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L’étude Séralini : une recherche inédite

p. 95-99


Texte intégral

1Nous nous attendions bien entendu au Nouvel Obs à des réactions volcaniques. Chacun savait bien, tant les incertitudes sont nombreuses, que la controverse autour des OGM est à vif depuis des décennies, qu’elle divise violemment l’opinion, les experts, les scientifiques, les partis politiques, le monde agricole et les scientifiques. J’en étais d’autant mieux informé que je travaillais depuis quelques années sur les questions d’environnement sans connaître d’ailleurs personnellement Gilles-Éric Séralini.

2Ce qui a tout de suite retenu mon attention, c’est que, cette fois, nous avions en mains une recherche toxicologique inédite sur des animaux, qui permettait d’éclairer la controverse de manière nouvelle et sous les auspices d’une revue scientifique de référence. Il ne s’agissait pas d’une mise en cause de la génétique, mais du rôle du Glyphosate auquel les PGM (plantes génétiquement modifiées) sont rendues insensibles.

« Nous nous attendions bien entendu au Nouvel Obs à des réactions volcaniques. »

3Je ne savais rien de l’entreprise jusqu’à ce que je rencontre à l’époque Corine Lepage, que je connaissais de longue date, et qui m’a informé dans les grandes lignes et dans les toutes dernières semaines précédant la publication de l’étude Séralini. Une recherche, qui fut, je le rappelle, menée dans le plus grand secret pendant deux ans. Elle voulait m’entretenir d’un livre, le sien, dont elle était l’auteur et qui complétait l’étude de Gilles-Éric Séralini. Il portait sur les seules conditions juridiques d’habilitation des OGM en Europe et en France, et comportait un paragraphe seulement sur l’étude en question.

4Ma réaction fut donc de prendre langue avec l’éditeur de Gilles-Éric Séralini. Ne pas le faire aurait tout simplement relevé de la faute professionnelle. Je précise que Gilles-Éric Séralini n’a en aucune manière « monté une opération médiatique », dans laquelle mon rôle aurait été écrit par je ne sais qui, comme cela a pu être insinué de manière fielleuse. S’il fallait définir l’ambiance qui prévalait autour de Séralini et du Criigen, c’était plutôt une émotion un peu pagailleuse où personne n’avait vraiment réfléchi à la marche à suivre sur le plan médiatique. C’est donc moi qui suis allé de mon propre chef vers l’éditeur du livre.

5Avant de rencontrer Gilles-Éric Séralini, j’ai cherché à approfondir le dossier sur lequel j’avais déjà écrit de façon ponctuelle – en l’occurrence, sur la fauche des champs expérimentaux de vignes OGM de l’Inra Colmar, sur laquelle j’avais émis un jugement assez critique. L’expérience Séralini m’intéressait, parce qu’il s’agissait de la toute première étude à vie entière, non pas de cancérologie mais de toxicologie, menée sur des rats nourris avec un maïs OGM. Le refus de procéder à ce type de test tant par les industries semencières que par les institutions publiques de recherche m’avait toujours intrigué et choqué. Une étude d’autant plus difficile à réaliser que les semenciers interdisent toute recherche sur leurs semences, qui restent leur propriété.

« L’étude Séralini n’a pas de précédent. »

6L’étude Séralini n’a pas de précédent. Mieux : il ne s’agissait pas d’une recherche isolée dans tel ou tel labo mais d’une étude qui avait été publiée et précédemment suivie de A à Z par les tuteurs de l’une des principales revues qui font autorité sur ces sujets : Food and Chemical Toxicology. Une revue « à pairs », c’est à dire à comité de lecture. Une revue de si bonne réputation que, six mois plus tôt, y était publiée une méta-analyse signée par des chercheurs français concluant, sans toutefois procéder à une expérience sur les animaux, que les PGM étaient rigoureusement inoffensives, comme le développait sur une pleine page et sans être critiqué par qui que ce soit un prestigieux quotidien du matin.

7Dans le même temps, la Commission européenne était en train d’accélérer la marche afin d’aller au-delà des embargos des États membres sur les OGM, de telle façon que chaque État puisse gérer les cultures OGM à son gré. J’ai donc alors rencontré Gilles-Éric Séralini par le truchement de son éditeur chez lui à Caen, et il m’a demandé de ne pas divulguer l’article qu’il m’a transmis, avant sa publication dans la revue scientifique. Le risque était à ses yeux une possible invalidation de l’étude. Quant à l’embargo demandé, c’est une pratique courante dans les rapports qu’entretiennent la presse et l’édition. Lui et moi étions demandeurs pour des raisons différentes. Lui pour prévenir toute invalidation de l’étude. Moi pour obtenir si possible l’exclusivité.

8Sur les commentaires selon lesquels l’usage prévaudrait parmi les journalistes scientifiques de confronter contradictoirement le résultat des études avant publication, je ne peux que faire observer que je ne suis pas journaliste scientifique, que la question des OGM n’est pas l’apanage exclusif des généticiens ou de comités Théodule et que je ne suis donc lié à aucune autre procédure que celles que m’imposent la charte de mon journal et les fondamentaux de la déontologie de cette profession. Il est bien évident que nous n’aurions pas traité l’étude de la même manière si elle n’avait été publiée au préalable dans une revue scientifique de référence. Une revue, je le répète, à comité de lecture. Un comité de lecture dont on apprenait, par la suite, qu’il avait repéré, comme Gilles-Éric Séralini d’ailleurs, que la puissance statistique, c’est à dire le nombre de rats étudiés était relativement limité. Pour autant, les pairs avaient donné le feu vert à la publication, car l’intérêt de la recherche l’emportait sur cette objection. Chacun avait donc fait son travail.

« La une du journal, par trop catégorique, fut, c’est vrai, une erreur »

9La une du journal, par trop catégorique, fut, c’est vrai, une erreur. Pour le reste, la conclusion de mon article de lancement anticipait la polémique et appelait à reproduire l’étude à vie entière pour en avoir le cœur net. Nous avons par ailleurs organisé sur le site internet du Nouvel Observateur un débat contradictoire sur la question. La suite est connue.

10Ce qui est sûr, c’est que je ne regrette absolument pas cette publication, parce qu’il y a bien un avant et un après Séralini. Si les conclusions de l’étude sont jugées insatisfaisantes par la plupart des scientifiques – bien que l’Anses salue « son ampleur et son sérieux » sans la considérer toutefois comme conclusive –, le principe de l’étude est en revanche apparu cette fois, pour la plupart des acteurs de ce dossier, comme légitime et nécessaire pour ne plus avancer dans le brouillard des batailles d’opinion. L’étude à vie entière était jusque là décrite par beaucoup comme un protocole, coûteux, non fiable et à éviter. Si on lit bien les conclusions de l’Anses sur l’étude Séralini, l’étude à vie entière devient quasiment un prérequis.

11Sans vouloir employer de grands mots, il y a là quelque chose qui ressemble à une rupture épistémologique. L’opinion y est pour beaucoup. Elle s’est aperçue, en effet, au cours de ces violents débats, qu’aucune étude à vie entière concluant au caractère inoffensif des PGM n’avait jamais été menée ou tentée par les semenciers et n’avait jamais été menée ou tentée par aucune de nos institutions publiques de recherche. Du coup, les détracteurs de Séralini qui s’exprimaient au nom de la « vraie science » pouvaient certes pointer des insuffisances réelles de l’étude, mais ne pouvaient de leur côté produire aucune contre étude à vie entière après des décennies de controverses. Une ignorance qui apparaît bien avoir été savamment entretenue et qui a frappé de sidération l’opinion et les responsables publics. À tel point que tant l’Agence européenne sanitaire que le gouvernement français ont décidé de financer des études à vie entière sur des animaux nourris avec des plantes OGM. L’Anses appelle à affronter la connaissance et l’expérimentation dans son expertise de l’étude Séralini. L’agence sanitaire explique, d’une part, qu’une PGM n’est pas une plante comme une autre (le contraire du « principe de l’équivalence en substance » en vigueur dans le commerce international) et que des études à long terme sur les animaux doivent donc être entreprises par des organismes publics, selon un protocole le plus consensuel possible. L’interdit rampant qui pesait sur les études à vie entière sur les animaux nourris avec des PGM était donc levé. Ce n’est pas rien.

« […] je ne regrette absolument pas cette publication, parce qu’il y a bien un avant et un après Séralini. »

12Le second point, c’était la question du rôle des Instituts de recherche publique durant toutes ces années. À commencer par l’Inra. Comment expliquer que l’Inra ait refusé à Gilles-Éric Séralini de mener cette étude à long terme dans le cadre des financements publics ? Si le directeur actuel de l’Inra n’a trouvé aucune trace de cette demande, Gérard Pascal, l’ancien directeur scientifique qui est à l’origine du refus, l’admet sans barguigner…

« L’interdit rampant qui pesait sur les études à vie entière sur les animaux nourris avec des PGM était donc levé. Ce n’est pas rien. »

13Pas conclusifs les résultats de l’étude Séralini ? Sans doute. Troublants ? Suffisamment pour remettre le travail sur le métier à l’Efsa (Agence sanitaire européenne) et dans le programme français Risk’OGM. Il est d’ailleurs étonnant de constater que les mêmes qui convoquaient le généticien Séralini devant les tribunaux de la pensée soient aussi peu exigeants pour que cette expérience soit rééditée dans les meilleurs délais.

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