Métropolisation et villes de second rang dans les pays-continents : l’exemple de la Chine
p. 253-263
Texte intégral
1Avec l’accélération des processus de globalisation ces dernières décennies, même si les frontières terrestres ont souvent connu de progressives négociations d’un libre franchissement pour les marchandises et les hommes, voire la création de véritables corridors routiers ou ferroviaires interétatiques, les routes maritimes se sont toujours plus affirmées comme les axes privilégiés des transports intercontinentaux. Cette « maritimisation » de l’économie a fortement renforcé le poids des façades littorales et notamment des grandes villes portuaires dans le monde.
2Dans le contexte de l’Asie orientale, le décloisonnement des économies nationales et un essor général fondé sur une intégration régionale en termes de flux de capitaux, de division internationale du travail et de montée en puissance des marchés locaux ont très nettement favorisé l’apparition d’un axe maritime structurant un vaste espace régional, dont les pôles principaux ont été initialement Singapour, Hong Kong et Tokyo (Taillard, 2004). Ces pôles ont ensuite entraîné dans le développement leurs périphéries immédiates, suivant, à l’occasion, des logiques transfrontalières : Singapour, le Johore et l’île de Riau ; Hong Kong et le delta de la rivière des Perles. Parallèlement, d’autres métropoles côtières se sont également imposées comme Taipei, Osaka, Séoul, Shanghai ou – relayée par Tianjin en position littorale – Pékin.
3D’emblée, cette métropolisation liée à la littoralisation mondiale pose la question des profondeurs continentales. Les exemples choisis de villes de l’Asie du Sud-Est pour analyser les logiques de métropolisation dans des villes de second rang, qui ne sont pas appelées à devenir des métropoles abouties, ont permis non seulement de préciser les différents aspects du processus de métropolisation mais surtout d’identifier les différentes trajectoires empruntées par ces villes « en marge » dans la double contrainte de la globalisation et de la métropolisation. Toutefois, le simple facteur d’une très grande distance à la mer n’a pu être véritablement approché, le fait que des régions de fortes densités démographiques, qui ne sont pas en déprise économique mais peuvent connaître au contraire une très forte croissance, soient intégrées à d’autres logiques régionales, d’ordre continental cette fois, demande des analyses en contrepoint.
4L’exemple d’un pays-continent comme la Chine s’impose. Son immensité territoriale est en effet à l’échelle de l’Europe, avec une superficie totale de 9 600 000 km2, la distance nord-sud entre Pékin et Canton est équivalente à celle entre Oslo et Marseille, et la distance est-ouest entre Urumqi et Shanghai à celle qui va de Paris à Kazan, en Oural.
5Cette immensité, l’armature urbaine chinoise, où de grandes villes intérieures sont à plus de 1 000 km de la côte et aux commandes de régions de fort peuplement comme Chengdu et Chongqing dans le bassin du Sichuan, Changsha et Wuhan au niveau du moyen Yangzi, ou encore Xi’an au nord et Kunming au sud-ouest de la Chine, et la primauté incontestable de la façade littorale chinoise dans l’organisation globale du pays posent de nouveau, et en d’autres termes, la question de la métropolisation des villes de second rang (carte 8.1).
6Notre propos est, à la lumière des conclusions des travaux sur cette question en Asie du Sud-Est, d’apporter un éclairage comparatif en caractérisant dans un premier temps ce que sont les grandes villes de l’intérieur chinois, puis en analysant les rapports singuliers entre métropolisation et réticulation continentale, pour conclure sur l’existence d’un autre type de métropoles que les acteurs premiers de la globalisation.
Les villes de second rang dans l’espace chinois
7Les provinces, municipalités et région autonome qui constituent la façade littorale chinoise produisent à elles seules l’essentiel du développement économique et confisquent la quasi-totalité de l’ouverture. Les statistiques suivant la trame strictement administrative à l’échelle provinciale méritent d’être nuancées, elles n’en donnent pas moins une idée claire des équilibres régionaux en présence : sur 14 % de la superficie du pays, le littoral concentre 44 % de la population, 60 % du produit intérieur brut (PIB), 85 % des investissements des entreprises étrangères en Chine et 92 % des exportations nationales en 2009 ; la Chine intérieure reste, quant à elle, en retard dans le développement économique, avec 32 % du PIB chinois, et très en retrait de l’ouverture, avec 13 % des investissements des entreprises étrangères, alors qu’elle compte 45 % de la population totale et une densité moyenne de 206 hab./km2 (tableau 1).
8Les régions littorales chinoises sont dominées par les trois métropoles que sont Pékin, Shanghai et Hong Kong. Cependant, les processus de métropolisation n’ont eu, pour aucune d’entre elles, les mêmes caractéristiques, temporalités et aires d’influence. Ces métropoles jouent chacune un rôle qui lui est propre dans le dispositif chinois : Pékin est essentiellement le centre politique et administratif du territoire national ; Hong Kong a été, dès le début des réformes, le centre économique de l’ouverture continentale ; et Shanghai est un centre portuaire, économique et urbain, au débouché du très vaste bassin du Yangzi, elle a également été le second pôle de développement des réformes chinoises à compter des années 1990 (Sanjuan, 2001).
9Après trente ans d’un développement économique accéléré, ces métropoles ont intégré à leur dynamique de développement leurs périphéries et les villes qui étaient proches, sans considération de leur taille. Des conurbations voire des mégalopoles ont ainsi émergé, avec les pôles : de Pékin-Tianjin-Tangshan ; de Shanghai et du delta du Yangzi jusqu’à Nankin, Hangzhou, Ningbo et, dans une certaine mesure, Wenzhou ; et de Hong Kong-Canton, à l’échelle du delta de la rivière des Perles (Sanjuan, 1997).
Tableau 1: Les équilibres régionaux entre l’Ouest, la Chine intérieure et le littoral chinois en 20091.
Ouest | Chine intérieure | Littoral | |
Superficie (km2) | 5 404 500 | 2 899 466 | 1 299 682 |
Population (hab.) | 144 220 000 | 596 200 000 | 576 170 000 |
Densité démographique (hab./km2) | 27 | 206 | 443 |
Produit intérieur brut (millions de yuans) | 2 697 567 | 11 868 196 | 21 964 606 |
Investissements directs étrangers (millions de dollars) | 54 200 | 318 100 | 2 030 800 |
Exportations (dollars) | 20 490 180 000 | 78 288 900 000 | 1 102 832 750 000 |
10En marge de la métropolisation affectant les villes de premier rang, inscrites dans le réseau international des métropoles de l’Asie orientale et du monde, de grandes villes littorales se sont ainsi développées. Elles ont bénéficié à la fois de l’influence voire de la proximité géographique des principales métropoles chinoises et des atouts que leur offraient leur localisation côtière, la politique des zones franches de la Chine des réformes et souvent leur rôle de capitales de provinces littorales.
11Les principales grandes villes littorales peuvent être comptées au nombre de six (Sanjuan et Trolliet, 2010). Elles comprennent : Canton, une très grande ville méridionale, dont le PIB équivaut à celui de Pékin mais qui est en situation de relais de la métropole économique qu’est Hong Kong au sein du dispositif économique et humain du delta de la rivière des Perles ; Hangzhou, Fuzhou et Haikou, trois capitales de provinces méridionales dynamiques, Hangzhou étant dans l’orbite de Shanghai ; enfin, le binôme Dalian-Shenyang, qui totalisent à elles deux plus de la moitié du PIB du Liaoning, Dalian ayant un niveau plus élevé de développement et d’intégration à l’économie mondiale.
12Ces grandes villes littorales chinoises retrouvent, le plus souvent, les caractéristiques des villes de second rang analysées pour l’Asie du Sud-Est. Elles ont bénéficié : d’équipements portuaires et aéroportuaires qui permettent de plus en plus des liens directs avec l’étranger même si une grande part des flux restent des redirections depuis les métropoles chinoises ; et d’un dynamisme en lien avec les flux internationaux en termes de production industrielle (zones de développement économique et technique ou ZDET, délocalisations industrielles, capacités d’exportations des entreprises locales ou réexportations des produits de l’arrière-pays proche), de valorisation et d’attractivité urbaines auprès des entreprises relayant les métropoles principales, et de capacités touristiques qui tendent, pour certaines (Hangzhou, Haikou, Dalian), à les inscrire dans les circuits nationaux voire internationaux.
13Les autres grandes villes continentales n’ont pas été touchées, comme les villes littorales, dès la fin des années 1970 par la politique denguiste d’ouverture. Leur développement a connu d’autres rythmes et chronologies. Pour exemple, Shanghai est autorisée à créer sa ZDET en 1984, alors que Wuhan est ouverte dans le cadre du bassin intérieur du Yangzi en 1992, Chongqing devient une municipalité de rang provincial en 1997, et Urumqi, si elle est également ouverte en 1992, devra attendre la politique de développement de l’Ouest en 1999 pour une meilleure intégration au développement économique chinois. Ces grandes villes relèvent par ailleurs de configurations régionales très différentes.
14Outre Chongqing, qui doit son statut administratif à la volonté de l’État central de construire le barrage des Trois Gorges et d’ainsi mettre en valeur un axe de développement le long du Yangzi jusqu’aux portes du bassin du Sichuan, les principales grandes villes intérieures sont au nombre d’une dizaine. Elles sont certes en marge de la métropolisation littorale, mais elles sont toutes des capitales provinciales qui concentrent entre le tiers et la moitié du PIB de leur province. Ces grandes villes dominent des régions encore insuffisamment développées comme le bassin moyen (Wuhan) et supérieur (Chengdu) du Yangzi, les provinces intérieures du Nord-Est (Changchun et Harbin), les terres enclavées de la région Nord (Xi’an), ou bien les périphéries du Sud-Ouest (Kunming et Guiyang) et les marges occidentales (Lanzhou, Yinchuan et Xining).
15À ces grandes villes intérieures peuvent enfin s’ajouter d’autres grandes villes secondaires qui sont également capitales de provinces intérieures, mais qui occupent une place moins privilégiée dans l’économie de leur région (entre le dixième et le quart du PIB provincial) : les grandes villes de la Chine centrale (Zhengzhou, Changsha, Nanchang, Taiyuan, Hefei et Nanning) ; et les pôles majeurs des fronts de colonisation occidentaux (Urumqi et Hohhot). Les raisons en sont souvent un retard qui leur est propre et donc un manque de capacité à entraîner économiquement leur région. Elles sont aujourd’hui faiblement affectées par la métropolisation.
Métropolisation et réticulations continentales
16Il est difficile de réduire les villes de second rang à leur seule place dans la hiérarchie urbaine chinoise, et de ne voir en elles que des relais des métropoles littorales comme Pékin, Shanghai ou Hong Kong. Même si elles se distinguent en deux types principaux – les villes de la façade littorale et celles de l’intérieur continental –, elles ont toutes pour points communs la distance aux polarités principales, les cloisonnements topographiques, régionaux et humains dus à l’immensité du territoire chinois, des statuts administratifs et des systèmes productifs locaux qui leur offrent – ou parfois les contraignent à – de larges marges d’autonomie.
17La rapidité récente de la croissance chinoise doit aussi être soulignée. Elle tend à écraser dans le temps les différentes étapes d’une diffusion du développement et d’une spécialisation fonctionnelle entre les villes. Les villes de second rang littoral ont ainsi partagé un développement concomitant de celui des principales métropoles chinoises, elles ont connu dans le même temps l’ouverture aux capitaux étrangers et aux délocalisations industrielles, les réformes économiques et sociales, les processus de renouvellement du bâti et de modernisation urbaine.
18Dans la province du Fujian, des villes comme Xiamen, zone économique spéciale dès 1980, et Fuzhou, ville ouverte aux investissements étrangers dès 1984, participent pleinement au décollage de l’économie littorale dans les années 1980, d’autant qu’elles profitent d’une proximité géographique et humaine avec Taïwan, qui doit à l’époque restructurer son économie, monter en gamme et redistribuer sur ses marges des unités de production demandeuses d’espace et de main-d’œuvre bon marché (Sacy, 2006).
Chongqing, une grande ville de Chine intérieure
19Les liens que les grandes villes de l’intérieur entretiennent, quant à elles, avec la façade littorale sont par nature très différents, et surtout beaucoup plus complexes que les villes de second rang des pays de l’Asie du Sud-Est, dont les gabarits démographiques et les éloignements de la côte ne sont d’ailleurs pas comparables. La municipalité de Chongqing, située à vol d’oiseau à 1 400 km de la côte chinoise, compte 32 millions d’habitants, et sa ville-centre 4,8 millions, quand Vientiane, capitale d’un État enclavé, et éloignée de la côte vietnamienne par 300 km, n’atteint pas les 600 000 habitants et la ville-centre 400 000 habitants.
20Comme la plupart des grandes villes intérieures, la ville de Chongqing a été longtemps pénalisée par l’ancien système économique socialiste et elle s’est développée essentiellement depuis la fin des années 1990, après son élévation au statut de municipalité de rang provincial. Elle offre un exemple très singulier dans la mesure où elle doit son essor à son statut de ville le long du Yangzi juste en amont des Trois Gorges et qu’elle est la porte donnant sur le vaste bassin intérieur du Sichuan, au carrefour des routes entre Pékin, le Tibet, le Yunnan puis la péninsule indochinoise. Cette place stratégique de ville fluviale et commerciale l’a historiquement opposée à Chengdu, capitale du Sichuan, ville administrative et relais du pouvoir central.
21Aujourd’hui, dans une logique de développement autant que de marketing urbain parmi les grandes villes intérieures chinoises, Chongqing s’attribue un à un les marqueurs de la métropolisation.
22Elle est toujours mieux reliée au reste du pays par l’amélioration de la navigabilité fluviale depuis la construction du barrage des Trois Gorges, le renforcement de ses capacités portuaires et de ses liaisons autoroutières. L’aéroport de Jiangbei a été agrandi en décembre 2010 d’une piste longue de 3 600 m, et il est le seul aéroport intérieur chinois disposant de deux pistes et de deux terminaux. La construction d’une troisième piste, de 3 800 m de long, capable d’accueillir les Airbus 380, était prévue en 2011 (Meng, 2011). Enfin, une liaison aérienne directe pour les marchandises existe entre Chongqing et Liège en Belgique depuis septembre 2010.
23Chongqing devient un pôle d’attraction pour les investisseurs étrangers (British Petroleum, Ford, Yamaha, Suzuki) comme chinois. Trois producteurs dans les nouvelles technologies (Foxconn Technology Group, Quanta Corporation et Inventec Corporation) envisagent de s’y installer, avec à terme une capacité de production annuelle de 80 millions d’ordinateurs au sein du Parc industriel de micro-électronique Xiyong.
24Elle offre parallèlement des conditions de vie suivant les standards internationaux aux populations expatriées (hongkongaise, taiwanaise, asiatique, occidentale) avec des zones résidentielles ou une école internationale. Pour exemple, cette dernière est une école privée, dont les droits d’inscription étaient de 30 000 yuans par an en 2005, elle a été construite avec des investissements conjoints entre le ministère de l’Éducation, la Malaisie et Singapour, et une navette régulière la relie avec les familles situées à Shanghai, en Malaisie ou à Singapour.
25Le secteur immobilier de Chongqing a connu également un véritable boom au début des années 2000, ce qui n’a pas été sans entraîner des dérapages administratifs, des abus de pouvoir et des logiques de corruption – image d’une autonomie économique trop brutalement abandonnée aux autorités locales, comme à Hainan en 1988 –, mais contre lesquels l’État central a réagi, avec grand renfort de publicité, par 920 arrestations et le limogeage de 177 officiels depuis 2009.
26La municipalité de Chongqing développe également son image grâce à des activités de congrès et a construit un monumental centre d’exposition et de congrès international, ouvert en 2005, qui peut abriter des manifestations comme le 3e sommet international du commerce de services en 2010. Dans ce domaine, Chongqing entend se poser en rival des autres grandes villes et mêmes des métropoles chinoises, jouant de ses coûts, de son image de ville continentale en plein essor et des atouts touristiques qui l’environnent.
27La ville attire en effet, et surtout, de nombreuses populations de touristes étrangers et chinois, car elle est au point de départ de la croisière qui traverse grandes et petites gorges du Yangzi jusqu’au barrage et à Yichang, où un aéroport permet de poursuivre le circuit prévu à l’échelle du pays.
28Pour se développer, les grandes villes de l’intérieur doivent ainsi réduire les inconvénients de leur distance aux pôles majeurs de la façade littorale, monter en gamme suivant les standards métropolitains internationaux pour être attractives, et jouer de leurs atouts spécifiques dans une logique de rivalités et de spécialisations fonctionnelles entre villes.
Vers des métropoles atypiques ?
29Les stratégies des grandes villes intérieures sont en fait à resituer dans des logiques territoriales héritées, liées à la construction de l’État chinois dans un contexte d’immensité spatiale. Le projet politique chinois, depuis l’Empire, est fondamentalement terrestre, et les grandes villes de l’intérieur sont des capitales de provinces souvent vastes et très peuplées relevant directement de l’État central.
30En cela, si ces villes gouvernent des territoires équivalent en moyenne à ceux des États européens, elles n’en ont pas la souveraineté politique, l’État chinois, unitaire et non fédéral, leur nie jusqu’aux droits d’un État étatsunien ou d’un Land allemand. Elles entretiennent ainsi des rapports complexes avec l’État chinois, à la fois relais de l’autorité centrale à travers le gouverneur de la province et le maire de la ville – et les secrétaires du Parti communiste correspondants quand il n’y pas fusion des fonctions – et pôles d’une entité régionale éloignée, ayant sa propre histoire et ses propres intérêts.
31Comme les villes de second rang en Asie du Sud-Est, ces grandes villes de l’intérieur chinois peuvent aussi, et souvent, participer de plusieurs aires d’influence. Le cas de Chongqing est, à cet égard, éloquent : la municipalité de rang provincial relève directement de Pékin, mais elle se développe économiquement en lien avec Shanghai et le delta du Yangzi. Certaines grandes villes de provinces ou régions autonomes frontalières, comme Harbin ou Kunming, bénéficient des liens commerciaux avec les pays avoisinants. Par contre, d’autres grandes villes chinoises ne dépendent, elles, que de Pékin comme Taiyuan ou Xi’an, ou se trouvent dans des angles morts, comme Hohhot.
32Face à des disparités régionales croissantes, ces dispositifs territoriaux sont par ailleurs mis à profit par l’État central pour redonner du lien au territoire chinois, rééquilibrer spatialement le développement du pays, et réaffirmer la suprématie et le rôle d’unificateur du pouvoir politique central. Les grandes villes chinoises sont en cela des outils précieux en tant que pôles d’une ambitieuse politique d’aménagement du territoire menée depuis le début des années 1990.
33Les deux principaux projets d’aménagement à l’échelle nationale ont été la construction du barrage des Trois Gorges et le développement de l’Ouest.
34Le barrage des Trois Gorges a été décidé en 1992 et achevé dans les années 2000. Bien que localisé dans le Hubei, ce projet a pris appui sur la ville de Chongqing principalement, et sur Yichang à une moindre échelle. Il profite également aux grandes villes intérieures qui sont traversées par le Yangzi comme Wuhan ou qui appartiennent à son bassin comme Chengdu, Changsha et Nanchang.
35Le projet de développement de l’Ouest a été lancé en 2000. Il s’agit d’aider les provinces et régions autonomes de l’Ouest du pays en les désenclavant au niveau des transports, en renforçant leur attractivité pour les investisseurs par des politiques fiscales appropriées, en favorisant la restructuration de leur tissu industriel hérité, et en élevant les niveaux d’enseignement et d’adaptation aux nouvelles technologies.
36Les villes centrales du projet sont Xi’an et Chongqing, faisant de cette dernière un pivot central à la croisée entre le projet du barrage des Trois Gorges et celui de l’Ouest ; les autres villes de développement prioritaire sont : au nord Hohhot, Baotou, Yinchuan et Lanzhou, au centre Chengdu et Minyang, au sud Guiyang, Kunming, Yuxi, Nanning et Liuzhou, et à l’ouest Urumqi.
37Pour ce faire, l’État central joue aussi bien des complémentarités géographiques et fonctionnelles de ces villes de l’intérieur que de leurs rivalités, comme celle entre Chengdu et Chongqing.
38Surtout, plus globalement, les grandes villes de l’intérieur chinois s’engagent dans des politiques de spécialisations économiques afin de se distinguer les unes des autres, et attirer non seulement investisseurs mais aussi savoir-faire. Les jeunes diplômés chinois, issus des universités ou revenus de leurs études à l’étranger, choisissent ainsi leurs destinations professionnelles en fonction tant de l’entreprise que des cadres de vie de sa localisation urbaine.
39Localement, les grandes villes continentales sont aussi des lieux d’immigration intérieure, attirant les populations des petites villes ou des campagnes relevant de leur province : une vaste main-d’œuvre locale est ainsi disponible, pour souvent des travaux peu qualifiés ou mal payés. Ces capitales provinciales sont enfin des pôles économiques au cœur de puissants bassins de consommation en devenir.
Conclusion
40Les villes de second rang en Chine sont nombreuses et très éloignées de la capitale, de la façade littorale et les unes des autres. Comme les villes secondaires d’Asie du Sud-Est, elles peuvent participer de plusieurs aires d’influence, de natures politique ou économique, et décliner avec le temps les marqueurs de ce qui est attribué symboliquement au processus de métropolisation. Pour autant, la différence principale tient dans le fait que les grandes villes intérieures gouvernent des ensembles territoriaux et démographiques immenses, qu’elles y trouvent leur propre bassin de main-d’œuvre et de consommation, non sans relever aussi d’un pouvoir central qui, dans son histoire et ses pratiques d’administration étatique, les a toujours considérées comme des relais et des pivots d’une gestion globale de l’espace chinois. Elles se trouvent ainsi dans des logiques de polarisation continentale parallèle à la métropolisation. Ces tendances lourdes, à l’heure de la globalisation, font de ces villes des métropoles continentales atypiques, qui conditionneront largement, dans un futur proche, les dynamiques économiques de la puissance émergente chinoise.
Bibliographie
Bibliographie
Meng Jing, “Chongqing Municipality bets on its position as a hub for the country’s west”, China Daily, 18 février 2011.
Sacy Alain S. de, Taïwan. L’art de la paix, Paris, Vuibert, 2006.
Sanjuan Thierry, À l’ombre de Hong Kong, le delta de la rivière des Perles, Paris, L’Harmattan, 1997.
Sanjuan Thierry, « Pékin, Shanghai et Hong Kong : trois destins de villes dans l’espace chinois », Hérodote, no 101, 2001, p. 153-179.
Sanjuan Thierry et Trolliet Pierre, La Chine et le monde chinois. Une géopolitique des territoires, Paris, Armand Colin, 2010.
Taillard Christian (dir.), Intégrations régionales en Asie orientale, Paris, Les Indes savantes, 2004.
Notes de bas de page
1 Note : La « Chine intérieure » comprend les entités de rang provincial non littorales (hors Pékin, rattachée ici statistiquement au littoral) et dont les minorités nationales représentent officiellement moins de 20 % de leur population totale respective. Source : Bureau national des statistiques de Chine, 2010.
Auteur
Professeur, géographe, Université Paris-I, PRODIG.
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