Lancer l’alerte
p. 67-69
Texte intégral
1Ce n’est pas la presse qui m’a fait transmettre l’alerte sur le bisphénol A, mais une rencontre avec Ana Soto, biologiste américaine qui travaille beaucoup sur la souris et qui a montré des effets de faibles doses sur des rates gestantes, et aussi que ces effets se transmettent de génération en génération. On sait à présent que pour le distilbène, dont la formule est proche de celle du bisphénol A, les effets sur les troubles de l’appareil reproducteur, sur le risque de cancer chez les filles et sur les effets neuropsychiques chez les deux sexes se retrouvent à la troisième génération. Les effets constatés sur les animaux se retrouvent donc chez l’homme, pour lequel il n’est possible de mener des expérimentations qu’à l’échelle de la cellule.
2Quant à l’affaire du Médiator, c’est en lisant dans la presse une interview d’Hélène Frachon après la censure de son livre Médiator 150 mg. Combien de morts ? (2010) que j’ai été amené à appeler la rédaction pour obtenir ses coordonnées. Les façons d’être saisi d’un sujet peuvent donc varier. Certes, des journaux, dont La Recherche, avaient déjà titré sur l’Appel de Vienne, puis sur l’Appel de Paris. Mais pour créer une alerte politique, il faut sensibiliser quelques relayeurs d’alerte.
3Par ailleurs, il faut ensuite supporter la controverse politique. Je me rappelle avoir croisé mon collègue Bernard Accoyer, qui s’est alarmé de la déposition de mon projet de loi lui apparaissant comme menaçant des emplois en France. Cette controverse existe aussi au sein de l’OPECST sur les pesticides, après la remise du rapport Gatignon-Letienne, qui est très contestable : le groupe Santé et Environnement de l’Assemblée nationale va organiser en janvier 2014 un colloque sur le thème « Pesticides, biodiversité et santé » pour rétablir la réalité de l’alerte sur cette question1.
4Dans la controverse politique, il faut pouvoir s’appuyer sur des faits scientifiques bien établis et sur des effets sanitaires avérés, et non sur de simples risques. Cette controverse existe aussi avec nos collègues du groupe des Verts, qui pratiquent le principe de précaution plus en avance que d’autres groupes, et, par ailleurs, à travers la résistance aux lobbies et aux intérêts industriels immédiats.
5Les alertes sur le bisphénol A ont été nombreuses. J’ai été le premier maire à interdire la vente de biberons contenant du bisphénol dans ma commune. Il existe donc de multiples possibilités politiques en dehors de la législation elle-même, qui permettent de s’appuyer beaucoup plus aisément sur la presse nationale. Or, rares sont les organes de presse grand public disposant de journalistes spécialisés en sciences. Il faut donc souvent tout réexpliquer depuis le début à de nombreux journalistes non spécialisés. En dehors du Monde et du Figaro, ces journalistes spécialistes n’existent pas – ou sont rares, chez Libération par exemple.
« Dans la controverse politique, il faut pouvoir s’appuyer sur des faits scientifiques […], et non sur de simples risques. »
6De nouveaux éléments d’alerte montent sur les pesticides. Il existe une cohorte dite Pelagie chez les femmes parturientes en Bretagne, qui montrent que les traces d’une vingtaine de pesticides se retrouvent à des doses très faibles dans le sang des cordons ombilicaux – dont l’atrazine dans 5 % des cas : elle est pourtant interdite depuis 2003. Les effets cocktails de ces éléments sont inconnus et les perturbateurs endocriniens peuvent de toute façon agir à faibles doses, la hausse des doses pouvant conduire à la disparition des effets (effets paradoxaux). Ces éléments complexes bousculent l’action politique dont le temps est très court et qui doit pouvoir s’appuyer sur des groupes d’étude et sur des structures telles que l’OPECST, qui regroupe des parlementaires attachés au suivi de ces questions.

Le Monde, 13 décembre 2012 : Perturbateurs endocriniens : Bruxelles se déchire.
Notes de bas de page
1 « Pesticides, Santé et biodiversité », colloque du 30 janvier 2014, Paris, Assemblée nationale.
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Le journalisme scientifique dans les controverses
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- (2016) La communication environnementale. DOI: 10.4000/books.editionscnrs.20952
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