Y a-t-il un fond commun aux langues littéraires de l’Asie orientale ?
p. 133-140
Résumé
La première partie de notre exposé s’attache à l’influence des Han. Plus de cinq mille ans avant notre ère, les Han ont conquis toute la Chine au nord et au sud du Yangzi (Fleuve Bleu) grâce à leur supériorité dans trois domaines stratégiques : la constitution d’un État centralisé, une armée très forte notamment grâce au travail du fer, et l’écriture. Celle-ci n’est pas seulement un moyen de transmettre les connaissances mais aussi un moyen de les faire évoluer. C’est pourquoi elle est un facteur dominant dans l’influence que la Chine a exercée sur ses voisins. Seules les cultures coréenne, japonaise et vietnamienne, qui ont développé respectivement une écriture nationale, ont pu résister à la suprématie des Han. Dans la deuxième partie, nous montrons que l’influence de la Chine procède également des mythes et des légendes qui se sont diffusés notamment grâce à l’écrit, formant pour ainsi dire les soubassements d’un fonds imaginaire commun. Enfin, nous concluons par un tour d’horizon sur les courants religieux et philosophiques qui constituent l’argument principal d’un soubassement commun à l’Asie orientale : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme.
Texte intégral
Lehan, fond commun des langues littéraires du Viet Nam, de la Corée et du Japon
1En Asie, avant l’arrivée de l’islam, il y avait deux grandes civilisations, l’Inde et la Chine. L’Inde a influencé le Sud-Est et le Sud asiatique, et la Chine a influencé les pays avoisinants, c’est-à-dire la Corée, le Japon et le Viet Nam. Tout comme l’Inde a été une construction à la fois des Aryens et des peuples de l’Inde, principalement les Dravidiens, la Chine ancienne était différente de la Chine actuelle. L’archéologie des cinquante dernières années a montré qu’au iie millénaire av. J.-C., il y avait six grandes zones culturelles sur le territoire : trois au nord du Yangzi fondées sur la culture du millet, et trois au sud au Yangzi fondées sur la culture du riz. Les deux céréales sont apparues simultanément, le riz un peu plus tôt que le millet. Les plus anciennes traces de riz sauvage datent d’il y a douze mille à treize mille ans.
2Au début, les Han n’étaient que l’une des six grandes cultures du territoire chinois actuel1. La Chine a été une conquête des Han sur les autres peuples. Les Han ont conquis toute la Chine au nord et au sud du Yangzi grâce à leur supériorité dans trois domaines stratégiques ; premièrement, la constitution très tôt d’un État centralisé dans le bassin moyen du Huang He (fleuve jaune) ; deuxièmement, une armée très forte, surtout grâce à la cavalerie et à des armes en fer alors que les autres n’avaient que des armes en bronze ; troisièmement, l’écriture. Or, l’écriture n’est pas seulement un moyen de communication. Elle sert aussi à écrire l’histoire, la philosophie, les sciences politiques, etc. C’est un moyen d’emmagasiner les connaissances mais aussi de les remettre à jour et de les critiquer. Il n’y a pas de philosophie, ni de stratégie militaire, sans connaissance de l’écriture. Ce sont ces trois facteurs, parmi lesquels l’écriture est un facteur dominant, qui ont fait que la Chine a exercé une telle suprématie sur ses voisins.
3Trois peuples seulement ont pu résister : les Vietnamiens, même s’ils ont fait partie de l’empire chinois pendant un millénaire, les Coréens, et les Japonais favorisés par leur insularité. En ce qui concerne le Viet Nam, sa population était issue de l’une des branches des Yue au sud du Yangzi. Conquis une première fois par un général chinois, Zhao Tuo, qui a fondé le royaume de Canton, intégré à la Chine des Han de 111 avant notre ère à 938, une victoire sur les Han du Sud a permis au Viet Nam de conquérir son indépendance. Cette indépendance a duré jusqu’à l’arrivée des Français en 1862. Les Français ont conquis successivement le Sud, puis le Centre et le Nord, de 1862-68 à 1884-85.
4Ce panorama historique montre l’importance de l’influence chinoise qui s’est exercée non seulement pendant la période provinciale, mais aussi pendant toute l’indépendance jusqu’à l’arrivée des Français. Le han était comme en Corée l’écriture officielle. Tous les textes législatifs, historiques, politiques, etc., étaient écrits en han, c’est-à-dire en chinois classique. Pour cette raison, lorsque le Viet Nam est devenu indépendant en 939, ce han n’a pas évolué de la même façon qu’en Chine du Nord (pékinois), mais il est resté tel quel, sans évolution, et donc avec une prononciation très proche de celle des Tang (la langue du Sud, Nankin e. a.). Une écriture sino-vietnamienne est née beaucoup plus tard. C’est ce qu’on appelle le nôm. De même que les langues coréenne et japonaise, le nôm vietnamien utilise les caractères chinois, tantôt en en prenant le son, tantôt dans leur valeur phonétique (pour transcrire les vocables non chinois), tantôt dans leur valeur sémantique (pour en traduire le sens). Pendant une très longue période, la littérature s’écrivit en han classique. Puis le nôm apparut. La première trace de cette écriture est une inscription du xie siècle, mais elle ne s’est réellement développée et n’a produit une littérature que beaucoup plus tard. Les chefs-d’œuvre de la littérature vietnamienne en nôm datent des xviiie et xixe siècles.
5En conséquence, si on se place uniquement du point de vue quantitatif, la plus grande partie de l’héritage classique littéraire est écrite en han, tandis que le nôm a donné ses chefs-d’œuvre surtout en poésie et un peu en prose.
6Il existe une troisième écriture, d’origine européenne, qui est apparue beaucoup plus tard. Due à des missionnaires de différentes nationalités, portugais, espagnols, italiens et finalement français, cette écriture alphabétique a été utilisée aux fins d’évangélisation. Elle est beaucoup plus facile à apprendre que le chinois, mais elle a été longtemps limitée à la population chrétienne.
7Sa date de naissance, 1651, correspond à la parution du Dictionnarium annamiticum, lusitanum et latinum d’Alexandre de Rhodes, lequel ne l’a pas inventée mais mise au point à travers la synthèse qu’il a faite des ouvrages de tous ses prédécesseurs. Cette date est donc importante historiquement, mais l’écriture alphabétique ne s’est effectivement répandue qu’à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, du fait de la conquête du Sud par les Français à partir de 1862. Ce sont les missionnaires qui conseillèrent aux Français de répandre cette écriture, ce à quoi s’opposaient les lettrés, principalement au motif que cette écriture était un produit de l’étranger. Mais ces mêmes lettrés ne tardèrent pas à se rendre compte que cette écriture était tellement simple qu’elle permettait l’alphabétisation du peuple beaucoup plus rapidement que l’écriture chinoise. Paradoxe de l’histoire, la langue qui avait été un instrument de domination est devenue un instrument de libération, lorsque les lettrés confucéens ont reconnu ses qualités pratiques et qu’ils l’ont adoptée.
8En Corée et au Japon, le han a régné jusqu’au xixe siècle, mais la littérature nationale est apparue beaucoup plus tôt qu’au Viet Nam, car ces deux pays, malgré quelques invasions chinoises en Corée, étaient restés indépendants. Le Japon lui-même a été protégé par son insularité (la seule tentative mongole pour envahir le Japon s’était soldée par un désastre). Par rapport au coréen et au japonais, le vietnamien est beaucoup plus proche du chinois. Comme le chinois, c’est une langue monosyllabique à tons, avec encore plus de tons qu’en chinois (six au lieu de quatre ou cinq). La plus grande différence avec le chinois est la place du déterminant qui, en chinois, précède le déterminé alors que c’est l’inverse en vietnamien. Quant au coréen et au japonais, ce sont des langues d’origine altaïque et donc polysyllabiques. Bien qu’elles soient de syntaxe différente, ce sont deux langues très proches. Certains pensent d’ailleurs que les Japonais descendent des Coréens. Comme la Corée est géographiquement très proche du Japon, il est probable que les premiers habitants sont venus par la Corée. Les œuvres poétiques coréennes, dont les plus anciennes datent du ier siècle, ont été transcrites en utilisant les caractères idu. On retrouve ainsi le même schéma qu’au Viet Nam.
9Au Japon, c’est seulement au ixe siècle que le syllabaire kana est apparu, d’une part le katakana formé de fragments de l’écriture chinoise, et d’autre part le hiragana résultant de l’écriture cursive.
10Ainsi, les littératures classiques de la Corée, du Japon et du Viet Nam reflètent, à des degrés différents selon les auteurs et les périodes, un fond commun issu de l’influence chinoise qui a perduré jusqu’au xixe siècle, influence tempérée par les cultures indigènes et par la personnalité des auteurs, plus ou moins prononcées suivant les périodes.
Quelques éléments communs aux différentes littératures dites classiques
11Le fond commun de ces littératures pourrait être d’abord ce qu’on appelle les trois enseignements, à savoir le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme, auxquels s’ajoutent des mythes et des légendes chinois. De plus, il y a beaucoup de genres et de formes littéraires chinois qui ont été empruntés et adaptés par les Coréens, les Japonais et les Vietnamiens, en plus des formes propres à ces trois pays.
12Par exemple, nous avons au Viet Nam le luc bát et le song that luc bát. Le luc bát, c’est le rythme du vers de six syllabes suivi d’un vers de huit syllabes, avec des rimes à la fois finales et internes, rimes qui n’existent ni en japonais, ni en coréen. Mais il y a aussi des formes chinoises qui ont été empruntées comme le yuefu, le genre musical créé par le Bureau de musique sous les Han en 120 avant notre ère et qui atteindra son apogée sous les Tang. Les ci (辞), poèmes irréguliers de longueur variable dont la forme est apparue à la fin de la dynastie des Tang, ont également été beaucoup utilisés.
13Je vais donner ici quelques exemples. D’abord, en ce qui concerne les contes et légendes, deux exemples que j’ai choisis parce qu’on y fait sans cesse allusion dans la littérature de l’Asie orientale.
14Mon premier exemple est l’histoire de la Tisseuse et du Bouvier. La Tisseuse était la fille de l’Empereur de Jade, l’empereur du ciel. Elle s’éprit du Bouvier et obtint de son père de l’épouser. Mais après son mariage, elle négligea ses devoirs et cela mit en colère l’empereur, qui sépara le couple et ne lui permit de se rencontrer qu’une seule fois l’an : la septième nuit de la septième lune. Cette nuit-là, les pies construisent pour les jeunes époux un pont au-dessus de la Voie lactée, c’est-à-dire le Fleuve d’argent. La Tisseuse correspond à Vega de la Lyre qui, à cette date, rencontre l’Altaïr de l’Aigle.
15Mon deuxième exemple, pour rester dans le domaine de l’amour, est l’expression « nuage et pluie », qui évoque joliment le rapport sexuel. Cette expression est dérivée d’un conte attribué à un auteur du iiie siècle avant notre ère, Song Yu, qui raconte que le roi Xiang de Chu dormant sur la terrasse Yangtai du Sichuan, vit en rêve une belle jeune femme qui s’offrit à partager sa couche. Au matin, avant de partir, elle lui dit : « Je suis la déesse du Mont Wu, nuage le matin et pluie le soir », d’où l’expression « nuage et pluie » pour désigner le rapport amoureux.
16En ce qui concerne le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme, le premier a eu l’influence la plus limitée, tant le taoïsme intellectuel que le taoïsme populaire, c’est-à-dire religieux.
17Les ouvrages les plus connus du taoïsme sont évidemment Le Livre de la voie et de la vertu, attribué à Laozi, et celui de Zhuangzi. L’anecdote le plus souvent citée est celle du rêve du papillon : « Une nuit, moi Zhuangzi, je rêvai que j’étais un papillon, un papillon qui voletait heureux. Soudain, je m’éveillai et ne sus plus si j’étais Zhuang rêvant qu’il était un papillon ou un papillon rêvant qu’il était Zhuang. » Le taoïsme était un refuge pour les fonctionnaires lorsque, lassés ou indignés par la conduite du prince et de la cour, ils préféraient abandonner leur fonction pour se réfugier à la campagne et jouir du loisir de la retraite. C’est surtout au Viet Nam que sa forme populaire, à savoir sa forme religieuse et magique, est la plus répandue, avec un panthéon sur lequel règnent l’Empereur de Jade et tous ses assistants, l’Étoile polaire, etc. Mais au Viet Nam, le taoïsme s’allie à des mythes et légendes encore plus anciens parce que, à la différence des Han, les Vietnamiens étaient matrilinéaires. Par exemple, le ciel était féminin pour les Vietnamiens (alors qu’il était masculin en Chine). Par ailleurs, il y avait beaucoup de déesses des forêts, des eaux, etc., qui ont été intégrées au panthéon bouddhiste lorsque le bouddhisme est arrivé au Viet Nam. La très grande majorité des peuples du Sud-Est asiatique (voire de toute l’Asie orientale) étaient d’ailleurs matrilinéaires. C’est seulement plus tard que la matrilinéarité a fait place à la patrilinéarité.
18Le bouddhisme, venu en Chine par l’Asie centrale au ie siècle de notre ère, est arrivé au Viet Nam au Ier ou au iie siècle. Il a tout d’abord voyagé par mer, parce que c’était l’époque où les Indiens faisaient de grands voyages maritimes pour le commerce des épices et de l’or avec le Sud-Est asiatique.
19Une deuxième vague du bouddhisme est arrivée au Viet Nam plus tard au vie siècle. C’est le fameux zen, passé dans le langage courant sous la forme d’une transcription du chinois chan, thien en vietnamien qui vient du sanskrit dhyana. On caractérise souvent le chan/zen par ce quatrain attribué à son fondateur, Bodhidharma, arrivé en Chine vers 520 :
Une transmission particulière en dehors de l’enseignement2
Ne se fondant pas sur les écritures3
Pointant directement vers l’esprit humain,
Voir sa propre nature et devenir bouddha.
20En fait, cet aspect anti-intellectualiste remonte à la tradition bouddhique. La légende dit que, vers la fin de sa vie, le Bouddha lui-même, se tenant au milieu de ses disciples, leva la main dans laquelle il tenait une fleur. Chacun le fixait et attendait ses paroles. Seul un moine sourit en le regardant. Le Bouddha dit alors : « J’ai transmis mon esprit à Kaçyapa. » À sa mort, Kaçyapa lui succéda à la tête de la communauté. Cette transmission, ou mieux, cette impression de l’esprit, est dans la droite ligne de l’enseignement du Bouddha qui privilégie l’expérience directe et personnelle, la pratique de la sagesse plutôt que la pédagogie par la parole et par l’écrit. Du point de vue philosophique, la pensée bouddhique est fondée sur la négation : elle commence par la négation du principe d’identité, puisque le Bouddha dit sans cesse que « le moi est illusion ». Cette pensée culmine dans le zen, qui fut incontestablement la forme dominante, au point de vue philosophique, du bouddhisme (pas seulement vietnamien). Au Vietnam, les moines jouent un rôle extrêmement important au moment de la fondation de l’État au xe siècle. A cause de la politique restrictive de la cour chinoise, il y avait en effet peu de lettrés confucéens, et les moines étaient beaucoup plus nombreux que la classe des lettrés confucéens d’ailleurs suspectés de sinophilie.
21Les moines sont alors devenus les principaux conseillers de l’empereur. Ils vont longtemps jouer un rôle politique. C’est ainsi que le Supérieur du monastère du mont Yên Tu dans le delta du fleuve Rouge, dit à l’empereur qui voulait se faire moine en 1236 : « Un prince doit avoir la vertu d’humanité. Elle consiste à prendre la volonté du peuple comme la sienne, le cœur du peuple comme le sien. Si le peuple vous demande de rentrer, comment pouvez-vous refuser ? » L’empereur finit par se rendre à cet avis et rentra, accomplit son devoir, mais continua à s’entraîner à la méditation zen. Il a écrit de très nombreux vers et essais bouddhiques.
22Voici une anecdote tirée de l’un de ses recueils :
Un moine dit : « Il ne faut pas laisser la poussière s’attacher aux yeux, ni couper un furoncle sur la peau. Celui qui étudie la Voie doit-il chercher des preuves ? »
L’empereur répondit : « L’eau qui coule sur la pente le fait sans y penser, le nuage qui sort du mont n’y accorde pas d’attention. »
Le moine resta silencieux et l’empereur continua : « Ne dites pas que la Voie est la non-pensée, la non-pensée est distante de la Voie d’une frontière. »
Le moine dit : « Si l’esprit est vide, alors qu’est-ce que c’est une frontière ? »
L’empereur répéta : « L’eau qui coule sur la pente le fait sans y penser, le nuage qui sort du mont n’y accorde pas d’attention. »
Le moine garda le silence.
23La troisième doctrine qui a influencé ces trois pays est évidemment le confucianisme. À l’opposé du bouddhisme tourné vers la méditation, il s’agit d’une doctrine sociale, tournée vers le gouvernement des hommes et qui, de ce fait, présente pour un État beaucoup plus d’intérêt et d’avantages que le bouddhisme. Certainement, le confucianisme est le plus apte à assurer la cohésion d’un État, la gestion de la société et la formation de ses cadres recrutés par le moyen des concours littéraires. Mais le confucianisme peut servir aussi la critique sociale, y compris de la monarchie lorsque celle-ci ne respecte pas ses propres principes. Tous les opposants au régime monarchique ont pu avancer telle ou telle maxime de Confucius, et surtout de son disciple Mencius, qui écrit notamment :
Si la richesse et la puissance passent avant la justice, les inférieurs n’auront de cesse qu’ils n’aient tout enlevé à leurs supérieurs. Dans un État, l’élément le plus important est le peuple ; les dieux du sol et des moissons viennent ensuite ; le souverain est ce qui a le moins de poids. C’est pourquoi gagner le cœur du peuple est la voie de l’Empire.
24Cela signifie que si le souverain viole l’humanité et la justice, les deux vertus qui viennent en premier lieu chez Confucius, s’il se conduit en tyran, il cesse moralement d’être le souverain et perd son mandat céleste. Devenu un simple particulier, son meurtre ne représente plus un crime de lèse-majesté. En d’autres termes, le peuple a le droit de se révolter contre lui. Toutes les révoltes paysannes en Chine, en Corée, au Viet Nam, se sont prévalues de Mencius. Seul le Japon n’a pas accepté la théorie du mandat céleste, parce que son aristocratie fondait son autorité sur une lignée impériale d’ascendance divine. De même le confucianisme a servi aux lettrés d’humble origine à contester le pouvoir de l’aristocratie de naissance, notamment en Corée où l’accès aux postes importants fut longtemps interdit non seulement aux roturiers mais aussi à la petite noblesse.
25Au Japon, les samouraïs, appelés bushi (武士), étaient une classe héréditaire, de même d’ailleurs que, bien avant eux, la noblesse de Cour (depuis le ve ou vie siècle au moins).
26En résumé, c’est l’inspiration confucéenne qui circule dans la plus grande partie de la littérature politique, historique ou philosophique. La poésie, elle, s’est réfugiée plutôt dans l’inspiration bouddhique et taoïste, surtout lorsqu’elle est composée par des fonctionnaires confucéens qui ont préféré se retirer pour fuir une cour corrompue.
27Je terminerai par quelques citations de grands lettrés vietnamiens. Voici deux vers de Nguyên Trai du xve siècle (il a été un grand serviteur de Lê Loi qu’il a aidé à reconquérir l’indépendance contre les Ming, mais n’a pas eu la place qu’il méritait en 1428 et s’est réfugié dans la retraite) :
Le pêcheur a chanté trois fois, la brume s’étend sur l’étang immense ;
Le petit gardien de buffles a joué de la flûte, la lune est montée haut dans le ciel.
28Un siècle et demi plus tard, un autre lettré, lui aussi réfugié à la campagne, écrivait :
Les fleurs d’abricotier deviennent d’argent sous la lune ;
L’ombre des bambous se divise sous le souffle du vent.
29Et pour finir, je citerai un poème du moine zen du xie siècle Man Giác :
Le printemps s’en va, cent fleurs tombent.
Le printemps revient, cent fleurs s’épanouissent.
Les choses de la vie passent devant mon regard.
La vieillesse déjà arrive sur mes cheveux.
Ne dites pas que toutes les fleurs passent avec le printemps.
La nuit dernière, un rameau de prunus a fleuri dans la cour.
Notes de bas de page
1 Han désigne aussi bien une dynastie (de 206 av. J.-C. à 220 de notre ère) que l’ethnie chinoise dans l’ensemble des peuples de culture chinoise, intégrés ou non dans l’État chinois : c’est dans ce sens que le mot est pris ici, c’est-à-dire au sens de Chinois distinct des Hakka, Tibétains, Mongols, Coréens, Vietnamiens et Japonais.
2 Donc surtout par le silence.
3 Donc préférant la parole ou la méditation.
Auteur
Professeur émérite, université René Descartes Paris-v, spécialiste de poésie vietnamienne.
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