OGM et veille citoyenne
p. 115-118
Texte intégral
1Présenter la façon avec laquelle Inf’OGM1 a traité ces informations face à des journalistes scientifiques est un exercice complexe. Inf’OGM assure des missions de type journalistique quant au suivi de l’actualité, et est de façon générale une structure dédiée au débat sur les OGM et les biotechnologies. Inf’OGM se définit comme veille citoyenne qui décrypte l’actualité mondiale et propose un service unique d’information francophone sur les OGM, les biotechnologies et, depuis 2013, également sur les semences. Sa mission est de favoriser et de nourrir le débat démocratique par une information critique, indépendante et accessible à tout public. Inf’OGM se donne l’objectif d’œuvrer pour une véritable transparence du débat OGM. De par sa « spécialisation » sur le sujet des biotechnologies et plus spécialement des OGM, Inf’OGM dispose de plus de temps que les journalistes « généralistes » pour traiter les informations.
2Lorsque nous avons constaté l’emballement médiatique sur l’affaire Séralini, nous avons compris que le débat se focaliserait à nouveau sur les seules questions sanitaires. Ces questions ne sont pourtant qu’une partie du débat sur les OGM. Nous constatons que pour le grand public et pour les politiques, les questions sanitaires apparaissent comme étant beaucoup plus sensibles que les questions portant, par exemple, sur les droits de propriété industrielle ou le paradigme scientifique dominant, qui suscitent un moindre intérêt médiatique malgré une importance sociétale tout aussi grande. La question des droits de propriété industrielle est bien majeure car elle est à la base de tout développement d’un dossier comme celui des OGM et ses implications sociétales sont nombreuses.
« […] les citoyens ont perdu leur liberté de parole dans un débat comme celui sur les OGM. »
3La question du paradigme scientifique dominant est tout aussi importante. Inf’OGM observe en effet que les citoyens ont perdu leur liberté de parole dans un débat comme celui sur les OGM. Car leur participation à un débat initié par le gouvernement comme une consultation publique est conditionnée à ce que leurs arguments soient scientifiques. Mais tous les citoyens ne le sont pas et ne savent pas forcément lire des articles scientifiques. Pour autant, ces mêmes citoyens ont le droit à ce que leur parole soit prise en compte. Ce principe de confiscation de la parole est le même pour les gouvernements. Ces derniers ne sont en effet pas libres de décider nationalement sur le sujet OGM si leur position n’est pas justifiée scientifiquement. Un impératif en provenance de l’Organisation mondiale du commerce !
4Pour en revenir à « l’affaire Séralini » et son traitement, l’emballement médiatique a été immédiat alors que la publication-source restait inconnue. Mais Inf’OGM ne se soumet pas à la notion de scoop – bien que nous menions nos propres enquêtes – et ne se place pas dans l’obligation de traiter l’actualité immédiatement. Notre fonctionnement est différent de celui de la presse d’actualité, qui possède ses propres règles et qui joue son rôle. Nous nous sommes donné le temps de lire l’article et d’interroger des scientifiques différents de ceux qui interviennent dans les médias.
« […] il faudrait toujours, dans les articles de presse, bien préciser la position depuis laquelle s’expriment les experts et quel est leur rôle historique dans le débat. »
5Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés aux réactions produites par l’étude dans les différentes corporations affectées : scientifiques, journalistes, entreprises des biotechnologies, société civile, monde politique, etc. Les ambiguïtés ont été nombreuses dès le départ, tout d’abord dans le monde scientifique : confusion des analyses de toxicologie et de cancérogenèse, utilisation de protocoles édictés par l’OCDE inappropriés, etc., soit pour défendre l’étude de Gilles-Éric Séralini, soit pour l’attaquer.
6Notre premier article, publié une semaine après l’étude de Séralini, a donc porté sur les réactions suscitées par sa publication. Il était flagrant que nombre des critiques adressées à cette étude pouvaient tout aussi bien concerner les études fournies par les entreprises pour demander les autorisations de mise sur le marché. La déficience de l’outil statistique reprochée à l’équipe de Gilles-Éric Séralini est tout autant observée dans nombre d’analyses de toxicologie que les entreprises fournissent dans leur dossier de demande d’autorisation. L’Autorité européenne de sécurité des aliments a d’ailleurs changé ses lignes directrices en 2011 afin de pallier à ce problème. Problème qui, pour autant, n’a jamais conduit au rejet d’une demande d’autorisation comme c’est le cas pour l’article de Séralini.
7En outre, certaines des personnes régulièrement interrogées par les médias sur les OGM, et qu’on a beaucoup lues suite à la publication de Séralini, – Marc Fellous, Gérard Pascal, etc. – ont fait partie des instances d’évaluation qui ont répondu au gouvernement français que le maïs NK603 ne posait pas de problème particulier en l’état des connaissances scientifiques disponibles. Il nous semble qu’il faudrait toujours, dans les articles de presse, bien préciser la position depuis laquelle s’expriment les experts et quel est leur rôle historique dans le débat. C’est d’autant plus important que ce sont toujours à peu près les mêmes experts qui sont interrogés, que ce soit dans le camp des partisans comme dans celui des opposants.
« […] dans la presse anglophone qui traitait de l’affaire Séralini, il est apparu que les experts qui réagissaient négativement à l’étude utilisaient le relais du Science Media Center […] »
8Le travail de décryptage scientifique de l’article lui-même exigera du temps. Je suis de formation scientifique, comme la plupart des journalistes scientifiques, mais il faut prendre le temps d’analyser les études. Celle-ci possède des aspects positifs et d’autres négatifs. Ceci étant, Inf’OGM a entendu que Gilles-Éric Séralini était accusé d’avoir de facto empêché les journalistes de faire leur travail du fait de l’embargo, et de ne pas avoir laissé le temps à ces derniers de rechercher d’autres avis pour faire contrepoids afin d’affiner leur jugement. Mais dans le même temps, la corporation journalistique qui lui faisait ce reproche publiait malgré tout des articles sur le sujet dans des délais très courts. Inf’OGM comprend bien sur l’obligation pour la presse quotidienne de réagir à l’actualité, mais cela pose une question qui mériterait une réponse : l’impératif de publication selon un calendrier quasi immédiat est-il compatible avec le travail journalistique nécessaire à toute publication d’article ? Ici se trouve un point de différence important selon nous, Inf’OGM n’étant pas soumis à cette pression et prenant donc le temps de publier2.
9Pour en revenir au sujet des personnes interrogées par les journalistes, en France, il s’agit souvent d’anciens experts. Comme déjà indiqué, Inf’OGM s’efforce, dans la mesure du possible, de rencontrer des experts n’ayant pas appartenu à la Commission du génie biomoléculaire ou qui n’appartiennent pas au HCB actuel. Mais le point saillant derrière cela se trouve dans l’origine même des analyses exposées. Ainsi, dans la presse anglophone qui traitait de l’affaire Séralini, il est apparu que les experts qui réagissaient négativement à l’étude utilisaient le relais du Science Media Center, qui est une plateforme de communication proposant des réponses prêtes à l’emploi, ainsi que des contacts avec des scientifiques. Scientifiques que l’on retrouve, par conséquent, dans nombre d’articles. Ce fonctionnement pose des questions quant à la production de l’information qui est fournie aux journalistes, qui ne semblent pas beaucoup – ou n’ont pas le temps de – s’interroger sur l’identité, le parcours et la provenance de leurs interlocuteurs. Cela nous questionne, car ce type de structures se mobilise rapidement lorsque des études concluent à l’existence de problèmes, mais jamais dans le cas contraire.
« […] ce type de structures se mobilise rapidement lorsque des études concluent à l’existence de problèmes, mais jamais dans le cas contraire. »
10Quel que soit le jugement que l’on porte sur l’emballement médiatique qui a fait suite à la publication de l’étude de Gilles-Éric Séralini, il n’en reste pas moins que les comités d’experts s’en sont saisis, alors qu’ils ne l’ont pas fait pour une étude comme celle d’Agnès Ricroch3, qui concluait à l’absence de problème significatif pour les animaux nourris à quatre-vingt-dix jours, et qui a souvent été opposée à Gilles Eric Séralini. Ou comme celle de Zhu et al.4, publiée dans le numéro suivant de la même revue et qui concluait qu’un « maïs transgénique modifié pour résister aux herbicides à base de glyphosate est aussi sain et nutritionnel qu’un maïs conventionnel ».
Notes de bas de page
2 Le 11 février 2014, suite à une réunion du Conseil de l’Union européenne, plusieurs médias ont publié sur Internet une information affirmant que la Commission européenne disposait de 24 heures pour prendre une décision d’autorisation du maïs TC1507. Cette information erronée a circulé en boucle et fut publiée, manifestement, sans vérification préalable. Les articles des mêmes médias publiés les jours suivants n’ont, eux, pas relayé cette information.
3 Snell, Chelsea et al., « Assessment of the Health Impact of GM plant Diets in Long-Term and Multigenerational Animal Feeding Trials : A Literature Review », Food and Chemical Toxicology, volume 50, no 3-4, mars avril 2012, p. 1134-1148.
4 Zhu, Yaxi, et al., « A 90-day Feeding Study of Glyphosate-Tolerant Maize with the G2-aroA Gene in Sprague-Dawley Rats », Food and Chemical Toxicology, volume 51, 2013, p. 280– 287.
Auteur
Depuis 2002, rédacteur pour l’association Inf’OGM (www.infogm.org), dont il est également délégué général. De formation universitaire en biologie (biochimie, virologie), il s’occupe notamment de la veille scientifique d’Inf’OGM. Suivant de près les questions européennes du dossier OGM, il est en charge du suivi par cette association du travail de l’Agence européenne de sécurité des aliments sur la transparence et l’accès aux données brutes composant les dossiers de demandes d’autorisation d’OGM déposés par les entreprises. Éric Meunier a participé et coordonné la rédaction de plusieurs ouvrages dont Nouvelles techniques de manipulation du vivant, pour qui ? Pour quoi ? (2011, PEUV, coll. « Émergence »), et un ouvrage sur les droits de propriété industrielle (à paraître en 2014 dans la même collection). Il est également l’auteur de plusieurs articles publiés par Inf’OGM dont « UE – OGM : les entreprises, nouvelles interlocutrices des États membres pour la culture de leurs OGM ? » (juin 2014).
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