Définir les perturbateurs endocriniens, un enjeu politique
p. 65-66
Texte intégral
1Les perturbateurs endocriniens désignent des substances chimiques naturelles ou synthétiques qui interfèrent avec la production, la transformation et la transmission des hormones, perturbant ainsi le fonctionnement normal du système endocrinien. Le terme a été proposé en 1991 lors d’une conférence organisée aux États-Unis à l’initiative de Theo Colborn, après les nombreuses recherches déjà menées sur les effets de ces substances sur la faune sauvage et en laboratoire. Depuis, le nombre de recherches n’a cessé d’augmenter, des dizaines d’articles étant publiés chaque mois sur le sujet. La Commission européenne a identifié le problème en 1999 à travers l’adoption d’une stratégie communautaire sur les perturbateurs endocriniens. À présent, la Commission travaille à l’identification des critères permettant de caractériser ces substances.
2Parmi les perturbateurs endocriniens, le bisphénol A est le plus médiatisé et a fait l’objet d’interdictions dans les biberons et les contenants alimentaires en France. Mais de manière générale, les perturbateurs endocriniens réunissent une série de substances assez large, pouvant se trouver dans un grand nombre de produits en contact avec les consommateurs : produits d’hygiène, produits de beauté, produits d’entretien, peintures, objets en plastique, petit électroménager, etc. Le bisphénol A est ainsi présent dans les résines dentaires, dans les bonbonnes d’eau, dans les boîtes de conserve, etc.
3Ces substances ont plusieurs spécificités. Parmi celles-ci, le caractère non-linéaire de la relation dose – réponse est une des plus disputées. D’autres spécificités, d’ailleurs moins disputées sur le principe scientifique mais plus sur les valeurs retenues par les instances officielles comme l’EFSA, sont une action à très basse dose et l’effet décalé par rapport à l’exposition. En effet, alors que l’exposition peut avoir lieu in utero, donc lors de la grossesse, les effets peuvent apparaître lors de l’enfance ou à l’âge adulte. De plus, ils peuvent être très différents. Par exemple, l’Agence sanitaire française, l’ANSES, a retenu récemment quatre types d’effets pour le bisphénol A, à savoir la susceptibilité accrue de la glande mammaire aux cancers, les effets sur le métabolisme et l’obésité, les effets neurologiques notamment sur la mémoire et les effets sur l’appareil reproducteur féminin, comme par exemple une susceptibilité à l’endométriose. Pour d’autres substances, d’autres effets retenus dans la littérature concernent par exemple l’appareil reproducteur masculin, notamment les différentes malformations génitales ou la fertilité à l’âge adulte. Enfin, un quatrième aspect préoccupant est l’exposition à des mélanges de substances qui, ensemble, peuvent constituer un cocktail de perturbateurs endocriniens.
4La perturbation endocrinienne fait l’objet de plusieurs réglementations visant à identifier et maîtriser les risques des pesticides, des biocides, des polluants aquatiques et, avec le règlement européen REACH, de l’ensemble des substances existantes sur le marché ou nouvelles. REACH classe les perturbateurs endocriniens parmi les substances labélisées comme dangereuses, au même titre que les substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques par exemple. Une fois qu’une substance est identifiée comme étant un perturbateur endocrinien, elle pourrait faire l’objet d’une restriction ou d’une demande d’autorisation. Pourtant, sans une définition précise, le Règlement restera sans réelle pertinence pour évaluer les risques de ces substances.
« La définition des perturbateurs endocriniens se situe donc au cœur d’un enjeu politique et économique très important pour la chimie et pour d’autres secteurs industriels »
5La définition des perturbateurs endocriniens se situe donc au cœur d’un enjeu politique et économique très important pour la chimie et pour d’autres secteurs industriels, puisque les substances en cause sont potentiellement très nombreuses. Plus la définition des perturbateurs endocriniens sera vague et contestable, et plus le temps nécessaire pour les nommer, pour organiser les échanges entre les industriels et les agences sanitaires et pour mettre en œuvre les réglementations sera long. La plus grave conséquence pourrait être le blocage réglementaire, comme cela a été le cas par le passé pour la réglementation européenne sur les risques chimiques qui a précédé REACH.
Auteur
Chargée de recherche à l’Institut des sciences de la communication du CNRS, où elle est responsable du pôle de recherche « Risque, Innovation, Expertise ». De formation interdisciplinaire (études universitaires d’écologie et thèse en économie écologique), sa recherche se focalise à présent sur l’analyse du statut de la chimie dans les sociétés d’Europe occidentale. Plus particulièrement, elle étudie la production et la communication des connaissances scientifiques relatives aux risques chimiques, dans leur contexte social, économique et politique. Elle s’intéresse notamment aux connaissances produites dans les processus réglementaires (le règlement européen REACH et la réglementation concernant la mise sur le marché des pesticides) et dans les processus d’innovation en chimie durable. Dans ses derniers travaux, elle se concentre plus particulièrement sur les perturbateurs endocriniens.
Laura Maxim a été coordinatrice scientifique des colloques La chimie face aux défis de la communication et Les chercheurs au cœur de l’expertise (Paris, février et avril 2011). Elle a notamment dirigé l’ouvrage La chimie durable. Au-delà des promesses (CNRS Éditions, 2011) et co-dirigé avec Gérard Arnold le numéro 64 de la revue Hermès, Les chercheurs au cœur de l’expertise (CNRS Éditions, 2012). Elle est aussi rédactrice de plusieurs articles et chapitres d’ouvrages dont, avec Jeroen Van der Sluijs, « Seed-dressing systemic insecticides and honeybees : a challenge for democratic governance of controversies about chemical risks » et « Bee decline web debate (exchanges between the authors and the Bayer company) », in European Environmental Agency, Science and the precautionary principle : lessons for preventing harm. Late lessons from early warnings, vol. II, European Environmental Agency, Copenhague, 2013, p. 401-438 et p. 1-20.
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