Introduction
p. 5-31
Texte intégral
1Le présent ouvrage fait suite et s’inscrit en parallèle à un premier volume, paru en 2001 dans la même collection « Mélanges » du Centre de recherche français de Jérusalem1. Dans une région, le Moyen-Orient, où cohabitent, plus ou moins simplement, des populations et des communautés religieuses diverses et multiples, certains personnages marquent l’histoire et traduisent des passages de relais. Pour cette raison, symboliquement, la fin de la période ottomane, de 1799 à 1917, avait été résumée par l’emploi des noms de Bonaparte et de Balfour ; c’est la même logique qui a conduit ici au balancement entre le même Lord Balfour et David Ben Gourion, pour incarner la période mandataire britannique au sens large, de 1917 à 1948. Symboles de bouleversement de la région, d’accélération de l’histoire, ces trois décennies entraînent une profonde modification des données politiques, géopolitiques, ethniques, sociales, religieuses de la Palestine, pour ne citer que ces quelques aspects qui seront repris ici, et dont l’analyse participe de l’école des « études mandataires » désormais institutionnalisée, et cela également dans le champ historiographique francophone2. Dans l’ensemble bien connue, la période 1917-1948 est marquée par l’empreinte de la puissance souveraine, britannique3 ; mais elle l’est bien plus par l’émergence des nationalismes juif et arabe palestinien, dont les prolongements se font sentir quotidiennement en ce début de xxie siècle.
La Palestine mandataire : données historiques
2Avant de présenter les contributions qui composent le présent volume, revenons à grands traits sur l’évolution historique de la Palestine entre 1917, achèvement de quatre cents ans de domination ottomane, et 1948, année de la création de l’État d’Israël4.
3Dans les nombreuses études consacrées à la Première Guerre mondiale, le Levant comme théâtre d’opérations est souvent considéré comme une simple annexe de la conflagration qui affecte le continent européen. Si certes les faits d’armes et la stratégie ne permettent guère une assimilation avec le reste du conflit, la Première Guerre mondiale joue bien un rôle fondamental pour l’évolution de la région. La situation militaire explique son implication dans les hostilités, et les bouleversements qui s’en suivent. C’est sur la base d’une alliance militaire secrète entre l’Allemagne et la Turquie, conclue le 2 août 1914, que l’Empire ottoman entre en guerre aux côtés des puissances centrales, au mois de novembre suivant. Cet engagement de la Sublime Porte tranche avec la neutralité que les puissances occidentales, France et Grande-Bretagne, escomptaient de sa part, et à laquelle elles travaillaient activement. De fait, son entrée en guerre suscite la surprise de l’Entente : elle provoque l’ouverture d’un nouveau front, marqué par des opérations très actives d’abord, puis par une stabilisation, avec des difficultés pour les Britanniques à avancer en direction de la Palestine à partir de la presqu’île du Sinaï.
4Cette situation inattendue, avec l’expulsion des religieux ressortissants des pays de l’Entente et la pratique d’exactions, voire de massacres, à l’encontre des populations chrétiennes, et la tentative de faire de même à l’encontre des Juifs, accusés de collaboration avec les pays de l’Entente5, entraînent une accélération de l’histoire. Nombre d’éléments sont déjà en place qui vont contribuer aux données ultérieures (les nationalismes des populations locales), et le déclenchement de la guerre suscite d’intenses réflexions sur le destin du Moyen-Orient. Les opinions des puissances font directement et logiquement suite aux idées antérieures au conflit, relatives à une répartition de l’espace ottoman en sphères d’influence, avec cette fois la possibilité de passer à la réalisation concrète de projets restés jusque-là dans les cartons.
5Ainsi, au cours de la guerre, la Grande-Bretagne effectue des promesses multiples en vue du démantèlement de l’Empire ottoman, qui devient son objectif affiché. Ces promesses concernent d’une part les Arabes : les engagements politiques pris à l’égard du chérif Hussein, à travers la correspondance Hussein-Mac Mahon de 1915, se traduisent par la mise en place de l’insurrection arabe dirigée contre le djihad proclamé par les Turcs ; cette insurrection, guidée par le colonel Lawrence à l’intérieur des terres, à la tête des populations bédouines, a pour but la formation d’un royaume arabe, dirigé par le roi du Hedjaz. Par ailleurs, c’est au cours de la Première Guerre mondiale que les Britanniques se convainquent, ou sont convaincus, de l’importance que le sionisme peut représenter en termes d’action politique : persuadés progressivement que les Juifs peuvent permettre à la fois de maintenir la Russie dans la guerre, mais surtout d’engager les États-Unis dans le conflit, en faveur des pays de l’Entente, les Britanniques en arrivent à promettre aux sionistes la réalisation d’un « foyer national juif » en Palestine, aux termes de la « déclaration Balfour » du 2 novembre 1917.
6De son côté, la France accompagne plus ou moins la Grande-Bretagne dans ses considérations proche-orientales. S’il apparaît que ce théâtre d’opérations ne suscite une intense attention ni des stratèges, ni des politiques français au cours du conflit, les intérêts traditionnels de la France demeurent vivaces dans l’esprit de certains : si la « déclaration Cambon » de juin 1917, exprimant l’intérêt de la France pour le projet sioniste, précède de quelques mois la « déclaration Balfour », il est significatif que le même jour la France se soucie de l’attitude du Vatican quant au respect de la place traditionnelle de la France en Orient, en l’occurrence du protectorat séculaire qu’elle y exerce6. C’est cette logique qui l’emporte dans les esprits français, l’appui au sionisme n’étant que de circonstance, le souci principal étant celui de la constitution d’un Grand Liban pour protéger les chrétiens et la pensée d’une Grande Syrie, incluant la Palestine, qui n’en est que la partie méridionale aux yeux des « syrianistes » français.
7Désireux en apparence d’une action combinée dans cette partie du monde, les deux pays de l’Entente s’accordent sur une répartition des territoires, établie en mai 1916 par les accords Sykes-Picot. Français et Anglais prennent alors note de l’intérêt italien pour la région, Rome étant soucieuse d’inscrire une avancée là en parallèle à sa récente politique coloniale, comme de faire pièce aux tentations monopolistiques françaises en matière de protection des intérêts catholiques7. Tandis que les Russes songent à la réalisation du rêve de tous les Tsars, l’installation à Constantinople, et la reconstitution de l’ancienne Byzance8.
8Les puissances centrales, Allemagne et Autriche-Hongrie, après avoir longtemps été reléguées au second rang dans la concurrence internationale au Levant, et après avoir dû caresser des projets grandioses sans possibilité de les réaliser9, profitent de leurs positions d’alliées de l’Empire ottoman pour passer, en partie, à la concrétisation de ces idées. Sur place, grâce à leur présence militaire aux côtés des Ottomans, elles envisagent de grands plans qui leur permettent de s’imposer à la fois en termes protestants, catholiques, et juifs. Le député du Zentrum Matthias Erzberger passe ainsi en Palestine et mentionne l’acquisition des Lieux saints pour en faire don au Souverain pontife ; l’archiduc d’Autriche Hubert Salvator effectue une mission dans la région en 1917, dans la droite ligne des séjours antérieurs de membres de la Maison de Habsbourg ; et les deux pays manifestent, tardivement (fin 1917-début 1918), leur soutien à la cause sioniste, qui doit trouver son accomplissement dans un Empire ottoman rénové. Tandis qu’une action de subversion est tentée envers les Arabes, contre les Anglais, avec pour initiateur un prêtre catholique tchèque, au service de la double Monarchie, Aloïs Musil10.
9Le fort développement qu’enregistrent les revendications, désormais ouvertement affichées, des puissances européennes à l’égard de cette région entraîne une accélération de la pensée nationaliste de la part des populations locales. La guerre permet en effet une clarification des positions, et chacun choisit son camp, généralement celui de l’Entente qui apparaît de plus en plus comme devant l’emporter, et avec lui les revendications des différentes nationalités. Militairement, et politiquement, ce sont effectivement ces pays qui gagnent sur ce théâtre d’opérations. La ville de Jérusalem est prise par les Alliés dès le début décembre 1917 ; et au mois de septembre 1918, avec la conquête de Damas, c’est la fin de la présence ottomane vieille de quatre siècles. S’installe alors une prépondérance anglaise, en lien avec la très forte composante britannique du contingent militaire qui remporte les victoires décisives. Une administration britannique est rapidement instaurée en Palestine, sous la conduite rigide du maréchal Allenby, qui ne se soucie guère des traditions françaises dans la région.
10La fin de la Première Guerre mondiale entraîne une régulation progressive de la situation. En parallèle aux conférences internationales qui déterminent le sort de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, l’Empire ottoman est au programme des réunions qui font soit directement suite à la défaite turque (Sèvres et San Remo en 1920), soit aux opérations militaires menées par Mustapha Kemal (conférence de Lausanne, 1923) qui annulent une partie des décisions issues des premières rencontres. La division, difficile, de la Grande Syrie en plusieurs entités est consacrée par ces traités internationaux, avec les régions syriennes qui reviennent aux puissances victorieuses officiellement sous l’égide de la nouvelle Société des Nations : à la France la Syrie et le Liban, à la Grande-Bretagne la Palestine. Cette situation n’est toutefois pas sans poser un certain nombre de problèmes. De fait, l’on voit se dessiner une stabilisation dans le sens où la charte des mandats demande aux puissances tutélaires de mener ces régions à réaliser leur épanouissement politique : comme il s’agit de populations politiquement avancées, il est clair que l’indépendance est l’étape qui devra être franchie le plus prochainement possible. Néanmoins, selon certains historiens, et cela correspond indubitablement à une certaine réalité, la solution mandataire n’est-elle pas adoptée pour mieux cacher une politique coloniale, France et Grande-Bretagne se réfugiant derrière la SDN pour mieux réaliser leurs plans de l’époque de la guerre11 ? Dans ces conditions, de nouveaux problèmes se font jour, dus à la fois à la préexistence de sentiments nationaux et à leur renforcement, en réaction à la domination de la puissance mandataire : de fait, les nationalités présentes dans le mandat ont le souci d’accélérer ou de concrétiser la perspective de l’indépendance, telle qu’elle est précisée stricto sensu dans la charte mandataire.
11C’est une situation de troubles qui s’installe très rapidement en Palestine. Dès 1920, les Juifs et les Arabes (chrétiens comme musulmans) s’affrontent ; les Arabes ne pouvant supporter qu’une puissance étrangère, la Grande-Bretagne, leur impose un devenir dont ils ne veulent pas, puisqu’il est la promesse d’une appropriation par une population qu’ils considèrent comme étrangère, à savoir les Juifs dans leur version sioniste. Il est d’ailleurs à noter que les Arabes de Palestine sont alors tacitement, voire explicitement soutenus par la France, qui a encore quelque mal à se résoudre à devoir perdre la Syrie du Sud que demeure encore aux yeux de beaucoup la Palestine. De ce point de vue, les revendications des éphémères comités islamochrétiens correspondent pour une grande partie à celles de la France, avec le souci d’écarter les Juifs, et derrière eux les Anglais, de l’administration de cette région. Et il n’est pas étonnant que les pétitions signées par ces comités soient envoyées au Vatican, avec pour but de prendre la défense des Lieux saints qui ne doivent pas tomber dans les mains des « déicides » juifs ; des Lieux saints qui doivent résolument être garantis par leur traditionnel protecteur, à savoir la France. Ce faisant, agissant à la fois contre les Anglais et les sionistes d’une part, et contre les relâchements du Saint-Siège et les prétentions italiennes d’autre part, les Français ne se rendent pas forcément compte qu’ils encouragent un mouvement nationaliste spécifiquement palestinien, qui se détache progressivement des revendications « grandes syriennes ».
12La puissance mandataire britannique réagit comme le vrai pays colonial qu’elle est. S’installe alors un cycle violences-répression-violences, une spirale qui s’impose pour ne plus quitter la région. La force est appliquée en Palestine par la Grande-Bretagne, elle qui assiste à la multiplication et à la pérennisation des violences interethniques. C’est le cas en 1920, au moment des incidents dits de la Nabi Moussa12 ; 1929, avec la tuerie de Hébron ; ou en 1936-1939, avec la grande grève organisée par les Arabes de Palestine qui bloque toute l’économie du mandat.
13La force n’est toutefois qu’une facette de la réaction de la puissance mandataire à l’égard de revendications contradictoires. De fait, la répétition des incidents entraîne la nécessité de trouver un modus vivendi. Face aux violences répétées et toujours plus vives, et à l’impossibilité de tenir à terme un pays par la force, Londres multiplie l’envoi de commissions. Celles-ci, le plus souvent consécutives aux échauffourées, émettent des rapports multiples. En parallèle aux comptes rendus réguliers remis à la Commission des mandats de la Société des Nations, ces documents constituent de très précieuses sources de renseignements sur la situation du pays. D’une part, ils constatent les faits accomplis : ils reviennent par exemple sur l’exclusivisme juif qui s’impose en lien avec le renforcement du sionisme ; sur le développement d’institutions pré-gouvernementales émanant des organisations sionistes ; ou enfin sur l’augmentation rapide de la population arabe qui devient un facteur progressivement plus important pour la réalité du pays. Au-delà de cette simple constatation des faits, et ce n’est pas la moindre de leurs vocations, ces rapports tentent aussi d’imaginer les moyens de mettre fin aux violences : si les solutions préconisées n’hésitent pas à entrer en collision les unes avec les autres, et si les rapports des commissions ne valent souvent pas plus longtemps que le temps de leur publication, ils ont tous pour but la préparation de l’avenir, ce qui suppose en réalité le retour aux termes de la charte du mandat. Face à l’aggravation de la situation, avec le caractère de plus en plus impossible d’une solution à l’amiable, la commission Peel suggère, en 1937, une partition de la Palestine : celle-ci impliquerait la création de deux États séparés, l’un arabe, l’autre juif, la ville de Jérusalem bénéficiant d’un statut spécial en raison de son caractère intrinsèque. Si ce dernier rapport propose ce qui pourrait être une véritable solution, le projet n’aboutit pas pour autant, en raison des oppositions locales. Ce nouvel échec entraîne de nouvelles violences, si d’ailleurs la réflexion les avait un tant soit peu arrêtées. Et en 1939, constatant une nouvelle fois le caractère insoluble de la situation, la Grande-Bretagne doit mettre un terme radical à ses engagements précédents : c’est le Livre blanc, dont la caractéristique principale est une limitation drastique de l’immigration juive, elle qui semble à l’origine de la vindicte arabe contre les Juifs et les Anglais.
14Outre la Grande-Bretagne et la France, la période mandataire enregistre encore l’activité d’autres pays. Certes, certains rivaux sont à peu près définitivement écartés à la suite de la Première Guerre mondiale. Il en va de la Russie dont les revendications relatives à l’orthodoxie, mâtinées d’ambitions visant Constantinople, sont définitivement mises à mal par la défaite militaire et, suite à la révolution d’Octobre, par la victoire d’un communisme particulièrement anticlérical13. Il en va aussi de l’Autriche-Hongrie, dont les revendications concentrées notamment sur le catholicisme sont abattues par la défaite militaire et la fin de la monarchie, dont la facette liée à l’exercice d’une royauté sur Jérusalem avait justifié une présence importante sur place14. Quant à elle, après un moment de retrait total, à la suite immédiate de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne revient progressivement sur notre terrain. Elle, dont la présence économique ne se démentit jamais, opte tout d’abord pour une action culturelle, confiante qu’elle est en l’attachement des sionistes aux valeurs germaniques, sinon allemandes, qui portent le mouvement fondé par Herzl et continué par des Juifs allemands15. Par la suite, l’adoption de l’antisémitisme comme doctrine étatique dans l’Allemagne hitlérienne guide en grande partie l’attitude des nazis à l’égard d’une Palestine juive de plus en plus présente : s’il est possible pour eux de s’entendre avec les sionistes, lorsqu’il s’agit d’encourager à la fois l’émigration des Juifs allemands et l’essor du commerce allemand en Palestine16, une solidarité s’installe progressivement avec les Arabes de Palestine, eux qui en principe peuvent efficacement lutter contre un État juif qui d’une part attire les suffrages de Berlin, puisqu’une telle entité peut être la solution à la « question juive », mais risque en même temps de devenir le centre de la « conjuration mondiale » qui focalise les fantasmes des nazis. Mais surtout les nazis voient dans les Arabes de Palestine un groupe dont les ambitions nationales peuvent directement mettre à mal la toute puissance britannique au Proche-Orient et en Méditerranée. Soucieuse d’étendre son « espace vital » sur le continent européen, l’Allemagne nazie n’a toutefois pas de véritable idée de la Méditerranée : ce n’est qu’au moment de la Seconde Guerre mondiale qu’une option pro-arabe l’emporte, mais cela arrive trop tard pour que Berlin puisse jouer là un quelconque rôle17.
15Dans une sorte de répartition des rôles, Hitler laisse les mains libres à son homologue italien, Mussolini. À ce titre, l’Italie fasciste fait feu de tout bois : elle poursuit la politique italienne traditionnelle au Levant, soucieuse de préserver, voire d’agrandir sa représentation au sein des missions et institutions catholiques, pour damer le pion aux Français. Elle s’entend avec les sionistes en vertu de la réalisation de l’ambition nationale qu’ils représentent, mais surtout parce que le mouvement fondé par Herzl peut constituer un biais supplémentaire et venir en aide aux ambitions coloniales italiennes en Méditerranée orientale ; et cela bien entendu en contradiction avec les intérêts britanniques. L’action italienne au Levant, en faveur des Juifs, n’est alors que le reflet de l’appui qu’elle offre à leurs coreligionnaires sur tout le pourtour méditerranéen, en voulant leur inculquer les valeurs de la nouvelle Italie. Mais la Rome fasciste mène décidément une politique tous azimuts, puisque Mussolini, qui reçoit et encourage dans cette période à plusieurs reprises le responsable sioniste Haïm Weizmann, vient aussi en aide aux revendications nationalistes arabes, en Palestine comme en Syrie-Liban, à l’encontre des puissances mandataires18.
16Après un entre-deux-guerres particulièrement troublé, la période de la Seconde Guerre mondiale est, paradoxalement, synonyme de pause dans l’agitation politique. Elle correspond à une atténuation relative dans les revendications des populations locales, et donc à une accalmie générale. On enregistre ainsi en Palestine une suspension des actions les plus violentes, qui détonne après la forte radicalisation enregistrée de part et d’autre dans les années précédant immédiatement le conflit. De leur côté, les adversaires de la puissance mandataire, Allemagne et Italie, précisent quelque peu leurs idées, mais l’Italie en particulier ne peut jamais vraiment mettre à mal la prédominance britannique.
17Celle-ci est bien plus mise en cause après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette période correspond à la reprise et à l’accélération des problèmes qui s’étaient posés avant le conflit et qui n’avaient pas été résolus ; comme si la pause du temps de guerre provoquait une radicalisation d’autant plus dramatique après la fin du conflit. Et de fait, les hostilités mondiales terminées, la Grande-Bretagne ne peut passer à côté de ses responsabilités. En Palestine, la violence reprend immédiatement. Elle est d’une part, comme avant la guerre, interethnique, avec poussée des agressions mutuelles entre Juifs et Arabes. Mais d’autre part, caractéristique nouvelle, elle est notamment dirigée contre la puissance mandataire : en témoigne principalement l’attentat particulièrement meurtrier perpétré contre l’administration britannique installée à l’hôtel King David, en juillet 1946. Dans cette situation, qui rend de plus en plus fragile et impossible la position de la Grande-Bretagne, les États-Unis apparaissent comme le recours. C’est sous leur égide que l’ONU, succédant à la SDN, prend les affaires en main. La réflexion qui y est menée aboutit au vote, en novembre 1947, d’un plan de partition, qui propose les mêmes modalités que le plan Peel de 1937. Dans ces conditions, Londres peut se défaire de sa lourde responsabilité et d’un territoire devenu ingérable : le gouvernement britannique annonce que la Grande-Bretagne va abandonner son mandat le 15 mai 1948. À la veille du départ du dernier soldat britannique, les sionistes, en la personne de David Ben Gourion, proclament l’État juif, qui doit s’étendre sur le territoire à lui attribué par le plan de partition. Dès le lendemain, les États arabes déclarent la guerre à la nouvelle entité. La Palestine/Israël/Terre sainte entre alors dans une époque nouvelle, bouleversement politique qui n’est pas synonyme de fin de l’histoire, bien au contraire.
De Balfour à Ben Gourion
18Le bref aperçu historique qui précède illustre les bouleversements de la région entre 1917 et 1948. Si les données de base sont profondément modifiées, il est toutefois encore possible d’adopter l’approche utilisée dans le volume précédent, c’est-à-dire celle visant à souligner les présences des diverses puissances européennes, leur impact sur et leur interaction avec les éléments sur place. Dans la Palestine mandataire britannique, très marquée par l’influence de Londres, sous de multiples aspects, les présences des autres puissances sont encore très fortes, ou pour le moins celles-ci souhaitent préserver une imprégnation qui leur soit propre19. C’est à la présentation de ces multiples facettes que s’attellent les contributions qui suivent, sans vocation à l’exhaustivité et selon des approches et des natures diverses.
19Deux premiers textes permettent de présenter, en préalable à l’installation britannique en Palestine, l’interaction entre religion et politique qui marque les mentalités de Grande-Bretagne lorsqu’il est question de la Terre sainte. Eitan Bar Yosef expose ainsi la confrontation entre Palestine idéalisée et Palestine réelle dans la mentalité britannique. Retraçant la reprise, en Grande-Bretagne, de la thématique de la Croisade au cours de la Première Guerre mondiale, il en met en évidence la mise en scène et souligne que la nostalgie de la Terre sainte reflète, voire cache, celle relative à la mère patrie. Contredisant certains acquis, il met en avant le souci des autorités militaires d’éviter toute assimilation entre les opérations du moment et les croisades. Alors que les Français opèrent de façon semblable20, on n’en est pas moins dans une réelle ambiguïté. D’un certain point de vue, c’est bien là une croisade qui n’avoue pas sa vraie nature, avec alignement de l’imaginaire sur la réalité, pour la première fois dans l’aventure impériale britannique. C’est ainsi que s’impose, en juin 1917, l’idée de conquérir Jérusalem avant la Noël suivante, et que l’on escompte, du côté britannique, l’effet attendu par la prise de Jérusalem : peu au point de vue stratégique, beaucoup au point de vue symbolique21. Mais l’impact en est redouté auprès des Arabes musulmans (de la même manière que les Français soupèsent dans leur action l’aspect musulman de l’Empire colonial), ce qui entraîne l’engagement de soldats musulmans dans les troupes devant prendre la ville et y demeurer (une fois encore les Français procèdent de même, en impliquant des troupes coloniales dans le Détachement français de Palestine et de Syrie). L’image de la croisade est de plus ambiguë parmi les soldats eux-mêmes, à l’instar de l’un de leurs plus illustres représentants, le colonel Lawrence. Dans tous les cas, aux yeux des décideurs britanniques, il s’agit de se distinguer d’épisodes plus récents, qui ont montré la dangerosité d’une utilisation abusive de la thématique de la croisade : cela se traduit par le positionnement très prudent de l’entrée d’Allenby par rapport à celle de Guillaume II.
20De son côté, Sarah Kochav, dans sa contribution portant sur « le Mouvement du témoignage adventiste et la déclaration Balfour », traite de la mise en parallèle d’une révolution du statut de la Terre sainte et de la prévision de temps nouveaux. Si le mouvement dont il est ici question n’a pas de véritable impact sur la politique anglaise, c’est une situation inédite qui s’instaure dans la période mandataire, suscitant la curiosité, voire la sympathie, de dirigeants européens. Selon une thématique proche de celle de Bar Yosef, comme de celle de Ruth Kark dans le volume précédent22, on observe l’idée d’un passage de la rêverie à la réalité par le biais de la déclaration Balfour. Celle-ci est le catalyseur d’une foi ancienne, particulièrement répandue dans les mouvements évangéliques anglo-saxons du xixe siècle : le retour des Juifs en Terre promise doit rendre plus rapide le retour du Messie, et donc l’apocalypse. Cette foi est partagée, certes avec moins d’ardeur, par certains protestants germanophones23 ; et elle est encore d’actualité parmi certains mouvements protestants, notamment américains24. Le mouvement décrit par S. Kochav est étroitement lié à la progression britannique sur place ; et l’enthousiasme que suscite l’entrée d’Allenby dans Jérusalem se poursuit, puisque la modernisation initiée par les nouveaux dirigeants de la Terre sainte est vivement saluée par les évangéliques britanniques ; à la grande différence des milieux catholiques soucieux de maintenir une Jérusalem identique à elle-même et de lutter justement contre toute dénaturation effrénée attribuée aux protestants, alliés des Juifs. Les considérations millénaristes sont donc parallèles aux considérations géopolitiques, et d’une certaine manière la création de l’État d’Israël est bel et bien l’aboutissement de ces prophéties ; mais celle-ci s’effectue sans, pour ne pas dire contre la volonté de la Grande-Bretagne. En ce sens le mouvement dont il est ici question est bien le reflet d’une époque, mais aussi la fin d’un mouvement inauguré au xixe siècle.
21Inaugurant une série de contributions portant sur l’empreinte de la puissance britannique, Yehoshua Ben Arieh rappelle les étapes du développement de Jérusalem. Il précise la densité de cette période, passage rapide et radical au développement, après la léthargie ottomane. Il insiste sur le rôle et l’enthousiasme des Anglais, Herbert Samuel, premier Haut-Commissaire, et Ronald Storrs, premier gouverneur de Jérusalem, notamment ; des Anglais qui apportent leurs propres contributions architecturales et urbaines, ou modifient certaines constructions déjà présentes. Comme il le souligne, les autres puissances sont certes en retrait par rapport à l’époque précédente ; mais l’on peut toutefois préciser que par exemple la France ou l’Italie demeurent actives, avec la réalisation ou finalisation d’entreprises initiées avant la Première Guerre mondiale : ce sont la construction de l’hôpital italien, l’édification des églises de Saint-Pierre en Gallicante, de Notre-Dame de l’Arche d’Alliance au-dessus d’Abou Gosh, et surtout celle de l’imposant consulat général de France, en réponse à l’édification du bâtiment du Haut-Commissariat britannique. Le développement de la ville inclut également les populations locales, Juifs25 et Arabes, qui contribuent grandement au changement de l’image de la ville, avec notamment une montée de la classe bourgeoise arabe, comme l’a récemment rappelé l’écrivain israélien Amos Oz, dans sa chronique familiale romancée, Une histoire d’amour et de ténèbres26.
22Pour illustrer ce propos, Ron Fuchs évoque la personne de William Harvey. En parallèle à certains constats de Ruth Kark27, il insiste sur la pose paternaliste et colonialiste anglaise dans la conduite du développement de Jérusalem28 : fort d’observations antérieures, Harvey envoie ainsi de Londres des recommandations pour la restauration du Saint-Sépulcre, sans se soucier des communautés religieuses. Ce faisant, la Grande-Bretagne essaie de renforcer sa propre image, inventée après la prise de Jérusalem, en décembre 1917. Par son souci d’une représentation idéalisée de la Palestine, à réaliser par des travaux de restauration, Harvey est à comparer à des acteurs contemporains, comme John Garstang, directeur du Service des antiquités du Mandat, ou Ronald Storrs, instigateur de la Pro Jerusalem Society. Illustrant les efforts britanniques de préservation à l’identique de la Terre sainte, il s’inscrit en parallèle à d’autres observateurs, comme les Dominicains français, attentifs à retrouver les réminiscences de la Terre sainte biblique, voire à la reconstruire29. Retraçant les conditions difficiles d’avant la Première Guerre mondiale, avec la méfiance à l’égard des « étrangers » de la part des fidèles du Dôme du Rocher, du Saint-Sépulcre ou de la basilique de la Nativité, Fuchs décrit un Harvey qui suscite la même méfiance que celle expérimentée par les Dominicains dans leurs voyages archéologico-ethnologiques. Arrivant à ses fins et pouvant observer de près des éléments inaccessibles jusque-là, il se trouve placé aux confins du romantisme et de l’orientalisme. Mais sa formation et sa curiosité lui permettent de dépasser les clichés et les blocages, de redécouvrir des apports orientaux, et de sortir du tropisme purement chrétien. Observant et décrivant les monuments avant la Première Guerre mondiale, il passe ensuite à l’action et à leur restauration. Son travail reflète l’importance de la région : il concerne des monuments qui ne sont pas seulement des bâtiments, mais aussi des Lieux saints.
23Gideon Biger se fixe quant à lui pour but de délimiter les motifs des activités britanniques en Palestine. Il focalise son attention sur leurs divers aspects, dans une région à développer au nom du mandat reçu de la SDN, et décrit un ensemble d’activités dont les résultats sont encore notables aujourd’hui. Cette pratique n’est pas seulement désintéressée et philanthropique, puisqu’elle n’est pas dénuée de touches colonialistes ; elle s’inspire directement d’antécédents coloniaux britanniques. Et le développement économique de la région est aussi, en lui-même, un facteur de progrès ou de régression pour les groupements de population qui saisissent ou ratent cette nouvelle étape dans l’évolution du pays30.
24Un autre exemple de cette modernisation est donné par Yossi Ben Artzi, qui traite de la particularité de Haïfa et de son développement pendant le mandat britannique. Selon lui, cette ville est le meilleur reflet du développement urbain dans la période mandataire ; avec toutefois des caractéristiques propres, notamment dues au contexte particulier d’une ville où semble régner une certaine harmonie entre Juifs et Arabes. Il relève aussi que les Britanniques ne sont pas, ici non plus, dénués d’arrière-pensées, avec des préoccupations qui ne sont pas sans rappeler celles qui marquent ce début de xxie siècle : développer Haïfa, c’est pour Londres agir en fonction d’un hinterland proche et lointain, comprenant notamment le pipe-line irakien et son débouché méditerranéen. Pour leur part, Juifs et Arabes considèrent également la ville comme un pôle majeur de leur propre développement, ce qui ne donne que plus de poids aux développements tragiques de la fin de la période, en particulier au départ en masse des Arabes de la ville31.
25Naomi Shepherd se penche sur le système médical et les soins comme objets de divisions entre les diverses populations dans la période mandataire. Dans l’ensemble, il s’agit là d’un élément de fort progrès dans une région plutôt négligée jusque-là (par exemple en matière de lutte contre la malaria, et cela dès la conquête de la Palestine). Mais l’on doit aussi souligner des problèmes récurrents, dus à la situation politique générale, comme aux inconséquences de la puissance mandataire. Les difficultés sont notamment dues à la nécessité d’investir dans la sécurité plus que dans le secteur social. Se pencher sur ce domaine, c’est également mettre en avant les décalages grandissants entre les populations locales, entre Juifs et Arabes : s’imposent ici en effet les impacts de la dispersion communautaire sur le réseau médical, lorsque certaines populations ou certaines zones sont négligées ; il en va également d’un décalage qualitatif et quantitatif croissant en terme médical, particulièrement notable à partir de la cinquième aliyah, marquée par l’arrivée de spécialistes allemands. Se pencher sur les aspects sanitaires du mandat britannique, c’est encore mettre en avant les effets bénéfiques ou néfastes de la modernisation de la région : lorsque l’assèchement de marais et le développement de l’irrigation, ou l’établissement de certaines industries peuvent influer en bien ou en mal sur l’état général de santé.
26Parmi les efforts britanniques visant à imposer une marque à la région, le développement des infrastructures n’est pas le seul outil. C’est ainsi qu’Assaf Likhowski indique dans sa contribution sur le « droit comme objet de conflit culturel anglo-français dans la Palestine mandataire » que l’instrument juridique est un moyen d’imposer une identité culturelle. À ce titre, les Anglais arrivent en Palestine avec un schéma pré-établi, tandis que les Juifs développent en parallèle une école de droit qui s’intègre dans leurs propres visées nationales. On assiste alors à un véritable conflit culturel, dans une Palestine mandataire en pleine mutation identitaire pour chacune des composantes de la population, avec la quête de la part des populations de Palestine d’une place entre Orient et Occident, d’une appartenance et d’une loyauté culturelle. Par la démonstration du conflit entre traditions française et anglaise, A. Likhovski souligne qu’il ne s’agit pas seulement d’une confrontation pédagogique, mais aussi juridique. Il le fait à l’appui de deux exemples : c’est la réaction arabe contre la volonté britannique d’angliciser le système judiciaire ; et le souci sioniste de mettre en place une École de droit concurrente à celle des Anglais32. De la part des uns et des autres, il y a rejet du modèle britannique, et recours au modèle français, avec retour sur des traditions intégrées au xixe siècle, elles-mêmes rejetées par les Britanniques. La rivalité sioniste s’impose, avec mise en place d’une école de droit sioniste, unique en son genre, et un retour romantique à une « pureté » juive (et vaine tentative arabe de faire de même dans les années 1930) ; une initiative à son tour rejetée par les Britanniques. Mais en même temps l’école de droit sioniste incarne plus un objectif académique que pratique : les cours de droit organisés par les Anglais existent pour former des assistants locaux ; alors qu’il s’agit pour les sionistes de donner naissance à l’élite juridique (et politique) future.
27La partie suivante aborde l’influence et les regards extérieurs, ceux des autres puissances intéressées par la Palestine, soulignant là aussi les continuités ou les ruptures. Cette dimension apparaît de manière éloquente au cours des premières années de l’Université hébraïque. Comme le montre Dominique Trimbur, la nouvelle institution d’enseignement supérieur, inaugurée en 1925, est replacée dans un cadre plus général, et insérée dans les politiques culturelles (sinon impérialistes) rivales des pays intéressés par la Palestine. On assiste alors à l’instrumentalisation d’un établissement faisant partie intégrante du projet national juif. Pour certaines de ces puissances, l’implication dans le fonctionnement de l’Université hébraïque participe de la « découverte » d’une nouvelle population, ou du renforcement d’un certain groupe de population dans une Palestine en plein bouleversement. Il s’agit pour elles d’influencer ses élites, à l’instar des pratiques habituelles de toute politique coloniale33. On a alors un cas représentatif de la focalisation des unes et des autres puissances sur l’influence prédominante, vérifiée ou non, de l’une ou l’autre ; et de leur part une concentration sur la culture, symbole de ce qui est en train de changer dans la nouvelle Palestine : elle constitue une véritable possibilité d’agir, alors que la situation politique paraît figée, et de jouer un rôle au sein de la quête d’identité de la part de l’Université hébraïque comme de la Palestine juive. Au total se pose la question de savoir si les puissances en question prennent véritablement en compte les bouleversements locaux : car à la découverte réelle d’une nouvelle population correspond la pratique continuée d’une instrumentalisation, dans le prolongement de la période ottomane. Dans le même temps, il y a instauration et pratique d’une nouvelle politique, l’action culturelle à l’étranger34. Cette action culturelle est à son tour un élément de continuité : le rayonnement culturel apparaît comme prévalant pour les différents pays évoqués, les régimes changent, le pays reste, ce qui est aussi accepté par les responsables de l’Université hébraïque, à travers certaines constellations qui peuvent étonner.
28Dominique Jarrassé, traitant des visions françaises de la Palestine de l’entre-deux-guerres, appose des images sur les concepts énoncés dans les différentes contributions précédentes. Spécialiste réputé de l’art et de l’architecture des synagogues35, il se penche sur la vogue orientaliste en France dans l’entre-deux-guerres, en évaluant s’il existe une différence, ou pas, dans les approches juives et non-juives à l’égard de la Palestine. Or la « mode palestinienne » s’appuie sur des traditions et des clichés, sans vraiment s’en distinguer, et cela même quand la représentation est d’obédience sioniste. De ce fait s’imposent la difficulté de représenter la nouvelle réalité palestinienne et le maintien de l’orientalisme dans la perception de la Palestine, avec d’ailleurs un certain encouragement de la part des sionistes eux-mêmes ; où l’on constate qu’il n’existe pas de profonde différence avec les autres représentations occidentales36. D’où également un décalage entre la vraie appréciation et la représentation : l’image qui est transmise est idéalisée, alors que les impressions sont plus négatives, ou pour le moins réalistes. La contradiction est également essentielle : par la représentation imagée s’impose la foi en une Palestine d’avenir, juive et sioniste, doublée du mépris pour la Palestine du passé, ottomane et arabe ; mais les représentations révèlent aussi une certaine nostalgie à l’égard d’un monde appelé à disparaître. Comme l’a rappelé en son temps Michel Trebitsch, l’orientalisme le plus classique, pour ne pas dire le plus kitsch, est utilisé par exemple lors de l’inauguration de l’Université hébraïque37. À l’encan, certains artistes intéressés par une Palestine moderne restent engoncés dans des vues parfaitement conformistes et s’alignent sur l’art colonial.
29Dans le domaine politico-religieux, Paolo Pieraccini revient sur « le Patriarcat latin de Jérusalem et la France, 1918-1940 » : il montre que, dans une période où la France est soucieuse de défendre ses acquis catholiques, à défaut d’avoir pu imposer ses vues politiques, elle a du mal à accepter un prélat qui lui semble faire le jeu de l’Italie. Cela concerne la nomination et la mise en place du nouveau Patriarche, comme les rapports progressivement difficiles de Mgr Barlassina avec la France38. D’une certaine manière, sur le modèle de ce qui se pratique dans le cas de l’Université hébraïque, on assiste à une instrumentalisation de l’outil catholique en Palestine, avec manipulation des indigènes au profit des uns et des autres, comme reliquat de la querelle de la latinisation39. Dans les faits toutefois, un Patriarche latin est d’abord et avant tout un responsable catholique, qui partage avec le représentant français une opposition commune aux autorités mandataires. Où l’alignement catholique (Église et France catholiques) connaît des aléas, notamment en raison de questions de personnes (les relations sont tendues entre le consul général Doire et Barlassina, elles sont plus aisées avec le consul général d’Aumale – mais d’Aumale n’est pas apprécié par les communautés françaises...) ; tandis que France et Église catholiques partagent la même défiance vis-à-vis d’un éventuel Patriarche indigène, comme il en est déjà question à ce moment40. Au total, dans l’univers catholique de la Terre sainte britannique, le temps fait son œuvre, au profit de l’Église, au détriment de la France.
30Yeshayahu Jelinek revient sur un épisode oublié : la « visite d’un ami » celle du président tchécoslovaque Thomas G. Masaryk en Palestine, en avril 1927. Peu connue, cette visite fait partie des rares passages en Terre sainte de hauts responsables politiques internationaux avant la création de l’État d’Israël. Première personnalité d’un tel rang à passer en Palestine mandataire, Masaryk s’intéresse à tous les aspects de la région, particulièrement les développements sionistes : humaniste, il encourage cette expérience ; chrétien, il en dénonce la facette communisante. En tant que président de la Tchécoslovaquie, il représente un jeune État, l’un des successeurs de l’Autriche-Hongrie, monarchie en son temps fortement liée à la Terre sainte ; s’il incarne une sorte de rupture avec l’empire des Habsbourg, il n’en reste pas moins qu’il représente également son propre intérêt personnel, ainsi que celui de larges cercles pour l’Orient41. Faisant montre d’une vive attention pour la chrétienté, il n’est pas seulement un soutien à la cause initiée par Herzl, comme les Juifs et les sionistes veulent le comprendre. De plus, et de manière assez contradictoire, il est le compatriote de certains Juifs pragois sionistes (Max Brod ou Shmuel Hugo Bergmann, eux-mêmes très germanophones...). Au-delà des multiples aspects et motivations de Masaryk, Jelinek décrit en détail les multiples rencontres qu’il effectue, dans une tournée qui le mène dans les principaux endroits d’une Palestine éternelle et en plein bouleversement, qui le fait traverser la Terre sainte et la Palestine nouvelle42. Ce périple inédit lui fait découvrir une autre réalité juive que celle d’Europe de l’Est ; mais on note également la persistance de clichés antisémites de la part de certains de ses accompagnateurs, sinon de lui-même. Où Masaryk oscille entre le philosémitisme qui fonde sa popularité auprès des Juifs d’Europe comme de Palestine43, et le reflet de certaines traditions très catholiques dont il est imprégné44 ; une perception ambivalente qui se retrouve pleinement dans les réceptions de son périple, très distinctes selon les approches, comme s’il s’était agi de deux séjours différents, ou pour le moins d’une Palestine à géométrie variable.
31Variable, cette Palestine est aussi multiple, comme veut ensuite le montrer l’évocation des communautés arabes. Qustandi Shomali propose ainsi une description du « développement culturel arabe en Palestine pendant la période mandataire ». Dressant l’inventaire de ses champs d’expression, il souligne que cette époque, malgré les restrictions imposées par les bouleversements à répétition, est bien une phase de réveil et de développement, dans la continuité de la période antérieure45. En parallèle au tableau offert par Tom Segev46,il va à l’encontre de ce que les sionistes ou certains représentants français pensent à ce moment : il est bel et bien possible de faire quelque chose du point de vue culturel du côté arabe47. Si la culture a un rôle éminemment politique dans un contexte qui empêche toute échappée, si elle est fondamentale pour la production d’éléments en vue de la (re)constitution d’une identité palestinienne arabe48, elle peut aussi, naturellement, endosser des caractéristiques purement culturelles. Shomali nous présente ainsi le jeu d’aller-retour entre la culture locale et les cultures étrangères, avec une littérature « normale », un genre qui n’échappe pas au conflit traditionnel entre anciens et modernes ; qui dénote la réalité d’une formation qu’il faut aller chercher ailleurs, dans les établissements d’enseignement arabes d’Égypte ou du Liban. En ce sens, et dans un singulier retour au politique, certains genres littéraires n’échappent pas aux modèles, bien plus, ils s’apparentent à la production du camp adverse. Dans un rapprochement qui peut ne pas être trop audacieux, la poésie arabe palestinienne qui fait l’éloge du martyr est-elle si différente d’un poétique sioniste qui met en avant les mêmes vertus49 ? Et dans les faits, l’exigence de construction identitaire en appelle dans les deux camps à des ruptures, à des réformes de la société : de la même manière que le judaïsme politique veut rompre avec une trop grande imprégnation religieuse, le nationalisme arabe des années du mandat, dans sa version culturelle, est très critique envers des autorités religieuses jugées trop conciliantes envers l’administration britannique et le cours des choses50.
32Anthony O’Mahony, quant à lui, se penche sur les chrétiens, arabes, locaux, leur situation juridique et leur évolution dans un environnement politique, juridique et culturel bouleversé. Les principales caractéristiques en sont l’obéissance au nouveau pouvoir, comme le maintien d’une autonomie relative dans certains domaines. Les communautés chrétiennes sont alors placées entre tradition et modernité ; entre les différentes Églises et autorités (civiles et religieuses) ; et entre les diverses puissances. Alors que la communauté musulmane enregistre une sorte d’inversion (puisque, représentants d’une religion majoritaire liée à l’autorité ottomane, les musulmans deviennent en quelque sorte un millet), se pose la question des biens de ces communautés et de leur statut. Mais cette question n’est qu’une facette d’une véritable étude sociologique51, qui analyse la découverte d’une majorité en terme politique de la part de la population de haut niveau qu’est la communauté chrétienne. Sa forte participation au mouvement national palestinien est réelle ; s’imposent toutefois des contradictions et des oppositions avec le courant musulman majoritaire. Les comités islamo-chrétiens, déjà évoqués, sont un cas unique et passager, avec d’une part obéissance ou intégration des prétentions françaises, mais en même temps prise de distance à l’égard de toute instrumentalisation ; il en va pour eux du refus du sionisme, mais à terme aussi du rejet de toute occidentalisation excessive. Le but arabe commun ne peut toutefois dissimuler la mise à l’écart progressive des chrétiens, et partant leur frustration quant à l’évolution du mouvement nationaliste.
33Pour conclure, la dernière partie est consacrée à la nouvelle accélération de l’histoire que constitue la fin de la période mandataire, dans une sorte de répétition du processus induit par le premier conflit. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et alors que semblent s’esquisser pour elle des potentialités de reprise d’un contrôle relatif de la situation, la France est en quête d’une solution qui lui permette de préserver, voire de retrouver son statut ancien, en Palestine comme dans le reste du Levant52. Comme le montre Tsilla Hershco, les institutions catholiques françaises ont été, comme elles sont encore aujourd’hui, « un facteur majeur de la politique française à l’égard de la question de la Palestine ». L’auteur met notamment en avant l’extrême sensibilité de certains diplomates français à l’égard de la problématique, en particulier le consul général de France à Jérusalem, René Neuville ; une sensibilité réelle et perçue avec encore plus d’acuité, voire avec incompréhension – feinte ou réelle – par leurs homologues israéliens, dont le point de vue est ici souligné. À ce titre, ces institutions ne sont toutefois pas seulement des atouts ; elles constituent des sources d’hésitations pour les options françaises en ce qui concerne le sort de Jérusalem ; à ce titre, elles doivent s’effacer derrière des considérations géopolitiques relevant d’un nouveau contexte, celui de la Guerre froide, considérations qui vont inaugurer l’« âge d’or » des relations franco-israéliennes que sont les années 195053.
34De manière évidente, la France n’est pas la seule à être intéressée par le devenir de la région au sortir de la guerre. Ainsi, le destin de la Palestine est au centre des réflexions internationales, pour en devenir progressivement l’une des préoccupations principales. Dan Bitan revient ainsi sur les solutions envisagées au sein de l’ONU face à la radicalisation de la crise, en 1947. Sa contribution souligne une remise en cause de l’appellation passée à l’histoire : de fait, et à l’aide d’une présentation très fouillée, plutôt que d’une partition, il faudrait parler selon lui d’une confédération supervisée par l’Occident ; une solution qui permettrait nolens volens de poursuivre le régime mandataire, en établissant le moyen de garder la région sous une tutelle internationale, au nom d’un Occident chrétien particulièrement anachronique mais à l’époque encore attaché à des traditions millénaires. Où les Lieux saints conservent tout l’attrait qui avait suscité les mêmes débats et convoitises à l’issue de la Première Guerre mondiale54, sinon tout au long du xixe siècle, quand il avait été question de faire de la Palestine une principauté chrétienne dominée par l’Occident55.
35Car à l’esprit d’une partie de la communauté internationale – occidentale –, il semble bien exister l’idée de continuer à s’approprier le destin de la Palestine, dans des conditions pas toujours réglées en conformité avec les circonstances locales. Ceci est mis en exergue de manière très crue par Ilan Pappe, qui analyse la « division des dépouilles mandataires » et se penche sur la « Palestine sans les Palestiniens ». Où il s’inscrit pleinement en faux par rapport à l’état des lieux établi par les Britanniques : ayant reçu en 1917 « une Palestine, entière56 », elle ne l’est plus lorsqu’ils transmettent le relais. Du point de vue de Pappe, qui est celui d’une histoire d’ » en bas », en 1947-1948, tout est réglé par avance : c’est une consultation britannique entre les Hachémites de Transjordanie/Jordanie et les sionistes, qui ne laisse aucune part aux Arabes palestiniens. On assiste alors à une évacuation qui est une véritable fuite : après les vaines tentatives de règlement, le souci est de se débarrasser de l’affaire au plus vite. Partant, et à l’encontre de toute obligation juridique ou coutumière, Londres rejette toute implication dans le règlement définitif, pourtant voulue par les États-Unis puis par l’ONU ; pour le reste, il n’existe pas de préoccupation majeure, avec pour conséquence l’exploitation de la situation par les sionistes – puis Israéliens –, comme par Abdallah de Jordanie. Partis, les Britanniques comptent toutefois préserver une influence : les officiers de la Légion arabe sont tous des Britanniques, Londres est soucieux de conserver une position sur place, afin d’être présent en cas de conflit généralisé (l’un des schémas voulant que la Troisième Guerre mondiale – à venir – se déroule au Moyen-Orient) et de lutter contre Hadj Amine al Husseini, ancien allié et désormais vieil ennemi de la présence britannique au Moyen-Orient57. Il n’en reste pas moins que le mandat britannique en Palestine permet bel et bien au projet de Herzl de se concrétiser, les Britanniques ayant permis aux sionistes de se renforcer et d’édifier un État dans l’État. En parallèle, insiste Pappe, on observe une limitation de l’épanouissement des populations locales, en particulier des Arabes, qui aboutit à leur affaiblissement économique, culturel, et surtout politique. En ce sens, l’article s’inscrit pleinement dans le style (« purification ethnique ») et la lignée des travaux d’Ilan Pappe, dont on peut penser qu’il est le dernier représentant de l’« école » des nouveaux historiens : alors que son dernier ouvrage a été traduit en français en 2004, l’un de ses plus célèbres collègues, Benny Morris, a effectué un revirement spectaculaire au début de la même année58. Et avec le raidissement de la société israélienne consécutif à la « deuxième Intifada », c’est désormais une école plus traditionnelle qui s’impose59.
36La période 1947-1948 est synonyme de passage radical à une nouvelle ère de l’histoire de la Terre sainte/Palestine/Eretz Israël : avec l’avènement de l’État juif et le bouleversement qui en découle pour tout le Moyen-Orient, en parallèle à la constitution (ou à la non-constitution) de véritables entités arabes, l’implication des puissances européennes, sur le modèle de ce qui prévalait depuis plus d’un siècle, n’est désormais plus d’actualité ; ainsi est écartée, définitivement ( ?), l’approche adoptée dans le présent ouvrage et celui qui l’avait précédé.
37Note : Les textes suivants ont été traduits de l’anglais par DT : E. Bar-Yosef,
38Y. Ben Arieh, Y. Ben-Artzi, G. Biger, D. Bitan, R. Fuchs, Y. Jelinek, S. Kochav,
39A. Likhovski, N. Shepherd, A. O’Mahony, I. Pappe. L’article de T. Herschco a été traduit de l’hébreu par Marion Krivine ; la version française en a été révisée par DT.
Notes de bas de page
1 Dominique Trimbur et Ran Aaronsohn (dir.), De Bonaparte à Balfour – La France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917, collection « Mélanges » du CRFJ, vol. 3, Paris, CNRS Éditions, 2001.
2 On pense notamment au volume dirigé par Peter Sluglett et Nadine Méouchy, issu d’un séminaire de l’Institut français d’études arabes de Damas et des « Semaines des études mandataires » d’Aix-en-Provence de juin 2001 : The British and French Mandates in Comparative Perspectives/Les mandats français et anglais dans une perspective comparative, Leiden, Brill, 2004.
3 Dans le domaine des sources et de l’historiographie, la connaissance des perception et représentation britanniques contraste avec la relative faiblesse concernant la perspective et l’exercice du pouvoir ottoman en Palestine. Certains travaux récents permettent de lever une partie de cette inconnue : voir notamment David Kushner, To Be Govenor of Jerusalem – The City and District during the Time of Ali Ekrem Bey, 1906-1908, Istanbul, Isis Press, 2005.
4 Pour aller plus loin, le lecteur francophone bénéficie désormais des études monumentales d’Henry Laurens : Le Retour des exilés – La lutte pour la Palestine de 1869 à 1997, Paris, Robert Laffont (coll. Bouquins), 1998 ; La Question de Palestine, Tome premier 1799 –1922, L’Invention de la Terre sainte, Paris, Fayard, 1999, et Tome deuxième 1922-1948, Une Mission sacrée de civilisation, Paris, Fayard, 2002.
5 Tentative stoppée par les consuls allemand et autrichien en Palestine, en collaboration avec le consulat d’Espagne, le comte de Ballobar (voir Conde de Ballobar, Diario de Jerusalén [1914-1919], Madrid, Nerea, 1996).
6 Voir Dominique Trimbur : « Une lecture politique de la mission pour l’Union : la France et la mise en place de la Sacrée Congrégation Orientale, 1917-1922 », in Chantal Paisant (dir.), La Mission en textes et en images xvie-xxe siècles, Paris, Karthala, 2004, pp. 451-470.
7 Voir Marta Petricioli, « Ohne Boden unter den Füßen : Italiens Versuche zur Herausforderung der Großmächte im östlichen Mittelmeerraum 1918-1925 », in Linda Schatkowski Schilcher, Claus Scharf (dir.), Der Nahe Osten in der Zwischenkriegszeit 1919-1939, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1989, p. 128 sq.
8 Voir Elena Astafieva, « Imaginäre und wirkliche Präsenz Rußlands im Nahen Osten in der zweiten Hälfte des 19. Jahrhunderts », in Dominique Trimbur (dir.), Europäer in der Levante – Zwischen Politik, Wissenschaft und Religion (19.-20. Jahrhundert) -Des Européens au Levant – Entre politique, science et religion (xixe-xxe siècles), Munich, Oldenbourg, 2004, pp. 161-186.
9 On pourra consulter notre brève présentation des ambitions allemandes : « Une puissance nouvelle au Levant : regards allemands, 1840-1917 », in Bernard Delpal, Bernard Hours, Claude Prudhomme (dir.), France-Levant : de la fin du xviie siècle à la Première Guerre mondiale, Paris, Geuthner, 2005, pp. 89-100.
10 À propos de la protection des intérêts français par le consul espagnol Ballobar, notamment à l’encontre des offensives politico-religieuses catholiques allemande et autrichienne, voir Jean-Marc Delaunay, « L’Espagne, protectrice des intérêts français en Palestine au crépuscule de la domination ottomane », in Méditerranée, Moyen-Orient : deux siècles de relations internationales – Recherches en hommage à Jacques Thobie, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 93-107. Le lecteur peut également se reporter à Dominique Trimbur : « Le destin des institutions chrétiennes européennes de Jérusalem pendant la Première Guerre mondiale », Mélanges de Science Religieuse,n° 4, octobre-décembre 2001, pp. 3-29.
11 Roger Heacock, « Le système international aux prises avec le colonialisme : les délibérations sur la Palestine dans la Commission permanente des Mandats de la Société des Nations », in Sluglett/Méouchy, op. cit., pp. 129-142.
12 Du nom du pèlerinage musulman au tombeau de Moïse, près de Jéricho, qui donne traditionnellement lieu à des regroupements houleux de foule à Jérusalem.
13 Il faut attendre la mobilisation de toutes les forces de l’URSS, y compris de l’Église orthodoxe, au cours de la Seconde Guerre mondiale, pour voir remises au goût du jour les valeurs qui avaient constitué la base de la présence impériale russe en Palestine.
14 Il est significatif de ce point de vue que le recueil de documents émanant du consulat d’Autriche en Palestine, publié en 2000 dans sa version allemande, s’arrête en 1917 : Mordechai Eliav (en collaboration avec Barbara Haider), Österreich und das Heilige Land – Ausgewählte Konsulatsdokumente aus Jerusalem, 1849-1917, Vienne, Académie autrichienne des Sciences, 2000.
15 Dominique Trimbur, « La politique culturelle extérieure de l’Allemagne, 1920-1939, le cas de la Palestine », Francia, 28/3, 2001, pp. 35-73. Cette politique culturelle allemande concerne également les Allemands installés sur place (membres de la secte des Templer, représentants des Églises protestante et catholique), dans la continuité de ce qui avait été engagé au cours de la deuxième moitié du xixe siècle (pour une description récente de l’aspect catholique : Oliver Kohler, Zwischen Zionssehnsucht und kaiserlicher Politik – Die Entstehung von Kirche und Kloster Dormitio Beatae Mariae Virginis in Jerusalem, St. Ottilien, EOS, 2005).
16 C’est ce qui est pensé dans l’accord de transfert signé en 1933 (voir à ce propos Francis R. Nicosia, The Third Reich and the Palestine Question, Austin, University of Texas Press, 1985 ; ou Yéhouda Bauer, Juifs à vendre ? Les négociations entre nazis et juifs 1939-1945, Paris, Liana Levi, 1996).
17 Helmut Mejcher, « Hitler’s Route to Baghdad ? Some Aspects of German Oil Policy and Political Thinking on the Middle East in the 1930s and 1940s », in Haïm Goren (dir.), Germany and the Middle East – Past, Present, Future, Jérusalem, Magnes Press, 2003, pp. 71-83.
18 Là, certains partis fascistes arabes disposent très tôt de l’appui financier de Rome (voir Renzo De Felice, Il Facismo e l’Oriente – Arabi, Ebrei e Indiani nella politica di Mussolini, Bologne, Il Mulino, 1988).
19 Cette continuité, ou pour le moins ce souci de continuité est notamment au programme de deux volumes issus de colloques organisés par le Harry S. Truman Institute for the Advancement of Peace de l’Université hébraïque de Jérusalem : le premier porte sur l’Allemagne (Goren, Germany in the Middle East, op. cit.), le deuxième sur la France (Michel Abitbol [dir.], France in the Middle East – Past, Present and Future, Jérusalem, Magnes Press, 2004).
20 C’est ce qui apparaît, à l’occasion de la prise de Jérusalem, avec le discours prononcé en l’église Saint-Julien le Pauvre de Paris par Mgr Baudrillart, recteur de l’Institut catholique et responsable du Comité de propagande catholique française à l’étranger : insistant sur le lien étroit entre la France et le Moyen-Orient, il reçoit pour instruction du ministère français des Affaires étrangères d’éviter de donner à ses dires une tonalité trop croisée (Alfred Baudrillart, Jérusalem délivrée, Paris, Beauchesne, 1918 ; Alfred Baudrillart, Les Carnets du Cardinal, 1er août 1914-31 décembre 1918, Paris, Le Cerf, 1994, entrées des 19 décembre 1917, p. 708 ; 4 janvier 1918, pp. 721-722 ; Le Petit Journal, 25 décembre 1917, « L’influence française en Orient – Quel doit être l’avenir de Jérusalem ? L’opinion de Mgr Baudrillart », p. 2).
21 C’est aussi ce qui guide deux ans plus tard le cardinal Dubois, préparant sa mission catholique et française au Levant : il importe d’être à Jérusalem pour Noël, pour marquer une présence physique à un moment très symbolique (Dominique Trimbur, « Une appropriation française du Levant : la mission en Orient du cardinal Dubois, 1919-1920 », in Patrick Cabanel [dir.], Une France en Méditerranée, Paris, Créaphis, 2006, pp. 109-128.
22 Ruth Kark, « La Suède et la Terre sainte : colonisation piétiste et communautaire », in De Bonaparte à Balfour, op. cit., pp. 361-383.
23 Il s’agit des Suisses et des Allemands décrits par Roland Löffler, « Die langsame Metamorphose einer Missions-und Bildungseinrichtung zu einem sozialen Dienstleistungsbetrieb. Zur Geschichte des Syrischen Waisenhauses der Familie Schneller in Jerusalem 1860–1945 », in Europäer in der Levante, op. cit., pp. 77-106.
24 Ceux qu’analyse le sociologue français Sébastien Fath.
25 À propos de l’implication juive et du mouvement architectural et urbanistique initié à cette époque et poursuivi après la création de l’État d’Israël, voir l’ouvrage récent d’Anna Minta : Israel bauen – Architektur, Städtebau und Denkmalpolitik nach der Staatsgründung 1948, Berlin, Dietrich-Reimer-Verlag, 2005.
26 Paris, Gallimard, 2004.
27 Ruth Kark, « Missions and Architecture : Colonial and Post-Colonial Views – The Case of Palestine », in Eleanor H. Tejirian, Reeva Spector Simon, Altruism and Imperialism : Western Cultural and Religious Missions in the Middle East, New York, Columbia University Press, 2002, pp. 183-207.
28 Cette pose est assez comparable à celle de la France en Syrie-Liban, au même moment : voir Robert Saliba, « Looking East, looking West : Provincial Ecclectism and Cultural Dualism in the Architecture of French Mandate Syria », et François-Xavier Trégan, « Approche des savoirs de l’Institut français de Damas : à la recherche d’un temps mandataire », in Sluglett/Méouchy, op. cit., pp. 203-215, et pp. 235-247, resp.
29 Cette attitude n’est pas seulement britannique ou française, et caractérise tous ceux qui s’adonnent à la « palestinologie » : voir Haïm Goren, “Zieht aus und erforscht das Land” : Die deutsche Palästina-Forschung im 19. Jahrhundert, Göttingen, Wallstein, 2003 ; Markus Kirchhoff, Text zu Land – Palästina im wissenschaftlichen Diskurs 1865-1920, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2005 ; Ulrich Hübner (dir.), Palaestina exploranda – Studien zur Erforschung Palästinas im 19. und 20. Jahrhundert anläßlich des 125 jährigen Bestehens des Deutschen Vereins zur Erforschung Palästinas, Wiesbaden, Harrassowitz, 2006.
30 Voir aussi Khaira Kasmieh, « Economic Aspects of the Arab-Zionist Confrontation in Mandatory Palestine », in Sluglett/Méouchy, op. cit., pp. 447-456.
31 En contrepoint, voir Elias Sanbar, Figure du Palestinien, Paris, Gallimard, 2004 (notamment la première partie).
32 Au sujet de ces développements, réflexions et débats, voir aussi l’article de Claude Klein, « À propos des influences allemandes sur le droit israélien », in Dominique Bourel/Gabriel Motzkin (dir.), Les Voyages de l’intelligence – Passages des idées et des hommes – Europe, Palestine, Israël, collection « Mélanges » du CRFJ, vol. 4, Paris, CNRS Éditions, 2002, pp. 269-280.
33 Pour le cas parallèle de la Syrie, voir Randi Deguilhem, « Impérialisme, colonisation intellectuelle et politique culturelle de la Mission laïque française en Syrie sous mandat », in Sluglett/Méouchy, op. cit., pp. 321-341.
34 Voir Dominique Trimbur et al., Entre Rayonnement et réciprocité -Contributions à l’histoire de la diplomatie culturelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002 (en particulier l’introduction, pp. 16-23).
35 Outre ses publications signalées en fin de volume, voir son récent article « Le temple israélite », in Patrick Cabanel, Chantal Bordes-Benayoun, Un Modèle d’intégration – Juifs et israélites en France et en Europe xixe-xxe siècles, Paris, Berg International, 2005.
36 Il est éloquent de ce point de vue que la Palestine sioniste est présente à Paris pour l’exposition coloniale de 1931.
37 Michel Trebitsch, « Le Robinson juif, un film et un texte sur l’Université hébraïque de Jérusalem en 1925 », Cahiers de la Cinémathèque,n° 74, décembre 2002, pp. 99-106. Voir aussi, du même auteur, « Les intellectuels juifs français dans les années 20 », Combat pour la Diaspora,n° 20, septembre 1987, pp. 43-56. De façon générale, on ne peut que rappeler les paroles de François Georges-Picot à l’adresse de Paul Morand, lorsqu’il l’invite à le rejoindre au Moyen-Orient, au sortir de la Première Guerre mondiale : « Venez, mon cher, venez, fait-il plein d’enthousiasme. Quel pays pour un artiste ! La couleur ! Les femmes vous répandent des fleurs sur la tête et des parfums sur les pieds ! Ça n’a pas bougé depuis deux mille ans et dans quarante ans ça n’existera plus ! » (Paul Morand, Journal d’un attaché d’ambassade, 1916-1917, Paris, Gallimard, 1996, p. 203, entrée du 1er avril 1917).
38 Pour des observations contemporaines, voir les carnets du Custode franciscain de cette époque : Ferdinando Diotallevi, Diario di Terrasanta, 1918-1924,a cura di Daniela Fabrizio, Milan, Edizioni Biblioteca Francescana, 2002.
39 L’imposition de l’usage du rite latin aux Églises catholiques orientales étant considéré comme le choix italien, tandis que les Français sont plus soucieux du respect des rites orientaux pratiqués par ces Églises unies à Rome.
40 Pour rappel, ce n’est qu’en 1986 qu’est nommé un Patriarche latin d’origine arabe palestinienne, rompant avec une très italienne tradition.
41 Masaryk est à l’origine de la création de l’Institut oriental de Prague ; l’un des principaux animateurs de cette institution est le P. Aloïs Musil, orientaliste, prêtre catholique originaire de Bohême, connu pour avoir, pendant la Première Guerre mondiale, tenté de soulever les populations arabes de l’Empire ottoman contre les pays de l’Entente.
42 Pour un portrait contemporain de la Palestine sioniste, voir par exemple Le Puits de Jacob, de Pierre Benoit (Paris, Albin Michel, 1925).
43 Voir Alain Soubigou, « Thomas Garrigue Masaryk et l’israélitisme en Bohême et Tchécoslovaquie », in Cabanel/Bordes-Benayoun, op. cit., pp. 179-193.
44 À propos de ces diverses traditions, voir entre autres deux ouvrages récents : Guy Jucquois, Pierre Sauvage, L’Invention de l’antisémitisme racial (1850-2000), L’Implication des catholiques français et belges, Louvain la Neuve, Academia Bruylant, 2001, et Jean Dujardin, L’Église catholique et le peuple juif – Un autre regard, Paris, Calmann-Lévy, 2003.
45 Qustandi Shomali, « La presse arabe en Palestine dans la période ottomane », in Trimbur/Aaronsohn, op. cit., pp. 419-429.
46 Tom Segev, One Palestine, Complete – Jews and Arabs under the British Mandate, New York, Henry Holt and Company, 2000.
47 À propos de certaines attitudes françaises hautaines à l’égard de la population arabe, voir Dominique Trimbur « L’ambition culturelle de la France en Palestine dans l’entre-deux-guerres », in Dominique Trimbur et al., Entre Rayonnement et réciprocité, op. cit., pp. 41-72 ; du même « Les Français et les communautés nationales de Palestine au temps du mandat britannique », in Sluglett/Méouchy, op. cit., pp. 269-301.
48 À ce propos, on lira avec intérêt les différentes contributions au dossier de la revue Annales,60e année, n° 1, janvier-février 2005.
49 Voir Idit Zertal, La Nation et la Mort, Paris, La Découverte, 2004.
50 À l’inverse, depuis quelques décennies (et les élections palestiniennes du début 2006 en sont la preuve éclatante), c’est un retour du religieux qui marque désormais le nationalisme palestinien. Voir Pénélope Larzillière, « Le “martyr” palestinien, nouvelle figure d’un nationalisme en échec », in Alain Dieckhoff, Rémy Leveau (dir.), Israéliens et Palestiniens, la guerre en partage, Paris, Balland, 2003, pp. 89-116.
51 En parallèle, voir aussi Géraldine Chatelard, Briser la mosaïque. Les tribus chrétiennes de Madaba, Jordanie (xixe-xxe siècle), Paris, CNRS Éditions, 2004.
52 Pierre Guillen, « La France et la question du Levant à la fin de la Seconde Guerre mondiale », in Méditerranée, Moyen-Orient : deux siècles de relations internationales, op. cit., pp. 543-556.
53 Pour un aspect particulier de cette période, voir André Bendjebbar, « Israël, la France et l’arme atomique, 1949-1956 », in Abitbol, France and the Middle East, op. cit., pp. 203-221.
54 Daniela Fabrizio, La questione dei luoghi santi e l’assetto della Palestina 1914-1922, Milan, Franco Angeli, 2000.
55 Mayir Vereté, « A Plan for the Internationalization of Jerusalem, 1840-41 », in, du même, From Palmerston to Balfour. Collected Essays of Mayir Vereté, Londres, Frank Cass, 1992, pp. 141-157 ; Markus Kirchhoff, Text zu Land, op. cit., pp. 67-95.
56 Formule reprise par Tom Segev, qui en fait le titre de son ouvrage One Palestine, Complete, op. cit.
57 Voir Henry Laurens, « La France, le Grand Mufti et la révolte palestinienne », et « Le Mufti et la France de la IVe République : esquisse d’une politique arabe », in Henry Laurens, Orientales II – La IIIe République et l’islam, Paris, CNRS Éditions, 2004, pp. 303-326 et 327-353 resp.
58 Auteur de The Birth of the Palestinian Refugee Problem : 1947-1949 (Cambridge-New York-Melbourne, Cambridge University Press, 1988), étude ayant contribué à éclairer les circonstances du départ des Palestiniens en 1948, B. Morris a, dans une interview donnée le 9 janvier 2004 au journal Haaretz, indiqué que le mieux aurait été une évacuation arabe complète en 1948-1949.
59 Voir Tuvia Friling (dir.), Critique du post-sionisme – Réponse aux « nouveaux historiens » israéliens, Paris, Éditions in Press, 2004 ; Anita Shapira, L’Imaginaire d’Israël – Histoire d’une culture politique, Paris, Calmann-Lévy, 2005.
Auteurs
Dominique Trimbur est chercheur associé au Centre de recherche français de Jérusalem. Sa thèse sur les relations germano-israéliennes est parue en 2000 (De la Shoah à la réconciliation ? – La question des relations RFA/Israël [1949-1956], CNRS Éditions). Auteur de travaux sur les présences européennes en Palestine, il a co-dirigé De Bonaparte à Balfour – La France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917 (CNRS Éditions, 2001). En 2002, il a co-édité Entre Rayonnement et réciprocité – Contributions à l’histoire de la diplomatie culturelle (Publications de la Sorbonne) et publié Une École française à Jérusalem (Mémoire dominicaine, V, Éd. du Cerf).
En 2004 est paru sous sa direction Des Européens au Levant – Entre politique, science et religion (xixe – xxe siècles), Munich, Oldenbourg, 2004 (Pariser Historische Studien 53).
Ran Aaronsohn Enseigne à l’Université hébraïque de Jérusalem, dans le département de géographie. Ses domaines de spécialité sont la géographie historique, les processus de colonisation au xixe siècle (en particulier la colonisation juive en Palestine), la géographie rurale, les communes actuelles en Amérique du Nord. Il a notamment publié Le Baron de Rothschild et les colonies : les débuts de la colonisation juive en Palestine, Jérusalem, 1990 (version anglaise : Jérusalem, Magnes Press, 2000). Il a publié en 2004 le Guide des premières moshavot (Jérusalem, Yad Ben-Zvi, en hébreu) et co-édité Urban Conservation : A Textbook (Israel National Commission for Unesco, en anglais et hébreu). Auteur de nombreux articles, il va publier Paris en Terre Sainte : Aaron Aaronsohn et le Levant renaissant (1882-1919) (en anglais).
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De Balfour à Ben Gourion
Les puissances européennes et la Palestine, 1917-1948
Ran Aaronsohn et Dominique Trimbur (dir.)
2008
De Bonaparte à Balfour
La France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917
Ran Aaronsohn et Dominique Trimbur (dir.)
2008