Planification et transition métropolitaine à Da Nang, capitale régionale du Centre Viêt Nam
p. 113-149
Texte intégral
1Parmi les villes étudiées dans notre programme de recherche et notamment par rapport aux deux autres capitales régionales retenues (Penang en Malaisie et Surabaya en Indonésie), Da Nang présente bien des particularités. Elles tiennent à deux caractéristiques de la construction nationale vietnamienne : d’abord la double métropolisation du pays autour des capitales du Nord, Hanoi, et du Sud, Hô Chi Minh-Ville, qui freine l’émergence d’une troisième métropole dans le Centre, ensuite la double polarité reproduite à l’échelle de la région centrale entre Huê, l’ancienne capitale impériale, et Da Nang, la nouvelle capitale économique.
2Ces bipolarités structurelles, lisibles dans la longue durée, doivent être réinterprétées aujourd’hui à la lumière de deux choix majeurs du gouvernement vietnamien en matière d’aménagement territorial : l’élévation à la fin 1996 de Da Nang au statut de « ville autonome dépendant directement du gouvernement central », partagé à cette date avec Hanoi et Hô Chi Minh-Ville ainsi que Hai Phong et Can Tho, puis la création en 1997 de la zone économique clé du Centre. C’est dans ce contexte particulier qu’est envisagée ici l’accélération récente du processus de métropolisation à Da Nang, tant du point de vue de l’intégration régionale en cours que des reconfigurations urbaines produites. Cette accélération peut se lire comme la transition d’un urbanisme de projet, conduit de manière cohérente et à un rythme soutenu dans le cadre de la planification nationale, à une dynamique d’internationalisation qui caractérise aussi bien la première génération des métropoles d’Asie du Sud-Est, dont Singapour présente le modèle emblématique, que la seconde génération étudiée dans ce programme.
Intégration régionale et métropolisation
3L’émergence récente de Da Nang, comme capitale du Centre, résulte de la structure méridienne du territoire vietnamien qui a conditionné la construction nationale et qui, aujourd’hui encore, guide en partie la nouvelle dynamique de métropolisation.
Un enjeu pour la construction nationale
4Da Nang et le Centre Viêt Nam occupent une position stratégique entre les deux régions dominantes du pays, commandées par Hanoi et Hô Chi Minh-Ville. Cette position est aujourd’hui bien plus territoriale, à l’articulation des deux principaux deltas réunis lors de la « marche vers le sud » (nam tiên), qu’économique, car les flux terrestres qui traversent le Centre sont destructurants (Taillard, 1995). Ils attirent, à partir du début du xxe siècle, chacune des composantes du Centre, septentrionale ou méridionale, dans l’orbite de l’une ou de l’autre des métropoles, au risque de faire disparaître cet espace intermédiaire central qui conserve un rôle stratégique dans la construction nationale. Le processus de double métropolisation risque de transformer le Centre en une marche à la périphérie des deux systèmes spatiaux dominants, de le transformer à nouveau en un lieu de confrontation, comme aux périodes de lutte entre les deux maisons seigneuriales aux xviie et xviiie siècles, ou entre les deux républiques rivales du Nord et du Sud entre 1954 et 1975.
5Cette évolution, si elle n’est pas contrariée, pourrait entraîner une partition économique succédant aux partitions politiques du passé, et mettre en danger l’unité du pays chèrement conquise, sinon la paix dans la péninsule indochinoise. C’est pourquoi la construction nationale passe aujourd’hui par le renforcement des fonctions régionales, nationale et internationale du Centre, à commencer par la mise en synergie des pôles structurants que constituent Huê et Da Nang. Telle est bien la finalité de la zone économique clé à l’échelle nationale, et du corridor Est-Ouest à l’échelle de la Région du Grand Mékong.
La zone économique clé du Centre
6La stratégie vietnamienne, pour rattraper la seconde génération de Nouveaux Pays Industriels asiatiques (Thaïlande, Malaisie...) et les provinces littorales de la Chine, concentre les investissements jusqu’en 2010 sur trois zones économiques clés, définies en 1997-1998 et élargies en 2004, une pour chacune des trois régions : le triangle de développement au Nord (Hanoi-Hai Phong-Ha Long sur la partie septentrionale du delta du fleuve Rouge), et les deux corridors de développement, l’un au Sud le long de la rivière de Sai Gon et du Dong Nai (Hô Chi Minh-Ville-Biên Hoa-Vung Tau au nord du delta du Mékong), l’autre au Centre médian longeant le littoral (Huê-Da Nang-Tam Ky-Dung Quat-Binh Dinh).
7La stratégie des trois zones économiques clés a été imposée d’abord par la vétusté des infrastructures qui ont souffert d’une trentaine d’années de guerre ininterrompue ; ensuite par la volonté d’attirer, sans plus attendre, des investissements étrangers. Après 2010, ces zones clés doivent être relayées par des pôles d’équilibre dans la Moyenne Région à l’ouest du delta du Fleuve Rouge, par Can Tho dans le delta du Mékong, Vinh et Nha Trang aux deux extrémités du Centre. Cette stratégie s’accompagne donc, dans un second temps, d’une volonté de réduction des inégalités interrégionales suscitées par la concentration des moyens dans des espaces restreints, de limitation des flux migratoires vers les deux métropoles et de contrôle des problèmes sociaux et environnementaux liés au redémarrage de la croissance urbaine.
8Chacune de ces zones clés constitue l’amorce d’une région urbaine multipolaire qui renforce l’ouverture des deux principales métropoles, du Nord et du Sud, vers la mer de Chine méridionale. Pour le Centre, la structure méridienne du couloir littoral et la bipolarisation régionale entre Huê et Da Nang (carte 4.1) ont introduit, notamment dans les trois dernières décennies du xxe siècle, une rivalité entre les deux villes situées de part et d’autre du col des Nuages, reproduisant une partition agro-écologique qui opposait autrefois le Centre septentrional et le Centre méridional. Cette bipartition avait pour principal inconvénient de séparer Huê, l’ancienne capitale des Nguyên, de Da Nang, la nouvelle capitale économique régionale, reproduisant à l’échelle du Centre la bipartition existant au niveau national. Elle risquait ainsi d’accroître la fracture entre les deux moitiés du pays, en renforçant les zones d’influence des deux métropoles nationales.
9La zone économique clé du Centre vise donc à créer des synergies entre ces deux villes qui sont appelées, à terme, à constituer une région urbaine combinant les deux modèles urbains vietnamiens. Huê, la ville impériale, associe classiquement la citadelle et le quartier marchand sur la rive septentrionale de la rivière des Parfums, au quartier colonial et aux extensions vietnamiennes sur la rive méridionale, reliés par un des premiers ponts métalliques. Elle a disposé au long du xixe siècle d’un pouvoir de commandement s’étendant à l’ensemble du pays réunifié par les empereurs Nguyên. Da Nang, ville portuaire et commerciale ouverte sur les flux internationaux, s’est organisée à partir de la concession française, dénommée Tourane, formée de 5 villages cédés par la Cour de Huê en 1888 et de 14 autres cédés en 1901, à l’embouchure du fleuve Han. De conception française au tracé orthogonal, la concession en bordure de fleuve était bâtie autour de la cathédrale, du marché et des bâtiments administratifs. Elle était divisée en quartiers : au nord de l’actuelle rue Hung Vuong, le quartier français est composé de villas entourées de jardins ; au sud, le quartier indigène peuplé de Chinois, d’Indiens et de riches Vietnamiens, concentrant les activités commerciales autour du marché Han. Ce quartier compte surtout aujourd’hui des compartiments de type chinois, mais de « style colonial », en ce sens que la toiture ne repose pas sur la charpente mais sur les murs mitoyens.
10Dès cette époque, le port de Tourane se développe, accueillant les bateaux naviguant au long cours et les caboteurs qui suivent la côte jusqu’à Hong Kong. Un tramway, inauguré en 1905, reliant l’îlot de l’Observatoire (à l’embouchure du fleuve sur la rive droite) à Hoi An a été abandonné dix ans plus tard après une grosse tempête. Le chemin de fer reliant la ville à la capitale impériale Huê a été achevé en 1906. Il est prolongé jusqu’à Dong Ha en 1908, mais la ligne reliant Saigon à Hanoi n’a été achevée qu’en 1936.
11La ville comptait, en 1920, 10 000 habitants (dont 400 Européens et 500 Chinois) et atteignait 30 000 en 1945. À la fin de la première guerre d’Indochine en 1954, l’arrivée massive de réfugiés du nord porte dès 1955 le nombre d’habitants à 80 000. Les chiffres iront croissant avec l’intensification de la guerre et à partir du débarquement des marines américains en 1963, puis l’installation en 1965 d’une des plus grandes bases aéronavales du pays. De 148 000 habitants en 1964, la population s’élève à un million d’habitants à la fin de la guerre en 1975. Les réfugiés, originaires en très grande majorité du Quang Nam, s’installèrent d’abord dans les arrondissements bordant la baie au nord de la ville, puis sur le cordon dunaire à l’est.
12La guerre américaine et le développement de la base aéronavale lui ont donné la suprématie économique et démographique sur la capitale impériale. En revanche, elle n’a jamais eu un rôle de commandement territorial jusqu’à la réunification du pays où elle est devenue la capitale du Quang Nam-Da Nang (Krowolski et Nguyên Tung, 2002). Elle comptait en 2001 (cf. tableau 1 en fin d’article) 576 000 citadins dans les cinq arrondissements urbains, en excluant les 153 000 habitants du district rural de Hoà Vang) et 729 000 habitants pour l’ensemble de l’unité administrative (thanh phô).
13La mise en synergie de Huê et Da Nang au sein de la zone économique clé représente un défi, car ces deux villes sont encore loin de bénéficier du dynamisme des métropoles des deltas du Nord et du Sud. En 1999, le rapport de force est clairement établi entre ces deux capitales (543 200 citadins pour Da Nang sur une population de 687 200 habitants dans l’unité administrative, contre respectivement 234 800 et 292 800 pour Huê). Les villes de la zone économique clé, selon la définition administrative (thanh phô ou thi xa) qui, au Viêt Nam, comprennent aussi des districts ruraux relativement bien intégrés à l’économie urbaine, rassemblent 1 569 000 habitants (si l’on ajoute aux 980 000 des deux capitales, les 243 500 du Quang Nam, les 105 600 du Quang Ngai et les 239 900 du Binh Dinh). La zone économique clé constitue en ce sens un marché attractif par sa taille, même si on est encore loin de ceux des deux métropoles : Hanoi comptait à cette même date 2 684 800 habitants et Hô Chí Minh-Ville 5 073 800 (dont seulement 1 430 500 et 4 154 000 citadins respectivement). Pour que la zone économique clé puisse bénéficier de cette concentration urbaine sans équivalent dans le reste du Centre et attirer les investissements étrangers, en jouant sur un différentiel de salaire important par rapport aux deux métropoles nationales, il est urgent de surmonter les cloisonnements naturels et administratifs, et d’intégrer dans une même organisation régionale des ensembles territoriaux différenciés et complémentaires.
14L’intégration interprovinciale au sein de la zone économique clé engage une rupture stratégique tant de la part de l’État central que de l’État local (grandes villes et administrations provinciales). En effet, la gestion territoriale jusqu’alors suivait le principe du centralisme démocratique, les provinces comme les villes se situaient encore prioritairement par rapport à l’administration centrale, en oubliant leur environnement régional. Le cloisonnement l’a donc longtemps emporté, ce qui a empêché les autorités, à l’échelon national comme provincial, de raisonner en termes de réseaux urbains multifonctionnels. De plus, les villes sont toujours classées selon une hiérarchie de statuts, correspondant au niveau des pouvoirs délégués par l’État, qui n’est pas toujours en rapport avec leur poids démographique ou économique. La mise en réseau des villes constitue donc une véritable révolution dans la gestion territoriale dont on mesure mieux la difficulté quand on sait qu’il n’existe pas d’instances de coopération régionale pour faire prévaloir les intérêts communs des provinces et des villes, et leur permettre de dialoguer ensemble avec l’État central pour définir de nouveaux équilibres interprovinciaux. La stratégie des zones économiques clés ne permet plus de se contenter d’une régionalisation qui juxtapose des unités spatiales de rang infra-régional (Taillard, 2004). C’est pourquoi l’État central a entrepris de grands investissements, en cofinancement avec des fonds japonais, pour rapprocher les deux villes par la mise en service en juin 2005 du tunnel routier sous le col des Nuages et la construction prévue d’une voie de circulation à grand débit qui vont rapprocher, autant psychologiquement que physiquement, les deux anciennes rivales, et ainsi favoriser l’émergence d’une région urbaine bipolaire en forme de corridor.
15On aurait tort de sous-estimer les logiques de concurrence demeurant entre les deux villes, cependant des signes traduisent bien l’évolution des mentalités et des comportements. C’est dans le domaine des infrastructures que les anciens comportements sont les plus vivaces, car ils résultent d’études engagées lors de la dernière décennie. Pas moins de quatre nouveaux projets portuaires ont été ainsi identifiés dans la seule zone économique clé du Centre définie en 1997, si on ajoute aux ports de Chân Mây et Liên Chiêu de part et d’autre du col des Nuages, le port de Ky Ha dans la zone économique ouverte située au sud de Tam Ky, la nouvelle capitale provinciale de Quang Nam, le port pétrolier de Dung Quat, dans le nord de la province de Quang Ngai, où l’on a construit la première raffinerie du Viêt Nam et une ville nouvelle, Van Tuong. L’évaluation de ces projets portuaires, concurrents sur seulement 130 kilomètres de littoral, a préparé l’inéluctable arbitrage gouvernemental. L’État a décidé de développer d’abord les ports existants, et donc la modernisation des équipements portuaires de Da Nang dont les capacités sont loin d’être pleinement utilisées (2,2 millions de tonnes de fret pour un potentiel passé de 3 à 4 millions), tout en poursuivant la construction du port pétrolier et de la raffinerie de Dung Quat. De plus, Da Nang devient l’escale incontournable, avec Hai Phong et Sai Gon, des bateaux de croisières (on compte une cinquantaine d’escales par an), qui opèrent depuis Hong Kong et Singapour.
16La même concurrence entre projets provinciaux existe dans le domaine aéroportuaire. Da Nang dispose du seul aéroport international de la région (600 000 passagers pour un potentiel d’un million), valorisant les infrastructures héritées de la plus importante base aéronavale américaine du Centre. Huê souhaitait développer le sien, en dépit du tunnel, pour conforter sa fonction touristique internationale. Comme pour les ports, le gouvernement a choisi de développer Da Nang en un hub aéroportuaire international pour l’accueil des vols internationaux desservant les pôles touristiques du Centre, classés au patrimoine mondial : grottes de Phong Nha à Quang Binh, citadelle et tombeaux des empereurs Nguyên à Huê, comptoir portuaire sino-japonais de Hoi An et temples cham de My Son au Quang Nam. Cependant, ces liaisons aériennes internationales tardent à s’imposer, car la quasi-totalité des touristes entre et sort par Hanoi ou Hô Chi Minh-Ville. Les autorités de Da Nang fondent désormais leurs espoirs sur les touristes provenant des grandes métropoles chinoises.
17Ces arbitrages gouvernementaux renforcent à la fois la centralité de Da Nang dans la zone économique clé et les complémentarités entre les deux villes qui en forment le noyau central. D’autres exemples montrent que les complémentarités progressent aussi à l’instigation des autorités provinciales, notamment dans les domaines industriels et universitaires. Huê développe les industries légères, touristiques et culturelles, ainsi que l’aquaculture sur la lagune. Da Nang mise sur le tourisme mais également sur les industries liées à l’activité maritime (industrie lourde, construction et réparation navales, pêche hauturière) et aux nouvelles technologies, notamment avec un parc spécialisé dans la production de logiciels. Ce faisant, les deux villes valorisent leurs spécificités universitaires : l’université de Huê est réputée pour les sciences fondamentales et celle de Da Nang pour les sciences appliquées et la technologie, reproduisant ainsi, à l’échelle régionale, la spécialisation existant à l’échelle nationale entre les universités d’Hanoi et d’Hô Chi Minh-Ville (Taillard, 1998).
Les articulations transnationales avec la Région du Grand Mékong
18Avec la double métropolisation commandée par Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, le Centre semblait pris en étau entre deux dynamiques économiques et territoriales qui le broyaient, jusqu’à ce que le gouvernement vietnamien ait défini la stratégie des zones économiques clés. Si l’on change d’échelle, il apparaît comme la plus internationale des régions du Viêt Nam, en raison de l’étroitesse de son arrière-pays. Aussi cherche-t-il à renouer avec sa double fonction de puissance continentale arrimée à la péninsule indochinoise, et de puissance maritime à proximité de la route méridienne transasiatique. Il peut trouver dans le rétablissement des échanges avec la Thaïlande, comme dans la capture des flux qui longent ses côtes, la source d’un dynamisme autonome par rapport aux deux métropoles qui lui permettra de jouer un véritable rôle d’espace intermédiaire à l’échelle nationale.
19Dans le cadre du programme de la Région du Grand Mékong (Greater Mekong Subregion), la Banque Asiatique de Développement (BAD) a proposé un maillage de la péninsule indochinoise par des corridors structurants (carte 4.1). Elle a conditionné la réalisation de cet important réseau de transport à la signature d’accords de libre-échange, corridor par corridor. Le corridor Est-Ouest structure la partie centrale de la péninsule, reliant Da Nang à Khon Kaen par Huê, Dong Ha et Savannakhet. Reprenant une ancienne route caravanière entre la mer de Chine méridionale et le bassin du Mékong (Taillard, 1998), cet axe transversal emprunte le col de Lao Bao, le plus bas de la chaîne annamitique (410 m). Prolongé entre Khon Kaen et Moulmein (via Phitsanulok et Maesot au nord de la plaine centrale thaïlandaise), il relie aujourd’hui les façades littorales orientale et occidentale de la péninsule.
20Le Viêt Nam, le Laos et la Thaïlande ont signé un accord triparti en novembre 1999 afin de promouvoir le transit routier et les échanges transfrontaliers le long de ce corridor. Cet accord de libre-échange, le premier de ce type dans la Région du Grand Mékong, anticipe les échéances prévues dans le cadre de l’AFTA, le marché commun de l’ASEAN. Il a permis de débloquer les financements nécessaires pour mettre aux normes internationales l’axe routier et construire un nouveau pont sur le Mékong à Savannakhet. Un récent accord sur l’inspection unique au franchissement des frontières favorisera les échanges commerciaux et le tourisme. Les « caravanes » de voitures entre la Thaïlande et le Viêt Nam génèrent déjà l’arrivée de 25 000 touristes par an, soit autant que les passagers des bateaux de croisières. Pour accompagner cette dynamique transnationale, la zone économique clé du Centre devrait s’élargir à la province de Quang Tri, Dong Ha, sa capitale, se trouvant au carrefour entre le corridor et l’axe routier littoral (carte 4.1).
21Un autre programme ambitieux d’aménagement du territoire, la route Hô Chi Minh, entrepris depuis 1999 par le gouvernement vietnamien, double l’axe routier littoral, vulnérable car exposé aux typhons et aux inondations. Un second axe méridien intérieur longe désormais les frontières cambodgienne et laotienne en territoire vietnamien. Ce second axe (carte 4.1), relié au premier au niveau de Da Nang, donne à la capitale du Centre l’accès direct à la partie septentrionale des plateaux (Gia Lai et Kon Tum) qui lui manquait (l’accès se faisant jusqu’alors par Quang Ngai ou Quy Nhon) et réduit de plus d’une centaine de kilomètres, la distance entre Da Nang et Hô Chi Minh-Ville. Il lui offre aussi un nouvel axe transversal, alternatif au corridor Est-Ouest de la BAD, pour gagner le Mékong. Ce dernier peut devenir un nouvel itinéraire touristique reliant, par les plateaux, les quatre sites classés au patrimoine mondial du Centre Viêt Nam à ceux du Triangle d’émeraude, créé en 2001, composés de Vat Phou au Laos, de Preah Vihear au Cambodge et de Phimai en Thaïlande (Taillard, 2005).
22Ainsi, la fonction régionale de commandement de Da Nang change-t-elle aujourd’hui d’échelle. La ville conforte sa prééminence à l’échelle vietnamienne comme nœud régional sur les deux axes routiers méridiens, et devient un pôle structurant de la Région du Grand Mékong, à l’articulation de deux couloirs transversaux péninsulaires. Ce faisant, la capitale du Centre va pouvoir desserrer en partie sa dépendance vis-à-vis des deux métropoles vietnamiennes, en entrant en relation avec une troisième à l’échelle péninsulaire : Bangkok, ce qui était impensable dans le contexte de l’ancienne gestion territoriale centralisée. Cette évolution favorise le processus de métropolisation, puisque Da Nang accède à des fonctions internationales qui étaient jusqu’alors monopolisées par Hanoi et Hô Chi Minh-Ville. De plus, le développement du tourisme dans la Région du Grand Mékong offre des perspectives nouvelles pour l’internationalisation de son aéroport. Une nouvelle route aérienne reliera prochainement les capitales historiques de l’intérieur de la péninsule, à partir du hub international de Chiangmai. Elle permettra de gagner, en évitant les capitales nationales littorales, Luang Prabang puis Vientiane, Da Nang (Huê, Hoi An et My Son), Paksé (Vat Phou et les chutes de Khone sur le Mékong), Siem Reap (Angkor) et Sukhothai.
Un développement urbain en trois bandes parallèles générées par la traversée du fleuve et le contournement de l’aéroport
Une ville structurée par les équipements portuaires et aéroportuaires
23Comme à Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, la ville de Da Nang dispose d’un territoire débordant largement l’espace urbanisé : celui-ci occupe seulement 161 km² en 2001 puis 196 km² en 2005, date de la création de l’arrondissement Cam Lê au sud-ouest et au sud de la ville, pour un territoire administratif s’étendant sur 1 256 km². La ville compte aujourd’hui six arrondissements urbains et deux districts. Pour obtenir la superficie urbanisée, il faut retrancher d’abord les 305 km² du district maritime oriental inhabité de l’archipel des Paracel (Hoang Sa), puis les 703 km² du district rural occidental Hoa Vang, soit 248 km² (tableau 1). Un décompte plus précis conduit à retrancher encore les espaces non habités de deux des six arrondissements : les 44 km² du parc naturel de la péninsule de Son Tra et les 8,4 km² de l’emprise de l’aéroport, ce qui ramène la superficie de l’agglomération de 248 à 196 km². En prenant en compte ces déductions, la population urbanisée est ramenée de 777 215 habitants à 670 470 en 2005 lorsqu’on passe de l’ensemble du territoire administratif à celui de l’agglomération urbaine. En 2020, la ville de Da Nang, dans sa définition administrative, devrait atteindre 1 055 000 et l’agglomération 850 000 habitants.
24Da Nang est une ville d’estuaire, située sur la rive occidentale, à proximité de l’embouchure du fleuve Han. Ce fleuve est formé par la confluence, juste en amont de la ville, de la rivière Câu Do (ou Cam Lê) formée par deux affluents descendus de la cordillère annamitique à l’ouest, et de la rivière canalisée Vinh Diên (creusée sous Minh Mang) qui relie le fleuve Han au fleuve Thu Bôn au sud. Alors que le fleuve Han est sur le point d’atteindre la mer de Chine méridionale, un cordon dunaire qui s’étire de la presqu’île de Son Tra jusqu’à l’estuaire de Hoi An, le détourne brusquement vers le nord en direction de la baie de Da Nang. Grâce à la chaîne du col des Nuages au nord et à la presqu’île de Son Tra à l’est, qui culminent respectivement à 1 000 et 700 mètres d’altitude et encadrent la baie, l’estuaire et la ville sont protégés des typhons venus du nord-est.
25Le port fluvial (port de pêche et port de commerce) situé à l’embouchure du fleuve Han et le port maritime Tiên Sa sur la côte occidentale de la péninsule offrent des sites portuaires bien plus favorables que celui de Hoi An, situé à 5 km de l’embouchure du fleuve Thu Bôn exposée aux typhons. Hoi An était doublement menacé : par les inondations et, depuis le xixe siècle, par l’ensablement dû à la descente vers le sud du cordon. Pourtant, ce port a longtemps perduré en raison de sa proximité avec l’ancien chef-lieu du Quang Nam, situé seulement à cinq kilomètres à l’ouest de l’ancien comptoir, et de sa position sur le plus grand bassin fluvial du Centre médian. Il a donc fallu attendre l’établissement du protectorat français et l’arrivée de bateaux à vapeur pour que le site portuaire de Da Nang l’emporte définitivement (Krowolski et Nguyên Tùng, 2001).
26Si les ports ont été les éléments fondateurs de la ville coloniale, l’aéroport, construit en 1940 juste à l’ouest du centre-ville, a orienté, par son emprise même, l’évolution ultérieure de Da Nang. Développé en base aéronavale à l’époque de la guerre américaine, il occupe à lui seul 8,4 km² (tableau 1), soit le tiers de la superficie de l’arrondissement central Hai Chau (24,1 km²) et le quart de la zone centrale si l’on y ajoute l’arrondissement Thanh Khê limitrophe au nord (33,4 km²). Lorsqu’on sait que sur les 842 hectares de la zone aéroportuaire, 150 sont réservés à l’aviation civile, on mesure le poids de l’armée de l’air qui en contrôle encore 692 ha. Cette superficie a été pourtant réduite par rapport à la base aéronavale américaine en raison de lotissements opérés sur la bordure orientale limitrophe de la zone centrale. Avec le développement de l’urbanisation linéaire le long de la route méridienne à l’ouest, l’aéroport se retrouve aujourd’hui au milieu de l’agglomération.
27Si on ajoute, à la base aérienne de Da Nang, l’aéroport militaire au nord des montagnes de Marbre, ainsi que les superficies contrôlées par la marine : sur les berges du fleuve Han, dans le port Tiên Sa et dans la péninsule de Son Tra, longtemps zone stratégique pour surveiller la mer de Chine méridionale et notamment l’archipel des Paracel (Hoang Sa) qui relève administrativement de Da Nang, on évalue mieux le poids de l’armée parmi les acteurs du développement urbain de Da Nang, un acteur qui compte au côté du Comité Populaire. Les militaires ont ainsi joué un rôle prépondérant dans le développement urbain, notamment pour la création de la première zone industrielle localisée dans l’arrondissement de Son Tra, réalisée en partenariat avec des Malaisiens, pour les aménagements touristiques remplaçant les infrastructures militaires le long des plages du littoral oriental, et enfin pour la reconversion au tourisme écologique de la péninsule.
28En revanche, le chemin de fer a joué un rôle paradoxal dans le développement urbain. Alors qu’il desservait, depuis la période coloniale, les deux ports, fluvial et maritime, les deux bretelles les reliant à la gare centrale ont été supprimées, au moment même où allait s’engager une phase rapide d’expansion urbaine. Cette disparition était doublement surprenante, d’abord en raison de l’abandon de la desserte ferroviaire des deux ports, ensuite parce que ces deux branches, construites initialement pour le transport des marchandises, auraient pu être reconverties en tramway urbain. Elles parcouraient en effet les deux rives du fleuve Han, l’ancien centre-ville et la nouvelle zone d’urbanisation sur le cordon dunaire. Il a fallu attendre 2006 et le projet du transfert plus à l’ouest de la voie ferrée méridienne longeant la route nationale 1A, le long d’un nouveau boulevard de contournement, et donc le projet de déplacement de la gare centrale sur cette nouvelle voie, pour que la question du tramway redevienne d’actualité. Ce transfert offrait en effet l’opportunité de récupérer l’emprise des anciennes voies en ville pour construire les deux premières lignes du réseau (Taillard, 2005). Sa réalisation tardant, un réseau d’autobus a été créé mais est encore peu utilisé. Un projet de bus rapide en site propre, comme à Jakarta et à Bangkok, est étudié telle une alternative au tramway. Da Nang ne dispose donc pas encore de transport public de masse. En revanche, comme les deux métropoles, elle possède quatre compagnies de radio-taxis.
Du maillage du centre-ville au contournement de l’aéroport et à la traversée du fleuve (1965-1990)
29Le centre historique, situé le long de la rive occidentale du fleuve, dispose d’une maille viaire orthogonale qui caractérise l’urbanisme colonial. À l’ouest de celui-ci, lié à la fonction portuaire, s’est développé un nouveau quartier à maille beaucoup plus lâche reliant la ville coloniale à l’aéroport, qui s’est progressivement densifié à l’époque de la base américaine. Parallèlement, l’urbanisation s’est étendue en direction du nord et du nord-ouest, densifiant un habitat créé par l’arrivée après 1954 des réfugiés du Nord Viêt Nam. La ville comprend aussi deux quartiers urbains sur le cordon littoral : l’une à la tête du pont colonial franchissant le fleuve, l’autre à proximité du port maritime. Le port et l’aéroport encadrent donc dès 1965 le développement urbain. Au-delà, ne figuraient (voir carte 4.2) que des villages ruraux jalonnant les axes routiers, notamment aux principaux carrefours, ou formant un semis sur les terres exondées à proximité du fleuve ou en arrière de la baie.
30Avec la guerre américaine, sont arrivés, de manière massive, les réfugiés du Quang Nam, provoquant une occupation de tous les espaces libres du centre colonial, privés comme publics, et une densification rapide de la bande littorale (carte 4.2), notamment dans les zones inondables en arrière de la baie, à Thanh Khê. Cet arrondissement, avec un habitat dense, de mauvaise qualité et desservi par un réseau de venelles en arêtes de poisson, a conservé longtemps les stigmates de cette période. La pression exercée a été si forte que les réfugiés se sont aussi installés sur le cordon littoral oriental qui disposait de plus d’espace d’accueil, une fois que le pont colonial a été doublé par un nouveau pont américain. Cette pression migratoire est à l’origine de la création du troisième arrondissement urbain : Son Tra.
31Parallèlement, se sont développés des villages périurbains, disposés de manière assez continue le long de la baie et de l’axe d’entrée de ville Nord marqué par un urbanisme linéaire (bien visible sur la carte 4.2), que l’on retrouve aussi le long de la partie méridienne de l’axe d’entrée ville Sud. L’extension linéaire se retrouve à l’ouest du terrain d’aviation le long de la route nationale 1A et de la voie de ferrée reliant Hanoi à Hô Chi Minh-Ville. À l’ouest du carrefour d’entrée de ville Nord, elle rejoint un semis dense de villages ruraux implantés en piémont, puis gagne la baie une fois franchie une zone de lagunes. Vers le sud-est, des villages ruraux forment un semis plus lâche entre le fleuve et la route 14 qui prolonge l’entrée de ville Sud et donne accès aux plateaux du Centre Viêt Nam. Enfin, sur le cordon littoral oriental, les seules parties vraiment urbanisées ne se sont développées de manière continue qu’au nord en arrière des implantations militaires ; au sud, elles s’intercalent entre celles-ci.
L’émergence d’une organisation urbaine en trois bandes méridiennes (1990-2007)
32Entre 1975 et 1996, alors que la ville était encore placée sous la tutelle de la province du Quang Nam-Da Nang, les principaux aménagements urbains ont porté sur les deux bretelles d’entrée de ville Nord et Sud. Le carrefour de Huê, au nord-ouest, a été aménagé dès 1976 et l’avenue Diên Biên Phu, longue de 2,4 kilomètres, le reliant au centre-ville, a été élargie en 1985. Cette avenue donne un accès au principal axe commercial transversal de la ville, doté des deux plus importants marchés. Le long de cet axe transversal comme en bordure de la baie, l’urbanisme linéaire forme deux bandes qui se rejoignent au centre (carte 4.2). Au milieu des années 1990, a été entrepris le traitement de l’entrée de ville Sud et la création du boulevard du 2 septembre le long du fleuve. Là aussi, une bande d’urbanisation s’est développée jusqu’au coude du fleuve, alors qu’au-delà, le bâti se réduit aux deux rives de l’axe. Dès 2001, le terrain d’aviation est cerné par l’urbanisation, il est en contact direct avec le centre-ville à l’est, alors que des espaces non bâtis étaient maintenus sur son pourtour partout ailleurs, car les sols y seraient encore contaminés par le stockage de la dioxine.
33La carte 4.2 montre que cinq ans après l’établissement de la ville-province, la partie centrale de la ville, après avoir atteint la baie au nord, s’étend désormais vers le sud. La partie septentrionale du cordon littoral est presque entièrement urbanisée, alors qu’au sud l’habitat s’intercale entre les emprises militaires. L’urbanisation de la partie occidentale a aussi progressé : un semis lâche de villages périurbains se développe à l’ouest de la route 1A, encadré par deux zones de tissus plus denses : au nord de part et d’autre de la rivière Cu Dê, et au sud entre le fleuve et la route 14B conduisant vers les plateaux.
34La volonté politique en 1997 de faire de Da Nang la métropole du Centre Viêt Nam a bien vite révélé un plan de reconfiguration urbaine très ambitieux, où les infrastructures de transport occupent une place prépondérante, comme le révèle le schéma directeur établi à l’horizon 2020 (carte 4.3). L’aménagement des deux quais, la construction de ponts et l’ouverture de deux fronts de mer au nord sur la baie et à l’est sur la mer de Chine méridionale reconfigurent la partie de la ville située à l’est de l’aéroport. À l’ouest, de nouvelles infrastructures de transport (tunnel sous le col des Nuages, doublement en projet de la nationale 1A par une voie express avec déplacement de la voie ferrée) renforcent l’urbanisation de la partie occidentale de la ville. Ce nouveau maillage, redessiné à l’échelle de l’agglomération, vise d’une part à conforter la position centrale de Da Nang à l’échelle de la zone économique clé du Centre, et d’autre part sa position d’intermédiaire entre les deltas du Nord et du Sud, sur l’axe littoral comme sur celui longeant les frontières du Laos et du Cambodge : la route Hô Chi Minh.
35Bien loin d’une extension urbaine en tache d’huile selon le modèle centre-périphérie, émerge donc une organisation de l’espace urbain en trois bandes parallèles et relativement étroites, délimitées par le fleuve d’une part et par l’aéroport d’autre part, qui maintiennent une discontinuité structurelle dans l’architecture de la ville, reliées seulement par les deux bretelles d’entrée de ville Nord et Sud. Celles-ci sont aujourd’hui dédoublées, avec respectivement le boulevard en bordure de baie au nord et celui en construction longeant la berge de la rivière Cam Lê au sud. Dans chacune de ces bandes, l’urbanisation suit désormais un tropisme en direction du sud, nouveau front de la construction urbaine.
Le poids relatif des trois composantes de l’agglomération
36L’organisation territoriale de l’agglomération rend bien compte de cette dynamique d’urbanisation parallèle en trois bandes (tableau 1). Les deux arrondissements les plus anciens de la bande centrale, Hai Châu et Thanh Khê, rassemblaient près de 365 000 habitants en 2005, soit 54,4 % de la population sur 13 % de la superficie de l’agglomération. Ils sont désormais encadrés à l’est par ceux de la bande orientale, Son Tra et Ngu Hanh Son, qui comptent 162 300 habitants, soit 24,2 % de la population sur 40 % de la superficie (ce pourcentage s’abaisse à 27,4 % si l’on déduit la péninsule montagneuse de Son Tra), et à l’ouest par ceux de la bande occidentale, Liên Chiêu et Cam Lê, qui rassemblent 143 250 habitants, soit 21,4 % de la population sur 47 % de la superficie (pourcentage qui passe à près de 60 % une fois la péninsule déduite). La zone centrale compte donc plus de la moitié de la population alors que les deux bandes qui l’encadrent disposent de 87 % de la superficie de l’agglomération. En 2020 la population de l’agglomération devrait s’accroître d’un tiers par rapport à 2001, passant de 576 700 à 850 000 (la ville-province dépassant le million d’habitants avec le district rural). La zone serait suceptible de connaître une croissance de 20 %, loin des 48 % de la bande orientale qui devance la bande occidentale (32 %).
37En termes de densités, dans la zone centrale, l’arrondissement central Hai Châu, avec 12 555 habitants au km2, arrive derrière celui de Thanh Khê (17 125) qui le prolonge au nord en raison de l’installation massive des réfugiés à la période de la guerre américaine. Ce mouvement migratoire explique aussi que, dans la bande orientale, les densités de l’arrondissement de Son Tra, une fois déduite la péninsule, l’emportent sur celui de Ngu Hanh So’n (6 800 et 1 345 habitants au km2 respectivement). Dans la bande occidentale en revanche, les densités du nouvel arrondissement Câm Lê, qui comprend la partie de la ville située au sud de l’aéroport, devancent celles de Liên Chiêu plus au nord (2 165 et 855 respectivement). Ce dernier dispose d’un territoire bien plus montagneux, encadré par les retombées de la chaîne du col des Nuages au nord et du massif de Ba Na à l’ouest, avec une plaine littorale de superficie réduite occupée en partie par des lagunes.
38Cette bande occidentale, concentre cependant 60 % des réserves foncières de l’agglomération, les deux autres bandes ne pouvant désormais se densifier que par renouvellement du bâti. Dans sa thèse, Tran Thi Dong Binh, montre en effet que le tiers de l’accroissement entre 1990 et 2001 de la zone d’habitat continu (856 ha) provient des zones d’habitat discontinu ou occupées par les enclaves militaires ou industrielles, 20 % de zones humides remblayées ou de friches, et près de la moitié de terres gagnées sur les cultures ou le couvert végétal. Les 2 408 ha gagnés par l’habitat discontinu proviennent, en revanche, pour l’essentiel de cette dernière catégorie (Tran, 2007).
Une métropolisation d’abord endogène, planifiée par l’état vietnamien (1996-2005)
39La séparation de Da Nang de la province du Quang Nam et son élévation au statut de « ville autonome dépendant du gouvernement central » à la fin 1996, a donc engagé une dynamique de métropolisation qui s’appuie sur de grands travaux de reconfiguration urbaine. Ceux-ci visent quatre objectifs principaux : faire du fleuve l’axe central structurant de la partie orientale de la ville, ouvrir la ville sur deux fronts de mer au nord et à l’est, reconfigurer le centre-ville en l’articulant avec les nouvelles périphéries et structurer l’axe d’urbanisation méridien à l’ouest de l’aéroport (carte 4.4). La taille et le rythme de ces grands travaux d’infrastructures distinguent Da Nang des capitales provinciales du Centre et la rapproche des deux métropoles vietnamiennes dominant respectivement les deltas du Nord et du Sud.
La construction de quatre nouveaux ponts et l’aménagement des quais du Fleuve Hàn
40Jusqu’en 2000, Da Nang n’a disposé que de deux ponts, l’ancien pont Eiffel du chemin de fer datant de 1902 (renommé Trân Thi Ly et utilisé aujourd’hui par les motos, les vélos et les piétons) et le pont américain de 1965 (renommé Nguyên Van Trôi), situés l’un à côté de l’autre au sud de la ville. Quatre nouveaux ponts permettent désormais de franchir le fleuve Hàn, ils ont accéléré l’urbanisation du cordon littoral sur la rive orientale. Le premier, le pont Sông Han, a été réalisé dès le changement de statut de la ville, en plein centre-ville, et en prolongement de la rue Lê Duân qui devient de ce fait un nouvel axe commercial important. Ce pont, dont la partie centrale pivote pour laisser passer les bateaux au milieu de la nuit, est devenu l’emblème du renouveau urbain comme l’avaient été, en leur temps, les ponts français et américain. Le second, le pont Tuyên Son, construit au sud des deux anciens, relie le cordon dunaire au boulevard du 2 septembre. Un troisième pont, enjambant la rivière Câm Lê, permet de gagner directement la route nationale 1A, en évitant le carrefour de Hoa Câm autrefois encombré. Le quatrième, le pont suspendu Thuân Phuoc, franchissant l’estuaire en aval du port fluvial, a été inauguré en juillet 2009. Il relie, par un boulevard longeant la baie, les trois équipements portuaires de la ville : le port maritime à Son Tra à l’est, le port fluvial au centre et le nouveau port des pondéreux à Liên Chiêu, au pied de la chaîne du col des Nuages à l’ouest. La construction d’un cinquième pont, bien qu’ayant fait l’objet de controverses, est en cours. Baptisé « câu Rông » (pont Dragon), il prolonge le boulevard de l’aéroport, passe à une vingtaine de mètres de la façade du musée Cham, unique pôle touristique de la ville, avant de franchir le fleuve.
41La réalisation de ces ponts s’accompagne d’un aménagement des deux rives du fleuve qui a nécessité le déplacement d’abord du mouillage des bateaux de pêche de la rive occidentale vers la rive orientale du fleuve, ensuite d’installations militaires portuaires regroupées au sud du port maritime à Son Tra, et à l’avenir des entrepôts pétroliers et de la construction navale vers le port Liên Chiêu. Cette redistribution des activités liées au fleuve a permis de prolonger vers le sud, en direction des deux anciens ponts, le quai sur la rive occidentale, aménagé en promenade fort fréquentée le matin et le soir par les habitants du centre-ville, et de créer un nouveau quai sur la rive orientale, accueillant notamment des équipements à dominante touristique de l’arrondissement Son Tra. La tête orientale du pont Sông Han est très animée en soirée, car elle rassemble de nombreux cafés et petits restaurants de plein air. Ce quai sera bientôt prolongé vers le sud jusqu’au pont Tuyên Son. Ces ponts vont accélérer le redéploiement du peuplement de la zone centrale en direction du cordon dunaire.
L’ouverture de la ville sur le littoral par la création de deux fronts de mer
42L’ouverture des fronts de mer a permis à l’agglomération de se réapproprier ses deux littoraux et de valoriser des espaces d’habitat dégradé mais à fort potentiel touristique et résidentiel pour changer l’image de la ville, à dominante industrielle jusque-là. Les quatre voies du nouveau boulevard Nguyên Tât Thanh, construit le long de la baie pour relier les trois ports, réunit aussi deux des trois stations balnéaires de la baie : Nam Ô à l’embouchure du fleuve Cu Dê et Xuân Thiêu, fréquentées surtout par la clientèle nationale. Cette partie de la ville se transforme rapidement : la construction de compartiments et d’immeubles le long du front de mer, et la rénovation de l’habitat immédiatement en arrière, contrastent avec la forte densité du bâti en arrière, héritée de la guerre américaine.
43Une autre route de quatre voies a été construite le long du front de mer oriental. Elle relie la péninsule Son Tra à Hoi An, en passant à l’est des montagnes de Marbre (Non Nuoc). Elle devient l’axe principal de développement du tourisme international. Elle met en relation en effet les six stations existantes ou prévues sur le littoral oriental de Da Nang. Dans sa section septentrionale, cette route a détruit en partie les filaos plantés durant la période coloniale pour fixer le cordon dunaire et protéger la côte des fréquents typhons tropicaux. Au sud, entre cette route et la mer, des aménagements touristiques en patchwork reproduisent artificiellement des enclaves de paysages littoraux tropicaux tels que les rêvent les touristes. En plus de ces équipements balnéaires, seule richesse touristique de la ville avec le musée Cham, le cordon dunaire dispose de deux zones industrielles : Tho Quang (77,3 ha) située à 2,5 km du port maritime et Da Nang et An Dôn (63 ha), la plus ancienne, réalisée en joint-venture avec une société malaise et située à 1 km du pont Sông Han. Ce boulevard littoral oriental est desservi par des bretelles partant de l’axe central du cordon dunaire, porté à six voies plus deux allées latérales pour assurer la desserte locale, ce qui en fait le plus large boulevard de la ville, avec l’avenue Diên Biên Phu à l’entrée de ville Nord.
La reconfiguration du centre-ville liée à ces deux programmes d’infrastructures
44Outre l’aménagement des quais sur le fleuve, le centre-ville a bénéficié du dernier boulevard ouvert dans le cadre de la reconfiguration du réseau viaire à l’échelle métropolitaine. Ce nouvel axe méridien, avec terre-plein central et d’une largeur comparable aux entrées de villes et aux boulevards de front de mer, borde aujourd’hui par l’est l’aéroport. Commençant sur l’avenue Diên Biên Phu et s’achevant au sud sur la rivière Câm Lê, il permet au trafic, venant de l’entrée de ville Nord et à destination du cordon littoral, de contourner le centre ancien pour gagner le fleuve par une série de bretelles. Ce boulevard et ses bretelles constituent aujourd’hui un important vecteur d’urbanisation du quartier au sud-ouest de la zone centrale.
45L’ouverture du pont Sông Han a généré la transformation la plus marquante du centre ancien, avec le développement des commerces sur la rue Lê Duân qui double désormais l’axe commercial ancien, constitué par les rues Ly Thai Tô et Hung Vuong. Parallèlement, on assiste à une diffusion des activités commerciales dans l’ensemble de la zone centrale le long des principales voies qui la desservent, notamment le long de la rue Diên Biên Phu en direction de l’entrée nord de la ville, ainsi que sur les rues Hoang Diêu et Nguyên Van Linh qui la relient à l’aéroport. Enfin, émerge un quartier d’affaires, limité à l’est par le quai et à l’ouest par la rue Phan Châu Trinh, qui s’étend désormais sur toute la longueur de l’ancienne concession française, du pont Sông Han jusqu’à la place du musée Cham au sud.
46Sur le quai Bach Dang et dans les rues parallèles, les rares villas coloniales subsistantes sont restaurées pour abriter des services publics ou héberger des activités liées au tourisme. Il a même été envisagé un moment de reconstruire l’ancien fort Diên Hai qui, sous les empereurs Nguyên, protégeait le comptoir portuaire (Krowolski et Nguyên Tùng, 2001), de façon à ce que la ville renoue symboliquement avec un passé d’ouverture internationale redevenu d’actualité. Comme il ne reste aucun plan de cet ancien édifice, ce projet à forte connotation identitaire a été abandonné.
La structuration de l’axe d’urbanisation méridien à l’ouest de l’aéroport
47À l’ouest de l’aéroport, la troisième partie de l’agglomération s’organise selon un axe d’urbanisation méridien suivant le tracé de la route nationale 1A. Engagé dès la période américaine, cet axe prend désormais de l’épaisseur. Cette évolution est accélérée par l’ouverture récente du tunnel sous le col des Nuages et par la réalisation prévue d’une nouvelle voie de contournement par l’ouest, routière et ferroviaire, qui devrait doubler la nationale 1A et l’ancienne voie ferrée. Elle sera complétée à moyen terme par une voie autoroutière encore plus à l’ouest en piémont qui deviendra l’axe majeur reliant les divers pôles urbains s’échelonnant le long de la zone économique clé. Ces axes seront directement connectés à la partie méridionale de la route Hô Chi Minh.
48Bien desservis par les moyens de transport (maritime, routier et ferroviaire), l’axe méridien occidental rassemble les fonctions logistiques et industrielles autour de trois nœuds : au nord la zone portuaire en eau profonde de Liên Chiêu, au centre le pôle de Hoa Khanh plus anciennement urbanisé car il commande aujourd’hui l’entrée de ville Nord, enfin le nouveau pôle en constitution à l’ouest du carrefour routier Hoa Cm sur la route nationale 1A, qui donne accès à l’entrée de ville Sud et à la branche méridionale de la route Hô Chi Minh. Ces trois noeuds concentrent les zones industrielles les plus dynamiques de Da Nang (Liên Chiêu 373 ha, Hoa Khanh 640 ha et Hoa Câm 137 ha).
Un savoir-faire foncier favorisant le processus de reconfiguration urbaine
49La rapidité des transformations opérées à Da Nang en moins d’une dizaine d’années et leur ampleur, une trentaine de voies principales créées ou reconfigurées nécessitant le déplacement d’un grand nombre de personnes, caractérisent cette première décennie d’une métropolisation endogène, financée par l’action conjointe du gouvernement central et du Comité populaire. Grâce au savoir-faire foncier développé depuis sa transformation en ville-province, Da Nang a su maîtriser les procédures d’expropriation et éviter l’écueil de l’improvisation qui sont la source de bien des retards dans la réalisation des projets de développement urbain dans ce pays. Aussi, sa politique de compensation des personnes déplacées est-elle présentée comme un modèle pour les autres villes vietnamiennes.
50Dès 1997, elle a mis en place un fonds d’indemnisation des personnes déplacées conjuguant des financements du Comité populaire et de l’État central qui n’a pas mesuré ses concours durant cette période pour faire de Da Nang la métropole du Centre. La ville a versé une allocation de délocalisation financée par le budget local, permettant d’indemniser raisonnablement les habitations détruites et de reloger les personnes déplacées à proximité de leur ancienne maison pour leur permettre de poursuivre leurs activités et donc de conserver leurs revenus. Ainsi, 80 % des maisonnées dont l’habitation a été partiellement ou totalement détruite, afin de permettre l’élargissement de la route nationale 1A, ont accepté les indemnités proposées (Nguyên Xuân Thanh, 2003). La ville sait aussi associer la population à ses projets. Ainsi, pour financer le surcoût du pont tournant Sông Han de manière à ce que les gros bateaux puissent remonter en amont, elle a fait appel à la population qui a apporté 27 des 95 milliards de dôngs nécessaires, l’État central finançant 53 milliards et le Comité populaire 15 milliards.
51La politique de la ville consiste à récupérer la plus-value foncière dégagée par la création de nouveaux boulevards. Grâce au fonds de roulement constitué dès 1998 pour financer le déplacement des populations installées sur l’emprise de la nouvelle voie, le Comité populaire lotit les deux bandes de terrain encadrant le nouveau boulevard et les vend au prix du marché. Les ressources ainsi dégagées permettent de réinstaller les personnes déplacées sur des rues de moindre largeur parallèles au nouveau boulevard, juste en arrière des deux bandes loties. On leur propose soit un dédommagement financier avec lequel ils peuvent acheter un lot au prix officiel, soit des terrains pour qu’ils reconstruisent leur habitation, le plus souvent des compartiments, ou encore un appartement dans un immeuble collectif dont la qualité de la construction dépend de la nature des logements détruits et donc de la capacité de remboursement de leurs occupants. Ainsi les immeubles implantés en bordure de la zone humide de Thuân Phuoc, à proximité de l’estuaire, sont mieux construits que ceux implantés le long du boulevard longeant la baie où l’habitat dégradé datait de l’arrivée des réfugiés durant la guerre américaine. L’attribution se fait en accession à la propriété avec un crédit remboursable sur une longue période et à un prix inférieur à celui du marché. La procédure n’évite pas cependant les déplacements volontaires à plus longue distance, car certains allocataires revendent leur parcelle ou leur appartement pour profiter de la plus-value.
52Cette politique permet l’enchaînement des opérations, une fois constitué le fonds de roulement de départ. Elle comporte néanmoins des limites quant aux reconfigurations urbaines opérées. Elle permet seulement la rénovation ou la création d’une urbanisation linéaire, car les voies secondaires d’accès à ces nouveaux boulevards sont rares, et l’aménagement irrigue donc mal l’intérieur du quartier traversé. De plus, celui-ci bloque toute possibilité d’élargissement ultérieur, si ce n’est par une nouvelle destruction du bâti sur une plus grande profondeur. Le plus souvent, la solution retenue est de construire une nouvelle voie plus périphérique comme à l’ouest de l’aéroport. Enfin, l’abondance des voies reconfigurées ou créées conduit à un excédent de l’offre de terrain à bâtir, dans la zone centrale comme en périphérie, ce qui a conduit à une baisse des prix du foncier accentuée par la crise asiatique – malgré l’explosion urbaine que connaît la ville depuis 1998, il est vrai après une longue période de stagnation.
53L’ampleur des opérations engagées n’est donc pas sans influence sur le marché du foncier qui marque le pas. La presse vietnamienne attribue la cause principale de ces difficultés au trop grand nombre de boulevards ouverts qui mettent beaucoup trop de terrains en vente en même temps. De plus, ces terrains qui font l’objet d’opérations purement spéculatives restent trop chers pour une large partie de la population. Ainsi, des lots bien situés sur le boulevard Nguyên Tât Thanh en bordure de baie qui se vendaient il y a peu 6,1 millions de dông le m ², ne trouvent actuellement pas preneurs, même à moitié prix !
La transition depuis 2006 d’une métropolisation endogène à une métropolisation internationalisée
Les lenteurs de l’internationalisation durant la première décennie
54La prééminence de l’État central et du Comité populaire, parmi les acteurs du développement urbain, donne un caractère insolite à cette métropolisation, du fait de la relative faiblesse jusqu’en 2006 des investisseurs internationaux. Celle-ci s’explique par la double métropolisation : d’abord à l’échelle du Viêt Nam qui concentre les investissements étrangers vers Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, ensuite à l’échelle régionale, Huê ayant largement attiré les financements étrangers s’investissant dans le tourisme. En conséquence, Da Nang a peu profité de financements extérieurs pour réaliser ses grands projets d’infrastructures. Ainsi entre 1997 et 2000, les investissements ont-ils été multipliés par six, passant de 99 à 600 milliards de dôngs, dont 61 % pour les financements publics (réseaux viaires, ponts, modernisation des ports et aéroports, développement de cinq zones industrielles, création de quatre grands équipements culturels…), 21 % pour le secteur privé (usines et immeubles, quatre stations balnéaires à Son Trà, le complexe touristique de Non Nuoc, deux nouveaux centres commerciaux à podium…), et seulement 17 % pour les acteurs étrangers. À titre de comparaison, dans la province de Binh Duong, proche d’Hô Chi Minh-Ville et réputée pour sa réussite économique, les investissements de l’État ne représentent que 7,4 % contre 57,3 % venant de l’étranger et 35,3 % du secteur privé autochtone (Nguyên Xuân Thanh, 2003).
55Les organisations internationales intervenaient surtout dans le secteur de l’environnement (la Banque Mondiale pour les adductions d’eau et le traitement des eaux usées…) ou social (la Banque Asiatique de Développement et l’Onudi pour la formation, l’OMS pour la santé…). Les financements bilatéraux, parce qu’ils manquent ici de visibilité par rapport à Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, se réduisent, pour les projets de développement urbain, à l’équipement de l’hôpital (Italie), au traitement des déchets (Espagne) et à l’Institut du tourisme (Japon). Ils sont aussi présents dans les grandes infrastructures, avec notamment le Japon pour le tunnel sous le col des Nuages (un projet national, il est vrai, de 240 millions de dollars), la modernisation du port maritime et la construction du pont Tuyên Son. L’essentiel des financements internationaux provient des investissements directs étrangers qui se sont élevés entre 1988 et 2004 à 733,6 millions de dollars, ce qui est peu surtout lorsqu’on sait que seulement 38 % des investissements autorisés étaient réalisés (277,9 millions). Seule province dans le Centre, le Quang Ngai s’approche, sur la période, de Da Nang pour les investissements autorisés (681,8 millions), et le dépasse pour ceux réalisés (551 millions) en raison de la construction de la raffinerie de Dung Quât. Les investissements directs de Da Nang ont chuté de 57 à seulement 1,5 million de dollars entre 1992 et 2000. Ils n’ont retrouvé leur niveau d’avant la crise asiatique que depuis 2002, et ont atteint 62,3 millions en 2004, un niveau encore limité.
Le relais pris par les investissements directs étrangers depuis 2006
56On assiste aujourd’hui à une montée en puissance des investissements directs étrangers, tant de leur montant que dans leur structure. En rythme annuel, les investissements directs autorisés ont sextuplé passant de 132,4 millions de dollars en 2005 à 840 millions en 2007. Le secteur industriel, sur la première période 1992 et 2004, l’emportait largement avec 72 % du total (alors qu’il contribuait pour 49,5 % du PIB), avec des investissements notamment dans la confection, la chaussure, l’ameublement, les agro-industries et la transformation des produits de la mer. Les services venaient en second rang avec 25 % (44,5 % du PIB), mais il s’agissait surtout d’investissements dans le tourisme et peu dans le tertiaire financier. Sur la période 1992-2008, la répartition de ces investissements est tout autre puisque l’immobilier y occupe un poids écrasant, près de 75 % du total, laissant loin derrière l’industrie (21 %) et les autres services (2,7 %). Avec le boom de la promotion immobilière, le taux de réalisation des projets atteint désormais 60 % des autorisations accordées et les services bancaires ont progressé. Le nombre des établissements bancaires de 18 en 2004, dont une seule étrangère en joint-venture avec les Malaisiens, est passé à 47 en 2007 avec une seconde banque étrangère thaïlandaise. Il s’est aussi diversifié, car Da Nang dispose de 9 compagnies d’assurance, 4 sociétés d’audit financier, 8 agents maritimes et 147 bureaux de sociétés étrangères. Le secteur des services est désormais le plus dynamique, il devrait atteindre en 2010 49,1 % du PIB (et 55,7 % en 2020), dépassant l’industrie 47,5 % (42,7 % en 2020), l’agriculture et la pêche ne représentant que 3,4 % (1,6 % en 2020).
57L’origine des investissements directs étrangers montre une bonne intégration de la ville à l’Asie du Nord-Est qui, sur la période 1992-2008, lui fournit 38 % des investissements directs. La Corée du Sud, premier investisseur étranger avec 23 % du total, a devancé Hong Kong et Taïwan qui comptaient pour 16 et 15 % respectivement sur la période 1992-2004, le Japon se maintenant autour de 5-6 %. Les USA ne figurent aujourd’hui que pour 6 %, mais ils comptent pour beaucoup plus, avec les paradis fiscaux qui mobilisent bien des financements des Viêt Kiêu (Vietnamiens d’outre-mer) américains, dont la part a augmenté de 26 à 48 % des investissements entre les deux périodes de référence. Il s’agit de l’héritage de liens tissés durant la guerre américaine où Da Nang était une grande base aéronavale. Les États-Unis ont financé par exemple le Centre de documentation et l’Institut des langues étrangères de l’université ainsi que le parc technologique pour la production de logiciels. En revanche, la part de l’Asie du Sud-Est a fortement régressé entre les deux périodes de référence de 24 à 7,4 %, Singapour devançant désormais de peu la Malaisie, tout comme l’Europe passant de 1,6 à 0,4 % du fait de l’effacement de la France, pourtant très présente à l’échelle nationale.
58Le commerce extérieur est un autre indicateur du rayonnement international de la ville qui corrige l’image donnée par les investissements directs. Les clients de Da Nang, contrairement aux investissements directs, se trouvaient en 2004 principalement en Europe (35 %) et aux USA (31 %) qui devançaient le Japon (23 %), loin devant la Chine et Taïwan (5 et 4 % respectivement). En 2007, les USA et le Japon conservent leur position en tête mais leur domination s’est affaiblie (26,9 et 14,2 % respectivement) ce qui indique une diversification croissante des partenaires commerciaux, notamment en Asie, comme l’atteste la multiplication des liaisons maritimes.
59En 2004, les exportations se faisaient principalement par Singapour qui était moins cher (510 dollars par conteneur de 40 pieds contre 875 pour Hong Kong) et plus rapide (5 jours contre 8). La longueur de l’immobilisation de bateaux (faute de capacité de manutention) et la faible fréquence des rotations (seulement quatre à cinq par semaine sur ces deux routes) freinaient le développement des exportations. Aussi, pour les produits congelés de la mer, est-il plus rentable d’envoyer le conteneur par la route à Hô Chi Minh-Ville, ce qui générait un surcoût de 85 dollars mais faisait gagner une semaine pour la livraison au client final. Aujourd’hui, le port de Da Nang a été modernisé grâce à des investissements japonais, il a une capacité de 4 millions de tonnes et peut accueillir des bateaux de 45 000 DWT. Il est équipé pour le traitement des conteneurs dont le nombre a doublé, passant de 27 200 à 53 400 entre 2003 et 2007. Le port a diversifié considérablement ses dessertes puisque, en plus de Hong Kong et Singapour, des rotations quatre fois par semaine le relient au Japon, à la Corée du Sud et à Taïwan. Da Nang devient le hub portuaire de la zone économique clé du Centre et la porte orientale sur la mer de Chine méridionale du corridor Est-Ouest de la Région du Grand Mékong.
60Son aéroport traite 1,2 million de passagers mais reçoit encore peu de touristes venant directement de l’étranger (ils entrent au Viêt Nam par Hanoi et ressortent par Hô Chi Minh-Ville, et réciproquement), alors que les marchés de l’Asie du Nord-Est sont porteurs et que celui de la Chine explose. De ce fait, les liaisons aériennes se diversifient beaucoup plus lentement que les routes maritimes. Aux trois vols par semaine vers Bangkok, se sont progressivement ajoutés les dessertes vers Singapour et la liaison vers Taipei, mais les lignes vers Hong Kong, Tokyo, Séoul et la Chine se font toujours attendre, et la crise mondiale actuelle ne favorise pas leur ouverture prochaine.
61Une étude de la Chambre de commerce et d’industrie du Viêt Nam, réalisée en 2005 en collaboration avec les experts américains du projet Développement de la compétitivité du Viêt Nam, classait déjà Da Nang au second rang des 42 provinces retenues (avec un indice de 70,7), juste derrière la province de Binh Duong (indice 76,8) qui profite du déversement des investissements industriels d’Hô Chi Minh-Ville dont elle est limitrophe. Viennent ensuite, au onzième et douzième rang, deux provinces aux extrémités de la zone économique clé du Centre : au sud Binh Dinh (indice 60,6) intégrée en 2004, et au nord Quang Trị (61,1) qui devrait l’être prochainement car elle se situe au débouché du corridor Est-Ouest. Il est à noter que la capitale du Centre devance largement les deux provinces limitrophes : le Quang Nam, figurant au seizième rang (indice 59,7) et Thua Thiên-Huê, au vingt-cinquième (indice 56,8). La confirmation de Da Nang comme capitale de la zone économique clé et plus largement du Centre, et son émergence comme nouvelle métropole aux côtés d’Hanoi et d’Hô Chi Minh-Ville (classées respectivement au quatorzième et au seizième rang avec pour indices 60,3 et 59,6), apparaissent désormais assurés.
La verticalisation du paysage bâti et l’entrée dans l’ère de la promotion immobilière, nationale et étrangère
62Durant la première décennie du processus de métropolisation, la reconfiguration du réseau viaire et l’urbanisation linéaire qui lui est liée ont été dominants. Ce mode de développement se poursuit aujourd’hui mais avec un certain retard par manque de moyens financiers de l’État central et du Comité populaire. Ainsi l’achèvement du pont Thuân Phuoc sur l’estuaire a dû être repoussé à 2009, et le doublement de la nationale A1 par une voie express est reporté aux années 2010.
63Ce processus n’est cependant plus l’élément moteur de la seconde décennie de la métropolisation. Aujourd’hui, la priorité est donnée à la modernisation du paysage bâti qui l’emporte sur la reconfiguration des infrastructures. Dans cette nouvelle phase, l’État joue encore un rôle important, notamment avec la construction d’un complexe administratif logé dans une tour torsadée de 34 étages rassemblant tous les bureaux du Comité populaire. Cet investissement de 55 millions de dollars, nouveau symbole de la modernisation de Da Nang, devrait être en partie compensé par la revente du parc immobilier libéré dont dispose le Comité, notamment les deux bâtiments coloniaux de son siège actuel et divers services situés en bordure de fleuve, dont la valeur a explosé depuis la reconfiguration du quai.
64Le Comité populaire n’est cependant plus le principal acteur de la modernisation du bâti, le relais étant pris désormais par la promotion immobilière privée. Des investisseurs vietnamiens du Nord comme du Sud, réunis à l’initiative d’entrepreneurs de la ville ou de promoteurs venant directement de Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, ont financé par exemple les deux premiers grands équipements commerciaux de l’axe marchand, Ly Thai Tô et Hung Vuong. Le financement est totalement vietnamien pour le premier supermarché (construit au début des années 2000 par le groupe Bai Tho qui a été réhabilité en 2009), en joint-venture pour le second avec le groupe Carrefour (enseigne Big C comme en Chine) : un mall à podium surmonté de deux tours de bureaux et d’appartements, situés proximité du marché Côn (Vinh Trung Plaza : 20 étages, 50 millions de dollars).
65Depuis 2006, interviennent de plus en plus des investisseurs étrangers, notamment américains et coréens. Certaines réalisations sont localisées le long du quai dans le centre ancien comme une tour d’hôtel international à podium (le Green Plaza sur financement vietnamien) et une tour d’appartements reliée à un complexe de bureaux (Indochina Riverside Tower). On note aussi la mise en chantier, par des promoteurs coréens, de deux nouveaux quartiers (associant hôtels, bureaux, appartements, maisons de ville, centre commercial, école internationale et golf…) sur de vastes parcelles remblayées en front de fleuve au sud (Kreves Residential and Commercial Complex) ou sur la baie au nord (Da Phuoc Newtown). On compte près d’une vingtaine de projets d’envergure, dont trois situés sur le quai oriental du fleuve, à proximité de la tête du pont Sông Han (comme le Vinacapital Commercial Center sur financement américain). Les investissements fonciers et immobiliers concernent aussi le tourisme. Un front de resorts de classe internationale se constitue le long de la partie méridionale du cordon littoral, du Furama (le premier réalisé) jusqu’aux montagnes de Marbre. On y compte pas moins de sept projets, allant de 86 à 130 millions de dollars, qui combinent souvent hôtels de luxe et ensembles résidentiels.
66La multiplication de ces complexes immobiliers, dans le centre ancien, le long du fleuve et sur le littoral traduit un changement d’échelle de la promotion immobilière qui devient le secteur le plus dynamique de l’économie. La démesure des projets laisse cependant planer un doute sur la capacité du marché à absorber une telle offre. Le revenu annuel par tête de Da Nang a certes doublé, passant de 650 à 1 200 dollars entre 2001 et 2007, plaçant la capitale du Centre derrière Hô Chi Minh-Ville et Hanoi mais devant Can Tho et Hai Phong. Il ne permet pas encore à la classe aisée de la ville d’accéder à un immobilier construit pour les clientèles fortunées asiatiques.
Une métropolisation générant une configuration spatiale en bandes et une organisation polycentrique en réseau
67La résultante de cette transition d’une métropolisation endogène à dominante publique vers un relais pris par les investissements privés, vietnamiens comme étrangers, n’est pas seulement un étalement urbain dans chacune des trois bandes méridiennes composant la ville, étalement d’abord au nord en direction de la baie puis réorienté vers le sud où se concentrent désormais les principaux fronts d’urbanisation. Il émerge aujourd’hui une métropolisation polycentrique fondée sur un réseau de pôles hiérarchisés, structurant de nouveaux quartiers, dans la zone centrale comme dans les deux bandes qui l’encadrent (carte 4.5).
L’émergence, en bordure de fleuve dans la zone centrale, d’un centre d’affaires et de deux nouveaux quartiers à vocation internationale
68Le centre-ville s’organise désormais autour d’un quartier d’affaires, d’orientation méridienne et limité à l’est par le fleuve et à l’ouest par la rue Lê Loi (se dédoublant au sud par les rues Phan Chau Trinh et Hoang Dieu). Il s’étend désormais sur toute la longueur de l’ancienne concession française, du port fluvial jusqu’à la rue Hung Vuong (où étaient rassemblés les premiers bâtiments de l’administration coloniale), et de l’ancien quartier marchand qui la prolongeait au sud jusqu’à la place du musée Cham et au boulevard Nguyên Van Linh. On y assiste à un renouvellement rapide d’un bâti de plus en plus verticalisé.
69Dans la partie orientale de ce quartier d’affaires, entre le quai et la rue Trân Phu qui vient d’être refaite, émerge une dynamique de Central Business District. La verticalisation y est bien plus prononcée, les nouveaux immeubles accueillant bureaux et grands hôtels, limités ailleurs à une dizaine de niveaux, dépassent ici désormais la trentaine d’étages. Vu du quai oriental, il se signale par une skyline, se détachant du bâti environnant, interrompu au centre par les bâtiments coloniaux du Comité populaire. Au sud du pont Sông Han jusqu’à l’immeuble de la télévision, les bâtiments de grande hauteur sont plus rapprochés et le profil apparaît de plus en plus continu. En arrière du quai, deux pôles verticalisés émergent, financés par des investisseurs vietnamiens. Le premier, au nord, comprend la tour de 34 étages du complexe administratif encadrée par celle du parc technologique au sud et par les tours jumelles sur podium du Da Nang Plaza au nord. Le second pôle, au sud, est centré sur la place du nouveau théâtre où sont rassemblés trois projets combinant condominium, malls, bureaux et appartements : à l’ouest les deux tours sur podium du Da Nang Center et à l’est les deux tours jumelles reliées par un pont du Viên Dông Méridian (180 millions de dollars) qui font face au complexe encore plus important de la banque Dông A.
70Deux nouvelles centralités apparaissent aux deux extrémités de la zone centrale, en bordure du fleuve, développées toutes deux par des investisseurs coréens pour une clientèle internationale. Au nord, une première s’étend le long d’un terre-plein remblayé en bordure de baie à l’ouest de la tête du pont suspendu Thuân Phuoc sur l’estuaire. Il comprend la ville nouvelle Da Phuoc (204 ha développés par Daewon Cantavil pour un coût de 250 millions de dollars) et les deux tours jumelles de 37 étages du True Friends Park (Bukusan, 50 millions de dollars). Au sud de la ville ancienne, à la tête du pont Tuyên Sơn, un autre quartier international démarre à l’initiative des groupes Keyes (sur 9,8 ha pour 200 millions de dollars) et Daewon Cantavil (30 millions de dollars), sur une partie de la réserve foncière verte provenant du remblaiement, par le Comité populaire, d’anciennes zones humides en bordure du fleuve.
71Au nord de cette réserve et à la tête des deux anciens ponts, un lotissement sur une île artificielle développée par un groupe d’Hô Chi Minh-Ville, associe la tour du Green Island Hotel à des restaurants et des villas de luxe, loin du modèle de gated communities pour expatriés que pouvait suggérer le schéma directeur. Si la planification urbaine est cohérente et plutôt bien adaptée à la structure particulière de la ville, les réalisations laissent place à bien des surprises du fait de l’absence d’un véritable urbanisme de détail. Cette centralité internationale est complétée, plus au sud, par des équipements de rang métropolitain : hypermarché Métro, palais des expositions, supermarché Nhât Linh et jardin Thanh Niên (Jeunesse) organisé autour d’un lac intérieur. On notera cependant que ce développement s’arrête à la rive de la rivière Câm Lê, la ville verte, prévue dans le schéma directeur 2020 à la confluence hydrographique de trois rivières et reliée à la bande centrale par un futur pont implanté au sud du jardin Thanh Niên, n’ayant pas été encore engagée.
Un front de mer dévolu au tourisme international encadré par deux nouveaux quartiers aux fonctions métropolitaines dans la bande orientale
72Le boulevard de front de mer du cordon littoral devient l’axe principal de développement du tourisme international. Il met en relation les sept complexes balnéaires existants ou prévus entre Bac My An et les montagnes de Marbre : Furama (investissement étranger repris par des capitaux vietnamiens), My Khê Beach Tourane Hotel (vietnamo-américain), Fusion Maia (vietnamien), My Phat Olalani (vietnamien d’outremer), Crown plaza Hoang Dat (sinoaméricain), Hyatt Regency (américain), Raffles Hotel (Dubai). Ils constituent une coulée d’aménagements touristiques en bordure de mer formant un front continu et souvent verticalisé, qui jouxte d’anciens villages et des enclaves militaires dépourvus d’accès à la mer qui peuvent maintenant difficilement bénéficier de la plus-value touristique.
73Ces stations touristiques littorales, doublant à l’est la zone d’habitat ancien développée sur la dorsale du cordon dunaire, sont encadrées par deux nouveaux pôles : l’un ancien au nord, et l’autre en cours de développement au sud. De la tête orientale du pont suspendu Thuan Phuoc au terminal de conteneurs financé par le Japon sur la côte orientale de la péninsule Son Tra, le quartier est en pleine restructuration. L’industrie, développée à partir des premières zones industrielles installées sur d’anciens terrains militaires (Tho Quang située à 2,5 km du port maritime et An Don située à proximité du pont Sông Han), n’est plus l’élément moteur du quartier, malgré la création d’une nouvelle zone dédiée à la transformation des produits de la mer. Le relais est pris aujourd’hui par la fonction résidentielle en habitat collectif. Il s’agit du plus vaste ensemble de ce type en cours de construction à Da Nang, conçu pour loger les populations déplacées par la création du quai et de la rampe d’accès au pont, mais aussi pour assurer le logement des classes moyennes émergentes.
74Dans la partie méridionale du cordon littoral, dans l’arrondissement Ngu Hanh Son, des équipements structurants vont constituer un nouveau pôle au sud des montagnes de Marbre. L’université de Da Nang, qui y dispose d’un terrain de 300 ha, devrait, dans une première tranche démarrant en 2009, accueillir les formations doctorales et la recherche ainsi qu’un village universitaire, sur 50 ha, grâce à un financement de 350 millions de dollars provenant de la Banque Asiatique de Développement. Ultérieurement, des centres de recherche sur le tourisme, la médecine et l’océanographie viendront renforcer ce pôle, accompagnés, à terme, par un nouvel ensemble résidentiel. La spécialisation scientifique de ce nouveau quartier semble donc bien engagée.
Des pôles industriels et logistiques hiérarchisés jalonnant l’axe structurant de la bande occidentale
75À l’ouest de l’aéroport, l’axe méridien de développement se structure désormais autour de trois quartiers aux trois principaux nœuds de l’axe structurant méridien, la nationale 1A. Au nord l’estuaire du fleuve Cu Dê et du débouché du tunnel routier sous le col des Nuages, un premier pôle rassemble d’une part une zone portuaire en eau profonde pouvant accueillir des bateaux de 50 000 DWT, spécialisée dans les pondéreux (matériaux de construction et produits pétroliers), et d’autre part la zone industrielle Liên Chiêu (373 ha) complétée par une zone d’industries chimiques. Une urbanisation linéaire s’y développe le long de la nationale 1A, limitée par l’étroitesse de la plaine littorale au nord du fleuve Cu Dê. Bénéficiant de la conjonction des transports maritime, ferroviaire et routier, la logistique et l’industrie en sont les principaux moteurs.
76Au Sud du fleuve Cu Dê, à Hoa Khanh au carrefour entre la nationale A1 et la route de Ba Na, ancienne station d’altitude réhabilitée à 1400 mètres, s’étend un second pôle de taille plus importante. L’urbanisation y prend d’autant plus d’ampleur que la route nationale traverse une zone d’habitat rural ancien bordant des lagunes en partie remblayées et sur laquelle a été construite la zone industrielle sur 640 ha, la plus dynamique de la ville. De plus, ce quartier rassemble le siège du Comité populaire de l’arrondissement de Liên Chiêu et les campus des collèges polytechnique et des langues étrangères de l’université de Da Nang. Enfin, les fonctions commerciales d’entrées de ville s’y sont d’autant plus reportées que le carrefour de Huê, contraint par l’embranchement entre la voie de chemin de fer méridienne et la bretelle reliant la gare centrale, n’a pas permis le développement de projets structurants. Ceci pourrait changer à l’avenir avec le rapatriement de la gare centrale au croisement entre la nationale et la future voie express, à proximité de la nouvelle gare des autobus ; ce nouveau nœud logistique renforcera la dynamique de ce quartier.
77Au sud enfin, dans le nouvel arrondissement de Câm Lê, le croisement Hoa Câm entre la nationale A1 et l’entrée de ville Sud qui se prolonge vers l’ouest par la route 14B en direction des plateaux, n’a pas créé un pôle d’urbanisation pour au moins deux raisons. D’une part la construction d’un pont routier pour limiter les accidents, d’autre part le pont Câm Lê permet d’éviter le carrefour Hoa Câm et de gagner directement la nationale 1A plus au sud. Aussi le Comité populaire de l’arrondissement est-il situé à l’est du carrefour Hoa Câm, sur une zone d’habitat occupant une ancienne base militaire. L’urbanisation ne se développera à l’ouest de nationale 1A que lorsque s’ajoutera, à la première zone industrielle Hoa Câm (137 ha), une seconde Hoa Khuong, à proximité de la future voie express qui doublera la nationale 1A, justifiant la création d’un nouveau quartier résidentiel à l’horizon 2020. L’urbanisation de la bande occidentale s’appuie, pour le moment, sur deux pôles complémentaires d’urbanisation au nord plus avancés, alors que l’émergence du pôle méridional est conditionnée par le renforcement de la fonction industrielle et par l’augmentation du trafic en direction de la route Hô Chi Minh et du nouveau corridor conduisant vers la Thaïlande via Paksé au Laos.
Formes et devenir de la transition métropolitaine
78L’agglomération de Da Nang se compose aujourd’hui de trois sous-ensembles urbains en bandes parallèles mais de largeur inégale, délimités par le fleuve d’une part et par l’aéroport d’autre part, qui maintiennent une discontinuité structurelle dans l’architecture de la ville. Celle-ci peut se lire comme un maillage d’axes méridiens, intégrant chacune de ces bandes, et transversaux, les reliant entre elles. Ce maillage est dense dans la zone centrale et de plus en plus lâche en passant de la bande orientale à la bande occidentale. Ce maillage et ces axes organisent un réseau de centralités hiérarchisées de plus en plus spécialisées, fruit d’une redistribution des fonctions à l’échelle métropolitaine. Le bon fonctionnement de cette organisation polycentrique nécessite, à terme, la mise en place d’un réseau de transport de masse, tramway ou autobus express en site propre, pour relier les différents pôles.
79Dans la zone centrale, on trouve bien des facteurs de la métropolisation puisqu’un Central Business District émerge (composé de grands hôtels, de tours de bureaux et d’appartements reliés par des podiums hébergeant des malls, ainsi qu’une tour administrative et un parc technologique), encadré au nord et au sud par deux quartiers résidentiels (comprenant tours, maisons de ville et équipements de loisirs) se concentrant en bordure de baie ou de fleuve. Dans la bande orientale, le moteur de l’urbanisation est passé de l’industrie au tourisme balnéaire international, alors que la bande occidentale donne la priorité à la fonction industrielle servie par une infrastructure logistique performante. Dans chacune de ces bandes, de nouveaux équipements (économiques, universitaires, culturels ou résidentiels) portent de nouvelles centralités et commandent l’émergence de nouveaux quartiers. Ceux-ci occupent une place équivalente, à l’échelle de Da Nang, à celle des villes nouvelles à Hanoi et Hô Chi Minh-Ville.
80Le processus en cours de métropolisation est cependant si récent que les transformations du paysage urbain suivent surtout les axes structurants du nouveau maillage, et façonnent progressivement les centres de ces quartiers émergents aux principaux nœuds du réseau, notamment aux têtes de pont sur le fleuve. Ce processus d’urbanisation affecte peu, pour le moment, le bâti à l’intérieur des mailles, à dominante urbaine dans la zone centrale ou rurale des périphéries qui se densifient par auto-construction. Le paysage urbain apparaît donc partout composite, les nouvelles constructions se mêlant au bâti ancien des villages ruraux comme des unités de voisinage urbaines qui ont formé la première matrice de l’urbanisation.
81La dynamique en cours témoigne d’une transition d’une métropolisation fondée sur une reconfiguration des infrastructures de circulation durant la première décennie, fruit d’une planification visant à doter le Centre d’une métropole qui compte à l’échelle de la construction nationale, à une métropolisation plus classique et internationalisée lors de la seconde, associant investisseurs privés et étrangers, jouant la carte de l’intégration à la mondialisation. D’une décennie à l’autre, l’internationalisation intervient d’une manière sélective sur l’architecture spatiale en bandes structurantes de Da Nang. Lors de la première décennie, elle a surtout bénéficié aux deux bandes qui encadraient la zone centrale : les investissements étrangers, de taille encore modeste, concernaient surtout les zones industrielles (localisées dans les bandes orientale et occidentale) et les premiers équipements touristiques. Avec l’avènement de la promotion immobilière lors de la seconde, les investisseurs étrangers privilégient d’abord la zone centrale, notamment le nouveau quai longeant le fleuve, puis les resorts littoraux de la bande orientale. L’internationalisation profite donc désormais aux arrondissements centraux les plus anciennement urbanisés et les plus développés, et à ceux de la bande orientale disposant d’un potentiel touristique.
82La cohérence de la dynamique métropolitaine engagée, d’une décennie à l’autre, tient à l’efficacité de l’Institut de planification rurale et urbaine de la ville, qui a su faire travailler ensemble le département de la construction et des bureaux d’étude. Il s’est rapidement doté de nouveaux outils de développement urbain comme un cadastre informatisé. Cet institut a conçu et dirigé, en relation avec l’Institut national de Hanoi dont il dépend, le schéma directeur de développement urbain 2020. Da Nang s’est aussi doté d’outils de communication performants à l’international. On peut ainsi noter la qualité des sites web du Comité populaire et surtout du Da Nang Investment Promotion Center (IPC) qui a développé récemment un guichet unique pour faciliter les investissements étrangers. La ville de Da Nang dispose désormais au Japon d’un premier bureau de promotion commerciale et des investissements à l’étranger. Elle organise maintenant chaque année la foire Made in Da Nang, qui sert de vitrine pour promouvoir l’industrie de Da Nang, plus largement de la zone économique clé et, de plus en plus, pour les pays du corridor Est-Ouest de la Région du Grand Mékong. Ce Centre permet à tous les acteurs, nationaux et étrangers, de prendre la mesure des priorités et des dynamiques économiques et urbaines engagées à l’échelle de l’agglomération.
83L’avenir du modèle de développement polycentrique porté par la dynamique de métropolisation à Da Nang, dépend d’abord de la capacité du Comité populaire, de l’État central mais aussi des investisseurs privés, nationaux étrangers, à doter les nouveaux quartiers d’équipements qui leur permettent d’atteindre une taille critique, de les relier par un transport de masse favorisant la redistribution des fonctions, et d’enclencher une dynamique viable à l’échelle métropolitaine. Cependant, la seconde décennie de la métropolisation, celle de l’internationalisation, s’engage dans une conjoncture de crise mondiale généralisée. On peut s’interroger sur la poursuite du processus fondé sur la promotion immobilière de haut standing, aussi bien résidentielle et d’affaire dans la zone centrale que touristique le long du cordon littoral. Un risque d’explosion de la bulle immobilière ne peut pas être écarté, faute d’une clientèle nationale ou expatriée suffisamment nombreuse sur place (elle est limitée aujourd’hui à un petit millier de résidents) pour prendre le relais d’acheteurs étrangers momentanément défaillants. Au mieux, le rythme des investissements dans ce secteur sera ralenti et la réalisation de cette seconde phase de la métropolisation retardée de quelques années. L’avenir dépend aussi de la capacité de Da Nang et de Huê à surmonter leurs rivalités et à développer des synergies pour créer une véritable région urbaine bipolaire capable de dynamiser le Centre Viêt Nam en mobilisant durablement les investisseurs étrangers.
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Auteurs
Directeur de recherche émérite, géographe, CNRS, CASE.
Ingénieur de recherche, CNRS, CASE.
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