Le Patriarcat latin de Jérusalem et la France (1918-1940)1
p. 307-329
Texte intégral
La nomination de Mgr Luigi Barlassina
1En février 1918, le Patriarche latin de Jérusalem Mgr Filippo Camassei (1906-1920) – en exil à Nazareth où les Ottomans l’ont déporté – demande au Saint-Siège de nommer un nouvel évêque, l’ancien étant mort en novembre 1917 à Damas à la suite des mauvais traitements qui lui ont été infligés par les Turcs durant la déportation2. Les gouvernements italien et français s’activent immédiatement afin que cette charge soit assignée à un ecclésiastique de leur nationalité respective. Le ministre des Affaires étrangères italien, Sidney Sonnino, pousse alors le baron Carlo Monti – directeur du bureau pour les affaires du culte et ami intime du pape Benoît XV – à exercer de fortes pressions à ce propos auprès du Saint-Siège. Le secrétaire d’État du Vatican – le cardinal Pietro Gasparri (1917-1930) – déclare à Monti qu’il n’existe pas de rapports diplomatiques entre le Vatican et la France. C’est pour cette raison qu’il ne peut y avoir de négociations directes en vue d’envoyer un prélat français en Palestine pour y régir provisoirement le Patriarcat3. L’affaire dure jusqu’au mois d’août 1918 : le Vatican – suite à une suggestion très explicite du cardinal Gasparri – choisit, comme auxiliaire du Patriarche, le curé de Saint-Jean de Latran, Mgr Luigi Barlassina. Monti a auparavant indiqué à Sonnino que la Congrégation Propaganda Fide4 a opté pour cette nomination afin de venir à l’encontre des désirs de l’Italie5. Lors d’une rencontre avec le président du conseil Vittorio Emanuele Orlando, en outre, il souhaite que l’action de Barlassina puisse mettre « un frein aux prétentions de la France en Palestine »6.
2L’année suivante, les Italiens ont toutefois la première démonstration que leurs espoirs sont mal fondés. Quand le cardinal Giustini, légat pontifical, visite la Palestine, le consul d’Italie, appuyé par la Custodie, prétend en effet que – le cardinal étant de nationalité italienne – les honneurs liturgiques lui reviendraient7. Barlassina, toutefois, s’oppose à cette prétention. Il affirme ouvertement que de tels honneurs doivent revenir au consul français, Henry Louis Rais. Mais le Patriarche – comme l’explique Rais aux fonctionnaires du Quai d’Orsay – affecte de défendre les droits de la France « parce qu’ils s’accord [...]ent mieux avec les prétentions qu’il v[eu]t faire prévaloir ». En réalité, Barlassina pense que seul le Patriarcat a pour tâche de protéger les catholiques de Terre sainte. Cette institution, représentante du Saint-Siège en Palestine, a en effet autorité sur tous les ordres religieux catholiques. C’est pourquoi elle doit toujours servir d’intermédiaire dans les rapports que ces ordres désirent entretenir avec le gouvernement local et avec les consuls étrangers8.
3Quand le vieux patriarche Camassei sort enfin des longs mois de mise à l’écart forcée passés à Nazareth, il est évident qu’il n’a plus la force nécessaire pour remplir efficacement son office de Patriarche, notamment dans la période de grands défis et changements qui s’annonce. Britanniques et Français font alors pression sur le Saint-Siège afin de faire nommer Patriarche un ecclésiastique de leur nationalité. Selon Rais, la présence au Patriarcat d’un prélat français est absolument indispensable pour ménager les droits de la France et assurer leur défense. « Aucun principe – affirme le consul – ne s’oppose à ce qu’un évêque soit promu au Patriarcat latin de Jérusalem, et notre clergé pourrait certainement fournir des candidats donnant toutes satisfactions à la France et au Saint-Siège9 ». Fin novembre 1919, un Comité des Catholiques de Jérusalem composé de laïcs et de religieux locaux – qui s’est formé à l’instigation de Paris – en appelle directement au Souverain Pontife pour le pousser à nommer un prélat français au siège patriarcal de Jérusalem10. Mais les efforts du Quai d’Orsay, comme ceux du Foreign Office, restent vains, le 8 mars 1920 Barlassina est désigné.
Les attentions intéressées des Italiens et des Français envers le Patriarcat latin
4Les autorités italiennes ont de tout temps fait preuve de beaucoup d’attentions pour le Patriarcat latin de Jérusalem. À la demande du baron Monti, à partir de l’année 1920, le gouvernement italien affecte une somme annuelle de 25 000 lires au Patriarche de Jérusalem, pour renforcer l’influence italienne « sur tout le Patriarcat latin et obtenir les faveurs et la gratitude du titulaire de celui-ci11 ». En juin 1920 Monti rencontre Barlassina à Rome. Il déclare à ce moment au Patriarche que – la cessation du protectorat français ayant été décidée lors de la conférence de San Remo, en avril précédent – le vif désir de l’Italie est désormais d’obtenir quelques formes de privilège en ce qui concerne la question des honneurs liturgiques. Mais Barlassina répond que l’influence de la France n’est en aucun cas diminuée en Terre sainte. De fait, cette nation a une fois de plus fini par prévaloir, grâce aux « trésors » qu’elle ne cesse de dispenser en Orient12.
5Durant les premières années de son ministère en Terre sainte, les rapports de Barlassina avec les autorités françaises ne sont pour le moins pas cordiaux. L’idée que le Patriarche a du protectorat exercé sur les catholiques ne correspond en effet pas aux intérêts de Paris. Barlassina se considère ainsi comme « le protecteur de tous les catholiques de Terre sainte ». Il entend de ce fait traiter en leur nom avec l’Autorité locale, réduisant par là le rôle et l’importance du représentant de la France en Palestine13. La première occasion de mettre en œuvre ses idées, Barlassina l’a dès le 20 septembre 1920, lorsqu’un incident éclate entre latins et orthodoxes sur le site des Lieux saints de Gethsémani. À cette occasion, au lieu de recourir à la protection du consul français, le Patriarche croit « devoir négocier directement avec les orthodoxes et les Autorités britanniques sans même aviser le Consulat général » de France. Puisque le Saint-Siège continue à reconnaître provisoirement le protectorat de la France, Barlassina est contraint de conserver les honneurs liturgiques en faveur de Rais. Mais le Patriarche – comme l’annonce le consul général de France – fait tout son possible pour s’arroger les pouvoirs dont ces honneurs sont seulement le symbole. Barlassina, sur ce point, jouit de l’appui des Britanniques, qui ont en l’occurrence tout intérêt à éliminer la présence française en Palestine. L’autorité reconnue par le Saint-Siège au Patriarche de Jérusalem s’étend à tous les sanctuaires et, par conséquent, également à ceux qui sont desservis par des religieux français. Selon Rais, des complications doivent tôt ou tard résulter de cette nouvelle réglementation14.
6Par la suite, en janvier 1921, à l’occasion du service funèbre célébré à la mémoire de Mgr Camassei qui se tient au Saint-Sépulcre, Barlassina introduit quelques innovations qui mettent à mal les droits de la France. Il place ainsi le représentant français au même niveau que les autres consuls – ne lui réservant pas la partie droite de l’autel – et laisse la partie gauche au Haut-Commissaire britannique. L’épisode paraît accréditer les rumeurs qui ont commencé à circuler en Palestine après la Conférence de San Remo, selon lesquels la France est désormais contrainte de renoncer à toutes les prérogatives dont elle jouissait aux Lieux saints15. En juillet 1921, se produit encore au Saint-Sépulcre un grave incident entre coptes et latins. Mais comme en décembre 1920, le cardinal Gasparri a encore donné à Barlassina des instructions selon lesquelles le protectorat français continue à être, temporairement, reconnu par le Saint-Siège, le Patriarche doit demander l’intervention de Rais, qui effectue son habituelle démarche auprès des autorités britanniques. Mais celles-ci répondent alors à Rais qu’elles traitent déjà directement, et de manière satisfaisante, la question avec le prélat16.
7Toutefois, ce qui véritablement provoque la fureur des autorités françaises, c’est l’hommage qu’en janvier 1924 Barlassina rend à Amman au roi Hussein du Hedjaz. Le Patriarche – qui se dit alors le porteur des salutations du Souverain Pontife – veut à cette occasion manifester l’affection qu’il ressent pour le « glorieux peuple arabe17 ». Le général Maxime Weygand – Haut-Commissaire en Syrie et au Liban – fait alors part de sa vive inquiétude. Il voit en effet dans le geste de Barlassina l’approbation de la politique panarabe du roi Hussein et de ses desseins de conquête de la Syrie. Mais Barlassina ignore l’irritation du Général. Quelques mois plus tard, en effet, il pense conduire le légat pontifical – le cardinal Oreste Giorgi – à rendre hommage à l’émir de Transjordanie Abdallah, fils du roi Hussein ; un acte que même le délégué apostolique pour la Syrie, Mgr Giannini, désapprouve fermement18. Au cours de la même année – bien que la France ne cesse d’affirmer qu’à San Remo elle a seulement renoncé au protectorat politique sur les catholiques – la suppression des honneurs liturgiques est unilatéralement décidée par le Patriarche. À cette occasion, une fois de plus, Barlassina manque résolument de tact et de bienveillance envers les autorités françaises. Au lieu de prévenir le consul de France de son geste, le Patriarche laisse le diplomate se rendre à la cérémonie au Saint-Sépulcre, où il est publiquement confronté au fait accompli.
8Mais l’année suivante Barlassina va encore plus loin. Le 7 juin 1925 est ainsi prévu un office religieux au Saint-Sépulcre en l’honneur du vingt-cinquième anniversaire du règne du roi d’Italie Victor-Emmanuel III. À cette occasion, le Patriarche décide de rendre les honneurs liturgiques au consul d’Italie, Antonio Gauttieri. Ce geste, s’il avait eu lieu, aurait été une suprême offense au prestige de la France, à laquelle, depuis un an, le Saint-Siège ne reconnaît plus ce droit. Dans ces conditions, le Quai d’Orsay met immédiatement en œuvre les représentants français à Londres et près le Saint-Siège, afin d’exercer de fortes pressions sur Barlassina et de l’empêcher de commettre cet affront. Ces pressions se révèlent extrêmement efficaces. Barlassina, en effet, se fait porter pâle au dernier moment et fait célébrer la messe au Saint-Sépulcre par un franciscain. Les honneurs liturgiques ne peuvent alors pas être rendus au consul italien, suscitant la satisfaction du ministre des Affaires étrangères français : Aristide Briand apprécie en effet le « fiasco ridicule » qu’enregistre alors la diplomatie italienne19.
9Désormais l’Italie est convaincue de la nécessité de se faire la promotrice de la sauvegarde du catholicisme en Palestine, pour répandre son prestige et ne pas laisser à la France le monopole de défendre la foi catholique dans le Levant. Elle veut en effet représenter l’idée latine dans le monde, se substituant à la France partout où cela lui est possible20. Par conséquent on ne doit pas s’étonner du grave conflit qui éclate au mois d’avril 1928 entre le Patriarche et les autorités françaises, à l’occasion du pèlerinage aux Lieux saints du prince héritier d’Italie, Humbert de Savoie. Barlassina, « désireux de donner le plus grand relief à la visite du prince au Saint-Sépulcre, se proposait de lui faire les honneurs de l’entrée solennelle ». Toutes les communautés religieuses catholiques, sur ordre du Patriarche, sont invitées à attendre Humbert à la porte de Jaffa pour le conduire en procession au Saint-Sépulcre. « Comme cet honneur est réservé aux princes dont les gouvernements entretiennent des relations diplomatiques avec le Saint-Siège – affirme le consul –, on se demande s’il peut être accordé au Prince Humbert car on rappelle qu’il fut refusé jadis à son père quand il vint en Terre sainte21 ». Le Patriarche invite de plus toutes les communautés religieuses françaises des deux sexes à se joindre au cortège pour l’entrée du prince italien au Saint-Sépulcre. Mais les membres de ces communautés font immédiatement part au consul français « de leur vive répugnance à s’associer à une manifestation purement italienne ». Ne pouvant désobéir, ils souhaitent être assurés que le Vatican approuve la sollicitation du Patriarche22. De fait, informé par le représentant français auprès du Saint-Siège, le cardinal Gasparri, visiblement irrité, avertit immédiatement le Souverain Pontife. Celui-ci lui donne alors l’ordre de télégraphier au Patriarche pour lui indiquer que le Vatican est absolument opposé à la convocation des religieux français à l’accueil du prince Humbert23.
10Quant à lui, le consul italien Pedrazzi devant accompagner le prince pendant les cérémonies, organise le cérémonial en accord avec le Patriarche, de façon à figurer devant ses collègues du corps consulaire. Mais Barlassina, une fois reçu le télégramme irrité du cardinal Gasparri, n’a plus le courage de s’associer aux desseins du consul italien. Logiquement, cela fait faillir le but que Pedrazzi s’était proposé : démontrer que désormais l’Italie peut prendre la place de la France comme première puissance catholique en Orient24.
11Malgré son incapacité à appuyer les desseins des Italiens, pendant une certaine période Barlassina continue de s’adresser au consulat d’Italie pour s’assurer des subventions, obtenant souvent satisfaction25. D’autre part, les rapports que le Patriarche entretient avec le consul français sont tellement conflictuels qu’il lui est impensable de pouvoir avoir recours à lui. Ainsi, le diplomate est extrêmement critique envers l’Œuvre de la Préservation de la Foi en Palestine fondée par Barlassina : « s’il existe un pays au monde où la foi n’a pas besoin d’être préservée c’est bien la Palestine. [...] L’unique but de cette œuvre est en réalité d’alimenter la caisse du Patriarcat latin qui donne à ces fonds telle destination qu’il juge bon et s’en sert surtout pour fonder des paroisses sans paroissiens pour le besoin de la statistique. » Selon le diplomate, l’un des plus éclatants exemples est celui de la paroisse de Naour, en Transjordanie, adoptée par une ville de France et pour laquelle Mgr Barlassina reçoit chaque année 50 000 francs. Or les chrétiens latins n’y sont pas plus que vingt et ils sont voués à la disparition dès après qu’une église grec-catholique, construite en leur faveur, soit achevée. Le consul juge pour sa part bien plus important le clergé grec-catholique, formé par les missionnaires d’Afrique, les Pères blancs, dont l’activité est « incomparablement plus efficace que celle des latins. » Selon lui, ces religieux sont les plus dévoués et les plus précieux propagateurs de l’influence française dans le Levant, parce qu’ils sont de la même race que leurs fidèles : « Que ne feraient-ils pas s’ils recevaient seulement une petite partie de ce que les diocèses de France donnent si généreusement au Patriarche latin dont les dispositions à l’égard de notre pays sont cependant peu sympathiques et qui, au surplus, a le moyen de se procurer ailleurs des ressources26... »
12Les rapports du Patriarche avec le consulat français ne tardent toutefois pas à s’améliorer dès l’arrivée à Jérusalem d’un nouveau chef de poste, Jacques d’Aumale (1928). Se penchant sur le problème, le diplomate explique que les frictions entre son prédécesseur et Barlassina sont en particulier dues au difficile règlement de la question des honneurs liturgiques, plus qu’à un manque de sympathie personnelle. Dans ces circonstances, d’Aumale souhaite, dès son arrivée, remédier à cet état de choses extrêmement préjudiciable aux œuvres françaises en Palestine. Selon lui en effet, le consulat et le Patriarcat ont « un égal intérêt à suivre une ligne de conduite commune, chacun dans sa propre sphère, pour défendre les intérêts des communautés françaises souvent menacées par les Autorités locales ». À cette fin, le consul s’efforce toujours d’agir de concert avec le Patriarche. « Barlassina est italien – affirme d’Aumale –, c’est incontestable ; mais cette qualité, qu’on ne peut avoir la prétention de lui demander d’oublier totalement, ne semble guère avoir d’influence sur sa ligne de conduite. Le Patriarche est, en effet, un homme avant tout et pardessus tout religieux et austère. Son principal désir est d’étendre l’importance de son Patriarcat. [...] Il est naturel qu’il cherche à avoir notre sympathie, d’autant plus que son caractère indépendant et ses démêlés avec la Custodie, centre quasi officiel de la propagande italienne, lui ont plus ou moins aliéné le Consulat Général d’Italie. » Le consul pense en conséquence que, sans se fier beaucoup à Mgr Barlassina, il a intérêt à entretenir avec lui des relations intimes et cordiales. Ainsi, les institutions françaises pourront certainement en percevoir les bénéfices27.
13De fait, l’action de d’Aumale enregistre rapidement des succès. Ainsi, lorsqu’en septembre 1932 Barlassina réalise de grandes innovations au sein du séminaire patriarcal, il en confie la charge aux pères français du Sacré-Cœur de Betharram en lieu et place des bénédictins allemands de l’abbaye de la Dormition. En outre – selon le gérant du consulat général de France, Caumeau – l’italien, qui avec le latin est jusque-là la langue d’enseignement dans ce séminaire – , est alors remplacé par le français. Comme le remarque avec satisfaction le diplomate, cela doit avoir bientôt « des répercussions importantes sur notre influence dans les milieux latins et particulièrement parmi le clergé indigène des paroisses, qui nous témoignait habituellement sinon de l’hostilité, du moins une indifférence affectée ». De leur côté, d’âpres réactions allemandes et italiennes ne sont pas à craindre, étant donné qu’elles ne peuvent certainement pas avoir d’influence « sur le caractère extrêmement indépendant de Mgr Barlassina28 ».
Le père Paschal Robinson, visiteur apostolique pour la Palestine
14En septembre 1923, des bruits insistants circulent en Palestine selon lesquels Barlassina doit être nommé cardinal et assigné au diocèse de Turin. Dans ces circonstances, le consul Rais se préoccupe évidemment immédiatement des intérêts de la France. Selon lui, Barlassina, bien qu’italien, est l’un des rares prélats importants de la région à ne pas être encore ouvertement opposé à la France. De ce fait, tout doit être fait afin que le Patriarche conserve sa place. Le diplomate revient à cette occasion sur le fait qu’il a toujours été à court de subventions pour le développement de ses institutions religieuses. Si de convenables financements avaient en son temps été donnés à Barlassina, la France aurait pu accroître d’autant l’influence qu’elle exerce sur le Patriarcat. De plus, il aurait été utile de favoriser la nomination à la charge d’auxiliaire du Patriarche du père Denis Buzi, des pères du Sacré-Cœur de Betharram, lui qui bénéficiait d’une certaine influence sur Barlassina. Se servant des subventions du Quai d’Orsay, cet ecclésiastique aurait pu favoriser la répartition des plus importantes charges du Patriarcat entre des ecclésiastiques français. Ce faisant, la France aurait pu contrôler la plus grande partie des œuvres patriarcales et, par conséquent, être prédominante dans le domaine de l’influence morale et religieuse de la Palestine mandataire29.
15À l’approche de circonstances ainsi renouvelées, le ministre des Affaires étrangères, Raymond Poincaré, a pour sa part des projets plus ambitieux : « L’importance des œuvres catholiques françaises en Palestine est telle que, si le Gouvernement britannique voulait s’y prêter, il serait moralement équitable qu’un français [sic] fut nommé patriarche de Jérusalem. » Poincaré considère ainsi le P. Antoine Delpuch des Pères blancs, ancien professeur au séminaire melkite de Sainte-Anne, comme le meilleur candidat, celui que Paris se doit de recommander au gouvernement britannique30. Le religieux en question est par exemple connu pour être « très hostile à la tendance “latinisante” de la plupart des missionnaires français et italiens ». Il est notamment d’avis que la France peut garder son prestige en Orient seulement si, au lieu de chercher à s’imposer aux indigènes, elle entreprend « de les éduquer, suivant leurs propres traditions et conformément à leurs besoins réels31 ». Mais Poincaré comprend rapidement qu’il sera très difficile de faire reculer les autorités britanniques de leurs vues sur le Patriarcat latin. Dans ces circonstances, il se résigne à s’aligner sur l’arrangement proposé en la personne du P. Paschal Robinson, un franciscain anglais très estimé au Saint-Siège, candidat des Britanniques au siège patriarcal de Jérusalem : la solution peut être que Robinson « serait patriarche et aurait le père Delpuch, non pour auxiliaire, mais pour coadjuteur » ; une charge non révocable et avec promesse de succession. Robinson aurait en charge le clergé latin, les communautés latines et la Custodie ; de son côté Delpuch conserverait la direction du séminaire melkite de Sainte-Anne et se vouerait aux rites orientaux. Ainsi – conclut Poincaré – les intérêts de l’Angleterre, de la France, du Saint-Siège et des indigènes peuvent « se concilier dans une politique commune, à la fois traditionnelle et adaptée aux nécessités du temps présent32 ». Curzon est enthousiasmé par cette proposition et la communique immédiatement au représentant britannique auprès du Saint-Siège, afin qu’il en informe le cardinal Gasparri33. Mais le diplomate répond tout aussi rapidement qu’il n’y a que peu de probabilité que Barlassina obtienne effectivement la nomination comme archevêque de Turin. Pour sa part, Gasparri lui indique que le projet de faire élire le P. Robinson au siège patriarcal de Jérusalem est voué à l’échec, notamment en raison de l’impossibilité de rompre « la tradition selon laquelle le titulaire soit un Italien » ; et bien que Robinson jouisse d’une grande confiance auprès du Vatican, ceci demeure l’obstacle principal34. Le fait d’avoir reçu cette nouvelle par la plus influente source du Saint-Siège fait définitivement s’évanouir les espoirs des gouvernements français et britannique de voir nommer le P. Robinson au siège patriarcal, avec le P. Delpuch comme coadjuteur.
Les querelles entre catholiques de rite latin et catholiques orientaux
16Au début des années vingt, le patriarche grec-catholique – Mgr Démetrios Qadi (1919-1925) – commence à faire pression sur le Vatican pour obtenir l’abolition du Patriarcat latin. Cette institution, à son avis, doit être remplacée par le Patriarcat grec-catholique, siège existant en Égypte et qui devrait être transféré à Jérusalem. Mgr Qadi songe en effet que les chrétiens indigènes de la Palestine, dont la plupart appartiennent aux rites orientaux, doivent désormais dépendre d’un Patriarcat oriental plutôt que latin. En outre, pour des raisons d’affinité, de langue et de rite, il doit être plus facile au Patriarcat melkite d’obtenir des conversions de la part de grecs-orthodoxes35.
17En parallèle, en octobre 1923, Henry Cambon, chargé d’affaires de la France auprès du Saint-Siège, écrit à Poincaré en lui indiquant que les conditions de l’Orient donnent « un intérêt particulier à l’un des objectifs poursuivis par le Cardinal Lavigerie, c’est-à-dire l’attraction à exercer par le clergé grec-catholique sur les milieux grecs-orthodoxes. Le clergé grec-orthodoxe – affirme Cambon – est de qualité tellement inférieure que ses communautés deviennent proies faciles pour des missions bien organisées, surtout si l’action de celles-ci est secondée par des arguments matériels auxquelles les orientaux sont sensibles ». Avant la guerre, poursuit-il, la France possédait en Palestine une hégémonie indiscutée et une situation prépondérante. Mais, depuis la fin du conflit, elle est encerclée et vigoureusement pressée par certains éléments latins, comme la Custodie de Terre sainte soutenue par l’Italie, et par le Patriarcat grec-orthodoxe soutenu par l’Angleterre. « Ni l’un ni l’autre de ces Gouvernements – continue le diplomate – n’épargnent les sacrifices pécuniaires dans l’intention de consommer notre déchéance. Mais ils ont contre eux, le premier peu de progrès réalisables pour les œuvres purement latines, le second la tendance naturelle des populations schismatiques à se rapprocher des Églises catholiques de rite oriental ». C’est ici que s’impose à ses yeux l’œuvre utile poursuivie au séminaire de Sainte-Anne, auquel le gouvernement français se doit d’augmenter les allocations36. Selon le consul italien, si le Saint-Siège cède aux insistances de Mgr Qadi, les Italiens ne devraient pas être affectés. En effet, les privilèges du Patriarche latin ne peuvent être transférés ni à un délégué apostolique, ni à un Patriarche melkite. Du moment que de tels privilèges reviennent à la Custodie de Terre sainte, la Consulta37 ne peut que se réjouir, puisqu’il s’agit en l’occurrence d’une institution d’origine et de tradition purement italiennes qui a su conserver une empreinte purement italienne38.
18L’affaire avance lorsqu’en octobre 1923 plus de trois cents catholiques palestiniens de rite latin – dont beaucoup sont liés aux associations islamo-chrétiennes de la région – adressent une pétition au Saint-Siège. Ils y demandent l’élection d’un Patriarche latin de nationalité arabe au siège de Jérusalem. Selon ce texte, on pourrait facilement, en procédant de la sorte, mettre fin à tous les malentendus persistant entre l’autorité ecclésiastique et la nation catholique. « Après une longue expérience – y affirme-t-on – nous regrettons de constater que notre situation critique et les mauvaises conséquences qui en résultent pour nos intérêts civils et religieux sont dues à l’absence d’un évêque national (indigène)39. » Parallèlement à cette initiative, les membres de la communauté latine locale publient une brochure dans laquelle ils affirment que le pape Léon XIII a en son temps accueilli favorablement la proposition du cardinal Langénieux – qui avait présidé le Congrès eucharistique de Jérusalem (1893) –, selon laquelle le Patriarcat latin devait désormais revenir au clergé indigène. « Le pape accueillit avec bienveillance ce mouvement de relèvement basé sur un droit naturel et traditionnel. Mais l’opposition de certains cardinaux jaloux des droits de leur race et de leur nation, la résistance de quelques hommes influents du clergé de Rome, qui employaient la religion comme un moyen pour satisfaire leur ambition nationale, rendirent impossible l’exécution de ce projet équitable. »
19De même, les tentatives britanniques visant à mettre sur le siège patriarcal un ressortissant anglais montrent que le Patriarcat latin est devenu un instrument politique, plutôt que religieux. Les missionnaires latins se désintéressent de leurs devoirs divins et trahissent l’Église « en employant leur autorité religieuse et leur zèle missionnaire à faire du pays et des habitants l’objet d’intérêts politiques impérialistes ». Les prêtres occidentaux – continue l’auteur de la brochure – ont transformé la Palestine en « théâtre d’une rivalité politique, conduisant à la ruine de notre nationalité, à la perte de nos droits, à la frustration de nos intérêts politiques et religieux ». Réagissant, le consul Rais affirme que la solution envisagée dans ce document ne peut laisser indifférent le Quai d’Orsay. Du Patriarcat latin dépendent en effet de nombreux établissements religieux de toutes nationalités, mais dont la majorité est française. La subordination des œuvres françaises à un évêque indigène peut donc susciter selon lui bon nombre d’inconvénients. Pour leur part, les séminaires fondés par les Pères blancs et les Bénédictins français ont un but qui dépasse l’intérêt local : leurs élèves recrutés surtout en Syrie, deviennent en effet prêtres et évêques dans le mandat français. Selon Rais, les œuvres françaises et les missions catholiques qui se réclament de la France doivent absolument conserver une certaine indépendance. Or, pour ce faire, le patriarche ou, pour le moins, l’évêque auxiliaire chargé de le seconder, doit être de nationalité française40.
20De leur côté, les Italiens réservent beaucoup d’attention aux Pères blancs et au clergé grec-catholique de Palestine, mais pour des raisons diamétralement opposées à celles des Français. Selon le consul italien, le Patriarche et les évêques melchites conduisent depuis quelque temps une campagne acharnée auprès du Saint-Siège, dirigée contre l’activité du Patriarcat latin en Transjordanie. Or cette campagne est « poussée et appuyée par les Français » et en particulier par le supérieur des Pères blancs. Les grecs-catholiques ont pour leur part de vives sympathies pour la France, à laquelle ils sont complètement soumis. Ainsi, le défunt patriarche Qadi « était considéré comme français », de même que les deux évêques destinés à le remplacer à cette charge, Mgr Maxi-mos Sayegh et Mgr Grégoire Hajjar. De ce fait, les Français – qui ne sont guère assurés de pouvoir à l’avenir compter sur les latins – pensent que le clergé grec-catholique peut constituer un excellent instrument pour maintenir le prestige et l’influence qui leur échappent désormais en Orient41. Par conséquent, les Italiens, soucieux de poursuivre leurs propres intérêts, doivent contrebalancer la propagande française en faveur des grecs-catholiques en soutenant le Patriarcat latin42.
21De son coté toutefois, le Saint-Siège a depuis quelque temps tendance à valoriser les rites orientaux. Ceci a des répercussions même en Transjordanie où, le 5 juin 1932, est créé un diocèse indépendant destiné aux fidèles de rite melkite. Mgr Boulos Salman est désigné pour occuper ce nouveau poste, un ancien élève du séminaire grec-catholique de Sainte-Anne. Mgr Salman rend alors immédiatement visite à d’Aumale « pour le renseigner sur toutes les questions qui pouvaient intéresser les autorités françaises en Transjordanie ». Il demande également au consul de continuer à assister les écoles melkites. « J’estime qu’il peut être intéressant pour nous – affirme d’Aumale ainsi sollicité – d’avoir en Transjordanie une personnalité non européenne mais d’influence française entrant en contact direct avec les indigènes43. » Or, naturellement, l’une des conséquences de cette nouvelle mesure – selon le consul italien – est que le siège grec-catholique de Transjordanie va favoriser l’influence de la France dans ce pays. Selon lui, le nouveau prélat est dans les faits « de formation spirituelle complètement française » et ses quatre plus importantes missions en Transjordanie sont confiées à des prêtres également issus du séminaire grec-catholique de Sainte-Anne. Le diplomate poursuit en ajoutant qu’un autre problème réside dans le fait que le catholicisme dans la région – jusqu’alors sous la juridiction du Patriarcat latin – semble passé aux grecs-catholiques. Le nouveau concurrent de Barlassina, en effet, présente l’avantage d’être oriental et d’avoir sa résidence in situ. Barlassina n’a pour sa part pas caché sa déception face à la politique du Souverain Pontife, lui qui entend donner un « plus grand développement aux rites orientaux et aux différents clergés indigènes des pays du Levant ». Le patriarche a en effet beaucoup lutté contre l’adoption de cette mesure. Mais, le Vatican a sciemment ignoré ses protestations. D’où la conclusion du consulat d’Italie : le résultat en est que les grecs-catholiques augmentent considérablement leur prestige en Orient au détriment des catholiques latins, alors que la France a augmenté le sien aux dépens de l’Italie44.
22Une fois installé, Mgr Salman est immédiatement confronté à la pressante œuvre de latinisation opérée par les missionnaires du Patriarcat latin. Dans ces conditions, il est contraint de demander l’appui des autorités françaises pour faire valoir son point de vue contre Barlassina auprès du Vatican. Aidé par François Charles-Roux – ambassadeur de France près le Saint-Siège –, en novembre 1934 Salman rencontre le Pape et le cardinal Luigi Sincero, secrétaire de la Congrégation de l’Église orientale45. Il leur explique que, dans son diocèse, il dispose de « 23 écoles gratuites et officiellement reconnues par le Gouvernement », fréquentées par 737 élèves. Le but de ces établissements est de « donner une bonne formation religieuse à la future génération et de développer l’esprit d’union parmi les dissidents ». Parmi les 27 missions de la Transjordanie, les melkites disposent de plus de 5 000 fidèles. Durant deux ans, ses missionnaires ont pu convertir plus de 1 000 personnes, 1 320 demandes de conversion sont en attente. Mais, ajoute-t-il, tous les grecs-orthodoxes qui demandent l’union exigent « une église, un prêtre et une école » ; or malheureusement les moyens manquent aux melkites d’accéder à ces désirs. Les vraies difficultés, toutefois, émanent des missionnaires du Patriarcat latin de Jérusalem. Ceux-ci passent en effet leur temps à inciter les membres de la communauté grec-catholique à se faire latins, leur promettant, le cas échéant, des subventions substantielles. Pie XI réserve pour sa part un bon accueil à Mgr Salman et lui remet « de la main à la main 18 000 lires ». Par ailleurs, il ne dissimule pas ses sentiments à l’égard de Mgr Barlassina, qu’il qualifie d’ » un peu furieux » (« un poco furioso »). Par la suite, le pape affirme encore que l’action des missionnaires latins en vue de provoquer parmi les grecs-orthodoxes des conversions est contraire à ses vues, lui-même souhaitant la conversion des grecs-orthodoxes au rite grec-catholique. « Les orientaux schismatiques doivent passer au rite oriental catholique correspondant. C’est pour cela que sont institués les rites orientaux », affirme le pontife. Le pape va même jusqu’à promettre à Mgr Salman qu’un nouveau règlement doit être rédigé, « interdisant au Patriarche Latin toute propagande au détriment des rites orientaux46 ».
23Quelques mois plus tard – « l’action du Patriarcat Latin contre les Melkites [n’ayant] nullement cessé » et les promesses du Saint-Siège n’ayant « été suivies d’aucun résultat pratique » – Mgr Salman décide de demander au consul français une intervention auprès du Saint-Siège. Pour solliciter l’intérêt de d’Aumale, l’évêque affirme que la campagne menée par les latins en Transjordanie n’est certainement pas dénuée d’une implication officielle italienne, les autorités de Rome déployant dans la région une activité supérieure à celle de n’importe quelle autre puissance. D’Aumale, alarmé face à la « latinisation et surtout [à] l’italianisation des chrétiens melkites », en avertit encore une fois le Quai d’Orsay47. Ainsi, au mois d’août 1935, le chargé d’affaires français auprès du Saint-Siège s’entretient avec Mgr Cesarini, assesseur de la Congrégation de l’Église orientale. Mais celui-ci répond que Barlassina agit « dans une sphère d’action nettement délimitée et conforme aux règlements pontificaux en vigueur » ; sous-entendu, dans la majeure partie des cas, les protestations de Mgr Salman ne semblent pas être « justifiées, ni même fondées48 ».
24Quelques années plus tard, une disposition du Saint-Siège semble avoir des effets positifs à l’égard du conflit entre latins et catholiques orientaux. L’un des principaux éléments qui rendent la situation particulièrement complexe est le fait que le Patriarcat latin dépend de la Congrégation De Propaganda Fide, tandis que les melkites sont placés sous la juridiction de la Congrégation de l’Église orientale ; deux organismes qui, dans la pratique, n’ont pas toujours les mêmes points de vue. Le 25 mars 1938, Pie XI – par le biais du Motu Proprio “Sancta Dei Ecclesia” – confère à la dernière une juridiction pleine et exclusive à l’égard de tous les fidèles, les hiérarchies et les institutions du Levant, de l’Érythrée, de l’Éthiopie, de la Grèce et de la Bulgarie, et cela même pour tout ce qui concerne le rite latin. De cette façon, même le Patriarcat hiérosolymitain subit les effets de ces mesures. Immédiatement, la Congrégation de l’Église orientale unifie la direction des écoles grecques-catholiques et latines de Transjordanie sous son autorité nominale et sous le contrôle effectif d’un Jésuite français, le père Geoffrey de Bonneville. La décision est, naturellement, très appréciée par les autorités françaises, notamment parce qu’elles ne sont guère en mesure d’employer de nouvelles ressources financières pour créer leurs propres institutions catholiques dans la région : au moins dans le domaine si important de l’enseignement, un religieux français pourrait en effet « modérer le zèle de ses confrères italiens, malheureusement trop dociles aux injonctions de leur propagande nationale49 ».
Épilogue
25En décembre 1939, Barlassina effectue un nouveau voyage en Italie. Le consul français Amédée Outrey craint alors que le Patriarche se rende à Rome pour « concerter avec les autorités fascistes un nouvel effort en faveur des œuvres catholiques italiennes ». Mais il tente en même temps de rassurer le Quai d’Orsay, songeant à ce que lui a avoué son collègue d’Italie, Quinto Mazzolini, selon lequel Mgr Barlassina est « moins bon italien qu’on ne le pense ». En effet – écrit Outrey – le Patriarche est « de caractère si impérieux et d’esprit si tracassier » qu’il a bien pu se rendre insupportable au consulat général d’Italie comme il l’a déjà fait « à tant de personnes ». De plus, il est « capable d’une certaine indépendance d’esprit ». C’est ainsi qu’un peu plus tôt il a déclaré, « au scandale du consul d’Espagne, qu’après tout Hitler ne valait pas mieux que Staline ». Au total, du fait de tous ses défauts, selon Outrey, Mgr Barlassina est beaucoup moins dangereux pour les intérêts français que son compatriote, le Custode de Terre sainte. Dans ces conditions, il est donc à craindre « de le voir remplacé par un prélat plus inféodé que lui au fascisme », qui pourrait apporter à la lutte que l’Italie poursuit en Palestine contre les intérêts français « plus de méthode, d’adresse et d’efficace50 ».
26Dans sa dépêche, le consul brosse ainsi le portrait du Patriarche : Barlassina « est avant tout un catholique ; quel que soit le reproche formulé contre lui, cet évêque est avant tout un prêtre ; [...] les questions politiques viennent après les affaires religieuses, pour lesquelles il se montre particulièrement rigide et intransigeant ». Et au total, la lutte acharnée qu’il a toujours conduite contre les autorités mandataires – dès le début soucieuses d’ôter aux ordres religieux les privilèges concédés par les Ottomans – s’est toujours portée au bénéfice des intérêts français en Palestine. Si le patriarche a effectivement imposé à beaucoup d’écoles françaises l’enseignement de la langue anglaise, c’est seulement pour éviter l’abandon de ces institutions en faveur des écoles britanniques et protestantes51. Son éloignement de la Palestine est donc à éviter : de fait, et cela notamment après les récentes attaques de Mussolini contre le Pape, il a désormais de plus en plus tendance à collaborer avec la France52.
27De même, en février 1940, alors que le décès de Mgr Fellinger – évêque auxiliaire du Patriarcat53 – semble imminent, Outrey se préoccupe également de voir assurer cette charge par un ecclésiastique français : « Que le Patriarche, le Custode et le Délégué Apostolique soient tous les trois de nationalité italienne – écrit ainsi le diplomate – est une situation qui aurait pu avoir son sens s’il s’était agi de faire contrepoids à notre influence comme puissance protectrice ; mais elle n’en a aucun après la disparition de notre protectorat religieux ». Selon lui, la candidature d’un Français à la fonction d’évêque auxiliaire pourrait permettre à la France de neutraliser la tendance de l’Italie à s’ingérer dans les affaires religieuses de la Palestine. Il est donc souhaitable que le Quai d’Orsay fasse pression auprès du Saint-Siège en vue d’atteindre cet objectif54. Charles-Roux, ambassadeur de France auprès du Souverain Pontife, s’exécute alors et rencontre immédiatement le cardinal Eugène Tisserant – secrétaire de la Congrégation de l’Église orientale ; mais celui-ci lui fait « observer que la France ne dispose, dans le Patriarcat, d’aucune personnalité susceptible d’être élevée au rang d’évêque auxiliaire ». Selon le prélat, la seule manière d’éviter la nomination d’un Italien est de demander au Saint-Siège la désignation d’un ecclésiastique britannique55. Cette réponse irrite à son tour Outrey, car selon lui les Britanniques sont aussi mal représentés dans les paroisses du Patriarcat. À son avis, le cardinal français ferait donc mieux de convenir que, « pour des raisons en partie étrangères à la religion », il estime préférable de voir confier à un sujet britannique les fonctions d’évêque auxiliaire. Mais en cette période de tension, selon Louis Canet – conseiller technique pour les affaires religieuses du Quai d’Orsay – ce qui intéresse vraiment le ministère des Affaires étrangères, c’est d’obtenir la nomination d’évêques français en Syrie et au Liban. Il vaut donc mieux ne pas disperser les efforts dans d’autres directions et se limiter à demander au Saint-Siège – faisant valoir le fait que les institutions religieuses françaises en Terre sainte demeurent prépondérantes – que l’auxiliaire qui doit être désigné n’exprime pas des sentiments hostiles à la France56.
28Dans les faits, après la mort de Fellinger, un auxiliaire du patriarche n’est pas nommé pour le remplacer. Si d’une certaine manière cette solution n’est pas défavorable à la France, cette correspondance – qui se tient alors que le deuxième conflit mondial a commencé – montre à quel point la France ne se résigne décidément pas à voir s’évanouir définitivement les prérogatives dont elle avait joui pendant des siècles en Terre sainte ; et comment il lui est impossible de renoncer au rôle prépondérant et prestigieux qu’elle y a longtemps joué. Un tel combat, qui peut être qualifié d’arrière-garde, conduit les Français à lutter avec d’autant plus d’acharnement contre la non moins anachronique attitude de l’Italie, qui continue à son tour de mener une âpre concurrence contre de telles prérogatives, dans les faits déjà largement érodées.
Notes de bas de page
1 Il existe peu d’œuvres spécifiquement consacrées au Patriarcat latin de Jérusalem, presque toutes écrites par des ecclésiastiques du même Patriarcat : Chanoine Th. Alleau, Patriarcat de Jérusalem. Son origine, ses vicissitudes, sa ruine, son rétablissement, ses besoins, son avenir, Monaco, Imprimerie du Journal de Monaco, 1880 ; Alessandro Possetto, Il Patriarcato latino di Gerusalemme (1848-1938), Milan, Crociata, 1938 ; Adolphe Perrin, Centenaire du Patriarcat latin de Jérusalem (1847-1947), Jérusalem, Tip. Patriarcat Latin, 1947 ; Pierre Médebielle, Le Patriarcat Latin de Jérusalem, Jérusalem, Tip. Patriarcat Latin, 1962 ; idem, Encore à propos du Patriarcat Latin de Jérusalem, Jérusalem, Tip. Patriarcat Latin, 1962. Sont également à signaler les monographies portant sur les deux premiers Patriarches : Pierre Duvigneau : Une vie au service de l’église : Joseph Valerga, Patriarche Latin de Jérusalem, Jérusalem, Imprimerie du Patriarcat Latin, 1972 ; Une vie pour Dieu et les âmes : Vincent Bracco, Patriarche Latin de Jérusalem, Jérusalem, Imprimerie du Patriarcat Latin, 1981, et Giuseppe Villanis, Un fiore dell’episcopato cattolico in Oriente : vita di Sua Eccellenza Reverendissima Mons. Vincenzo Bracco, patriarca latino di Gerusalemme, Torino. Tip. S. Giuseppe, 1891. Sur la question du rétablissement du Patriarcat latin de Jérusalem, voir Paolo Pieraccini, Il ristabilimento del Patriarcato latino di Gerusalemme e la Custodia di Terra Santa (1847-1872), Jérusalem, Franciscan Printing Press, 2005. Sur la question des rapports entre le Patriarcat latin et les Églises orientales, voir Salvatore Manna, Chiesa latina e Chiese orientali all’epoca del Patriarca Giuseppe Valerga (1813-1872), Napoli, Pontificio Istituto degli Studi Orientali, 1972. On note également deux brefs articles sur le Patriarcat : Andrea De Gubernatis, « Il Patriarcato di Gerusalemme e la Custodia di Terra Santa », Nuova Antologia, fasc. 16 novembre 1898, vol. LXXVIII, série IV, et Filippo Talvacchia, « Il centenario del ristabilimento del Patriarcato latino di Gerusalemme (1847-1947) », Oriente Moderno, Anno XXVIII, 1948, pp. 117-121.
2 Archives secrètes du Vatican (par la suite : AA.SS.VV.), Affaires ecclésiastiques extraordinaires (par la suite : AA.EE.SS.), ASIA, fasc.33, dép. n. 705, Dolci, délégué apostolique à Constantinople, à Gasparri, 2 février 1918.
3 Antonio Scottà, La conciliazione ufficiosa. Diario del barone Carlo Monti « incaricato d’affari » del governo Italiano presso la Santa Sede (1914-1922), Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1997, vol. II, pp. 258-259.
4 Congrégation de la Propagation de la Foi, en charge des missions (NdE).
5 Voir Sergio I. Minerbi, L’Italie et la Palestine (1914-1920), Paris, PUF, 1970, p. 184.
6 Antonio Scottà, La conciliazione ufficiosa, cit., vol. II, p. 365. Le 1er septembre, lors d’une de ses fréquentes rencontres avec le Souverain Pontife, Monti parle du « travail de sape que la France réalise en Palestine afin de faire obstacle à la nomination d’un évêque auxiliaire au Patriarche de Jérusalem qui soit un Italien ». Mais Benoît XV le rassure, affirmant que la nomination de Barlassina aurait été maintenue. Ibid., pp. 374-375.
7 Sur les honneurs liturgiques, voir A. Bertola, « Il protettorato religioso in Oriente e l’accordo del 4 dicembre fra la Santa Sede e la Francia », Oriente Moderno, Anno VIII, 1928, pp. 437-454 et 501-511.
8 Archives du ministère français des Affaires étrangères, Nantes (par la suite : MAE, Nantes), fonds Jérusalem Consulat général, Série B, vol. 158, dép. n. 379, Rais, Jérusalem, à Georges-Picot, 11 octobre 1919. Dans divers milieux du Vatican, toutefois, Barlassina continue d’être considéré comme un ardent francophile. Encore au début de janvier 1920, le cardinal Giustini comme le cardinal Pompilj expriment cette conviction à l’adresse de Monti. Le cardinal Pompilj ajoute même à cette occasion que le Patriarche a un « caractère de neurasthénique ». Voir Antonio Scottà, La conciliazione ufficiosa, op. cit., vol. II, p. 526.
9 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 158, dép. n. 459, Rais, Jérusalem, à Gouraud, Beyrouth, 4 décembre 1919.
10 Ibid., vol. 157, dép. sans n°, Rais, Jérusalem, au MAE, 1er décembre 1919.
11 Archives du ministère italien des Affaires étrangères (par la suite, MAE, Rome), Affaires politiques (AP), Palestine, p. 1457, fasc. 6282, lettre n° 114, Monti, Rome, à Tittoni, 18 novembre 1919.
12 Antonio Scottà, La conciliazione ufficiosa, op. cit., vol. II, pp. 559-560. En réalité, « l’entrée solennelle » accomplie par le Patriarche à son retour dans son diocèse pose la question du protectorat français sur la catholicité en Palestine. En effet, à la cérémonie qui se déroule à la porte de Jaffa – au cours de laquelle la plus haute autorité catholique de Terre sainte est accueillie par les plus importantes personnalités palestiniennes – le représentant britannique jouit de la préséance sur le consul français. Voir MAE, Rome, Ambassade d’Italie en Égypte (AIE), b. 176, fasc. 2, dép. n° 689/125, Tuozzi, Jérusalem, au MAE, Rome, 24 juillet 1920.
13 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 158, tg. n° 6, Rais, Jérusalem, à Pichon, 15 avril 1920.
14 Ibid., tg. dép. sans n°, Rais, Jérusalem, à Millerand, 3 octobre 1920.
15 « Ce n’était pas du tout le Samuel [Herbert Samuel, premier Haut-Commissaire britannique civil en Palestine, à partir du 1er juillet 1920] privé ou le Juif qui venait – explique Barlassina à Gasparri –, mais le représentant de la Puissance mandataire pour honorer le Patriarche latin en son siège. Pour cela, en accord avec les Franciscains, nous lui avons préparé un endroit spécial, in cornu Evangeli (en dehors de l’autel, s’entend), en face des consuls qui se tenaient in cornu Epistolae. [...] au cours de la cérémonie, aucun honneur ne lui fut rendu ». Le représentant français, au contraire, « tout en étant le premier, se tenait dans la même rangée que les autres Consuls » parce que l’étroitesse du lieu avait « poussé à utiliser l’endroit de la meilleure façon possible », pour la très nombreuse foule présente. Et même dans ces conditions, le consul italien – pour ne pas reconnaître le protectorat français – n’avait pas estimé devoir intervenir. Barlassina affirme pour sa part qu’il a fait ce choix dans l’intérêt du prestige du catholicisme et pour « avoir présent le plus grand nombre possible de consuls ». Aux cérémonies solennelles des orthodoxes et des protestants, en effet, les consuls interviennent toujours au complet. Et c’est aussi de cette façon que la population juge de l’importance d’une institution. AA.SS.VV., AA.EE.SS., Asia, fasc. 38, rapp. n° 49/21, Barlassina, Jérusalem, à Gasparri, 28 janvier 1921.
16 Barlassina justifie ainsi son attitude à l’occasion de tous les incidents qui concernaient dans cette période le statu quo des Lieux saints : « ... le consul français traîne pour ne pas oser affronter la question avec les Anglais qui ne veulent pas entendre parler de protectorat. [...] Je comprends que la situation du pauvre consul français est pénible, parce que tout le monde, même les Français, sait qu’il suffit de présenter nos intérêts au Gouvernement par le biais du protectorat pour le faire sombrer : d’autre part je ne voudrais pas être accusé d’avoir favorisé la suppression du protectorat par voie de fait, de même que je ne veux en aucun cas mettre à mal nos plus hauts intérêts pour un privilège qui n’a plus d’existence que par son nom même ». Archives de la Congrégation de la propagation de la foi (par la suite : ACPF), nouvelle série (NS) Vol. 694, Barlassina, Jérusalem, à Gasparri, rapp. n° 486/21, 12 juillet 1921.
17 Voir Oriente Moderno, IV, 1924, p. 190.
18 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 158, tg. dép. n° 252, Maugras, Jérusalem, au MAE, 13 juin 1924.
19 Archives du ministère des Affaires étrangères, Paris (par la suite : MAE, Paris), Correspondance politique et commerciale (CPC), Levant, Palestine, vol. 33 : tg. sans n°, Briand, Paris, à Doulcet, Maugras et à Fleuriau 5 juin 1925 ; dép. n° 31, Maugras à Briand, 8 juin 1925 et tg. sans n°, Briand, Paris, à Doulcet, Maugras et à Fleuriau, 8 juin 1925.
20 Voir le rapport sur le Levant de Francesco Coppola du 16 février 1927 cité par Lucia Rostagno, Terrasanta o Palestina ? La diplomazia Italiana e il nazionalismo palestinese (1861-1939), Rome, Bardi, 1996, pp. 130-131.
21 MAE, Paris, CPC, Levant, Palestine, vol. 22, dép. n° 14, Doire, Jérusalem, à Briand 3 mars 1928.
22 Ibid., tg. n° 8, Doire, Jérusalem, au MAE, 27 mars 1928.
23 Ibid., tg. n° 12, MAE à Doire, Jérusalem, 27 mars 1928.
24 Ibid., « Bulletin de renseignements n° 247 », Jérusalem, 31 mars 1928. [à propos de Pedrazzi, voir aussi la contribution de Dominique Trimbur dans le présent volume, NdE].
25 Voir Paolo Pieraccini, « Il Patriarcato latino di Gerusalemme (1918-1940). Ritratto di un patriarca scomodo : mons. Luigi Barlassina », Il Politico, LXIII, 1998, n° 2, pp. 225-245.
26 MAE, Paris, CPC, Levant, Palestine, vol. 31, dép. n° 11, Doire, Jérusalem, à Briand, 17 février 1928.
27 Ibid., vol.63, dép. n° 33, d’Aumale, Jérusalem, à Briand, 22 février 1930.
28 Ibid., vol. 63, dép. n° 145, Caumeau, Jérusalem, à Herriot, 30 août 1932.
29 Ibid., vol. 33, dép. n° 23, Rais, Jérusalem, à Poincaré, 5 octobre 1923.
30 Ibid., tg. 2227, Poincaré, Paris, à Saint-Aulaire, 30 octobre 1923.
31 Ibid., vol. 31, « Note pour le président du conseil », Paris, 26 novembre 1923. Dans la même note, on affirme que « ...ce religieux [...] peut faire beaucoup en Palestine et dans tout l’Orient pour le développement de l’influence française dans la conscience des indigènes ».
32 Ibid., vol. 33, dép. n° 2633, Poincaré, Paris, à Saint-Aulaire, 24 novembre 1923.
33 Public Record Office (par la suite : PRO), Archives du Foreign Office (par la suite : FO) 371/9010, E11552/1411/65, tg. sans n°, Curzon, Londres, à Russell, Rome, 6 décembre 1923.
34 PRO, FO 371/9010, E11701/1411/65, tg. sans n°, Russell, Rome, à Curzon, 10 décembre 1923. « Certes le Patriarcat et la Custodie divergeaient sur presque toutes les questions imaginables, mais ils avaient en commun que, étant de nature internationale en matière spirituelle, du point de vue des sentiments et de la politique ils étaient majoritairement italiens. Un prélat autrichien pouvait certes avoir la charge du rectorat d’un hospice érigé grâce à des souscriptions autrichiennes ; un Dominicain français pouvait certes diriger la française École biblique de Saint-Etienne ; comme signe extrême de déférence envers la Puissance mandataire britannique un Irlandais pouvait (sept ans après l’occupation) être créé vicaire patriarcal ; mais la nomination d’un Patriarche ou d’un Custode français ou britannique irait à l’encontre de la tradition à peine moins que si cette dignité était transférée au Grand Rabbin. » Ronald Storrs, Orientations, London, Nicholson & Watson, 1937, p. 350.
35 À propos de l’Église melkite, voir surtout Ignace Dick, Les Melkites, Tournhout (Belgique), éd. Brespols, 1994 et Joseph Chammas, The Melchite Church, Jérusalem, Laham, 1992. Voir aussi les contributions de Joseph Nasrallah, « Église melchite et union des Églises », Istina, XXI, 1976, pp. 178-206 ; « Le Patriarcat d’Antioche est-il resté, après 1054, en communion avec Rome ? », Istina, XXI, 1976, pp. 374-411. Voir en outre Arthur John Arberry (éd.), Religion in the Middle East, London, Cambridge University Press, 1976, vol. I, pp. 366-368 ; Raymond Ettlerford, La Chiesa cattolica nel Medio Orient, Brescia, Morcelliana, 1960, pp. 29-30 ; Charles A. Frazee, Catholics and Sultans : the Church and the Ottoman Empire 1453-1923, op. cit., pp. 199-207 et pp. 284-292 ; Gaston Zanarini, Pape et Patriarches, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1962, pp. 55-77 ; T. Idinopoulos, « Diversity and Conflict Amongst the Christian Communities », in Alice L. Eckardt, Jerusalem, City of the Ages, Lanham, University Press of America, 1987, pp. 259-260 ; Saul P. Colby, Christianity in the Holy Land, op. cit., pp. 97-100 et 122-123 ; Raymond Janin, Les Églises orientales et les rites orientaux, Paris, Letouzey & Ané, 1955 et Jean-Pierre Valognes, Vie et mort des chrétiens d’Orient, op. cit., pp. 311 et 324.
36 MAE, Paris, CPC, Levant, Palestine, vol. 31, dép. n° 114, Cambon, Rome, à Poincaré, 31 octobre 1923.
37 Le ministère italien des Affaires étrangères (NdE).
38 MAE, Rome, AP, Palestine, p. 1458, fasc. 6292, rapp. n° 791/153, Speranza, Jérusalem, au ministère des Affaires étrangères, 24 juin 1923.
39 MAE, Paris, CPC, Levant, Palestine, vol. 33, document annexé à la dép. n° 26, Rais, Jérusalem, à Poincaré, 6 novembre 1923.
40 Ibid., dép. n° 19, Rais, Jérusalem, à Poincaré, 1er octobre 1923.
41 « Le clergé de rite oriental, en particulier le melkite, faisait aussi étalage du drapeau français brandi sur ses propres institutions, parce que, outre la protection politique de la part de la France, il jouissait également de larges subventions, spécialement pour les écoles dans lesquelles était enseignée la langue française. L’Œuvre des écoles d’Orient, initiée par Lavigerie, fut prodigue de largesses. Les communautés françaises, masculines comme féminines, vouées à l’instruction de la jeunesse indigène, ont également été subventionnées par leur gouvernement, ce pourquoi les consuls de France s’immisçaient dans la rédaction des programmes scolaires... ». Filippo Talvacchia, Rito Romano e riti orientali, Rome. Tip. SO.CRA.RO., 1947, p. 34.
42 MAE, Rome, AP, Palestine, p. 1458, fasc. 6300, rapp. n° 1796/219, Gauttieri, Jérusalem, au ministère des Affaires étrangères, 25 novembre 1925.
43 MAE, Paris, CPC, Levant, Palestine, vol. 63, dép. n° 90, d’Aumale, Jérusalem, à Herriot, 18 juin 1932.
44 MAE, Rome, AP, Palestine, p. 1460, fasc. 6315, rapp. sans n°, Gabbrielli, Jérusalem, au ministère des Affaires étrangères, 28 juin 1932.
45 Congrégation créée en 1917, devant se consacrer aux Églises orientales unies à Rome, issue de la section de la Congrégation de la Propagande créée en 1862 et vouée aux mêmes Églises (NdE).
46 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 159, dép. n° 351, Charles-Roux, Rome, à Laval, 9 novembre 1934 et dép. sans n°, d’Aumale, Jérusalem, à Laval, 24 novembre 1934.
47 Ibid., dép. n° 112/11/A, d’Aumale, Jérusalem, à Laval, 12 juillet 1935.
48 MAE, Paris, Papiers d’agents, Archives privées (PAAP), Louis Canet, vol. 12, dép. sans n°, Truelle, Jérusalem, à Laval, 27 août 1935.
49 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 159, dép. sans n°, Outrey, Jérusalem, à Bonnet, 20 août 1938. Les préoccupations françaises à l’égard de la propagande des missionnaires italiens en Transjordanie sont décidément exagérées. En effet, seulement quatre des dix-sept ecclésiastiques du Patriarcat latin qui opèrent alors dans la région sont italiens ; l’un est anglais, un autre irlandais, un autre encore allemand et les neuf autres appartiennent au clergé indigène. Les melkites de la région sont à ce moment 4 308, répartis en 30 missions et administrés par 17 prêtres, tous de nationalité palestinienne. Leurs écoles sont au nombre de 16 (14 pour garçons et 2 pour filles), comptant 550 élèves. Pour leur part, les catholiques latins sont 5 798, répartis en 29 missions et administrés par 17 prêtres et 29 sœurs. Leurs 28 écoles (16 pour garçons et 12 pour filles) comptent 1 876 élèves. Sur une population totale d’environ 300 000 personnes, les catholiques ne représentent donc que 10 106 personnes ; les orthodoxes 19 894 et les musulmans environ 270 000. Voir MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 159, mémorandum sur l’« État des écoles et du clergé catholique de Transjordanie au mois d’avril 1938 ». Pour le Motu Proprio Sancta Dei Ecclesia voir Acta Apostolicae Sedis, XXX, 1938, pp. 154-159. Les dissensions entre catholiques de rite latin et catholiques orientaux restent très vives dans les années suivantes et elles sont loin de s’être éteintes à nos jours. Lors du Concile Vatican II, le Patriarche melkite Maximos IV prononce un très dur réquisitoire contre le Patriarcat latin de Jérusalem, dont il demande la suppression auprès du Souverain Pontife. Ce Patriarcat – affirme alors Maximos – a été créé par les Croisés en faveur de la domination franque en Palestine et répond à la mentalité de l’époque, selon laquelle à la domination latino-franque devait correspondre une hiérarchie latine. L’ecclésiastique considère de plus la latinisation de l’Orient entreprise par le Patriarcat latin après sa restauration, en 1847, comme un « démenti pénible aux déclarations formelles des Papes promettant aux Orientaux qui reviendraient à l’unité, de n’avoir pas à se latiniser. Si les Orientaux peuvent être catholiques sans devenir latins – continue Maximos IV – je me demande : pourquoi alors maintenir en Orient, et en plein xxe siècle et en pays musulman, un Patriarcat latin occidental qui ne peut vivre qu’en latinisant aux dépens de l’Église orientale ? ». Voir L’Église grecque melkite au Concile. Discours et notes du Patriarche Maximos IV, Beyrouth, Dar al-Kalima, 1967, pp. 181-184. À ce sujet voir aussi Les Églises orientales catholiques. Décret "Orientalium Ecclesiarum", Paris, Éd. du Cerf, 1970, p. 340, ainsi que Joseph Hajjar, « Les Églises du Proche-Orient à Vatican II », Istina, XLI, 1996, n° 3, pp. 253-308.
50 MAE, Paris, PAAP Canet, dép. n° 38, Outrey, Jérusalem, à Daladier, 28 décembre 1939.
51 Barlassina applique en l’occurrence la législation scolaire mandataire, édictée en 1927 (NdE).
52 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 158, mémorandum anonyme et sans date : « Le Patriarcat latin de Jérusalem ».
53 Mgr Fellinger, prélat autrichien (NdE).
54 MAE, Paris, PAAP Canet, dép. no 14, Outrey, Jérusalem, à Daladier, 12 février 1940.
55 MAE, Nantes, Jérusalem, Série B, vol. 158, tg. no 136, Charles-Roux, Rome, à Daladier, 2 mars 1940.
56 MAE, Paris, PAAP Canet, « Note pour M. Lagarde », Paris, 22 mars 1940.
Auteur
Paolo Pieraccini est chargé de cours à l’université de Florence.
Ses recherches portent sur le statut juridique de Jérusalem et des Lieux saints. Auteur d’un mémoire en « histoire des traités et politique internationale » à la faculté des Sciences politiques de l’université de Florence (« Jérusalem et les Lieux saints dans les relations internationales »), il a soutenu en octobre 2004 une thèse de doctorat en droit à l’Université Paris Sud, avec pour titre « La juridiction du patriarche latin de Jérusalem après la lettre apostolique “Nulla celebrior” (1847-1872) ».
Principales publications : Gerusalemme, luoghi santi e comunità religiose nella politica internazionale, Bologne, EDB, 1997 ; Cattolici di Terra Santa (1333-2000), Florence, Pagnini e Martinelli, 2003 ; La questione di Gerusalemme. Profili storici, giuridici e politici (1920-2005), Bologne, Il Mulino, 2005 ; Il ristalbimento del Patriarcato latino di Gerusalemme e la Custodia di Terra Santa, Le Caire-Jérusalem, The Franciscan Centre of Christian Oriental Studies, 2006.
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