’amendement à la Constitution PEC 215 propose que le Congrès, acquis aux parlementaires ruralistas attachés au slogan « Beaucoup de terres pour peu d’Indiens », ait la compétence exclusive pour approuver la délimitation de terres et ratifier les homologations, compétence jusqu’alors exercée par la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) rattachée à la présidence de la République. Les Ruralistas s’en prennent maintenant à un autre point de la Constitution avec un projet de loi complémentaire corrigeant l’article 231 qui définit les biens d’intérêt public de l’Union fédérale dans les délimitation de terres indigènes, remettant en cause les droits d’usufruit exclusif des Indiens. Ce projet permettrait de légaliser, sur des terres déjà homologuées, la présence des fazendeiros de « bonne foi », d’installer des parcellaires de réforme agraire, d’ouvrir des routes, de construire des usines hydroélectriques et des villes, d’exploiter les minéraux et autres ressources naturelles (Blog do ISA, 15 juillet 2013). Les conflits entre fazendeiros et Indiens s’intensifient dans le Cerrado, lieu d’expansion de la grande production agricole où la terre devient une ressource rare. On peut rappeler que dans la partie non amazonienne du Brésil vit 40 % de la population amérindienne sur 1,5 % de la surface du total des terres indigènes7.
33Ces contradictions et conflits entre politique extérieure et politique nationale, et au sein de sa société civile, n’ont pas empêché la diplomatie brésilienne d’assurer son rôle de leader lors des négociations sur le développement durable de la conférence de Rio+20.
La diplomatie brésilienne en action
Une posture délicate entre Nord et Sud
34Sur l’échiquier géopolitique, parmi le groupe des pays émergents, pour des raisons de proximité culturelle, le Brésil est l’interlocuteur privilégié de l’Union européenne et des États-Unis. Il tient à cette reconnaissance pour conquérir des postes à la direction des organisations internationales, comme celui de la FAO où José Graziano a été élu directeur général en 2011. Il est par ailleurs le porte-parole du groupe G77/Chine. Grâce à ce positionnement entre Nord et Sud et à sa fonction de pays hôte, le Brésil s’impose à Rio comme leader des négociations.
35Cette position ne va pas sans quelques ajustements. Ainsi, le Brésil doit jouer la carte du développement économique, voire de la croissance à tout prix pour rattraper son retard, sans pour autant se soumettre, au nom de la souveraineté et du droit à la différence, aux règles du commerce international perçues comme discriminantes par les pays émergents, surtout si les normes environnementales constituent des barrières douanières. Il va logiquement mettre en avant ses bons résultats économiques, sa politique de réduction de la pauvreté, ses succès en termes de lutte contre la déforestation, affirmant son attachement à la dimension sociale du développement durable. En aucun cas, Rio+20 ne doit apparaître comme une négociation environnementale, mais bien comme une négociation sur le développement durable et sur l’avenir du monde.
36Cette stratégie est portée par un ministère des Affaires étrangères (Itamaraty) qu’incarne bien l’ambassadeur André Corrêa do Lago. Comme chef de file des émergents, le Brésil pourrait réinterpréter la question des « responsabilités communes, mais différenciées », à l’aune de son développement économique et de ses responsabilités dans la gouvernance internationale. Or, le ministère des Affaires étrangères semble hésiter à franchir ce pas et reste en retrait jouant la carte des pays du Sud, donnant des leçons aux pays du Nord. Il demande toujours plus de financements et d’engagements de la part des pays développés jugés historiquement coupables de la concentration des GES avant d’adhérer à la deuxième phase du protocole de Kyoto avec des engagements cette fois-ci contraignants. Il réclame l’aide d’un fonds multilatéral, mais se méfie des mécanismes de marché instaurés par le REDD (mécanisme de réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation, discuté lors des dernières conférences sur le climat à Durban et à Doha), prenant ainsi le contre-pied des États fédérés amazoniens déjà compromis dans des projets de marchandage de leur carbone. Cette position indispose bien sûr les pays développés, mais également désormais les pays les plus fragiles du G77 estimant que les engagements doivent être généraux, en particulier de la part des pays émergents comme le Brésil, la Chine ou l’Inde.
Les thèmes de la conférence
37Le Brésil a largement participé aux documents préparatoires de la conférence par l’organisation d’une vaste consultation publique. Il a contribué à redéfinir les deux thèmes de la conférence : l’économie verte dans le cadre du développement durable et de l’élimination de la pauvreté et la gouvernance mondiale de l’environnement. Il a organisé des journées de Dialogue avec la société civile du 16 au 19 juin autour de 10 objectifs de développement durable, sorte de feuille de route pour une politique concrète des États. Jusqu’au coup de force final, il défendra sa vision d’une économie inclusive et son opposition à la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, refusant de dissocier l’environnement de l’économie et du social.
38En ce qui concerne l’économie verte, le Brésil s’est clairement opposé avec le G77 à l’approche défendue par les Européens. L’économie verte masquerait un protectionnisme vert sous prétexte d’adoption de nouvelles normes environnementales pour le commerce aux frontières, la conditionnalité de l’aide et l’aggravation des inégalités à l’origine de la crise. Les accusations portées par les pays en développement depuis la conférence de Stockholm en 1972 refont surface. Sous couvert d’environnement, les pays riches chercheraient à brider le développement des pays du Sud. Ces derniers, appuyés par de nombreuses ONG, dénoncent la poursuite d’une dépendance technologique et financière vis-à-vis des pays riches. Les différentes conceptions de l’économie verte alimentent ainsi les nombreuses « lignes rouges » que les négociateurs du Nord et du Sud s’évertuent à traduire en autant de paragraphes entre « brackets », en crochets, parenthèses dans le texte de la déclaration finale.
39Le Brésil demande que soit réaffirmée la souveraineté des États. Il défend l’économie inclusive fondée sur l’intégration des trois piliers du développement durable – économie, social, environnement – pour une forte croissance économique avec redistribution des revenus pour lutter contre la pauvreté. Il prône également l’instauration d’une mesure de la richesse plus juste que le PIB. Celle-ci devra comptabiliser le prélèvement des ressources naturelles (carbone, eau, sols, forêts) pour la production des biens d’exportation, non plus chez les pays producteurs, mais chez les pays consommateurs.
40Pour ce qui est du deuxième thème des négociations, la gouvernance de l’environnement, elle se présente comme un test pour l’architecture institutionnelle des organisations des Nations unies. C’est la crédibilité du système multilatéral qui est en jeu et que refusent de renforcer les États-Unis qui ne veulent pas d’une seizième agence de l’ONU dépensière.
41Pour les Européens, dans un jeu de rapprochement avec les pays africains qui accueilleraient à Nairobi le siège de la nouvelle agence mondiale de l’environnement, il est important de disposer d’une organisation de même statut que la FAO pour l’agriculture ou l’OMS pour la santé. Le statut de programme du PNUE est insuffisant, avec seulement 58 pays membres qui assurent des contributions volontaires. Il faut imaginer une structure qui réunisse la totalité des membres de l’ONU, avec une instance de règlement des différends et des fonds conséquents, qui puisse s’articuler avec les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale), s’imposer à l’OMC, avoir recours à la cour internationale de justice et au conseil de sécurité de l’ONU.
42Dans ce jeu entre blocs, le Brésil répète inlassablement son message : il ne veut pas d’une gouvernance de l’environnement qui ne soit pas ancrée dans l’économique et le social. Il milite pour un nouveau conseil du développement durable (qui remplacerait la commission pour le développement durable) sous l’égide de l’ONU, ou un conseil économique et social (Eco-soc) élargi à l’environnement. Cet organisme ne serait pas intrusif dans les stratégies des pays et faciliterait la mise en œuvre des conventions et des objectifs de développement durable. Pourtant fervent défenseur du système multilatéral, le Brésil se retrouve ainsi avec les Américains du Nord contre l’UE et les pays africains.
Le rôle du Brésil dans la déclaration finale
43Dès l’ouverture des négociations, on attendait du Brésil comme pays hôte, mais aussi du fait de son investissement dans la préparation de la conférence, qu’il synthétise les objectifs de la rencontre dans un texte final. Rappelons que le texte Le futur que nous voulons était en élaboration depuis deux ans. Quand le dernier round officiel des négociations (prepcom III du 13 au 15 juin) se termine, les 193 pays n’arrivent pas à trouver d’accord sur près de 40 % du texte qui comporte 835 crochets, soit autant de points de litiges. En trois jours de discussions, à peine plus de 10 % des crochets ont été supprimés.
44Du 16 au 19 juin vont se tenir les consultations dites « informelles pré-conférence ». Les délégués s’accordent pour confier au Brésil le soin de conduire les consultations. Les Brésiliens se trouvent maintenant en position de proposer une version acceptable pour toutes les parties avant le Sommet des chefs d’États et de gouvernements du 20 au 22 juin. Cela est fait le soir même : le document est passé de 80 à 56 pages. Sur les 287 paragraphes qui subsistent, 119 sont marqués d’un crochet avec la mention « provisoirement accepté » (agreed ad ref.) et 168 sont « propres ». Les décisions sur les financements, sujet très controversé, sont reportées à 2014 (seuls 5 paragraphes sur 33 sont conservés) (IISD, 2012 ; O Globo, 2012).
45Ce nettoyage par le vide est vécu comme un coup de force par l’Union européenne qui y voit un arbitrage en faveur du groupe G77, le texte accordant trop d’importance à la lutte contre la pauvreté, vidant de sa substance l’économie verte, n’allant pas dans le sens du renforcement du PNUE et, au final, ne se préoccupant pas assez d’environnement. Devant la protestation du représentant danois de l’UE (le Danemark assure à Rio la présidence tournante de l’UE), l’Ambassadeur Luiz Figueiredo, secrétaire exécutif de la commission brésilienne de Rio+20, explique fermement que ce n’est plus le moment de négocier sur les points techniques : it’s over ! Nikhil Seth, le chef du secrétariat de la conférence, renchérit en affirmant que ce n’est plus le temps pour des négociations mot à mot.
46Figueiredo propose que les discussions se poursuivent au sein de quatre groupes de travail, chacun modéré par un représentant brésilien. À l’ambassadeur Raphael Azeredo le soin de traiter des objectifs de développement durable, à la ministre auprès des Nations unies, Maria Teresa Pessoa, les océans, à l’ambassadeur André Corrêa do Lago les moyens pour une transition vers une économie verte, et pour lui-même, la gouvernance du développement durable. Le dimanche 17 juin, le pavillon 5 du Rio Centro est transformé en champ de bataille. Alors que la délégation brésilienne s’était jusqu’alors faite discrète, politesse de l’hôte, elle est très présente tant en nombre que par la qualité de ses membres.
47Dans une interview au journal O Globo paru le lendemain, Antonio Patriota, ministre des Relations extérieures, récuse l’idée selon laquelle le nouveau texte aurait été mal reçu : « Qu’y a-t-il de préférable : ne pas avoir de texte négocié, ne pas conclure les négociations, ou maintenir certains objectifs et laisser des fenêtres pour les atteindre à partir d’un processus qui va s’enclencher ? Rio+20 est une conférence qui regarde vers le futur, pas seulement le court terme. Il est plus ambitieux de viser des objectifs de plus long terme. »
48À l’aube du mardi 19 juin, Antonio Patriota, annonce aux délégués que le texte est prêt à être présenté à la presse. Il refuse la demande de prolongation des négociations formulée par la délégation de l’UE. À la mi-journée, le document final est approuvé par l’ensemble des délégués.
49La présidente de la République, Dilma Rousseff, en réunion du G20 à Mexico, tenue régulièrement au courant, déclare que le document est une victoire pour le Brésil et réaffirme sa position en faveur du multilatéralisme et du respect de la différence et de la souveraineté : « La diversité, c’est renoncer un peu et avancer un peu. »
50Si le texte est largement dénoncé pour son manque d’ambition8, la diplomatie brésilienne est félicitée, même si on lui reproche d’avoir été davantage préoccupée de mettre un terme aux négociations, indépendamment des résultats. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, après avoir d’abord déclaré que le texte final était décevant, a finalement trouvé le document ambitieux, vaste et pratique. La ministre danoise de l’Environnement estime que le texte n’est pas parvenu au meilleur accord du monde, mais à un accord pour un monde meilleur. Le chef de la délégation des États-Unis, Todd Stern, qualifie d’exceptionnelle la partie jouée par la diplomatie brésilienne.
51L’engagement du Brésil était que cette conférence ne soit pas un échec. Il ne s’agissait pas de repasser un texte comportant des crochets aux chefs d’État ; le rôle de ceux-ci n’étant pas de négocier, mais de prendre des engagements pour le développement durable. Il ne fallait pas refaire Copenhague. Sur la méthode, les déclarations de Luiz Figueiredo sont éloquentes. Comme il est de coutume, la métaphore footballistique est employée : « Le temps réglementaire est terminé et nous en sommes aux prolongations. Les prolongations ne sont jamais plus longues que le match. Il y a une limite de temps et nous avons besoin de terminer le document avant l’arrivée des chefs d’État. Nous équilibrons les mécontentements pour que tout le monde soit content » (O Globo, 19 juin 2012).
52On peut comprendre le choix du Brésil de préférer un texte sans mention des points controversés entre crochets, donc en retirant les ambitions des uns et des autres pour mettre tout le monde d’accord. Il reste qu’en position d’arbitrage, le Brésil a penché pour les options du Sud sans position originale, insistant sur le principe des responsabilités communes, mais différenciées. Dilma Rousseff a réaffirmé la souveraineté des pays en guise d’opposition à une gouvernance mondiale de l’environnement. Choisir de produire un texte sans ambition pose cependant question pour un pays qui se présente comme champion de l’environnement et du développement (Encadré 2).
53Au-delà du succès diplomatique, la conférence a également été saluée comme un succès logistique. La ville de Rio a pu accueillir 50 000 participants et assurer la sécurité de la centaine de chefs d’État et de gouvernements. Il n’y a eu qu’un seul jour de vrais embouteillages grâce aux trois jours de ponts facultatifs et à la fermeture des écoles, pas de meurtres... Pour le grand public, les grands évènements sont à venir : les rencontres de la jeunesse catholique en juillet 2013 où plus de deux millions de personnes sont attendues, la coupe du monde en 2014, les jeux Olympiques en 2016… Dès le 23 juin 2012, le coup d’État au Paraguay occupe les premières pages des journaux, mobilise l’ensemble de la diplomatie brésilienne, reléguant les ressassements sur le manque d’ambition du document final de la conférence aux dernières pages.
Conclusion : Rio+20, point d’étape ou épiphénomène ?
54La faiblesse du texte final de la conférence de Rio+20 est sans doute à mettre en relation avec la fragilité même du modèle de développement brésilien.
55Exactement un an après la conférence, les tensions observées ont gagné en intensité. Les manifestations de juin 2013 témoignent de la fin du pacte de croissance inclusive instauré par le gouvernement Lula. L’inquiétude devant le ralentissement de la croissance et de la consommation s’accompagne de protestations devant le manque d’investissement dans les services publics de base et la dénonciation d’une classe politique jugée corrompue. Les conflits entre pouvoirs exécutif et législatif devant les demandes de la rue se font plus forts à quelques mois du début de la campagne électorale. La coalition qui a porté le Parti des travailleurs (PT) au pouvoir est en train de voler en éclat. Son principal allié, le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), estime être mal servi dans la distribution des postes, la répartition des privilèges et les prises de décisions.
56Les questions d’environnement n’occupent plus le devant de la scène depuis le vote du code forestier. On note une très forte reprise de la déforestation en Amazonie, attribuée au sentiment d’impunité qui en découlerait9. L’environnement n’est pas considéré comme un service de base pour lesquels les Brésiliens sont descendus dans la rue et il est peu probable qu’il fasse partie des priorités du gouvernement. Déjà, il a été annoncé que les fonds attendus de l’exploitation du pétrole en haute mer, les royalties du pré-sal10, n’abonderont pas comme il était prévu le fonds national pour le changement climatique, mais des actions en faveur de l’éducation et de la santé.
57Sur le plan diplomatique, le Brésil marque le pas. Sans doute, l’élection de Roberto Azevedo à la tête de l’OMC début 2013 est-elle en partie liée au succès de la diplomatie brésilienne à Rio+20. Il reste néanmoins à obtenir un poste au conseil de sécurité des Nations unies. Cet objectif suprême de l’effort diplomatique brésilien semble pourtant délicat alors que le Brésil, contre les États-Unis et toujours au nom du respect de la souveraineté des États, refuse de condamner la Syrie ou l’Iran.
58Sur le front des négociations environnementales, le Brésil n’a que partiellement réussi à capitaliser son avantage après Rio+20. À la conférence Climat de Doha, il a été possible au Qatar de faire accepter à toutes les parties, un texte avec un contenu fort sur la reconduction du protocole de Kyoto, sans pour autant procéder à un coup de force. Il était peu convainquant d’opposer un taux de réduction de 27 % de la déforestation comme l’a fait l’ambassadeur Corrêa do Lago pour justifier d’attendre davantage d’engagements en termes de réduction de GES et d’aide financière de la part des pays développés avant de s’engager dans la deuxième période de Kyoto. La position du Brésil refusant toute contrainte sur le REDD a été jugée intransigeante à Doha, et lui a valu d’apparaître parmi les lauréats du trophée Dodo qui récompense ceux qui s’opposent aux avancées de la convention sur la diversité biologique à la conférence d’Hyderabad. Ce refus de tout cadre contraignant, de ce que le Brésil dénonce comme « activités de surveillance », a été réaffirmé lors du Forum des Nations unies sur les forêts en avril 2013 à Istanbul.
59On espérait que les Dialogues du développement durable, organisés à l’initiative du Brésil lors de la conférence, déboucheraient sur les Objectifs du développement durable, assurant ainsi une avance diplomatique au Brésil. Si le Brésil continue à travailler à l’élaboration des Objectifs, il n’en a pas la direction. Le rapport publié début juin 2013 par le groupe de travail identifie douze objectifs dont deux concernent précisément l’établissement d’institutions efficaces ouvertes et responsables pour la participation des citoyens, pour réduire la violence et garantir la justice ; thèmes particulièrement périlleux pour le Brésil.
60Passé Rio+20, apogée de l’image du Brésil comme grande puissance et tenant d’un modèle social et économique original et à l’épreuve de la crise, la réalité reprend ses droits. Le Brésil ne peut s’abstraire du contexte économique mondial en misant sur le développement de son marché intérieur par la redistribution. Le jeu politique, exigeant des alliances complexes et contradictoires, conduit à faire des concessions qui impliquent des reculs significatifs en termes d’environnement. Les lois sur l’environnement sont audacieuses, mais elles sont peu appliquées, par manque de moyens, et remises en cause par le poids de la corruption et de la bureaucratie, ce qui rend peu crédible sa prétention à une position de leadership international.
61Les conflits observés lors de la conférence renvoie à l’origine même du concept de développement durable qui se doit de réconcilier l’économie, le social et l’environnement. Le Brésil a bien illustré la difficulté de cette réconciliation. Il se doit d’arbitrer d’une part entre les forces qui traversent sa société, reproduisant le schéma protection de l’environnement vs développement économique et, de par sa position d’émergent, entre Nord et Sud sur le principe des responsabilités communes, mais différenciées, afin d’atteindre une gouvernance mondiale de l’environnement, construction politique encore balbutiante. Les contradictions et conflits de construction de cette gouvernance ne sont pas confinés aux espaces de négociations, ils sont le reflet de nos sociétés et le Brésil nous en fournit un cas d’école.
Encadré 2
Les résultats de la conférence :
Quelques avancées sont mises en avant :
– Toujours pas de définition de l’économie verte, dont l’évocation sera toujours accompagnée de la mention « dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté ». Le terme « extrême » a été rejeté ;
– Le PNUE sera fortifié et le prochain pas sera de lui donner un budget propre ouvrant à moyen terme la possibilité de transformer le Programme en Agence des Nations unies ;
– La proposition du G77 de créer un fonds de 30 milliards annuels pour financer le développement durable n’est pas retenue ; il y a simplement rappel de l’engagement des pays riches de porter l’Aide publique au développement (APD) à 0,7 % du PIB ;
– Les discussions sur les financements sont reportées à 2014 ;
– En échange du manque d’engagement sur les fonds : réaffirmation du principe des responsabilités communes, mais différenciées ;
– Pas de mention de l’agriculture familiale, ni de l’économie solidaire ;
– Le Vatican obtient le silence sur la santé de la reproduction ;
– Avancées sur les océans avec l’arrêt des subventions pour la pêche en excès ;
– Affirmation des Objectifs du développement durable pour 2015 ;
– Création d’un forum de haut niveau pour le développement durable à partir de la Commission du développement durable, ce lui confère un poids politique
– 692 engagements portant sur 513 milliards de dollars sont inscrits dans l’annexe de la déclaration.
Bibliographie
Bibliographie
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SECOM, 2012, Boletim da Secretaria de Comunicação da Social da Presidência da República, no 1656, de 13 de novembro de 2012.
TEEB – The Economics of Ecosystems and Biodiversity, 2012. TEBB para o Setor de Negocios Brasileiro. Relatorio Preliminar. Sumario executivo.
Notes de bas de page
1 Au moment de la conférence ce basculement était déjà en œuvre et beaucoup en étaient conscients, sans que l’on puisse parler de déni de réalité. La première partie du texte actualise sous cet angle les données présentées dans l’article Repenser le développement du monde : Le Brésil se met en scène à Rio+20 (Aubertin, 2012).
2 On retiendra un taux de change indicatif moyen pour la période avril 2008-avril 2013 : 1 US$ = 2 R$ (reais).
3 Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. Ces pays émergents ont connu jusqu’au début 2013 une forte croissance qui les désignait globalement comme un nouvel acteur géopolitique.
4 Le Land Use, Land-Use Change and Forestry, LULUCF, fait partie des secteurs d’émission de GES traités dans le cadre de la négociation climat.
5 En 2011, la déforestation ne comptait plus que 36 % dans les émissions de GES. Fin 2012, la déforestation avait atteint un plancher de 4 656 km2 selon l’Institut national de recherches spatiales, INPE.
6 Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, TIRPGAA, a défini une liste de plantes protégées de l’appropriation par brevet.
7 L’ISA recense au Brésil 668 Terres indigènes totalisant 113 millions d’ha et accueillant 520 000 Améridiens.
8 Dès le dimanche 17 juin, le Brésil gagne le fossile d’or décerné par le Climate Action Network, ONG qui regroupe 700 organisations de défense de l’environnement, pour son alignement sur le plus petit dénominateur commun.
9 Alors que les surfaces déforestées annuellement connaissaient une baisse continue depuis 2004, elles sont repartis à la hausse : + 28 % entre août 2012 et juillet 2013.
10 Gisements de pétrole découverts en eau très profonde.
Auteur
Économiste de l’environnement, directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Elle travaille au Brésil et en Guyane sur les traductions locales des conventions internationales et l’utilisation des outils économiques pour la conservation (marchés, mécanismes REDD, paiements pour services environnementaux). Elle a publié Protected areas, sustainable land ? Ashgate, 2011 (avec E. Rodary) ; Le développement durable : enjeux politiques, économiques et sociaux. La Documentation française, 2010 (avec F.-D. Vivien) ; Les marchés de la biodiversité, 2007 (avec F. Pinton et V. Boisvert). Elle est co-rédactrice en chef de la revue Natures, Sciences, Sociétés. catherine.aubertin@ird.fr
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