Annexes
p. 457-459
Texte intégral
Aoki Takako
L’amour dans le Man’yôshû – Le fondement de la culture japonaise
1Aoki Takako commente ici plusieurs poèmes du Man’yôshu (un recueil des viie et viiie siècles) pour mettre en évidence la spécificité de kohi, terme qui désigne l’amour dans la littérature ancienne. S’opposant à Orikuchi Shinobu qui montre que le mot kohi lui-même pouvait avoir autrefois le sens d’une invocation magique (invocation de l’âme), elle propose une autre interprétation selon laquelle les poètes du Man’yôshû auraient développé, à travers l’expression subjective du « moi », une conscience du sujet personnel. Cependant, elle attire l’attention sur le fait que les poèmes du Man’yôshû, qui expriment « le désir et la quête d’un cœur amoureux quand l’objet d’amour n’est pas devant ses yeux », ne sont pas la traduction d’un sentiment qui s’expose naïvement et spontanément. Les amoureux, dans l’impossibilité de se rencontrer, pensent l’un à l’autre, et leur amour se cristallise justement dans le domaine d’imagination où leurs pensées se rencontrent et se fondent. Il se crée ainsi une idée de l’amour où la sensibilité la plus délicate cohabite avec la sensualité la plus crue. D’après Aoki Takako, la spécificité de la littérature japonaise est d’avoir développé le thème de l’amour jusqu’à la sophistication qui apparaît dans les textes ultérieurs. C’est sur ce fondement, selon elle, que la littérature japonaise s’oppose aux traditions littéraires et culturelles étrangères.
Julie Brock
Pour l’amour d’une belle journée : le verbe kohi-wataru et la fonction de o
2Une particularité de la langue japonaise est l’emploi des verbes composés, notamment dans des expressions telles que kohi-wataru, « passer (une journée, le printemps, etc.) à aimer », kohi-kurasu, « vivre et aimer (en aimant) », « kohi-tsuzukeru », « continuer d’aimer », etc. On trouve le plus souvent devant ces formes verbales l’enclitique o, qui peut marquer soit le complément d’objet du verbe « aimer » (o kohi), soit le complément circonstanciel de temps du verbe « passer » (o wataru), « vivre » (o kurasu) ou « continuer » (o tsuzukeru). En japonais, la question de savoir si o marque l’objet ou le lieu de l’amour n’a strictement aucun sens. En revanche, si l’on veut traduire ce type de formes en français, on est obligé de décomposer la structure verbale, et la question se pose alors de savoir si, par exemple, la poétesse « passe la journée à aimer [son amant] » ou si elle aime « la journée qui passe ». Pour en avoir le cœur net, nous avons réuni quatre poèmes qui contiennent ce type de constructions, et nous avons examiné pour chacun, outre l’original, trois traductions qui font référence : celle de Nakanishi Susumu (1978-1983), celle des Éditions Shôgakukan (1971-1975) et celle d’Orikuchi Shinobu (1916).
Komaki Satoshi
Un aspect des chants dialogués (sômonka) d’après la configuration des chants qui désignent le destinataire par le nom hito (une personne) –
3La communication présentée ici est une traduction partielle de l’article de Komaki Satoshi. Dans la première partie, l’auteur montre que, jusque vers le milieu du viiie siècle, les mots qui servent à dénommer la personne aimée décrivent un monde peuplé uniquement de « toi et moi » (ware to nanji). Il souligne notamment l’emploi des mots les plus fréquents, pour montrer que dans le monde qui se construit à travers cette rhétorique amoureuse, la troisième personne n’a pas sa place. C’est dans les usages de la capitale de Nara (viiie siècle) que l’on observe l’apparition, dans cette rhétorique, du mot hito (une personne), qui deviendra ultérieurement – et qui est encore aujourd’hui – l’expression la plus neutre de la troisième personne. L’article de Komaki pose la question de savoir comment rapprocher le sens du mot qui apparaît pour la première fois dans la littérature pour désigner la personne aimée, et celui qu’il prendra ultérieurement en tant que marqueur de la troisième personne. Présentant d’abord les différents emplois des mots cités plus haut en fonction du degré de l’amour (amour naissant, maturité de l’amour, l’amour dans la séparation), Komaki se sert de cet éclairage pour examiner ensuite l’emploi du mot hito dans un corpus de poèmes qu’il a réalisé en associant ce mot avec d’autres expressions employées en fonction déterminante. Parmi ces expressions figure l’adverbe ohohoshiku, sur lequel porte la deuxième partie. En conclusion, cette méthode qui consiste à croiser les faisceaux de la grammaire et de la rhétorique permet à Komaki de découvrir que la personne hito désigne un partenaire de l’amour commençant (une personne dont on ne sait pas si elle nous rend l’amour qu’on lui porte) ou d’un amour « à sens unique » (une personne qui fait mine d’ignorer l’amour qu’on lui porte). Il vérifie ainsi que la conscience que le poète a de lui-même et de l’autre se transforme à la fin du Man’yô, l’emploi de hito se fondant sur la nécessité de dénommer une personne qui n’a pas (encore) déclaré ses sentiments, et par rapport à laquelle on ressent par conséquent une distance.
Komaki Satoshi
L’origine des makura-kotoba, « mots-oreillers »
4Les makura-kotoba, littéralement « mots-oreillers », ont été longtemps perçus comme une simple figure de rhétorique. Cependant, si l’on remonte au début de l’histoire de la poésie japonaise (waka), on comprend que leur existence ne peut se résumer à la dimension rhétorique. À cette étape originelle, la relation entre le makura-kotoba et le nom auquel il se rapporte peut être qualifiée d’« initiatrice ». L’auteur explique en effet que les noms de lieu ont souvent été créés par l’association de deux mots reliés par un rapport de détermination. Quand on entend le premier mot, le second vient tout de suite à l’esprit pour former le nom du lieu : c’est le sens de cette fonction « iniatrice » (yûsokuteki, litt. « se fondre et s’unir »). Mais cette relation évolue vers un lien de nature métaphorique dans les poèmes du Man’yôshû, notamment à partir de Hitomaro (660-720). Le fonctionnement des makura-kotoba évolue ainsi à partir de la première période du Man’yôshû pour se constituer finalement comme un procédé rhétorique, fonction qu’il conserve dans les waka des époques suivantes. Le propos de cette communication n’est cependant pas de développer l’évolution des makura-kotoba dans l’histoire de la poésie japonaise. Il est plutôt d’examiner, à travers des exemples, la manière dont les makura-kotoba étaient employés dans les premiers moments de leur histoire, et leur spécificité « de naissance » en tant que moyen d’expression poétique.
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