Postface
Représentations, altérations, identification : le signe-trace dans l’industrie des écritures
p. 231-257
Texte intégral
1La visée de recherche sur l’Homme-trace, telle que la définissait Béatrice Galinon-Mélénec (2011a : 13-14) dans le premier volume de la présente série, impose d’embrasser deux horizons à la fois. D’un côté un enjeu d’actualité : l’avancée du projet industriel de redéfinir l’humanité – voire la post-humanité – comme un ensemble de traces maîtrisables. De l’autre une perspective transhistorique : celle de l’anthropos appartenant à son environnement naturel, social et technique, à commencer par « l’inscription de signes-traces dans la matière-corps […] automatique et inhérente à la vie » (Galinon-Mélénec, 2011b : 198). Si la question de la trace, de la manière dont on la produit et de ce qu’on en fait, se pose aujourd’hui avec une certaine urgence, c’est que des entreprises et des stratégies saisissent l’écriture des signes en tant que traces (de notre monde, de notre société, de nous-mêmes), à la croisée des conditions de l’interaction humaine incorporée, des dispositifs qui lui donnent forme et de l’activité interprétative qui oriente, stabilise ou occulte ces signes. Une réalité existentielle et une économie sémiotique se rencontrent sur le fond permanent de l’implication communicationnelle1 du corps et de l’esprit, l’un et l’autre pensant et sentant. Dans un tel cadre, le signe-trace est une réalité protéiforme, renvoyant inévitablement à notre être au monde mais toujours produit d’une élaboration complexe, et les inscriptions médiatiques, en particulier les diverses formes de l’écriture au sens strict (qui rend la langue visible) et des écritures médiatiques et graphiques au sens large (créant le monde visuel) sont un ingrédient essentiel, parce qu’elles lui apportent la dimension du tracé2.
L’espace médiatisé de l’apparence partagée
2Un tel processus d’industrialisation des signes du corps et du texte définit aussi les conditions de la « moralité médiatique », selon la formule de Roger Silverstone (2007) : le rôle déterminant que jouent les dispositifs industriels dans la médiation d’une représentation de soi et de l’autre. Cela nous engage à une lucidité réflexive, parce que là se joue, par-delà les multiples circulations de l’expression et de l’opinion, l’enjeu politique majeur d’un espace public désormais largement mondialisé et puissamment instrumenté. « La médiapolis, écrit Silverstone (2007 : 31), est […] l’espace médiatisé de l’apparence dans lequel le monde apparaît, dans lequel le monde est institué dans sa mondialité, et à travers lesquels nous apprenons qui nous sommes et qui n’est pas comme nous »3. La fabrique de traces partageables, traitables, publicisées (ou non) est une composante majeure de la médiacité, puisqu’elle constitue, on l’a vu dans les précédents, un processus de production de signes particuliers, dotés du pouvoir considérable d’être reçus comme une figuration crédible de ce qui a réellement existé. C’est pourquoi, après plusieurs années de travail, l’effort mené pour décrire les médiations de l’Homme-trace et arracher ce signe à son apparente évidence débouche sur des acquis épistémologiques, mais aussi sur une perspective politique. Il ne met pas seulement au jour des objets d’analyse mais des enjeux. Ceux-ci tiennent à un processus info-communicationnel, le devenir-trace des objets : processus complexe, à la fois procédural et interprétatif, dans lequel les acteurs et les dispositifs interviennent avec « l’objectif de mise en visibilité de la trace » (Galinon-Mélénec, 2011c : 18) et bien souvent de son imposition. L’importance politique et culturelle de l’enjeu tient en particulier à deux de ses dimensions, l’économie du visible et la relation au temps historique.
3Dans la fabrique d’images de l’homme et du monde, les jeux du visible et de l’invisible sont incessants. Les dispositifs de représentation nous placent face au monde, ce qui signifie à la fois une fabrique de ce monde et une posture devant lui (dans les termes de Louis Marin (1994) un effet de présence et un effet de sujet). Le fait de produire des traces et de les qualifier comme telles condense ce phénomène en une sorte d’évidence : la trace témoigne du monde et se donne pour lui. Mais, si tout signe fait sens, comme l’observe Béatrice Galinon-Mélénec, il n’est pas nécessairement constitué en signal, c’est-à-dire pris en compte et qualifié par ceux qui en usent (Galinon-Mélénec, 2011b : 197). Beaucoup des signes qui conditionnent le plus fondamentalement nos perceptions (de nous-mêmes, de la société, de la nature) passent inaperçus. C’est pourquoi les jeux du visible et de l’invisible sont de longue date l’un des enjeux majeurs de l’économie politique de la communication. Les médiations techniques et sémiotiques de la représentation contribuent à définir la visibilité sociale des objets et des enjeux (et, bien entendu, leur invisibilité). Elles conditionnent à la fois la grammaire du visible et les trajets du regard social. La trace est au cœur de cet appareil de textualisation médiatique du monde, dans sa double dimension de témoin du social (testis) et de matrice de représentation de celui-ci (textum)4. Elle opère les multiples conversions du texte en témoignage et vice-versa.
4Or, paradoxalement, les puissants de ces dispositifs sont ceux qui se rendent invisibles, qui disparaissent en quelque sorte derrière leur omniprésence, derrière l’épaisseur même des médiations qu’ils empilent. Un tel paradoxe, avait été théorisé par Bolter et Grusin (1999), qui observaient que la recherche de transparence (« l’immédiation ») se traduit souvent par la multiplication des procédures et des intermédiaires (« l’hypermédiation »)5 : pour eux la « remédiation » n’est pas seulement, comme chez Mc Luhan, la reprise des médias antérieurs. Elle affirme une prétention, celle de remédier à la communication : de la rendre transparente par une paradoxale accumulation d’opacités. La promesse de pallier la culture, nous présentant à nous-mêmes comme en retard sur ce que devrait être l’Homme, est l’indice de la portée politique du projet d’innover. Ramenée à des observables, cette utopie incarnée repose sur un processus lui-même paradoxal. D’un allongement considérable des médiations (Davallon, 2012) émerge une évidence (étymologiquement une chose qui s’impose à la vue), une « impression de transparence de signification » (Davallon, 2012 : 191).
5Mais de telles constructions ne sont puissantes que parce qu’elles participent à l’écriture d’une histoire. De ce point de vue, la trace joue un rôle particulier de lien entre passé et futur dans le présent. Elle se donne dans son évidence comme une lecture du passé, un gage du fait qu’il a eu lieu, et de telle manière ; un ça a été. Mais seul le souci de l’avenir guide notre regard, on ne peut plus sélectif, sur le passé. Ainsi en cherchant « Paris Sorbonne » sur le moteur de recherche dominant verra-t-on s’afficher une liste de « personnes célèbres » passées par cette université essentiellement réduite aux personnalités politiques et aux célébrités médiatiques6. La trace est une machine à objectiver ce qui dans le passé peut écrire l’avenir, ou du moins délimiter le champ de ses possibles. « L’Homme-trace d’aujourd’hui, son futur à partir de son passé » (Galinon-Mélénec, 2011d : 31)7.
6Ces jeux du visible et du prévisible ne sont ni nouveaux ni propres à la puissance des réseaux informatiques. Roland Barthes commentait dans la postface des Mythologies une couverture de magazine représentant un soldat noir devant un drapeau tricolore. Il s’agissait moins de souligner ce que cette image impose, l’idée d’un grand empire, que de rappeler ce qu’elle oublie et efface, les conditions de vie de cet homme, la relation coloniale, le travail sophistiqué de production d’une telle image (Barthes [1956] 1994).
7Pourtant, comme Walter Benjamin l’avait remarqué, la transformation introduite dans la relation intersubjective par le travail médiatique tient précisément à ce que, saisissant les corps et leur relation au monde dans toute l’étendue de ce que nous nommons ici un signe-trace (en particulier toutes les dimensions qui peuvent échapper au contrôle de soi) et en créant une aperception en quelque sorte artificielle, il confronte chacun, acteur comme public, d’abord à un dispositif qui lui impose de se composer une image, qu’il fragmente et reconstruit (ce que font aussi bien Paris Match, Hollywood et Facebook), disposant ces traces saisies pour en faire un monde. « Le public ne se lie sur le mode de l’identification à l’acteur qu’en se liant sur le même mode à l’appareillage », écrit Benjamin (2013 : 85)8. Remarque qui doit d’ailleurs nous suggérer quelque prudence dans l’utilisation massive de la dramaturgie goffmanienne à propos des écrits de réseau car, si ce modèle présente une fort commode congruence avec une conception avant tout relationnelle et phatique de la communication, Benjamin rappelle sur ce point la profonde différence qui sépare le théâtre du cinéma. « L’appareillage [le dispositif] s’est si profondément immiscé dans la réalité que l’impression de pureté de cette réalité, comme si elle s’était libérée du corps étranger de l’appareillage, est le résultat d’une procédure spécifique […] ».
8C’est bien entendu cette médiation de l’immédiat réalisée par les dispositifs qui échappe à ceux qui analysent le réseau comme une conversation ou l’enjeu politique de l’Internet comme un face-à-face entre experts et amateurs, mythifiant ainsi les dispositifs d’écriture. Ce que Barthes nomme le mythe, c’est la production d’une transparence au prix du masquage d’une foule de médiations : une forme « empruntée » qui contient toujours l’histoire mais la masque dans la splendeur de sa présence formelle. Le fait que Benjamin et Barthes réfléchissent à propos des « médias de masse » demande bien sûr un ajustement dans une nouvelle économie des écritures médiatiques (que le premier anticipe lorsqu’il remarque que « tout contemporain peut revendiquer à bon droit d’être filmé » (Benjamin, 2013 : 97) ; mais elle ne doit pas nous dispenser de placer cette fabrique de la « personality » (Benjamin, 2013 : 95) individuelle et sociale au cœur des analyses des médias informatisés. Simplement, la logistique documentaire des outils d’identification y prendra une force plus grande, comme Adorno et Horkheimer l’ont prévu en 1947, à mi-chemin entre des deux textes : « Le premier service que l’industrie apporte au client, c’est de tout schématiser pour lui […] Pour le consommateur, il n’y a plus rien à classer : les producteurs ont déjà tout fait pour lui » (Horkheimer et Adorno, 1974 : 133-134). La trace est le dispositif sémiotique qui condense de la manière la plus hyperbolique la mythification d’une image en tant qu’ontologie.
9Je m’arrête un peu plus longuement sur une recherche ancienne qui illustre la virulence d’un dispositif de production de traces (Jeanneret et Souchier, 1997 : 145-166). À un moment où la communication politique était clairement dominée par l’audiovisuel, la campagne présidentielle de 1995 fut marquée par l’omniprésence nouvelle d’un dispositif info-communicationnel particulier, le sondage d’intention de vote. Phénomène qui n’a pas seulement modifié le contenu du débat démocratique, mais mis en question ses conditions. En effet, le sondage anticipé sur des intentions déclaratives, réalisé quelques mois avant l’élection, a pu acquérir la force figurative d’une trace du réel, parce qu’on pouvait (par erreur) l’assimiler à la précision d’un autre procédé, l’extrapolation de votes réels réalisée en direct sur le jour même de l’élection : un dévoilement de la volonté du peuple qui a laissé une profonde trace chez ceux qui ont été sidérés de voir dès 20 h s’afficher le portrait du vainqueur. La publication d’un sondage présenté comme une photographie ou un thermomètre (appareils de production de traces) paraît fournir l’épiphanie de l’opinion, cet être insaisissable, parce qu’il en exhibe la figure.
10Aborder ainsi les choses redéfinit les enjeux politiques. Plutôt que de se disputer (dans la tradition de la « recherche administrative ») pour supputer si tel sondage influe sur le contenu du vote, il est plus important – et plus éclairant pour ce qui se trame aujourd’hui dans les traces – de constater les effets que peut avoir un harcèlement permanent du téléspectateur par les indices d’un résultat possible sur la temporalité de la campagne et par là sur sa nature. Un moment de débat et donc de délibération personnelle devient un jeu de devinette sur le succès, renvoyant les citoyens à un pari sur la victoire et imposant aux acteurs politiques de se situer sans cesse par rapport à ce que ces indices prétendent dire de l’avenir. En effet, ce qui doit advenir, tracé et traqué, est censé être déjà là. Ce que confirma spectaculairement le procès fait finalement aux sondeurs de « s’être plantés » (ils avaient annoncé la victoire certaine d’Édouard Baladur). Grief étrange, qui suggère que désormais la norme de la démocratie serait de pouvoir prévoir les votes et donc de s’assurer que le citoyen ne délibère pas, ne pense pas, n’exerce pas son libre arbitre. Cette séquence extraordinaire met en évidence le pouvoir de la transmutation de signes en traces. Un complexe ensemble de médiations et de traductions sophistiquées est nécessaire à la production de ce spectacle. Le processus a depuis triomphé. On peut en donner pour exemple, entre mille, la question du « grand référendum » de Radio Sud le 11 février 2015 : « François Hollande peut-il descendre à nouveau en dessous des 13 % de satisfaction ? » : on apprendra que le public, invité à se prononcer, non sur un avis, mais sur un pronostic, pense à plus de 60 % que c’est le cas…
Écritures/traces
11Si le phénomène est ancien, les médias informatisés apportent à ces jeux du visible et de l’invisible un concours d’une ampleur nouvelle : ceci, à vrai dire, de longue date, dès la saga des écritures multimédia des années 1990 et bien avant que le thème des « traces numériques » soit devenu un centre d’intérêt spécifique (Jeanneret, 2001). Cela tient à la fois à leurs contraintes (l’accès à une masse documentaire sans précédent sur une surface de lecture exiguë comme jamais), à la puissance technique des traitements et à l’extraordinaire efficacité des transmutations sémiotiques qu’ils autorisent. Ils en tirent une capacité inédite à rendre visible comme un spectacle une représentation du monde, à produire de la présence. Car l’informatique équipée de ses périphériques et de ses images métaphoriques est aussi ou d’abord une ingénierie des formes visuelles et graphiques, de plus en plus industrialisées et standardisées. Parfois l’ingénierie projette un avenir en l’outillant ; parfois, elle supprime un possible en tranchant un choix qui n’a pas été discuté (Robert, 2005). Nous pourrons liker nos prédilections mais il n’est pas en notre pouvoir d’éviter que ce geste donne lieu à agrégation et mise en scène (Candel et Gomez-Mejia, 2013). Dans ces conditions, de nombreux acteurs font effort pour instrumenter, instrumentaliser et industrialiser9 les objets susceptibles de faire trace. Ils manipulent empreintes, indices, inscriptions, tracés et ne cessent de les transformer et de les convertir. Par ce biais ils infléchissent, conditionnent, pérennisent des représentations.
12Une autre manière de dire les choses, c’est d’observer que déterminer ce qui est ou n’est pas trace n’est pas seulement un débat théorique entre scientifiques, mais un processus historique et pratique. En effet, l’effort que nous faisons pour repérer des objets, les nommer, opérer des distinctions entre eux et en leur sein, participe à une histoire qui ne peut être séparée d’une autre histoire parallèle, celle de l’intervention des acteurs, des métiers, des dispositifs pour modifier les termes mêmes de ces échanges et de ces relations. Ainsi, pendant que le chercheur s’emploie à distinguer un objet matériel (l’empreinte), une opération médiatique (l’inscription), une hypothèse interprétative (l’indice), une forme signifiante (le tracé), une figure concrète (la trace), les procédures de traduction et de transmutation entre ces différents ordres de réalité se multiplient, et avec eux les effets de mise en visibilité, de masquage et de brouillage des différentes médiations.
13Le simple fait de nommer autrement les objets (donnée, trace, contenu ou document) et les dispositifs (technologie, réseau, système ou média) déplace les conditions d’analyse. Ce qui impose au chercheur un curieux paradoxe. Il doit à la fois constater que le jeu des acteurs et des industries modifie sans cesse les objets et remet en cause les définitions les plus assurées – notamment celles qui ont pu être élaborées en science – et conserver la capacité de ne pas confondre en une indistinction massive des médiations qui relèvent de ressources et de processus différents. La question est particulièrement évidente, par exemple, à propos de la notion de « média » et, en l’occurrence, de la manière dont les objets liés à l’informatique sont qualifiés comme tels (new media, self media, médias sociaux, métamédia, etc.), toutes appellations qui ne résistent pas à l’examen mais font figure ou, inversement décrits autrement (technologies de l’information, objets socio-techniques, numérique, digital, réseaux sociaux ou socio-numériques). La notion de média a fait l’objet d’une controverse théorique intense dans la communauté scientifique, des définitions les plus extensives, comme celle de Mc Luhan qui fait à peu près de tout objet un média aux plus restrictives, comme celle que retiennent les analystes de la communication politique, qui considèrent que mérite la qualification de média une institution dotée d’une responsabilité éditoriale et fédérant une identité sociale10. Pendant que ces débats ont cours, les acteurs professionnels ne cessent de créer des média-magasins, des villes-médias, des entreprises-médias, des individus-médias, et surtout ils modifient sans cesse le rôle de ces objets en les faisant supports de marques, lieux de capture de publics, vecteurs de transactions marchandes. Comme l’écrit Dominique Cotte, « Si le devenir média de beaucoup d’objets est indiscutable, sous l’effet de stratégies délibérées, les distinctions demeurent et les contradictions persistent. Il ne suffit pas de décréter qu’une rue, une ville, une entreprise ou un emballage sont des médias pour que leur fonction et leur forme soient en tous points analogues aux institutions dont le rôle est de publier et de diffuser des textes et des informations »11. Je suggère de reprendre ce cadre d’analyse en ce qui concerne le devenir trace des inscriptions (qui sont des objets médiatiques) en mariant les deux perspectives initialement identifiées : placer ces enjeux et ces changements dans la perspective longue des écritures et des médiations de la culture, observer ce qui fait particulièrement l’objet de stratégies aujourd’hui.
14Le titre du présent volume invite à interroger ces enjeux à partir d’un couple de notions, écritures et traces12. Le double pluriel est nécessaire. Il y a de multiples formes d’écriture et, en outre, tout ce que nous qualifions ainsi ne l’est pas au même titre. Dans les médias informatisés, les styles d’écriture se sont succédé de manière extrêmement rapide, avec des prédilections sémiotiques tranchées qui ont ponctué les pratiques de puissants changements de cap associés à des jugements dévastateurs13 : non-linéarité de l’hypertexte, recherche visuelle des écritures multimédia, déferlante du texte au kilomètre dans les wikis, imposition des cadres d’écran normalisés, stigmatisation de l’éditorial (1.0) au bénéfice du social (2.0), mise en pièces de la page avec la norme de l’information à la demande, réduction de l’expression aux petites formes et aux petits gestes standardisés, saga de la data visualisation et des cartographies, etc.
15Pourtant, derrière ces basculements orchestrés et spectacularisés, toute une panoplie complexe d’outils d’écriture pour l’essentiel accumulés au fil du temps et graduellement perfectionnés continue d’opérer dans une grande continuité la transmutation constante des signes et leur transformation en scènes figuratives qui nous représentent ce que sont nos cultures sous l’apparence d’une réalité indicielle prélevée directement dans le réel. Or, par-delà cette disparate hésitante mais organisée, ce qu’on nomme en l’occurrence – ou pas – « écriture »14 consiste en réalité en couches techniques et sémiotiques très hétérogènes. L’informatique opère dans un monde d’inscriptions, d’ailleurs concrétisées en plusieurs lieux et sur plusieurs matérialités (Souchier, 1996), depuis les supports physiques des données au cœur des processeurs jusqu’aux multiples « périphériques », eux-mêmes sans cesse renouvelés. De ces inscriptions on peut faire des traces à condition de les produire comme telles : en faire des signes accrédités par une interprétation particulière (le témoignage d’un passé) et présentant une scène figurative particulière (le sentiment de voir se manifester la présence de ce passé)15. C’est pour transformer les inscriptions en traces que la riche panoplie des formes graphiques est indispensable. La réflexion sur la genèse industrielle des traces nous renvoie donc aux complexes relations entre l’informatique et l’écriture, plus exactement entre l’opérativité de programmes informatiques et la créativité des formes culturelles de l’écriture. L’essentiel à mon avis n’est pas que les objets soient devenus « numériques », comme on dit, mais qu’ils soient régis par des programmes (pro-gramma ou praescriptio, écriture à l’avance) : des écritures anticipées qui prescrivent.
16Mais en quel sens cette production de la trace relève-t-elle de l’écriture en tant que système symbolique et des écritures en tant que réalités techniques et sémiotiques ? On peut bien entendu dire que toute l’informatique est de l’écriture. Ce n’est pas faux, mais c’est très imprécis. Ainsi entendue, la catégorie de l’écriture mêle des objets très différents. L’enjeu le plus fondamental des opérations informatiques est la relation entre l’information mathématiquement calculable et l’information socialement interprétable16, deux réalités que le monde de l’inscription permet particulièrement bien d’articuler entre elles. Les grandes constructions documentaires du web qui se sont développées dans la dynamique industrielle des plates-formes présentent à cet égard une évolution paradoxale et assez contradictoire. La face la plus évidente du problème est la dissociation de plus en plus tangible entre les composantes de l’objet écrit, tel que le proposaient l’univers imprimé, mais aussi les formes de l’écran jusque là régies par une construction visuelle cohérente : un couple main/œil qui faisait l’art des graphistes, des typographes et des éditeurs. Elles isolent les formats des matières textuelles et les objets traités par la machine de ceux que l’homme peut percevoir, dérobant à notre regard la relation entre la forme visuelle et les constructions textuelles. L’articulation entre les écritures que régit le code et les écritures qui visent un lecteur, une tradition d’interprétation et un espace de lisibilité – dans les termes de Jean Davallon (2012) entre les écritures formelles et les écritures culturelles – est de plus en plus problématique, aboutissant à une remise en cause de l’objet texte. Apparemment, les écritures et les formes documentaires se défont et nous sommes confrontés à des atomes d’information, à des « données », à des collections de bribes de pratiques et d’usages. C’est cette (dé)construction d’un fatras d’unités documentaires de statut extrêmement instable qu’on a pris l’habitude de nommer des traces d’usage, puis des données personnelles.
17Pourtant, nous ne sommes pas face à une substitution des traces aux écrits, mais au contraire à des constructions graphiques d’une complexité inégalée jusqu’ici : un complexe d’inscriptions dont certaines, étant lisibles par l’homme, acquièrent le statut d’écriture et, dans certains cas, se qualifient comme des traces. Dans cette circulation qui associe le plan de la donnée (entendue comme un format traitable par le code), celui de l’inscription (désignant ici la matérialité des objets médiatiques) et celui de l’écriture, certains objets complexes accèdent au statut de traces qualifiées comme indices, figurant à la fois de la culture et de l’identité. Cette fabrique des traces suppose un jeu constant de transformation des signes. Elle opère une circulation incessante entre les deux pôles de l’inscription, celui du programme codé et celui de l’écrit socialisé, sans jamais les dissocier. Ces deux niveaux de l’inscription ne présentent pas seulement une nature différente, ils n’obéissent pas aux mêmes principes de réussite ou, si l’on veut, de perfectionnement et d’optimisation. Si l’un exige de pouvoir être manipulé automatiquement, l’autre est entièrement façonné par l’existence du « partenaire silencieux » (Christin, 1995), le lecteur potentiel, qui régit la forme, la disposition, l’évolution des signes. Les traces sont donc plurielles, puisqu’elles relèvent d’opérations extrêmement disparates et toujours reconfigurées et qu’elles cachent, dans leur figure évidente, des couches complexes d’opérations sous-jacentes.
18Si l’on suit cette hypothèse, on ne confronte pas la trace à l’écriture. Encore moins envisagerait-on que l’une remplace l’autre. On observe la capacité des industries médiatiques à réaliser deux opérations puissantes : mettre à profit une large gamme de formes écrites pour produire de la représentation ; contrôler d’autre part les effets de visibilité et d’invisibilité de l’écriture. On pourrait définir la trace industrialisée comme une médiation sémiotique qui repose entièrement sur la manipulation des formes graphiques mais se fait oublier comme écrit pour se manifester comme image du monde17.
19Dans cette perspective, l’extraordinaire efficacité des dispositifs liés au programme informatique pour produire des traces et les diffuser ne signifie pas un passage de l’écriture à la trace, mais plutôt un art d’inventer et de renouveler sans cesse deux opérations : celle de la transmutation sémiotique qui fait circuler les inscriptions entre le statut de donnée calculable à celui de signe visible, lisible, interprétable ; celle des effets de mise en évidence et de masquage de chacune de ces deux dimensions, qui peut faire passer une inscription automatique pour une écriture humaine comme effacer la teneur sociale et interprétative d’un traitement automatique. On peut en donner deux exemples, l’importance considérable qu’a pris l’art des leurres et des pièges dans les plates-formes d’échange documentaires (dits « réseaux sociaux ») et la manière dont l’industrie informatique se trouve aujourd’hui victime d’un monde où tous les signes sont devenus des agents doubles. Ces deux enjeux se manifestent dans les formes les plus infra-ordinaires du réseau. Nous entrerons ainsi dans l’un des enjeux essentiels du politique, la production des identités individuelles et collectives.
20Nous recevons régulièrement des messages apparemment signés d’amis qui nous invitent à rejoindre un réseau, voire manifestent leur impatience. En réalité, ces messages ont été produits automatiquement, à partir d’une syntaxe simplifiée (qui souvent se trahit d’ailleurs) et d’un format normalisé de données. Nous pouvons manifester notre intérêt pour une idée, un produit, une manifestation culturelle, en activant un bouton préformé doté d’un design graphique et portant un message d’adhésion (Like) : une fois transmués en nombres, puis en graphiques ou en notes, tous ces gestes deviendront la trace d’avis, d’appartenances, d’enthousiasmes, de notoriété. Nous voyons sans cesse sur nos écrans des collections d’étoiles qui incarnent le jugement de distinction et de garantie pour la qualité d’objets extrêmement divers. Cette production façonnée, comme le soulignait Benjamin, par le face-à-face des corps avec les dispositifs de mise en forme de la personality, sont présentés comme la preuve du pouvoir de la foule anonyme mais intelligente. Issue du monde du tourisme, l’étoile porte la valeur d’un jugement spécifique formulé par un expert ; désormais, elle procède d’un simple calcul statistique effectué sur des gestes minimaux agglomérés en un ensemble indistinct. Pur produit d’une mise en équivalence et d’un comput, elle n’en conserve pas moins l’autorité de sa riche histoire, comme le résultat des écritures aléatoires de Wikipedia se baptise encyclopédie.
21Ce sont autant de dispositifs de représentation de ce que nous sommes, de ce que nous désirons, de ce que nous pensons. Petites figures de nos individualités, de nos communautés, de nos avenirs possibles, façons d’écrire aujourd’hui notre futur à partir de notre passé. Lorsque nous retournons inévitablement vers Wikipedia, nous pensons choisir une source désignée par la sagesse populaire alors que la présence de ce site en tête des réponses est simplement le résultat du fait qu’étant toujours placé en tête il est toujours choisi par défaut. Le principe de l’algorithme (faire confiance au choix des internautes) trouve sa limite dans sa puissance même, lorsqu’il devient simplement le signe de sa propre statistique.
22Ces figures ne sont d’ailleurs pas toujours qualifiées de « traces ». On parle de plus en plus de « données » ou mieux de « data », ce qui mériterait une analyse sémiotique et herméneutique aussi complexe que celle de la trace (peut-être un objectif futur du réseau Human trace). En effet, ce qui réunit ces deux figures, c’est leur accréditation comme indices sûrs du réel, leur qualité de manifestation du monde, fondées sur le masquage des médiations qui les constituent. Les open data ne sont évidemment ni plus immédiates ni moins opaques que les traces d’usage. Marie Després-Lonnet a analysé la manière dont la logistique documentaire de la base de données Europeana fait disparaître les savoirs constitués par les documentalistes attachés aux différentes institutions, rendant ainsi les objets « interopérables » en principe mais faisant disparaître les informations permettant de les mettre en relation (Després-Lonnet, 2014). En revanche, là où la trace suggère un rapport insistant au passé, la donnée semble avoir toujours existé dans le présent, ne pas devoir être engendrée ni reconnue. Quoi qu’il en soit, la médiation des écritures leur est également indispensable. En effet, si complexes et sophistiquées que soient les transmutations sur lesquelles repose leur production, ces représentations ne prennent sens et force qu’une fois manifestées et lues par des personnes, rendues visibles dans la ville, dans nos intérieurs, au fil de nos passages. Le partenaire silencieux peut rester invisible, il n’en régit pas moins toute cette fabrique de signes.
23On parle beaucoup de « l’Internet des objets », qui se laisse bien interpréter dans ce cadre. Par-delà les commodités et les menaces que cette nouvelle version de la « réalité augmentée » nous promet, il s’agit bien d’allonger et d’intensifier les médiations réalisées à l’aide de ces écritures formelles et automatiques, à l’abri du regard de l’homme, à distance du partenaire silencieux. C’est l’ingénierie de longues chaînes d’inscriptions et de transmutations sémiotiques principalement produites à notre insu, non destinées à être lues par nous, mais régies par des visées de sens et d’instrumentation bel et bien écrites à l’avance, programmées selon des scénarios de ce que nous sommes (nos identités) et de ce que nous pouvons penser, désirer, préférer (nos cultures). Malgré tout, rien de tout cela ne pourra opérer – notamment réaliser des échanges entre nos sociabilités et nos transactions marchandes – sans être manifestées, figurées – écrites. Les industries des passages, inventées dans le monde des villes industrielles (Benjamin, 1989) et perfectionnées par la circulation des « données », seront gorgées d’écritures. Nous ne savons seulement pas encore desquelles.
24Pour qui douterait encore de l’importance de ces doubles jeux entre calcul et écriture, il est une manière amusante de le vérifier, en quelque sorte à rebours. En effet, dans ce monde de leurres et de masquages, tout est devenu agent double, pour parodier la formule de Paolo Fabbri (2003). L’ingénierie des transmutations est capable de nous faire passer des vessies pour des lanternes, en l’occurrence du traitement automatique d’inscriptions pour l’expression de personnes ou un calcul statistique de données pour une intelligence des foules. Mais la production de la valeur comme celle du pouvoir exigent la rencontre des corps et des esprits. Elles ont besoin, non seulement des traces, mais de l’Homme-trace. En voici la preuve.
25Depuis quelque temps, nous faisons de plus en plus souvent l’expérience d’être confrontés à une fenêtre de saisie intitulée captcha18 et qui impose de remplir une case d’une suite de chiffres ou de lettres après les avoir reconnus sur un fragment d’écran bizarre représentant exactement les mêmes signes dansant une sorte de gigue dans des formes baroques : ce qui pour un être humain paraît une opération particulièrement stérile, dont il a l’impression qu’elle consiste à le transformer en machine. En réalité, l’homme n’intervient ici que comme un auxiliaire d’une épreuve imposée à la machine elle-même, celle de l’écriture/lecture. Ce dispositif fait partie d’une gamme de « tests de Turing » transformés en petits produits industriels. Ce qu’on appelle ordinairement ainsi est ce que ce mathématicien philosophe nomme pour sa part, avec plus de précision le « jeu de l’imitation », une extension d’un jeu de société (dont Turing était friand) permettant, en séparant les personnes, de faire passer par exemple un homme pour une femme (Turing, 1983). Turing ne cherche pas à savoir – contrairement à de nombreux contre-sens – si la machine est intelligente, mais si elle peut penser et sa réponse est claire : elle le peut si elle entre dans une dialectique avec l’homme. C’est pourquoi il récuse d’emblée toute approche ontologique (par des degrés de sophistication du programme, je pense que l’idée d’intelligence artificielle lui est profondément étrangère) au bénéfice d’un critère pragmatique permettant de définir à quelles conditions elle peut apporter une contribution à la pensée. Ce qui importe pour lui et devait être mesuré et expérimenté et cultivé, c’est la capacité de la machine à participer à une interaction humaine. Il lui faut pour cela pouvoir être prise pour un être humain par un autre être humain. Toute l’ingénierie des leurres et des pièges évoquée plus haut est donc, en somme, une industrialisation du principe du jeu de l’imitation – même si cette manière de mettre l’ingénierie au service de la duperie est profondément étrangère à l’éthique du mathématicien philosophe. Ce « test » est bien, on l’aura remarqué, une conception communicationnelle et sémiotique du rôle de l’informatique : il lui faut un partenaire silencieux et la manipulation de l’échange porte bien sur l’interprétation des signes par l’homme.
26Ce qui est particulièrement amusant et ironique, c’est le retour en boomerang de cet art du leurre vers l’industrie. Les acteurs économiques et politiques ont besoin de savoir s’ils ont affaire à des machines ou à des hommes. De vérifier qu’ils sont bien confrontés à des hommes-traces et non simplement à des artefacts. Ceci, précisément, parce que, comme Marx l’a rappelé après toute l’économie classique, il n’y a pas de valeur (d’échange) sans usage. Et donc toutes ces transactions qu’on tire des « traces d’usage » ou des « données personnelles » n’ont de valeur que parce qu’elles reposent sur un fond, intense et actif, d’échange anthropologique. Or ici intervient l’ironie. Le grand art des médias informatisés consiste, on l’a vu, dans la transmutation et le brouillage des signes, dans la production de scénographies de traces dont l’origine est extrêmement hétérogène et largement incertaine. Dans cette nouvelle guerre des agents (automatiques) doubles, le test de Turing fait merveille. Mais aussi bien aux mains des pirates ou des dispositifs mêmes, affranchis de leur contrôle politique. Les acteurs des industries des passages sont donc confrontés à l’avancée massive des automates qui se font passer pour des internautes, menaçant la source même de la valeur des informations qu’ils traitent.
27D’où la prospérité des fabricants de Captchas. Si l’on sait distinguer les tâches pour lesquelles une machine peut se faire passer pour un homme-trace de celles qui lui sont inaccessibles, il est possible de créer, inversement, un test d’élimination des machines : un jeu de l’imitation où la machine échouera à coup sûr. Pour cela, il faut produire un objet graphique dont l’organisation nécessite, non un simple code, mais tout le matériel visuel de l’écriture et qui fait donc appel à l’intuition, cette saisie à la fois sensible et intelligente d’une image écrite dans sa singularité. Les informaticiens recourent donc à la forme baroque des typographies, à la disposition originale des signes, à un jeu particulier sur les espaces et les cadres. L’on voit les concepteurs de ces programmes sophistiquer de plus en plus le recours à des formes qui – le savent-ils ? – caractérisent précisément l’image écrite dans ses dimensions visuelles, celles qui font des écrits autre chose que la simple transcription d’un message ou d’une donnée. En effet, quelle épreuve pourrait-on imposer à une machine qui sait inscrire mais ne sait pas écrire pour obtenir une trace (un indice) de son inhumanité ? On lui demandera, simplement, de lire. Mais de lire un écrit, c’est-à-dire, non une simple transcription, une image écrite.
Altérations/identifications
28La question de l’identité est l’une de celles qui actualisent le potentiel politique des écritures industrielles de la trace. C’est en soi une question politique majeure de la démocratie, mais cet enjeu prend aujourd’hui un relief particulier parce que les usages les plus fortement promus dans le réseau actuel mettent en avant cette dimension de notre vie : pour être précis les composantes dramaturgique et phatique du social, celles qui concernent la présentation de soi et le lien avec les autres.
29Encore faut-il se donner une définition de l’identité – et, comme on le verra, d’autres notions et processus qui peuvent être confondus avec elle – si l’on veut mesurer l’ampleur des enjeux que soulève le recours à cette idée, l’une des plus complexes des sciences sociales. Je retiendrai ici la définition provisoire adoptée par Bruno Ollivier, précisément parce qu’elle ouvre d’emblée le spectre des questions à considérer et nous permet de relativiser le système de représentation de l’identité elle-même (comme valeur, comme catégorie, comme enjeu) que l’idéologie du réseau tend à promouvoir. « L’identité, écrit Ollivier, est un système d’auto-représentation que des acteurs et groupes d’acteurs choisissent, le plus souvent collectivement et inconsciemment, et qui met en jeu un point commun, pas forcément réel, qui les unit » (Ollivier : 36-37). On peut rapprocher cette définition de celle que donnait Stuart Hall : « J’emploie “identité” pour référer au point de rencontre, au point de suture, entre d’une part les discours et les pratiques qui tentent d’“interpeller”, de nous parler ou de nous convoquer en tant que les sujets sociaux de discours particuliers, et d’autre part, les processus qui produisent des subjectivités, qui nous construisent comme des sujets qui peuvent être “parlés”. Les identités sont ainsi des points d’attachement temporaire aux positions de sujets que les pratiques discursives construisent pour nous19. »
30Il me semble essentiel que l’analyse de la genèse des traces sur l’Internet se fonde sur une réflexion profonde sur l’enjeu des pratiques identitaires, telle que ces deux définitions l’engagent. Dans Identité et identification, un ouvrage qui se donne la peine d’embrasser la question de la genèse des identités dans toute son ampleur, Bruno Ollivier attire notre attention sur plusieurs éléments que les études d’usage ne placent pas habituellement au centre de leurs préoccupations et qui structurent pourtant la genèse sociale de l’identité et de ses traces. Avant tout, il ne présuppose pas que l’identité se pense à partir du seul souci de soi que les individus peuvent manifester. Il rappelle son caractère social : le fait qu’aucune identité individuelle ne peut se définir sans référence à l’élaboration de formes sociales, de figures partagées du collectif, de prédilections revendiquées, de valeurs incarnées dans des objets emblématiques. Il marque l’importance de la médiation métonymique entre l’individu et le collectif en rappelant que ce sont un ensemble de traits spécifiques et fragmentaires qui incarnent l’appartenance identitaire. Il rappelle qu’un tel processus d’affirmation d’une appartenance par des traits signifiants repose largement sur les dispositifs matériels et sémiotiques d’identification, c’est-à-dire d’inscription documentaire de traits objectivables des personnes et des groupes, avec sa genèse politique, policière, marchande et ses dispositifs propres (listes des scribes, fichiers et carnets, cartes, emblèmes, scénarios narratifs)20. D’autre part, il souligne l’importance de la dimension inconsciente et affective-libidinale de l’identification entendue dans un autre sens, en tant que projection et adhésion (verticale à un objet aimé et horizontale entre les sujets, pour reprendre la formulation de Freud). Tout au long de cette analyse l’on voit ressortir la dimension historique de l’élaboration des identités, qui fait fond sur une puissante mémoire sociale des acquis culturels collectifs (à commencer par la langue) tout en procédant d’une transformation incessante du rapport entre identité (personnelle et sociale) et identification (informationnelle et affective). C’est d’ailleurs le point de vue qui prévalait dans l’Essai sur l’origine des langues de Rousseau comme dans le projet balzacien de faire, dans la fiction, concurrence à l’État-civil : une visée que l’Internet, et, en particulier, les entreprises de trombinoscopie industrielle ou d’automédiatisation ont repris largement.
31On comprendra que dans une telle perspective, il ne s’agit pas de cerner une identité virtuelle (versus réelle)21 ou une identité numérique (plus difficile : versus littérale ?), mais plutôt d’analyser la contribution particulière qu’apportent les médias informatisés à la genèse complexe des identités, des appartenances et de leur manifestation en communication. Ceci, dans un jeu de continuités et de transformations, celles-ci concernant à la fois les modalités de la représentation offertes par les outils médiatiques et leurs langages et les idéologies que la communication en réseau favorise en termes de vivre-ensemble, de solidarités et de conflits.
32Il existe un nombre significatif de travaux qui étudient les postures des internautes pour adapter leur investissement communicationnel aux propriétés techniques et sémiotiques du réseau, produire des typologies de présentation et de présence, supputer les avantages et les risques d’une exposition de soi, manifester une virtuosité particulière dans l’adoption des outils de dramaturgie personnelle – adoption qui participe puissamment au prestige lui-même –, mettre en scène un talent, une compétence, une expertise, jouer des transitions entre l’espace privé de leur vie et l’espace public de leur rayonnement. Ces études se centrent sur un aspect important, mais circonscrit, des enjeux rapidement évoqués ci-dessus. Je pense qu’on gagne à le désigner précisément : c’est l’ethos qui se déploie dans la communication en réseau.
33L’ethos est une catégorie rhétorique. Il ne concerne pas la psychologie telle que l’histoire personnelle la révèle et ne prétend pas décrire la société, mais élabore des caractères et des stéréotypes (termes empruntés à l’art de l’imprimerie), c’est-à-dire les figures visibles, signifiées et connues dont les participants à un espace de communication supputent qu’elles sont partagées dans une même communauté, qui se définit dès lors comme une communauté avant tout interprétative et discursive. J’accuse. Au-dessus de la mêlée. Antisocial. Don’t hate the media, be the media. Ce matériel de représentations communes est clairement dépendant des médiations inventées par l’homme pour réaliser des représentations réflexives de la communication (ce qu’est s’exprimer, s’engager, écouter, dialoguer) à l’oral, à l’écrit, dans les objets de sociabilité, par l’image22. Mais dès l’Antiquité, il a toujours été clair pour les théoriciens de cet art (esthétique et technique : Téchnè rhétorikè) que l’orateur (plus tard l’écrivain, la star, l’internaute), le public, les références convoquées par chacun dans le discours n’ont pas prétention à décrire le social, mais recourent à des médiations sémiotisées qui, par convention consentie, incarnent des postures, des références, des valeurs communes23. Il s’agit donc dans ces études avant tout de rhétorique assistée par ordinateur.
34L’importance de la rhétorique – sa force communicationnelle et son conflit avec la philosophie – tient précisément au fait qu’elle s’affranchit d’une définition précise de la psychologie et de la société, qui mènerait à des apories, pour organiser la communication autour de catégorisations simplifiées qui peuvent servir de tiers à l’échange dans une communauté dont on pense, à un moment de l’histoire, qu’elle partage un bagage interprétatif commun. Et qui deviennent ainsi, moins la trace d’une identité profonde (des êtres, des classes, des conditions) que le tracé d’un monde possible en tant qu’entité visible.
35Les médias informatisés, et plus particulièrement leurs dispositifs d’écriture des traces de soi et du monde, s’appuient sur une très riche tradition d’élaboration de médiations sémiotiques et techniques de l’ethos. Ils sont en cela héritiers du développement conjoint d’une vaste scénographie sociale des identités, dans une société mobile et marquée par les transformations historiques et des industries médiatiques, des techniques d’enregistrement et des formes du portrait (Wrona, 2012). Recyclées et en quelque sorte gadgettisées en petites formes, la liste, la photographie, le questionnaire de prédilections, la carte de visite, le portrait-carte, les physiologies sociales, les panoramas de célébrités sont au cœur des « petites formes » par lesquelles l’internaute doit passer pour se définir, dans le paradoxe d’un souci crucial de se singulariser à travers une forêt plus dense que jamais de stéréotypes prêts à l’usage24.
36Les transformations que l’Internet et particulièrement les réseaux sociaux – dont les noms et les slogans affirment leur caractère de dramaturgie de l’individu25 – apportent au matériel de médiation de l’ethos, sous la forme d’instrumentations graphiques et documentaires de la présentation de soi, sont nombreuses. Ils sont d’abord de puissants vecteurs de nouvelles figures de l’ethos, comme celle de l’amateur ou celle du fan, souvent d’ailleurs reprises sans grande distance par les analystes en tant que réalités sociales existantes. Ils superposent et parfois substituent à la langue, élément sémiotique fondamental des grandes identifications sociales, tout un matériel de signes standardisés qui mobilise des sources sémiotiques plus étendues et surtout comporte une force opératoire, celle de gestes traduits en opérations : outils de diffusion logistique des signes, tracés des manipulations de la machine, etc. Ce qui donne lieu à la production constante d’indices qui changent de statut, passant du caractère d’expression personnelle à celui de trace d’usage collectif, ce qui nécessite chez les usagers toute une tactique d’anticipation et de gestion de cette « traçabilité » que les sujets maîtrisent plus ou moins – ce qui fait, réflexivement du degré de maîtrise des outils un élément dramaturgique essentiel (Georges, 2010 ; Cardon, 2008 ; Jeanne-Perrier, 2012).
37Ce double mouvement de croyance et d’économie scripturaire affecte les références sémiotiques des appartenances. On peut prendre en exemple la catégorie du popular, proprement anglo-saxonne, qui se distingue fortement de la notion de peuple telle que la Révolution, puis la théorie républicaine de la Nation l’ont élaborée en France (Michelet, 1992 (1846]), comme de la logique de distinction que la référence aux pratiques populaires et vulgaires a engendrée (Bourdieu, 1983), pour faire référence principalement au succès et à l’accès, saisis avant tout dans leur dimension quantitative : cette hégémonie progresse sur l’intérêt, au titre de valeur de référence des figures et des éthè, à travers les catégories descriptives (popularité), les dispositifs de mesure de la réussite communicationnelle (Google Analytics) et du rayonnement personnel (tweets, amis), les idéologies de la démocratie (intelligence des foules) et de l’économie (crowdfunding). Enfin, l’ingénierie des transmutations sémiotiques a puissamment renforcé le matériel de figuration des entités collectives (communautés, centres d’intérêt, influences, appartenances, notoriétés) grâce à un design statistique et graphique sans cesse perfectionné qui vient enrichir la gamme des modes de figuration du collectif dans lequel les prédilections individuelles (formulées, actées, captées) se trouvent agglomérées et visualisées en des êtres tangibles.
38Ces médiations instrumentées et industrialisées de l’ethos, modalité sémiotique de représentation d’une identité alléguée, conforme aux normes du collectif et socialement acceptable, sont donc bien une composante essentielle de la question de l’identité sur les médias informatisés. Elles révèlent leurs enjeux, à condition d’être replacées dans la continuité de mouvements historiques plus anciens, notamment liés à la genèse en temps long d’une société capitaliste libérale dans sa dimension culturelle. Cela indique aussi que la difficulté, pour le chercheur, consiste à regarder de près ces médiations sans se laisser capter, ni par le privilège que la tonalité actuelle du réseau donne à cette dramaturgie du soi individuel, ni par la fascination pour les pratiques les plus pionnières et les outils-marques les plus récents.
39Les études de temps long sur les médiations de l’identité, de l’identification, de la surveillance, de la trace, aident à replacer ce moment rhétorique de la communication identitaire dans un spectre d’enjeux considérable. Elles évitent ainsi de réduire la dimension politique de l’élaboration identitaire à la seule disponibilité individuelle ou à la « fortune narrative de la légende des usagers-braconneurs » (Le Marec, 2004 : 141). Les choses sont bien établies en termes de genèse des dispositifs organisés d’identification, dans leur dimension policière, administrative et économique : maîtriser une société en mouvement, repérer les classes dangereuses, mesurer le travail, créer un double documentaire des performances scolaires et professionnelles, élaborer des données sur la consommation et ses ressorts, etc. (Foucault, 1975 ; Mattelart et Vitalis, 2014). Une piste moins explorée est celle, non moins essentielle, de la genèse esthétique et médiatique du portrait, qui n’est jamais un objet purement individuel mais trace une relation sociale et une représentation de la relation entre individu et groupe. C’est une poétique du « je-nous » qui permet d’incarner une forme sociale dans des figures singulières : produit de deux siècles d’invention médiatique qui a multiplié les dispositifs d’incarnation du social, du « portrait-carte » aux « panoramas » de la société, largement exploitées par les médias informatisés contemporains (Wrona, 2012).
40Les glissements dont ce matériel de médiation fait l’objet sont d’importance considérable, parce qu’ils tiennent aux points d’appui de ce travail d’élaboration des je-nous : les espaces d’échange, les rôles tenus, les moyens sémiotiques de la représentation, les formes du contrôle. Ce qui suggère différentes formules pour penser ces déplacements (société de surveillance, de contrôle, de disponibilité, d’interveillance, etc.), mais ne supprime pas le fait que les écritures d’indices, constituées en trace, sont le moteur d’une liaison de plus en plus serrée entre les scénographies médiatiques et les industries de la culture et de la consommation (Colombo, 2014).
41L’actualité récente nous a donné une illustration particulièrement saisissante de ces processus. La réaction aux attentats de janvier 2015 s’est fixée sur un signe écrit circulant (compact dans son design visuel et graphique), le « mème » Je suis Charlie, qui a immédiatement, par sa double qualité sémiotique et logistique, acquis le statut de passage obligé pour une expression politique. Cette forme scripturale, qui se veut image d’une parole voire d’un cri, procède, à l’instar des attentats de New-York en 2001 (Nous sommes tous des Américains) d’un double mouvement d’identification : identification affective aux victimes au média, identification signalétique par un signe d’appartenance. Cette puissante manifestation collective, qui relève de ce que Freud appelle l’identification verticale (aux victimes qui sont aussi des célébrités médiatiques) passe clairement par les disciplines d’écriture, vite reprises et customisées dans l’espace double des plates-formes d’échange et de la manifestation publique, que relaient les médias audiovisuels fascinés. Mais, de ce fait, certains déplacements considérables, sans doute de portée durable pour le politique, s’opèrent dans cette circulation triviale des formes de l’identité, qui s’organisent impérieusement en une fabrique de l’ethos. Les institutions, les pouvoirs publics, les États se déclarent Charlie, lors même que ce titre de presse représente une mise en cause de leur propre rôle. Le titre acquiert un statut nouveau, en tant qu’objet d’une identification collective qui l’institue en symbole et même organe officiel de la démocratie, de la France, de la communauté démocratique internationale, des valeurs de l’Occident. Dès lors, son tirage en plusieurs millions d’exemplaires, dans plusieurs langues, y compris l’arabe, donne un sens nouveau au geste qui jusque là pouvait à la fois être défini comme caricature en France et comme blasphème dans les communautés musulmanes. Un peuple, un pays, une profession journalistique, un modèle de société qui se disent Charlie et s’identifient à une forme très particulière de journalisme prennent un sens très spécifique. Ce qui, bien entendu, n’est pas sans alimenter, à partir de toutes petites disciplines de l’identification (rhétorique) la tension décrite par Freud entre l’amour et la haine propres aux identifications (affectives) politiques.
42Je voudrais malgré tout souligner le fait que cette instrumentation des voies de l’ethos et de la représentation du social ne résume pas les enjeux politiques des écritures identitaires. Je me contenterai ici de mentionner quelques pistes de recherche qui me semblent pouvoir être plus délibérément engagées.
43La première consiste à remarquer, comme on l’a vu plus haut avec les Captchas, que l’identité même de la technique conditionne celle que nous pouvons retenir pour définir l’humanité. Les transmutations sémiotiques que permettent les écrits de réseau ont pour effet de faire coexister l’incertitude et la visibilité. Incertitude sur la nature et surtout la provenance (l’auctorialité) des signes auxquels nous sommes confrontés : processus automatiques (mais alors engendrés par quel dessein ?), interactions humaines assistées par ordinateur (mais avec quels sujets ?). C’est le paradoxe des médiations épaisses et complexes livrées sous la forme d’une manifestation transparente qui fonde cette profonde indétermination de l’échange. La question de l’identité que nous conférons à nos outils (à nos médias, à nos technologies) se pose d’ailleurs de manière plus globale. Je reste par exemple sidéré par la masse de propositions entièrement erronées qu’engendre la rhétorique antithétique des « anciens médias » et des « nouveaux ». Cette rhétorique de mauvaise dissertation (avant/après) autorise une foule de déclarations aussi péremptoires que fausses sur le fait que la communication médiatique aurait été, jusqu’au toutes dernières années autoritaire, verticale, antidémocratique, passive, non sociale, etc.
44Non moins importante est la nature des identifications (au sens freudien) que nous pouvons développer avec les objets médiatiques, dès lors que nous pouvons nous laisser prendre (mais comment ne pas y céder, comme toute époque médiatique l’a fait, du manuscrit enluminé au journal quotidien ?) au jeu de l’imitation et constituer le « réseau », cet être magique, en alter ego de l’individu ou en territoire de la vraie vie (Fischer, 2014)26. Mouvement bien connu de longue date (Turkle, 1994). En effet, l’hégémonie d’une conception horizontale de la communication et de la politique et la stigmatisation systématique de la verticalité (Au-dessus de la mêlée, comme l’écrivait Romain Rolland il y a un siècle) pose le problème de la nature des émotions que peuvent partager les internautes. Et par là de leur accession aux formes exceptionnelles de la culture, de l’art, de l’engagement politique. Ce qui sans doute pèse lourd, par-delà les controverses sur la sécurité du réseau, dans la confrontation entre une société qui trahit sans cesse ses principes fondateurs (liberté, égalité, fraternité) et qui glorifie en permanence, depuis Céline, dans son art et ses productions médiatiques, le récit des formes les plus dégradées et les plus cyniques de la vie sociale, avec des groupes sociaux qui affirment un fort ancrage dans la croyance, la langue, la transcendance des principes.
45Il ne me semble pas moins important de reprendre la question essentielle de l’implication des sciences humaines dans la production de ces scénographies du social, entendues comme des lieux de production d’éthè et de figures identitaires. Il est bien établi que le développement des grands systèmes d’identification est contemporain, d’une part de l’essor des entreprises médiatiques et d’autre part de l’implication des savoirs opératoires produits par les sciences humaines dans la gestion du social27. De ce point de vue, si la continuité s’est affirmée – en particulier grâce à l’usage des statistiques dont le traitement de données est le prolongement perfectionné – on peut souligner quelques traits nouveaux qui méritent une réflexion critique. D’abord la promotion par le réseau du primat de la composante dramaturgique-phatique de l’ethos individuel s’impose au chercheur. À la différence de l’analyste du corpus de presse, qui peut constituer un corpus comme objet ou du spécialiste des séries télévisuelles, qui doit donner de son temps mais n’a pas à s’exposer, et même du sémiologue des sites multimédia des années 1990, le chercheur en usages doit désormais partager avec les sujets une forme de scénographie de l’ethos ordinaire du cybernaute, qui constitue en sorte un préalable banal à son acceptation comme observateur-participant. On lui demande d’être d’abord un twitto, avant de mener une enquête, un peu comme on a demandé à certains dans la situation décrire plus haut de se déclarer Français avant que musulman. La production de savoir est soumise à une déontologie de la présence, du don, de la durée, de l’investissement.
46D’autre part, la capacité des médias informatisés à produire des transmutations sémiotiques reconfigure puissamment la nature des médiations sémiotiques du social, telles que le travail de recherche, d’analyse, de formation les mobilise. La plupart des dispositifs organisent l’uniformisation sémiotique de toutes les énonciations (discours, commentaires succincts, remplissage de formulaires, pose de liens, activation de messages automatiques, captures invisibles de connexions, de déplacements, d’opérations logicielles, etc.) en des entités constituées en listes. Cet alignement sémiotique transforme les paroles et les textes en données susceptibles d’être conscrites pour former des séries et des collectifs, calculables statistiquement. Puis l’ingénierie sémiotique des formes injecte sur cette matière qui, comme un mythe, a été coupée de son histoire communicationnelle et relationnelle, des catégories sociales (notoriété, autorité, communauté, popularité) qu’elle incarne en des figures visuelles suggestives et qui prennent donc peu à peu le statut de traces définitives du social, des territoires, des savoirs, l’ethos de notre société, auquel les sujets sont à leur tour invités à s’identifier. Or je suis très fasciné (mais pas surpris) par la manière dont ces constructions colonisent aujourd’hui la recherche en sciences sociales, qui accepte assez bien de considérer par exemple que le comput quantitatif des connexions peut être une indication d’excellence ou de rayonnement et qui parvient très difficilement à obtenir des financements si elle ne réalise pas des cartographies, n’annonce pas une collecte massive de données, ne préfigure pas une ethnographie du web fondée sur le traçage des pratiques.
47Remédiation de la recherche sociale en ingénierie des épiphanies ?
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Notes de bas de page
1 Sur cette notion et ce qui la distingue de la conception contractuelle de la communication, cf. Jeanneret Y., Penser la trivialité : la vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès, 2008, p. 151-168 ; Critique de la trivialité : les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Le Havre, Éditions non standard, 2014, p. 66-71
2 Sur ces distinctions conceptuelles, cf. Jeanneret Y., « Complexité de la notion de trace : de la trace au tracé », dans L’homme-trace, op. cit., p. 61-62. Sur la relation entre pratiques médiatiques et pensée visuelle, cf. Daniel Dubuisson et Sophie Raux (dir.), À perte de vue : les nouveaux paradigmes du visuel, Dijon, Les presses du réel, 2014.
3 « The mediapolis is, I intend, the mediated space of appearance in which the world appears and in which the world is constituted in its worldliness, an through which we learn about those who are and who are not like us » (Trad YJ).
4 Colombo F. et Ruggero E., Il Testo visibile : teoria, storia et modelli di analisi, Rome, Carocci, 1996.
5 L’analyse ici présentée s’inspire des échanges occasionnés par le colloque « Remédiation – Figuratif et plastique sous l’éclairage technologique », Urbino, Centre international de sciences sémiotiques, 9-11 septembre 2014.
6 Première réponse à la requête « Paris Sorbonne » sur smartphone à partir du moteur Google (l’URL, très longue, n’a pas été reproduite ici).
7 Sur la notion d’aspect, cf. Jeanneret Y., « Complexité de la notion de trace : de la traque au tracé », dans L’Homme trace, op. cit., p. 61-62 ; « Le chronotope médiatique travaillé par les médias informatisés », dans Critique de la trivialité, op. cit., p. 496-509.
8 Le traducteur choisit le mot « appareillage » pour traduire une réalité que nous nommons plutôt en Sic « dispositif » (Apparatur). On remarque qu’en passant de la photographie au cinéma, Benjamin conserve les conclusions d’une réflexion sur la portée émotionnelle de la trace (qui annonce La chambre claire) ; toutefois il ne théorise pas seulement la reproduction des objets mais leur élaboration par un processus industriel incluant, comme tout dispositif médiatique élaboré, une dense série de médiations techniques, sociales et langagières et une réécriture délibérée. Le rôle du dispositif est essentiel dans le processus historique dont Benjamin indique trois temps, celui de l’œuvre asservie au religieux, celui de son affirmation en tant qu’art et celui (en route et aujourd’hui pleinement en place) où les œuvres ne se laissent plus analyser comme art mais comme industrie culturelle. Cet article a fait l’objet de contre-sens hallucinants. On peut par exemple noter l’article de Antoine Hennion et Bruno Latour qui, attribuant à Benjamin un diagnostic de décadence de l’aura qu’ils confondent avec la critique spécifique du régime marchand contemporain et assimilant la notion d’aura à celle de rayonnement, peuvent aisément corriger le philosophe sur des allégations qu’il n’a pas avancées. L’article est d’ailleurs intéressant, à ce prix ; on peut juste regretter la jactance dont fait preuve le titre (« L’art, l’aura et la distance selon Benjamin, ou comment devenir célèbre en faisant tant d’erreurs à la fois… », Cahiers de médiologie, n° 6, p. 234-241).
9 Sur ces catégories, cf. Jeanneret Y., Critique de la trivialité : les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Le Havre, Éditions non standard, 2014, p. 141-177.
10 Par exemple : Mc Luhan M., Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, Paris, Le Seuil, 1969 [1964] ; Wolton D., Internet et après ? Une théorie critique des nouveaux médias, Paris, Flammarion, 1999.
11 Ibid., p. 37.
12 Cette réflexion succincte reprend certaines conclusions d’une analyse plus complète présentée dans « Une nouvelle économie scripturaire » (Jeanneret J., Critique de la trivialité les médiations de la communication, enjeu de pouvoir, Le Havre, Éditions non standard, 2014).
13 Pour un aperçu, cf. Jeanneret Y., « Écriture et médias informatisés », dans Annne-Marie Christin (dir.), Histoire de l’écriture : de l’idéogramme au multimédia, Paris, Flammarion, p. 394-402.
14 Pour certains la trace s’oppose à l’écriture. Je ne reprends pas ici l’argumentation contre cette conception (« La dialectique entre écriture et informatique », dans Critique de la trivialité, op. cit., p. 410-426).
15 Processus décrit plus complètement dans Jeanneret Y., « Complexité de la notion de trace : de la traque au tracé », dans Béatrice Galinon-Mélénec (dir.), L’homme-trace : perspectives anthropologiques des traces contemporaines, Paris, CNRS Éditions, 2011, p. 59-86.
16 Décrites comme information 1 et information 2 dans Jeanneret Y., Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion, 2000.
17 Une série de constructions de ce type est analysée dans « Les chimères cartographiques sur l’internet, panoplie représentationnelle de la “traçabilité” sociale », dans Béatrice Galinon-Mélénec, Sami Zlitni (dir.), Traces numériques : de la production à l’interprétation, Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 235-267. La chaîne des transmutations sémiotiques nécessaires pour aboutir à ce type de dispositif y est inventoriée.
18 Completely Automated Public Turing Test To Tell Computers and Humans Apart (test de Turing entièrement automatisé pour séparer les ordinateurs des humains).
19 Hall S., « Who needs identity ? », dans Tony McGrew, Stuart Hall et David Held (dir.), Modernity and its Futures, Cambridge, Polity Press, 1992, p. 5. Cité et traduit par Gustavo Gomez-Mejia, « De l’industrie culturelle aux fabriques de soi ? Enjeux identitaires des productions culturelles sur le Web contemporain », thèse de doctorat, sous la direction de Bruno Ollivier, Paris Sorbonne Celsa, 2011, p. 97.
20 Ollivier rappelle dans son livre que cette technologie signalétique saisit à la fois des éléments d’histoire personnelle, des traits physiques strictement individuels (de l’iris à l’ADN en passant par l’empreinte digitale) et des catégorisations sociales dans la production desquelles les sciences humaines sont puissamment instrumentalisées : tout ce qui fait la complexité de l’homme-trace.
21 Pour une critique psychologique et psychanalytique de la catégorie du virtuel, cf. Claude Lukasiewicz, « Territoire virtuel, identité réelle : la plasticité identitaire sur internet », thèse de doctorat, Université Paris Sorbonne, Celsa, sous la direction de Véronique Richard, 2009.
22 Par exemple, Amossy R., Images de soi dans le discours : la construction de l’ethos, Paris, Delachaux et Niestlé, 1999 ; La présentation de soi : ethos et identité verbale, Paris, PUF, 2010.
23 Barthes R., « L’ancienne rhétorique : aide-mémoire », dans Œuvres complètes, vol. 3, Paris, Le Seuil, 2002 [1970], p. 527-601 ; Soulez G., « Rhétorique, public et « manipulation » », Hermès, n° 38, 2004, p. 89-95.
24 Sur la réappropriation des industries culturelles par les plates-formes, cf. Gomez-Mejia G., « De l’industrie culturelle aux fabriques de soi ? », op. cit. (dont je m’inspire largement pour cet article). Sur la notion de gadgettisation des disciplines de l’archive et ses enjeux, cf. Jeanneret Y., critique de la trivialité, op. cit., p. 673-677. Sur la notion de « petite forme », cf. Candel E., Jeanne-Perrier V., Souchier E., « Petites formes, grands desseins : d’une grammaire des énoncés éditoriaux à la standardisation des écritures », dans Jean Davallon (dir.), L’économie des écritures sur le web, op. cit., p. 165-200.
25 Myspace, Facebook, Youtube, etc. cf. Gomez-Mejia G., op. cit.
26 L’auteur garde une attitude ambiguë quant à une critique du mythe magique qui ne le dispense pas de définir l’internet comme une magie. Je pense plutôt que la production des traces relève d’une prestidigitation, c’est-à-dire d’un jeu sur les moyens de rendre visibles ou invisibles les manipulations.
27 Cf. par exemple Ollivier B., op. cit.
Auteur
Professeur des universités, Sciences de l’information et de la communication
GRIPIC/CELSA, Université de Paris IV, Sorbonne
http://www.celsa.fr/recherche-gripic.php
Yves.Jeanneret@paris-sorbonne.fr
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