Le risque de la vulgarisation
p. 37-39
Texte intégral
1On ne peut pas vraiment parler d’atteinte à la liberté de la recherche. Il faut plutôt évoquer le problème d’une communication adaptée de la recherche. Le travail effectué par la communauté scientifique pour vulgariser les notions liées au climat s’est trouvé dans une impasse lorsque la controverse s’est développée. Si l’on entre dans les détails de la physique, la notion d’effet de serre est très complexe, et elle est souvent simplifiée grâce à l’image d’une cage de verre empêchant le rayonnement de s’échapper. L’image est juste jusqu’à un certain point, mais dès lors que des acteurs contestent la position scientifique au nom de cette image, en arguant par exemple que les effets du CO2 sont déjà saturés (ce qui est faux), il est impossible de répondre à partir de cette même image dans le domaine public. Le débat a donc amené des notions complexes étrangères au précédent effort de vulgarisation, et les débats sont dans ce cadre devenus assez difficilement maîtrisables.
2Pour répondre aux arguments déployés par exemple par François Gervais, qui sont faussement complexes, il faut en revenir à des notions de niveau Bac + 4. Ceci est gênant, d’une part parce que ces débats sont dénués de sens réel, mais d’autre part en termes d’action. Il est très probable qu’un retard considérable a été pris dans la définition des objectifs nationaux à cause de débats faussés, même si la situation est en effet différente sur le terrain. La France organisera la COP 21 en 2015 : quelle sera l’élaboration collective déployée à cette occasion ? Tous les débats périphériques – et je les crois sciemment organisés comme tels – ont visé à créer un état de confusion dans lequel les idées complexes, qui permettent de faire le lien entre la science et la prise de décision, ont eu du mal à s’exprimer. Ils se sont opposés à la nécessaire clarification du débat.
3Les réels débats scientifiques exigent du temps. Un débat de ce type a été nécessaire lorsque des scientifiques ont détecté des températures de l’air semblant indiquer un refroidissement autour de l’an 2000. Il a fallu plus de cinq ans pour éclaircir la contradiction apparente avec les températures de surface, qui semblaient se réchauffer, en reprenant les calculs des équipes qui avaient effectué ces mesures et en découvrant que le refroidissement de la stratosphère avait contaminé, en raison d’une erreur informatique, les mesures faites dans des couches inférieures de l’atmosphère.
4Ce type de controverses scientifiques ne peut être mené dans l’arène publique. Elles peuvent être dommageables pour l’image de notre science en dehors du cercle de nos pairs. Si les propos que l’on prête aux climatologues sont des propos grossièrement faux, y compris dans la façon dont les travaux sont traduits par les journalistes, cela induit une perte de confiance dans la parole des scientifiques dans les sciences avoisinantes – en l’occurrence, la mécanique et la physique. Le seul critère, pour les journalistes, est alors de savoir clairement à qui ils accordent leur confiance. Il faut pour cela savoir comment fonctionnent les communautés scientifiques et de quelle façon elles sont aptes au débat – ce qui fonde la confiance. Cette confiance est essentielle vis-à-vis des médias et des citoyens, mais aussi vis-à-vis des autres communautés scientifiques.
« Simplifier les enjeux scientifiques nous prive des débats essentiels qui doivent être menés dans des sociétés démocratiques. »
5Les sciences de l’environnement – dont celles du climat – sont intrinsèquement interdisciplinaires. Il faut à la fois préserver le climat et la biodiversité, mais aussi les capacités à alimenter la planète et à accéder aux ressources en eau, etc. – ceci, dans un contexte de justice sociale. La question climatique s’articule à l’ensemble de ces problèmes, mais cette articulation est complexe. Simplifier les enjeux scientifiques nous prive des débats essentiels qui doivent être menés dans des sociétés démocratiques. Le problème majeur posé par les controverses sur la question du climat – et c’était sans doute l’objectif de leurs initiateurs – a consisté à ramener la question à des débats extrêmement simples et déconnectés des réels enjeux scientifiques, afin de négliger les autres espaces de débats absolument nécessaires pour la prise de décision démocratique. Pour éviter cela, il faut que la communauté scientifique soit reconnue comme une entité collective, y compris par les journalistes.
Auteur
Ancien élève de l’École Normale Supérieure, est climatologue, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (en détachement du CNRS) et membre de l’Académie des sciences. Il est aussi directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace, une fédération de six laboratoires franciliens de recherche en sciences de l’environnement, et professeur en mécanique et physique de l’environnement à l’École Polytechnique, depuis 1991 <http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_polytechnique_%28France%29>. Il intervient également à l’École Normale Supérieure, à Sciences Po, et dans une large variété de contextes en relation avec le problème du changement climatique. Ses travaux portent sur la modélisation numérique du système climatique et la compréhension des perturbations radiatives du climat, en particulier le rôle de l’effet de serre anthropique et ses impacts. Ses compétences l’ont amené s’impliquer fortement dans le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), en particulier à partir du rapport 2001. Hervé Le Treut est notamment l’auteur de Nouveau climat sur la Terre : comprendre, prédire, réagir, (Flammarion, 2009) et co-auteur avec Jean-Marc Jancovici de L’effet de serre : allons-nous changer le climat ? (Flammarion, 2011).
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